SEPTEMBRE À DÉCEMBRE 2015
WWW.THEATREDUCAPITOLE.FR
2015 automne
16
Le Château de Barbe-Bleue
Le Prisonnier
D'OMBRE ET DE LUMIÈRE
RIGOLETTO
UN RIRE TRAGIQUE
GISELLE
CHEF-D’ŒUVRE DU BALLET ROMANTIQUE
3
4 Le Château de Barbe-Bleue
Le Prisonnier
Entretiens
Tito Ceccherini directeur musical
Aurélien Bory metteur en scène
Tanja Ariane Baumgartner soprano
8 Rigoletto
Entretiens
Daniel Oren directeur musical
Nicolas Joel metteur en scène
Saimir Pirgu ténor
Portraits
Ludovic Tézier baryton
Nino Machaidze soprano
12 Midis du Capitole
Récital
Dmitry Ivanchey ténor
13 Présences vocales #2
Récital
L’Nfer (un point de détail)
Entretien
François Sarhan compositeur
13 Concert de Noël
Chœur du Capitole
Maîtrise du Capitole
14 Giselle
Entretiens
Kader Belarbi directeur de la danse
Philippe Béran chef d’orchestre
Thierry Bosquet décorateur
Portrait
Olivier Bériot costumier
22 Calendrier
23 Informations pratiques
P.14
P. 8
édito
C'est une fois encore sous le signe
de la diversité que se place cette
nouvelle saison 2015-2016, diversité
que le premier trimestre résume à lui
seul : grands classiques du XXe siècle
avec les chef-d’œuvres lyriques de
Bartók (Le Château de Barbe-Bleue)
et Dallapiccola (Le Prisonnier),
modernité romantique avec Rigoletto
de Verdi et Giselle côté ballet, deux
ouvrages profondément novateurs
dans leur manière de traiter la
psychologie des personnages,
l'intemporel Mozart dont les célèbres
Vêpres du confesseur ouvriront le
traditionnel concert de Noël tandis
que, plus près de nous, L'Nfer de
François Sarhan illustrera la création
contemporaine. Diversité des titres,
donc, mais aussi des propositions
scéniques puisque ces spectacles
seront tour à tour signés Aurélien
Bory, Nicolas Joel ou Kader Belarbi,
trois esthétiques on ne peut plus
personnelles. Mais la diversité au
Théâtre du Capitole, c'est aussi
celle des propositions culturelles
auxquelles je ne saurais trop vous
inviter : conférences, présentations
d'avant-spectacle (« Parlons-en »,
« Un Thé à l'Opéra » etc.), ateliers
pour tous les publics et tous les âges,
journées d'études et autres « Carnets
de danse ». Mille et une façons de
voir et d'entendre la musique et
la danse, mille et une façons d'en
aborder les différents aspects, de se
les approprier.
Je vous souhaite à tous, chers
spectateurs, une excellente rentrée.
Frédéric Chambert
directeur artistique du Théâtre du Capitole
sommaire
P. 4
Prix Sacem de l’Académie
du disque lyrique
54
OPÉRA / PRÉSENCES VOCALES #1 – Le Château de Barbe-Bleue / Le Prisonnier
Vous revenez au Théâtre du Capitole après y avoir dirigé la création
mondiale des Pigeons d’argile en avril 2014. S'il ne s’agit plus de créations
cette fois-ci, les deux opéras qui composent cette soirée d’ouverture de la
saison 2015/2016 n’en sont pas moins donnés pour la première fois à
Toulouse dans une version scénique. Les avez-vous déjà dirigés ?
J’ai déjà dirigé l’opéra de Bartók. C’est une de mes partitions les plus chères
dans l’absolu, celle que j’ai la plus fréquentée. Je l’ai achetée alors que je
n’avais que 12 ans et j’ai passé ma jeunesse à l’étudier. Aujourd’hui, Bartók
est un des compositeurs que je dirige le plus volontiers. Dans Le Château de
Barbe-Bleue, je trouve fascinante la fusion entre un langage très personnel et
déjà arrivé à quasi maturité, car de nombreuses idées musicales utilisées pour-
raient appartenir à ses compositions postérieures, et un climat poétique qui
est encore en grande partie celui du jeune Bartók. L’héritage de Liszt, Strauss,
Dohnanyi et Brahms est ici transfiguré en une harmonie teintée parfois de
nostalgie et de douceur qui sont miraculeusement intégrées dans une parti-
tion fièrement et résolument moderne. En revanche, je dirigerai Il Prigioniero
à Toulouse pour la première fois. Cela me fait particulièrement plaisir car c’est
une composition que j’aime beaucoup et qui mériterait d’être plus connue.
Si les personnages ne sont guère nombreux, il semble que l'orchestre joue
un rôle prépondérant. Qu’en pensez-vous ?
Le traitement de l’orchestre dans Le Château est certainement la compo-
sante la plus fascinante et surprenante de l’œuvre. Il est en même temps
visionnaire et formidablement efficace. La sixième porte en est un parfait
exemple : la qualité des timbres définit à elle seule l’idée musicale, dans un
contexte d’écriture d’une originalité absolue.
Entretien Tito Ceccherini, direction musicale
Créés respectivement en 1918 et 1949, Le Château de Barbe-Bleue de Béla Bartók et Le Prisonnier de Luigi Dallapiccola
sont rapidement devenus des classiques de l'opéra de la première moitié du XXe siècle. Il est vrai que, d'emblée, par
leurs sujets, par leur efficacité de traitement, par la beauté même de leur mise en œuvre musicale, ces deux ouvrages
courts s'imposaient avec la force et l'évidence du chef-d’œuvre. Tous deux montrent des êtres humains contraints
à aller au bout d'eux-mêmes, puisant dans les ressources de leur volonté le dépassement de toute vie « normale »,
paisible, mesurée. Le metteur en scène Aurélien Bory et Tito Ceccherini à la baguette nous proposent leurs propres
clés pour entrer dans ces deux imaginaires sombres, et pourtant si porteurs de lumière.
Le Château
de Barbe-Bleue
Béla Bartók (1881-1945)
Opéra en un acte et un prologue
sur un livret de Béla Balázs
créé le 24 mai 1918 à l’Opéra
de Budapest
Le Prisonnier
(Il Prigioniero)
Luigi Dallapiccola (1904-1975)
Opéra en un acte avec prologue
sur un livret du compositeur,
d’après Villiers de l’Isle-Adam
créé en concert le 1er décembre 1949
à Turin (création scénique :
20 mai 1950, Florence)
Tito Ceccherini
direction musicale
Aurélien Bory
mise en scène
Taïcyr Fadel
collaborateur artistique
Vincent Fortemps
artiste plasticien
Aurélien Bory, Pierre Dequivre
scénographie
Sylvie Marcucci
costumes
Arno Veyrat
lumières
Le Château de Barbe-Bleue
Bálint Szabó
Barbe-Bleue
Tanja Ariane Baumgartner
Judith
Le Prisonnier (Il Prigioniero)
Tanja Ariane Baumgartner
La Mère
Levent Bakirci
Le Prisonnier
Gilles Ragon
Le Geôlier /
L’Inquisiteur
Dongjin Ahn, Jean-Luc Antoine
Deux Prêtres
Orchestre national du Capitole
Chœur du Capitole
Alfonso Caiani
direction
Nouvelle production
Spectacle présenté dans le cadre du cycle
Présences vocales par le collectif éOle,
Odyssud, le Théâtre du Capitole et le
théâtre Garonne
Spectacle en langues hongroise et italienne
surtitré en français
Théâtre du Capitole
2, 6 et 9 octobre à 20h
4 et 11 octobre à 15h
Durée 2h10
Tarif A de 20,50 à 109
Le Château de Barbe-Bleue
Le Prisonnier
Dans Il Prigioniero, je suis frappé par la qualité changeante
de l’orchestration qui, riche dans la complexité de l’effectif
employé et des différentes manières de l’organiser, montre
avec une fréquence fascinante une approche chambriste.
J’aimerais dire qu’en cela, et uniquement en cela, on entend
chez Dallapiccola des échos mahlériens venus tout droit, ou
du moins initiés par le biais de l’École de Vienne. Et quelle
efficacité dans le dialogue qui se noue entre les voix sur
scène et les nombreux soli instrumentaux ! Et malgré la pré-
sence de modèles, le son global est inimitable et personnel
(…), avec une qualité lumineuse qui, elle, ne descend pas des
Viennois, mais peut-être, éventuellement et au-delà d’une
certaine italianité, de modèles français toujours très présents
à l’esprit de Dallapiccola.
Comment ne pas penser ici à la catastrophe qui suit les
questions interdites d’Elsa à Lohengrin ? Que faire de ces
références dans une œuvre aussi profondément gothique en
même temps que symbolique ? Ont-elles lieu d’être ?
Personnellement j’ai toujours perçu comme très suggestif
le lien dialectique qui existe entre Lohengrin et Le Château
de Barbe-Bleue. Il est clair que, au fond, les deux opéras et
leurs personnages mettent en cause, en dernière analyse, les
mêmes thèmes, non seulement la friction entre les interdits et
la curiosité, mais surtout et très profondément la fragilité de
l’Homme et de la Femme au moment où ils se mettent en jeu
dans leur rapport de couple. Dans leur traitement cependant
ressort pour moi surtout la grande distance entre le monde
romantique de Wagner et celui complètement moderne de
Bartók. Il est clair que l’opéra de Balazs et Bartók ressent,
comme les modèles qui l’ont conditionné, la sensibilité d’un
monde nouveau, celui de Freud.
Quel est votre regard sur le couplage de ces deux œuvres
dans une même soirée ?
Je le considère comme très efficace. L’opéra de Bartók pose
un défi complexe dans le choix d’un couplage. On cherche
une pièce qui ait naturellement les proportions justes et qui,
en quelque chose, soit en mesure d’établir une certaine forme
de « dialogue » avec l’ouvrage de Dallapiccola. Au moins
deux compositeurs importants ont écrit au cours des dix
dernières années des œuvres conçues comme possibles cou-
plages avec Le Château. Il s’agit de Judith (Fénelon, 2007)
et Senza sangue (Eötvös, 2015). Ces deux opéras attendent
d’être mis à l’épreuve de la scène. Ils n’ont été donnés jusqu’à
présent qu’en version de concert et jamais avec Le Château.
Sur ce point ma curiosité est très vive. Il Prigioniero a donc
des caractéristiques idéales. Je pense qu’en plus il est très
important de faire connaître cet opéra. Pour toutes ces rai-
sons, ce couplage est très heureux. n
Propos recueillis par Robert Pénavayre, juillet 2015
traduits de l’Italien par Robert Gonnella
(découvrez l'intégralité de l'entretien
dans le programme de salle)
CONFÉRENCE
Charlotte Ginot-Slacik :
« Deux contes cruels ? »
1er octobre à 18h
Théâtre du Capitole, Grand foyer
PARLONS-EN
rencontres d’avant spectacle
2, 6 et 9 octobre à 19h
Théâtre du Capitole, Grand foyer
CARNET OPÉRA
26 septembre à 18h
Théâtre du Capitole, Grand foyer
Le résumé
Le Château de Barbe-Bleue
Le Prince Barbe-Bleue vient d'enlever
Judith à sa famille pour en faire sa
nouvelle épouse. Dans l'obscurité
de sa vaste et antique demeure,
sept portes fermées. Cette obscurité
surprend la jeune femme, qui
tentera d'ouvrir toutes ces portes
pour faire entrer la lumière, malgré
l'interdiction de Barbe-Bleue.
Le Prisonnier
Un prisonnier de l'Inquisition, seul
dans sa cellule, confie à sa Mère
venue lui rendre visite que, malgré
les tortures infinies, il a repris espoir
car le Geôlier l'a appelé : « Frère ».
Cet espoir jouera sur lui comme un
poison. Dans une ultime tentative
de fuite, le Prisonnier se rend
compte en effet que ce n'était qu'un
raffinement supplémentaire dans
la torture qu'on lui infligeait : la
torture par l'espérance.
Comment est venue l'idée de joindre en un même spectacle
ces deux œuvres apparemment si différentes ?
Frédéric Chambert a imaginé ce programme. J'ai travaillé sur
les deux œuvres, d'abord indépendamment, en cherchant à
les éloigner le plus possible, et ensuite en les associant, de
façon à former un diptyque. J'ai fait une plongée dans chaque
livret, en essayant d'en extraire la question essentielle qui
puisse m'amener à concevoir un dispositif scénographique.
Comme dans chacune de mes créations, la scénographie
constitue le point de départ de la mise en scène. Je cherche à
comprendre l'espace par son mouvement, par ses transforma-
tions, par les phénomènes physiques qui sont en jeu.
L'ouvrage de Bartók est aujourd'hui un classique du
répertoire, mais il n'en garde pas moins sa part de mystère.
Comment le comprenez-vous ? Qui sont Judith et Barbe-
Bleue pour vous?
C'est effectivement son mystère qui rend l'œuvre passion-
nante. Béla Balázs a écrit un livret fascinant, qui place la
lumière au premier plan. Les sept portes suivent la décompo-
sition de la lumière. Judith veut ouvrir les portes pour faire
entrer le vent et la lumière dans ce château – qui n'est autre
que Barbe-Bleue lui-même. Elle veut faire toute la lumière
Entretien Aurélien Bory, mise en scène
Le Château, Vincent Fortemps
6 7
©Dario Acosta
de façon à respirer à nouveau, à faire taire la rumeur étouffante. Elle veut
connaître Barbe-Bleue, et cette connaissance est un acte d'amour. Barbe-
Bleue préfère l'opacité et le silence. Il cache dans son cœur les femmes qu'il a
aimées et qu'il a rendues muettes. Barbe-Bleue et Judith sont d'une certaine
manière l'histoire de l'échec de l'amour.
Pouvez-vous nous dire comment cette lecture vous a guidé dans la mise en
scène du spectacle ?
Le point central est évidemment le motif de la porte. Même si je voulais que
ces portes rappellent l'architecture d'un château, j'ai pensé à une structure
légère qui puisse être sensible au vent. J'ai ainsi imaginé un mobile de portes
encastrées, dont la forme évoque le spectre lumineux, l'arc-en-ciel. J'essaie
toujours de convoquer sur le plateau les lois physiques. Le spectre renvoie
alors à Isaac Newton, et le mobile à la gravité.
Quant au Prisonnier, le sujet semble davantage politique. Cette « torture
par l'espérance » n'est-elle pas, peut-être aussi, une métaphore de la
condition de l'homme sur terre ? Comment comprenez-vous ce Geôlier /
Inquisiteur ?
Dans Le Prisonnier, la question est bien celle de la liberté, ou plutôt celle de
l'illusion de la liberté qui renvoie effectivement à la question de la condition
humaine. Dallapiccola place dans à peu près chaque scène une apparition,
une illusion. Le Prisonnier flotte et souffre dans ces illusions. Il cherche mais
ne parvient pas à regagner le réel. L'Inquisiteur est celui qui l'en empêche.
Certains commentateurs pensent parfois que l'apparition de La Mère, au
prologue, n'est pas réelle, mais n'est qu'une hallucination du Prisonnier.
C'est aussi votre point de vue ?
Oui, comme le rêve de la Mère, le discours du Geôlier, le couloir, tout est illu-
sion. Et l'opéra finit sur une terrible désillusion.
Vous parlez d'illusion. Comptez-vous l'utiliser au plateau ?
Cette réflexion sur l'illusion m'a amené à choisir l'artiste Vincent Fortemps
comme collaborateur. Son travail de dessin en direct, dessins qui se forment
et s'effacent au fil de l'action convient parfaitement à la suite d'illusions
dans cet opéra. De plus, Le Prisonnier est traversé par de multiples références
à Victor Hugo, qui était lui-même un dessinateur étonnant. Dont Vincent
Fortemps ne manquera pas de s'inspirer.
La curiosité (de Judith) et l'espérance (du Prisonnier) sont deux des
moteurs de la vie humaine ?
Dans les deux cas, c'est la quête de la connaissance qui guide l'action.
Plus personnellement, comment êtes-vous venu à l'opéra ?
Quels sont vos rapports à ce genre théâtral si particulier ?
J'aime parcourir tous les genres, tous les arts de la scène. Cela m'aide à renou-
veler la forme, ou du moins aborder les mêmes choses mais par un autre côté.
D'une certaine façon, j'approfondis là ma démarche de création. Mais j'essaie
surtout de la questionner sans cesse. n
Propos recueillis par Jean-Jacques Groleau, juillet 2015
On vous connaît pour votre grande versatilité : récemment, on a en effet
pu vous entendre à la fois dans des rôles romantiques et dans des créations
contemporaines. De quelles musiques, de quels rôles vous sentez-vous la
plus proche ?
Difficile à dire… Habituellement, l’œuvre que je préfère est toujours celle sur
laquelle je suis en train de travailler ! J'essaie de garder autant que faire se
peut Verdi et la musique italienne à mon répertoire, ce qui me permet de
maintenir ma voix dans un état de fonctionnement aussi belcantiste que pos-
sible, ce qui est essentiel, même pour chanter du Strauss ou du contemporain.
Et puis, vous savez, j'ai une formation de violoniste ; je suis donc habituée à
passer d'une époque à une autre, cela fait vraiment partie du métier.
Les rôles de La Mère du Prisonnier et de Judith du Château de Barbe-Bleue
sont assez différents, en psychologie, mais aussi en vocalité.
Judith est un rôle merveilleux. Si l'on se replace dans le contexte de la créa-
tion de l’œuvre, on voit ce que cela suggère sur les enjeux de la relation
hommes-femmes dans la société de l'époque, avec ses règles d'une rigidité
de fer. Si l'on creuse le sillon psychologique de Judith, ou celui de toutes les
épouses de Barbe-Bleue d'ailleurs, on peut se demander s'il ne convient pas de
voir là l'expression incarnée de son subconscient, ses voix intérieures. Mais
ce ne sont là que mes propres pistes de lecture, mes propres réflexions. Le rôle
est d'une telle richesse, d'une telle complexité ! Et puis j'aime attendre aussi
de voir ce que me propose le metteur en scène, sa vision du personnage, la
compréhension qu'il en a. Il ne faut surtout pas arriver avec une vision trop
déterminée pour laisser la place à cette interaction essentielle entre le metteur
en scène et le chanteur.
La Mère du Prisonnier est parfois perçue elle aussi comme une émanation
de la psychè de son fils incarcéré.
Oui, cette scène pourrait tout à fait être perçue comme un cauchemar du
Prisonnier, c'est une option tout à fait défendable. Là encore, j'attends de voir
le parti pris par Aurélien Bory.
Ces deux rôles sont parfois confiés à des sopranos, parfois à des mezzo-
sopranos. Quel est votre sentiment ?
Les tessitures sont très tendues dans l'aigu, c'est un fait, mais il leur faut
aussi une profondeur et une réelle projection dans le grave. Tout dépend des
couleurs voulues, finalement. La musique de Dallapiccola, en outre, est très
exigeante du point de vue rythmique ; finalement, le rôle de La Mère, quoique
bref, est intense. Quant au rôle de Judith, il est d'une terrible complexité émo-
tionnelle. Le défi est ici de garder la tête froide et de ne pas se laisser emporter
par les émotions. n
Propos recueillis par Jean-Jacques Groleau, juillet 2015
Vous avez appartenu pendant de nombreuses années à des troupes
lyriques, non seulement en Roumanie, mais aussi plus tard en Allemagne.
Quel a été leur apport dans votre carrière ?
J’ai débuté ma carrière en Roumanie en 1990, à Cluj, à l’Opéra d’État hon-
grois. En 1996 j’ai été embauché dans l’Opéra d’Etat roumain de cette ville.
Puis, en 2003 je suis parti travailler à Hambourg et en 2004 à Francfort.
Toutes ces maisons m’ont beaucoup aidé à développer et à construire mon
répertoire. Je crois que j’ai eu aussi beaucoup de chance de chanter alors des
premiers rôles et de croiser de grands artistes, qu’ils soient pianistes, metteurs
en scène ou chefs d’orchestre. Donc, pour moi et pour répondre plus spéciale-
ment à votre question, travailler en troupe a été très productif et utile.
Venons-en au Château de Barbe-Bleue. Bartók utilise ici un « parlando
cantando » qui est, nous dit-on, spécifiquement hongrois. Pouvez-vous
nous expliquer cette écriture, vous qui êtes né en Transylvanie ?
Bartók a fait beaucoup de recherches sur la musique folklorique transylva-
nienne. La spécificité de cette musique est le « parlando-rubato » que l’on
pourrait traduire par « liberté de chanter ». Il cherchait à transposer dans ses
mélodies les intonations de la langue hongroise mais aussi de les combiner
avec le « parlando-rubato » des chants folkloriques. Bien sûr une grande
partie de cette « liberté » a été perdue à cause des tempi de l’orchestre, mais
malgré tout, l’interprétation demeure toujours très « personnelle », voilà
pourquoi la durée de cet opéra peut sensiblement varier. D’ailleurs on s’en
aperçoit aisément à l’écoute des enregistrements.
Les écueils vocaux de cette partition sont-ils entièrement dans l’ambitus
très long qui est ici requis, ou bien également dans le respect des mille
nuances demandées par le compositeur ?
La difficulté pour chanter le rôle de Barbe-Bleue n’est pas, en effet, seule-
ment contenue dans la tessiture très haute, tessiture réclamant, cela dit, du
moins pour une basse, une attention de chaque instant. La vraie difficulté
se trouve dans les millions de couleurs nécessaires pour interpréter ce texte.
C’est une affaire très personnelle car le texte n’est pas conventionnel, chaque
moment est différent de l’autre, en permanence changeant d’humeur et de
vibrations. Et puis, avec chaque Judith, la pièce est spécifique, comme dans
la vraie vie, il s’instaure chaque fois une relation différente.
Quel est votre portrait personnel de Barbe-Bleue, un rôle que vous avez
mis à votre répertoire en 1997 ?
J’ai fait mes débuts dans ce rôle effectivement à Budapest en 1997. Je l’ai
beaucoup interprété, y compris en version de concert, version qui est très
présentable au demeurant. Pour moi, cet opéra est une analyse psycholo-
gique de la relation homme-femme, un homme et une femme se cherchant
mutuellement, ou plutôt se croisant sans se trouver. C’est un ouvrage qui
sonde les profondeurs extrêmes des mystères et de la souffrance. J’ai joué
à Budapest dans une production très intéressante dans laquelle je chantais
l’opéra deux fois, avec deux mises en scène différentes. Dans un premier
temps, l’œuvre était présentée du point de vue de l’homme, ensuite, du point
de vue de la femme. Ce fut une expérience incroyable, car non seulement
il fallait chanter le rôle deux fois, l’un après l’autre, mais aussi jouer deux
histoires différentes dans la même soirée.
C’est votre quatrième invitation au Capitole, mais cette fois dans un rôle
de premier plan. À quelques semaines de la première, quelles sont vos
attentes ?
Après trois grandes productions (Don Carlo, Rigoletto et La Dame de Pique),
je suis très heureux de chanter à nouveau sur la scène du Capitole ! De plus
j’ai hâte d’interpréter encore une fois Barbe-Bleue et aussi de présenter un
opéra hongrois au public de mélomanes de Toulouse. Je suis sûr que ce sera
une très belle production, de haut niveau et que nous allons pouvoir nous
enrichir, si l’on peut dire, d’un nouveau et grand Château de Barbe-Bleue. n
Propos recueillis par Robert Pénavayre, août 2015
(retrouvez l'intégralité de l'entretien sur notre site internet :
www.theatreducapitole.fr)
Entretien Tanja Ariane Baumgartner, soprano
Entretien Bálint Szabó, basse
La Porte, Vincent Fortemps
98
OPÉRA – Rigoletto
Rigoletto
Rigoletto
Giuseppe Verdi (1813-1901)
Opéra en trois actes sur un livret
de Francesco Maria Piave
d’après le drame de Victor Hugo
Le Roi s’amuse
créé le 11 mars 1851
au Teatro La Fenice, Venise
Daniel Oren
direction musicale
Nicolas Joel
mise en scène
Carlo Tommasi
décors, costumes
Vinicio Cheli
lumières
Ludovic Tézier
Rigoletto
Saimir Pirgu
Le Duc de Mantoue
Nino Machaidze
Gilda
Sergey Artamonov
Sparafucile
Maria Kataeva
Maddalena
Cornelia Oncioiu
Giovanna
Dong-Hwan Lee
Le Comte
Monterone
Orhan Yildiz
Marullo
Dmitry Ivanchey
Matteo Borsa
Igor Onishchenko
Le Comte
Ceprano
Marie Karall
La Comtesse Ceprano
Marga Cloquell
Un Page
Orchestre national du Capitole
Chœur du Capitole
Alfonso Caiani
direction
Production du Théâtre du Capitole
(1992)
Spectacle en langue italienne surtitré en
français
Théâtre du Capitole
17, 20 et 26 novembre à 20h
22 et 29 novembre à 15h
Durée 2h50
Tarif A de 20,50 à 109
Audiodescription pour les personnes
déficientes visuelles
20 novembre à 20h,
22 novembre à 15h
CONFÉRENCE
Michel Lehmann :
« Un laboratoire musical
et dramaturgique »
12 novembre à 18h
Théâtre du Capitole, Grand foyer
PARLONS-EN
rencontres d’avant spectacle
17, 20 et 26 novembre à 19h
Théâtre du Capitole, Grand foyer
JOURNÉE D’ÉTUDE
Victor Hugo, le drame romantique
français et l’opéra
Contact Institut Irpall :
Christine Calvet, Institut Irpall
19 novembre de 9h à 17h
Théâtre du Capitole, Grand foyer
Verdi a toujours eu à cœur de puiser aux sources les plus nobles de l'art théâtral pour créer ses opéras. De Victor Hugo,
il a déjà mis en musique le célèbre Hernani – qui perd son « h » initial en traversant les Alpes. Dix ans après le succès de
ce formidable Ernani (1844), Verdi s'enflamme pour une autre pièce historique du dramaturge français : Le Roi s'amuse.
Pour lui, Hugo y atteint des sommets dignes de Shakespeare.
Le résumé
Le Duc de Mantoue, coureur de
jupons invétéré, confie à l'un de
ses courtisans qu'il a récemment
entrevu une jeune fille, à l'église.
Et qu'elle ne le laisse pas de
marbre ! Pendant ce temps,
Rigoletto, bouffon de la cour, moque
les courtisans qui, à de trop rares
exceptions près, font mine de ne
pas voir que le Duc séduit leurs
épouses et leurs filles. Il ne sait pas
encore que la jeune fille dont le
Duc s'apprête à faire la conquête est
sa propre fille, qu'il élève pourtant
dans le plus grand secret, loin de
la cour et de ses mœurs délétères.
Malgré ses mises en garde, Rigoletto
verra sa fille tomber sous le charme
du séducteur, qui l'abandonnera
sitôt conquise. Il médite sa
vengeance, mais elle se retournera
contre lui.
On parle souvent de trilogie à propos de Rigoletto, Il Trovatore et La Traviata,
trois œuvres créées entre 1851 et 1853. Giuseppe Verdi a-t-il tissé des liens
intimes entre ces opéras ?
Je ne pense pas que Verdi avait programmé de composer une trilogie. Il a écrit
trois opéras, l’un après l’autre, de 1851 et 1853. Ce rythme de production lui
était habituel. Faut-il rappeler qu’en trois ans également, entre 1842 et 1844,
il a composé Nabucco, I Lombardi, Ernani et I due Foscari ? Et entre 1845 et
1847, il en a produit cinq : Giovanna d’Arco, Attila, Macbeth, I Masnadieri et
le remake pour l’Opéra de Paris d’I Lombardi : Jérusalem ! (…) La différence
avec les œuvres précédentes, et ceci plus particulièrement pour Rigoletto et
La Traviata, réside dans le choix inattendu de thématiques en prise avec
son temps. Il s’agit alors de traiter de la condition humaine de personnages
oppressés par le pouvoir, c’est Rigoletto face au Duc de Mantoue, ou bien
des effets dévastateurs des conventions sociales, c’est Violetta. (…) Quant au
Trovatore, il est dramaturgiquement un retour à l’antique, qui s’appuie en
l’occurrence sur le romantisme espagnol. Nous pouvons dire cependant que
ces trois opéras constituent une trilogie car ils sont comme une ligne de par-
tage des eaux dans la production verdienne. Il est incontestable qu’il y a un
avant et un après à cette trilogie dans le regard de la critique et du public.
Venons-en à Rigoletto et plus particulièrement à Gilda. Teresa Brambilla,
qui crée le rôle, est également connue pour ses Abigaille (Nabucco) et
Elvira (Ernani). La partition originale de Rigoletto ne dépasse pas, la
concernant, le contre ut. Toscanini lui-même choisit Zinka Milanov pour
être sa Gilda en Amérique. Pourquoi alors ce rôle a-t-il longtemps été
l’apanage de sopranos leggieri ?
Il faut bien se rendre à l’évidence que l’histoire de la vocalité est extrême-
ment dynamique, que chaque âge a son propre style de chant, que l’évolution
Le caractère général de cet ouvrage, que ce soit l’original
de Victor Hugo ou bien la transposition lyrique de Giuseppe
Verdi, est-il profondément ancré dans la Renaissance, que ce
soit en termes de couleurs, de costumes, de mœurs ?
J’en suis parfaitement persuadé et c’est d’ailleurs le projet
scénographique et dramaturgique que j’ai alors développé
avec le décorateur italien Carlo Tommasi. Pour moi, en tant
que récent Directeur du Théâtre du Capitole à cette époque-
là, c’est-à-dire en 1992, c’est un spectacle très important car,
d’une certaine manière il installait l’esthétique que j’ai par
la suite développée durant tout mon mandat, une esthétique
classique respectueuse des livrets et de la musique. Vous par-
lez de couleurs et vous avez parfaitement raison. Je me sou-
viens d’une réflexion du maestro Maurizio Arena qui condui-
sait la première de cette production. Dès qu’il vit les décors
et les costumes, il me dit : « C’est la couleur de Rigoletto ».
L’œuvre est totalement ancrée dans la Renaissance, même si
elle est ici revue et corrigée par le XIXe siècle bien sûr. Nous
l’avons fait avec des moyens scénographiques traditionnels,
c’est-à-dire en mélangeant les décors construits et les décors
peints. Ce qui vraiment m’importait était de trouver cette
couleur.
Entretien Daniel Oren, direction musicale
Entretien Nicolas Joel, mise en scène
même du mélodrame romantique est liée à des changements
dans la technique vocale. Il est possible en effet que la pre-
mière Gilda, Teresa Brambilla, ait chanté Nabucco (Abigaille)
et Ernani (Elvira), mais il est parfaitement documenté
aujourd’hui que Verdi l’a choisie après l’avoir entendue dans
Luisa Miller, un opéra qui réclame dans son 1er acte, de la
part du rôle-titre, une remarquable agilité vocale. N’oublions
pas encore au sujet de cette cantatrice qu’elle chantait dans
la Beatrice di Tenda de Bellini et dans Le Cantatrici Villane
de Fioravanti, des titres très exigeants dans le respect d’un
style vocal néoclassique. Ajoutons que pour son retour à la
Scala en 1921, justement avec Rigoletto, Toscanini fait chan-
ter Gilda à Toti dal Monte, une soprano dont les coloratures
pyrotechniques sont aujourd’hui difficiles à imaginer. Toutes
ces extrapolations vers le haut des tessitures sont influencées
par la tradition. Nous pouvons les écouter avec un sentiment
nuancé, mais il faut respecter cet état de fait parce qu’il est le
fruit de l’expérience de très grands chanteurs.
Le rôle du Duc est également très délicat à chanter car il ne
doit être ni trop spinto ni trop di grazia. Son créateur, Raffaele
Mirate, chante aussi Manrico d’Il Trovatore. Quel est donc le
format vocal idéal pour cet emploi ?
Vous dites, à juste titre d’ailleurs, que Mirate, le premier Duc
de Mantoue, chantait aussi Manrico d’Il Trovatore. Permettez-
moi d’ajouter qu’avant de chanter Verdi, ce ténor chantait
Rossini et était un très fameux Almaviva. Fraschini, le ténor
favori de Verdi, célèbre Manrico également, chantait Bellini
et Pacini. Il venait donc aussi d’une vocalité néoclassique.
Le piège stylistique du rôle-titre ne réside-t-il pas dans une
puissance dramatique qui peut entraîner l’interprète vers des
accents véristes ?
En ce qui concerne la vocalité du rôle-titre, nous savons que
Verdi attribue avec beaucoup de conviction le rôle de père
dans ses opéras à la voix de baryton. Pour ce compositeur,
le timbre barytonnant est idéal pour cet emploi, c’est la voix
qui s’accorde le mieux à l’écriture musicale, indépendamment
de la fonction dramaturgique. Mais tout cela dépend aussi du
talent de l’artiste et de l’attention du chef d’orchestre quant
aux exigences stylistiques.
Le quatuor du dernier acte est un monument musical, vocal et
dramatique, mais aussi un monument de difficulté à mettre en
place. Comment le travaillez-vous ?
Vous avez raison, ce quatuor est difficile à mettre en place,
mais cela dépend aussi de la qualité des chanteurs. Je vou-
drais ajouter qu’il y a des morceaux dans les opéras de Verdi
bien plus délicats, comme par exemple la fugue finale de
Falstaff : « Tutto nel mondo e burla ». L'important est de
bien comprendre ce que Verdi a écrit et ensuite de très bien
le préparer, le répéter.
Quelle est la place de Rigoletto dans l'évolution de l'écriture
verdienne ?
Vous me demandez quel est le morceau de Rigoletto qui, plus
que les autres, laisse entrevoir ce que deviendra Verdi ? Je
pense que c'est l'orage du dernier acte qui laisse entrevoir
celui, beaucoup plus complexe et capital dramaturgiquement,
qui ouvre l'action d'Otello. n
Propos recueillis par Robert Pénavayre, août 2015
(découvrez l'intégralité de l'entretien
dans le programme de salle)
Staunch Friends (1859) - William Frederick
Yeames (1835-1918) - Detroit Institute of Arts,
USA - Bridgeman Images
©Julien Benhamou
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