SUPPLÉMENT AU N° 4728 DU 20 MAI 2011 www.latribune.fr PAGE I 7 Symposium sur l’éthique des Affaires e PARTIES PRENANTES, CES AMIS « CRITIQUES » QUI VOUS VEULENT DU BIEN ? ÉDITO DES ACTEURS DÉSORMAIS INCONTOURNABLES S DR « Par Pascale Besses-Boumard, Rédactrice en chef de « La Tribune ». takeholder » : ce vocable anglo-saxon est entré dans les mœurs de l’économie et des entreprises françaises depuis quelques années, très vite traduit en « parties prenantes ». Même si le business tricolore avait intégré depuis des lustres cette donnée dans ses prises de décision. Mais mettre un nom dessus aide toujours à clarifier sa pensée et à mettre en place des process. Désormais, il est impossible de ne pas prendre en compte en amont de toute décision ces fameuses parties prenantes afin de les convaincre du bien fondé du projet. Du rachat éclair et non sollicité du champion européen de l’acier Arce- lor par le groupe de l’homme d’affaires anglo-indien Mittal – à qui le Ministre de l’Economie d’alors, Thierry Breton, voulait expliquer notre « grammaire des affaires » aux catastrophes de l’Erika et d’AZF à Toulouse, la France a bien compris que l’économie et les entreprises ne pouvaient plus – si jamais elles l’avaient pu – se contenter de répondre aux attentes du triptyque « clients – actionnaires - salariés ». Ce dernier se révèle trop restrictif. Il ne prend pas assez en compte l’amont (prospects et futurs clients, jeunes diplômés et demandeurs d’emplois potentiellement futurs salariés), ni l’aval (retraités ex-salariés, anciens clients dont le mécon- tentement éventuel peut encore causer des dégâts… Mais surtout, il omet l’environnement du monde économique : politique, syndicats, opinion publique, associations, groupes de pression (lobbies), médias. Tout ce qui, par une décision, un sentiment, une appréciation peut peser – en bien ou en mal – sur la vie même de l’entreprise et des acteurs économiques, au-delà de la simple rationalité apparente. Pour avoir négligé ce facteur des parties prenantes, combien de firmes ont vu leur image ternie, combien de dirigeants ont été évincés, combien de projets ont été enterrés faute de vérification sur leur caractère suffisamment consensuel ou faute d’une gestion ouverte et responsable d’un problème. Le fait qu’Euromed Management, avec la Bentley University et State Street, ait tenu à organiser ce colloque sur les bonnes pratiques en matière de prise en compte des parties prenantes vient souligner qu’avec un phénomène comme la RSE, la Responsabilité Sociétale des Entreprises, la pratique des affaires est réellement en train de changer… Mais qu’il reste encore du chemin à parcourir. C’est parce que La Tribune en est également persuadée qu’elle est heureuse de s’associer pleinement à cette manifestation. ! SUPPLÉMENT AU N° 4728 DU 20 MAI 2011 PAGE II 7 e Symposium sur l’éthique des Affaires LES PARTIES PRENANTES, QUI SONT-ELLES ? CES ENTREPRISES QUI FONT RIMER TRANSPARENCE ET PERFORMANCE… Dans un monde d’une complexité croissante, les entreprises leaders de demain seront celles qui, pour renforcer leur résilience aux crises et anticiper les évolutions de la société, auront su mettre en place des stratégies innovantes pour discuter, collaborer voire même décider avec leurs publics. DR L ’ancien paradigme de la communication institutionnelle, focalisé sur la médiatisation des “bonnes nouvelles”, a vécu : on n’attend plus des entreprises qu’elles soient parfaites mais au contraire qu’elles soient honnêtes sur leurs succès… autant que sur les difficultés, échecs ou dilemmes qu’elles rencontrent. En France, comme en Allemagne, près de 90% des citoyens pensent que les entreprises ne s’engagent sur l’environnement que pour des raisons commerciales (au Japon, quatre personnes sur dix croient à la sincérité de l’engagement des entreprises) . Après des décennies de communication « sous contrôle » des entreprises, Internet a tout changé : désormais la même information doit être donnée à tous (le salarié est désormais actionnaire et souvent client), et les citoyens ne sont plus seulement consommateurs mais aussi producteurs et diffuseurs d’informations. C’est l’ère de l’ « open data », qui substitue la conversation à la diffusion, le bottom-up au top-down, la réputation (que l’entreprise mérite et subit) à Par Elisabeth Laville, Fondatrice & directrice, Utopies l’image (que l’entreprise travaille), l’ouverture à la confidentialité et à la sécurité, les réseaux aux silos et la confiance au contrôle … Au-delà des actionnaires, un nombre croissant de publics (ONG, clients, agences de notation…) demande aujourd’hui des comptes aux entreprises, sur des sujets bien plus larges que leur performance financière - des pratiques sociales des fournisseurs à la performance environnementale des produits, en passant par l’influence sur les modes de consommation, l’empreinte économique sur un territoire,… Dans les pays du Sud comme du Nord, les communautés locales s’organisent pour faire valoir leurs droits à déterminer l’avenir de leur territoire et des ressources qu’il recèle : autant d’attentes avec lesquelles les entreprises doivent composer pour ne pas perdre leur « licence to operate » et prévenir d’importants dommages à leur réputation (dont il est désormais établi qu’elle peut représenter, avec d’autres actifs intangibles, plus de la moitié de la valeur financière d’une entreprise), éviter le blocage d’un projet, un boycott de leurs produits… En 2009 une coalition de 140 associations a ainsi débouté un projet d’extraction de sables marins des cimentiers Lafarge et Italcementi. A l’inverse, l’engagement du pétrolier Shell dans la consultation des communautés locales, sur le projet de pipeline gazier Malampaya aux Philippines, aurait permis de réaliser entre 50 et 72 M$ d’économies en temps de construction, procédures juridiques évitées … Pour anticiper leurs futurs enjeux, pour prévenir les risques sociaux ou environnementaux, pour être crédibles dans leurs prises de parole sur le développement durable, les entreprises doivent prendre le virage d’une ouverture radicale au dialogue avec leurs publics, invitant même des « amis critiques » à la table des discussions. Comme le souligne une dirigeante de Novo Nordisk, « consulter les ONG et les parties prenantes les plus exigeantes nous permet de savoir par avance quels sont les sujets qui intéresseront la presse sur notre compte dans deux ou trois ans…» En Europe, des groupes comme Lafarge ou British Telecom font également figure de pionniers, avec un comité consultatif externe réuni plusieurs fois par an, depuis 2003. Gare à ceux qui n’auraient pas pris en marche le train de la transparence et du dialogue, car son allure s’accélère : parfois même, l’intégration des parties prenantes aux processus de décision devient obligatoire, dans certains secteurs comme le logement social (avec les lois Borloo qui imposent la présence de représentants des collectivités ou des locataires dans les conseils d’administration des bailleurs), ou dans certaines zones géographiques comme les Etats du Maryland ou du Vermont, aux Etats-Unis, qui ont voté l’an dernier une loi permettant aux entreprises d’afficher explicitement qu’elles entendent servir d’autres intérêts (sociaux ou écologiques) que ceux, financiers, de leurs actionnaires… D’autres entreprises, comme Nike ou WalMart, sont même encore plus proactives en ce sens - qu’il s’agisse d’innover au plus près des besoins de la société par des procédés d’ « open innovation » avec les parties prenantes, d’anticiper l’évolution réglementaire en créant de nouveaux standards de marché plus contraignants partagés en « open source » avec leurs concurrents et fournisseurs, ou de s’assurer du bon développement d’un projet en donnant la possibilité aux communautés locales de participer à sa gouvernance. L’entreprise de demain sera inclusive… ou ne sera pas. ! POINT DE REPÈRE Les parties prenantes (Stakeholders) sont toute entité ou personne qui peut affecter ou être affectée par la réalisation des objectifs que s’est fixée une organisation (d’après Freeman, 1984, Mitchell, Agle & Wood, 1997). Ce concept regroupe les parties prenantes primaires (salariés, clients et actionnaires) mais englobe aussi les concurrents, régulateurs, gouvernements, fournisseurs, communautés locales ou ONG… Les organisations font aujourd’hui de la gestion des parties prenantes un sujet central de leur politique RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises), et doivent intégrer ces acteurs de manière stratégique dans leurs choix managériaux. Mais si le principe est aujourd’hui Euromed Management accepté, la mise en œuvre relève souvent plus d’une « expérience d’apprenti sorcier » que d’une politique construite et maitrisée. Il s’agit pour les entreprises d’une mutation fondamentale, dont les impacts au quotidien touchent leurs produits et leurs process, font évoluer leurs métiers et bouleverse leur gouvernance. SUPPLÉMENT AU N° 4728 DU 20 MAI 2011 PAGE III LES PARTIES PRENANTES, QUI SONT-ELLES ? L’ENTREPRISE ? UN ORGANISME VIVANT ! STUDIO REGARD L Par Jean-Christophe Carteron, Directeur de la RSE, Euromed Management ’analyse conventionnelle décrit l’entreprise comme une somme de compétences, une juxtaposition de moyens ou un assemblage de départements L’approche systémique quand à elle, l’associe à un organisme vivant où tout est lié, interconnecté et interdépendant. Ainsi, vue sous cet angle, une entreprise cherchant à conserver une bonne performance ne doit laisser en souffrance aucune de ses composantes. Dans le corps humain il y a certes des organes plus vitaux que d’autres mais qui peut prétendre pouvoir utiliser ses capacités mentales de façon optimale avec une crise de foie ou une rage de dent ? Pire encore, des maux non traités sont dans l’entreprise comme dans le vivant de potentielles sources de complication pouvant gangréner l’ensemble des organes. De même, personne ne peut espérer prospérer dans un environnement complètement hostile ou moribond. Pour sa survie, une entreprise doit donc s’intéresser à la santé de son écosystème. La compréhension LA VALEUR DURABLE : RÉINVENTONS LES CRITÈRES DE PERFORMANCE des attentes de parties prenantes externe est un élément clef dans la capacité des organisations à comprendre la complexité du monde qui les entoure et à s’adapter. L’autre rupture managériale induite par cette vision holistique, c’est qu’il n’y a pas de compétition entre les organes. Ma main droite ne veut pas devenir plus grosse que la gauche. Et lorsqu’une cellule se développe sans considération du reste du corps, qu’elle prend le dessus sur les autres organes, cela s’appelle une dégénérescence! Les entreprises doivent QUELLE PLACE DANS LES NÉGOCIATIONS INTERNATIONALES ? DR Par Dr Tobias Hahn, Professeur chercheur, Euromed Management DR L est rentable d’être responsable. La « Valeur Durable » va au-delà de l’efficacité du capital et s’intéresse à l’efficacité de l’utilisation des ressources économiques, environnementales et sociales par les entreprises. Une entreprise crée ainsi de la valeur durable dès qu’elle fait plus de profits que ses pairs avec les mêmes ressources. La Marge en Valeur Durable exprime la Valeur Durable créée par rapport au chiffre d’affaire d’une société, permettant ainsi la comparaison d’entreprises de taille différente. Par Dr. Frank Figge, Professeur chercheur, Euromed Management Cette méthode a ainsi été appliquée au monde des constructeurs automobiles sur 5 années consécutives avec des résultats très instructifs. Sur la dernière année de l’étude, BMW a créé 5 centimes de Valeur Durable par Euro de chiffre d’affaire alors qu’en fin de peloton, et avec un écart considérable, le constructeur américain General Motors perd 7,5 cts VD/€CA. C’est-à-dire qu’en utilisant la même quantité de capital, en produisant la même quantité de déchets, de CO2, et d’accident de travail, GM a fait 7,5 cts de moins de profit que ces confrères par Euro de CA. Une analyse de même genre sortira dans quelques semaines sur l’industrie papetière, il devrait permettre aux entreprises de se benchmarker et d’identifier les chantiers prioritaires à mettre en œuvre pour une meilleur utilisation des ressources économiques, environnementales et sociales. D’ici quelques années il est à parier que les marchés financiers généraliseront l’utilisation de ce genre de calcul dans la valorisation de performance. Une autre ère s’ouvre… ! Plus sur www.sustainablevalue.com DR Le traditionnel calcul de la performance des entreprises focalisé uniquement sur la création de valeur économique trouve vite ses limites lorsqu’on prend en considération la perspective d’une création de valeur du point de vue du développement durable. e défi majeur de l’évaluation de la performance durable des entreprises est d’étendre le retour sur investissement pour couvrir d’autres ressources et donc l’ensemble des parties prenantes autres que les fournisseurs de capital. Certains analystes tentent de montrer l’impact financier d’une gestion responsable notamment en analysant les effets des performances extra-financières sur la performance économique. Nombreuses publications tentent de prouver qu’il donc apprendre à développer des zones de coopération, même dans un monde de compétition… Cette vision élargie de l’entreprise vers l’interne comme l’externe est le fondement des stratégies RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) et tend à changer notre perception de la mesure de la performance. L’efficacité sur le long terme des organisations ne serait donc plus la somme des maximums de chacune des entités mais la recherche de l’optimum du tout. ! Par Michel Doucin, Ambassadeur chargé de la bioéthique et de la responsabilité sociale des entreprises, Ministère des Affaires étrangères et européennes T rois mois après son adoption, la loi Grenelle 2 s’est vue escamotée d’un de ses paragraphes qui prévoyait de recueillir l’avis des parties prenantes sur le rapport social et environnemental des entreprises : l’absence du concept dans notre bon vieux droit national allait poser des problèmes de mise en œuvre. Pourtant, nombre de textes normatifs internationaux donnent au concept un rôle clé dans la responsabilisation sociétale sans considérer nécessaire de le définir précisément. ISO 26000 recommande de « faire preuve de transparence en ce qui concerne ses parties prenantes ainsi que les critères et procédures utilisés pour les identifier, les choisir et dialoguer avec elles ». Le projet d’actualisation des Principes directeurs de l’OCDE pour les mul- tinationales invite, dans son chapitre général, à « s’engager auprès des parties prenantes concernées en leur donnant de réelles possibilités de faire valoir leurs points de vue lorsqu’il s’agit de planifier et de prendre des décisions relatives à des projets ou d’autres activités susceptibles d’avoir un impact significatif sur les populations locales », puis inclut des développements dans les chapitres emploi, consommateurs et droits de l’Homme. Les Principes directeurs pour les entreprises sur les droits de l’Homme qu’examinera en juin le Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies recommandent d’inclure toutes les « parties prenantes pertinentes » dans le processus de « due diligence » que les entreprises devraient conduire pour identifier les risques de porter atteinte à leurs droits. Les normes internationales, convergentes, finiront-elles par imprégner le droit français ? ! Scannez le QR code avec votre smartphone et découvrez les interviews des panelistes de la conférence. SUPPLÉMENT AU N° 4728 DU 20 MAI 2011 PAGE IV 7 e Symposium sur l’éthique des Affaires PARTIES PRENANTES, QUELS ENJEUX ? ONG, DE L’OPPOSITION À LA COCRÉATION… DR L es associations de protection de la nature et de défense de l’environnement sont des organismes polymorphes avec des genèses, des orientations et des moyens très différents pour agir. Les associations ne sont pas les seules à se consacrer à l’environnement, à faire prendre conscience des enjeux à nos contemporains, mais elles ont des points en commun. Elles partagent une éthique et une analyse communes : le développement démographique, les évolutions techniques et la part croissante de l’économie dans les décisions politiques pèsent de plus en plus sur l’environnement et les milieux naturels. L’éthique associative repose elle sur une profonde conscience de la responsabilité des citoyens vis-à-vis des générations futures. L’univers entrepreneurial n’est pas drapé des mêmes vertus ; cela se traduit généralement par une forte méfiance des ONG. Les exemples d’entreprises ne respectant pas les normes environnementales l’attestent par légion depuis les gestionnaires de la centrale du Fukushima au Japon jusqu’au garagiste qui laisse déborder ses huiles de vidange dans le caniveau. Les moyens d’actions des ONG et le rapport de force ne sont pas à l’avantage des ONG. Elles ont donc besoin de chercher d’autres solutions pour transformer les prati- Par Benjamin Kabouche, Directeur, LPO. ques sociales des citoyens mais aussi des élus, des entreprises publiques et privées. La raison d’être des ONG est finalement en tension entre deux choix dans leur rapport au monde de l’entreprise : - Soit une approche de résistance, dans la veine des fondateurs de l’ONG qui sont souvent des acteurs radicaux de l’engagement associatif. L’ONG est alors en opposition systématique avec le monde de l’entreprise, « ennemie à combattre » car prédateur de l’environnement (social ou environnemental). Les modalités d’actions sont alors dans l’épreuve de force, la résistance, l’opposition de principe, le recours juridique, la campagne de communication et au final une impossibilité de co-construire des solutions nouvelles. - Soit une posture « utopique » d’ouverture, permettant de chercher une nouvelle voie. Des ONG ont ainsi cherché à concilier économie et société civile ou environnement. Avec l’espoir que l’entreprise et l’ONG puissent co-construire un projet exemplaire dans un monde idéal. Les exemples réussis existent lorsque la confiance est bien établie et c’est souvent l’engagement personnel du PDG tout particulièrement lorsque celui-ci est aussi visionnaire et utopiste. Les deux options comportent des risques pour les ONG : la délocalisation des nuisances environnementales là où les ONG sont moins virulentes et de l’autre côté les compromis peuvent favoriser le greenwashing et une perte de lien avec la base militante. Le péril écologique est aujourd’hui si prégnant que la vitesse est effectivement un élément à prendre en compte. Les associations ne peuvent plus prendre le temps et le risque d’exclure toutes les options pour prendre en compte l’environnement : « Avec le danger croît aussi ce qui sauve » selon le Principe d’Hölderlin ! ! POUR UN NOUVEAU PACTE AVEC LES COLLABORATEURS DR L Par Agnès RambaudPaquin et Thierry Marneffe, co-fondateurs, Des Enjeux Et Des Hommes. es tribunaux ont fini par donner raison à l’action en nom collectif de 1,5 millions d’employées contre Walmart qui avait fait grand bruit au premier semestre 2010. Si la mobilisation massive de cette « class action » au nom de la discrimination féminine reste singulière, elle montre néanmoins que les rapports de force entre collaborateurs et entreprises ont connu un tournant. Alors que leurs interactions étaient majoritairement descendantes (décisions managériales et communication unilatérales), une combinaison de facteurs – sociologiques, économiques et technologiques – a donné aux salariés de nouveaux pouvoirs d’influence. La mise en place de dispositifs d’alerte interne apparus dans la années 2000 (suite aux scandales Enron et Worldcom) ou plus récemment la mise en cause via Twitter de la responsabilité de BP dans l’accident de 2010 par les collaborateurs du Groupe illustrent bien le pas de géant face à la simple rupture de contrat ou à l’absentéisme, moyens traditionnels d’interpellation des salariés ayant des effets directs sur la productivité et la performance. Et si les entreprises inscrivaient ce nouveau rapport de force dans un pacte gagnant/gagnant avec sa partie prenante numéro un ? Pour l’entreprise qui cherche plus que jamais à être attractive, à retenir ses talents, à développer son adaptabilité, à garantir sa performance au travers d’un engagement fort de ses collaborateurs s’ouvrent de nouvelles pistes d’expression de la responsabilité : équilibre vie privée/vie professionnelle (aménagement du temps de travail, accompagnement du leadership féminin), bien-être au travail (reconnaissance et égalité des chances, encadrement responsable, gestion du stress et des conditions de travail, santé/sécurité…), employabilité et développement professionnel …. De nombreuses entreprises en tiennent compte… certaine ont même pris le parti de partager le contenu ainsi que la veille de leurs engagements (sur les champs humains et environnemental) en signant des accords-cadres mondiaux avec leurs partenaires sociaux. Plus directe- ment, l’intelligence collective, dont les dispositifs de types boites à idées avaient donné le « la » dans les années 80, est devenue un véritable levier d’anticipation, d’innovation et de création de valeur partagée dans un environnement de moins en moins prévisible et constitue un défi stratégique pour le management des organisations. ! SUPPLÉMENT AU N° 4728 DU 20 MAI 2011 PAGE V PARTIES PRENANTES, QUELS ENJEUX ? UNE STRATÉGIE GAGNANTE POUR LE GROUPE LA POSTE A. TUDELA A ujourd’hui, près de 75 % des entreprises parlent de développement durable. Dès 2003, j’avais la conviction qu’engager le Groupe La Poste sur la voie du développement durable, c’était se doter d’un levier d’amélioration de son efficacité économique. La performance durable suppose la bonne santé de l’entreprise, des postiers, de la planète et la construction de la confiance de toutes les parties prenantes. La nécessaire transformation de l’entreprise se fait en étroite collaboration avec elles. Au sein de notre conseil d’administration, de nombreuses parties prenantes sont représentées : nos actionnaires, l’Etat et la Par Jean-Paul Bailly, PDG du groupe La Poste. CDC, les communes et leurs groupements, les usagers et les 7 représentants du personnel. Pour répondre aux attentes de nos clients, nous avons pris des engagements après identification de leurs irritants majeurs. Nos bureaux de poste évoluent notamment pour réduire le temps d’attente et être accessibles au plus grand nombre, la qualité de service du courrier n’a jamais été aussi haute, et ceci tout en améliorant notre productivité, La Banque Postale est la banque accessible à tous. Nous travaillons également à l’intégration progressive des préoccupations sociales et environnementales dès la conception et tout au long du cycle de vie de nos offres. Rien ne se fait sans les postiers. Nous développons une pratique managériale basée sur la considération et l’esprit de service pour donner envie à tous les postiers d’accompagner la transformation de l’entreprise. Nous privilégions la qualité de l’emploi et des parcours professionnels, en contrepartie de la nécessaire évolution des organisations. Nous suscitons l’innovation et partageons les fruits de la croissance. Notre politique d’achats responsables encourage nos fournisseurs à adopter des pratiques plus responsables et leur donne un accès facilité à nos marchés. L’avenir du groupe La Poste est aussi intimement lié à l’avenir des territoires où il est implanté. Nous agissons aux cotés des acteurs institutionnels et économiques locaux en apportant notre contribution au déploiement de projets structurants (Plans Climat, PDU, Agenda 21…). Les délégations régionales du Groupe mises en place depuis 3 ans jouent un rôle essentiel dans cette démarche. En quelques mots, la pérennité d’un Groupe n’est assurée que s’il crée de la valeur ajoutée économique, sociale et environnementale à long terme en la coconstruisant et en la partageant avec l’ensemble de ses parties prenantes. ! ET SI ON ÉCOUTAIT L’AUTRE VOIX DES ACTIONNAIRES ? DR L Par Anne Catherine Husson Traoré, Directrice Générale, Novethic. es actionnaires sont eux aussi des parties prenantes, rarement associés à des exigences de développement durable envers les entreprises, mais plutôt à celles des rendements financiers considérés comme directement ou indirectement responsables de dommages environnementaux et sociaux. Et pourtant… ESG est le sigle de ralliement des actionnaires qui se coalisent pour demander des comptes aux entreprises sur les dimensions Environnementales, Sociales ou de Gouvernance, ESG donc, de leurs activités. S’ils restent minoritaires, ils obtiennent progressivement de vrais succès qui génèrent des débats sur des sujets comme la rémunération des dirigeants, l’équilibre des pouvoirs, les émissions de CO2 ou l’exploration des sables bitumineux pour le secteur pétrolier. 15 % c’est le score obtenu à l’AG de BP en avril par les actionnaires qui appelaient à refuser le rapport annuel parce qu’ils estiment qu’elle n’a pas tiré les leçons stratégiques du désastre lié à l’accident de sa plate- forme dans le Golfe du Mexique et ne remet pas en cause son modèle d’extraction pétrolière. La pratique du « Say on Pay » c’est-à-dire la soumission au vote des actionnaires d’un rapport sur le système de rémunération des dirigeants, s’est répandu en Europe et aux Etats-Unis. En France, si le vote contestataire monte, l’engagement actionnarial reste modeste et difficile à exercer. La tentative avortée de la société de gestion Phitrust Active Investors de déposer en partenariat avec Greenpeace une résolution pour demander au groupe Total d’expliquer à ses actionnaires sa stratégie d’investissement dans l’exploitation de sables bitumineux au Canada l’a bien montré. Elle a failli obtenir le quota nécessaire (0,5 % du capital soit 12 millions d’euros) mais deux gros investisseurs se sont retirés au dernier moment. Si ces voix dissidentes d’actionnaires parviennent à se faire entendre c’est parce que l’idée qu’intégrer des critères ESG est créateur de valeur à long terme. Elle progresse, lentement mais surement. ! LA FONCTION ACHAT AU CŒUR DES ENJEUX DR L a fonction Achats est sans conteste au cœur de la mise en place réussie des stratégies de développement durable. Les pratiques et la stratégie achats sont non seulement impactées par les agissements de multiples parties prenantes internes et externes à l’entreprise, mais ces mêmes pratiques conditionnent à leur tour les comportements de ces acteurs. L’acheteur se trouve ainsi confronté à la nécessité d’intégrer la complexité de ses interdépendances dans sa démarche de tous les jours. Ceci n’est pas sans poser problème, car il s’agit de marier des considérations concernant les normes et régulations mises en œuvre par l’état par exemple, avec les besoins des fournisseurs de l’entreprise, les exigences (souvent plus ou moins « responsables ») des clients directs ou finaux, les principes des ONG (relatifs par exemple aux conditions de travail de la main d’œuvre, à l’empreinte Par Robert Spencer et Frédéric Prévot, Titulaires de la chaire Achat Responsable, Euromed Management. carbone…), et les intérêts des actionnaires et du personnel. Le résultat est une situation complexe à gérer, composée de contraintes multiples et variées (normes, régulations, stratégies diverses, objectifs économiques…) et présentant un nombre non-négligeable de dilemmes et de paradoxes. Faut-il privilégier des produits à faible impact environnementale ou faut-il plutôt favoriser les producteurs dans des pays en voie de développement ? Faut-il réduire les coûts à l’achat en mettant les fournisseurs systématiquement en concurrence, améliorant ainsi la performance économique, ou faut-il au contraire aider certains fournisseurs à se développer ? Faut-il choisir les fournisseurs avec les produits les moins polluants, ou bien ceux qui proposent un processus de fabrication plus « propre » de ces mêmes produits ? Faut-il préférer les offres des entreprises favorisant l’insertion sociale, ou bien celles des entreprises qui conçoivent des produits qui respectent l’environnement lors de leurs mises en œuvre ? Les réponses ne sont pas évidentes. Nous sommes loin ici de la conception simpliste des « Achats » comme fonction purement transactionnel. Il s’agit, en effet, de gérer un réseau de relations avec les parties prenantes internes comme externes. Le service « Achats » est en effet au cœur de ce réseau. Et une clarté stratégique en amont est es- sentielle pour fixer les lignes de conduite de la fonction, en fournissant les critères de choix et les priorités à gérer. Quoiqu’il en soit une des clefs de la réussite est sans aucun doute la capacité des acteurs comprendre l’ensemble des points de vue afin de choisir en conscience. ! Scannez le QR code avec votre smartphone et découvrez les interviews des panelistes de la conférence. SUPPLÉMENT AU N° 4728 DU 20 MAI 2011 PAGE VI 7 e Symposium sur l’éthique des Affaires 4 CONSEILS POUR UNE STRATÉGIE GAGNANTE L e dialogue avec ses parties prenantes ne s’improvise pas. Il s’agit d’une posture solennelle de l’entreprise : aller au-delà de l’information ou de la communication. Même si elle reste toujours libre in fine, l’entreprise s’engage à consulter sur une décision avant qu’elle ne soit prise, à être responsable et transparente. Le dialogue peut prendre diverses formes : concertation stratégique au niveau corporate (Areva, Suez Environnement) ; forums multi-parties prenantes (Lafarge, EDF) ; concertation au niveau local (Ciments Calcia, Total) ; panels de citoyens (Isover). Toutefois, pour mener un dialogue de qualité, des règles de fonctionnement doivent être partagées par tous les participants. L’exercice de dialogue suppose un portage à haut niveau et une mobilisation transversale de l’équipe dirigeante. L’implication du dirigeant est donc indispensable, y compris pendant l’exercice. La démarche offre l’opportunité, à toutes les directions de l’entreprise, d’être informées sur les préoccupations de la société civile mais aussi d’être mobilisées autour d’un projet fédérateur. Le panel est constitué en fonction des enjeux de l’entreprise et comprend une vingtaine d‘ONG, de chercheurs, de représentants syndicaux, de collectivités ou de l’administration. Il faut vérifier que les parties prenantes sont complémentaires et indépendantes. Le dialogue doit être récurrent pour réaliser des bilans et réajuster la stratégie de l’entreprise. La démarche est menée en temps de paix ; ce n’est pas un tribunal. Pour obtenir une vision à 360° des enjeux, l’ordre du jour n’est pas défini a priori mais on peut organiser ensuite des rendezvous sur des thématiques précises. Afin de faciliter la transparence et d’éviter les effets de tribune, les participants doivent respecter l’écoute réciproque, la courtoisie dans les échanges et une certaine confidentialité. La règle de Chattam House apparaît la plus pertinente ; la teneur des débats peut être dévoilée mais pas l’identité des participants. Des comptes rendus doivent être soumis aux parties prenantes. Il est préférable de verser aux associations une indemnisation du temps passé. Par Dorothée Briaumont, Directrice générale, Comite 21. DR DIALOGUE : LES FACTEURS CLÉS DU SUCCÈS Enfin, le rôle d’un tiers indépendant, organisateur et facilitateur, est primordial. Il crée les conditions de la confiance et garantit un équilibre entre les intérêts de l’entreprise et des parties prenantes. Il veille à ce que l’entreprise réponde à l’ensemble des questions posées. Avec la norme ISO 26000 sur la responsabilité sociétale des organisations, le dialogue avec les parties prenantes va se multiplier. Le corollaire sera un accroissement des exigences des parties prenantes qui, de plus en plus sollicitées, se mobiliseront si le cadre du dialogue est bien défini. ! DR NORME : ISO 26000 CLARIFIE LA RESPONSABILITÉ SOCIALE Par Christian Brodhag, Directeur de Recherche à l’Institut Henri Fayol, Ecole des Mines de SaintEtienne, Ancien délégué interministériel au développement durable. L ’ISO a mis en place un processus de négociation multi-parties prenantes - entreprises, gouvernement, syndicats, consommateurs ONG et consultants - appartenant à 99 pays ainsi que des organisations internationales pour aboutir à des lignes directrices pour la responsabilité sociétale : l’ISO 26000. Un large consensus mondial s’est porté vers un système hybride qui reconnaît le rôle des parties prenantes mais aussi le cadre institutionnel en mettant au centre de la responsa- bilité sociétale le développement durable et les normes internationales de comportement, c’est-à-dire le droit international. Sur ces bases, l’engagement de l’entreprise vise avant tout à maîtriser ses impacts et à rechercher un apport positif sur la société et l’environnement. A cet effet, l’ISO 26000 identifie un certain nombre de principes (redevabilité, transparence, conduite éthique, respect des intérêts des parties prenantes, conformité légale, respect des normes internationales de comportement et respect des droits humains), et de questions centrales : les droits de l’Homme, les relations et conditions de travail, l’environnement, la loyauté des pratiques, les questions relatives aux consommateurs, et enfin les relations avec les communautés et le développement local. Le champ et le périmètre des questions de responsabilité sociétale sont ainsi clarifiés. L’ISO 26000 n’est pas certifiable, ce n’est pas un système de management, un modèle de maturité managérial ou un processus de dialogue avec les parties prenantes, ces lignes directrices visent en priorité la maitrise des impacts sur la société et l’environnement : elle est orientée résultats. Le modèle va plus loin que la réponse immédiate aux parties prenantes, car il établit une base commune et solide pour le développement de relations de confiance et de partenariat entre l’entreprise et ses parties prenantes. Cette approche qui dépasse une vision étroite de la responsabilité sociétale peut servir de base à la création de valeur partagée telle que la propose Michael Porter. L’ISO 26000 introduit par exemple un concept nouveau, la sphère d’influence : l’entreprise mobilise ceux qui sont dans sa sphère d’influence et qui pourraient avoir un impact, QUELLE CARTOGRAPHIE ? Si l’ISO 26000 propose d’identifier les groupes de parties prenantes impactées en fonction du niveau d’impact (de négligeable à vital) et de sa sphère d’influence (directe ou partielle) une bonne cartographie des parties prenantes se réalise en 4 temps : 1- identification d’un enjeu clé pour l’entreprise, 2- identification des parties prenantes impactées ou impactant l’entreprise par rapport à cet enjeu, 3- analyse des attributs des parties prenantes, 4- priorisation des plans d’action à mettre en œuvre. Dans un souci de praticité, l’entreprise peut se baser sur le modèle de Mitchell, Agle et Wood (1997). Il présente l’avantage de faire ressortir les parties prenantes les plus impor- positif ou négatif, sur le développement durable. Une norme expérimentale de l’AFNOR (XP X30 029) sera bientôt disponible en France pour permettre aux organisations débutantes et notamment les PME d’identifier les domaines d’action les plus pertinents et importants et les parties prenantes clés. Elle permet de se poser des questions concrètes : Quels sont les impacts de mon entreprise sur l’environnement, la société et ses parties prenantes ? Quelles parties POUVOIR prenantes peuvent avoir un impact sur mon entreprise ou lui apporter ressources ou connaissances ? Quelles sont celles sur qui j’ai une influence et qui ont un impact sur le développement durable et que je dois donc mobiliser ? Ces questions peut-être approfondies dans le cadre de chaque filière, de chaque territoire pour que l’entreprise puisse définir sa politique pour maîtriser ses impacts et développer des relations avec les parties prenantes. ! LÉGITIMITÉ 1 4 7 5 3 2 6 1 - PP en puissance 2 - PP discrétionnaire 3 - PP en en revendication 4 - PP dominante 5 - PP dangereuse 6 - PP dépendante 7 - PP définitive 8 - non PP 8 URGENCE tantes ou définitives (7) par rapport à une problématique spécifique. Le pouvoir que peut exercer la partie prenante sur l’entreprise (directement ou indirectement), la légitimité qu’elle présente du fait de ses activités et l’urgence de la situation dans laquelle elle se trouve déterminent quelles sont les parties prenantes prioritaires. Pour ce travail de cartographie, il est important de dynamiser la cartographie, en l’actualisant régulièrement, sans oublier de prendre en compte les interrelations entres parties prenantes. Julie Vermont, Diplômée d’Euromed Management SUPPLÉMENT AU N° 4728 DU 20 MAI 2011 PAGE VII 4 CONSEILS POUR UNE STRATÉGIE GAGNANTE P our la majorité des entreprises et de leurs organisations patronales le choix est clair : seul le modèle du volontariat est tolérable et efficace. Ce modèle part d’un cadre de bons principes, tels que le Pacte Mondial des Nations Unies, les Principes directeurs de l’OCDE pour les entreprises multinationales ou, dès maintenant, la nouvelle norme ISO 26000. Il postule qu’en se référant à ces principes ainsi qu’à leurs valeurs biens et services environnementaux. Certes un groupe d’entreprises exemplaires atteste la plausibilité du modèle volontaire mais la grande majorité l’ignore sans dommage. Et ainsi les impacts sur l’environnement, la justice sociale et la pauvreté ne reculent pas, au contraire. Pour avancer réellement il faut apprendre à dépasser l’approche volontaire par une négociation intelligente de règles pour tous. Les péripéties de l’article 225 de la Loi Grenelle 2 sont édifiantes. Elles ont opposé l’inertie d’ensemble du patronat à la détermination de nombreuses parties prenantes éclairées par l’expérience de RSE de quelques multinationales françaises et étrangères. Au final ce que demande l’article 225 toute entreprise digne de ses employés et de ses clients saura le faire. L’éclairage public sur le tableau de bord de son engagement sociétal en faveur du développement durable apportera précisément la transparence qui fait défaut dans le fonctionnement du modèle seulement volontaire. Elle lui donnera de la force et de l’ampleur. U ne gouvernance responsable passe par une écoute active et une sélection engagée des parties prenantes. Alors que l’on engage des guerres au nom de la démocratie, ce concept penne encore à émerger dans les modes de gouvernance de nos entreprises. Qu’elle soit représentative ou participative, la démocratie parée de vertus pour la gestion des états semble une utopie irréaliste dans le monde des affaires. Qui dit responsable dit « capable de répondre » (1). Une réponse se fait nécessairement à quelque chose, que ce soit un acte posé ou une parole émise. Une gouvernance responsable implique donc, avant toute décision, la consultation de parties prenantes. Or, le problème est que dans bien des cas, la consultation omet la composante « écoute » (2). Les acteurs économiques ont semble-t-il peu de temps à ‘perdre’ à écouter les diverses parties prenantes. Pourtant un nombre croissant d’organisations choisissent d’autre mode de fonctionnement remettant au goût du jour des systèmes comme les structures coopératives (où les salariés participent aux décisions) ou les mutuelles (où les « clients » ont un droit de vote). Ces structures n’ont rien à envier en termes d’efficacité, entre autre économique, aux entreprises « conventionnelles » qui pourraient être bien avisées de s’intéresser au mode de gouvernance qui a permis à ces structures de bien résister à la crise. Trois étapes sont indispensables pour engager une véritable intégration des parties prenantes dans les processus de décision. Définir qui inclure et pourquoi, engager une Ecoute active et motivée et prendre des décisions inclusives. Bien que les critères de sélection des parties à consulter soient potentiellement nombreux, l’inclusion de quatre types d’acteurs apparaît comme tout particulièrement importante, à savoir 1) les acteurs directement impliqués dans la conception et l’exécution du projet, 2) les acteurs touchés qui épousent le projet, 3) les indifférents, et 4) ceux opposés au projet. Le choix d’inclure dans la discussion une ou plusieurs parties DR GOUVERNANCE : NOUVELLE DONNE… Par Vinca Bigo, Professeur chercheur, Euromed Management ayant des opinions opposées demande une remise en question et une ouverture qui garantirait bien davantage le sérieux du processus de consultation. Commence alors à émerger une Gouvernance Responsable, capable de répondre, car ayant écouté activement la parole de l’Autre. ! (1) Bigo, Vinca. 2010. “From Gross Misconduct to Responsible Behaviour. A Dream That Necessitates Realisticness”. Revue de Philosophie Economique. 10 (1), 81-112. (2) Mabovula, Nonceba. Revisiting Jürgen Habermas’s notion of communicative action and its relevance for South African school governance : can it succeed ?. S. Afr. j. educ. [online]. 2010, vol.30, n.1 Par Antony Buono, Fondateur du centre ‘’Alliance for Ethics and Social Responsibility’’, Bentley University - Boston. A DR Par Claude Fussler, Conseiller Spécial, United Nations Global Compact. personnelles les dirigeants d’entreprises développent une vision et une stratégie qui seront stimulées par la liberté et la transparence des marchés. Il est ainsi censé apporter une réponse efficace aux enjeux complexes du développement durable par l’innovation et l’expérimentation. La libre concurrence favorisait alors les meilleures approches et assurerait à la fois le progrès social et environnemental pour tous et le succès financier de l’entreprise. La régulation, au contraire, serait inadaptée aux enjeux complexes car elle repose sur des normes prouvées, elle est économiquement inefficace puisqu’elle fige des solutions qui pourraient être dépassées par l’innovation. Ce discours RSE a séduit les politiques et même beaucoup d’ONG. Mais le progrès est très loin des promesses. Certes la transparence a puni des entreprises de renom prises en délit de pollution ou de corruption ou des droits du travail. Mais les règles du marché sont massivement en faveur de la réussite à court terme, de la pression sur le coût du travail et de l’ignorance de la valeur des QUAND LES ÉCOLES S’OUVRENT AUX PARTIES PRENANTES DR DR ENGAGEMENT : VOLONTAIRE OU RÈGLEMENTÉ ? Par Bernard Belletante, Directeur général d’Euromed Management yant comme mission de former les managers, les Business School sont les cibles récurrentes de questionnement quant au rôle qu’elles ont pu jouer dans l’émergence des crises financières, écologiques ou sociales. Cela a conduit bon nombre d’établissements d’enseignement supérieur à mettre d’avantage l’accent sur l’éthique et la responsabilité managériale. Pour assurer leur mission dans un monde en perpétuelle mutation, les Business Schools doivent néanmoins aller bien au delà de quelques cours isolés sur des problématiques de la RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) et doivent impérativement questionner leur propre responsabilité dans la construction du monde, et pas simplement celui de l’entreprise. Antony Buono organise depuis 7 ans le Bentley Global Business Ethic Symposium (qui se tient cette année à Marseille). Il s’entretient avec Bernard Belletante, Directeur Général d’Euromed Management, première école à avoir fait une consultation des parties prenantes externes. exercice de prospective. Nous leur avons demandé à quoi devrait servir une grande école en 2030. Ce qui nous a surpris, c’est que les parties prenantes pourtant si différentes, avaient des attentes similaires. Bien sûr, tous nous demandent de former d’excellents managers, mais nous sommes surtout attendus sur notre capacité à accompagner nos étudiants à « penser collectif » et long terme. Cela nous conforte dans notre choix de diffuser la RSE dans l’ensemble de nos cursus et enseignements plutôt que de former des directeurs de développement durable. La prise en compte de toutes les parties prenante entraîne des bouleversements tant dans les enseignements et la recherche, que dans gestion sociale et écologique des campus. Dès lors, comment être en adéquation avec l’ensemble des attentes de la Société ? » Comment voyez-vous le déploiement après cette première étape de consultation ? B.B. : La démarche entreprise l’année passée par Euromed Management est à ce titre une illustration de ce qui pourrait, ou devrait, être fait en termes de consultation des parties prenantes pour nos établissements. Accompagné par Deloitte, nous avons invité une vingtaine de représentants d’entreprises, de syndicats, d’ONG, de collectivités et même certains confrères, à un Il ne s’agit donc plus simplement d’organiser des dialogues bilatéraux afin de gérer des conflits mais de les anticiper en invitant l’ensemble de la communauté à s’exprimer. Qu’est ce qui est finalement sorti ? B.B. : Les participants nous ont challengés sur de nouveaux chantiers comme le « well being », sur notre politique sociale ou notre action visà-vis des personnes en situation de handicap. B.B. : Les différents chantiers sont aujourd’hui pilotés par notre direction de la RSE mais ce sont les référents RSE, dans chacune des équipes, qui les mettent en œuvre. Certains dossiers ont même débouché sur des partenariats, car les parties prenantes sont de véritables leviers de changement de nos structures. Si quelques écoles s’autorisent à repenser leur métier, gageons que d’autres suivront et que les diplômés seront définitivement perçus plus comme des apporteurs de solutions, que comme des initiateurs de crises. !