Parties prenantes, ces amis "critiques" qui vous veulent du bien?

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SUPPLÉMENT AU N° 4728 DU 20 MAI 2011
www.latribune.fr
PAGE I
7 Symposium sur l’éthique des Affaires
e
PARTIES PRENANTES, CES AMIS « CRITIQUES »
QUI VOUS VEULENT DU BIEN ?
ÉDITO DES ACTEURS DÉSORMAIS INCONTOURNABLES
S
DR
«
Par Pascale
Besses-Boumard,
Rédactrice en chef
de « La Tribune ».
takeholder » : ce vocable anglo-saxon est
entré dans les mœurs
de l’économie et des entreprises
françaises depuis quelques années,
très vite traduit en « parties prenantes ». Même si le business tricolore
avait intégré depuis des lustres cette
donnée dans ses prises de décision.
Mais mettre un nom dessus aide
toujours à clarifier sa pensée et à
mettre en place des process. Désormais, il est impossible de ne pas
prendre en compte en amont de
toute décision ces fameuses parties
prenantes afin de les convaincre du
bien fondé du projet.
Du rachat éclair et non sollicité du
champion européen de l’acier Arce-
lor par le groupe de l’homme d’affaires anglo-indien Mittal – à qui
le Ministre de l’Economie d’alors,
Thierry Breton, voulait expliquer
notre « grammaire des affaires » aux catastrophes de l’Erika et d’AZF
à Toulouse, la France a bien compris que l’économie et les entreprises ne pouvaient plus – si jamais
elles l’avaient pu – se contenter de
répondre aux attentes du triptyque
« clients – actionnaires - salariés ».
Ce dernier se révèle trop restrictif.
Il ne prend pas assez en compte
l’amont (prospects et futurs clients,
jeunes diplômés et demandeurs
d’emplois potentiellement futurs
salariés), ni l’aval (retraités ex-salariés, anciens clients dont le mécon-
tentement éventuel peut encore
causer des dégâts… Mais surtout,
il omet l’environnement du monde
économique : politique, syndicats,
opinion publique, associations,
groupes de pression (lobbies), médias. Tout ce qui, par une décision,
un sentiment, une appréciation
peut peser – en bien ou en mal –
sur la vie même de l’entreprise et
des acteurs économiques, au-delà
de la simple rationalité apparente.
Pour avoir négligé ce facteur des
parties prenantes, combien de firmes ont vu leur image ternie, combien de dirigeants ont été évincés,
combien de projets ont été enterrés faute de vérification sur leur caractère suffisamment consensuel
ou faute d’une gestion ouverte et
responsable d’un problème.
Le fait qu’Euromed Management,
avec la Bentley University et State
Street, ait tenu à organiser ce colloque sur les bonnes pratiques en
matière de prise en compte des
parties prenantes vient souligner
qu’avec un phénomène comme la
RSE, la Responsabilité Sociétale
des Entreprises, la pratique des affaires est réellement en train de
changer… Mais qu’il reste encore
du chemin à parcourir. C’est parce
que La Tribune en est également
persuadée qu’elle est heureuse de
s’associer pleinement à cette manifestation.
!
SUPPLÉMENT AU N° 4728 DU 20 MAI 2011
PAGE II
7
e
Symposium sur l’éthique des Affaires
LES PARTIES PRENANTES, QUI SONT-ELLES ?
CES ENTREPRISES QUI FONT RIMER
TRANSPARENCE ET PERFORMANCE…
Dans un monde d’une complexité croissante, les entreprises
leaders de demain seront celles qui, pour renforcer leur résilience aux crises et anticiper les évolutions de la société, auront
su mettre en place des stratégies innovantes pour discuter,
collaborer voire même décider avec leurs publics.
DR
L
’ancien paradigme de la
communication institutionnelle, focalisé sur la
médiatisation des “bonnes nouvelles”, a vécu : on n’attend plus des
entreprises qu’elles soient parfaites
mais au contraire qu’elles soient
honnêtes sur leurs succès… autant
que sur les difficultés, échecs ou
dilemmes qu’elles rencontrent.
En France, comme en Allemagne,
près de 90% des citoyens pensent
que les entreprises ne s’engagent
sur l’environnement que pour des
raisons commerciales (au Japon,
quatre personnes sur dix croient
à la sincérité de l’engagement des
entreprises) . Après des décennies
de communication « sous contrôle
» des entreprises, Internet a tout
changé : désormais la même information doit être donnée à tous (le
salarié est désormais actionnaire
et souvent client), et les citoyens
ne sont plus seulement consommateurs mais aussi producteurs et
diffuseurs d’informations. C’est l’ère
de l’ « open data », qui substitue la
conversation à la diffusion, le bottom-up au top-down, la réputation
(que l’entreprise mérite et subit) à
Par Elisabeth Laville,
Fondatrice &
directrice, Utopies
l’image (que l’entreprise travaille),
l’ouverture à la confidentialité et à
la sécurité, les réseaux aux silos et
la confiance au contrôle …
Au-delà des actionnaires, un nombre croissant de publics (ONG,
clients, agences de notation…)
demande aujourd’hui des comptes
aux entreprises, sur des sujets bien
plus larges que leur performance
financière - des pratiques sociales
des fournisseurs à la performance
environnementale des produits, en
passant par l’influence sur les modes de consommation, l’empreinte
économique sur un territoire,…
Dans les pays du Sud comme du
Nord, les communautés locales
s’organisent pour faire valoir leurs
droits à déterminer l’avenir de
leur territoire et des ressources
qu’il recèle : autant d’attentes avec
lesquelles les entreprises doivent
composer pour ne pas perdre leur
« licence to operate » et prévenir
d’importants dommages à leur
réputation (dont il est désormais
établi qu’elle peut représenter, avec
d’autres actifs intangibles, plus de la
moitié de la valeur financière d’une
entreprise), éviter le blocage d’un
projet, un boycott de leurs produits… En 2009 une coalition de
140 associations a ainsi débouté un
projet d’extraction de sables marins
des cimentiers Lafarge et Italcementi. A l’inverse, l’engagement du
pétrolier Shell dans la consultation
des communautés locales, sur le
projet de pipeline gazier Malampaya aux Philippines, aurait permis
de réaliser entre 50 et 72 M$ d’économies en temps de construction,
procédures juridiques évitées …
Pour anticiper leurs futurs enjeux,
pour prévenir les risques sociaux
ou environnementaux, pour être
crédibles dans leurs prises de parole sur le développement durable,
les entreprises doivent prendre le
virage d’une ouverture radicale au
dialogue avec leurs publics, invitant même des « amis critiques »
à la table des discussions. Comme
le souligne une dirigeante de Novo
Nordisk, « consulter les ONG et
les parties prenantes les plus exigeantes nous permet de savoir par
avance quels sont les sujets qui
intéresseront la presse sur notre
compte dans deux ou trois ans…»
En Europe, des groupes comme
Lafarge ou British Telecom font
également figure de pionniers,
avec un comité consultatif externe
réuni plusieurs fois par an, depuis
2003.
Gare à ceux qui n’auraient pas
pris en marche le train de la transparence et du dialogue, car son
allure s’accélère : parfois même,
l’intégration des parties prenantes
aux processus de décision devient
obligatoire, dans certains secteurs
comme le logement social (avec
les lois Borloo qui imposent la
présence de représentants des
collectivités ou des locataires dans
les conseils d’administration des
bailleurs), ou dans certaines zones
géographiques comme les Etats
du Maryland ou du Vermont, aux
Etats-Unis, qui ont voté l’an dernier
une loi permettant aux entreprises
d’afficher explicitement qu’elles
entendent servir d’autres intérêts
(sociaux ou écologiques) que ceux,
financiers, de leurs actionnaires…
D’autres entreprises, comme Nike
ou WalMart, sont même encore plus
proactives en ce sens - qu’il s’agisse
d’innover au plus près des besoins de
la société par des procédés d’ « open
innovation » avec les parties prenantes, d’anticiper l’évolution réglementaire en créant de nouveaux standards de marché plus contraignants
partagés en « open source » avec
leurs concurrents et fournisseurs, ou
de s’assurer du bon développement
d’un projet en donnant la possibilité
aux communautés locales de participer à sa gouvernance. L’entreprise
de demain sera inclusive… ou ne
sera pas.
!
POINT DE REPÈRE
Les parties prenantes (Stakeholders) sont toute entité ou
personne qui peut affecter
ou être affectée par la
réalisation des objectifs que
s’est fixée une organisation
(d’après Freeman, 1984,
Mitchell, Agle & Wood,
1997). Ce concept regroupe
les parties prenantes primaires
(salariés, clients et actionnaires)
mais englobe aussi les concurrents,
régulateurs, gouvernements,
fournisseurs, communautés locales
ou ONG…
Les organisations font aujourd’hui
de la gestion des parties prenantes
un sujet central de leur politique
RSE (Responsabilité Sociétale des
Entreprises), et doivent intégrer
ces acteurs de manière stratégique
dans leurs choix managériaux.
Mais si le principe est aujourd’hui
Euromed Management
accepté, la mise en œuvre relève
souvent plus d’une « expérience
d’apprenti sorcier » que d’une
politique construite et maitrisée.
Il s’agit pour les entreprises d’une
mutation fondamentale, dont les
impacts au quotidien touchent
leurs produits et leurs process, font
évoluer leurs métiers et bouleverse
leur gouvernance.
SUPPLÉMENT AU N° 4728 DU 20 MAI 2011
PAGE III
LES PARTIES PRENANTES, QUI SONT-ELLES ?
L’ENTREPRISE ? UN ORGANISME VIVANT !
STUDIO REGARD
L
Par Jean-Christophe
Carteron,
Directeur de la RSE,
Euromed Management
’analyse conventionnelle
décrit l’entreprise comme
une somme de compétences, une juxtaposition de moyens
ou un assemblage de départements
L’approche systémique quand à
elle, l’associe à un organisme vivant
où tout est lié, interconnecté et interdépendant.
Ainsi, vue sous cet angle, une entreprise cherchant à conserver une
bonne performance ne doit laisser
en souffrance aucune de ses composantes. Dans le corps humain il y
a certes des organes plus vitaux que
d’autres mais qui peut prétendre
pouvoir utiliser ses capacités mentales de façon optimale avec une
crise de foie ou une rage de dent ?
Pire encore, des maux non traités
sont dans l’entreprise comme dans
le vivant de potentielles sources de
complication pouvant gangréner
l’ensemble des organes.
De même, personne ne peut espérer
prospérer dans un environnement
complètement hostile ou moribond.
Pour sa survie, une entreprise doit
donc s’intéresser à la santé de son
écosystème. La compréhension
LA VALEUR DURABLE :
RÉINVENTONS LES CRITÈRES
DE PERFORMANCE
des attentes de parties prenantes
externe est un élément clef dans la
capacité des organisations à comprendre la complexité du monde qui
les entoure et à s’adapter.
L’autre rupture managériale induite
par cette vision holistique, c’est qu’il
n’y a pas de compétition entre les
organes. Ma main droite ne veut pas
devenir plus grosse que la gauche.
Et lorsqu’une cellule se développe
sans considération du reste du corps,
qu’elle prend le dessus sur les autres
organes, cela s’appelle une dégénérescence! Les entreprises doivent
QUELLE PLACE DANS
LES NÉGOCIATIONS
INTERNATIONALES ?
DR
Par Dr Tobias Hahn,
Professeur chercheur,
Euromed Management
DR
L
est rentable d’être responsable.
La « Valeur Durable » va au-delà de
l’efficacité du capital et s’intéresse
à l’efficacité de l’utilisation des
ressources économiques, environnementales et sociales par les entreprises. Une entreprise crée ainsi
de la valeur durable dès qu’elle fait
plus de profits que ses pairs avec
les mêmes ressources. La Marge
en Valeur Durable exprime la Valeur Durable créée par rapport au
chiffre d’affaire d’une société, permettant ainsi la comparaison d’entreprises de taille différente.
Par Dr. Frank Figge,
Professeur chercheur,
Euromed Management
Cette méthode a ainsi été appliquée au monde des constructeurs
automobiles sur 5 années consécutives avec des résultats très instructifs. Sur la dernière année de
l’étude, BMW a créé 5 centimes de
Valeur Durable par Euro de chiffre
d’affaire alors qu’en fin de peloton,
et avec un écart considérable, le
constructeur américain General Motors perd 7,5 cts VD/€CA.
C’est-à-dire qu’en utilisant la même
quantité de capital, en produisant
la même quantité de déchets, de
CO2, et d’accident de travail, GM
a fait 7,5 cts de moins de profit que
ces confrères par Euro de CA.
Une analyse de même genre sortira dans quelques semaines sur
l’industrie papetière, il devrait
permettre aux entreprises de se
benchmarker et d’identifier les
chantiers prioritaires à mettre en
œuvre pour une meilleur utilisation des ressources économiques,
environnementales et sociales.
D’ici quelques années il est à parier
que les marchés financiers généraliseront l’utilisation de ce genre de
calcul dans la valorisation de performance. Une autre ère s’ouvre…
!
Plus sur www.sustainablevalue.com
DR
Le traditionnel calcul de la performance des entreprises
focalisé uniquement sur la création de valeur économique
trouve vite ses limites lorsqu’on prend en considération
la perspective d’une création de valeur du point de vue
du développement durable.
e défi majeur de l’évaluation de la performance
durable des entreprises
est d’étendre le retour sur investissement pour couvrir d’autres
ressources et donc l’ensemble des
parties prenantes autres que les
fournisseurs de capital.
Certains analystes tentent de montrer l’impact financier d’une gestion
responsable notamment en analysant les effets des performances
extra-financières sur la performance économique. Nombreuses publications tentent de prouver qu’il
donc apprendre à développer des
zones de coopération, même dans
un monde de compétition…
Cette vision élargie de l’entreprise
vers l’interne comme l’externe est
le fondement des stratégies RSE
(Responsabilité Sociétale des Entreprises) et tend à changer notre
perception de la mesure de la performance. L’efficacité sur le long
terme des organisations ne serait
donc plus la somme des maximums
de chacune des entités mais la recherche de l’optimum du tout.
!
Par Michel Doucin,
Ambassadeur chargé
de la bioéthique et de
la responsabilité sociale
des entreprises, Ministère
des Affaires étrangères
et européennes
T
rois mois après son adoption, la loi Grenelle 2
s’est vue escamotée d’un
de ses paragraphes qui prévoyait
de recueillir l’avis des parties prenantes sur le rapport social et
environnemental des entreprises :
l’absence du concept dans notre
bon vieux droit national allait poser
des problèmes de mise en œuvre.
Pourtant, nombre de textes normatifs internationaux donnent au
concept un rôle clé dans la responsabilisation sociétale sans considérer nécessaire de le définir précisément. ISO 26000 recommande de
« faire preuve de transparence en
ce qui concerne ses parties prenantes ainsi que les critères et procédures utilisés pour les identifier, les
choisir et dialoguer avec elles ». Le
projet d’actualisation des Principes
directeurs de l’OCDE pour les mul-
tinationales invite, dans son chapitre général, à « s’engager auprès
des parties prenantes concernées
en leur donnant de réelles possibilités de faire valoir leurs points de
vue lorsqu’il s’agit de planifier et
de prendre des décisions relatives
à des projets ou d’autres activités
susceptibles d’avoir un impact
significatif sur les populations
locales », puis inclut des développements dans les chapitres emploi, consommateurs et droits de
l’Homme. Les Principes directeurs
pour les entreprises sur les droits
de l’Homme qu’examinera en juin le
Conseil des droits de l’Homme des
Nations Unies recommandent d’inclure toutes les « parties prenantes
pertinentes » dans le processus de
« due diligence » que les entreprises
devraient conduire pour identifier
les risques de porter atteinte à leurs
droits. Les normes internationales,
convergentes, finiront-elles par imprégner le droit français ?
!
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les interviews des panelistes
de la conférence.
SUPPLÉMENT AU N° 4728 DU 20 MAI 2011
PAGE IV
7
e
Symposium sur l’éthique des Affaires
PARTIES PRENANTES, QUELS ENJEUX ?
ONG, DE L’OPPOSITION
À LA COCRÉATION…
DR
L
es associations de protection
de la nature et de défense
de l’environnement sont
des organismes polymorphes avec
des genèses, des orientations et des
moyens très différents pour agir. Les
associations ne sont pas les seules à
se consacrer à l’environnement, à faire
prendre conscience des enjeux à nos
contemporains, mais elles ont des
points en commun. Elles partagent
une éthique et une analyse communes : le développement démographique, les évolutions techniques et la
part croissante de l’économie dans les
décisions politiques pèsent de plus en
plus sur l’environnement et les milieux
naturels. L’éthique associative repose
elle sur une profonde conscience de
la responsabilité des citoyens vis-à-vis
des générations futures.
L’univers entrepreneurial n’est pas
drapé des mêmes vertus ; cela se
traduit généralement par une forte
méfiance des ONG. Les exemples
d’entreprises ne respectant pas les
normes environnementales l’attestent par légion depuis les gestionnaires de la centrale du Fukushima au
Japon jusqu’au garagiste qui laisse
déborder ses huiles de vidange dans
le caniveau. Les moyens d’actions des
ONG et le rapport de force ne sont
pas à l’avantage des ONG. Elles ont
donc besoin de chercher d’autres
solutions pour transformer les prati-
Par Benjamin Kabouche,
Directeur, LPO.
ques sociales des citoyens mais aussi
des élus, des entreprises publiques et
privées.
La raison d’être des ONG est finalement en tension entre deux choix
dans leur rapport au monde de l’entreprise :
- Soit une approche de résistance,
dans la veine des fondateurs de
l’ONG qui sont souvent des acteurs
radicaux de l’engagement associatif.
L’ONG est alors en opposition systématique avec le monde de l’entreprise, « ennemie à combattre » car
prédateur de l’environnement (social
ou environnemental). Les modalités
d’actions sont alors dans l’épreuve
de force, la résistance, l’opposition de
principe, le recours juridique, la campagne de communication et au final
une impossibilité de co-construire
des solutions nouvelles.
- Soit une posture « utopique »
d’ouverture, permettant de chercher
une nouvelle voie. Des ONG ont
ainsi cherché à concilier économie
et société civile ou environnement.
Avec l’espoir que l’entreprise et
l’ONG puissent co-construire un
projet exemplaire dans un monde
idéal. Les exemples réussis existent
lorsque la confiance est bien établie et c’est souvent l’engagement
personnel du PDG tout particulièrement lorsque celui-ci est aussi
visionnaire et utopiste.
Les deux options comportent des
risques pour les ONG : la délocalisation des nuisances environnementales là où les ONG sont
moins virulentes et de l’autre côté
les compromis peuvent favoriser le
greenwashing et une perte de lien
avec la base militante. Le péril écologique est aujourd’hui si prégnant
que la vitesse est effectivement un
élément à prendre en compte. Les
associations ne peuvent plus prendre le temps et le risque d’exclure
toutes les options pour prendre en
compte l’environnement : « Avec le
danger croît aussi ce qui sauve » selon le Principe d’Hölderlin !
!
POUR UN NOUVEAU PACTE AVEC LES COLLABORATEURS
DR
L
Par Agnès RambaudPaquin
et Thierry Marneffe,
co-fondateurs, Des Enjeux
Et Des Hommes.
es tribunaux ont fini par
donner raison à l’action en
nom collectif de 1,5 millions d’employées contre Walmart
qui avait fait grand bruit au premier
semestre 2010. Si la mobilisation
massive de cette « class action » au
nom de la discrimination féminine
reste singulière, elle montre néanmoins que les rapports de force
entre collaborateurs et entreprises
ont connu un tournant. Alors que
leurs interactions étaient majoritairement descendantes (décisions
managériales et communication
unilatérales), une combinaison de
facteurs – sociologiques, économiques et technologiques – a donné
aux salariés de nouveaux pouvoirs
d’influence. La mise en place de
dispositifs d’alerte interne apparus
dans la années 2000 (suite aux
scandales Enron et Worldcom) ou
plus récemment la mise en cause
via Twitter de la responsabilité de
BP dans l’accident de 2010 par les
collaborateurs du Groupe illustrent
bien le pas de géant face à la simple
rupture de contrat ou à
l’absentéisme, moyens
traditionnels d’interpellation des salariés ayant
des effets directs sur la
productivité et la performance.
Et si les entreprises
inscrivaient ce nouveau
rapport de force dans
un pacte gagnant/gagnant avec sa partie
prenante numéro un ?
Pour l’entreprise qui
cherche plus que jamais
à être attractive, à retenir ses talents, à développer son adaptabilité, à garantir
sa performance au travers d’un engagement fort de ses collaborateurs
s’ouvrent de nouvelles pistes d’expression de la responsabilité : équilibre vie privée/vie professionnelle
(aménagement du temps de travail,
accompagnement du leadership
féminin), bien-être au travail (reconnaissance et égalité des chances,
encadrement responsable, gestion
du stress et des conditions de travail, santé/sécurité…), employabilité
et développement professionnel ….
De nombreuses entreprises en tiennent compte… certaine ont même
pris le parti de partager le contenu
ainsi que la veille de leurs engagements (sur les champs humains et
environnemental) en signant des
accords-cadres mondiaux avec leurs
partenaires sociaux. Plus directe-
ment, l’intelligence collective, dont
les dispositifs de types boites à idées
avaient donné le « la » dans les années 80, est devenue un véritable
levier d’anticipation, d’innovation et
de création de valeur partagée dans
un environnement de moins en
moins prévisible et constitue un défi
stratégique pour le management
des organisations.
!
SUPPLÉMENT AU N° 4728 DU 20 MAI 2011
PAGE V
PARTIES PRENANTES, QUELS ENJEUX ?
UNE STRATÉGIE GAGNANTE POUR LE GROUPE LA POSTE
A. TUDELA
A
ujourd’hui, près de 75 %
des entreprises parlent
de développement durable. Dès 2003, j’avais la conviction
qu’engager le Groupe La Poste sur
la voie du développement durable,
c’était se doter d’un levier d’amélioration de son efficacité économique. La performance durable
suppose la bonne santé de l’entreprise, des postiers, de la planète et
la construction de la confiance de
toutes les parties prenantes. La nécessaire transformation de l’entreprise se fait en étroite collaboration
avec elles. Au sein de notre conseil
d’administration, de nombreuses
parties prenantes sont représentées : nos actionnaires, l’Etat et la
Par Jean-Paul Bailly,
PDG du groupe
La Poste.
CDC, les communes et leurs groupements, les usagers et les 7 représentants du personnel.
Pour répondre aux attentes de nos
clients, nous avons pris des engagements après identification de leurs irritants majeurs. Nos bureaux de poste
évoluent notamment pour réduire le
temps d’attente et être accessibles
au plus grand nombre, la qualité de
service du courrier n’a jamais été aussi
haute, et ceci tout en améliorant notre productivité, La Banque Postale
est la banque accessible à tous. Nous
travaillons également à l’intégration
progressive des préoccupations sociales et environnementales dès la
conception et tout au long du cycle
de vie de nos offres.
Rien ne se fait sans les postiers.
Nous développons une pratique
managériale basée sur la considération et l’esprit de service pour
donner envie à tous les postiers
d’accompagner la transformation
de l’entreprise. Nous privilégions la
qualité de l’emploi et des parcours
professionnels, en contrepartie de
la nécessaire évolution des organisations. Nous suscitons l’innovation
et partageons les fruits de la croissance.
Notre politique d’achats responsables encourage nos fournisseurs
à adopter des pratiques plus responsables et leur donne un accès
facilité à nos marchés.
L’avenir du groupe La Poste est
aussi intimement lié à l’avenir des
territoires où il est implanté. Nous
agissons aux cotés des acteurs institutionnels et économiques locaux
en apportant notre contribution au
déploiement de projets structurants (Plans Climat, PDU, Agenda
21…). Les délégations régionales
du Groupe mises en place depuis
3 ans jouent un rôle essentiel dans
cette démarche.
En quelques mots, la pérennité d’un
Groupe n’est assurée que s’il crée
de la valeur ajoutée économique,
sociale et environnementale à long
terme en la coconstruisant et en la
partageant avec l’ensemble de ses
parties prenantes.
!
ET SI ON ÉCOUTAIT L’AUTRE VOIX DES ACTIONNAIRES ?
DR
L
Par Anne Catherine
Husson Traoré,
Directrice Générale,
Novethic.
es actionnaires sont eux
aussi des parties prenantes,
rarement associés à des exigences de développement durable
envers les entreprises, mais plutôt
à celles des rendements financiers
considérés comme directement
ou indirectement responsables de
dommages environnementaux et
sociaux. Et pourtant…
ESG est le sigle de ralliement des
actionnaires qui se coalisent pour
demander des comptes aux entreprises sur les dimensions Environnementales, Sociales ou de
Gouvernance, ESG donc, de leurs
activités. S’ils restent minoritaires,
ils obtiennent progressivement de
vrais succès qui génèrent des débats sur des sujets comme la rémunération des dirigeants, l’équilibre
des pouvoirs, les émissions de CO2
ou l’exploration des sables bitumineux pour le secteur pétrolier.
15 % c’est le score obtenu à l’AG de
BP en avril par les actionnaires qui
appelaient à refuser le rapport annuel parce qu’ils estiment qu’elle n’a
pas tiré les leçons stratégiques du
désastre lié à l’accident de sa plate-
forme dans le Golfe du Mexique et
ne remet pas en cause son modèle
d’extraction pétrolière. La pratique
du « Say on Pay » c’est-à-dire la soumission au vote des actionnaires d’un
rapport sur le système de rémunération des dirigeants, s’est répandu en
Europe et aux Etats-Unis. En France,
si le vote contestataire monte, l’engagement actionnarial reste modeste
et difficile à exercer. La tentative
avortée de la société de gestion Phitrust Active Investors de déposer en
partenariat avec Greenpeace une
résolution pour demander au groupe
Total d’expliquer à ses actionnaires
sa stratégie d’investissement dans
l’exploitation de sables bitumineux
au Canada l’a bien montré. Elle a failli
obtenir le quota nécessaire (0,5 % du
capital soit 12 millions d’euros) mais
deux gros investisseurs se sont retirés au dernier moment. Si ces voix
dissidentes d’actionnaires parviennent à se faire entendre c’est parce
que l’idée qu’intégrer des critères
ESG est créateur de valeur à long
terme. Elle progresse, lentement
mais surement.
!
LA FONCTION ACHAT AU CŒUR DES ENJEUX
DR
L
a fonction Achats est sans
conteste au cœur de la mise
en place réussie des stratégies de
développement durable. Les pratiques et la stratégie achats sont
non seulement impactées par les
agissements de multiples parties
prenantes internes et externes à
l’entreprise, mais ces mêmes pratiques conditionnent à leur tour les
comportements de ces acteurs.
L’acheteur se trouve ainsi confronté à la nécessité d’intégrer la complexité de ses interdépendances
dans sa démarche de tous les
jours.
Ceci n’est pas sans poser problème, car il s’agit de marier des
considérations concernant les
normes et régulations mises en
œuvre par l’état par exemple, avec
les besoins des fournisseurs de
l’entreprise, les exigences (souvent plus ou moins « responsables
») des clients directs ou finaux, les
principes des ONG (relatifs par
exemple aux conditions de travail
de la main d’œuvre, à l’empreinte
Par Robert Spencer et Frédéric Prévot,
Titulaires de la chaire Achat Responsable,
Euromed Management.
carbone…), et les intérêts des actionnaires et du personnel.
Le résultat est une situation
complexe à gérer, composée de
contraintes multiples et variées
(normes, régulations, stratégies
diverses, objectifs économiques…) et présentant un nombre
non-négligeable de dilemmes et
de paradoxes.
Faut-il privilégier des produits à
faible impact environnementale
ou faut-il plutôt favoriser les producteurs dans des pays en voie de
développement ?
Faut-il réduire les coûts à l’achat
en mettant les fournisseurs systématiquement en concurrence,
améliorant ainsi la performance
économique, ou faut-il au contraire aider certains fournisseurs à se
développer ?
Faut-il choisir les fournisseurs
avec les produits les moins polluants, ou bien ceux qui proposent
un processus de fabrication plus «
propre » de ces mêmes produits ?
Faut-il préférer les offres des
entreprises favorisant l’insertion
sociale, ou bien celles des entreprises qui conçoivent des produits
qui respectent l’environnement
lors de leurs mises en œuvre ?
Les réponses ne sont pas évidentes. Nous sommes loin ici
de la conception simpliste des
« Achats » comme fonction purement transactionnel. Il s’agit,
en effet, de gérer un réseau de
relations avec les parties prenantes internes comme externes. Le
service « Achats » est en effet au
cœur de ce réseau. Et une clarté
stratégique en amont est es-
sentielle pour fixer les lignes de
conduite de la fonction, en fournissant les critères de choix et les
priorités à gérer.
Quoiqu’il en soit une des clefs de
la réussite est sans aucun doute la
capacité des acteurs comprendre
l’ensemble des points de vue afin
de choisir en conscience.
!
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les interviews des panelistes
de la conférence.
SUPPLÉMENT AU N° 4728 DU 20 MAI 2011
PAGE VI
7
e
Symposium sur l’éthique des Affaires
4 CONSEILS POUR UNE STRATÉGIE GAGNANTE
L
e dialogue avec ses parties
prenantes ne s’improvise
pas. Il s’agit d’une posture solennelle de l’entreprise : aller au-delà
de l’information ou de la communication. Même si elle reste toujours
libre in fine, l’entreprise s’engage
à consulter sur une décision avant
qu’elle ne soit prise, à être responsable et transparente.
Le dialogue peut prendre diverses
formes : concertation stratégique au
niveau corporate (Areva, Suez Environnement) ; forums multi-parties
prenantes (Lafarge, EDF) ; concertation au niveau local (Ciments Calcia,
Total) ; panels de citoyens (Isover).
Toutefois, pour mener un dialogue
de qualité, des règles de fonctionnement doivent être partagées par
tous les participants.
L’exercice de dialogue suppose un
portage à haut niveau et une mobilisation transversale de l’équipe
dirigeante. L’implication du dirigeant est donc indispensable, y
compris pendant l’exercice. La démarche offre l’opportunité, à toutes
les directions de l’entreprise, d’être
informées sur les préoccupations
de la société civile mais aussi d’être
mobilisées autour d’un projet fédérateur. Le panel est constitué en
fonction des enjeux de l’entreprise et
comprend une vingtaine d‘ONG, de
chercheurs, de représentants syndicaux, de collectivités ou de l’administration. Il faut vérifier que les parties
prenantes sont complémentaires et
indépendantes.
Le dialogue doit être récurrent pour
réaliser des bilans et réajuster la stratégie de l’entreprise. La démarche
est menée en temps de paix ; ce n’est
pas un tribunal. Pour obtenir une
vision à 360° des enjeux, l’ordre du
jour n’est pas défini a priori mais on
peut organiser ensuite des rendezvous sur des thématiques précises.
Afin de faciliter la transparence et
d’éviter les effets de tribune, les participants doivent respecter l’écoute
réciproque, la courtoisie dans les
échanges et une certaine confidentialité. La règle de Chattam House
apparaît la plus pertinente ; la teneur
des débats peut être dévoilée mais
pas l’identité des participants. Des
comptes rendus doivent être soumis
aux parties prenantes. Il est préférable de verser aux associations une
indemnisation du temps passé.
Par Dorothée
Briaumont,
Directrice générale,
Comite 21.
DR
DIALOGUE : LES FACTEURS CLÉS DU SUCCÈS
Enfin, le rôle d’un tiers indépendant,
organisateur et facilitateur, est primordial. Il crée les conditions de la
confiance et garantit un équilibre
entre les intérêts de l’entreprise et
des parties prenantes. Il veille à ce
que l’entreprise réponde à l’ensemble des questions posées.
Avec la norme ISO 26000 sur la
responsabilité sociétale des organisations, le dialogue avec les parties
prenantes va se multiplier. Le corollaire sera un accroissement des
exigences des parties prenantes qui,
de plus en plus sollicitées, se mobiliseront si le cadre du dialogue est
bien défini.
!
DR
NORME : ISO 26000 CLARIFIE LA RESPONSABILITÉ SOCIALE
Par Christian Brodhag,
Directeur de Recherche
à l’Institut Henri Fayol,
Ecole des Mines de SaintEtienne, Ancien délégué
interministériel au
développement durable.
L
’ISO a mis en place un
processus de négociation
multi-parties
prenantes - entreprises, gouvernement,
syndicats, consommateurs ONG
et consultants - appartenant à 99
pays ainsi que des organisations
internationales pour aboutir à des
lignes directrices pour la responsabilité sociétale : l’ISO 26000. Un
large consensus mondial s’est porté
vers un système hybride qui reconnaît le rôle des parties prenantes
mais aussi le cadre institutionnel en
mettant au centre de la responsa-
bilité sociétale le développement
durable et les normes internationales de comportement, c’est-à-dire
le droit international.
Sur ces bases, l’engagement de l’entreprise vise avant tout à maîtriser ses
impacts et à rechercher un apport
positif sur la société et l’environnement. A cet effet, l’ISO 26000 identifie un certain nombre de principes
(redevabilité, transparence, conduite
éthique, respect des intérêts des parties prenantes, conformité légale, respect des normes internationales de
comportement et respect des droits
humains), et de questions centrales :
les droits de l’Homme, les relations
et conditions de travail, l’environnement, la loyauté des pratiques, les
questions relatives aux consommateurs, et enfin les relations avec les
communautés et le développement
local. Le champ et le périmètre des
questions de responsabilité sociétale
sont ainsi clarifiés.
L’ISO 26000 n’est pas certifiable,
ce n’est pas un système de management, un modèle de maturité
managérial ou un processus de dialogue avec les parties prenantes, ces
lignes directrices visent en priorité la
maitrise des impacts sur la société
et l’environnement : elle est orientée
résultats.
Le modèle va plus loin que la réponse immédiate aux parties prenantes,
car il établit une base commune et
solide pour le développement de
relations de confiance et de partenariat entre l’entreprise et ses parties prenantes. Cette approche qui
dépasse une vision étroite de la responsabilité sociétale peut servir de
base à la création de valeur partagée
telle que la propose Michael Porter.
L’ISO 26000 introduit par exemple
un concept nouveau, la sphère d’influence : l’entreprise mobilise ceux
qui sont dans sa sphère d’influence
et qui pourraient avoir un impact,
QUELLE CARTOGRAPHIE ?
Si l’ISO 26000 propose d’identifier
les groupes de parties prenantes
impactées en fonction du niveau
d’impact (de négligeable à vital) et
de sa sphère d’influence (directe ou
partielle) une bonne cartographie
des parties prenantes se réalise en 4
temps : 1- identification d’un enjeu
clé pour l’entreprise, 2- identification
des parties prenantes impactées ou
impactant l’entreprise par rapport
à cet enjeu, 3- analyse des attributs
des parties prenantes, 4- priorisation des plans d’action à mettre en
œuvre.
Dans un souci de praticité, l’entreprise peut se baser sur le modèle
de Mitchell, Agle et Wood (1997). Il
présente l’avantage de faire ressortir
les parties prenantes les plus impor-
positif ou négatif, sur le développement durable.
Une norme expérimentale de
l’AFNOR (XP X30 029) sera bientôt
disponible en France pour permettre aux organisations débutantes et
notamment les PME d’identifier les
domaines d’action les plus pertinents
et importants et les parties prenantes clés. Elle permet de se poser des
questions concrètes : Quels sont
les impacts de mon entreprise sur
l’environnement, la société et ses
parties prenantes ? Quelles parties
POUVOIR
prenantes peuvent avoir un impact
sur mon entreprise ou lui apporter ressources ou connaissances ?
Quelles sont celles sur qui j’ai une
influence et qui ont un impact sur
le développement durable et que je
dois donc mobiliser ? Ces questions
peut-être approfondies dans le cadre
de chaque filière, de chaque territoire
pour que l’entreprise puisse définir sa
politique pour maîtriser ses impacts
et développer des relations avec les
parties prenantes.
!
LÉGITIMITÉ
1
4
7
5
3
2
6
1 - PP en puissance
2 - PP discrétionnaire
3 - PP en en revendication
4 - PP dominante
5 - PP dangereuse
6 - PP dépendante
7 - PP définitive
8 - non PP
8
URGENCE
tantes ou définitives (7) par rapport
à une problématique spécifique.
Le pouvoir que peut exercer la
partie prenante sur l’entreprise
(directement ou indirectement), la
légitimité qu’elle présente du fait
de ses activités et l’urgence de la
situation dans laquelle elle se trouve
déterminent quelles sont les parties
prenantes prioritaires.
Pour ce travail de cartographie, il est
important de dynamiser la cartographie, en l’actualisant régulièrement,
sans oublier de prendre en compte
les interrelations entres parties
prenantes.
Julie Vermont, Diplômée
d’Euromed Management
SUPPLÉMENT AU N° 4728 DU 20 MAI 2011
PAGE VII
4 CONSEILS POUR UNE STRATÉGIE GAGNANTE
P
our la majorité des entreprises et de leurs organisations patronales le
choix est clair : seul le modèle du
volontariat est tolérable et efficace.
Ce modèle part d’un cadre de bons
principes, tels que le Pacte Mondial
des Nations Unies, les Principes
directeurs de l’OCDE pour les entreprises multinationales ou, dès
maintenant, la nouvelle norme ISO
26000. Il postule qu’en se référant à
ces principes ainsi qu’à leurs valeurs
biens et services environnementaux. Certes un groupe d’entreprises
exemplaires atteste la plausibilité du
modèle volontaire mais la grande
majorité l’ignore sans dommage.
Et ainsi les impacts sur l’environnement, la justice sociale et la pauvreté
ne reculent pas, au contraire. Pour
avancer réellement il faut apprendre à dépasser l’approche volontaire
par une négociation intelligente de
règles pour tous. Les péripéties de
l’article 225 de la Loi Grenelle 2 sont
édifiantes. Elles ont opposé l’inertie
d’ensemble du patronat à la détermination de nombreuses parties
prenantes éclairées par l’expérience
de RSE de quelques multinationales
françaises et étrangères. Au final ce
que demande l’article 225 toute entreprise digne de ses employés et de
ses clients saura le faire. L’éclairage
public sur le tableau de bord de son
engagement sociétal en faveur du
développement durable apportera
précisément la transparence qui fait
défaut dans le fonctionnement du
modèle seulement volontaire. Elle
lui donnera de la force et de l’ampleur.
U
ne gouvernance responsable passe par une écoute active et une sélection
engagée des parties prenantes.
Alors que l’on engage des guerres au
nom de la démocratie, ce concept
penne encore à émerger dans les
modes de gouvernance de nos entreprises. Qu’elle soit représentative
ou participative, la démocratie parée
de vertus pour la gestion des états
semble une utopie irréaliste dans le
monde des affaires.
Qui dit responsable dit « capable de
répondre » (1). Une réponse se fait
nécessairement à quelque chose,
que ce soit un acte posé ou une
parole émise. Une gouvernance responsable implique donc, avant toute
décision, la consultation de parties
prenantes. Or, le problème est que
dans bien des cas, la consultation
omet la composante « écoute » (2).
Les acteurs économiques ont semble-t-il peu de temps à ‘perdre’ à
écouter les diverses parties prenantes.
Pourtant un nombre croissant d’organisations choisissent d’autre mode
de fonctionnement remettant au
goût du jour des systèmes comme
les structures coopératives (où les
salariés participent aux décisions)
ou les mutuelles (où les « clients »
ont un droit de vote). Ces structures
n’ont rien à envier en termes d’efficacité, entre autre économique, aux
entreprises « conventionnelles » qui
pourraient être bien avisées de s’intéresser au mode de gouvernance
qui a permis à ces structures de bien
résister à la crise.
Trois étapes sont indispensables
pour engager une véritable intégration des parties prenantes dans les
processus de décision. Définir qui
inclure et pourquoi, engager une
Ecoute active et motivée et prendre
des décisions inclusives. Bien que
les critères de sélection des parties
à consulter soient potentiellement
nombreux, l’inclusion de quatre
types d’acteurs apparaît comme
tout particulièrement importante,
à savoir 1) les acteurs directement
impliqués dans la conception et
l’exécution du projet, 2) les acteurs
touchés qui épousent le projet, 3)
les indifférents, et 4) ceux opposés
au projet. Le choix d’inclure dans la
discussion une ou plusieurs parties
DR
GOUVERNANCE :
NOUVELLE DONNE…
Par Vinca Bigo,
Professeur chercheur,
Euromed Management
ayant des opinions opposées demande une remise en question et
une ouverture qui garantirait bien
davantage le sérieux du processus
de consultation. Commence alors
à émerger une Gouvernance Responsable, capable de répondre, car
ayant écouté activement la parole
de l’Autre.
!
(1) Bigo, Vinca. 2010. “From Gross
Misconduct to Responsible Behaviour.
A Dream That Necessitates Realisticness”. Revue de Philosophie Economique. 10 (1), 81-112.
(2) Mabovula, Nonceba. Revisiting
Jürgen Habermas’s notion of communicative action and its relevance for
South African school governance : can it
succeed ?. S. Afr. j. educ. [online]. 2010,
vol.30, n.1
Par Antony Buono,
Fondateur du centre
‘’Alliance for Ethics and
Social Responsibility’’,
Bentley University - Boston.
A
DR
Par Claude Fussler,
Conseiller Spécial,
United Nations
Global Compact.
personnelles les dirigeants d’entreprises développent une vision et une
stratégie qui seront stimulées par la
liberté et la transparence des marchés. Il est ainsi censé apporter une
réponse efficace aux enjeux complexes du développement durable par
l’innovation et l’expérimentation. La
libre concurrence favorisait alors les
meilleures approches et assurerait à
la fois le progrès social et environnemental pour tous et le succès financier de l’entreprise. La régulation, au
contraire, serait inadaptée aux enjeux complexes car elle repose sur
des normes prouvées, elle est économiquement inefficace puisqu’elle
fige des solutions qui pourraient
être dépassées par l’innovation. Ce
discours RSE a séduit les politiques
et même beaucoup d’ONG. Mais le
progrès est très loin des promesses.
Certes la transparence a puni des
entreprises de renom prises en délit de pollution ou de corruption ou
des droits du travail. Mais les règles
du marché sont massivement en
faveur de la réussite à court terme,
de la pression sur le coût du travail
et de l’ignorance de la valeur des
QUAND LES ÉCOLES
S’OUVRENT AUX PARTIES
PRENANTES
DR
DR
ENGAGEMENT : VOLONTAIRE
OU RÈGLEMENTÉ ?
Par Bernard
Belletante,
Directeur général
d’Euromed
Management
yant comme mission de
former les managers, les Business School sont les cibles récurrentes de questionnement quant
au rôle qu’elles ont pu jouer dans
l’émergence des crises financières,
écologiques ou sociales. Cela a
conduit bon nombre d’établissements d’enseignement supérieur à
mettre d’avantage l’accent sur l’éthique et la responsabilité managériale.
Pour assurer leur mission dans un
monde en perpétuelle mutation,
les Business Schools doivent néanmoins aller bien au delà de quelques
cours isolés sur des problématiques
de la RSE (Responsabilité Sociétale
des Entreprises) et doivent impérativement questionner leur propre
responsabilité dans la construction
du monde, et pas simplement celui
de l’entreprise. Antony Buono organise depuis 7 ans le Bentley Global
Business Ethic Symposium (qui
se tient cette année à Marseille). Il
s’entretient avec Bernard Belletante,
Directeur Général d’Euromed Management, première école à avoir
fait une consultation des parties
prenantes externes.
exercice de prospective. Nous leur
avons demandé à quoi devrait servir une grande école en 2030. Ce
qui nous a surpris, c’est que les parties prenantes pourtant si différentes, avaient des attentes similaires.
Bien sûr, tous nous demandent de
former d’excellents managers, mais
nous sommes surtout attendus
sur notre capacité à accompagner
nos étudiants à « penser collectif »
et long terme. Cela nous conforte
dans notre choix de diffuser la RSE
dans l’ensemble de nos cursus et
enseignements plutôt que de former des directeurs de développement durable.
La prise en compte de toutes les
parties prenante entraîne des
bouleversements tant dans les
enseignements et la recherche,
que dans gestion sociale et
écologique des campus. Dès lors,
comment être en adéquation
avec l’ensemble des attentes de
la Société ? »
Comment voyez-vous le déploiement après cette première étape
de consultation ?
B.B. : La démarche entreprise l’année passée par Euromed Management est à ce titre une illustration
de ce qui pourrait, ou devrait, être
fait en termes de consultation des
parties prenantes pour nos établissements.
Accompagné par Deloitte, nous
avons invité une vingtaine de
représentants d’entreprises, de
syndicats, d’ONG, de collectivités
et même certains confrères, à un
Il ne s’agit donc plus simplement
d’organiser des dialogues bilatéraux afin de gérer des conflits
mais de les anticiper en invitant
l’ensemble de la communauté
à s’exprimer. Qu’est ce qui est
finalement sorti ?
B.B. : Les participants nous ont challengés sur de nouveaux chantiers
comme le « well being », sur notre
politique sociale ou notre action visà-vis des personnes en situation de
handicap.
B.B. : Les différents chantiers sont
aujourd’hui pilotés par notre direction de la RSE mais ce sont les
référents RSE, dans chacune des
équipes, qui les mettent en œuvre.
Certains dossiers ont même débouché sur des partenariats, car les
parties prenantes sont de véritables
leviers de changement de nos structures.
Si quelques écoles s’autorisent à
repenser leur métier, gageons que
d’autres suivront et que les diplômés
seront définitivement perçus plus
comme des apporteurs de solutions,
que comme des initiateurs de crises.
!
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