Université de Rennes 1 Introduction à la géométrie algébrique M2

Université de Rennes 1 Introduction à la géométrie algébrique
M2 spécialité Mathématiques
Diviseurs et fibrés en droites
Commençons par une petite remarque préliminaire : pour toute variété
algébrique X, on notera Γ(X) = OX(X)la k-algèbre des fonctions régu-
lières sur X, autrement dit la k-algèbre des morphismes f:XA1.
Si f:XA1est un élément de Γ(X), on a que fOX(X)×si et
seulement si V(f) = {xX, f(x)=0}=si et seulement si fse
factorise à travers Gm. Il s’agit essentiellement de remarquer que si fne
s’annule pas, alors 1
fest un morphisme.
Exemple 0.1. — Soit Vun R-espace vectoriel de dimension finie, N
un réseau de V,Tle tore algébrique correspondant. À tout mNcor-
respond un caractère χmde T, autrement dit un morphisme de groupes
algébrique TGm. En fait, tout élément de Γ(T)×est, à multiplica-
tion par une fonction constante non nulle près, de la forme χmpour un
mN(exercice). Soit à présent Σun éventail de (V, N). On désigne
par |Σ|le support de Σ, c’est-à-dire la réunion des cones de Σ. On dé-
duit de ce qui précède que le groupe Γ(XΣ)×/k×s’identifie au groupe
{χm}m∈|Σ|.
1. Diviseurs de Weil
Soit Xune variété algébrique, supposée irréductible pour simplifier. Un
diviseur de Weil irréductible de Xest un fermé irréductible de codimen-
sion 1. On note X(1) l’ensemble des diviseurs de Weil irréductibles de X.
Le groupe des diviseurs de Weil de X, noté Div(X), est le groupe abélien
libre de base X(1). Un diviseur de Weil s’écrit donc D=PYX(1) nYY, où
nYest une famille presque nulle d’entiers relatifs. On note vY(D)l’entier
nY. Le support de Dest le fermé
vY(D)6=0Y. On a sur Div(X)une relation
d’ordre partiel naturelle définie par
D, E Div(X), D 6E⇔ ∀YX(1), vY(D)6vY(E).
Remarques 1.1. 1. Soit Y1, . . . , Ynune famille finie de diviseurs
de Weil irréductibles. Alors le diviseur de Weil Da son support
1
2
inclus dans Y1· · ·Ynsi et seulement si pour tout Y /∈ {Y1, . . . , Yn}
on a vYi(D) = 0.
2. Soit Uun ouvert non vide de X. L’application Y7→ YUinduit
une bijection de l’ensemble des éléments de X(1) qui rencontrent
Usur U(1), de réciproque le passage à l’adhérence de Zarisiki dans
X. On en déduit par linéarité un morphisme de groupe surjectif
Div(X)Div(U)de noyau le sous-groupe des diviseurs dont le
support est inclus dans X\U.
Exemple 1.2. Si Xest une courbe, X(1) est en bijection avec X: un
diviseur de Weil n’est alors rien d’autre qu’une somme formelle de points
de X.
Exemple 1.3. Mêmes notations que dans l’exemple 0.1. On rappelle
qu’à tout cône σde Σest associée une T-orbite orb(σ), qui est isomorphe
à un tore de dimension rg(N)dim(σ). Son adhérence Yσest alors un
fermé irréductible et T-invariant de XΣde dimension rg(N)dim(σ),
qui est la réunion des orb(τ), où τdécrit les cônes de Σqui contiennent
σ(ou ce qui revient au même, les cônes de Σdont σest une face). Ainsi
les diviseurs de Weil irréductibles T-invariants sont en bijection avec les
rayons de l’éventail Σ, c’est-à-dire ses cônes de dimension 1. Si ρest un
tel rayon, on note Yρle diviseur de Weil irréductible associé. On note
DivT(XΣ)le sous-groupe de Div(X)engendré par les Yρ.
Soit Yun diviseur de Weil irréductible de X. L’anneau local OX,Y est
alors noetherien, de dimension 1et son corps des fractions est K(X).
On suppose désormais Xnormale. Alors OX,Y est en outre intégralement
clos. C’est donc un anneau de valuation discrète. On note vYla valua-
tion discrète de K(X)associée. Intuitivement, pour fK(X)×,vY(f)
représente l’ordre d’annulation de fle long du diviseur Y.
Remarque 1.4. Soit fK(X)×et Uun ouvert affine de Xtel que
fΓ(U)et UY6=. Alors vY(f)>0. En effet OX,Y est alors à une
localisation de Γ(U), et donc fest dans OX,Y . Si en outre on suppose
fΓ(U)×,fest inversible dans OX,Y , donc vY(f)=0.
Lemme 1.5. — Soit fun élément non nul de K(X). Alors l’ensemble
{YX(1), vY(f)6= 0}est fini.
Démonstration. Soit Uun ouvert affine non vide de Xtelle que f
Γ(U)×(prendre un ouvert affine Vnon vide de X, écrire f=g
havec
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get hrégulières et non nulles sur V; on peut alors prendre U=Vg h).
L’ensemble {YX(1), Y U=}est fini (note au lecteur : pourquoi ?).
Si YU6=, d’après la remarque 1.4 on a vY(f) = 0.
Ce lemme permet d’associer à fK(X)×un diviseur de Weil, à savoir
div(f)déf
=X
YX(1)
vY(f)Y
Remarque 1.6. — La notation div(f)est ambiguë car K(X)repré-
sente le corps des fractions d’autres variétés normales irréductibles que
X(ne serait-ce que tous les ouverts non vides de X). On notera donc
souvent, lorqu’il y a risque de confusion, div(f)|Xle diviseur de Weil ci-
dessus. Pour toute variété normale irréductible X0de corps des fractions
K(X), et tout fK(X)×on a donc
div(f)|X0=X
YX0
(1)
vY(f)Y
Exemple 1.7. Même notations que dans les exemples 0.1 et 1.3. Soit
ρΣ(1). On note nρle générateur primitif de ρet vρla valuation discrète
vYρ. Montrer qu’on a vρ(χm) = hm , nρi. En déduire qu’on a
div(χm)|XΣ=X
ρΣ(1)
hm , nρiYρ
et pour tout cône σde Σ
div(χm)|Xσ=X
ρσ(1)
hm , nρiYρ
(il s’agit essentiellement de comprendre pourquoi le support de div(χm)
ne rencontre pas T).
Remarque 1.8. Soit fK(X)×. Alors div(f)>0si et seulement
si fΓ(X)\ {0}. En effet si fΓ(X)\ {0}et YX(1), considérons
un ouvert affine Ude Xqui rencontre Y. D’après la remarque 1.4, on
avY(f)>0. Réciproquement, soit fK(X)×tel que div(f)>0. Soit
YX(1) tel que UY6=et pYl’idéal premier de Γ(U)correspondant.
Comme vY(f)>0,fest dans OX,Y
Γ(U)pY. Ainsi on a
f∈ ∩
YX(1), Y U6=Γ(U)pY.
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On en déduit que fΓ(U)(donc le résultat voulu) en utilisant le
deuxième point de le remarque 1.1 et le résultat d’algèbre commuta-
tive qui suit : si Aest un anneau intègre intégralement clos noethérien,
on a
A=
pSpec(A)(1)
Ap
Spec(A)(1) est l’ensemble des idéaux premiers de hauteur 1de A(ce
qui signifie que le seul idéal premier qu’ils contiennent strictement est
l’idéal nul).
Exercice 1.9. Vérifier que le raisonnement précédent montre égale-
ment que div(f) = 0 si et seulement si fΓ(X)×.
L’application f7→ div(f)est clairement un morphisme du groupe
K(X)×vers le groupe Div(X), de noyau Γ(X)×d’après la remarque pré-
cédente. Son image div(K(X)×)est le sous-groupe des diviseurs de Weil
principaux. Le groupe des classes de diviseurs de Weil de Xest le quo-
tient de Div(X)par le sous-groupe div(K(X)×). On le note ClDiv(X).
Deux diviseurs de Weil Det Esont dits linéairement équivalents (nota-
tion DE) s’ils ont même image dans ClDiv(X), en d’autres termes si
leur différence est un diviseur de Weil principal.
Exercice 1.10. Soit X=Pn. Montrer que les diviseurs de Weil ir-
réductibles sont les fermés de la forme Vproj(F)Fest un polynôme
homogène non constant irréductible, unique à multiplication par un in-
versible près. Le degré est d’un tel diviseur est alors par définition le degré
de F. Montrer qu’un tel diviseur est équivalent au diviseur deg(F)H, où
Hest un hyperplan projectif. On définit plus généralement le degré d’un
diviseur de Weil sur Pnpar deg(D)déf
=PvY(D) deg(Y). Vérifier qu’un di-
viseur principal a un degré nul, en déduire que l’application D7→ deg(D)
induit un isomorphisme du groupe ClDiv(Pn)sur Z.
Exemples 1.11. 1. Soit Xune variété algébrique affine telle que
Γ(X)est factorielle. Alors ClDiv(X)est trivial. En effet tout divi-
seur de Weil irréductible est de la forme Y=V(f)fest irré-
ductible ; la valuation vYest alors la valuation f-adique sur K(X)
et on a div(f) = Y.
2. La remarque qui précède s’applique en particulier à tout espace af-
fine Anainsi qu’à tout tore Gn
m. On en déduit que tout diviseur
de Weil d’une variété torique est linéairement équivalent à un élé-
ment du groupe DivT(XΣ). En effet soit Dun diviseur de Weil
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irréductible. Si DT6=, comme ClDiv(T)est trivial, on peut
écrire DT= div(f)fK(T)×=K(X)×. Ainsi le diviseur
Ddiv(f)a son support dans X\T=ρΣ(1)Yρ.
Exercice 1.12. 1. Soit fK(XΣ)×tel que div(f)DivT(XΣ).
Montrer que f=α χmpour un certain mNet un certain
αk×. En déduire l’existence d’une suite exacte
NDivT(XΣ)ClDiv(XΣ)0
où la flèche de gauche envoie msur PρΣ(1) hm , ρiYρ. Quand la
flèche de gauche est-elle injective ?
2. Retrouver le fait que ClDiv(An) = 0 et que ClDiv(Pn)
Z.
3. Soit Bnl’éclatement de Pnen un point. Montrer que ClDiv(Bn)
Z2et qu’une base de ClDiv(Bn)est constituée des classes du diviseur
exceptionnel et de la transformée stricte d’un hyperplan de Pn.
4. Soit σle cône engendré par (1,0) et (1,2). Montrer que ClDiv(Xσ)
est cyclique d’ordre 2. Décrire un générateur.
On suppose à présent que X=Cest une courbe lisse. Si Dest un
diviseur de Weil sur X, on pose
deg(D)déf
=X
PX
vP(D).
Il est clair qu’on définit ainsi un morphisme surjectif deg : Div(C)Z.
Théorème 1.13. — On suppose Cprojective. Soit fK(C)×. Alors
deg(div(f)) = 0. En d’autres termes le morphisme deg : Div(C)Z
se factorise à travers ClDiv(C)
En termes informels, ce théorème dit qu’une fonction rationnelle sur
une courbe projective et lisse a autant de zéros que de pôles lorsqu’on
les compte avec leur multiplicité. Dans le cas où Cest plane, c’est-à-
dire est un fermé de P2, ce résultat est une conséquence du théorème de
Bézout. On renvoie à Perrin, VII, §2 ou à Fulton, §8.1 pour les détails
(attention, contrairement à ce qu’affirme Perrin, Fulton ne traite que le
cas d’une courbe plane). Pour une démonstration générale, on pourra
consulter l’ouvrage d’Harthsorne Algebraic geometry, partie II.6, section
Divisors on curves. L’idée est de se ramener au cas de P1en utilisant
un morphisme fini CP1et en étudiant le comportement du degré
vis-à-vis d’un tel morphisme.
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