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L’imbroglio documentaire a forcé l’adoption d’une approche historique.
L’analyse de l’évolution chronologique de ces concepts et de leurs
opérationnalisations successives s’avère nettement plus porteuse que ne
l’aurait été leur confrontation statique car l’odyssée de ces deux concepts
s’étale sur un demi-siècle.
ÉVOLUTION DES DEUX CONCEPTS DEPUIS CINQ DÉCENNIES
Les années cinquante
Bien que la notion de climat de travail soit pour ainsi dire inconnue
dans les années ‘50, c’est à cette époque que le cadre conceptuel qui
marquera son développement ultérieur fut formulé par Lewin. D’abord,
l’idée de climat prit racine dans les expérimentations de ce chercheur qui
avait suscité des climats sociaux artificiels — les célèbres climats
autocratiques, démocratiques et laisser-faire — auprès de groupes
d'écoliers et avait soigneusement noté les comportements qui en
découlaient (Lewin, 1951; Lewin, Lippit et White, 1939). Cette expérience
confirmait la justesse de la formule C = f (P × E) selon laquelle le
comportement (C) est fonction de la personne (P) en interaction avec
l'environnement (E) dans lequel elle se trouve. En modifiant le E, il est
théoriquement possible d’orienter dans un sens donné les comportements
de la majorité des individus vivant sous l'emprise du E. Évidemment,
l’intensité du changement des conduites individuelles variera d'un individu à
l'autre, car le facteur P modulera les effets du E, mais dans l'ensemble les
nouveaux comportements iront plus ou moins dans la même direction
(Brunet et Savoie, 1999).
Cette équation C = f (P × E) s'avère un outil analytique puissant pour
comprendre et, ultérieurement, changer les conduites des individus à
l’intérieur de systèmes sociaux. Elle comporte cependant un postulat
restrictif. En effet, elle présume que le monde social peut se diviser très
nettement entre comportements, personnes et environnement, que la
personne peut être considérée séparément du contexte social dans lequel
elle évolue, que la direction de l’influence est unidirectionnelle, i.e.,
l’environnement peut influencer la personne mais non pas la personne,
l’environnement (Denison, 1996). Cela signifie que les travailleurs soumis à
cette analyse du champ de force sont considérés comme œuvrant dans un
climat donné mais ne le créant pas. La notion d’interaction entre l’individu
et son environnement social n'est pas prise en compte dans l’équation de
Lewin, (bien que Lewin ne refusât ni ne niât l’existence d’une telle
interaction). C’est pourquoi la majeure partie des études qui seront
publiées sur le climat de travail s’appuie sur la saisie des caractéristiques
de l’environnement de travail pour prédire et/ou changer les conduites
individuelles et organisationnelles.