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Revue québécoise de psychologie, vol. 21, n° 3, 200 0
CLIMAT ORGANISATIONNEL ET CULTURE
ORGANISATIONNELLE : APPORTS DISTINCTS OU
REDONDANCE?
André SAVOIE
1
Luc BRUNET
2
Université de Montréal Université de Montréal
Résumé
Cet article a pour objet, en retraçant l’évolution historique du climat et de la culture
organisationnels au cours des cinquante dernières années, de mettre en lumière leurs
différences et leurs similitudes. Cette recherche origine des interrogations que suscite une
certaine tendance contemporaine à assujettir le climat à la culture. Qu’en est-il vraiment?
Mots clés : climat, culture, organisation, concept
Cet article a pour objet, en retraçant l’évolution historique du climat de
travail (organizational climate) et de la culture organisationnelle
(organizational culture) au cours des cinquante dernières années, de
mettre en lumière leurs différences et leurs similitudes. Le déclencheur de
cette démarche a été la tendance contemporaine à assujettir le climat à la
culture que se soit par assimilation du climat à la culture, ou encore, par
l’attribution au climat du statut de manifestation ou d’artefact de la culture.
Le maintien ou non de distinction entre culture de l’organisation et
climat de travail n’est pas sans incidence. Jusqu’à récemment, les
représentations de ces réalités sociales différaient, leurs
opérationnalisations également, de même que la façon de les
appréhender. Leurs rôles lors d’un diagnostic organisationnel ou d’une
intervention de changement organisationnel se distinguaient aussi. Qu’en
sera-t-il désormais? Sans a priori, les auteurs ont cherché à savoir ce
qu’une recension de la documentation apporterait comme réponse.
1. Département de psychologie, Université de Montréal, C.P. 6128, Succ. Centre-ville,
Montréal (Québec), H3C 3J7.
Courriel : [email protected], tel. (514) 343-2342
2. Sciences de l’éducation, Université de Montréal, C.P. 6128, Succ. Centre-ville, Montréal
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180 RQP, 21(3)
L’imbroglio documentaire a forcé l’adoption d’une approche historique.
L’analyse de l’évolution chronologique de ces concepts et de leurs
opérationnalisations successives s’avère nettement plus porteuse que ne
l’aurait été leur confrontation statique car l’odyssée de ces deux concepts
s’étale sur un demi-siècle.
ÉVOLUTION DES DEUX CONCEPTS DEPUIS CINQ DÉCENNIES
Les années cinquante
Bien que la notion de climat de travail soit pour ainsi dire inconnue
dans les années ‘50, c’est à cette époque que le cadre conceptuel qui
marquera son développement ultérieur fut formulé par Lewin. D’abord,
l’idée de climat prit racine dans les expérimentations de ce chercheur qui
avait suscité des climats sociaux artificiels les célèbres climats
autocratiques, démocratiques et laisser-faire auprès de groupes
d'écoliers et avait soigneusement noté les comportements qui en
découlaient (Lewin, 1951; Lewin, Lippit et White, 1939). Cette expérience
confirmait la justesse de la formule C = f (P × E) selon laquelle le
comportement (C) est fonction de la personne (P) en interaction avec
l'environnement (E) dans lequel elle se trouve. En modifiant le E, il est
théoriquement possible d’orienter dans un sens donné les comportements
de la majorité des individus vivant sous l'emprise du E. Évidemment,
l’intensité du changement des conduites individuelles variera d'un individu à
l'autre, car le facteur P modulera les effets du E, mais dans l'ensemble les
nouveaux comportements iront plus ou moins dans la même direction
(Brunet et Savoie, 1999).
Cette équation C = f (P × E) s'avère un outil analytique puissant pour
comprendre et, ultérieurement, changer les conduites des individus à
l’intérieur de systèmes sociaux. Elle comporte cependant un postulat
restrictif. En effet, elle présume que le monde social peut se diviser très
nettement entre comportements, personnes et environnement, que la
personne peut être considérée séparément du contexte social dans lequel
elle évolue, que la direction de l’influence est unidirectionnelle, i.e.,
l’environnement peut influencer la personne mais non pas la personne,
l’environnement (Denison, 1996). Cela signifie que les travailleurs soumis à
cette analyse du champ de force sont considérés comme œuvrant dans un
climat donné mais ne le créant pas. La notion d’interaction entre l’individu
et son environnement social n'est pas prise en compte dans l’équation de
Lewin, (bien que Lewin ne refusât ni ne niât l’existence d’une telle
interaction). C’est pourquoi la majeure partie des études qui seront
publiées sur le climat de travail s’appuie sur la saisie des caractéristiques
de l’environnement de travail pour prédire et/ou changer les conduites
individuelles et organisationnelles.
181
En ce qui concerne la culture organisationnelle, deux auteurs ouvrent
la voie à ce futur champ de recherche et d'intervention. Jaques (1951), à la
suite d’une étude en profondeur dans une manufacture de roulements à
billes, constate que la « culture d’une entreprise est le mode habituel et
traditionnel de penser et d’agir partagé plus ou moins par tous ses
membres et que les nouveaux membres doivent apprendre, et accepter au
moins partiellement, pour être intégrés dans cette organisation » (p, 251).
Jaques mettait l'accent sur l'internalisation de la culture organisationnelle
comme condition essentielle à l'établissement de relations
interpersonnelles et professionnelles efficaces. Indépendamment des
travaux de Jaques, Selznick développe en 1957 une conception de la façon
dont les organisations peuvent générer des dimensions affectives, acquérir
un « caractère », une idéologie et une compétence distinctives et susciter
l’identification et l’engagement de leurs membres. Cet auteur soulignait
particulièrement la fonction téléologique (orientation et mobilisation) de la
culture résultant de ses caractéristiques émotivo-rationnelles distinctives.
Les travaux de ces pionniers de la culture organisationnelle ne trouveront
toutefois pas d’écho véritable au cours de cette décennie.
Les années soixante
Les années soixante furent particulièrement fécondes pour le climat de
travail. Introduit en 1960 par Gellerman, ce concept référait
métaphoriquement aux conditions météorologiques et à la température
physique et, socialement, à l’atmosphère prévalant dans un milieu donné.
En 1967, à la suite de travaux s’échelonnant sur un quart de siècle, Rensis
Likert publie l’ouvrage The Human Organization qui a fondé
scientifiquement l’existence, la définition, la mesure, les rôles et les effets
du climat de travail.
Dans la ligne de pensée de Lewin, le climat a été conçu comme
quelque chose de mesurable et d'influent sur les conduites individuelles et
organisationnelles en dépit de divergences quant à la manière de
l'appréhender et conséquemment de le mesurer. Ces divergences se
répartissaient en trois écoles de pensée (Tagiuri et Litwin, 1968), lesquelles
adhèrent toutefois à l’idée que le climat n’est confirmé que s’il est reconnu
par une portion substantielle de la population à l’étude. Ainsi, le climat de
travail a été conceptualisé comme étant soit un ensemble de conditions
structurelles auquel est soumis objectivement un groupe d’acteurs (mesure
multiple d’attributs organisationnels objectifs), soit un ensemble de
réactions communes d'acteurs (mesure perceptuelle des attributs
individuels), soit un ensemble de perceptions partagées par un groupe
d’acteurs en regard à des processus fonctionnels de l'organisation
auxquels ils sont confrontés (mesure perceptuelle des attributs
organisationnels).
182 RQP, 21(3)
Le climat comme configuration d’attributs organisationnels objectifs
Identifiée aussi comme une « conception structurelle » (Schneider et
Reichers, 1983), cette approche considère le climat comme un objet
existant en soi, en tant que caractéristique ou attribut appartenant à
l’organisation. Cette école de pensée présume que le climat
organisationnel résulte du fait d'être collectivement exposé à des conditions
objectives communes telles la taille de l’entreprise, le degré de
centralisation, le nombre de paliers hiérarchiques, le type de technologie
utilisée, le degré de formalisation. De nos jours, on considère que la
contribution de cette approche fut de mettre l’accent sur les déterminants
structurels du climat (Brunet et Savoie, 1999; Payne et Pugh, 1976). À cet
effet, les recherches de Lawler, Hall et Oldham (1974) ont confirmé
l’existence de liens prévisionnels entre des caractéristiques structurelles
d'une organisation et le climat de travail perçu.
Le climat comme réaction commune d'acteurs
Selon cette approche dite subjective, l’individu interprète et répond à
des variables situationnistes d’une manière qui lui est avant tout
psychologiquement signifiante, et non sur la seule base de conditions
externes objectives. À ses débuts, cette mesure du climat s'apparentait
fortement à celle de la satisfaction. Plus tard, Joyce et Slocum (1984) ont
mis en évidence des « climats collectifs », i.e., des groupes d’individus
n’appartenant pas aux mêmes unités administratives mais partageant
quand même un vécu comparable au travail. Cette similitude est expliquée
par le biais de la personnalité à l’effet que des individus semblables en
termes de personnalité, bien qu’exposés à des conditions objectives
différentes, peuvent vivre des expériences comparables (Brunet et Savoie,
1999). Ces climats sont dits collectifs ou psychologiques en ce sens qu'ils
rendent compte d'un vécu actuel commun à plusieurs individus peu importe
leur localisation dans l'organisation ou les organisations. Ainsi les individus
méfiants risquent de percevoir l’environnement menaçant qu’ils soient
dans l’organisation et que cet environnement soit réellement menaçant ou
non.
Le climat comme perception commune d'attributs organisationnels
Dans cette optique, le climat apparaît comme « un ensemble d'attributs
de l'organisation décrivant la relation entre les acteurs et l'organisation telle
que mesurée par la perception que se font la majorité des acteurs de la
façon dont ils sont traités et gérés » (Roy, 1989, p. 34). Les acteurs de
l’organisation s’appuient naturellement sur ces caractéristiques pour
décrire le climat prévalant dans leur milieu de travail, c’est-à-dire le degré
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d’autonomie, la considération manifestée au travail, la façon de mobiliser
les personnels, etc. Cette approche reconnaît aux attributs
organisationnels objectifs un rôle de déterminants du climat (approche
structurelle) et à la personne, un rôle de modérateur de la perception du
climat (approche subjective), mais que c’est de la similitude des
perceptions quant à la façon d’être traité que jaillit le climat de travail.
Les années soixante-dix
Rien de particulier durant cette décennie en ce qui concerne le climat
de travail, si ce n’est la confirmation de la prédominance de l’approche
perceptuelle des attributs organisationnels et la multiplication des
opérationnalisations de cette mesure perceptuelle. En 1983, Brunet en
recense plus d’une quinzaine. Dans ces questionnaires, le nombre de
dimensions retenues pour mesurer le climat de travail varie selon les
auteurs de 4 à 15. Ces dimensions ont la caractéristique commune d’être
des perceptions partagées quant à la façon d'être traité dans l’organisation,
que ce soit par les autres membres ou par les dispositifs de l’organisation.
Toutefois, un ensemble de dimensions clés réapparaissent plus
fréquemment dans les typologies (Brunet et Savoie, 1999; Roy, 1989).
- Le degré d'autonomie au travail
- Le degré de contrôle sur son propre travail
- La qualité de l'environnement physique immédiat
- La considération et le respect au travail
- La qualité des relations intergroupe
- Les modalités de mobilisation
Les instruments de mesure conçus durant cet âge d’or du climat de
travail mesurent des éléments appartenant à l’univers expérienciel de
l’emploi, c’est-à-dire cette « bulle » qui entoure tout titulaire de poste, quel
que soit son niveau hiérarchique. Elle est composée des responsabilités et
tâches qui lui sont confiées, de l’entourage humain avec lequel il transige,
de l’environnement physique et technologique dans et par lequel il produit.
La qualité des relations qui s’établissent entre le titulaire du poste et ces
trois composantes de l’univers de l’emploi indique au titulaire comment il
est traité. Et lorsqu’une majorité de travailleurs dans une unité donnée a
une perception similaire de la façon d’être traité, alors émerge un climat de
travail, ou à tout le moins un micro-climat, car il est partagé et représentatif
de ce que ces gens vivent au travail.
Durant cette décennie, le climat de travail va paisiblement son chemin.
Partie intégrante de la plupart des diagnostics organisationnels, il est
considéré de plus en plus comme une condition préalable au succès des
transformations organisationnelles d’envergure. De plus, aucune autre
notion concurrente de calibre organisationnel ne menace son hégémonie.
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