RTP Epigénétique en Ecologie et Evolution (RTP3E) Dec. 1, 13
tendance générale à simplifier les formulations en réduisant l’hérédité à la seule transmission d’informations
génétiques (au sens classique de la transmission d’allèles selon les lois de la génétique Mendélienne), même s’il
était reconnu qu’il s’agissait là d’une simplification qu’il faudrait un jour dépasser. De ce fait, la vision
classique actuelle, telle que véhiculée par tous nos livres de cours, est que l’information transmise est
essentiellement de nature génétique à l’exception des effets parentaux qui ont suscité un certain intérêt depuis
la fin des années 1980s. Selon cette vision, seule l’information codée dans la séquence de l’ADN serait héritée
sur plusieurs générations et donc soumise à sélection. Il est maintenant temps de dépasser cette vision qui a
cependant permis les innombrables progrès que l’on connaît dans la compréhension de l’hérédité.
Les évolutions actuelles
L’hérédité génétique n’explique pas tout. En particulier, diverses approches ont, depuis maintenant au moins
quatre décennies, apporté des arguments forts montrant l’existence de nombreux types d’information ne
reposant pas sur une modification de la séquence de l’ADN mais qui sont pourtant clairement héritées et
héritables entre générations. Les domaines scientifiques ayant apporté de tels arguments sont assez nombreux,
que ce soit l’hérédité culturelle (ou héritage social incluant l'influence d'individus non parents dans les groupes
sociaux avec recouvrement des générations; les premiers articles remontent à la fin des années 1970), l’hérédité
écologique en relation avec le phénomène de construction de niche (domaine qui s’est fortement développé
durant les deux dernières décennies), les effets parentaux (dont la fonction évolutive première est bien de
transmettre des informations à la descendance de façon à les préparer aux conditions environnementales qui
prévalent à ce moment là) et, plus récemment, la transmission intergénérationnelle des marques épigénétiques
(i.e. des modifications héritables de l’expression de l’information génétique; domaine en explosion depuis le
milieu des années 2000; pour des revues sur ces sujets, voir (3, 14, 20, 24, 25)), ainsi que l’hérédité résultant de
la transmission verticale des symbiontes transmis, processus bien décrit chez les insectes, dans l’hérédité
inclusive (26, 27).
L’originalité de la situation actuelle est dans l’avènement de développements technologiques majeurs
permettant d’aborder des questions jusque là inaccessibles. Il devient maintenant possible de distinguer
l’information génétique (véhiculée dans la séquence de l’ADN) de l’information épigénétique héritable (dont
une partie est véhiculée dans les patrons de méthylation de l’ADN, l’état des histones et par les ARN non-
codants). De plus, la qualité des expériences faites pour étudier les processus fins d’hérédité (impliquant par
exemple des adoptions croisées, ou des expériences fines de laboratoire comme l’évolution expérimentale)
permet de distinguer des voies mécanistiques d’hérédité autrefois techniquement indiscernables, et d’étudier
leurs interactions. De ce fait, le débat dans ce domaine s’amplifie (par exemple voir le débat sur la publication
de Russell Bonduriansky « Rethinking heredity, again » dans Trends in Ecology and Evolution, 2013).
Aujourd'hui, un des grands défis des sciences de l’écologie et de l’évolution n’est pas tant d’accepter
l’existence d’une part non génétique à l’hérédité, mais plutôt d’étudier comment cela peut changer les
dynamiques écologiques et évolutives, au point que cela devrait nous conduire à élargir notre vision de
l’hérédité et de l’évolution en une vision pluridimensionnelle. Une telle reconnaissance passera par une
nécessaire étape de quantification de l’importance de la composante non-génétique de l’hérédité. Les
écologistes de l’évolution, en synergie avec les biomolécularistes de l’épigénomique, les biologistes du
développement et ceux de la reproduction, ont une place importante à jouer dans la compréhension de ces
processus. Il faut souligner ici que cela ne remet pas en cause la synthèse moderne mais l’élargit ─ ou la
généralise ─, un peu comme la relativité n’a pas contredit la théorie Newtonienne mais l’a largement
généralisée de façon a intégrer des situations jusqu’alors non explicables.
État des lieux et atout de la communauté française
Dans un article d’opinion sur les faits marquants du dernier congrès de la "European Society of Evolutionary
Biology" Elisabeth Pennisi a choisi de commenter sur ce qu'elle appelle une 'evolution heresy' (28) (qui
consiste à affirmer que l'hérédité ne se limite pas à sa seule composante génétique). Un point frappant de cet
article d'une page, est que parmi les sept noms de chercheurs qu'elle cite, quatre sont des chercheurs
appartenant à des institutions françaises. Ceci montre à l'évidence que la communauté française est en avance
sur ce front de science et notre objectif dans ce RTP-3E est de rassemble, animer et stimuler cette communauté
pour lui permettre de rester dans cette position de leadership.
Plus généralement, il nous semble que les Instituts du CNRS INEE, INSHS et INSB ont un rôle stratégique
à jouer pour stimuler la participation des chercheurs français à ce type de recherche de front des sciences. La
question de la composante non-génétique de l’hérédité se situe en effet au carrefour entre plusieurs domaines
des Sciences Biologiques (génétique moléculaire, quantitative et des populations, génomique, épigénétique et