Séquence 1 : L’éducation du XVI° au XVIII° siècle : le meilleur et le pire Séance 3 : Molière, L’Ecole des Femmes, Acte I Scène 1 Vers 123-154, 1662 Support : Extrait de l’Acte I Scène 1 Vers 123-154, L’Ecole des Femmes, Molière, 1662 Introduction : Jean-Baptiste Poquelin, appelé Molière, naît en 1622 à Paris et est le fils du tapissier du roi. Il fait de solides études au collège jésuite de Clermont puis fait des études de droit. Cependant, il renonce à une carrière juridique et à la succession de son père : il préfère le théâtre. En 1643, il fonde l’Illustre Théâtre avec Madeleine Béjart mais ils n’ont pas de succès. Ils quittent Paris et sillonnent la France. De retour à Paris, c’est le triomphe des Précieuses Ridicules en 1659 qui consacre le génie de Molière (auteur, metteur en scène…). En 1662, première représentation de L’Ecole des Femmes, qui inaugure le cycle des Grandes Comédies de Molière, mais qui suscite aussi des réactions hostiles qui vont se multiplier avec Tartuffe et Dom Juan. Par la suite, Molière se consacre à des comédies proches de la farce, mais aussi à des comédies-ballet. Il meurt en 1673, à la suite d’une représentation du Malade Imaginaire. Le texte est issu de L’Ecole des Femmes, acte I, scène 1, vers 123-154. On est donc dans la scène d’exposition. Arnolphe, roche bourgeois, parle à son ami Chrysalde. Il est âgé de 42 an et ne supporte ni le cocuage, ni l’émancipation qui apparaît sous l’influence des Précieuses (la préciosité est d’abord un art de vivre qui cultive le raffinement des comportements, des idées et du langage. Elle comporte une nouvelle doctrine amoureuse : la femme y joue un rôle privilégié, apparait comme une divinité inaccessible que le parfait amant conquière peu à peu. Apogée : 1650-1660. En littérature, la préciosité privilégie la subtilité de la pensée et la recherche de l’effet). Il rêve d’une femme parfaitement fidèle et soumise à sa volonté. Dans cette tirade, il s’adresse à Chrysalde. Il lui présente sa méthode d’éducation mise en œuvre afin d’obtenir une femme selon ses désirs et éviter les risques du cocuage. Problématique : En quoi cette scène d’exposition est-elle une caricature d’éducation ? Axes de lecture : 1. Un maître odieux 2. Une éducation très spéciale 3. Une dénonciation véhémente I- Un maître odieux 1) L’égoïsme d’Arnolphe Nombreuses occurrences de la première personne du singulier « je » (sujet) et « me » (COD). En 32 vers, ce pronom personnel est employé 20 fois, dont 7 fois à l’initiale du vers. Arnolphe est le principal thème de la tirade alors qu’il s’agit de l’éducation d’Agnès. Le verbe « vouloir » encadre la tirade (vers 2 et 31) comme Agnès a été encadrée par Arnolphe. « Je crois » (v. 3), « ordonnant » (v. 15) expriment l’autoritarisme d’Arnolphe et soulignent son égoïsme. Tout a été planifié durant 13 ans. L’autoritarisme est souligné par les termes désignant l’éducation : « méthode », « mode », « politique », ayant pour but de ne pas être un mari cocufié par son épouse. « Politique » indique la planification et la dépendance d’Agnès. Cela a donc pour but de « la rendre idiote autant qu’il se pourrait » et de « [lui] faire une femme au gré de [son] souhait ». Il a pu parvenir à cela grâce à son argent. 2) Un riche bourgeois « Je me vois riche assez… » : Grâce à sa fortune, il a acheté une enfant « de pauvreté pressée », comme un vulgaire bien de consommation. Il l’a ensuite façonnée à son gré durant treize ans. Il l’a « mise à l’écart » dans sa seconde maison, où se trouvent des domestiques « aussi simples qu’elle » Il paye pendant treize années son éducation « dans un petit couvent, loin de toute pratique ». Cet emprisonnement dans le couvent se perpétue dans sa seconde maison II- Une éducation très spéciale 1) Les précautions d’Arnolphe Si Agnès avait eu de l’argent, elle aurait pu reprocher à Arnolphe la dot qu’elle lui aurait apporté et d’avoir été contrainte d’épouser un homme moins riche qu’elle. Arnolphe veut une femme « idiote » : la diérèse (prononciation en deux syllabes distinctes de deux voyelles consécutives habituellement prononcées en une seule syllabe) attire l’attention sur un mot important ; ce mot est également situé à la césure (séparant le vers en deux hémistiches). « Innocente » (v. 18) est mis en valeur par sa présence à la rime. C’est une sorte de simplicité et de naïveté proche de l’ignorance. Il l’obtient par l’isolement intellectuel et moral d’Agnès. Agnès a d’abord été achetée « dès 4 ans », ce qui implique une stratégie à long terme de la part d’Arnolphe. Il a réussi à faire cela grâce à sa fortune, mais également grâce au soutien de la religion, mettant en œuvre ses principes d’éducation. Il remercie la religion : « Dieu merci », « béni le Ciel » de l’avoir secondé dans l’éducation d’Agnès. Après cela, Agnès arrive en ville mais son isolement continue : elle est « mise à l’écart » (v. 23). Champ lexical de l’emprisonnement : « mise à l’écart » (v. 23), « autre maison où nul ne vient me voir » (v.24). Arnolphe s’accapare Agnès et tient à garder la totale exclusivité. 2) Le mépris d’Arnolphe pour Agnès Il parle d’elle comme un bien de consommation. Il ne la désigne jamais par son prénom et parle d’elle par les pronoms de la troisième personne du singulier dans des phrases où « je » est le sujet. Il agit en tant que maître et Agnès est réduite à l’état d’objet, dépendant d’Arnolphe. Il veut la façonner. Il emploie des périphrases peu flatteuses désignant Agnès : « une moitié qui tienne tout de moi » (v. 4), « cette charge » (v. 12), « mon fait » (v.19), « mon choix (v.32), « le résultat » (v. 29). Rime entre « fait » et « souhait » (v. 19-20). Chrysalde est invité à voir le résultat « en ami fidèle » (v. 29). III- Une dénonciation véhémente 1) Un personnage tyrannique et calculateur Arnolphe pense avoir tout mis en œuvre pour se former une épouse idéale (v. 3-6 ; v. 23-27 ; v. 13-14). Se marier avec une femme ignorante lui permettrait de se prémunir contre l’infidélité. Le danger, ce sont les autres : « cent sortes de mondes » (v. 22) dont la fréquentation pourrait corrompre Agnès, c’est pour cela qu’elle est isolée totalement. Arnolphe ne cesse d’accentuer son discours sur ce point clef. « Je n’y tiens que des gens tout aussi simples qu’elle » (v. 26) Restriction : il ne fait pas entrer n’importe qui. Comparatif d’égalité. Arnolphe parle de sa « précaution » (v. 28) : diérèse qui allonge le mot et sa place à la fin du vers accentue également ce mot. 2) Un personnage ridicule Arnolphe n’est pas le porte-parole de Molière. Arnolphe est prétentieux et sûr de lui. Dès cette scène d’exposition, Molière dévalorise la théorie d’Arnolphe : traits grossis (caricature de monomaniaque). Arnolphe est ridicule car il garde Agnès par de moyens ridicules, l’éducation devrait permettre l’épanouissement. La prétention d’Arnolphe (« j’ai trouvé la solution ») le rend également ridicule et comique. L’inversion totale des valeurs (l’idiotie est ici présentée comme une qualité) fait rire le spectateur. Arnolphe dit avoir réussi là où tout le monde a échoué. Il a créé une « créature » à son image, il se prend pour Dieu. Cette créature devra être dévouée corps et âme à son Seigneur et Maître. Deux occurrences du verbe « faire » : « fis élever » (v. 14) et « faire une femme » (v. 20). Abondance des verbes d’action dont « je » est le sujet.