Les systèmes de santé français et anglais: évolution

DOSSIER
Santé publique2002,volume 14,no1,pp. 47-56
Les systèmesde santé
françaisetanglais:
évolution comparée
depuisle milieudesannées90
The Frenchand British healthcaresystems:
a comparison of theirevolution
sincethe mid-1990s
L.Laplace(1), B.Kamendje, J.Nizard, J.M.Coz, J.Chaperon
Résu:Les systèmesde soinsanglaisetfrançaisontfaitl’objetcesdernières
annéesd’importantes réformes,dans uncontexte de crise,motivéesentreautresen
France parle taux de croissance desdépensesde santé eten Angleterre pardes
dysfonctionnements dontleslistesd’attente. Après une description descarac-
téristiquesactuellesduNationalHealthService (NHS), certainspoints de convergence
etde divergence de politiquerespectivesdesdeux pays serontévoqués:
convergencesdeschoixde priorités,laconcentration descisions,lanégociation
entreacteurs locaux,le développementduconceptde qualité,lesdivergencesde
formulation desobjectifsetd’implication des usagers.Cetteapproche permettrade
mieux comprendre l’élaboration de cespolitiquesetleurs évolutions.
Summary :Inthe recentpast,the Britishand French healthcaresystemshaveboth
undergone significant reforms,enveloped in astate of urgency,resulting primarilyin
France from the increasing rate of growth in health expenditureand in England from
malfunctioning procedures suchas waiting lists.Afterdescribing currentfeaturesof the
NationalHealthService (NHS),this studyextracts and considers the points of
convergenceand divergence in the respective policiesof the twocountries:similaritiesin
the choice of priorities,decentralisation of decision-making,negotiation between actors at
the local level,developmentof the quality concept, and the differencesin formulating
objectivesand involving the system’s users.The considerationsprovided hereshould
allowfora better understanding of the developments of theserespective health policies
and theirfuture evolution.
Mots-cs:système de santé - politique de santé - acteurs de santé - usagers, France-
Royaume-Uni.
Key words:healthcaresystem - health policy- healthcareworkers -users.
Tiréàpart :L.LaplaceRéception :07/08/2000 -Acceptation :15/01/2002
PRATIQUES
(1) Faculté de médecine de RennesI, Départementde santé publique,2, avenue duProfesseur Léon-
Bernard,35000 Rennes.
L.LAPLACE, B.KAMENDJE, J.NIZARD, J.M.COZ, J.CHAPERON
Lesystème de santébritannique,
le «NationalHealthServic(NHS),
fondé en 1948,est national etfinancé
parl’impôt.Lesprincipesfondateurs
duNHS étaient:l’universalité,lagra-
tuité,l’égalité d’accèsen matre de
soinsetde couverture géographique,
le haut niveaude qualité de soinspour
tous,lasélection sur la base du
besoin,le service non lucratif etle
financementparl’impôtprogressif [2].
Après une vague de déconcen-
tration en 1980et1982qui instaure
successivementdesadministrations
sanitairesdanschaque districtetau
niveau régional,lesannées90ontété
marquéesparlaloi dumarché interne
avecl’achatde soinsdeshôpitaux par
lesadministrations sanitairesde dis-
trictetcertainsmédecinsgénéralistes.
La publication dulivreBlancde 1997a
annoncé lafin dumarché interne qui
laisse progressivementplaceàun
fonctionnementintégré des services
de santé(cf. description ci-dessous).
Quatrecaractéristiques sappli-
quentparticulièrementauNHS :
c’est unsystème en pertuelle
évolution,les réformes sy succèdent
àunrythme rapide et sanscahot
apparent;
–lesdépensesde santéreprésen-
tent 6,5% duProduitIntérieur Brut.
Ce pourcentage reste modeste par
rapport aux autrespays industrialisés,
malgréune augmentation cesder-
nièresannées(8 % en moyenne dans
lespays de l’OCDE [27]). L’investisse-
mentduNHS représente 54,2mil-
liardsde livres[14];
–lesindicateurs de l’étatde santé
de lapopulation britanniquesont simi-
lairesà ceux desautrespays indus-
trialisés[27,7];
–leNHS est le premieremployeur
dupays etlaplupart desbritanniques
restentattacsàleur système.
Lesystème de santé français, créé à
lamême période, a faitquantàlui l’ob-
jetd’une réforme en 1996,plus institu-
tionnelle qu’hospitalière. Avantcette
date,l’intervention de l’Étatétait très
limitée dansle champ de lasanté. Elle
consistaitàlagestion desétablisse-
ments publics,garantissant«àtous la
protection de lasanté» (constitution
du 27 octobre 1946 relativeàla consti-
tution de la IVeRépublique),etàla
termination desprincipesfonda-
mentaux de lasécuritésociale (consti-
tution du4 octobre 1958). Lesordon-
nancesJuppé de 1996confèrentà
l’État un pouvoirplus important.Dans
unbut de maîtrise desdépensesde
santé,le parlement voteapriorile bud-
getde l’assurance maladie,etpar
conséquent,desétablissements.Ce
dernierbudgetest versésous forme
d’enveloppe non extensible. La réfor-
me renforce lacentralisation du
pouvoircisionnel auniveau régional
avecnotammentl’instauration des
conférences régionalesde santé et
desagences régionalesd’hospitalisa-
tion. Cesgroupements d’intérêtpublic
regroupentl’assurance maladie et
l’État,et sontcharsde définiret
mettre en œuvre lapolitiquerégionale
de l’offre de soins.
Après une description du système
anglaisactuel etdesmissionsdes
principaux acteurs de santé,desélé-
ments de convergence etde diver-
genceserontaborsafin de mieux
comprendre l’élaboration despoli-
tiquesde santé etlesproblèmes sou-
levésdanschacun desdeux sys-
tèmes.
LeNHS
Le parlement vote le budgetde la
santésous forme d’enveloppe globale
fixée apriorietnon extensible. Le
ministère de la Santé est responsable
de lalégislation etde lapolitique
48
LES SYSTÈMES DE SANTÉ FRANÇAIS ET ANGLAIS :
ÉVOLUTION COMPARÉE DEPUIS LE MILIEU DES ANNÉES 90
générale de lasanté. Il délègue lages-
tion dubudgetaux administrations
régionalesRegionalOffices») qui les
redistribuentensuiteàla centaine
d’administrations sanitairesde sec-
teur (district),les«HealthAuthorities».
Ilvalide lescisionsconcernantles
dépensesmajeuresd’équipementet
lesfermeturesd’hôpitaux.
Lesinstitutions
Le niveau régional est constitué de
8bureaux «RegionalOffices» qui
supervisentlagestion des servicesde
soinshospitaliers etambulatoires.Il
veille àla conformité de lapolitique
locale élaborée parlesadministrations
sanitairesde districtavecl’orientation
nationale. Leur rôle danslaplanifi-
cation est similaireà celui de nos
AgencesRégionalesd’Hospitalisation.
Lesautorités sanitairesde district
couvrentchacune en moyenne 300 à
500 000 personnes.Leurs principales
missions sont:l’élaboration de lapoli-
tique de santé locale etdes stratégies
associées,le recentrage du système
sur l’usagerplutôtquesur lesfournis-
seurs de soinsetladélivrance de ser-
vicesde qualité.
Lesétablissements de soins
Avecles réformes,lesétablisse-
ments publicsde soinsonteulapos-
sibilité de gérereux-mêmesleur bud-
getetleurs investissements, cesont
les«NHS trusts ». Lescontrats de
fonctionnement sontactuellement
passésentre lesadministrations sani-
tairesde secteur etlesTrusts.Les
groupesde médecinsgénéralistes
devraientprendre le relaisdansles
annéesàvenir.Depuisles réformesde
1998, ces trusts doiventmettre en
placeune organisation chargée d’éla-
borer une politiqueconcernantlaqua-
lité des soinsdélivrés,la«clinical
governanc.
Lesecteur privés’est veloppé
cesdernièresannéeset représente
maintenant15 % desdépensesde
santé[14].Lespatients l’utilisent
essentiellementpour lespetits actes
programmablesàl’avanceafin de
limiterlesfilesd’attente.
Lesmédecinsgénéralistes
La densité médicale desmédecins
généralistesest trèsfaible (1 médecin
pour 2000 habitants). Lesmédecins
généralistes sontles seulsmédecins
de ville,les scialistesexercent uni-
quementdanslesétablissements de
soins.
Chaque médecin généraliste
GeneralPractionner») aune «list
de 1500 à2000 personnesen
moyenne. Ilaunrôle de soinsmais
aussi de promotion de lasanté
(consultation contre le tabac, édu-
cation desdiabétiques…). Ilaune
fonction de «gatekeeper»,et régule
de faitl’accèsàlamédecine scia-
lisée. Lespatients doiventd’abord le
consulterpour accéderau scialiste
ouàl’hôpital. Le patientne peut être
prisen charge directementparl’hôpi-
tal que dansle cadre de l’urgence.
Lesmédecins sontessentiellement
rémuréspar«capitation »,versée
parl’administration sanitaire de leur
district.Ilsagitd’unversement tri-
mestriel calculé pour chaque patient
en fonction de l’âge de lapersonne,
le taux de mortalité du secteur,et
desindicateurs socio-économiques
(niveaude pauvreté danslarégion,
chômage…). Lesmédecinsgénéra-
listes sontdoncindépendants,ils
exercentàtitre libéral,sous contrat.
De 1991 à1998,laséparation des
fonctionsd’achatetde vente de soins
apermisàde nombreux généralistes
de devenir«gestionnairesde budget»
pour lesdépenseshospitalières,de
ville etde pharmacie,despatients ins-
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L.LAPLACE, B.KAMENDJE, J.NIZARD, J.M.COZ, J.CHAPERON
crits sur leur liste. Actuellement,la
gestion desfondsest revenueaux
administrations sanitairesde secteur.
L’ensemble desmédecinsgénéra-
listes seregroupentdansdes«Pri-
mary CareGroups», couvrantchacun
100 à200 000 personnes.Une ré-
flexion sur laqualité des soins,l’ho-
mogénéisation despratiquesetl’éla-
boration de protocoles y est menée.
Lesprimary care groupsdoivent se
transformeren «primary caretrusts »
(PCT) etprendre lagestion dubudget
de lapopulation couverte. Dansl’ave-
nir,lesprimary caretrusts devraient
égalementrerles servicesfournis
parles«Community trusts ».
Les«Community trusts »
Les«Community trusts »,publicsou
privés,fontle lien entre les soinsaigus
primaireseffectuésàl’hôpital etceux
desmédecinsgénéralistes[18].Il peut
sagirde structuresde rééducation,de
prisesen charge àdomicile oudans
d’autreslieux de vie. Ces«trusts »
sontconstituésmajoritairementd’in-
firmières,maisaussi de physiotra-
peutes,ergotrapeutes,psycho-
loguesIlsprennenten charge
essentiellementlespersonnesâgées,
leshandicas,lasanté mentale,le
planning familial etles soinsprimaires
en milieu scolaire.
Les usagers
Laccèsaux soinsest toujours gra-
tuitpour le patient,en dehors des
médicaments,des soinsdentaireset
des tests d’acuitévisuelle. Parmi la
population,12% despersonnes sont
couvertespar une assurance maladie
privée [12], quise limitesurtout aux
soinshospitaliers aigus non urgents et
aux consultationsprivéesdes scia-
listes[5].Prèsde 80% des usagers
sontexonérésdu ticketmodérateur
pour lesproduits pharmaceutiques.
Cettecatégorie est constituée de
retraités,femmesenceintesouayant
de jeunesenfants,etde personnesà
faibles revenus [3].
Depuisles réformesde 1991,les
procéduresde changementde mé-
decin généralistesont simplifiées.Le
patientpeut demanderàun nouveau
médecin de l’inscriresur saliste.
Cependant,les transferts desdossiers
etdunom dupatientd’une listeà
l’autrerestentlongsetadministrative-
mentcompliqués.
Les«localauthorities»
Les«localauthorities» ontpour
champ d’action lesbesoins sociaux
de lapopulation,essentiellementceux
desenfants,deshandicasetdes
personnesâgées.Leur rôle en matre
sociale est similaireà celui des
Conseilsgénéraux en France.
Quelquespoints
de comparaison
desdeux approches
etpolitiquesde santé
Aspects de convergence
La cessité d’une réforme
Lesinégalitésde santé déclarées
danschacun desdeux pays,leslistes
d’attente etles scandales réguliers
dénoncésparlapresse en Angleterre,
le dérapage desdépensesde santé en
France ontincitéàdes réformesen
Angleterrecomme en France (décen-
tralisation…).
Lesinégalitésde santésontcompa-
rablesdanslesdeux pays [10,22,28]:
inégalitéshommes-femmes,notam-
menten termesd’esrance de vie
(ex.:lesprobabilitésde décèschezles
15/59 ansen 1999 en France etau
Royaume-Uni étaient respectivement
de 145 et110pour mille hommes
contre63 et 69 pour mille femmes);
inégalitésgéographiquesetenvironne-
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LES SYSTÈMES DE SANTÉ FRANÇAIS ET ANGLAIS :
ÉVOLUTION COMPARÉE DEPUIS LE MILIEU DES ANNÉES 90
mentales(le taux de mortalitévarie de
1à15 selon lescantonsfrançais,
lapollution atmosphérique est sus-
pectée d’êtreresponsable de laréduc-
tion de ladurée de vie de 24000 per-
sonnesparanauRoyaume-Uni) ;
inégalités sociales(surmortalité impor-
tante desouvriers etmauvres, à un
moindre degré desemployés);exis-
tence de populationsfragiliséesou
exclues(immigrés,patients en situa-
tion sociale précaire). Cependant,en
Francecesinégalitésde santé ne sont
pas reprisesparlapresse pour mobili-
serlapopulation comme celaest fré-
quemmentle casen Angleterre.
Desprioritésde santésimilaires
Le gouvernementde TonyBlaira
émisen 1999 quatre prioritésnatio-
nales:lesmaladiescardio-vascu-
laires,le cancer,lesaccidents,le sui-
cide [22].Les troisdernièresont
égalementétéretenuesen France par
lesconférencesnationalesde santé
[6].Cesprioritésfontl’objetde
réflexionsetde lamise en œuvre de
programmeslocaux parlesacteurs de
terrain en Angleterrecomme en
France.
L’incitation auveloppement
de lasanté publique
Danschacun desdeux pays,les
acteurs locaux ontengaune
réflexion pour lamise en place de pro-
grammesde santévisantàdiminuer
lesinégalitésetles«grandspro-
blèmesde santé» rencontrésdansla
population concernée.
EnAngleterre,lesHIMP (Health
ImprovmentMedicalProgram) ras-
semblentautour d’une même théma-
tique médecins, administrations sani-
taires,universitaireset responsables
d’éducation. Cesprogrammes sont
élaborés sous laresponsabilité des
administrations sanitairesde secteur
etconduits sur desfondspublics.Une
évaluation de cesprogrammesest
prévue[22].
EnFrance,lesprogrammes régio-
naux de santé (PRS),sous ladirection
desDRASS (Direction Régionale des
AffairesSanitairesetSociales),ontdes
objectifs similairesmaisleur élabora-
tion etmise en œuvre impliquent
notammentdes représentants d’usa-
gers etdesassociations.Il persiste
cependant un déficitd’informations,
d’outilsetde moyens(financiers etde
temps),pour permettre de faire évoluer
lesgrandsproblèmesde santé dansla
direction souhaitée etprévue parles
tutelles.Le discours de celles-cireste
paradoxal puisqu’ellesmettenten
avantlafaiblesse desoutilsdontelles
disposenteten même tempslagrande
utilité,voire le caractère incontour-
nable etopposable,desprioritésde
santérégulièrement redéfinies.
Une déconcentration
de lapolitique de santé
Lesadministrations sanitaires
de secteur couvrentchacune en
moyenne une population équivalente
àun départementfrançais.Comme
nosDDASS, elles sappuient sur des
acteurs prochesdu terrain pour
répondreaux scificitésdesbesoins
de lapopulation couverte.
La négociation entreacteurs locaux
La structuration de l’offre de soins
hospitalière en Francese faitàtravers
desnégociations vouluesouimpo-
sées,oùlesacteurs locaux jouentun
rôle de premierplansous l’arbitrage
desagences régionalesde l’hospitali-
sation,en fonction desbesoinset
normesdéfinisparl’Etat.LeSROS de
Bretagne [1]metl’accent sur les
conférences sanitairesde secteur :
«Si la communauté d’établissements,
mode de coopération entre lesétablis-
sements publicsn’est pas suffisante,
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