sa v o i rs e t p ra t i q u e s pédagogie Harmonisation de l’enseignement “douleur” dans les Ifsi de BasseNormandie a prise en charge de la douleur Lannées fait déjà depuis plusieurs l’objet de politiques titulaires du diplôme universitaire de prise en charge de la douleur, participent à l’enseignement dans les Ifsi. Mais leurs interventions restent ponctuelles, plus ou moins coordonnées entre elles avec des contenus et des temps d’apprentissage inégaux d’un institut à l’autre. De même, il est fréquemment rapporté des différences notables concernant le niveau des acquis chez les étudiants en fin de cursus et l’utilisation non systématisée des outils d’évaluation par ces derniers. Suite à ces constats et à l’initiative du réseau, un groupe de travail s’est mis en place afin de développer un projet sur l’harmonisation de l’enseignement “douleur” dans les dix Ifsi de la région (voir encadré 2) . En parallèle, le Comité d’entente des formations infirmières et cadres (Cefiec) régional a réalisé un état des lieux de l’enseignement “douleur” dans les Ifsi. Il en a résulté les constats suivants : • enseignement très hétérogène, autant sur la forme que sur le fond; • objectifs pédagogiques peu formalisés ; • évaluation insuffisante des SOiNS CADRES DE SANTÉ -n°62 - mai 2007 ALINE LE CHEVALIER MOTS CLÉS • Douleur • Formation • Institut de formation en soins infirmiers ENCADRÉ 1 Repères ❚ La douleur est une priorité de santé pour plus d’un Français sur deux (54 %). ❚ Les principales causes de la douleur sont la maladie (32 %), les accidents (20 %), la chirurgie (15 %) et les douleurs induites par les examens et les soins (14 %). ❚ Les patients attendent une meilleure information et une meilleure prise en charge médicamenteuse. ❚ Le comité d’organisation des États généraux de la douleur a retenu les propositions concernant le développement de la formation initiale et des pratiques de l’ensemble des professionnels de santé afin d’aboutir à : • l’utilisation d’échelles d’évaluation validées ; • la mise en place de protocoles de prévention de la douleur iatrogène ; • une meilleure connaissance des traitements médicamenteux et non médicamenteux ; • une meilleure prise en charge multidisciplinaire de la douleur chronique. Chiffres nationaux des États généraux de la douleur, extraits du Livre blanc de la douleur, 2003. connaissances et des pratiques. En 2004, le groupe de travail initial s’est élargi, avec la participation de cadres formateurs et d’une directrice d’Ifsi. ▲ publiques successives au niveau national comme régional. ❚ Au niveau national, le 1er plan triennal de lutte contre la douleur, lancé en 1998, visait à instaurer une véritable culture de la douleur en France. Le 2e plan de lutte 2002-2005 a poursuivi l’amélioration de la prise en charge de la douleur et ciblait notamment la pédagogie dans son 3e objectif : « Améliorer l’information et la formation des personnels de santé ». Parallèlement à ce 2e plan, des enquêtes sur la prise en charge de la douleur, menées à l’initiative des États généraux (voir encadré 1) et réalisées au niveau national en 2003, ont mis en évidence que les besoins des patients restent insuffisamment pris en charge, malgré l’intérêt porté à cette problématique. Le 3e plan, en cours depuis 2006, reprend cet objectif dans sa priorité n° 2 : « Améliorer la formation pratique initiale et continue des professionnels de santé pour mieux prendre en compte la douleur des patients ». ❚ Au niveau régional. Depuis sa création en 2001, le Réseau régional douleur en Basse-Normandie (RRDBN) a pour objectif d’améliorer la prise en charge de la douleur. L’un de ses axes de travail est le développement de la formation des professionnels de santé. Chaque établissement participant au réseau désigne un binôme médecin/infirmier référent douleur. Ceux-ci, tous capacitaires ou ❚ Améliorer la prise en charge de la douleur requiert des professionnels de santé engagés, sensibilisés et formés dès la formation initiale ❚ Un projet d’harmonisation de l’enseignement “douleur” dans les dix instituts de formation en soins infirmiers (Ifsi) de Basse-Normandie a été initié par le réseau régional douleur afin de permettre à chaque étudiant en soins infimiers d’avoir accès à une base d’enseignement équivalente sur la prise en charge de la douleur quel que soit son lieu d’apprentissage. 45 sa v o i rs e t p ra t i q u e s ENCADRÉ 2 PRÉCISIONS MISE EN PLACE DU PROJET • La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, précise que « toute personne a le droit de recevoir des soins visant à soulager sa douleur. Celle-ci doit être en toute circonstance prévenue, évaluée, prise en compte et traitée ». La finalité du projet est de proposer des recommandations communes à tous les Ifsi afin que chaque étudiant bénéficie d’un enseignement équivalent en qualité et en quantité, quel que soit son lieu d’apprentissage. ❚ Objectifs. L’enseignement “douleur” doit s’effectuer de façon transversale sur l’ensemble des trois années de formation, en respectant une progression dans l’apprentissage. L’étudiant doit être capable : • de comprendre la douleur en fin de 1re année ; • de prendre en charge une personne douloureuse en fin de 2e année ; • d’accompagner et d’informer la personne douloureuse en fin de 3e année. Le programme de formation, proposé par le groupe de travail, est centré sur les capacités à développer chez l’étudiant, pour lui permettre de « prendre soin d’une personne douloureuse » (voir tableau). • L’article 4311-2 alinéa 5 codifiant la profession infirmière (livre III du Code de la santé publique) rappelle que « les soins infirmiers… ont pour objet… de participer à la prévention, à l’évaluation et au soulagement de la douleur et de la détresse physique et psychique des personnes… ». Il est précisé que « l’infirmier ou l’infirmière est habilité à entreprendre et à adapter les traitements antalgiques, dans le cadre des protocoles préétablis, écrits, datés et signés par un médecin… ». RÉFÉRENCES • Bernard MF, Crestien F, De Sousa A. Prise en charge non médicamenteuse de la douleur. Thérapeutiques physiques. Soins Gérontologie, 2004; 45: 30-4. Approches psychologiques et psychothérapeutiques. Soins Gérontologie, 2004; 46. • Clere F, Josse C, Serra E. Approches psychologiques de la douleur chez la personne âgée. Revue francophone de gériatrie et de gérontologie, 2005; 117. 46 ❚ Conduite des enseignements. Les intervenants du réseau et les Ifsi se sont concertés afin de répartir et de conduire les enseignements sur les trois années de formation selon les projets pédagogiques et les expériences antérieures (éviter de débuter les enseignements par un cours magistral sur la neurophysiopatho- Groupe de travail du projet ❚ Cellule de coordination du réseau (Bayeux) • Claire Delorme • Aline Le Chevalier • Christine Thiberge ❚ Infirmiers référents “douleur” du réseau • Cécile Bisson (Bayeux) • Martine Guérin (AvranchesGranville) logie de la douleur sans aborder, avec les étudiants, leurs réticences, leurs représentations de la douleur, leur seuil de tolérance de la plainte ou la véracité des propos des patients, par exemple). En fonction des thèmes appréhendés, les infirmiers référents et les cadres formateurs proposent des cours magistraux, des travaux pratiques (Neurostimulation transcutanée – TENS, analgésie contrôlée par le patient – PCA, calculs de doses), des ateliers pédagogiques (Mélange équimolaire d’oxygène et de protoxyde d’azote – MEOPA, atelier ordonnance), ou des travaux dirigés (cas concrets – photo langage – activité sur les représentations, échelles d’attitudes). L’action conjuguée de l’expérience des infirmiers référents et la connaissance de la population étudiante par les formateurs optimisent l’enseignement de la dou- CENTRE DE RESSOURCES • Réseau régional Douleur en Basse-Normandie : www.douleur-rrdbn.org • Haute Autorité de santé (HAS) : www.has-sante.fr (recommandations et références professionnelles). • Centre national de ressources de lutte contre la douleur (CNRD) : www.cndr.fr Le CNRD a réalisé une enquête nationale sur l’enseignement de la douleur dans les Ifsi. • Lettre “L’infirmière et la douleur” éditée par l’Institut UPSA de la douleur : www.institut-upsa-douleur.org • Ministère de la Santé, de la Famille et des Personnes handicapées : www.sante.gouv.fr (affiches actualités Plan douleur, brochures, tracts, contrat d’engagement). • Centre de documentation de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris : www.documentation.ap-hop-paris.fr • Patricia Renault (Alençon) • Nathalie Roux (Caen) ❚ Cadres de santé formateurs • Virginie Lepelletier (Saint-Lô) • Frédérique Nayy (Caen) • Bernadette Dematteo (Flers) ❚ Directrice d’institut de formation en soins infirmiers • Béatrice Bouchaillou (Avranches-Granville) leur : les uns en permettant de cibler les besoins de la vie quotidienne d’une unité de soins, les autres en proposant des méthodes pédagogiques adaptées. Ainsi, la co-animation de certains temps de formation s’impose pour potentialiser les compétences de chacun. En outre, durant les stages cliniques, les infirmiers référents, lors de leurs interventions dans les unités, complètent la formation des étudiants et facilitent leur compréhension des situations. L’évaluation des acquisitions est réalisée sous trois formes : théorique, mise en situation professionnelle et écriture de projets de soins individualisés. ÉVALUATION DU PROJET ❚ Le groupe de travail a élaboré une grille d’évaluation de la mise en œuvre du projet. Chaque Ifsi évalue l’atteinte des objectifs, vérifie leur pertinence au regard du projet pédagogique et permet l’expression du degré de satisfaction des étudiants et des formateurs. Par ailleurs, les Ifsi peuvent exprimer les difficultés éventuelles rencontrées et formuler leurs propositions d’amélioration au groupe de travail. Les infirmiers référents qui assurent les enseignements participent à cette évaluation au sein du réseau. ❚ Ce travail a été validé conjointement par le comité régional du Cefiec et les référents du RRDBN. Il a également fait l’objet de pré- SOiNS CADRES DE SANTÉ -n°62 - mai 2007 sa v o i rs e t p ra t i q u e s RÉFÉRENCES TABLEAU • Collectif d’auteurs. La douleur en question (dossier). L’aidesoignante, 2007; 8: 9-20. Programme de formation proposé par le groupe de travail Objectifs Les étudiants seront capables de : Contenus N° 1 • S’interroger et analyser leurs représentations de la douleur • Détection des résistances des étudiants liées à la douleur et sa prise en charge, réflexion • Retour et analyse des expériences vécues en stage N° 2 • Énoncer le cadre législatif de la profession d’infirmier en lien avec la douleur • Textes relatifs à l’exercice de la profession d’infirmier (Art. 4311 du CSP) • Connaître l’organisation locale, régionale et nationale de la prise en charge douleur • Nommer les priorités des plans nationaux de lutte contre la douleur • Organisation de la prise en charge “douleur” dans les institutions (unité mobile, comité de lutte contre la douleur, centre d’étude et de traitement de la douleur) et dans la région (réseau) • Histoire de la prise en charge de la douleur en France • Plans nationaux • Expliquer les mécanismes neurophysiologiques de la douleur • Connaître et identifier chez le patient les différentes composantes et types de douleurs • Définition de la douleur • Les différentes composantes de la douleur • Les différents types de douleur : aiguë, chronique, par excès de nociception, neuropathique, psychogène, mixte… • Évaluer la douleur et alerter • Identifier les retentissements sur la qualité de vie des patients douloureux chroniques • Information puis formation sur les outils d’évaluation • Outils d’évaluation adaptés aux circonstances • Conduite des entretiens de soutien et d’aide • Repérer les spécificités de la prise en charge liées à l’âge et à la situation du patient, et adapter la prise en charge • Douleur de l’enfant, de la personne âgée, de la personne polyhandicapée, en psychiatrie • Connaissance et utilisation d’outils adaptés aux personnes présentant des troubles liés à la communication (échelles comportementales) • Information au patient (en cancérologie, en douleur chronique…) • Douleur et fin de vie (relation avec les soins palliatifs) N° N° N° N° N° N° 3 4 5 6 7 8 N° 9 • Identifier et prévenir la douleur générée par les soins • Moyens non médicamenteux de prévention de la douleur • Identification de stratégies non médicamenteuses pertinentes, adaptées à la situation, et mise en œuvre • Connaître les antalgiques • Optimiser la prise d’un antalgique à visée préventive ou curative • Paliers de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) • Information et éducation du patient pour la conduite de ses traitements • Connaissance et application des techniques spécifiques à l’antalgie : EMLA®, MEOPA, PCA… • Solliciter et collaborer avec les équipes “Douleur” • Identification des missions de chaque intervenant • Responsabilité et collaboration avec les équipes transversales sentations à la Direction régionale des affaires sanitaires et sociales (Drass) et au congrès national de la Société française d’évaluation et de traitement de la douleur (SFETD). ❚ Ce projet d’harmonisation de l’enseignement “douleur” dans les Ifsi de Basse-Normandie présente plusieurs points positifs. • Il concerne directement et/ou indirectement la personne soignée, les professionnels de terrain, les étudiants, les enseignants et les intervenants. • Il a permis la mise en place d’un travail de collaboration entre différents professionnels de santé. • Il est fédérateur. • Il est déjà décliné dans la majorité des Ifsi de la région. • Il contribue à la mise en œuvre de nouvelles directives nationales (Plan “douleur” 2006-2010). CONCLUSION Ce projet d’harmonisation de l’enseignement douleur dans les dix SOiNS CADRES DE SANTÉ -n°62 - mai 2007 Ifsi de Basse-Normandie évoluera en fonction de l’évaluation de sa mise en œuvre. Il permettra d’alimenter une banque de données de supports pédagogiques sous diverses formes : cas concrets, cours, CD-Rom, DVD, films… Enfin, il pourra être développé et modélisé pour la formation d’autres catégories professionnelles (projet en cours d’élaboration : formation des aides-soignants et auxiliaires de puériculture). ■ • Collectif d’auteurs. Douleur en santé mentale (dossier). Santé Mentale, 2005; 99: 21-75. • Defresne C. Mots pour maux : proverbes, dictons et autres adages relatifs à la douleur. Recherche en soins infirmiers, 2004; 76: 68-79. • Lévy I. Douleur, cultures et religions. Soins, 2001; 660: 28-32. • Melzack R, Wall P. Le défi de la douleur. Maloine, 1982. • Queneau P, Serrie A. Livre blanc de la douleur. Comité d’organisation des États généraux de la douleur, juin 2005 (+ CD-rom), consultable sur le site www.douleur-rrdbn.org. • Rey R. Histoire de la douleur. Éditions de la Découverte, 1993. LES AUTEURS Aline Le Chevalier infirmière douleur, Équipe de lutte contre la douleur, CH Avranches-Granville (50), infirmière coordinatrice, RRDBN, Bayeux (14), et le groupe d’écriture Christine Thiberge, Cécile Bisson, Nathalie Roux, infirmières référents “douleur” du réseau, Virginie Lepelletier, Frédérique Navy, cadres de santé formateurs, Ifsi St-Lô (50) et Caen (14), Béatrice Bouchaillou, directrice Ifsi, CH d’Avranches-Granville (50) [email protected] 47