Harmonisation de l`enseignement “douleur” dans les Ifsi de Basse

SOiNS CADRES DE SANTÉ - n°62 - mai 2007 45
Améliorer la prise en charge de la douleur requiert des
professionnels de santé engagés, sensibilisés et formés
dès la formation initiale Un projet d’harmonisation de
l’enseignement “douleur” dans les dix instituts de formation
en soins infirmiers (Ifsi) de Basse-Normandie a été initié
par le réseau régional douleur afin de permettre à chaque
étudiant en soins infimiers d’avoir accès à une base
d’enseignement équivalente sur la prise en charge
de la douleur quel que soit son lieu d’apprentissage.
La prise en charge de la douleur
fait déjà depuis plusieurs
années l’objet de politiques
publiques successives au niveau
national comme régional.
Au niveau national,
le 1
er
plan
triennal de lutte contre la dou-
leur, lancé en 1998, visait à instau-
rer une véritable culture de la
douleur en France. Le 2
e
plan de
lutte 2002-2005 a poursuivi l’amé-
lioration de la prise en charge de
la douleur et ciblait notamment la
pédagogie dans son 3
e
objectif :
«Améliorer l’information et la forma-
tion des personnels de santé ». Parallè-
lement à ce 2
e
plan, des enquêtes
sur la prise en charge de la dou-
leur, menées à l’initiative des États
généraux (voir encadré 1) et réa-
lisées au niveau national en 2003,
ont mis en évidence que les
besoins des patients restent insuf-
fisamment pris en charge, malgré
l’intérêt porté à cette probléma-
tique. Le 3
e
plan, en cours depuis
2006, reprend cet objectif dans sa
priorité n° 2 : « Améliorer la forma-
tion pratique initiale et continue des
professionnels de santé pour mieux
prendre en compte la douleur des
patients ».
Au niveau régional.
Depuis sa
création en 2001, le Réseau régio-
nal douleur en Basse-Normandie
(RRDBN) a pour objectif d’amé-
liorer la prise en charge de la dou-
leur. L’un de ses axes de travail est
le développement de la formation
des professionnels de santé.
Chaque établissement participant
au réseau désigne un binôme
médecin/infirmier référent dou-
leur. Ceux-ci, tous capacitaires ou
A
LINE
L
E
C
HEVALIER
MOTS CLÉS
• Douleur
• Formation
Institut de
formation en soins
infirmiers
titulaires du diplôme universitaire
de prise en charge de la douleur,
participent à l’enseignement dans
les Ifsi. Mais leurs interventions
restent ponctuelles, plus ou moins
coordonnées entre elles avec des
contenus et des temps d’appren-
tissage inégaux d’un institut à
l’autre. De même, il est fréquem-
ment rapporté des différences
notables concernant le niveau des
acquis chez les étudiants en fin de
cursus et l’utilisation non systéma-
tisée des outils d’évaluation par
ces derniers. Suite à ces constats et
à l’initiative du réseau, un groupe
de travail s’est mis en place afin de
développer un projet sur l’har-
monisation de l’enseignement
“douleur” dans les dix Ifsi de la
région (voir encadré 2) .
En parallèle, le Comité d’entente
des formations infirmières et
cadres (Cefiec) régional a réalisé
un état des lieux de l’enseigne-
ment “douleur” dans les Ifsi. Il en
a résulté les constats suivants :
enseignement très hétérogène,
autant sur la forme que sur le fond;
objectifs pédagogiques peu for-
malisés ;
• évaluation insuffisante des
connaissances et des pratiques.
En 2004, le groupe de travail ini-
tial s’est élargi, avec la participa-
tion de cadres formateurs et
d’une directrice d’Ifsi.
pédagogie
Harmonisation de l’enseignement
“douleur” dans les Ifsi de Basse-
Normandie
savoirs et pratiques
ENCADRÉ 1
Repères
La douleur est une priorité de santé pour plus
d’un Français sur deux (54 %).
Les principales causes de la douleur sont la maladie
(32 %), les accidents (20 %), la chirurgie (15 %) et les douleurs
induites par les examens et les soins (14 %).
Les patients attendent une meilleure information
et une meilleure prise en charge médicamenteuse.
Le comité d’organisation des États généraux
de la douleur a retenu les propositions concernant
le développement de la formation initiale et des pratiques
de l’ensemble des professionnels de santé afin d’aboutir à :
• l’utilisation d’échelles d’évaluation validées ;
• la mise en place de protocoles de prévention de la douleur
iatrogène ;
• une meilleure connaissance des traitements
médicamenteux et non médicamenteux ;
• une meilleure prise en charge multidisciplinaire de la
douleur chronique.
Chiffres nationaux des États généraux de la douleur, extraits du Livre
blanc de la douleur, 2003.
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MISE EN PLACE DU PROJET
La finalité du projet est de propo-
ser des recommandations com-
munes à tous les Ifsi afin que
chaque étudiant bénéficie d’un
enseignement équivalent en qua-
lité et en quantité, quel que soit
son lieu d’apprentissage.
Objectifs.
L’enseignement “dou-
leur” doit s’effectuer de façon
transversale sur l’ensemble des
trois années de formation, en res-
pectant une progression dans
l’apprentissage. L’étudiant doit
être capable :
de comprendre la douleur en fin
de 1
re
année;
de prendre en charge une per-
sonne douloureuse en fin de 2
e
année;
d’accompagner et d’informer la
personne douloureuse en fin de
3
e
année.
Le programme de formation, pro-
posé par le groupe de travail, est
centré sur les capacités à dévelop-
per chez l’étudiant, pour lui per-
mettre de « prendre soin d’une per-
sonne douloureuse » (voir tableau).
Conduite des enseignements.
Les intervenants du réseau et les
Ifsi se sont concertés afin de
répartir et de conduire les ensei-
gnements sur les trois années de
formation selon les projets péda-
gogiques et les expériences anté-
rieures (éviter de débuter les
enseignements par un cours
magistral sur la neurophysiopatho-
logie de la douleur sans aborder,
avec les étudiants, leurs réticences,
leurs représentations de la dou-
leur, leur seuil de tolérance de la
plainte ou la véracité des propos
des patients, par exemple).
En fonction des thèmes appré-
hendés, les infirmiers référents et
les cadres formateurs proposent
des cours magistraux, des travaux
pratiques (Neurostimulation
transcutanée – TENS, analgésie
contrôlée par le patient – PCA, cal-
culs de doses), des ateliers péda-
gogiques (Mélange équimolaire
d’oxygène et de protoxyde d’azote
– MEOPA, atelier ordonnance),
ou des travaux dirigés (cas
concrets – photo langage – activité
sur les représentations, échelles
d’attitudes).
L’action conjuguée de l’expé-
rience des infirmiers référents et
la connaissance de la population
étudiante par les formateurs opti-
misent l’enseignement de la dou-
leur : les uns en permettant de
cibler les besoins de la vie quoti-
dienne d’une unité de soins, les
autres en proposant des
méthodes pédagogiques adaptées.
Ainsi, la co-animation de certains
temps de formation s’impose
pour potentialiser les compé-
tences de chacun. En outre,
durant les stages cliniques, les
infirmiers référents, lors de leurs
interventions dans les unités, com-
plètent la formation des étudiants
et facilitent leur compréhension
des situations.
L’évaluation des acquisitions est
réalisée sous trois formes : théo-
rique, mise en situation profes-
sionnelle et écriture de projets de
soins individualisés.
ÉVALUATION DU PROJET
Le groupe de travail a élaboré
une grille d’évaluation de la mise
en œuvre du projet.
Chaque Ifsi
évalue l’atteinte des objectifs, véri-
fie leur pertinence au regard du
projet pédagogique et permet
l’expression du degré de satisfac-
tion des étudiants et des forma-
teurs. Par ailleurs, les Ifsi peuvent
exprimer les difficultés éven-
tuelles rencontrées et formuler
leurs propositions d’amélioration
au groupe de travail. Les infir-
miers référents qui assurent les
enseignements participent à cette
évaluation au sein du réseau.
Ce travail a été validé conjointe-
ment
par le comité régional du
Cefiec et les référents du RRDBN.
Il a également fait l’objet de pré-
savoirs et pratiques
Cellule de coordination
du réseau (Bayeux)
Claire Delorme
Aline Le Chevalier
Christine Thiberge
Infirmiers référents “douleur”
du réseau
Cécile Bisson (Bayeux)
Martine Guérin (Avranches-
Granville)
Patricia Renault (Alençon)
Nathalie Roux (Caen)
Cadres de santé formateurs
Virginie Lepelletier (Saint-Lô)
Frédérique Nayy (Caen)
Bernadette Dematteo (Flers)
Directrice d’institut de
formation en soins infirmiers
Béatrice Bouchaillou
(Avranches-Granville)
PRÉCISIONS
La loi du 4 mars
2002 relative aux droits
des malades et à la
qualité du système de
santé, précise que
«toute personne a le
droit de recevoir des
soins visant à soulager
sa douleur. Celle-ci doit
être en toute
circonstance prévenue,
évaluée, prise en
compte et traitée ».
L’article 4311-2
alinéa 5 codifiant la
profession infirmière
(livre III du Code de la
santé publique) rappelle
que « les soins
infirmiers… ont pour
objet… de participer à
la prévention, à
l’évaluation et au
soulagement de la
douleur et de la
détresse physique et
psychique des
personnes… ». Il est
précisé que « l’infirmier
ou l’infirmière est
habilité à entreprendre
et à adapter les
traitements antalgiques,
dans le cadre des
protocoles préétablis,
écrits, datés et signés
par un médecin… ».
RÉFÉRENCES
• Bernard MF,
Crestien F, De Sousa A.
Prise en charge non
médicamenteuse de la
douleur. Thérapeutiques
physiques. Soins
Gérontologie, 2004; 45:
30-4. Approches
psychologiques et
psychothérapeutiques.
Soins Gérontologie,
2004; 46.
• Clere F, Josse C,
Serra E. Approches
psychologiques de la
douleur chez la
personne âgée.
Revue francophone de
gériatrie et de
gérontologie, 2005; 117.
CENTRE DE RESSOURCES
• Réseau régional Douleur en Basse-Normandie : www.douleur-rrdbn.org
• Haute Autorité de santé (HAS) : www.has-sante.fr (recommandations et
références professionnelles).
• Centre national de ressources de lutte contre la douleur (CNRD) :
www.cndr.fr Le CNRD a réalisé une enquête nationale sur l’enseignement de la
douleur dans les Ifsi.
• Lettre “Linfirmière et la douleur” éditée par l’Institut UPSA de la douleur :
www.institut-upsa-douleur.org
• Ministère de la Santé, de la Famille et des Personnes handicapées :
www.sante.gouv.fr (affiches actualités Plan douleur, brochures, tracts, contrat
d’engagement).
• Centre de documentation de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris :
www.documentation.ap-hop-paris.fr
ENCADRÉ 2
Groupe de travail du projet
SOiNS CADRES DE SANTÉ - n°62 - mai 2007 47
sentations à la Direction régionale
des affaires sanitaires et sociales
(Drass) et au congrès national de
la Société française d’évaluation
et de traitement de la douleur
(SFETD).
Ce projet d’harmonisation de
l’enseignement “douleur” dans les
Ifsi de Basse-Normandie
présente
plusieurs points positifs.
Il concerne directement et/ou
indirectement la personne soi-
gnée, les professionnels de ter-
rain, les étudiants, les enseignants
et les intervenants.
• Il a permis la mise en place d’un
travail de collaboration entre
différents professionnels de santé.
Il est fédérateur.
• Il est déjà décliné dans la majo-
rité des Ifsi de la région.
• Il contribue à la mise en œuvre
de nouvelles directives nationales
(Plan “douleur” 2006-2010).
CONCLUSION
Ce projet d’harmonisation de l’en-
seignement douleur dans les dix
Ifsi de Basse-Normandie évoluera
en fonction de l’évaluation de sa
mise en œuvre. Il permettra d’ali-
menter une banque de données
de supports pédagogiques sous
diverses formes : cas concrets,
cours, CD-Rom, DVD, films…
Enfin, il pourra être développé et
modélisé pour la formation
d’autres catégories profession-
nelles (projet en cours d’élabora-
tion : formation des aides-soi-
gnants et auxiliaires de
puériculture).
savoirs et pratiques
LES AUTEURS
Aline Le Chevalier
infirmière douleur,
Équipe de lutte contre
la douleur,
CH Avranches-Granville
(50), infirmière
coordinatrice, RRDBN,
Bayeux (14), et le
groupe d’écriture
Christine Thiberge,
Cécile Bisson,
Nathalie Roux,
infirmières référents
“douleur” du réseau,
Virginie Lepelletier,
Frédérique Navy,
cadres de santé
formateurs, Ifsi St-Lô
(50) et Caen (14),
Béatrice Bouchaillou,
directrice Ifsi, CH
d’Avranches-Granville
(50)
aline.le.chevalier@ch-
avranches-granville.fr
TABLEAU
Programme de formation proposé par le groupe de travail
Objectifs Contenus
Les étudiants seront capables de :
• S’interroger et analyser leurs représentations de la douleur
• Énoncer le cadre législatif de la profession d’infirmier en lien
avec la douleur
Connaître l’organisation locale, régionale et nationale de la
prise en charge douleur
• Nommer les priorités des plans nationaux de lutte contre la
douleur
• Expliquer les mécanismes neurophysiologiques de la douleur
• Connaître et identifier chez le patient les différentes compo-
santes et types de douleurs
• Évaluer la douleur et alerter
Identifier les retentissements sur la qualité de vie des
patients douloureux chroniques
• Repérer les spécificités de la prise en charge liées à l’âge et
à la situation du patient, et adapter la prise en charge
• Identifier et prévenir la douleur générée par les soins
• Connaître les antalgiques
Optimiser la prise d’un antalgique à visée préventive ou
curative
• Solliciter et collaborer avec les équipes “Douleur”
N° 1
N° 2
N° 3
N° 4
N° 5
N° 6
N° 7
N° 8
N° 9
• Détection des résistances des étudiants liées
à la douleur et sa prise en charge, réflexion
• Retour et analyse des expériences vécues en stage
Textes relatifs à l’exercice de la profession d’infirmier
(Art. 4311 du CSP)
• Organisation de la prise en charge “douleur” dans les ins-
titutions (unité mobile, comité de lutte contre la douleur,
centre d’étude et de traitement de la douleur) et dans la
région (réseau)
• Histoire de la prise en charge de la douleur en France
• Plans nationaux
• Définition de la douleur
• Les différentes composantes de la douleur
Les différents types de douleur : aiguë, chronique, par excès
de nociception, neuropathique, psychogène, mixte…
• Information puis formation sur les outils d’évaluation
• Outils d’évaluation adaptés aux circonstances
• Conduite des entretiens de soutien et d’aide
• Douleur de l’enfant, de la personne âgée, de la personne
polyhandicapée, en psychiatrie
Connaissance et utilisation d’outils adaptés aux per-
sonnes présentant des troubles liés à la communication
(échelles comportementales)
Information au patient (en cancérologie, en douleur
chronique…)
• Douleur et fin de vie (relation avec les soins palliatifs)
• Moyens non médicamenteux de prévention de la douleur
• Identification de stratégies non médicamenteuses perti-
nentes, adaptées à la situation, et mise en œuvre
• Paliers de l’Organisation mondiale de la santé (OMS)
Information et éducation du patient pour la conduite de
ses traitements
Connaissance et application des techniques spécifiques
à l’antalgie : EMLA®, MEOPA, PCA…
• Identification des missions de chaque intervenant
Responsabilité et collaboration avec les équipes
transversales
RÉFÉRENCES
• Collectif d’auteurs.
La douleur en question
(dossier). L’aide-
soignante, 2007; 8: 9-20.
• Collectif d’auteurs.
Douleur en santé
mentale (dossier). Santé
Mentale, 2005; 99: 21-75.
• Defresne C. Mots
pour maux : proverbes,
dictons et autres
adages relatifs à la
douleur. Recherche en
soins infirmiers, 2004;
76: 68-79.
• Lévy I. Douleur,
cultures et religions.
Soins, 2001; 660: 28-32.
• Melzack R, Wall P.
Le défi de la douleur.
Maloine, 1982.
Queneau P, Serrie A.
Livre blanc de la
douleur. Comité
d’organisation des États
généraux de la douleur,
juin 2005 (+ CD-rom),
consultable sur le site
www.douleur-rrdbn.org.
• Rey R. Histoire de la
douleur. Éditions de la
Découverte, 1993.
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