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d o s s i e r
t h é m a t i q u e
Coordinateur : L. Legros
Stratégies diagnostiques
dans les syndromes
myéloprolifératifs en 2008
Diagnosis of myeloproliferative disorders in 2008
V. Ugo*
* Laboratoire d’hématologie,
hôpital Morvan, CHU de Brest.
♦♦ Les stratégies diagnostiques de la
polyglobulie de Vaquez (PV) et de la
thrombocytémie essentielle (TE) ont été
modifiées par la découverte de la mutation
JAK2 V617F, présente dans plus de 90 % des
cas de PV et dans plus de 50 % des cas de
TE. La recherche de cette mutation est un
examen à réaliser précocement au cours du
bilan diagnostique devant une suspicion
de syndrome myéloprolifératif (SMP).
Les rares PV négatives pour la mutation
JAK2 V617F présentent souvent d’autres
mutations de JAK2 situées dans l’exon 12
du gène. En l’absence de mutation de JAK2,
le diagnostic de PV doit être rediscuté en
milieu spécialisé. Le diagnostic de TE est en
partie un diagnostic d’élimination.
Une thrombocytose chronique associée à une
hyperleucocytose même modérée, avec ou
sans myélémie et avec ou sans basophilie,
doit faire évoquer une leucémie myéloïde
chronique (LMC). Quelques cas de patients
doubles positifs JAK2 V617F et bcr-abl ont été
récemment rapportés. Environ un tiers des
patients atteints de TE n’ont pas d’anomalie
identifiée à ce jour. L’intérêt diagnostique
et pronostique de la quantification de JAK2
V617F est probable, mais doit être validé par
des études prospectives.
Summary. The discovery of the JAK2 V617F
mutation has significantly modified the
diagnosis of polycythemia vera (PV) and
essential thrombocythemia (ET).
More than 90% of PV and more than 50%
of ET patients are positive for JAK2 V617F,
so the detection of this mutation should
be performed in first line during the
diagnosis of myeloproliferative disease
(MPD). Most of JAK2 V617F negative PV
harbor JAK2 exon 12 mutations. It seems
that a PV diagnosis should be discussed in
the absence of any JAK2 abnormality.
The diagnosis of ET needs to eliminate
others MPD and myelodysplastic
syndromes (MDS) with thrombocytosis,
especially a thrombocythemic form
of chronic myelocytic leukemia (CML).
Moreover, few case-reports have been
recently published of patients presenting
a typical bcr-abl positive CML and a
classical JAK2 positive MPD. Actually,
the molecular abnormality is still
unidentified in one third of ET cases.
Quantification of the JAK2 V617F allele
burden seems to be of interest,
but further prospective clinical studies
are warranted.
Mots-clés : Polyglobulie de Vaquez –
Thrombocytémie essentielle – JAK2 V617F.
Keywords: Polycythemia vera – Essential
thrombocythemia – JAK2 V617F.
L
es syndromes myéloprolifératifs (SMP)
classiques autres que la leucémie myéloïde
chronique (LMC), ou SMP bcr-abl négatifs,
incluent la polyglobulie primitive, ou maladie de
Vaquez (PV), la thrombocytémie essentielle (TE)
Correspondances en Onco-hématologie - Vol. III - n° 3 - juillet-août-septembre 2008
et la myélofibrose primitive (MFP). La PV est un
syndrome myéloprolifératif prédominant sur la
lignée érythroblastique et la TE prédomine sur la
lignée mégacaryocytaire. Les stratégies diagnostiques de la PV et de la TE ont été profondément
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modifiées depuis la découverte en 2005 de la
mutation JAK2 V617F (1) qui est retrouvée dans
plus de 90 à 95 % des cas de PV, et dans 50 à
70 % des cas de TE (2).
Diagnostic d’une polyglobulie
✔✔ Quelques définitions 
La polyglobulie, augmentation de la quantité
totale de globules rouges dans le sang, doit classiquement être affirmée par la mesure isotopique de la masse sanguine (ou volume globulaire
isotopique [VGI]) couplée à la mesure isotopique
du volume plasmatique. On parle aussi de “polyglobulie vraie” par référence au “polycythemia
vera” des anglophones.
Hématocrite/hémoglobine élevée
En dehors d’une cause secondaire évidente
Détection de JAK2 V617F
sur sang
+
–
Dosage sérique
d’érythropioïétine
NB : la place de la
masse sanguine est
discutée
Mesure isotopique de la masse sanguine
(sauf si hématocrite > 60 % chez l’homme ou > 56 % chez la femme)
Syndrome
myéloprolifératif
de type PV
Élevée
Normale
Absence de
polyglobulie
Polyglobulie vraie
Érythropoïétine
basse
Érythropoïétine
N ou élevée
Cause secondaire ?
Tabagisme ?
Apnée du sommeil ?
Critères classiques OMS et PVSG :
– nombre de globules rouges et plaquettes
– splénomégalie ?
– cultures de progéniteurs
– caryotype médullaire
– biopsie médullaire ?
+
Syndrome
myéloprolifératif
de type PV
Recherche de
mutations sur l’exon 12
de JAK2
–
–
Polyglobulie d’origine
indéterminée
Recherche des mutations
R-Epo, VHL ?
Hémoglobine hyperaffinée ?
Figure 1. Proposition d’arbre décisionnel pour l’exploration d’une polyglobulie.
128
Une érythrocytose correspond stricto sensu à
l’augmentation de la concentration des érythrocytes dans le sang. Ce terme est parfois réservé
à la constatation d’une augmentation isolée de
l’hématocrite ou de l’hémoglobine (érythrocytose
pure). Il est également employé comme synonyme
de polyglobulie.
✔✔ Affirmer la réalité de la polyglobulie :  
“polyglobulie vraie”
Le bilan initial d’une polyglobulie consiste à affirmer
la réalité de la polyglobulie, puis à éliminer une
polyglobulie secondaire tout en recherchant des
arguments pour une polyglobulie primitive (3, 4).
Une polyglobulie est suspectée à l’hémogramme
devant une augmentation de l’hématocrite ou de
l’hémoglobine. L’existence d’une thrombocytose
et/ou d’une leucocytose (polynucléose) associée
est un argument fort en faveur d’une polyglobulie
primitive, tout comme la présence d’une splénomégalie palpable.
La mesure de la masse sanguine permet d’affirmer
la polyglobulie et d’éliminer une hémoconcentration avec érythrocytose relative. Une polyglobulie
vraie est définie par un VGI supérieur de 25 % à la
valeur théorique attendue en fonction du poids
et de la taille du patient. Les valeurs de 32 ml/kg
(femmes) et de 36 ml/kg (hommes) initialement
proposées en 1976 par le Polycythemia vera study
group (PVSG) sont critiquables, car le VGI est alors
sous-estimé chez les patients obèses.
✔✔ Intérêt de la masse sanguine en 2008 ?
La place de la mesure de masse sanguine est
aujourd’hui discutée. Pour certains, il reste important de la faire : dans la PV, pour affirmer la polyglobulie, et dans la TE, pour permettre le diagnostic
différentiel avec la PV. Pour d’autres auteurs, cet
examen a perdu de son intérêt, car distinguer TE
et PV est devenu théorique et “n’a plus beaucoup
d’importance”, à l’ère des classifications moléculaires. Cette question n’est pas définitivement
tranchée, mais il est certain que la facilité d’accès
plus ou moins grande de l’examen est aujourd’hui
un critère important influençant la pratique clinique
(5-7). Selon les critères PVSG de 1996, la mesure du
VGI n’est pas utile si l’hématocrite est supérieure à
56 % chez une femme ou à 60 % chez un homme,
car la polyglobulie est alors certaine.
✔✔ Diagnostic étiologique de la polyglobulie
Il s’agit à la fois de rechercher des arguments
pour une polyglobulie primitive et d’éliminer une
polyglobulie secondaire (figure 1). Les examens
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Stratégies diagnostiques dans les syndromes myéloprolifératifs en 2008
suivants sont simples, peu invasifs, et peuvent
être réalisés en première intention :
•• Mesure de la saturation artérielle en oxygène
(SaO2) lors de la consultation. La gazométrie n’est
pas nécessaire en l’absence d’arguments pour
une origine respiratoire. Une SaO2 supérieure
ou égale à 92 % est un critère nécessaire au diagnostic de polyglobulie primitive selon les critères
du PVSG et de l’OMS (2001).
•• Dosage de la concentration sérique d’érythropoïétine.
•• Recherche de la mutation JAK2 V617F sur un
prélèvement sanguin.
•• Échographie abdominale à la recherche d’une
anomalie rénale ou hépatique. L’échographie permet également la recherche d’une splénomégalie
infraclinique. Il est probablement raisonnable
de continuer à réaliser cet examen simple lors
du bilan étiologique d’une polyglobulie, ainsi
que la mesure de la saturation artérielle en O2,
deux causes de polyglobulie pouvant coexister
chez un patient.
D’autres examens plus spécialisés, ou plus
invasifs, comme les cultures de progéniteurs
hématopoïétiques, le caryotype ou la biopsie
médullaire, sont aujourd’hui des examens de
deuxième intention.
✔✔ Critères diagnostiques de polyglobulie  
de Vaquez (tableau I)
La mutation JAK2 V617F n’étant pas spécifique de
la PV, son diagnostic repose aujourd’hui encore
sur l’association de critères positifs et négatifs.
Les critères diagnostiques proposés par le PVSG
en 1976 sont obsolètes. La version révisée en 1996
de ces critères est en revanche toujours utilisée
(8), de même que les critères diagnostiques proposés par l’OMS en 2001 (9). Dans certains cas,
le diagnostic de PV était difficile avec les critères
PVSG ou OMS 2001 (par exemple, en cas de
cohabitation d’une PV vraie et d’une insuffisance
respiratoire chronique). La principale différence
entre les critères PVSG 1996 et les critères OMS
2001 est l’importance donnée par l’OMS au
critère “présence de colonies érythroblastiques
spontanées”.
Des propositions de révision des critères OMS
ont été publiées en 2007 et en 2008, du fait de
la découverte de la mutation JAK2 V617F (10). Ces
nouveaux critères ne font pas l’unanimité et n’ont
Tableau I. Évolution des critères diagnostiques de PV.
Critères du PVSG modifiés par Pearson
en 1996
Critères de l’OMS 2001
Proposition de modification des critères
de l’OMS (2008)
Critères majeurs (A)
A1 : masse sanguine > 25 % de la
valeur théorique, ou Ht > 60 % chez
l’homme et 56 % chez la femme
A2 : pas de cause de polyglobulie
secondaire
A3 : splénomégalie clinique
A4 : marqueur de clonalité
A1 : masse sanguine > à 25 % de la
A1 :Hb ouHt (*) ouVGI > à 25 % de
valeur théorique, ou Hb > 18,5 g/­dl
la valeur théorique
chez l’homme
A2 : mutation JAK2 V617F ou similaire
et 16,5 g/dl chez la femme
(i.e. mutation exon 12 de JAK2)
A2 : pas de cause de polyglobulie secondaire
A3 : splénomégalie
A4 : anomalie cytogénétique clonale
(sauf Ph)
A5 : pousse spontanée de colonies
érythroblastiques en culture
Critères mineurs (B)
B1 : thrombocytose >400 G/l
B2 : hyperleucocytose à PNN
(PNN >10 G/l)
B3 : splénomégalie radiologique
B4 : pousse spontanée de colonies
érythroblastiques en culture
ou EPO sérique basse
B1 : Thrombocytose > 400 G/l
B2 : Hyperleucocytose > 12 G/l
B3 : Myélofibrose diffuse avec prolifération érythroïde et mégacaryocytaire
à la BOM
B4 : EPO sérique basse
B1 : myéloprolifération des 3 lignées à
la BOM
B2 : EPO sérique basse
B3 : pousse spontanée de colonies
érythroblastiques en culture
Diagnostic de PV
posé si
– A1 + A2 + 1 autre critère A
ou
– A1 + A2 + 2 critères B
– A1 + A2 + 1 autre critère A
ou
– A1 + A2 + 2 critères B
– Les 2 critères majeurs + 1 critère mineur
ou
– Le premier critère majeur et 2 critères
mineurs
Abréviations. PVSG : Polycythemia Vera Study Group ; OMS : Organisation mondiale de la santé ; BOM : biopsie ostéomédullaire ; PNN : polynucléaires neutrophiles ; Ph : chromosome Philadelphie ;
EPO : érythropoïétine ; VGI : volume globulaire isotopique ; hb : hémoglobine ; ht : hématocrite.
*Hb ouHt définis ainsi : Hb > 18,5 g/dl (homme) ou > 16,5 g/dl (femme) ; ou Hb ou Ht > 99e percentile des valeurs théoriques pour l’âge, le sexe et l’altitude de résidence ; ou Hb > 17 g/dl (homme)
ou > 15 g/dl (femme) si associé à une augmentation confirmée de 2 g/dl par rapport aux valeurs habituelles, ne pouvant être attribuée à la correction d’une carence martiale.
Correspondances en Onco-hématologie - Vol. III - n° 3 - juillet-août-septembre 2008
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pas encore été évalués de façon prospective. Des
discussions persistent quant à l’importance de
la mesure de la masse sanguine et à la place de
l’analyse histologique (biopsie ostéo-médullaire)
(7). La disparition des critères “splénomégalie”,
“polynucléose” et “thrombocytose”, qui étaient
des critères simples en faveur d’une PV, peut surprendre. Par ailleurs, la place donnée à l’histologie
médullaire n’est pas toujours compatible avec les
habitudes cliniques, en France notamment.
✔✔ Détection de la mutation JAK2 V617F dans
une polyglobulie
La mutation est présente dans plus de 90 % des cas
de PV (figure 2), ce qui en fait un outil diagnostique
majeur de première intention en 2008. Une excellente corrélation a été établie entre la présence
de JAK2 V617F et d’autres paramètres biologiques tels que la pousse autonome érythroblastique ou la surexpression du gène PRV-1 (11, 12).
La recherche de la mutation JAK2 V617F peut
s’effectuer à partir des cellules du sang ou de
la moelle osseuse, mais il ne semble pas y avoir
d’avantage à utiliser la moelle. La détection de
JAK2 V617F fait intervenir des techniques de biologie moléculaire qui diffèrent selon les laboratoires,
en l’absence à ce jour de consensus technique. Le
niveau de sensibilité de ces diverses techniques
varie et, comme pour toute technique de biologie, il peut exister de rares cas de faux positifs
ou de faux négatifs. Il est donc important, d’une
part, de ne pas limiter le bilan étiologique d’une
JAK2 V617F
JAK2 exon 12
non muté
JAK2 V617F
Mpl W515L/k
non muté
>
17
5&
Figure 2. Fréquence des anomalies moléculaires détectées au diagnostic dans la PV et la TE.
130
polyglobulie à cette analyse et, d’autre part de
ne pas hésiter à répéter l’examen en fonction du
contexte clinique.
✔✔ Que faire devant une suspicion de polyglobulie 
de Vaquez non mutée pour JAK2 V617F ?
En l’absence de cause secondaire de polyglobulie
et en cas de négativité de la recherche de la mutation JAK2 V617F, les examens spécialisés suivants
retrouvent leur place :
– la culture de progéniteurs érythroblastiques,
à la recherche d’une pousse “spontanée” ou
“endogène” en l’absence d’érythropoïétine, cet
examen étant idéalement pratiqué sur cellules
médullaires ;
– l’analyse cytogénétique à la recherche d’une
anomalie clonale dans les cellules médullaires ;
– éventuellement, une biopsie médullaire à la
recherche d’arguments histologiques en faveur
d’un SMP de type Vaquez.
✔✔ Autres mutations de JAK2 : les mutations de
l’exon 12
En 2007, d’autres mutations de JAK2 ont été identifiées dans la PV. Situées dans l’exon 12 du gène,
ces mutations sont en particulier retrouvées chez
des patients présentant des critères de PV (c’està-dire une polyglobulie vraie avec pousse autonome des progéniteurs et taux d’érythropoïétine
bas, notamment) mais plus jeunes, présentant
une érythrocytose plus marquée ainsi qu’une
leucocytose et une thrombocytose plus faibles au
diagnostic (13). Certaines études semblent montrer que toutes les PV sont associées à une mutation de JAK2 (V617F ou exon 12). Le diagnostic de
PV doit-il être remis en cause lorsqu’aucune mutation de JAK2 n’est trouvée ? La recherche de ces
mutations de l’exon 12 de JAK2 a peu de chance
d’être positive devant un tableau d’érythrocytose
idiopathique sans pousse autonome (14). Sur
des plans pratique et technique, la recherche de
ces mutations doit se faire dans un laboratoire
spécialisé dans le diagnostic des SMP.
Diagnostic d’une thrombocytose
Une TE est suspectée devant une augmentation
chronique des plaquettes, le plus souvent isolée,
parfois associée à une hyperleucocytose. Le diagnostic de TE a longtemps été considéré comme un
diagnostic d’élimination. C’est encore en partie vrai
en 2008, alors même que plus de la moitié des cas
sont associés à un marqueur moléculaire (figure 2),
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Stratégies diagnostiques dans les syndromes myéloprolifératifs en 2008
Tableau II. Critères diagnostiques de TE.
Proposition de modification
des critères de l’OMS (2008)
Critères de l’OMS 2001
Critères positifs
• Thrombocytose chronique > 600 G/l
• BOM montrant une hyperplasie globale et une prolifération de la lignée mégacaryocytaire faite de grands
MK matures
Critères d’exclusion (ou négatifs)
• Absence d’argument pour une PV : masse sanguine
normale, ou Hb < 18,5 g/dl (hommes)
ou Hb < 16,5 g/dl (femmes)
• Bilan ferrique normal (VGM normal, ferritine normale)
• Sinon, absence de PG après traitement martial
• Pas d’argument pour une LMC : bcr-abl négatif (détection µ-bcr), pas de t(9;22)
• Pas d’argument pour une myélofibrose : BOM obligatoire (pas de fibrose collagène, fibrose réticulinique
absente ou minimale)
• Pas d’argument pour un SMD : pas de 5q-, pas de
t(3;3)(q21;q26), inv3(q21;q26)
• Pas de dysplasie significative des MK ou des granuleux
• Pas d’argument pour une thrombocytose réactionnelle : inflammation, infection, cancer sous-jacent,
antécédent de splénectomie
Tous les critères sont nécessaires
• Plaquettes > 450 G/l
• BOM montrant une prolifération
portant principalement sur la
lignée mégacaryocytaire
• Pas de critères suffisants pour
PV, MFP, LMC, SMD ou autre
hémopathie myéloïde
• Présence de la mutation
JAK2/­V617F ou autre marqueur
clonal ou, en l’absence de marqueur clonal, pas d’argument
pour une thrombocytose réactionnelle
Tous les critères sont nécessaires
Abréviations. MK : mégacaryocytes ; VGM : volume globulaire moyen ; PG : polyglobulie ; SMD : syndrome myélo­dysplasique ;
BOM : biopsie ostéomédullaire.
et les critères diagnostiques de TE sont en majorité négatifs (tableau II). Par rapport aux critères
2001, la détection de JAK2 V617F en 2008 permet
cependant d’abaisser à 450 G/l (voire 400 G/l ?) le
seuil de déclenchement du bilan et de diagnostic
d’une TE (tableau II).
La figure 3 propose un arbre décisionnel sur la
conduite à tenir en cas d’une suspicion de TE.
Le caractère chronique de la thrombocytose doit
toujours être vérifié avant de lancer le bilan spécialisé. De même, la lecture du frottis sanguin au
microscope est importante, car elle peut orienter
vers des causes secondaires ou vers un syndrome
myélodysplasique.
Contrairement aux TE non mutées pour JAK2, les
TE JAK2 V617F positives ont été décrites comme
présentant un phénotype PV like ou PV fruste, avec
des chiffres d’hémoglobine plus élevés ou un taux
d’érythropoïétine plus bas, notamment (15).
✔✔ Faut-il rechercher bcr-abl en première intention 
devant une thrombocytose chronique ?
Il existe de très rares formes thrombocytémiques
pures de LMC, sans basophilie ni myélémie. La
détection de bcr-abl constitue donc un examen
indispensable devant toute thrombocytose. Le
laboratoire doit employer une technique per-
Recherche d’une cause secondaire :
– inflammation
– carence martiale
Plaquettes > 450 G/l
Examen du frottis sanguin obligatoire
Détection de JAK2 V617F
sur sang
–
Détection bcr-abl
sur sang (µ-bcr)
+
Mesure masse sanguine (si hématocrite élevé)
Biopsie médullaire
Ponction médullaire pour cultures
de progéniteurs (R et MK)
Détection bcr-abl si non fait ++
TE JAK2 V617F
négative
+
C’est un SMP à
caractériser
– ET
– PV
– IMF
ou PV négative ?
ou IMF négative ?
LMC
> 125 %
Masse sanguine
(si hématocrite élevé)
Biopsie
médullaire
(fibrose ?)
< 125 %
PV JAK2 V617F
postive
TE JAK2 V617F
positive
+
MFP
JAK2 V617F
positive
Figure 3. Proposition pour le diagnostic d’une thrombocytose.
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mettant de détecter les rares transcrits µ-bcr.
Cependant, depuis l’identification des mutations
de JAK2, certains cliniciens proposent de ne rechercher bcr-abl chez un patient présentant une thrombocytose qu’en cas de négativité de JAK2 V617F,
testé en première intention. Cette attitude est logique, mais la publication depuis 2007 d’une dizaine
de cas cliniques de patients présentant à la fois
une LMC et un SMP JAK2 V617F positif incite à une
grande prudence. Compte tenu des conséquences
thérapeutiques, la non-recherche de bcr-abl lors
du bilan diagnostique d’une thrombocytose doit
être pensée en termes de coût-efficacité.
✔✔ Quelle place pour les examens médullaires ?
Selon les critères OMS (2001 et 2008), la biopsie médullaire est indispensable au diagnostic
de TE, car elle permet le diagnostic différentiel
avec la MFP. En l’absence de splénomégalie et
d’anomalies cytologiques au frottis sanguin, cette
attitude n’est pas toujours respectée. Il convient
cependant de rester vigilant et d’encourager la
réalisation d’une biopsie, en particulier chez les
sujets jeunes, pour lesquels les choix thérapeutiques pourraient être différents. La non-réalisation de la biopsie médullaire doit alors rester
l’exception et être argumentée.
Par ailleurs, la mise en évidence d’une pousse
autonome des lignées rouge et/ou mégacaryocy-
0,40
Allèle JAK2 muté (V617F)
0,35
PV
1
2
0,30
Muté
0,25
TE
0,20
0,15
0,10
0,05
0,04 0,05
Non
muté
0,09
0,13
Allèle JAK2 normal
0,17
Contrôle
négatif (H2O)
3
0,21
PV
0,25
TE
0,29
Témoins
1 : muté 100 %
2 : muté 50 %
3 : non muté
Figure 4. Approche quantitative de la détection de JAK2 V617F (discrimination allélique).
(Illustration fournie par J.P. Le Couédic, Inserm U790, Villejuif.)
132
taire et celle d’une anomalie clonale au caryotype
médullaire sont des éléments en faveur du diagnostic de SMP chez un patient non muté pour
JAK2 V617F.
✔✔ Mutations de Mpl  
et thrombocytémie essentielle
Le gène du récepteur de la thrombopoïétine, Mpl,
est muté dans 1 à 4 % des cas de TE au niveau de
l’exon 10 (mutations activatrices W515K/L, principalement) [16]. Les mutations de Mpl semblent plus
fréquentes jusqu’à 8,5 % des cas dans les TE non
mutées JAK2 V617F. La fréquence des TE doubles
positives JAK2 V617F et Mpl varie selon les études
actuellement publiées : 2 cas sur 4 (50 %) [16], 1 cas
sur 32 (3,1 %) [17] ou 8 cas sur 30 (26 %) [18].
Il existe de petites différences phénotypiques
entre les TE “Mpl muté” et Mpl “non muté”.
Comparativement aux TE JAK2 V617F positives,
les TE “Mpl muté” se présentent avec une hémo­
globine plus basse, des plaquettes plus élevées,
un taux d’érythropoïétine plus élevé et une cellularité médullaire plus basse. Comparativement
aux TE “JAK2 non muté”, les différences phénotypiques sont faibles, les patients TE “Mpl muté”
étant un peu plus âgés. Les mutations de Mpl ne
semblent pas avoir de valeur pronostique particulière dans la TE (17, 18).
En pratique clinique, la recherche de la mutation
de Mpl dans la TE semble aujourd’hui justifiée
en cas de difficulté à affirmer le diagnostic chez
un patient relativement jeune. Cette recherche,
techniquement difficile, doit se faire dans un
laboratoire expérimenté.
En 2008, 35 à 40 % des TE demeurent sans anomalie moléculaire identifiée…
Quelle place pour la quantification
de JAK2/V617F au diagnostic
d’un syndrome myéloprolifératif ?
Certaines techniques de biologie moléculaire permettent de quantifier le pourcentage
d’allèles JAK2 V617F dans le prélèvement. Il s’agit
le plus souvent de calculer le ratio entre JAK2
V617F et JAK2 non muté (ou “sauvage”). Cette
quantification est un reflet très imparfait de
l’homozygotie ou de l’hétérozygotie pour JAK2
V617F (cf. Physiopathologie des SMP).
Les PV (et les MFP) présentent des taux de JAK2
V617F plus élevés que les TE (figure 4). En raison
de cette corrélation phénotype/quantité d’allèles
mutés, la quantification au diagnostic peut être
Correspondances en Onco-hématologie - Vol. III - n° 3 - juillet-août-septembre 2008
Stratégies diagnostiques dans les syndromes myéloprolifératifs en 2008
une aide au diagnostic. De façon schématique, un
taux de JAK2 V617F inférieur à 10 % est en faveur
d’un phénotype observé de TE, alors qu’un taux
supérieur à 50 % oriente vers une PV ou une MFP.
La quantification de JAK2 V617F au diagnostic chez
les patients thrombocytémiques pourrait être une
aide au diagnostic différentiel entre TE et MFP,
mais cela reste à évaluer par de nouvelles études de recherche clinique. L’intérêt pronostique
de la quantité d’allèles mutés n’est pas clair à
ce jour, et, en dehors d’un traitement ciblant le
clone tumoral, il n’y a pas d’indication à répéter la
quantification de JAK2 V617F au cours du temps,
sauf dans le cadre d’une recherche clinique.
Diagnostic de SMP et thromboses
Le syndrome de Budd-Chiari ou les thromboses
splanchniques peuvent être révélateurs de SMP
latents ou frustes. La recherche de la mutation
JAK2 V617F est alors positive jusque dans 30 ou
40 % des cas, permettant de poser le diagnostic
de SMP (19, 20). En revanche, plusieurs études
ont montré que la recherche de la mutation JAK2
V617F n’est pas indiquée dans un bilan de thrombose veineuse “non splanchnique”.
Conclusion
Le diagnostic et la classification des SMP sont de
plus en plus influencés par la présence de marqueurs moléculaires. Cependant, les anomalies
moléculaires identifiées à ce jour ne permettent
pas (encore ?) de s’affranchir des associations de
critères diagnostiques pour établir un diagnostic
clinique fondé sur le phénotype. Enfin, dans la
PV comme dans la TE, rappelons que la recherche au diagnostic des facteurs de risque cardio­vasculaires qui augmentent le risque thrombotique
est indispensable pour adapter le traitement.■
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