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GROBIOSCIENCES
CYCLE ETHIQUE DES SCIENCES DU VIVANT
Café des Sciences et de la Société du Sicoval
ASSISTANCE MEDICALE
A LA PROCREATION ET BIOETHIQUE :
Nadine Fresco
OCTOBRE 2001
UNE TERMINOLOGIE EN MOUVEMENT
Edi par la Mission Agrobiosciences, avec le soutient du Sicoval, communau
d’agglomération du sud-est toulousain. La mission Agrobiosciences est financée
dans le cadre du contrat de plan Etat-Région par le Conseil gional Midi-Pyrénées
et le Ministère de l’Agriculture, de la Pêche, de l’Alimentation et des Affaires rurales.
Renseignements: 05 62 88 14 50 (Mission Agrobiosciences)
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Nadine Fresco
Assistance médicale à la procréation et bioéthique :
une terminologie en mouvement
La Conférence
Les fulgurantes avancées en biologie humaine durant le dernier tiers du vingtième siècle
dans les pays économiquement avancés ont donné naissance, dans les mêmes pays, à une
nouvelle discipline d'un genre particulier, qu'on a baptisée bioéthique. Nadine Fresco commence
par rappeler comment les questions qui s'y rapportent font sans cesse l'objet de prises de
position de scientifiques, philosophes, juristes, responsables politiques, en même temps que de
débats dans les médias et d'un enseignement à l'université, qui dispense des diplômes en la
matière. Comment ces mêmes questions sont discutées dans des comités ad hoc, notamment
nationaux tel, en France, le Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et
de la santé (CCNE)1 ou internationaux, tel le Groupe européen d'éthique des sciences et des
nouvelles technologies2. Comment, enfin, une étape obligée de cette activité en constante
expansion consiste en l'élaboration, la discussion, puis le vote de textes de lois, ainsi que la
France, pionnière en la matière, l'a fait en 1994, avec ses lois dites précisément de bioéthique.
"Un sujet entre tous, précise Nadine Fresco, n'a cessé d'occuper - et occupe de plus en plus -
les diverses tribunes où on parle ainsi de bioéthique. Il s'agit des pratiques regroupées dans ce
qu'on a - première remarque sur les évolutions de la terminologie - d'abord appelé les PMA
(procréations médicalement assistées) et qu'on désigne aujourd'hui plutôt comme AMP
(assistance médicale à la procréation)". La partie des lois de 1994 qui se rapportait à ces
1 Le CCNE, créé par un décret du Président de la République le 23 février 1983, a pour mission de "donner des avis
sur les problèmes éthiques soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la
médecine et de la santé et de publier des recommandations sur ce sujet". Pour la composition actuelle du CCNE, voir
http://www.ccne-ethique.org/francais/start.htm
2 Ce Groupe "est chargé de donner des avis à la Commission Européenne sur toute question éthique relative aux
sciences et aux nouvelles technologies, soit à la demande de la Commission, soit de sa propre initiative". Sur la
composition actuelle, du Groupe voir http://europa.eu.int/comm/european_group_ethics/gee_fr.htm#comp2001
questions précisait qu'elles devraient être révisées dans un délai maximum de cinq ans. Un avis
du CCNE sur cette révision, émis en 1998, commentait que cette disposition était
"opportunément inspirée du constat que le soubassement scientifique de cette loi est par nature
en constante évolution et qu'il convient de se pencher sur les incidences éventuelles de ce
mouvement sur l'état du droit". Cette "évolution" et ces "incidences" ont été telles que la révision
n'a d'ailleurs pas eu lieu dans le délai prévu3.
Dans le projet de révision de ces lois de 1994, il est spécifié que "l’assistance médicale à la
procréation s’entend des pratiques cliniques et biologiques permettant la conception in vitro, le
transfert d’embryons et l’insémination artificielle, ainsi que toute technique d’effet équivalent
permettant la procréation en dehors du processus naturel". La terminologie même est
décidément, aux yeux de l'invitée, une donnée importante dans l'histoire de la bioéthique. Le
début de cette définition de 1994 renvoie à ce qui fut la première en date de ces nouvelles
techniques qui permettaient "la procréation en dehors du processus naturel". C'était en 1978. La
presse couvrit largement à l'époque la naissance, en Grande-Bretagne, du premier "bébé-
éprouvette", comme on l'appela alors, une petite fille, Louise Brown, qui avait été conçue par
FIVETE4. Cette technique, mise au point pour pallier certaines formes de stérilité5 a été
beaucoup pratiquée depuis 1978, puisqu'en France, par exemple, elle a permis la naissance, à
ce jour, de plus de soixante mille enfants, conçus donc in vitro - et non in vivo, comme cela avait
été le cas depuis la nuit des temps, jusqu'à la petite Louise Brown - et comme cela continue
bien évidemment d'être le cas...
En 1997, les échos de l'actualité se sont portés sur l'annonce d'une autre naissance
britannique, celle de Dolly6. "Il s'agissait d'une naissance animale cette fois, mais si elle a fait
3 C'est huit ans plus tard seulement, en janvier 2002, que le projet de loi a été voté, en première lecture, par
l'Assemblée nationale. Après passage devant le Sénat en janvier 2003, le vote final de la loi elle-même est prévu pour
la fin de l'année 2003. Voir plus loin "1983 - 2003 : vingt ans de bioéthique publique en France".
4 Fivete = fécondation in vitro et transplantation d'embryon, c'est-à-dire la fécondation des cellules reproductrices des
parents, non dans le corps de la mère mais dans une éprouvette de laboratoire. On transplante ensuite l'embryon
ainsi obtenu dans l'utérus de cette femme, et la grossesse se poursuit jusqu'à la naissance de l'enfant..
5 Particulièrement dans le cas de femmes dont les trompes sont absentes, obstruées ou altérées, ou d'hommes
atteints d'azoospermie, c'est-à-dire qui ne produisent pas de spermatozoïdes.
6 En février 1997, le biologiste britannique Ian Wilmut et ses collègues de l'Institut Roslin, situé près d'Edimbourg, en
Ecosse, annoncèrent qu’ils avaient réussi à cloner une brebis, Dolly, possédant exactement le même matériel
génétique que sa mère.
grand bruit, c'est bien à cause de l'application potentielle à l'espèce humaine de la technique
alors utilisée". Produire un être humain par clonage, comme on l'avait fait pour obtenir la brebis
Dolly, consisterait à prélever le noyau d'une cellule d'une personne, à le transférer in vitro dans
un ovule prélevé chez une femme, ovule duquel on aurait préalablement retiré le noyau, puis à
transplanter l'embryon ainsi obtenu dans l'utérus de cette femme. On aboutirait de la sorte à la
naissance d'un enfant génétiquement identique à la personne chez qui on aurait prélevé le
noyau cellulaire. Une telle technique permettrait d'ailleurs - ce qui a ajouté à l'émotion soulevée
à travers le monde par l'annonce de la naissance de Dolly - de fabriquer non pas seulement un
,mais plusieurs clones, c'est-à-dire des individus génétiquement identiques entre eux et
identiques à celui chez qui le noyau cellulaire aurait été prélevé. Il suffirait pour cela d'implanter
les embryons obtenus dans les utérus d'autant de femmes que nécessaire - puisque, pour
l'instant du moins, l'utérus est une couveuse dont on ne sait pas se passer.
"Sans s'arrêter ici, explique alors Nadine Fresco, à la question même, encore très
problématique, de la faisabilité de cette technique et de la viabilité des embryons qui en
proviendraient7, il peut être éclairant de rappeler qu'aussi spectaculaire que soit une telle
possibilité - fascinante aux yeux de certains, terrifiante et moralement inacceptable pour bien
d'autres -, la perspective d'une reproduction humaine par clonage s'inscrit, tout comme la
fécondation in vitro, dans une série de dissociations qui se sont produites au cours de l'histoire
des humains entre deux domaines aussi étroitement liés que le sont, dans cette histoire, la
sexualité et la reproduction. La première de ces dissociations, elle-même très ancienne, est
celle qui s'exerce entre la sexualité et la procréation. La longue histoire des pratiques de
contraception et des pratiques d’avortement témoigne du fait que les humains n'ont en effet
jamais cessé de tenter de dissocier sexualité et procréation. Mais l’apparition de la pilule
contraceptive, fort récente dans cette longue histoire, a conféré à ces pratiques anciennes une
7 Le clonage des animaux semble, pour l'instant du moins, se caractériser souvent :
1° par la nécessité d'un très grand nombre de tentatives avant de parvenir à la naissance de l'animal qu'on veut
produire par clonage,
2° par le constat de multiples malformations (anémies sévères, anomalies cérébrales, digestives, respiratoires, etc.)
et, en conséquence,
3° par un vieillissement et une mort précoces de l'animal né après clonage.
véritable efficacité, puis une reconnaissance publique quand elle a, tout comme l'avortement,
été légalisée. A cette première dissociation a succédé très récemment la possibilité d'une
nouvelle dissociation, cette fois-ci entre la sexualité et la fécondation - grâce, précisément, aux
diverses techniques d'assistance médicale à la procréation, à partir de la naissance de la petite
Louise Brown en 1978, pour qui la fécondation a donc eu lieu in vitro, et non in vivo, c'est-à-dire
dans un rapport sexuel. "Et voici qu'à peine vingt ans après cette dissociation spectaculaire
entre sexualité et fécondation, c'est une toute nouvelle qui se profile à l'horizon avec la
possibilité de l'application à notre espèce du clonage reproductif, une dissociation qui aurait lieu
cette fois, tout bonnement, entre la reproduction sexuée et la fabrication même d'un être
humain8. "
La partie des lois de 1994 qui concernait la procréation médicalement assistée stipulait que
"Toute expérimentation sur l'embryon est interdite". Cette phrase semblait particulièrement
claire, explicite et radicale dans son énonciation. Mais elle était immédiatement suivie de : "A
titre exceptionnel, l'homme et la femme formant le couple peuvent accepter que soient menées
des études sur leurs embryons. Ces études doivent avoir une finalité médicale et ne peuvent
porter atteinte à l'embryon". « Cet énoncé-là, » commente Nadine Fresco, « paraissait moins
clair ». Que veut dire "à titre exceptionnel" ? Qu'est-ce qui qualifie cette exceptionnalité ? Et qui
la qualifie ainsi ? De plus, toute "expérimentation" est donc interdite sur l'embryon mais on peut
mener des "études" sur les embryons d'un couple. Où se situe la frontière entre
"expérimentation" et "étude" ? Qui en décide ? Terminologie toujours : dans un rapport émis
postérieurement à ces lois de 1994, le CCNE propose précisément que le mot
d'"expérimentation" soit remplacé par celui de "recherche"9.
8 Un peu plus d'un an après la conférence de Nadine Fresco, la secte des Raëliens annonçait à grands renforts de
trompettes la naissance, en décembre 2002, du premier bébé humain cloné, finement prénommée Eve. Info ou intox,
cette annonce a fait la "une" de tous les médias. Les Raëliens coiffaient ainsi au poteau - au moins dans l'intox - le
médecin <sic> italien Severino Antinori qui, après avoir aidé (?) une femme à faire un enfant à l'âge de 62 ans,
concentre lui aussi depuis quelques années ses efforts - et ses effets d'annonce - sur le premier bébé cloné. En
janvier 2003, la preuve médico-légale de l'existence de cette petite Eve d'un genre nouveau n'avait toujours pas été
apportée par la secte raëlienne.
9 Proposition retenue dans le projet de loi voté en première lecture à l'Assemblée Nationale en janvier 2002 : "Art. L.
2151-3. - Est autorisée la recherche menée sur l'embryon humain et les cellules embryonnaires qui s'inscrit dans une
finalité médicale, à la condition qu'elle ne puisse être poursuivie par une méthode alternative d'efficacité comparable,
en l'état des connaissances scientifiques."
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