- 5 -
La phase de « crise » au sens habituel du terme -c’est-à-dire de baisse ample et rapide des quantités et des
prix qui mesurent les activités bancaires et financières- se caractérise par un comportement de fuite en dehors des
actifs jusque-là détenus : soudainement, tous les acteurs souhaitent en même temps échanger leurs avoirs contre
des instruments leur semblant offrir à la fois une négociabilité (capacité à être échangé sans délai) et une liquidité
(capacité à être échangé sans risque de perte en capital) plus grandes. De façon générale, une crise financière se
définit comme une brutale augmentation de la demande de monnaie à des fins de précaution.
Mais, autour de ce thème général, des variations sont possibles, qui s’imbriquent les unes dans les autres
telles des poupées russes : si le doute porte sur la valeur des actions ou des obligations, c’est dans les dépôts
bancaires que l’on cherchera refuge ; si c’est la solidité des banques émettrices de ces dépôts qui est en doute,
c’est la monnaie émise par la banque centrale qui sera recherchée ; si la monnaie nationale n’est plus crédible,
c’est vers une monnaie étrangère que le marché se retournera ; enfin, si ce sont les monnaies-papier
inconvertibles qui font l’objet d’une défiance généralisée, c’est vers l’or ou tout autre forme de monnaie-
marchandise, n’ayant pas le caractère d’une créance sur autrui, que pourra se porter la demande de monnaie.
D’où la distinction, faite par les monétaristes, entre crises authentiques -celles qui dégénèrent en paniques
bancaires- et « pseudo-crises financières », qui se limitent à de fortes fluctuations des prix des actifs financiers et
des volumes échangés, mais sont néanmoins susceptibles d’avoir des répercusssions systémiques. Sont qualifiées
de systémiques les secousses suffisamment importantes pour entraîner la défaillance d’un ou plusieurs
intermédiaires financiers, perturber le système de paiement, ou empêcher le processus d’allocation de capital par
le système financier. On conviendra sans doute qu’il ne s’agit là que d’une différence de degrés.
Nécessaire mais illusoire promesse de liquidité
Les instruments de placement qui viennent d’être énumérés peuvent être classés en deux grandes
familles : ceux qui, d’une part, sont inscrits aux passifs des bilans des banques et ceux, d’autre part, qui négociés
sur les marchés financiers, mettent directement en relation les agents qui ont des liquidités à placer avec ceux qui
ont des besoins de financement.
Les banques sont liées, de façon quasi irréversible, avec chacun de leur clients débiteurs comme avec
chacun de leurs déposants, pour des durées explicitement précisées, qui sont généralement courtes, voire très
courtes pour les dépôts. Elles garantissent la valeur nominale des dépôts qu’elles reçoivent. En revanche, les
actifs qu’elles détiennent -prêts non négociables ou titres- sont généralement remboursables à un terme plus
éloigné que celui des dépôts et ils sont, en outre, moins liquides. Les actifs des banques sont, en effet, loin de se
composer uniquement de billets ou pièces émis par la banque centrale.
Dans le cas des titres -actions ou obligations- leur négociabilité sur un marché secondaire vise aussi à
favoriser la mobilisation de ressources, mais à plus long terme. Cette négociabilité des titres sur le marché
secondaire, qui est en fait un marché de l’occasion, permet à leurs détenteurs de les convertir en monnaie en cas
de besoin, mais à cours incertain. Il leur suffit de revendre leurs titres à d’autres agents. De son côté, l’entreprise
ou l’entité émettrice de ces titres n’a pas à vendre les actifs productifs (usines, machines, etc.) que l’émission de
titres lui permet de financer.
Dans les deux cas, dépôts bancaires ou valeurs mobilières, une forte instabilité est donc techniquement
possible, si tous les déposants ou tous les porteurs de titres cherchent en même temps à liquider leurs avoirs.
Compte tenu de l’incertitude fondamentale qui affecte l’avenir lointain, il serait très difficile, voire impossible, de
financer certains types d’investissements, si la possibilité n’était pas donnée aux bailleurs de fonds de convertir
leurs titres en monnaie, en les revendant à d’éventuels repreneurs sur le marché secondaire. L’incertitude dont il
est ici question n’est pas seulement celle qui touche la rentabilité de l’investissement qu’il s’agit de financer
(usine, route, etc.), c’est aussi, et peut-être surtout, celle qui affecte la situation future du bailleur de fonds : quel
acheteur de titres peut être absolument certain qu’il n’aura pas besoin de liquidités au cours des quinze, vingt ou
trente années à venir ? Là est donc la difficulté : si l’on veut pouvoir drainer des capitaux en volume important et
à moindre coût, il faut donner à leurs détenteurs la possibilité de liquider leurs titres à tout moment.
Un terrain idéal pour la spéculation
Or, il se trouve que les valeurs mobilières sont, par excellence, des instruments de spéculation. Peut être
qualifiée de spéculative toute opération d’achat ou de vente dont le « seul motif est l’anticipation d’un