Janice Best 11
INTRODUCTION1
Dans cet ouvrage qui porte sur lřinstitution de la censure théâtrale
telle quřelle existait au cours du dix-neuvième siècle Ŕ cřest-à-dire, une
censure officielle, préalable et obligatoire, jřexamine à la fois les manuscrits
que les auteurs soumettaient aux censeurs ainsi que les rapports des
examinateurs. Lřobjet de mon analyse est le processus même par lequel les
censeurs tentaient de justifier leurs décisions et les auteurs essayaient, pour
leur part, de répondre aux exigences des censeurs. Je me suis intéressée en
particulier aux silences de ces textes qui sont créés aussi bien par
lřautocensure des auteurs eux-mêmes que par la plume des censeurs.
Souvent, lřœuvre censurée paraissait sous une forme modifiée qui nřétait ni
celle originalement projetée par lřauteur, ni celle souhaitée par les censeurs.
Le texte final était le résultat dřune négociation entre lřauteur et les
censeurs. En effet, les traces de ce travail de retranchement et de
modification restent encore visibles sur les versions manuscrites de ces
pièces. Le fil conducteur de ce livre est que seule une analyse des «trous»
résultant du dialogue entre les auteurs et les censeurs permet de reconstruire
le véritable discours subversif qui se greffe sur le dit du texte. Car si
lřintérêt dřune œuvre littéraire réside souvent dans ce quřelle ne dit pas, ou
ce quřelle ne peut pas dire (Macherey), cela est encore plus vrai des textes
censurés.
Lorsquřon aborde lřétude de la littérature en général, ou lřanalyse
des textes, ce concept de lacunes ou de silences significatifs a un certain
flou (Hamon). Sur le manuscrit dřune pièce censurée, cependant, ces
«silences» sont visibles, résultant directement dřun acte de censure ou
dřautocensure. En examinant ce qui se cache derrière les multiples ratures
et biffures quřon trouve sur ce genre de document, je tente de faire reparler
le texte original. Ce ne sont pas des «lacunes décelées» ni des «implicites
rétablis» comme on peut trouver dans une œuvre littéraire (Hamon)2, mais
des trous réels. Mon intérêt se porte ainsi sur des silences qui se créent à
deux niveaux Ŕ dřabord celui de la censure elle-même, et les mots quřelle
supprime; ensuite celui de lřidéologie qui est à lřorigine de ces «trous».
Les exemples dřopéras censurés sont à ce titre particulièrement
intéressants. Un librettiste qui se voit contraint dřéliminer certains passages
de son œuvre peut choisir de laisser ces trous vides, ou de les remplir