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s o c i é t é
Études - Mars 2017 - n° 4236
QU’EST-CE QU’UN COLLÈGE
JÉSUITE ?
ierry LAMBOLEY* et Bruno TESSIER**
Pour les anciens élèves des écoles de la Compagnie de Jésus,
jusque vers les années 1970, une école jésuite est une école
dirigée et guidée principalement par des jésuites, même si
quelques professeurs laïcs y enseignent également. Aujour-
d’hui, dans ces mêmes écoles où les jésuites sont moins pré-
sents physiquement et en responsabilité directe, nombre
d’entre eux témoignent qu’ils ont du mal à se reconnaître dans
l’organisation, la pédagogie ou la pastorale de l’école de leurs
enfants ou petits-enfants. Que s’est-il passé au l du temps ?
À quoi répond aujourd’hui une école catholique jésuite ?
Dans la seconde moitié du XXesiècle, en tenant compte de la baisse
soudaine des vocations religieuses et des nouvelles réexions de
la pensée de l’Église qui se dirige vers VaticanII, la Compagnie de Jésus
repense son approche éducative, tout comme dautres congrégations
religieuses enseignantes. La société civile française, de son côté, revoit
la place de lécole catholique dans la nation. Ainsi, la loi Debré de 19591
reconnaît le caractère propre des écoles catholiques et permet la signa-
ture de contrats dassociation apportant les moyens nanciers de l’État
pour assurer le maintien de lactivité denseignement des écoles catho-
liques. Au-delà de la question de
la laïcité, cette loi indispensable
pour assurer la survie écono-
mique des écoles privées catho-
liques inuence de manière
1. Loi n° 59-1557 du 31 décembre 1959 sur les rapports entre l’État et les établissements d’en-
seignement privé.
* Jésuite, délégué du provincial
pour les établissements scolaires.
** Responsable de l’équipe nationale
de tutelle sur les institutions
éducatives jésuites.
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signicative les salles des professeurs, en limitant le recrutement à des
professeurs diplômés d’État et pas nécessairement catholiques, ce qui
déstabilise bon nombre dadultes, à commencer par les parents délèves.
Le deuxième choc arrive quelques années plus tard – avec lobligation
pour certains et un véritable choix pour dautres – de recruter des chefs
détablissement laïcs pour remplacer les religieux qui ne sont plus en
nombre susant ou nont pas les compétences nécessaires.
Trente ans plus tard, devant le risque de perte didentité chré-
tienne des écoles catholiques où il n’y a plus de religieux, les évêques
demandent que soit mis en forme le premier «statut de lenseigne-
ment catholique». Il voit le jour en 1992. Il introduit la notion de
«tutelle»2 permettant de dénir et de préciser les liens canoniques de
lécole avec l’Église ainsi que les obligations découlant du caractère
propre, la place et le rôle des responsables de ces institutions vis-à-vis
de l’Église de France.
La prise de conscience par les évêques que des institutions
–ouvertes à tous, scolarisant au total un peu plus de deux millions
délèves, eux-mêmes pas obligatoirement catholiques3 – peuvent être
des lieux de mission privilégiés se fait peu à peu. Devant le risque que
quelques établissements s’identient davantage par leur caractéris-
tique «privée» plutôt que par leur caractère propre catholique et pour
rapprocher les écoles catholiques des diocèses, les relier davantage aux
paroisses et les faire travailler en réseau, un nouveau statut paraît en
2013. En se référant à Vatican II et aux travaux importants de la
Congrégation pour lécole catholique de 19974, ce statut prend en
compte tout à la fois la crise des valeurs et laccentuation de lécart
entre pays pauvres et pays riches. Il précise les nalités de lécole dans
le monde daujourdhui tant au niveau de la formation de chacun, une
« formation intégrale de la personne », que dans sa visée sociale :
«Lécole est un lieu indispensable à la construction d’une société juste
et harmonieuse.»5
Sur le terrain éducatif, ce lien resserré entre chaque école et chaque
diocèse est animé par les directeurs diocésains, délégués épiscopaux.
Il contribue à faire évoluer la manière de diriger les établissements.
Ainsi, pour recruter des personnels dans le domaine de la pastorale,
2. Statut de 1992, titre II, articles 14 à 26.
3. De par son statut juridique (loi Debré), l’école catholique est « ouverte à tous ».
4. « L’école catholique au seuil du IIIe millénaire. »
5. Statut de 2013, articles 6 et 7.
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lavis favorable de l’évêque est nécessaire ; pour recruter un chef déta-
blissement, son accord est requis et, pour se développer (par exemple,
ouvrir de nouvelles classes ou lières de formation), chaque établisse-
ment catholique doit accepter les arbitrages collectifs dans lesquels la
direction diocésaine a une responsabilité à exercer. Simultanément,
ce même statut instaure, pour les autorités de tutelle et leurs délégués,
des lieux réguliers de rencontre, déchanges et dharmonisation sous
la forme de conférences des tutelles, présidées par les évêques dans
chaque diocèse deux fois par an. Cette nouvelle manière de faire
modie peu à peu lensemble de lenseignement catholique, qu’il soit
diocésain ou congréganiste.
La Compagnie de Jésus na pas attendu des réformes externes pour
s’interroger sur la manière de faire évoluer les instances, la formation
des laïcs et laccompagnement des établissements scolaires sous sa
tutelle. Outre le fait quelle n’a conservé en France que quatorze sites
scolaires, soit une trentaine de chefs détablissement et vingt et un
mille élèves, elle s’est adaptée et a évolué de manière signicative dans
plusieurs domaines, souvent peu connus des anciens élèves.
La collaboration des laïcs dans la mission
La Compagnie de Jésus a instauré ce qu’elle nomme «la collabo-
ration dans la mission », une démarche intuitive et évangélique
essentielle. Il s’agit pour la Compagnie de faire le choix de se tourner
vers les laïcs et de déterminer la place quils auront. Il s’agit pour
ceux-ci doccuper des responsabilités dœuvres jésuites à leur côté et
avec eux. Cette option fondamentale a fait lobjet, lors de la
34econgrégation générale de 1995, du décret 18 qui décrit le «renou-
veau apostolique signicatif commencé et poursuivi par le grand
nombre de jésuites et de laïcs qui travaillent dans lapostolat de
léducation secondaire ». La Compagnie de Jésus a conrmé cet
engagement en 2008, lors de la 35econgrégation où le décret 6 invite
à approfondir trois questions :
– «Qu’est-ce qui constitue une œuvre jésuite ? Comment peut-elle
se maintenir telle si elle est dirigée par dautres que des jésuites ?»
«Quels sont les éléments nécessaires de la formation dont ont
besoin les jésuites et les autres pour assurer le développement tant spi-
rituel que pratique de notre mission ?»
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«Quels liens peuvent fructueusement nous unir comme colla-
borateurs cherchant à servir ensemble et dans une profonde aection
mutuelle la mission donnée à la Compagnie ?»
Il n’est pas certain que ce décret soit bien connu des laïcs qui
œuvrent aux côtés des compagnons. Il représente pourtant une ouver-
ture chargée dune grande espérance pour lavenir de l’Église. «La
collaboration dans la mission a
apporté de nombreux bienfaits
aux apostolats et à la Compa-
gnie de Jésus. Être en mission
avec des collaborateurs aposto-
liques nous encourage à vivre
plus pleinement et plus authen-
tiquement notre vocation religieuse jésuite. Ce que nous apportons
dans ces relations est, en dénitive, notre propre identité dhommes
marqués par nos vœux et par les Constitutions ; des hommes que lex-
périence des Exercices spirituels a liés les uns aux autres et à ce “che-
min vers Dieu. En collaboration avec dautres, dans un dialogue res-
pectueux et une recherche commune, travaillant aux côtés de ceux
qui ont des engagements similaires mais marchant sur dautres che-
mins, nous en venons à mieux connaître notre propre cheminement
et à le poursuivre avec un zèle et une compréhension renouvelés.»6
Dans le domaine de léducation des jeunes, cette collaboration
au cœur de la mission s’est peu à peu mise en œuvre. Ainsi, cette
année, tous les établissements scolaires sous tutelle de la Compagnie
de Jésus en France sont dirigés par des laïcs. Ceci n’empêche évi-
demment pas la Compagnie de Jésus de garder un lien avec les éta-
blissements ni des jésuites, formés et disponibles, de trouver une
place spécique danimateur, daccompagnateur, de responsable et
même dêtre un jour chef détablissement comme cela a été le cas les
dernières années.
Outre les jésuites formateurs au Centre détudes pédagogiques
ignatien (CEP-I)7, dont nous reparlerons un peu plus loin, une ving-
taine de jésuites sont envoyés en mission dans certains établissements.
Pas dans tous, car il n’y a plus dans chaque ville une communauté
jésuite «sidante» et donc en proximité géographique. Les jésuites
6. Congrégation générale 35, décret 6, paragraphe 15.
7. CEP-I, 14 rue d’Assas, 75006 Paris, www.reseaucep.net
Tous les établissements
scolaires sous tutelle de la
Compagnie de Jésus en France
sont dirigés par des laïcs
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peuvent avoir des responsabilités daumônerie comme au lycée pro-
fessionnel Le Marais – Sainte-érèse à Saint-Étienne, à Sainte-Gene-
viève («Ginette», à Versailles) ou Saint-Louis-de-Gonzague («Fran-
klin », à Paris), de « prêtre accompagnateur » comme à Lyon ou
Saint-Étienne, denseignement (École de Provence, à Marseille), de
préfet détudes («Ginette», à Versailles), faire leur temps de régence
dans le cadre de la formation jésuite, ou intervenir ponctuellement à
la demande des chefs détablissement (par exemple, pour une confé-
rence en journée de prérentrée) ou à la demande dadjoint ou danima-
teur en pastorale scolaire (APS) pour des sacrements ou des célébra-
tions. D’autres jésuites ont un rôle plus institutionnel en représentant
la tutelle en tant que «membres de droit» dans les conseils dadminis-
tration, lieux essentiels dorientations et de décisions pédagogiques,
éducatives, pastorales et nancières.
En France, cette collaboration dans la mission est donc réelle,
eective et naturelle pour les uns et pour les autres. Un jésuite envo
dans un établissement scolaire sait que sa mission s’exercera avec des
laïcs et, de son côté, un laïc nommé chef détablissement ou APS sait
quil pourra compter sur un ou plusieurs jésuite(s) envoyé(s) par le
supérieur provincial, s’appuyer sur lui ou être accompagné par lui. Le
réseau des jésuites et laïcs en responsabilité dans les établissements
scolaires, dans ses modalités de fonctionnement, s’appuie sur la parole
échangée et les initiatives partagées par les uns et les autres.
La Compagnie de Jésus leur propose des temps de formation à la
spiritualité ignatienne, les invite à se rendre sur les lieux de vie dIgnace
et François-Xavier et apporte un accompagnement humain et spirituel
à ceux qui le veulent. Les laïcs en responsabilité dans les établissements
scolaires ont conscience de la chance quils ont dexercer la mission qui
leur est conée avec cette aide et cette reconnaissance.
Le projet pédagogique ignatien
Lenjeu de la transmission éducative et pédagogique inspirée par
les Exercices spirituels d’Ignace de Loyola était tel que la formation
des adultes a été le premier levier daction que la Compagnie de
Jésus a installé. En 1946, elle crée le Centre détudes pédagogiques
(CEP), destiné à former à la pédagogie ignatienne jésuites et laïcs
enseignant dans ses écoles. Le premier responsable en est le père
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