Eboussi Boulaga : l`ancien jésuite qui pense le Muntu

Eboussi Boulaga : l'ancien jésuite qui pense le Muntu
Extrait du AEUD.INFO : L'action prend corps
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Eboussi Boulaga : l'ancien
jésuite qui pense le Muntu
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Date de mise en ligne : mardi 28 juillet 2009
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Eboussi Boulaga : l'ancien jésuite qui pense le Muntu
Itinéraire et courants de pensée de l'homme à qui la communauté universitaire a rendu
hommage samedi 25 juillet 2009 à l'amphi 700 du campus universitaire de Ngoa Ekelle.
Il y a un rapport virtuel fort entre Eboussi Boulaga et les villages Bafia et Lablé. Dans le premier il y est né. Dans le
second il y a passé son enfance. Son père catéchiste à Lablé, l'unique mission catholique de l'époque dans cette
région, faisait partie des hommes cultivés de son temps. C'est ainsi qu'il a inculqué très tôt à ses enfants, le goût de
la lecture des magazines chrétiens tels que « Pèlerin Magazine », journal des catholiques français de droite. La
maman d'Eboussi Boulaga était une cultivatrice qui travaillait énormément les champs. Ce qui fait que pendant toute
l'enfance, le temps de la fréquentation de l'école primaire à Lablé, la famille était au-dessus des besoins
alimentaires. L'étape d'Efok qui suit où le jeune Fabien achève le cycle primaire est en fait une étape transitoire. Mais
il ressort que l'attachement à Bafia et Lablé, reste sérieux, ne serait-ce que pour l'initiation à la vie du village dont
Eboussi Boulaga jusqu'à ce jour semble garder les séquelles sur le plan de son subconscient. « Je suis longtemps
resté au village aux côtés de mes parents. Cela évidemment m'a marqué. Après que je sois parti ailleurs pendant
des années, mon retour au pays a commencé par un séjour pendant un temps dans mon village », raconte-il. De ce
séjour au village à Lablé et Bafia sortira une formation humaine qui va plus tard entrer en dialogue avec la
découverte d'autres formations. D'abord, celle de séminariste à Akono, où sont passés la plupart des hommes de sa
génération, dans les années 40 et 50, et qui dirigent encore le Cameroun aujourd'hui. Ensuite la rencontre avec la
Compagnie de Jésus où Eboussi Boulaga va puiser l'essentiel de sa formation intellectuelle. En fait, l'entrée dans les
ordres religieux de grande envergure tels que la Compagnie de Jésus (jésuites), l'Ordre des frères prêcheurs
(dominicains) n'était pas du tout évidente. C'était l'époque où dans la grande région apostolique de Yaoundé, feux
les seigneurs François Xavier et René Graffin s'échinaient à former le clergé diocésain. Les « prêtres indigènes »
comme on les appelait alors. Chez les jésuites, Engelbert Mveng, jeune fils Bene de la tribu Mvog Manga né à
Enamgal, petit village localisé dans la région du Sud, le 9 mai 1930, en était le premier. Le fondateur de l'ancien
collège Le Sillon à Yaoundé est le tout premier camerounais à entrer chez les jésuites en 1952. Avec évidemment la
« malédiction » de Mgr Graffin qui voyait cette démarche de l'ancien petit séminariste d'Akono d'un mauvais oeil.
C'est à sa suite qu'arrive donc Eboussi Boulaga en 1955, après le cycle secondaire de philosophie à Otélé. Pour
faire un jésuite, il faut 20 ans après l'obtention du baccalauréat. La première étape, celle par laquelle Fabien Eboussi
Boulaga est passé, est celle du noviciat. A son époque cela se passait à l'ancien Congo belge, précisément dans un
petit village de la province Kasaï occidental qu'on appelle Djouma. Aujourd'hui le noviciat des jésuites pour ce qui est
la province de l'Afrique de l'Ouest qui part du Sénégal jusqu'en Centrafrique, se trouve à Bafoussam au Cameroun.
Le noviciat de la Compagnie de Jésus dure deux ans. Pendant ces deux ans, le novice est formé à la spiritualité
ignacienne, dont la grande spécificité se trouve dans les fameux exercices spirituels de saint Ignace. Il est question,
pour le futur jésuite en formation, de passer une retraite de trois mois dans le jeûne et la prière. Et que tous les jours,
à chaque seconde, chaque minute, chaque heure, dans tout ce que l'on fait on tourne son esprit et son âme vers
Dieu. Il s'agit en fait d'un nettoyage, d'un dépouillage du cerveau et d'esprit de tout ce qui est contraire à Dieu. Ce qui
fait que logiquement, à l'issue des trois mois que durent les exercices spirituels de saint Ignace, le jeune novice est
comme lessivé spirituellement et devient un homme nouveau, capable d'affronter toutes les spiritualités et autres
études intellectuelles dans la suite de sa formation. Celle-ci se poursuit après les voeux perpétuels par trois ans
d'études littéraires dans une Université publique, puis trois ans d'études philosophiques couronnées respectivement
par une licence en lettres, et une licence en philosophie. Après quoi, les supérieurs envoient le futur jésuite en «
régence ». Il s'agit d'un vocabulaire purement jésuite, qui marque une période de stage, au cours de laquelle, le
scolastique jésuite est amené à enseigner pendant deux ans dans un collège d'enseignement secondaire tenu par
les jésuites. C'est le cas par exemple de Libermann à Douala au Cameroun, ou encore le collège François Xavier à
N'djaména. Après la « régence » suivent des études de théologie en anglais pendant quatre ans. Au bout de la
troisième année, le scolastique jésuite est ordonné diacre. Et un an après, la Compagnie de Jésus l'accompagne
dans son village pour l'ordination sacerdotale. Mais, bien qu'étant prêtre, l'ancien scolastique n'est pas encore jésuite
plein. Il lui faut encore aller suivre ce qu'on appelle chez les jésuites, des études particulières. Il s'agit par exemples,
de la philosophie politique, de toutes les branches des sciences sociales, des sciences nucléaires, bref, d'importants
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compartiments des domaines de la connaissance scientifique. Cette période dure au moins trois ans. Avant l'étape
de l'enseignement universitaire pour une période de deux ans. Après quoi, la Compagnie de Jésus qui a pris le
temps d'observer celui qui jusque-là était candidat à la vie de jésuite, lui demande alors d'aller terminer sa formation
par une troisième année de noviciat. Le fameux « troisièmement » bien connu dans le vocabulaire jésuitique. Là, le
prêtre jésuite est entre autres initié à la compréhension de la marche du monde, notamment par l'étude minutieuse
des organisations, des sectes qui menacent la foi de l'église catholique. Genre, franc-maçonnerie, rose-croix, et tous
les mouvements intellectualistes. C'est donc à l'issue du « troisièmement » que celui qui devient alors jésuite plein
prononce ses voeux officiels. A ce moment, la Compagnie de Jésus le reçoit officiellement et s'engage à être à ses
côtés jusqu'à la mort.
Pensée saisissante Le Pr Eboussi à qui la communauté intellectuelle a rendu hommage samedi dernier, a eu
exactement tout cet itinéraire. Avec la différence que, à son époque, la formation était encore plus approfondie.
Notamment par des solides études gréco-latines qui font de lui aujourd'hui l'un des grands connaisseurs dans ce
domaine de la connaissance classique. ...Dans l'esprit de la Compagnie de Jésus, Eboussi Boulaga est jésuite à vie.
Nonobstant le fait qu'il s'est volontairement mis à l'écart de cet ordre. La rupture est officiellement arrivée en 1980.
Même si dès 1979, son départ de la Compagnie était pratiquement consommé. C'était en Côte d'Ivoire où il
enseignait depuis 6 ans la philosophie à l'Université de Cocody à Abidjan. Le retour au Cameroun arrive en 1984.
Après une période de ressourcement dans ses villages Lablé et Bafia, Eboussi Boulaga est recruté à l'ex-Université
de Yaoundé où il va poursuivre son métier d'enseignant jusqu'en 1994. Avant de devenir professeur associé à
l'Université catholique d'Afrique centrale. Mais entre temps, Eboussi Boulaga aura été enseignant à la prestigieuse
Université américaine Harvard, puis à Hambourg en Allemagne. Avant l'intégration des activités de société civile,
d'abord avec le Gerdes Afrique, puis le Codesria.
Apôtre de Platon, Aristote, Epicure... Hormis cette professiond'enseignant qui aura déterminée sa vie, dans le
domaine de la philosophie, le Pr. Eboussi Boulaga a un rapport fort avec l'écriture. C'est certainement à ce niveau
qu'il traduit toute sa pensée intellectuelle. C'est vrai que enseignant de philosophie, Eboussi Boulaga s'est
énormément familiarisé avec les présocratiques de la philosophie grecque. Mais il a aussi enseigné Platon, Aristote,
Epicure et plus proche de nous, Hegel dans la « phénoménologie de l'esprit ». Pour ce qui est de la philosophie
moderne, ou contemporaine, Eboussi Boulaga est l'un des grands explicateurs de Wittgenstein, Anna Arendt (origine
du totalitarisme) et John Rawls (la théorie de la Justice). En réalité ce qu'on retient de cet homme à l'humilité
désarmante, c'est qu'il est désormais objet de pensée et d'étude. « La crise du Muntu » apparaît ainsi comme
l'oeuvre majeure de celui que l'on peut à juste titre considérer comme l'un des plus grands intellectuels camerounais.
Il s'agit de la problématique du questionnement de la dimension ontologique de l'homme africain. Dans son entièreté
et sa place dans l'histoire. « Christianisme sans fétiches » qui suit n'est en fait que la suite initiée du questionnement
intellectuel de l'ancien jésuite qui pense le Muntu, c'est dire l'homme africain. Quel sens peut-on donner en son âme
et conscience au christianisme dans un contexte de domination ? C'est bien de cela qu'il s'agit. Un questionnement
non encore achevé aujourd'hui. Ainsi vu, Eboussi peut apparaître dans la société ambiante comme un homme
redouté. Pour le philosophe qui pense chaque jour le réel, notre société est en déphasage avec ceux qui la gère.
C'est pour cela qu'avec le pouvoir, Eboussi Boulaga n'a pas nécessairement besoin de dire quelque chose à ceux
qui conduisent la vie de la nation camerounaise. Son rôle est de réfléchir sur les problèmes de son temps. Que ceux
qui tiennent le pouvoir au Cameroun et qui veulent absolument le garder ad vitam æternam, l'écoutent ou pas,
comme cela se passe sous d'autres cieux, n'est pas le plus important. Il n'écrit pas pour les ministres. Même pas
pour le président la République. Encore moins pour la bande de ses nombreux courtisans. Ce qui est utile c'est de
savoir que des Hommes comme Eboussi Boulaga font partie d'une génération d'Hommes de science qui ont une
rigueur intellectuelle accentuée qui ne supporte pas le mensonge. C'est en cela que la pensée de cet homme formé
à la dure école des jésuites, mérite d'être étudiée comme cela a été le cas samedi dernier.
Par Jean François CHANNON
Le Messager
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