Les contaminations microbiologiques de la vigne au vin, nouveaux enjeux qualitatifs. 3ème Forum œnologique de Davayé (Saône et Loire) Introduction par Aline Lonvaud, Faculté d’Œnologie de Bordeaux, Université Bordeaux II [email protected] Le raisin est un support fortement contaminé par divers microorganismes (champignons filamenteux, moisissures, levures oxydatives et fermentaires, bactéries lactiques et acétiques). Ces microorganismes se présentent sous un état physiologique particulier : ils sont vivants, prêts à se développer si les conditions le permettent et adaptés à des conditions très variables en fonction du climat, des traitements et du stade de maturité. Ils sont habitués à coexister et à s’affronter, à dominer ou à s’effacer face aux autres microorganismes présents. La vendange et les opérations préfermentaires constituent un bouleversement brutal dans l’équilibre plus ou moins institué sur la baie : des microorganismes se trouvent en contact puis sont noyés dans le moût de raisin, d’autres microorganismes présents sur le matériel vinaire contaminent aussi le milieu et un nouvel équilibre s’instaure entre les microorganismes capables de s’adapter aux nouvelles conditions. Parmi celles-ci, le sulfitage puis le manque d’oxygène progressif sont les opérations les plus traumatisantes. Lors de la vinification, le milieu est très sélectif : extrêmement acide, fortement sucré, de moins en moins aéré. Dans ces conditions, seules quelques espèces de levures ou de bactéries subsistent : ce sont les microorganismes du vin. Après la vinification, pendant l’élevage, le vin contient toujours des microorganismes sélectionnés depuis la microflore du raisin, éventuellement rajoutés par le contact avec du matériel souillé, mais particulièrement résistants aux environnements les plus contraignants. Leur croissance n’est pas souhaitable mais quelquefois difficile à empêcher. Les progrès considérables enregistrés dans le contrôle micro- biologique et l’identification par les méthodes de biologie moléculaire permettent de mieux appréhender les problèmes microbiologiques survenant en vinification et en élevage. Les contaminations par Brettanomyces en vinification et en élevage Vincent Gerbaux, I.T.V. Beaune [email protected] Certains vins rouges présentent des odeurs caractéristiques, rappelant l’encre, la gouache, le cuir et l’écurie. Les composés responsables de ces arômes, l’éthyl-4-phénol et l’éthyl-4-gaïacol, sont d’origine microbiologique. La plupart des vins rouges, mais également certains vins blancs, peuvent être concernés et ceux de Bourgogne ne sont pas épargnés. 1. Origine des phénols volatils dans les vins de Pinot noir Sur 167 souches de bactéries lactiques et 86 souches de levures isolées au hasard, aucune souche de bactérie lactique n’est capable de produire des phénols volatils. Parmi les levures prélevées au hasard, 40 % ont la faculté de produire des phénols volatils. Ce taux est porté à 90 % lorsque l’on considère les levures ciblées. Les souches productrices de phénols volatils ont été identifiées par le SIGMO par la technique P.C.R. Elles appartiennent à l’espèce Brettanomyces bruxellensis. La technique d’électrophorèse en champ pulsé (E.C.P.) montre que toutes les souches de Brettanomyces isolées, de vins différents, sont différentes entre elles. 2. Influence des phénols volatils sur la qualité des vins rouges Sur des vins rouges issus de différents cépages (Pinot noir, Gamay, Cabernet franc, Merlot, Cabernet-sauvignon, Tannat), l’ajout de doses croissantes de phénols volatils modifie significativement les qualités olfactive, gustative, globale. Pour les descripteurs aromatiques, les différences significatives concernent plus particulièrement les notes de fruits rouges, ainsi que les termes retenus pour caractériser les phénols volatils : animal, cuir, encre, gouache, suie, écurie. D’une manière générale, la qualité globale du vin diminue avec l’augmentation des doses de phénols volatils ajoutés, à partir de 500 µg/L. HYGIÈNE Le 10 février 2004, l’Union des Œnologues de France Région Bourgogne Centre-Est a organisé, en partenariat avec le Lycée Viticole de Davayé, le 3ème Forum œnologique de Davayé, sur le thème “Les contaminations microbiologiques du raisin au vin, nouveaux enjeux qualitatifs”. Eric Pilatte (responsable de la commission technique) et Philippe Bachy (Président régional) avaient cette année demandé à Aline Lonvaud, Professeur de microbiologie à la Faculté d’Œnologie de Bordeaux, auteur de nombreuses publications sur les bactéries du vin, de présider cette matinée. Après une introduction ciblée d’Aline Lonvaud, se sont succédées quatre interventions de qualité dont les résumés sont présentés ci-dessous. Cette manifestation a été un succès, environ 200 personnes ayant participé (œnologues, techniciens et vignerons) et a bénéficié de l’appui de huit partenaires, le Crédit Mutuel de Bourgogne, Faupin-Amos, Alabeurthe, Saint-Gobain Emballage, Minjard Emballage, Sobemab, Sofralcave, ainsi que la société JohnsonDiversey. 3. Facteurs de croissance des Brettanomyces dans le vin L’étude des facteurs, pH (3.4/3.8), alcool (12/14 % vol.), température (13/18°C) et sucres (pas d’ajout/+ 0,5 g/L de fructose Revue Française d’Œnologie - mars/avril 2004 - N° 205 37 et glucose), a été étudiée dans le cadre d’un plan d’expérience fractionnaire 24-1, avec 3 répétitions par modalité. L’effet de l’alcool sur la croissance de Brettanomyces est très significatif, les teneurs croissantes en éthanol inhibant la production de phénols volatils. L’effet des températures croissantes est également favorable. La présence de sucres résiduels a un effet significatif tandis que l’effet du pH est faible. Brettanomyces s’implante plus facilement sur un vin n’ayant pas effectué sa fermentation malolactique. Par ailleurs, le SO2 ne détruit la population de Brettanomyces qu’à des doses supérieures à 40 mg/L. 4. Présence de Brettanomyces en bouteilles Sur 95 vins du millésime 1996 représentant les différentes appellations de Bourgogne (51 vins blancs de Chardonnay et 44 vins de Pinot noir), seuls 5 % des vins blancs s’avèrent contaminés à de faibles niveaux de populations. A l’inverse, la présence de microorganismes dans les vins rouges est fréquente. Des bactéries lactiques et des levures sont trouvées dans respectivement 50 % et 32 % des bouteilles, avec des niveaux de population pouvant atteindre 104 U.F.C./mL. La présence de Brettanomyces est mise en évidence dans 25 % des bouteilles de Pinot noir analysées. Pour certains vins, les populations dépassent 103 U.F.C./mL. 5. Influence de la température de macération et de l’utilisation d’enzymes sur les teneurs en phénols volatils des vins de Pinot noir Certaines techniques de vinification, comme le chauffage en fin de macération et l’utilisation d’enzymes, permettent une meilleure extraction des composés phénoliques du Pinot noir tout en améliorant la qualité sensorielle des vins obtenus ; chaque technique augmentant l’extraction des composés phénoliques de l’ordre de 15 %. L’utilisation d’enzymes d’extraction, sans activité cinnamyl estérase, permet d’éviter la formation d’acides phénols pouvant être transformés en phénols volatils par des levures du genre Brettanomyces. Les teneurs en sucres résiduels des vins élaborés avec une macération finale à chaud sont proches de 1.0 g/L contre moins de 0.2 g/L pour les vins élaborés avec une macération classique. L’utilisation d’enzymes à l’encuvage n’influence pas notablement les teneurs en sucres résiduels des vins. Par contre, l’utilisation d’enzymes après décuvage tend à augmenter la teneur en glucose (jusqu’à + 0,4 g/L). Les contaminations bactériennes en vinification et en élevage Aline Lonvaud Faculté d’Œnologie - Université de Bordeaux II [email protected] 1. Les conditions de milieu et la vie des bactéries Les bactéries lactiques et les bactéries acétiques sont deux types de microorganismes très différents pour leurs exigences et donc pour leur adaptation à l’environnement. La principale différence tient à la présence indispensable d’oxygène nécessaire aux bactéries lactiques. 38 Avec la fermentation alcoolique et l’augmentation de la teneur en éthanol, le milieu devient plus sélectif et sélectionne les bactéries lactiques et acétiques de sorte qu’en fin de fermentation alcoolique, les espèces prédominantes sont Oenococcus oeni pour les lactiques et Acetobacter aceti et A. pasteurianus pour les acétiques. La température du milieu influence la vitesse de croissance des bactéries. Plus elle est élevée, plus les populations augmentent rapidement. Le pH est le paramètre le plus important qui conditionne la vie des bactéries dans le moût et le vin. Plus le pH est élevé, plus la vie des bactéries dans le vin est facile. Dans les vins issus de moûts acides, les bactéries sont mieux sélectionnées. L’espèce O. oeni plus acidophile que les autres prédomine pendant la vinification ; les autres bactéries lactiques et les bactéries acétiques, sources d’altération sont moins présentes. 2. Les métabolismes bactériens à l’origine d’altérations La piqûre acétique Les bactéries acétiques et en particulier les Acetobacter aceti et A. pasteurianus ont comme substrat privilégié l’éthanol. La voie d’oxydation de l’éthanol en acide acétique ne fonctionne activement que lorsque de l’oxygène dissous est présent ; la quantité formée dépendant de la concentration en bactéries acétiques. La piqûre lactique Par analogie à la piqûre acétique, la piqûre lactique signifie l’augmentation d’acide acétique, donc d’acidité volatile, produite par les bactéries lactiques. Cet incident résulte de la fermentation des sucres par les bactéries lactiques dites hétérofermentaires, comme Oenococcus oeni et certains lactobacilles. Les vins filants Certaines souches bactériennes de l’espèce Pediococcus damnosus sont responsables de cet incident. Elles utilisent quelques centaines de mg/L de sucres résiduels du vin pour synthétiser un exopolysaccharide d’une structure très particulière qui se traduit par une forte augmentation de la viscosité des vins. Des vins filants peuvent être conditionnés à nouveau, après avoir subi une agitation mécanique et une stabilisation. Les vins amers La maladie de l’amertume, plus rare que celle des vins filants, est causée par des lactobacilles et se traduit par une dégradation du glycérol selon une voie qui aboutit au propanediol ; l’intermédiaire de la voie est une aldéhyde qui est à l’origine de l’acroléine. Le goût amer des vins vient de la combinaison de l’acroléine (ou de son précurseur) avec les polyphénols du vin. Les vins riches en amines biogènes Certaines souches de bactéries lactiques sont caractérisées par la présence de gènes particuliers et sont capables de décarboxyler l’histidine en histamine et la tyrosine en tyramine. La tourne Certains lactobacilles sur des vins à pH élevé sont impliqués dans cette maladie grave à l’origine de la dégradation de l’acide tartrique. L’acidité fixe diminue alors que l’acidité volatile augmente. Le “goût de souris” Dans de rares cas, on assiste à la production de bases aromatiques hétérocycliques volatiles (2-acétyltetrahydropyridine et 2-acétyl-1pyrroline) attribuée à des bactéries hétérofermentaires, comme L. hilgardii ou O. oeni. Dans l’état actuel des connaissances, on ne sait pas s’il s’agit de souches particulières ou si des conditions du milieu, comprenant des sucres, de l’éthanal, de l’ornithine, de la lysine et certains métaux déterminent cette déviation. 3. La détection des bactéries d’altération : le contrôle microbiologique des vins. Le contrôle microbiologique des vins revêt plusieurs aspects. D’une part, il est souhaitable de dénombrer des microorganismes (levures, bactéries lactiques, bactéries acétiques) pour savoir s’ils Revue Française d’Œnologie - mars/avril 2004 - N° 205 sont en nombre suffisant, ou au contraire, s’ils ne sont pas trop nombreux. Il permet par exemple au producteur de vérifier l’efficacité d’un traitement, sulfitage ou autre, ou de vérifier que le vin est exempt de bactéries après la mise en bouteilles. Pour connaître la nature des souches, on dispose désormais de méthodes fines et rapides pour l’identification des bactéries du vin, comme l’hybridation par des sondes d’ADN spécifiques, l’établissement de profils génétiques par électrophorèse en champ pulsé ou l’amplification par P.C.R. Le contrôle microbiologique est devenu plus sensible et fiable grâce à ces méthodes. En raison de la diversité de plus en plus grande des bactéries, parce que le pH des vins est de plus en plus souvent élevé, le producteur et l’œnologue doivent redoubler de vigilance. tirage, raccords de tuyauteries, buses de la rinceuse, becs de la tireuse et mors de la boucheuse. La charge microbienne des eaux de rinçage et de l’eau de sanitation est également effectuée. Avant et après filtration, tout au long de la journée, la charge microbienne des vins embouteillés est suivie au niveau de la cuve de tirage, de la filtration finale, en sortie de tireuse et en sortie de boucheuse. Ces contrôles permettent de vérifier l’homogénéité de la mise en bouteilles tout au long de la journée, de localiser les éventuelles sources de contamination et de corréler l’état d’hygiène des surfaces obtenue à la qualité microbiologique du vin embouteillé. La qualité microbiologique des matières sèches (bouteilles, bouchons) et de l’atmosphère (aérobiocontamination) est également suivie tout au long de la mise en bouteilles. Ce diagnostic permet de mettre en évidence les insuffisances dans la maîtrise de l’hygiène, et d’y remédier en modifiant certains paramètres du plan de nettoyage. Après application des nouvelles procédures, un nouveau diagnostic, le diagnostic de contrôle, est réalisé pour valider le nouveau plan de nettoyage. Diagnostic d’hygiène en cave : applications pratiques. Béatrice Cao-Thanh, JohnsonDiversey [email protected] Pour réaliser un diagnostic d’hygiène en cave, de nombreux contrôles sont mis en œuvre. Ils font appel à des techniques complémentaires. Le contrôle microbiologique classique consiste à dénombrer les levures, les bactéries, les moisissures présentes dans le vin ou les eaux utilisées pour la sanitation. Si ces dénombrements apportent une information utile et, actuellement incontournable, leur délai de réponse, lié à l’inévitable incubation des milieux de culture, constitue leur principale limite. Pour pallier à cet inconvénient, une autre technique peut être employée : il s’agit de l’ATP-métrie qui consiste à doser l’Adénosine Tri-Phosphate (ATP) caractéristique de la présence de cellules vivantes, sur les surfaces ou les eaux de rinçage. Le dosage de l’ATP est possible grâce à une réaction bioluminescente qui met en œuvre un pigment, la luciférine, et une enzyme, la luciférase. Si dans un mélange luciférine –luciférase – Mg++, on injecte de l’ATP, l’émission lumineuse s’amorce immédiatement, passe par un maximum au bout de quelques secondes, puis décroît pour s’annuler au bout d’une minute environ. La mesure de l’intensité lumineuse émise détectée à 562 nm à l’aide d’un photomultiplicateur est proportionnelle à la quantité d’ATP injectée et s’exprime en unité relative de lumière (R.L.U.). Dans le cas du diagnostic d’hygiène d’une chaîne d’embouteillage, l’état d’hygiène des surfaces est contrôlé après désinfection, ainsi que certains points définis préalablement : intérieur des cuves de Les sources de contamination les plus fréquemment rencontrées sur une chaîne d’embouteillage sont l’eau stagnante dans la cuve, les tuyaux, pompes, les canalisations, la pompe, la rinceuse, les becs de tireuse qui fuient, les systèmes de mise à niveau du vin et la trémie de boucheuse laissée pleine de bouchons. L’ATP-métrie permet également d’estimer les populations de microorganismes présentes dans les vins. Ainsi, 100 R.L.U. peut être considéré comme la valeur seuil au-delà de laquelle un début de contamination est suspecté dans le vin. Néanmoins, il existe de “faux négatifs” pour lesquels les valeurs de R.L.U. sont inférieures à 100 NTU mais qui contiennent des populations bactériennes relativement faibles, mais aucune levure vivante. Ces cas sont probablement liés à l’état physiologique des germes lorsque le dosage de l’ATP est effectué. Ces types de vins correspondent actuellement à la limite de cette technique. Influence de l’hygiène au cours des phases fermentaires sur l’élaboration et la qualité du vin Denis Caboulet, I.T.V. Narbonne - Pech-Rouge [email protected] Le texte de l’intervention se trouve en intégralité dans ce numéro. 39 Revue Française d’Œnologie - mars/avril 2004 - N° 205