•Fonction de l’art: Pourquoi des artistes ?
« La société des masques tend à devenir une sorte de conservatoire. Elle
témoigne. » (G. Balandier, Afrique ambigu)
L’auteur dans son ouvrage tend à montrer que les masques sont non
seulement les vecteurs de grandes émotions sacrées, mais aussi que l’art
répond avant tout à un besoin de la société, en rendant ainsi possible la
reconnaissance symbolique de sa propre identité dont elle a besoin pour exister
en tant que telle.
G. Bataille, quant à lui, dans l’Erotisme, en s’intéressant aux peintures
rupestres, explique leur existence par le besoin qu’a l’homme non seulement de
représenter, mais aussi d’objectiver sa faculté de se dépasser. On peut ainsi dire
que ces peintures permettent à l’homme de se différencier de l’animal d’une
part, et de manifester son rapport à la transcendance d’autre part.
« Les hommes sont tous amis au sortir du spectacle. Ils ont haï le vice, aimé la
vertu » (Diderot, Correspondance littéraire)
L’auteur fait apparaître ici le rôle de pédagogie sociale de l’art en général.
Quant au théâtre, il pourrait être compris comme une sorte d’expérimentation
des hypothèses sur l’homme. Fidèle à une sorte de catharsis, la mise en scène
se fixe pour but de dépasser certains mécanismes d’aliénation dans lesquels
l’individu se trouve enfermé ; la société tout entière se réfléchissant dans une
sorte d’idéalisation idéologique. La comédie peut alors de muer en dérision des
valeurs.
Enfin, il ne nous faut pas oublier que toute société se nourrit de conflits ; l’art
permet ainsi non seulement l’apprentissage esthétique du jugement, mais aussi,
comme le fait remarquer A. Artaud dans Van Gogh ou le suicidé de la société,
une exaspération de la conflictualité ainsi que sa disparition.
– L’art libère la société de son face à face avec elle.
•Art et société : L’art exprime-t-il une réalité sociale ?
« Notre monde confus a travaillé l'artiste, et celui-ci, nous l'admettrons, s'y est plus ou
moins frayé sa voie secrète. De toute façon, il s'y repère jusqu'à pouvoir ordonner la fuite
des événements et des expériences. Cette orientation au sein de la nature et de la vie, cette
ordonnance de la multiplicité, je les comparerai au système des racines de l'arbre. Voilà où
afflue la sève qui nourrit la personnalité de l'artiste et son regard. Il se sent debout à la
place du tronc. La circulation de la sève l'oppresse, le remue, et il lui faut exprimer au
moyen de l'œuvre ce qu'il a nouvellement perçu. Et il en va de l'œuvre comme de l'arbre,
dont la tête prend de partout, dans le temps et l'espace, une extension visible. Nul ne
s'aviserait d'exiger que l'arbre fasse de sa ramure un double exact du système de ses
racines. Chacun accepte que le bas et le haut soit dépourvus d'une symétrie absolue. Il
tombe sous le sens que la diversité des organes élémentaires et des fonctions qui leur
incombent doit susciter des formes dissemblables. Mais quand il s'agit de l'artiste, on lui
défendrait volontiers, quoique son rôle déjà le veuille, de s'écarter du modèle. Pour comble,
des fanatiques ne l'ont-ils pas taxé d'impuissance et traité de falsificateur résolu? Et
cependant, au poste qui lui est assigné, celui de substitut du tronc, il se borne simplement à
recueillir les sucs montés des profondeurs et à les transmettre: ni serviteur, ni maître, pur
intermédiaire. Il occupe donc une position vraiment modeste; la beauté de la cime ne
procède pas de lui, elle l'a seulement traversé." (P. Klee)
P. Klee, fidèle à sa théorie selon laquelle « l’art ne rend pas le visible, mais rend
visible », tente de nous faire prendre conscience ici que l’art n’est pas neutre. Il explore
une réalité sociale. En effet, si nous pouvons dire des toiles de Matisse, par exemple,
qu’elles ne sont pas le lieu de la représentation de l’objet, mais de la vue du peintre, c’est
parce que ce dernier projette ses états intérieurs dans le monde. Il ne représente pas le
monde tel qu’il est, mais tel qu’il le voit. Ainsi, l’art ne reproduit pas le visible, mais rend
visible. Il nous invite à voir au-delà de ce que nous voyons habituellement ; il dégage la
visibilité du monde de l’obstacle des représentations mentales ordinaires. Il nous invite à
interpréter le monde à travers des codes sociaux, voire des interdits moraux. Pensons par
exemple, au tableau réalisé par l’école de Fontainebleau, « Les deux femmes au bain ou
portrait de Gabrielle Destrée » ; cette œuvre ne peut se comprendre réellement que si
l’on sait que pincer un sein signifie que cette femme est enceinte. Or, elle était la
maîtresse du roi Henri IV, comme l’indique symboliquement la bague, elle même mise
aussi en évidence. Certes l’œuvre d’art peut être aussi bien comprise que saisie à
différents niveaux, en passant du plus naïf au plus savant, mais dans tous les cas l’œuvre
demeure éclairante eu égard à la réalité humaine qu’elle représente.
– Nous pourrions même aller jusqu’à soutenir qu’il y a plus dans l’art que dans la réalité,
dans la mesure où, comme le soutient Freud dans la Nouvelle Anthropologie philosophique,
l’artiste est celui qui refuse de se plier au principe de réalité, comme nous le faisons
quotidiennement, au profit du principe de plaisir, en exprimant les limites de notre monde
réel.