29 RUE DE CHATEAUDUN
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N 14/2012
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NOTION CLE : LA POLITIQUE - L'ETAT - LA LIBERTÉ
HOBBES
AU SEIN D'UNE ANGLETERRE
MARQUÉE PAR LA GUERRE CIVILE,
IL VA EXPLORER LE CHAMP
DE LA PHILOSOPHIE POLITIQUE.
CÉLÈBRE POUR SA FORMULE
L'HOMME EST UN LOUP POUR L'HOMME »,
HOBBES MÉRITE QUE L'ON ETUDIE
SES TRAVAUX SUR L'ORGANISATION DE
L'ÉTAT, TOUJOURS D'ACTUALITE.
n le tient pour le pere
de la philosophie po
htique moderne un
digne successeur de
Platon et d Anstote
Pourtant on ne retient
souvent de sa pensée
politique qu une for
mule par ailleurs de
marquée de Haute « l'homme est un loup
pour l'homme1 » On l'a tenu pour un de
fenseur de la monarchie absolue celle de
Charles Ie en lutte contre son Parlement
puis, contradictoirement, pour un theon
cien de la tyrannie republicaine du Lord
Protector Oliver Cromwell II est vrai qu il
soutenait que la crainte du pouvoir était le
commencement de la sagesse dont on fait
les societes apaisées et bien policées et il
baptisa l'Etat ce « dieu mortel » du nom
biblique et suggestif de Leviathan le mons
tre mann qui, d apres le livre de Job terre
nsait les populations Pourtant la pensée
philosophique de Hobbes est plus profonde
et plus riche que ce que l'on en retient en
general apres avoir lu quèlques chapitres
cles du Leviathan (1651) Elle ne résulte pas
des elucubrations utopiques d un anacho
rete réfugie dans sa tour d ivoire, maîs est
celle d'un homme qui n'hésita pas a s'en
gager par la plume et eut maille a partir avec
cles contradicteurs quand bien même une
prudence peut-être excessive lui dicta de
s'éloigner dè sa terre natale déchirée par la
guerre civile Sa longue vie dont il fit le re
cit en latin a deux reposes (dont I un en dis
tiques) en témoigne
Hobbes n a pris que progressivement et
tardivement conscience de son originalité
il avait passe la quarantaine quand il entre
prit son œuvre de philosophe createur C est
a Westport dans les faubomgs de Malmes
bury qu il vit le jour le S avril 1^88 L'Espa
gne menaçait alors I Angleterre « Le petit
ver qui est moi n est pas entre tout seul dans
le monde Les rumeurs selon lesquelles
l'Invincible Armada mènerait notre race a
sa perte causèrent une telle peur a ma mere
qu elle mit au monde moi même et la peur' »
Quoi qu il en dise Hobbes, ne avec « la
crainte pour frere jumeau », ne fut pas un
homme timoré et si dans la premiere moi
tie de son existence, il fut de sante plutôt
fragile il a traverse son siecle en se sortant
des situations troubles occasionnées par la
guerre civile Dans un ouvrage dont le titre
•BIOGRAPHIE
5
avril 1588
Naissance
a Westport
1608 Bachelor of Art
a Oxford, Hobbes entre au service
du comte de Devonshire
1610 Premier voyage sur le
continent 1829-1631 Deuxieme
voyage sur le continent
1634-1636.
Troisieme
voyage
en Europe
1640 Redaction des Elements de
la loi naturelle et politique
Exil en France (jusqu'en 1651)
1&42 De Cive
1851 Leviathan
1655 De Corpore
1686 Hobbes, menace de proces
pour athéisme, écrit pour sa
defense Behemoth (1679)
1673-1678 Traductions
de V Iliade et de l'Odyssée
4 decembre 1679 Mort
a Hardwick Hall.
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est inspiré par un autre monstre du livre de
Job, Béhémoth ou le Long Parlement, où
il analyse les causes de la guerre civile an-
glaise, Hobbes, septuagénaire, souligne com-
bien l'époque a été mouvementée « Si dans
le temps comme dans l'espace, il y avait des
degrés de haut et de bas, je croîs véritable-
ment que le degré le plus élevé dans le
temps serait la période qui s'est écoulée
entre 1640 et 1660 Car celui qui de cet
endroit, comme de la montagne du Diable,
aurait considéré le monde et observé les
actions des hommes, particulièrement en
Angleterre, aurait pu contempler le spec-
tacle de toutes les sortes d'injustices et de
toutes les sortes de folies que le mondet
fournir3 » Composer une philosophie poli-
tique dans ce contexte n'était certes pas sans
dangers pour un philosophe qui, ne serait-
ce qu'à cause de sa haute stature - il me-
surait près de deux mètres - ne pouvait pas
passer inaperçu.
Ne pas être le « perroquet
d'Aristote »
A
vant de devenir l'auteur des trois
grands traités de philosophie poli-
tique - les Elements de la loi na-
turelle et politique, le Traité du citoyen et
le Léviathan - Hobbes a vécu une première
vie sous le signe de l'étude, du précepto-
rat et des voyages Le jeune Thomas, enfant
précoce, connaît à six ans le latin et le grec,
et traduit en latin, à quatorze ans, la Médée
d'Euripide Etudiant à Oxford, il y devient
Bachelor of Art (1608) et entre aussitôt au
service de William Cavendish I (1552-1626)
Les Cavendish sont une puissante famille
du Devonshire, à laquelle Hobbes resta at-
taché toute sa vie, exerçant d'abord les fonc-
tions de précepteur auprès du fils, William
Cavendish II (1591-1628) C'est en compa-
gnie de ce dernier qu'il découvre le conti-
nent - il est en France lors de l'assassinat
d'Henri IV - et qu'il apprend à ne pas se
contenter d'être le « perroquet d'Anstote »
Vers la fin des années 1620, il entreprend
de traduire La guerre du Péloponnèse de
Thucydide Hobbes, alors résolument roya-
liste, espérait par cette traduction montrer
aux Anglais « toute la stupidité de la-
mocratie et combien un individu a beaucoup
plus de sagesse que toute une assemblée »
La lecture de Thucydide, enfin, le conforte
dans son aversion profonde de la guerre en
général, de la guerre civile en particulier
Après la mort du fils Cavendish, il fait, en
1629 et en 1630, un deuxième voyage pen-
dant lequel il lit avec ferveur les Elements
de géométne d'Euclide, « illumination »-
cisive dans la mesure elle lui inspira la
Entre 1640
et 1660, celui qui
aurait considéré
l'Angleterre aurait
pu contempler
toutes sortes
d'injustices
méthode qu'il s'est efforcé de suivre en phi-
losophie Un troisieme périple avec le jeune
William Cavendish III (1627-1684) en
France et en Italie lui donne l'occasion de
connaître le père Mersenne, l'ami de
Descartes, de se her avec Gassendi et de
rencontrer Galilée, alors en résidence for-
e en novembre 1635
S'estimant menace par la guerre civile qui
s'amorce en Angleterre, Hobbes s'exile en
France II y fréquente l'essentiel de la «-
publique des lettres » C'est là qu'il compose
les traités politiques qui ont fait sa gloire
La fm de la guerre civile et l'avènement de
la dictature de Cromwell le conduisirent à
accepter l'autorité du Parlement unifiée en
la personne du futur Lord Protector Le
contenu et le succès de ses écrits politiques
lui ayant attiré de nombreuses inimitiés,
Hobbes eut à soutenir de multiples polé-
miques avec les savants et les théologiens,
avec John Wallis (1616-1703) notamment,
un professeur de géométrie a Oxford, qui
avait pointé sans ménagement, dans une
Réfutation de la géométrie hobbesienne
(1655), les erreurs mathématiques de
Hobbes Ce dernier, piètre mathématicien,
croyait avoir donne « douze solutions dif-
férentes » du problème de la quadrature du
cercle ' S'obstinant dans son erreur, il-
clare à Wallis que « [sa] géométne, est, com-
parée à la vôtre, ce que I est à O » La po-
lémique dégénéra au point que Wallis
qualifia de « chiure » un ouvrage de Hobbes
Celui-ci, s'en prenant au Geometry and
Philosophy de Wallis, le présenta comme
« composé entièrement d'erreurs et d'm-
vectives » et alla jusqu'à le comparer à « un
vent malodorant, pareil à celui qu'une ha-
ridelle lâche quand son ventre plein est trop
étroitement serré4 ». Ambiance '
II s'opposa aussi, sur la question de l'exis-
tence du vide, au physicien Robert Boyle
Contre l'évêque arminien Bramhall, il sou-
tint le déterminisme lors d'une longue po-
lémique théologico-philosophique Enfin,
il fut accusé d'athéisme par le chancelier
Hyde et plusieurs évêques, ainsi que d'avoir
fait dépendre l'Eglise de l'autorité royale
Parmi ses détracteurs, certains le tinrent
pour responsable de la grande peste et de
l'incendie de Londres ' II meurt à Hardwick
Hall, après avoir rédigé les deux versions
de son autobiographie, traduit Y Iliade et
l'Odyssée (1673) et proposé une ultime pré-
sentation de sa philosophie naturelle, le
Decameron physwlogicum (1677) Sur une
plaque de marbre noir, on peut lire cette
épitaphe en latin Vir pr obus et fanta eru-
dttionis domi fortsque bene cogmtus (« Un
homme honnête et bien connu par sa-
putation d'érudition dans son pays et à
l'étranger ») Selon une anecdote, Hobbes
aurait proposé que l'on grave sur sa tombe :
« Voici la véritable pierre philosophale. »
« L'illumination euclidienne »
C
omme la plupart des philosophes de
l'âge classique, Hobbes a vu dans les
mathématiques, plus précisément
dans la méthode géométrique, un modèle
pour conduire sa raison en philosophie
D'Euchde, qu'il a lu tardivement - à plus de
quarante ans - Hobbes retient la clarté et la
rigueur des raisonnements, l'esprit déduc-
tif et le souci de fixer avec précision le sens
des termes, de bormes prémisses devant-
cessairement conduire à de bonnes conclu-
sions « La philosophie est la connaissance,
acquise par un raisonnement correct, des
effets ou phénomènes, d'après les causes ou
les générations que l'on conçoit et, inver-
sement, de leurs générations possibles
d'après les effets connus1 »
II s'en faut cependant que les diverses ver-
sions de sa philosophie possèdent toujours
le caractère déductif et rationnel qu'il leur
attribue Néanmoins, conformément à cette
orientation fondamentalement rationaliste,
Hobbes cherche à déduire les principes de
sa philosophie politique des principes uni-
versels de la nature humaine : « L'explication
vraie et claire des éléments des lois naturelles
et politiques, qui est ma visée présente,
dépend de la connaissance de ce qu'est la
nature humaine, de ce qu'est un corps poli-
tique et de ce qu'est une loi6 » écrit Hobbes
dans son traité De la nature humaine, que
Diderot a qualifié de « sublime », soute-
nant que c'était là un « livre à lire et à
commenter toute sa vie7 »
NOTIONS ASSOCIEES : AUTRUI - LA LIBERTE
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Toutes les grandes œuvres de Hobbes
suivent un plan analogue repondant au
mouvement profond de sa pensée La phi-
losophie première, la métaphysique, et la
connaissance de l'homme, l'anthropologie,
y sont conditions de la science politique
L'anthropologie hobbesienne est matéria-
liste en cela qu'elle part des corps et des
possibilités qui leur sont inhérentes, et qu'elle
me l'existence de substances immatérielles.
Les esprits (spmts), les anges, s'il en existe,
et Dieu a fortiori, sont des corps si ténus
qu'on ne peut les percevoir par les sens
Néanmoins, Hobbes réintroduit une sorte
de dualisme en distinguant nettement les fa-
cultés du corps et celles, mentales, à la fois
cogmtives et motrices, de l'esprit (mind) Ce
dernier désigne, chez lui, non une substance,
maîs une fonction propre à tous les corps ca-
pables de mouvement animal Hypertrophiée
chez l'homme, cette fonction connaît un-
veloppement très considérable à cause de
la possession du langage et du rapport par-
ticulier de l'homme au temps Distinguant
l'homme de l'animal, la parole est ainsi « la
plus noble et la plus profitable de toutes les
[ ] inventions [. ], sans laquelle il n'y au-
rait pas eu entre les hommes plus de Répu-
blique, de société, de contrat, de paix qu'en-
tre les lions, les ours et les loups8 »
L'homme : un être
de désir
M
s avant d'être un être de parole
et de raison, l'homme est un être
de désir Préfigurant Spinoza et
Leibniz, Hobbes confère au concept de
conatus (« effort », en anglais endeavor)
un rôle essentiel. Défini abstraitement
comme « un mouvement qui a lieu à travers
la longueur d'un point ou en instant donne »,
le conatus sert d'abord à expliquer les
mouvements spécifiques des êtres vivants.
Hobbes en tire une conception du monde
strictement mecamste et déterministe
développée systématiquements le Short
Tract of First Prtnciples (Court Traite,
1630 9) - même les pensées ne sont à ses
yeux que des mouvements internes provo-
qués par des mouvements externes qui se
manifestent sous des formes diverses (sen-
sations, fantasmes, imaginations, souvenirs)
Plus spécifiquement, chez l'homme, le cona-
tus est à l'origine des passions primitives
caractéristiques de la vie affective de l'm-
dividu (appétit/aversion, amour/haine,
plaisir/douleur,joie/chagnn) -cette liste des
passions fondamentales est commune à la
plupart des penseurs de l'âge classique On
peut définir le conatus comme un désir qui
pousse l'homme à rechercher tout ce qui lui
permet de se maintenir en vie et, corréla-
tivement, de fuir ce qui peut l'entraver dans
cette quête
Au total, le conatus hobbesien est es-
sentiellement réflexif, tourné vers la pré-
servation de soi II marque profondement
la conception du bonheur, présente dans
le Léviathan comme « une continuelle
marche en avant du désir, d'un objet à un
autre, la saisie du premier n'étant que la
route qui mené au second' ». Insatiable
dans cette quête effrénée, l'individu hob-
besien est pris dans un mouvement
constant où il est animé par le « désir sans
trêve d'acquérir pouvoir après pouvoir,
désir qui ne cesse qu'à la mort10 »
Le jeu de la mécanique des passions
naturelles conduit Hobbes a déduire de sa
conception de l'homme une description de
la condition naturelle de celui-ci caractéri-
e par la guerre de chacun contre chacun
Cette conception, marquée par l'mdivi-
dualisme et le nominahsme, l'a conduit à
rompre avec la tradition scolastique, issue
de l'aristotéhsme et du stoïcisme, qui
attribuait à l'homme une tendance « natu-
relle » à vivre en société Contre Anstote,
Hobbes affirme que, par nature, l'homme
n'est pas un animal sociable II n'entend pas
par la que les hommes ne sont pas aptes à
vivre en groupe (congressus), maîs qu'ils ne
sont pas naturellement enclins a vivre
comme associés (socu) dans une société
politique Au sem des groupes qu'ils peu-
vent être amenés à former, Hobbes ne
conteste pas que « les enfants pour vivre, les
adultes pour bien vivre ont besoin de l'aide
des autres" »
Maîs sa description de la condition natu-
relle des hommes tend a montrer que, laissé
à lui-même, l'homme poursuivant des buts
égoïstes, conformément a sa nature, tend a
entrer en guerre perpétuelle contre son sem-
blable II voit dans cette évolution la consé-
quence inévitable de l'égalité naturelle des
hommes entre eux Aucun individu n'a suf-
fisamment de force physique, ni n'est assez
rusé pour s'imposer durablement aux au-
tres « De cette égalité de capacité, résulte
une egalité d'espoir d'atteindre nos fins12 »
qui excite en chacun l'envie de posséder ce
que l'autre possède De la procède une-
fiance généralisée, chacun voyant en autrui
une menace pour lui-même et un obstacle,
fût-il potentiel, à la réalisation de ses désirs
s lors, il paraît raisonnable d'anticiper et
de prévenir le mal en tentant de « se rendre
maître, par la force ou la ruse, de la per-
sonne du plus grand nombre possible
d'hommes, jusqu'à ce qu'il ne voie plus une
autre puissance assez importante pour le
mettre en danger13 »
Dans l'état
de nature, i'însociable
sociabilité de l'homme
joue à plein.
L'homme est un loup
pour l'homme
Page de titre du Léviathan, édition de 1651.
Un état de guerre permanent
A
cela s'ajoute l'extrême vanité des
hommes qui ne souffrent la com-
pagnie de leurs semblables que
pour mieux se mépriser mutuellement .
« Tout homme escompte que son compa-
gnon l'estime au niveau où il se place lui-
même, et, au moindre signe de mépris ou
de sous-estimation, il s'efforce, pour autant
qu'il l'ose [. ], d'arracher, en leur nuisant,
à ceux qui le méprisent une plus haute consi-
dération14 » Ainsi, les causes de querelle
sont la rivalité, la défiance et la vaine gloire
ou la fierté.
Il en résulte un état de guerre permanent,
ouvert ou larvé, de chacun contre chacun
« Dans un tel etat, il n'y a aucune place pour
une activité laborieuse, parce que son fruit
est incertain, et par conséquent aucune cul-
ture de la terre, aucune navigation, aucun
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usage dc marchandises importées par mer,
aucune construction convenable [...]; pas
d'arts, pas de lettres, pas de société, et, ce
qui est le pire de tout, la crainte permanente,
et le danger de mort violente, et la vie de
l'homme est solitaire, indigente, dégoûtante,
animale et brève'^ » Dans l'état de nature,
l'msociable sociabilité de l'homme joue à
plein et l'homme est bien un loup pour
l'homme.
Le seul moyen pour sortir de cet état de
guerre structurel est d'ériger un pouvoir
commun tout-puissant qui imposera sa loi
à tous dans la communauté politique C'est
la genèse du Léviathan, « ce dieu mortel »
qui s'impose aux hommes non de l'extérieur,
maîs avec leur consentement qu'éclairé une
réflexion rationnelle sur leur condition mi-
sérable. Il procede aussi de la dynamique
même des passions, puisque, par une sorte
de renversement dialectique, la peur de la
mort violente qui, dans un premier temps,
contribue à diviser les hommes, les pousse
à la concorde « Les passions qui inclinent
les hommes a la paix sont la crainte de la
mort, le désir des choses nécessaires à une
existence confortable, et un espoir de les ob-
tenir par leur activité16 » Comment sortir
de l'état de nature, si funeste aux hommes 9
Réponse par une sorte de convention (co-
venant) ou de pacte Chacun des futurs as-
sociés, renonçant à sa liberté naturelle, s'en-
gage vis-à-vis de chacun des autres a se
dessaisir de son droit naturel à faire tout ce
qui est en son pouvoir pour se conserver en
le transmettant a un tiers, homme ou as-
semblée, qui exercera la puissance publique
et les gouvernera « C'est comme si chacun
devait dire a chacun "J'autorise cet homme,
ou cette assemblee d'hommes, j'abandonne
mon droit de me gouverner à cet homme,
ou a cette assemblée, à cette condition que
tu lui abandonnes ton droit, et autorises
toutes ses actions de la même manière17 " »
Ainsi, fabriqué à l'image de la machine hu-
maine naturelle, naît un corps politique, le
Commonwealth ou République, corps dont
l'âme, le principe d'animation, est la sou-
veraineté. Ainsi au mécanisme naturel des
passions se substitue, par le pacte, un-
canisme tout artificiel, dans lequel la justice
et les lois forment une raison et une volonté
artificielles
Maîs, œuvre des hommes, le Léviathan
est « dieu mortel » dont la fonction est
avant tout de défendre la vie et les biens
des individus, de faire que « l'homme de-
vienne un Dieu pour l'hommels » L'Etat
ne pourrait la remplir si sa souveraineté
n'était pas absolue et indivisible, et si le
souverain n'était pas la seule source de
la légalité politique
Modernité de Hobbes
Q
u'est-ce qui, en fin de compte, fait
de Hobbes un penseur moderne ?
En quoi est-il légitime de lui ac-
a place éminente qu'il s'attribuait
lui-même aux côtés de Copernic en astro-
nomie de Galilée en physique ou de Harvey
en
médecine
">
Prenant son point de départ dans l'indi-
vidu, mû par ses désirs, au premier rang des-
quels figure le désir de se conserver, tem-
père par le calcul rationnel, il a élabore une
théorie hypothétique de la condition hu-
maine à l'état de nature qui montre la-
cessite de l'institution de l'Etat II I a éla-
borée à partir d'une conception moderne
du droit subjectif et fondée sur une théo-
rie contractuahste de la souveraineté abso-
lue du pouvoir politique On lui doit enfin
une interprétation theologico-pohtique de
l'Ecriture sainte par laquelle il montre l'im-
portance de soumettre, dans l'ordre poli-
tique, le pouvoir ecclésiastique au pouvoir
politique Certes, certains aspects de cette
théorie de la souveraineté absolue pourront
paraître inappropriés aux yeux de ceux qui
s'efforcent d'organiser la complexité crois-
sante du monde contemporain en rognant
la souveraineté des Etats, maîs l'intention
de l'entreprise hobbesienne demeure d'une
entière actualité contenir l'individu livré
au désir fantastique de sa toute-puissance
et répondre de manière raisonnée à la-
cessité de stabiliser les rapports entre les
hommes afin d'éviter la guerre civile
Le déclin relatif des grandes philosophes
de l'histoire, qui espéraient trouver dans
la réflexion historique les clés du devenir de
l'humanité, a même redonné à la pensée de
Hobbes sa pleine actualité A défaut de réa-
liser la félicité sur terre, elle permet de s'ac-
corder sur les conditions minimales qui per-
mettent à l'homme de vivie en sécurité,
protége le mieux possible des maux qui le
menacent ici-bas Jean Montenot
1. Plaute i asinaire ll 4 repris dans Le Citoyen Epitre
dedicatoire 2. Autobiographie 3. Behemoth I
4. Enqlish Works, IV 440 5. De Corpore œuvres latines
0 L I chap I 6. Elements de la loi naturelle et politique
1 1 7. Correspondance avril 1 772 8. Léviathan I 4
De la parole . 9. Dp cit Xl 1 95 10. dp ot Xl
2 96 Tl. Oe Cue I 2 note 12. Le\iathan I 13, De la
condition naturelle des hommes 13. Ibid 14 Léviathan
XIII 15. Dp cit I 13 . Delà condit on naturelle
16. Ibid n.Levathan ll 17 Des causes delà
generation et d une definition de la Republique
18. Le Citoyen Epitre dedicatoire
ŒUVRES
Outre l'édition des Œuvres
complètes sous la direction
d'Yves Charles Zarka aux
éditions Vnn, les principales
œuvres philosophiques
de Hobbes sont désormais
disponibles dans des
traductions nouvelles ou
d'anciennes traductions
révisées dans les collections
de poche (Le Livre de poche,
GF/Flammarion, Folio). Ainsi
la traduction du Léviathan
par François Tricaud (Sirey,
1971) est-elle complétée par
celle de Gérard Maire! (Folio,
Gallimard, 2000).
Arnaud Milanese a retraduit
des Eléments de loi, le Court
traité des premiers principes
et une reconstitution du De
Corpore (Allia, 2006).
Il existe en outre des éditions
scolaires fort bien présentées
d'extraits du Léviathan
ê On recommandera,
notamment dans la collection
Folioplus, l'édition commentée
des chapitres xm à xvn
du Léviathan (par Benoît
Schneckenburger et Christine
Cadet), des mêmes extraits
par Mikael Garandeau et Eric
Marquer en Classiques
Hachette (1997) et des
chapitres xw et xvn par
Dominique Weber
(Breal, 2003).
Enfin, des traductions an-
notées par Philippe Folliot
sont disponibles à l'adresse :
http://pagesperso-
orange.fr/philotra.
BIOGRAPHIES
Outre les récits
autobiographiques de Hobbes,
on consultera :
Thomas Hobbes,
Arnold A. Rogow, 1986,
trad. française 1990, PUF.
Hobbes, une chronique.
Cheminement de pensée
et de sa vie, Karl Schuhmann,
Vrm, 1998.
COMMENTAIRES .
* Léviathan, Gérard Mairet,
Ellipses, 2000.
* Hobbes. Philosophie,
science et religion,
Pierre-François Moreau,
PUF, 1989.
s La philosophie politique
de Thomas Hobbes,
Leo Strauss, 1936,
traduction A. Enegrén et
M. B. de Launay, Belm, 1991.
« Hobbes, matérialisme
et politique, Jean Terrel,
Vrin, 1994.
Le vocabulaire cfe Hobbes,
Jean Terrel, Ellipses, 2003.
La décision métaphysique
de Hobbes. Conditions de la
politique, Charles Yves Zarka,
Vrin, 1987.
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