Surface approx. (cm²) : 1677
est inspiré par un autre monstre du livre de
Job, Béhémoth ou le Long Parlement, où
il analyse les causes de la guerre civile an-
glaise, Hobbes, septuagénaire, souligne com-
bien l'époque a été mouvementée « Si dans
le temps comme dans l'espace, il y avait des
degrés de haut et de bas, je croîs véritable-
ment que le degré le plus élevé dans le
temps serait la période qui s'est écoulée
entre 1640 et 1660 Car celui qui de cet
endroit, comme de la montagne du Diable,
aurait considéré le monde et observé les
actions des hommes, particulièrement en
Angleterre, aurait pu contempler le spec-
tacle de toutes les sortes d'injustices et de
toutes les sortes de folies que le monde pût
fournir3 » Composer une philosophie poli-
tique dans ce contexte n'était certes pas sans
dangers pour un philosophe qui, ne serait-
ce qu'à cause de sa haute stature - il me-
surait près de deux mètres - ne pouvait pas
passer inaperçu.
Ne pas être le « perroquet
d'Aristote »
A
vant de devenir l'auteur des trois
grands traités de philosophie poli-
tique - les Elements de la loi na-
turelle et politique, le Traité du citoyen et
le Léviathan - Hobbes a vécu une première
vie sous le signe de l'étude, du précepto-
rat et des voyages Le jeune Thomas, enfant
précoce, connaît à six ans le latin et le grec,
et traduit en latin, à quatorze ans, la Médée
d'Euripide Etudiant à Oxford, il y devient
Bachelor of Art (1608) et entre aussitôt au
service de William Cavendish I (1552-1626)
Les Cavendish sont une puissante famille
du Devonshire, à laquelle Hobbes resta at-
taché toute sa vie, exerçant d'abord les fonc-
tions de précepteur auprès du fils, William
Cavendish II (1591-1628) C'est en compa-
gnie de ce dernier qu'il découvre le conti-
nent - il est en France lors de l'assassinat
d'Henri IV - et qu'il apprend à ne pas se
contenter d'être le « perroquet d'Anstote »
Vers la fin des années 1620, il entreprend
de traduire La guerre du Péloponnèse de
Thucydide Hobbes, alors résolument roya-
liste, espérait par cette traduction montrer
aux Anglais « toute la stupidité de la dé-
mocratie et combien un individu a beaucoup
plus de sagesse que toute une assemblée »
La lecture de Thucydide, enfin, le conforte
dans son aversion profonde de la guerre en
général, de la guerre civile en particulier
Après la mort du fils Cavendish, il fait, en
1629 et en 1630, un deuxième voyage pen-
dant lequel il lit avec ferveur les Elements
de géométne d'Euclide, « illumination » dé-
cisive dans la mesure où elle lui inspira la
Entre 1640
et 1660, celui qui
aurait considéré
l'Angleterre aurait
pu contempler
toutes sortes
d'injustices
méthode qu'il s'est efforcé de suivre en phi-
losophie Un troisieme périple avec le jeune
William Cavendish III (1627-1684) en
France et en Italie lui donne l'occasion de
connaître le père Mersenne, l'ami de
Descartes, de se her avec Gassendi et de
rencontrer Galilée, alors en résidence for-
cée en novembre 1635
S'estimant menace par la guerre civile qui
s'amorce en Angleterre, Hobbes s'exile en
France II y fréquente l'essentiel de la « ré-
publique des lettres » C'est là qu'il compose
les traités politiques qui ont fait sa gloire
La fm de la guerre civile et l'avènement de
la dictature de Cromwell le conduisirent à
accepter l'autorité du Parlement unifiée en
la personne du futur Lord Protector Le
contenu et le succès de ses écrits politiques
lui ayant attiré de nombreuses inimitiés,
Hobbes eut à soutenir de multiples polé-
miques avec les savants et les théologiens,
avec John Wallis (1616-1703) notamment,
un professeur de géométrie a Oxford, qui
avait pointé sans ménagement, dans une
Réfutation de la géométrie hobbesienne
(1655), les erreurs mathématiques de
Hobbes Ce dernier, piètre mathématicien,
croyait avoir donne « douze solutions dif-
férentes » du problème de la quadrature du
cercle ' S'obstinant dans son erreur, il dé-
clare à Wallis que « [sa] géométne, est, com-
parée à la vôtre, ce que I est à O » La po-
lémique dégénéra au point que Wallis
qualifia de « chiure » un ouvrage de Hobbes
Celui-ci, s'en prenant au Geometry and
Philosophy de Wallis, le présenta comme
« composé entièrement d'erreurs et d'm-
vectives » et alla jusqu'à le comparer à « un
vent malodorant, pareil à celui qu'une ha-
ridelle lâche quand son ventre plein est trop
étroitement serré4 ». Ambiance '
II s'opposa aussi, sur la question de l'exis-
tence du vide, au physicien Robert Boyle
Contre l'évêque arminien Bramhall, il sou-
tint le déterminisme lors d'une longue po-
lémique théologico-philosophique Enfin,
il fut accusé d'athéisme par le chancelier
Hyde et plusieurs évêques, ainsi que d'avoir
fait dépendre l'Eglise de l'autorité royale
Parmi ses détracteurs, certains le tinrent
pour responsable de la grande peste et de
l'incendie de Londres ' II meurt à Hardwick
Hall, après avoir rédigé les deux versions
de son autobiographie, traduit Y Iliade et
l'Odyssée (1673) et proposé une ultime pré-
sentation de sa philosophie naturelle, le
Decameron physwlogicum (1677) Sur une
plaque de marbre noir, on peut lire cette
épitaphe en latin • Vir pr obus et fanta eru-
dttionis domi fortsque bene cogmtus (« Un
homme honnête et bien connu par sa ré-
putation d'érudition dans son pays et à
l'étranger ») Selon une anecdote, Hobbes
aurait proposé que l'on grave sur sa tombe :
« Voici la véritable pierre philosophale. »
« L'illumination euclidienne »
C
omme la plupart des philosophes de
l'âge classique, Hobbes a vu dans les
mathématiques, plus précisément
dans la méthode géométrique, un modèle
pour conduire sa raison en philosophie
D'Euchde, qu'il a lu tardivement - à plus de
quarante ans - Hobbes retient la clarté et la
rigueur des raisonnements, l'esprit déduc-
tif et le souci de fixer avec précision le sens
des termes, de bormes prémisses devant né-
cessairement conduire à de bonnes conclu-
sions « La philosophie est la connaissance,
acquise par un raisonnement correct, des
effets ou phénomènes, d'après les causes ou
les générations que l'on conçoit et, inver-
sement, de leurs générations possibles
d'après les effets connus1 »
II s'en faut cependant que les diverses ver-
sions de sa philosophie possèdent toujours
le caractère déductif et rationnel qu'il leur
attribue Néanmoins, conformément à cette
orientation fondamentalement rationaliste,
Hobbes cherche à déduire les principes de
sa philosophie politique des principes uni-
versels de la nature humaine : « L'explication
vraie et claire des éléments des lois naturelles
et politiques, qui est ma visée présente,
dépend de la connaissance de ce qu'est la
nature humaine, de ce qu'est un corps poli-
tique et de ce qu'est une loi6 » écrit Hobbes
dans son traité De la nature humaine, que
Diderot a qualifié de « sublime », soute-
nant que c'était là un « livre à lire et à
commenter toute sa vie7 »
NOTIONS ASSOCIEES : AUTRUI - LA LIBERTE