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au déroulé politique de l’entre-deux-guerres ? Il était pourtant à Berlin en 1933 pour étu-
dier la philosophie de Husserl, qui sera persécuté par le régime nazi. Il connaissait suf-
fisamment bien la langue allemande et ne voyait rien arriver contrairement à beaucoup
d’autres, comme R. Aron par exemple. De même Simone de Beauvoir et lui-même consi-
déraient le Front Populaire de 1936 en France comme un simple avatar social, alors qu’il
effraya lourdement la classe bourgeoise à laquelle ils appartenaient. Universitaire agrégé
il n’avait d’autre souci que d’accomplir son œuvre. Il l’explique fort bien à « son Castor »
- il appelait ainsi Simone de Beauvoir - dans . Paci-
fiste, refusant toute forme d’autorité il se contente de regarder la « chose » politique. Il ne
s’y sent pas investi, et ne se préoccupe pas encore de la réception de ses écrits. Il pense
le monde mais pas sa place dans le monde et encore moins sa situation sociale. C’est un
intellectuel bourgeois de la famille des Schweitzer, et « un produit » de la culture univer-
sitaire. C’est un homme relativement seul, dont les relations entre racines (ou origines)
et la pensée sont problématiques. De 1929 (agrégation) à 1939 (mobilisation) il s’occupe
de philosophie certes mais aussi de littérature, de cinéma avec pour objectif de devenir
écrivain, de « réaliser son œuvre. »
Une trace comme un écrivain-philosophe et comme un intellectuel
engagé
La mobilisation de 1939 porte Jean-Paul Sartre à s’interroger sur la guerre, une curieuse
situation pour un écrivain « a-social » qui se voit menacé par l’Histoire et la mort collec-
tive, et par une expérience existentielle unique, celle de l’enfermement militaire. Cette
réflexion le conduira à la prise de conscience de l’enracinement sociale de toute pensée.
Après la Libération et après cette prise de conscience, il se lance éperdument, en toute
liberté, dans la vie sociale et politique. Il fut un piètre résistant : c’était un écrivain qui
résistait plutôt qu’un résistant qui écrivait.
Dramatique expérience, Blaise Cendrars (mutilé de la première guerre mondiale) décla-
rera « La guerre m’a profondément marqué, ça oui ! La guerre c’est la misère du peuple.
Depuis j’en suis »
Combien de positions a-t-il pris pour les abandonner parfois en douce sur l’URSS, l’Al-
gérie, Cuba, la Chine, le Vietnam… sans trop se préoccuper de la débâcle de ses idées
précédentes ? Ce Sartre-là, célèbre et sans remords, ignore le passé, brûle les étapes et
heurte la réalité avec une péremptoire insubordination ; fidèle en cela à sa philosophie, il
est « dans l’Histoire comme un poisson dans l’eau ».
Épris de liberté et de justice morale dans toute action et geste de la vie, il ne peut suppor-
ter la profondeur mortifère de l’idéologie nazie, qui est responsable de l’extermination
horrible et scientifiquement organisée de certains peuples. J.-P. Sartre a été particulière-
ment sensible au sort réservé au peuple juif. Dans l’urgence d’une résistance efficace et
à la hauteur, (« L’histoire n’attend pas »), il opte pour le « camp des rouges », admiratif
aussi - comme une très grande partie des peuples réprimés ou résistants d’alors - du sa-
crifice des peuples soviétiques à Leningrad et à Stalingrad… Ce soutien est cependant
largement stratégique car Sartre n’ignore rien de la situation en URSS où il effectuera