JUIN 2016 / No62 / VOLUME 16
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Point de vue
Celles et ceux qui nous soignent ne sont pas toujours eux-mêmes en bonne santé physique ou psychique.
Plusieurs enquêtes récentes ont mis en évidence la vulnérabilité des professionnels de santé
à cet égard. Comment leur venir en aide et répondre à leurs souffrances, de plus en plus répandues?
Notre permanente confrontation à la
maladie… des autres – nos patients– ainsi
qu’à la mort, est supposée nous immuniser
face aux émotions que ces situations sont
censées générer. A fortiori lorsqu’il s’agit
d’une personne que nous avons appris
à mieux connaître à travers l’intimité
de notre accompagnement médical.
Mais le médecin ne peut pas, ne doit pas
être malade: telle est la représentation
que les autres se font de nous, ou plutôt
que nous imaginons qu’ils se font de nous.
Il est vrai que le médecin doit se montrer
disponible face aux souffrances des autres.
Ceci ne laisse aucune place à ses possibles
souffrances: s’il ne peut pas se soigner,
comment pourrait-il prendre soin de
moi ?
Le résultat est que l’on ne sait rien de la santé
des médecins: dans ce contexte, il est bien-
venu que le Conseil National de l’Ordre
ait décidé la mise en place d’un Observatoire
de la santé des médecins. Celui-ci fournira
des informations utiles, y compris sur leur
santé mentale: on sait d’expérience que les
phénomènes d’addictions, les dépressions
et les conduites suicidaires sont choses
fréquentes chez les médecins. La profession
médicale, qu’elle s’exerce en libéral ou
à l’hôpital, cumule les facteurs de stress.
Et les enquêtes menées sur ce sujet indiquent
effectivement que le burn-out des internes
et des praticiens seniors est une réalité
préoccupante.
Or, les médecins ne bénéficient d’au-
cune action de prévention à cet
égard.
Qu’il serait opportun, après le succès
au concours du premier cycle des études
médicales, de dépister les sujets à risque:
un simple questionnaire d’auto-éva-
luation et une attention des aînés aux
indications recueillies par ce biais y suffi-
raient. Cette démarche éviterait nombre
de situations dans lesquelles les études
s’éternisent du fait de multiples redou-
blements face auxquels tout le monde
est démuni, à commencer par l’étudiant
qui ne peut, sans grande douleur, renon-
cer à l’impossible projet de devenir
médecin, projet pour lequel il a sacrifié
tant d’années.
Qu’il serait sage d’interroger périodique-
ment les praticiens seniors pour détecter
d’éventuels risques avant que ne surviennent
les incidents, donnant lieu à une expertise
revêtant alors un caractère punitif mal
venu.
La piètre reconnaissance actuelle de l’acte
médical, attestée par la faible valeur finan-
cière du C, constitue un facteur de burn-out
générant dépressions, addictions et autres
troubles du comportement. La santé du
médecin n’est pas un sujet tabou. Il faut
absolument corriger tant de négligences
que les médecins paient aujourd’hui
de leur santé. ■
«Les phénomènes
d’addictions,
les dépressions et les
conduites suicidaires
sont choses fréquentes
chez les médecins.»
© DR
PR JEANPIERRE OLIE, PSYCHIATRE, MEMBRE DE L’ACADÉMIE DE MÉDECINE, PRÉSIDENT DE LA FONDATION PIERRE DENIKER
RECONNUE D’UTILITÉ PUBLIQUE POUR LA FORMATION ET LA RECHERCHE EN SANTÉ MENTALE
La santé
des médecins
© DR