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Le tragique comme l’au-delà de l’Œdipe
l’Herméneutique du sujet, où l’accès à la vérité n’est plus conditionné par
la remise en cause, la transformation, voire «la conversion» de l’être du
sujet, mais par la seule connaissance. C’est donc dans le contexte de ce
tournant disons «contre-cartésien» depuis le XIX siècle que Foucault
ne manque pas de faire valoir 6, que la tâche de la philosophie, ou du
moins celle d’une certaine philosophie, recoupe partiellement celle de
la théorie psychanalytique, pour autant qu’elles visent toutes les deux à
articuler l’événement propre à l’être humain.
La voie de leur convergence avait été donc déjà frayée par la muta-
tion même de la philosophie, dans la première moitié du XX siècle, où
Lacan commença à élaborer sa théorie psychanalytique au contact de la
philosophie 7. Cela n’implique pourtant pas qu’il n’ait fait que se laisser
guider par l’approche philosophique de la dimension événementielle de
l’être humain. Au lieu d’articuler d’une manière exclusivement discur-
sive la finitude humaine (condition même de l’événement en question),
dans la référence traditionnelle à la mort ou à l’instance divine, Lacan
s’est aventuré dans cette voie pleine de difficultés en mobilisant tous les
L’Herméneutique du sujet, Paris, Gallimard/Seuil, 2001, p.15.
6. «[…] [O]n peut penser, je crois, toute l’histoire de la philosophie du XIXe siècle comme
une espèce de pression par laquelle on a essayé de repenser les structures de la spiritua-
lité à l’intérieur d’une philosophie que, depuis le cartésianisme, en tout cas la philosophie
du XVIIe siècle, on essayait de dégager de ces mêmes structures. D’où l’hostilité, pro-
fonde d’ailleurs, de tous les philosophes [de] type «classique» – Descartes, Leibniz, etc.,
tous ceux qui se réclament de cette tradition-là – par rapport à cette philosophie du XIXe
siècle, qui est bien en effet une philosophie qui pose, implicitement au moins, la très
vieille question de la spiritualité, et qui retrouve sans le dire le souci du souci de soi»
(Foucault, ibid., p.30).
7. Cf. «[…] [L]’inconscient affirmé par la psychanalyse nous apparaît comme montrant la
possibilité d’un tel savoir de l’existence. Car l’inconscient est l’Autre absolument Autre,
c’est ce qu’a souligné Lacan dans sa réinterprétation de Freud, où il présente l’inconscient
comme prenant son sens dans le mouvement de pensée contemporaine attachée à l’exis-
tence» (Juranville, ibid., p.5). Juranville s’appuie sur un passage de RSI : «C’est d’une
exténuation philosophique traditionnelle, dont le sommet est donné par Hegel, que
quelque chose a rejailli sous le nom d’un nommé Kierkegaard. Vous savez que j’ai dénon-
cé comme convergente à l’expérience bien plus tard apparue d’un Freud, sa promotion
de l’existence comme telle» (S.XXII, séance du 18 février 1975, cité dans Juranville, loc.
cit). C’est d’ailleurs dans ce contexte d’un certain retour de «la spiritualité» (cf. notre
chapitre 7, p. 128) que nous pouvons comprendre pourquoi Lacan a pu considérer le
cogito cartésien comme «ascèse» (S.XI, p.204, séance du 3 juin 1964).