Bioéthique et judaïsme
La bioéthique combine la connaissance
biologique et la connaissance du système
des valeurs humaines. Ces valeurs, en tout
cas dans notre monde occidental s’enracinent dans
la tradition judéo-chrétienne. Elles sont fondées sur
un socle de valeurs fondamentales :valeurs laïques
de dignité, liberté, droit à la vie auxquelles s’ajou-
tent pour les adeptes des religions monothéistes la
relation de l’homme à D.,le respect de la tradition
et des textes. Cependant malgré ces valeurs com-
munes les législations sont très variables d’un pays
à l’autre avec deux types de systèmes : le système
anglo-saxon où il existe une liberté théorique totale
de l’individu avec une limite non négligeable qui
est celle de ses moyens financiers puisqu’il n’existe
aucune prise en charge par la société et le système
français où la société assure un prise en charge
sous conditions dans le respect des principes de
gratuité et d’anonymat.
En France les 3 religions monothéistes (ainsi que
des scientifiques, des juristes, des associations
de parents et de malades) sont représentées au
sein de deux organismes dont les avis constituent
des supports majeurs à l’élaboration des lois de
bioéthique : le comité consultatif national d’éthique
(CCNE) crée en 1983 et l’agence de biomédecine
crée en 2004.
Quelle est la position du judaïsme sur les tech-
niques de procréation médicalement assistée,
le diagnostic pré-implantatoire, l’avortement,
l’euthanasie ?
Il est bien sûr difficile, voire impossible de trouver
dans la Torah et les textes du Talmud des réfé-
rences à ces techniques médicales actuelles mais
les problèmes soulevés par la stérilité, la filiation,
l’identité, la souffrance et la mort sont souvent
abordés dans la Torah et discutés dans le Talmud.
Et comme dit André Chouraqui dans « La pensée
juive » il est nécessaire d’adapter la loi aux nouvel-
les circonstances de la vie d’Israël. La halakha est
une loi qui avance en marchant, ce qui lui permet
de ne pas être dépassée par la technique.
Par ailleurs, bien que le peuple du Sinaï soit
assujeti à une loi, l’interdit n’est pas une fin en soi
dans le judaïsme et une part de libre arbitre est
toujours laissée à l’homme. Comme le dit le rabbin
Safran : “Fais ce qui est juste et bon aux yeux de
D. Si la loi ne t’éclaire pas et que tu as respecté les
mitsvot, tu peux trouver la réponse qui n’est pas
prévue dans la loi pour trouver ce qui est juste et
bon aux yeux de D.”
Voici quelques pistes de réflexion issues d’une
compilation qui ne se veut ni exhaustive ni savante,
de différents ouvrages et conférences reprenant les
positions halakhiques sur ces sujets d’actualité.
La procréation médicalement assistée (PMA)
Si les nouvelles techniques de traitement de la
stérilité ont résolu un certain nombre de cas de
stérilité elles ont soulevé de nouveaux problè-
mes. En effet avec la pratique de l’insémination
artificielle et de la fécondation in vitro, sexualité et
procréation ont été dissociées. Avec l’introduction
de la fécondation in vitro par dons d’ovocytes ou
de sperme un nouveau paramètre change : celui
de la filiation. Récemment la gestation pour autrui
pose une nouvelle question au CCNE : celui de la
multiparentalité biologique.
Quelle est la réponse de l’éthique juive à ces
problématiques inédites ? La stérilité est une
préoccupation très ancienne dans la Bible.
Au vu des difficultés pour concevoir qu’ont rencon-
tré les couples de patriarches , la stérilité ne peut
certes pas être considérée comme une punition.
Le Talmud donne même l’explication suivante à ces
problèmes de stérilité : c’est parce que D. aime la
prière des justes. Pour le judaïsme avoir un enfant
est un miracle, la seule mitsvah où un couple peut
créer un troisième être, alors que l’homme ne fait
habituellement que transformer. Lorsque le couple
n’est pas à même de procréer pour diverses raisons,
rien n’interdit l’intervention d’un tiers médecin
considéré dans le judaïsme comme un partenaire
de D dans le parachèvement du monde (Talmud de
Babylone, traité Bera’hot page 60a). D’ailleurs le
mot (santé) a la même racine que (créer) :
il faut donner de l’importance à sa santé physique.
On comprend donc que la maîtrise de la procréation
(dans le sens du traitement de la stérilité) ne va pas
à l’encontre de la foi juive.
Les seules restrictions dans le recours à la PMA
sont les suivantes : bien sûr il faut que l’indication
soit réellement médicale c’est-à-dire qu’il existe
un réel problème de stérilité du couple et il faut
vérifier le non mélange des gamètes, car en cas de
mélange les implications en terme de transmission
religieuse et d’identité seraient lourdes (loi du
chatness). Enfin le troisième interdit halakhique en
la matière concerne la recherche sur l’embryon :
seule la recherche sur l’embryon in vivo ou sur des
cellules prélevées sur un embryon décédé pendant
la grossesse est interdite. Par contre la recherche
sur l’embryon in vitro est autorisée sans restriction
car le judaïsme considère que l’embryon in vitro
(c’est-à-dire en éprouvette) ne peut devenir une
personne humaine sans intervention extérieure
On voit donc que toutes les techniques visant à trai-
ter la stérilité sont autorisées en vertu de la préemi-
nence du principe suprême qui est la vie (Deutéro-
nome chapitre 30, verset 19, Lévitique chapitre 18,
Talmud de Babylone traité Yoma, chapitre 8, page
85b, Talmud de Babylone, traité Sanhédrin page
74a). Les seuls interdits concernent des techniques
qui n’ont pas pour but direct la fécondation comme
la création d’embryons à des fins thérapeutiques.
Dans ce dernier cas l’interdit du prélèvement de
sperme (qui ne doit pas être émis en vain) n’est pas
levé car le but n’est pas la fécondation.
Le diagnostic pré-implantatoire
La loi française autorise la recherche de maladie
génétique sur l’embryon issu d’une fécondation
in vitro (FIV) dans le cas de risques de maladies
à transmission génétique. La décision de laisser
implanter un embryon atteint de maladie généti-
que appartient au couple. Dans la mesure où le
judaïsme considère que l’embryon in vitro n’a pas
le statut de personne humaine en devenir au même
titre que l’embryon in vivo, la non conservation de
cet embryon issu d’une FIV ne pose pas problème
au regard de la halakha (ce qui n’est le cas ni pour
le christianisme ni pour l’islam).
L’interruption volontaire de grossesse
Le rabbin Gilles Bernheim traite de ce sujet dans
son fascicule de la collection “Torah et société” qui
a pour titre : “Handicaps, handicapés”.Voici ce qu’il
écrit : « Le texte fondateur de la littérature talmudi-
que, auquel il faut nécessairement se référer et qui
traite directement du problème de l’avortement est
la michna suivante (Ohalot VII,6) : “Si une femme a
un accouchement difficile, on a le droit de couper
l’enfant dans son sein et de le sortir membre par
membre, car la vie de la mère l’emporte sur celle
de l’enfant. Si la plus grande partie de l’enfant est
sortie on ne le touchera plus, car on ne repousse
pas une vie (néfech) devant une autre vie”.
(à suivre…)
Brigitte Frois
Que l’homme soit capable de progrès techniques fulgurants au cours d’un siècle qui a été témoin du retour de l’homme à la barbarie relève d’un
comportement qu’on peut sans exagération qualifier de schizophrénique. En effet force est de constater qu’il existe un hiatus entre progrès
technologique et degré de civilisation et d’élévation morale. Les progrès récents de la science ont concerné tout particulièrement le domaine
de la biologie, surtout en matière de reproduction depuis la découverte du mécanisme des hormones en 1960. En moins de 50 ans les notions
traditionnelles millénaires de procréation, filiation et maternité ont éclaté. Heureusement grâce au discernement de scientifiques comme Potter qui
avait pressenti le danger pour la survie de l’ensemble de l’écosystème, représenté par la rupture entre deux domaines du savoir : le savoir scientifique
et le savoir humaniste, une nouvelle discipline est née aux Etats-Unis dans les années 60 : la bioéthique.
société
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