Collège Notre-Dame de Jamhour Classe de 5ème
Récit d’aventures
Le Lion
Patricia, la fille de Bull Bullit, administrateur1 du parc naturel du Kenya2, donne rendez-vous au
narrateur dans la brousse3 où, stupéfait, il la trouve en train de jouer avec un lion, King, qu’elle a adopté
depuis sa naissance. Un amour profond lie la bête à la fillette. Oriounga, un guerrier Masaï, a décidé
d’affronter King, afin de prouver sa bravoure aux yeux de sa tribu.
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King, le mufle
aplati contre l’herbe, contemplait Patricia et de temps à autre l’appelait d’un
grondement affectueux. Il était là, sous leur arbre, Patricia tout près de lui, le regard fixé sur l’horizon.
Sous les paupières pesantes et à peu près closes, les yeux de King n’étaient plus qu’un fil jaune. Il
ressemblait au sphinx . Le jeu commença enfin. Il avança un peu le mufle, lécha très légèrement la
joue de la petite fille. Elle lui donna un coup de poing sur les narines, agrippa sa crinière, la tira à
pleines mains, posa son visage enfiévré contre les narines du lion. Et King rit de nouveau et de
nouveau se laissa glisser sur le flanc. Les yeux heureux du lion étaient de nouveau des yeux d’or.
Patricia s’étendit contre lui. Mais elle ne quittait pas du regard la lointaine lisière de la brousse .
Quelques instants s’écoulèrent en silence. Et, enfin, émergea d’un fourré lointain un homme que
je ne reconnus pas tout de suite. Sa silhouette semblait sortir de la nuit des temps. Un grand bouclier
tenu à bout de bras la précédait et, couronnant la tête aux reflets d’argile et de cuivre, flottait, à la
hauteur du fer de lance, l’auréole royale des lions4. Armé, paré selon la coutume sans âge, Oriounga le
guerrier venait pour l’épreuve – qui d’un Masaï faisait un homme et pour gagner par elle Patricia.
Patricia et King furent debout dans le même instant. Le lion avait senti approcher l’insolite5, le
trouble, la menace. Maintenant, la petite fille et King, côte à côte, elle, le tenant par la crinière et lui,
les babines légèrement retroussées sur les crocs terribles, regardaient grandir le guerrier Masaï.
C’était la fin du jeu.
La petite fille l’avait soudain compris. Sa figure n’exprimait plus ni la gaieté, ni la curiosité, ni
l’amusement, ni la colère, ni la tristesse. Pour la première fois, je voyais sur les traits de Patricia la
surprise épouvantée devant le destin en marche, l’angoisse la plus nue et la plus enfantine devant
l’événement qu’on ne peut plus arrêter. Elle cria des paroles en masaï. Je compris qu’elle ordonnait,
qu’elle priait Oriounga de ne plus avancer. Mais Oriounga agita sa lance, leva son bouclier, fit ondoyer
la toison fauve qui ornait sa chevelure et avança plus vite. Oriounga était à quelques pas de nous.
Un grondement sourd mais qui glaçait le sang ébranla la nuque et les côtes de King. Sa queue
avait pris le mouvement du fléau6. Il sentait l’ennemi. Et l’ennemi avait cette fois une lance
étincelante et un morceau de cuir aux couleurs barbares, et, surtout, surtout cette crinière. Oriounga
s’était arrêté. Il ramena son bouclier contre lui et poussa un cri dont la stridence me parut aller
jusqu’au ciel.
- King, non ! King, ne bouge pas, murmura Patricia. King obéit encore.
Oriounga rejeta une épaule en arrière et leva le bras dans le geste éternel des lanceurs de
javelot. La longue tige de métal étincelant, à la pointe effilée, prit son vol. Alors, à la même seconde
où le fer entra dans la chair de King et juste à l’instant où le sang parut, Patricia hurla comme s’il
s’était agi de sa propre chair et de son propre sang. Et au lieu de retenir King de toutes ses forces, de
toute son âme comme elle l’avait fait jusque-là, elle le lâcha, le poussa, le jeta droit sur l’homme noir.
Le lion s’éleva avec une légèreté prodigieuse et sa masse hérissée, rugissante, retomba d’un seul coup
sur Oriounga. Les deux crinières, la morte et la vivante, n’en firent qu’une. Patricia criait au lion, sans
mesurer la portée de son cri :
-Tue, King, tue !
Déjà le bouclier, malgré la triple épaisseur du cuir, s’ouvrait sous les griffes tranchantes et déjà la
misérable et sombre quenille7 humaine dépouillée de sa carapace dérisoire8 se tordait, se débattait,
sous la gueule du trépas9.