CONFERENCE SUR LA MATERNELLE

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CONFERENCE SUR LA MATERNELLE
Ce travail sur la maternelle s'articule autour de 3 points :
•
Une connaissance de l'enfant de 2-3 ans
•
Son adaptation à la maternelle ce qui renvoie aux notions de séparation et d'autonomisation,
d'individuation de l'enfant
•
La notion d'estime de soi
INTRODUCTION
Dans le but de renforcer notre action de prévention en maternelle, cet exposé vise à une meilleure
connaissance de l'enfant quant aux grandes étapes du développement de la construction de la personnalité
afin d'aiguiser notre regard sur les signes de narcissisme défaillant ou de difficultés à s'autonomiser, qui, s'ils
ne sont pas détectés rapidement en maternelle risquent de compromettre gravement la suite des
apprentissages.
Notre conviction est qu'il existe deux points fondamentaux dans le développement de sa personnalité qui
vont déterminer pour une large part les grandes étapes de son développement cognitif et intellectuel et donc
les apprentissages.
Il s'agit, d'une part, de la capacité pour l'enfant à sortir de la fusion initiale, à s'individuer, à s'autonomiser,
d'autre part, la construction de l'image de soi, son sentiment de compétence.
Cet exposé vise dans un premier temps à reprendre le développement des grandes fonctions intellectuelles
et cognitives à la lumière du développement affectif de l'enfant.
Puis nous aborderons le problème de l'autonomisation et les situations qui rendent ces séparations
difficiles. L'entrée à la maternelle est donc de ce point de vue un révélateur de difficultés.
Enfin, nous parlerons de l'estime de soi, concept phare dans la compréhension de difficultés à apprendre.
Notre travail a pour objectif, de présenter la très grande complexité que peut révêtir la difficulté à apprendre,
les causes en sont le plus souvent multiples, affectives, psychologiques et relationnelles.
Très peu d'enfants sont concernés par un manque de « moyens », c'est une autre lecture qui vous est
proposée, faisant appel, pour une large part à un travail avec les familles.
Le signalement en maternelle doit donc reposer, avant tout, sur ces signes de développement plutôt que sur
des compétences scolaires qui n'en sont que les conséquences, le révélateur.
I – CONNAISSANCE DE L'ENFANT DE 2 ANS
Aujourd'hui, de nombreuses écoles accueillent des tout-petits, or l'enfant de deux ans est un enfant qui a des
besoins et des comportements spécifiques.
C'est un enfant en construction.
2 ans, c'est l'âge des sentiments contradictoires : l'enfant a tout à la fois le désir d'être grand et celui d'être
protégé.
Il vit une véritable révolution dans le sentiment qu'il a de lui-même car il est paradoxal et compliqué de
grandir.
Avant son entrée en maternelle, l'enfant a acquis tout un langage d'expériences qui vont servir de tremplin à
ses investissements scolaires.
Il a vécu la dyade mère-enfant dans les toutes premières semaines de sa vie, puis son papa est venu
s'interposer entre maman et lui, il a parfois découvert qu'il faudrait partager ces deux adultes avec des frères
et soeurs.
A peine réussit-il à trouver ses repères qu'il lui faut aller à l'école, rencontrer d'autres enfants, partager.
C'est un changement de mère, de fratrie, de réglements, une remise en question de l'image de soi.
Il va découvrir l'altérité et progressivement conquérir son autonomie.
Cette période de la vie est traversée par des conflits intra-psychiques inhérents au développement
psychologique.
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Le premier conflit se situe autour de l'autonomisation : l'enfant a tout à la fois envie de
grandir et resté protégé : cette fragilisation se lit dans ses accès parfois agressifs, toutpuissants et le moment d'après, il s'écroule en pleurant en appelant le soutien. Cette
émancipation est anxiogène et déstabilisante.
Puis le complexe d'Oedipe représente une nouvelle étape entre 3 et 4 ans. L'enfant est aux
prises a des sentiments ambivalents, contradictoires sur la même personne. Il en ressent de la
culpabilité et éprouve à ces moments-là une vive angoisse à l'idée de perdre l'amour de ses
parents. Lorsqu'un bébé arrive à cette p ériode, la tourmente est réelle, la rivalité avec le père
et la mère, ,investis à ce moment-là sur un mode particulièrement exacerbé et ambivalent, est
vécue de façon très importante. Pour certains enfants, cette étape se passera sans effets, pour
d'autres, le sentiment de culpabilité peut générer des inhibitions intellectuelles s'il n'y a pas eu
possibillité d'expression, de verbalisation par rapport à tout ce qu'il ressent confusément.
Le développement affectif est traversé par des conflits importants, les grandes étapes du développement
intellectuel et cognitif vont être déterminés, pour une large part, par la manière dont ces conflits vont
pouvoir se gérer.
Ainsi, LE SCHEMA CORPOREL
ne se réduit pas à l'étape où l'enfant peut nommer les différentes parties de son corps.La naissance du
schéma corporel, c'est quand l'enfant a une représentation de son corps propre, c'est un processus
psychologique tout à fait important, l'enfant réalise que son corps est un ensemble unifié et délimité qui lui
est propre. Ce n'est plus un conglomérat de sensations olfactives, tactiles etc...
C'est au cours de la première année que la différenciation du moi corporel s'accomplit et que s'installe pour
l'enfant, la possibilité de se séparer de l'Objet.
Entre 18 et 24 mois, le corps est devenu un tout indépendant et différencié de l'extérieur.
C'est seulement vers 2 ans que l'enfant reconnaît son image dans le miroir en tant qu'intégration visuelle du
corps propre. C'est un moment important car il se perçoit comme une unité corporelle.
C'est dire l'importance des miroirs dans une classe de tout-petits !
Le « Je » apparaît à l'étape de la locomotion et c'est à ce moment que l'enfant peut devenir angoissé jusqu'à
dénier la séparation, il tente alors de se replonger dans le fantasme de l'unité avec la mère toute-puissante, se
situant alors comme dans le prolongement du corps de la mère.
Au moment de l'entrée à la maternelle, il y a réactivation de cette crainte si elle n'a pas été bien négociée et il
faut prendre en compte cette difficulté comme une défense temporaire et en parler avec la famille en
présence de l'enfant. Ne pas voir la difficulté fera se cristalliser un problème qui risque de réapparaître à
chaque séparation ou à chaque rentrée.
Parler à la mère en présence de l'enfant c'est donner vie à des sentiments confus, c'est permettre que
s'élabore une parole avec des effets de sens. C'est aussi contenir l'enfant dans son enveloppe
corporelle, ce qui concerne ses besoins mais aussi les éléments psychiques qui y sont liés.
De 2 à 3 ans, l'enfant doit être disponible pour faire des expériences multiples, pour connaître mieux son
corps et établir une liaison par comparaison entre son corps et celui des autres ; C'est ainsi qu'il s'identifie.
L'objectivation du corps propre fait émerger chez l'enfant la conscience de sa singularité et par la même
aussi de celle des autres.
Le schéma corporel est la résultante de perceptions, de représentations plus ou moins conscientes et un
certain contrôle du corps propre :
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agissant ou immobile
dans l'espace et par rapport au monde environnant
avec une indépendance de ses différents segments mais avec une sensation de l'unité
permanente du corps
avec une latéralité qui s'affirme
et une maîtrise des pulsions et inhibitions
le tout contenu par un revêtement cutané par lequel il est en contact avec le monde (« MOIPEAU de Didier Anzieu »)
Au vu de ces considérations, le schéma corporel n'apparaît pas comme un « apprentissage classique », une
compétence ordinaire, elle est liée au développement affectif, relationnel et cognitif de l'enfant. Il est, de ce
fait, nécessaire d'accueillir avec la plus grande prudence les dessins de bonshommes lorsqu 'ils apparaissent.
L'enfant se dessine comme il se représente d'une part, et d'autre part, avec les moyens de figuration et de
représentation dont il dispose à ce moment-là.
Toute comparaison négative, ou retour négatif ( ne serait-ce qu'un petit bonhomme qui grimace) affecte en
premier lieu, son image de lui-même, alors qu'il s'agit là d'un apprentissage très lié à la maturation
physiologique, psychologique et cognitive.
En revanche, le dessin du bonhomme peut révéler des signes pathologiques de difficulté à s'individuer ou à
se représenter comme une entité : c'est le cas des psychoses où l'enfant se perçoit morcelé, le bonhomme
reste morcelé, ou certaines dysharmonies où l'enfant se représente systématiquement dans une bulle, dans le
ventre de sa mère fantasmatiquement lorsqu'il n'est pas parvenu au stade de différenciation.
L'IMAGE DE SOI
A partir de 2 ans, l'enfant a besoin de revenir à ce « je » spéculaire du stade du miroir, l'image fonctionne
comme identification, elle permet à l'enfant d'assumer sa propre image.
L'image que chacun se forge de lui-même se trouve affectée d'images multiples : facteurs familiaux, socioéconomiques et culturels.
L'image qui va de soi à autrui est un processus psychologique essentiel qui s'accompagne de valorisations
positives et négatives.
La représentation de soi évolue et se remanie tout au long de la scolarité. Les enfants qui ont une bonne
image d'eux-mêmes sont souvent ceux qui aiment l'école et vont s'intéresser aux apprentissages.
LA REPRESENTATION
Dans ce continuum qui part de la possibilité pour l'enfant à s'abstraire d'une fusion initiale à l'enfant qui
parvient à une autonomie affective et intellectuelle, se situe l'apparition de la Représentation mentale.
La représentation est une opération mentale qui permet de se représenter des objets absents.
L'enfant peut se détacher de la perception immédiate et différer l'action pour « penser ».
Il peut garder en tête une image mentale de l'objet et une image mentale de son corps.
Il est capable d'imiter de façon différée, en l'absence du modèle.
Il sait que ses parents momentanément absents existent toujours et vont revenir, c'est d'ailleurs ce qui
rend la scolarité acceptable.
Pour accepter cette séparation que constitue l'entrée en maternelle, l'enfant doit avoir intériorisé l'image
d'une mère suffisamment constante, permanente. La fiabilité de l'image maternante est déterminante, s'il n'en
a pas une représentation interne suffisamment élaborée, l'enfant est inquiet et il recherche l'objet libidinal, la
mère.
Pouvoir supporter l'absence de l'objet libidinal va activer le système de représentation.
On comprend, là encore, le lien très fort entre un processus psychologique de séparation,
d'autonomisation et le développement d'un processus intellectuel tout à fait déterminant dans les
apprentissages.
On assiste au développement de la fonction représentative ou symbolique ; l'enfant a besoin d'agir ses
représentations c'est à dire de jouer, de manipuler, de trier, transvaser etc...
« Faire semblant » va lui permettre de structurer le monde. Il joue le réél tel qu'il le comprend, nous voyons
ainsi comment il comprend la réalité.
Son monde intérieur est parfois très compliqué, chargé de désirs et d'angoisses.
Le rééducateur peut intervenir si besoin est pour l'aider à différencier le réél et l'imaginaire.
L'ACCES AU SYMBOLIQUE
C'est la représentation qui donne accès au symbolique, elle permet au sujet de se représenter les objets et les
événements en images.
L'enfant acquiert la possibilité de représenter quelque chose par un symbole ou un signe, ce qui va
l'aider à se séparer puisqu'il aura un support de mentalisation pour penser l'absence de sa mère.
Les moyens auxquels il a recours pour cette capacité évocatrice sont : l'image mentale, le jeu symbolique,
le dessin et le langage.
Si la période qui couvre les 18 premiers mois est couramment appelée sensori-motrice, celle qui précède
l'entrée à l 'école élémentaire de 2 à 6 ans est largement dominée par le « label symbolique ».
Il faut donc accepter la séparation pour activer le processus de representation qui est le point de
départ du développement intellectuel, symbolique : langage, écriture, lecture, mathématiques...
LA RELATION A L'OBJET
Elle rend compte de la manière dont le sujet se comporte dans les relations interpersonnelles. Elle est
structurée par l'organisation psychique de la personne, et elle se fonde sur le processus de séparation entre le
sujet et les différents objets investis dès les premiers mois de sa vie.
Si personne n'est à l'écoute de l'anxiété réactionnelle que l'enfant manifeste, il risque de rester sur le
qui-vive, ne s'autorisant aucun investisement. Ce qui serait, bien-sûr, préjudiciable aux apprentissages.
La fiabilité de l'image maternante dans le vécu de l'enfant est le garant de son propre sentiment de sa
continuité d'exister.
S'il n'en a pas une représentation interne suffisamment élaborée, l'enfant est inquiet et il recherche
l'objet libidinal, la mère.
Toutes les approches de la psychologie de l'enfant reconnaissent l'importance de l'objet libidinal dans la
construction de l'objet cognitif.
L'enfant qui arrive à l'école maternelle a bien-sûr dépassé l'angoisse du 8ème mois mais cette nouvelle
épreuve de séparation peut venir réactiver ce sentiment.
Il est important de prendre en compte cette réactivation pour mettre l'enfant dans une sécurité affective qui
lui permettra d'investir le monde scolaire et social, l'objet cognitif.
Pouvoir supporter l'absence de l'objet libidinal va activer le système de représentation.
En conclusion, l'enfant de 2 ans a un appareil à penser dont il faut tenir compte, il ne faut pas attendre que
l'enfait ait 4 ou 5 ans, que la difficulté soit installée et qu 'elle s'accompagne d'un inévitable écroulement sur
le plan narcissique.
Une écoute privilégiée nous permettra d'éviter que le jeune enfant ne développe trop de défenses ou se plie
complètement à la loi du groupe, avec le risque de s'identifier avec une grande passivité , ce qui risquerait de
diminuer considérablement sa créativité et son engagement ultérieur dans les apprentissages.
II- LA SEPARATION
La notion de séparation est revenue à plusieurs reprises dans mes propos sur l'entrée à l'école maternelle,
c'est la notion phare, celle qui doit orienter notre regard, notre attitude, nos évaluations dans
l'évolution de l'enfant de 2 à 3 ans.
La séparation n'est pas un simple éloignement physique, elle ouvre un grand départ d'ordre psychique en
permettant l'émergence du propre désir de l'enfant et de sa place dans l'univers social.
La problématique de la séparation est un axe de réflexion essentiel pour comprendre les enjeux psychiques
de l'entrée à l'école maternelle.
C'est de cette capacité à transformer la rupture en séparation que va d épendre pour une grande part, le
développement de l'enfant à travers la scolarité.
En accompagnant l'enfant et en parlant cette rupture, nous lui permettons de rétablir une continuité
psychique entre la famille et l'école.
L'angoisse de séparation ne doit pas devenir invalidante
Notre intervention ponctuelle, mais surtout la vôtre, aura pour but d'apaiser cette angoisse pour éviter une
organisation défensive qui risquerait de provoquer des inhibitions préjudiciables à l'investissement scolaire.
L'impossibilité à se séparer est dûe en grande partie à l'incapacité de se représenter le parent en son absence.
Le lien en pensée n'a pas pû se constituer et il sera important que nous puissions travailler avec la famille.
Cette difficulté à avoir une activité de représentation et de symbolisation risque de gêner l'entrée dans les
apprentissages.
Pour éviter des traumatismes, nous allons tenter de leur offrir des conditions favorables de vie de groupe tout
en reconnaissant leur souffrance : « C'est difficile pour toi d'être loin de papa ou de maman, je vais
t'accompagner un peu. »
L'enfant doit pouvoir aborder tôt et dans de bonnes conditions le processus nécesaire de la socialisation.
Il a des bénéfices secondaires à rester petit et il faut progressivement qu'il accepte de les perdre. Ce
renoncement est source de difficultés, mais il est fécond car il ouvre à de nouvelles découvertes.
RETOUR THEORIQUE SUR L'AUTONOMISATION A PARTIR DE LA FUSION INITIALE
La fusion ne dure pas seulement le temps de la grossesse mais doit se prolonger durant les premières
semaines de la vie de l'enfant, qui a besoin de sa mère pour survivre.
Ainsi la naissance n'apparaît-elle pas comme une première séparation. Si le cordon ombilical qui relie le
bébé à sa mère est effectivement coupé, il perdure psychiquement et symboliquement par l'allaitement mais
aussi par tous les soins maternels qui vont donner peu à peu à l'enfant, le sentiment de sa propre existence.
Cette fusion organique perdure pendant les trois premiers mois que Winnicott appelle « les cent jours de
folie amoureuse. »
La mère est entièrement tournée vers le bébé, dévouée à lui, pleine d'une sollicitude particulière, appel ée
« préoccupation maternelle primaire ». C'est durant ce temps que se fonde leur sentiment mutuel
d'appartenance.
Le bébé ne se perçoit pas comme différent de sa mère, il est son prolongement, ce que l'allaitement
symbolise.
Quant à la mère, l'enfant lui semble faire partie d'elle-même, elle s'identifie à lui, sait ce qu'il ressent,
adaptant toujours ses soins au bébé et lui assurant ainsi une continuité d 'existence ; entre la mère et son
bébé, les mouvements sont réciproques, l'un et l'autre s'influencent mutuellement.
Pour Winnicott, la croissance affective de l'enfant passe par trois étapes :
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Une étape de dépendance absolue, physiologique et affective, durant laquelle le bébé n'est pas
encore en mesure de prendre conscience des soins maternels et ne fait pas la différence entre
le besoin et le manque.
Vient ensuite entre 6 et 18 mois, le temps de dépendance relative.
Quand la mère s'absente, le bébé pleure car l'angoisse apparaît, signe qu'il perçoit sa dépendance. Lorsqu'il a
faim, il réclame en criant et sa mère satisfait son besoin ; mais bientôt, le seul assouvissement de son besoin
vital ne lui suffit plus, il subsite malgré tout un manque, qui est manque de l'autre et d'où va naître le désir.
L'enfant commence à exister en tant que sujet et perçoit une différence entre soi et l'autre.
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Enfin à partir de 2 ans, parce qu'il a introjecté l'image et les soins maternels, il est désormais
capable de conserver mentalement l'image de sa mère et il sait qu'elle reviendra pour
répondre à ses besoins, l'enfant va pouvoir accéder à l'indépendance, toute relative, bien-sûr,
grâce notamment à l'acquisition du langage.
Si la fusion est essentielle durant les premiers mois, elle doit prendre fin progressivement grâce à la mère,
qui va peu à peu donner des réponses moins adaptées à son bébé, lui permettant ainsi de se percevoir comme
différent d'elle.
Celle qui n'est pas capable de cette désadaptation « échoue » selon les mots de Winnicott « en ne donnant
pas à son bébé des raisons à sa colère. Or, le bébé qui n'a pas de raison d'être en colère alors qu'il a en lui une
quantité habituelle d'élément agressifs, se trouve face à une difficulté particulière, qui est de fusionner
l'agressivité à l'amour. »
Autrement dit, il faut que la mère renonce à son désir d'être une mère parfaite, toujours satisfaisante, pour
apprendre au bébé la frustration qui va lui donner le goût de partir à la conquête du monde afin de
combler le manque ressenti.
Il faut être deux pour fusionner, chacun de leur côté, la mère et le bébé doivent être doués de capacité de
fusion.
Celle-ci échoue, en tout cas elle est moins sécurisante, lorsque l'un des deux est empêché. C'est parfois le cas
quand la mère est dépressive par exemple, la dépression joue alors un rôle dans la mise en place de
l'interaction : la mère est moins disponible, moins attentive, elle se borne souvent aux soins essentiels à
donner au bébé, elle joue moins avec lui, il y a transmission d'affects dépressifs de la mère au bébé, qui aura
moins de capacité à entrer en contact avec les personnes et les objets, à nouer des relations.
C'est dire la nécessité de soutenir et d'aider les mères en difficulté, afin qu'elles puissent malgré tout offrir à
l'enfant la sécurité dont il a besoin dans les premiers mois, car c'est à cette période que se crée un
attachement plus ou moins sécure qui sera déterminant pour son autonomisation future.
Plus la fusion aura été intense, plus l'enfant y aura puisé de l'assurance et plus il sera capable de supporter
l'absence maternelle, qu'il mettra à profit pour explorer le monde extérieur.
L'enfant insécure, lui, recherchera toujours sa mère ou l'évitera de façon évidente, sans réussir pour autant à
investir d'autres personnes ou d'autres objets.
Pour le premier, passé un mouvement naturel d'anxiété, le changement se révèlera amusant, intéressant,
excitant ; pour le second, il reste source d'angoisse.
En l'absence de la mère, privé de repères, le bébé se replie sur lui-même, comme si le seul objet stable de
réassurance était son propre corps. (On peut y trouver là, la cause de nombreuses masturbations).
Au lieu de s'ouvrir à l'extérieur, l'enfant insécure est autocentré et son appareil psychique ne lui sert plus à
entrer en contact avec le monde mais à ressasser ses pensées.
Si l'enfant parvient à se séparer, c'est qu'il est convaincue de retrouver sa mère un peu plus tard, ce qui
suppose que la mère ait été « suffisamment bonne » c'est à dire qu »elle a donné assez de soins, d'attention
et de dévouement. Sinon, il gardera toujours une fragilité, qui sera ravivée à chaque séparation.
SURVIVRE A L'ABANDON
Dans le cas des enfants placés en famille d'accueil, l'enfant pense qu'il a dû être bien méchant pour que sa
mère ait pû l'abandonner. Ce qu'il éprouve, c'est un sentiment de culpabilité et de honte, qui d'entrée de jeu,
sape l'ébauche de son estime de soi. S'il a du mal à concevoir que sa mère est mauvaise, il est cependant
dans l'ambivalence, en proie à des accès de haine envers celle qui n'a pas voulu l'aimer.
L'abandon, c'est la certitude de ne pas être aimé et pis encore, de ne pas être aimable.
GRANDIR C'EST SE SEPARER
Pour être bénéfique, la fusion des premières semaines doit prendre fin. Peu à peu, la mère et l'enfant vont
apprendre à se lâcher mutuellement, grâce notamment à ceux que l'on appelle les « tiers séparateurs », le
premier d'entre eux étant le Père, qui vont s'immiscer dans leur relation duelle, créant des espaces de
différenciation.
Le développement psycho-moteur de l'enfant est ainsi constitué d'une suite de séparations.
Le sevrage, l'apprentissage de la marche et de la propreté représentent ce que Françoise Dolto désignait sous
le terme de « castrations symboliques » : des pertes successives, qui, chaque fois, vont permettre à
l'enfant de conquérir de nouveaux territoires et une nouvelle autonomie.
La fusion se joue d'abord essentiellement entre la mère et son bébé. Dans la mesure du possible, et dans le
cas où la mère n'est pas empêchée physiquement et psychiquement de tenir son rôle, le père ne doit pas
s'efforcer de fusionner à son tour.
Son rôle est au contraire de « défusionner ». Le père est précieux, indispensable, en tant qu'il donne à la
mère, la force de ne pas s'occuper uniquement de son bébé.
Dans les tout premiers jours, le père va introduire la notion si essentielle de différence.
Parce que ce papa n'a pas la même texture de peau que celle de la mère, n'a pas la même voix, pas la même
façon de jouer avec lui, l'enfant perçoit qu'entre sa mère et lui, il y a déjà du tiers, de la différence, du pareil
et du pas pareil, qui va l'aider à sortir de la fusion et à s'ouvrir au monde.
Si, dans un premier temps, il va s'identifier presqu'exclusivement à la personne qui s'occupe de lui – la mère
donc- peu à peu, il va trouver d'autres modèles identificatoires, dont le père indispensable à sa construction.
Dans tous les cas, l'absence de père ne doit pas empêcher qu'il y ait du tiers entre la mère et l'enfant : un
compagnon, un membre de la famille, un ami proche ... quelqu'un qui vienne, non pas interdire la fusion,
mais s'y immiscer, sans quoi la fusion devient un piège.
La maternelle fait office de tiers séparateur, et pour les mamans, elle représente une excellente
opportunité de se séparer de leur enfant.
Il traverse alors cette fameuse phase dopposition par laquelle il tente de s'affirmer en tant que sujet
autonome, tout en testant les limites de ses parents.
En l'éloignant de sa mère, la maternelle va lui permettre d'échapper à une relation duelle trop fusionnelle et
de se confronter aux autres, qui vont devenir pour lui de nouveaux modèles identificatoires, représentant une
ouverture sur le monde environnant et un enrichissement de ses possibilités.
LES SEPARATIONS DIFFICILES
On prétend souvent que ce sont les mères qui vont à l'encontre de l'autonomie de l'enfant et cherchent à
prolonger la fusion, incapables qu'elles seraient de renoncer au sentiment de toute-puissance que celle-ci leur
procure.
Il y a cependant des enfants qui naissent avec ce que l'on pourrait appeler « un don d'anxiété », une capacité
d'agrippement que la mère perçoit et à laquelle elle répond.
Ce qui engendre parfois des agrippements réciproques. Parce qu'il est peut-être plus anxieux que d'autres ou
parce qu'il n'a pas réussi à avoir un attachement assez sécure pour pouvoir y puiser la confiance en soi
nécessaire, l'enfant a parfois du mal à franchir les étapes de l'autonomisation.
Par des comportements, des symptômes ou des somatisations, il cherche alors à prolonger un « collage
archaïque », montrant une tendance à la régression qui traduit sa difficulté – voire son refus – de grandir.
On naît plus ou moins anxieux, plus ou moins curieux, plus ou moins fragile...
C'est cette part inexplicable qui va faire de chacun un être singulier, avec une histoire unique, les mêmes
causes n'ayant jamais les mêmes effets chez deux personnes distinctes.
Les parents, eux , s'adaptent toujours à leur enfant, ce que Winnicott exprime par ces mots : « les parents
dépendent des tendances innées du nourrisson. L'environnement ne façonne pas l'enfant, au mieux, il permet
à l'enfant de réaliser un potentiel. »
Il faut donc rester très prudents face aux situations de difficultés d'autonomisation qui nous sont donnés à
voir.
Conseiller à la maman de couper le cordon, de lâcher son enfant, de le laisser grandir viennent d'une bonne
intention mais ne servent, le plus souvent, qu'à culpabiliser davantage une maman qui se sent déjà bien
impuissante dans une situation qu'elle ne contrôle pas.
Les théories systémiques ont l'avantage de sortir de ces analyses réductrices en proposant d'aborder le
symptôme de l'enfant, en l'occurence une incapacité à s'autonomiser, comme le révélateur de
difficultés relationnelles plus larges, plus complexes au sein de la famille, renvoyant alors aux propres
systèmes d'identification des parents, de leur condtions d'attachement et d'autonomisation, des
conflits familiaux non résolus, des deuils intervenus dans l'histoire des parents ou au moment de la
grossesse...
On prend alors la mesure du caractère inconscient et difficilement contrôlable, si ce n'est par un travail
thérapeutique adapté, des attitudes familiales.
La notion d'interaction est fondamentale : on ne peut analyser une situation donnée de façon
réductrice, il existe des interactions entre les parents qui s'adaptent et ce que leur enfant apporte
d'emblée ; il existe des interactions entre le vécu de la mère et celui du père auxquels on peut
adjoindre celui des grands parents, lorsque leur influence dans le mode éducatif des enfants est
important.
La difficulté que présente l'enfant est complexe, multi-factorielle, on ne peut prétendre la résoudre sans
l'adhésion et la confiance des parents, qui accepteront alors de nous livrer des éléments de leur histoire, dès
lors qu'ils ne se sentiront plus jugés mais partie prenante dans la résolution des difficultés de leur enfant,
dont on ne peut les rendre responsables.
Cette approche a l'avantage de déculpabiliser l'enfant qui, du coup, se voit attribuer le rôle de symptôme, il
n'est pas celui qui dysfonctionne mais il agit comme le révélateur de troubles familiaux plus larges.
On replace le rôle du père mais au-delà les références parentales de chacun des deux parents, les conflits, les
secrets, les deuils qui ont empêché les processus d'autonomisation, on met à jour les bénéfices secondaires
que tirent les parents de cette situation.
LA PHOBIE SCOLAIRE
Dans ce contexte de diffiulté à grandir se situe la phobie scolaire, qui est une angoisse telle qu'elle entraîne
une impossibilité de franchir les portes de l'école.
Elle n'est en rien un caprice et révèle une souffrance extrême. Souvent, la phobie scolaire commence par une
crainte particulière : crainte d'un groupe d'enfants dont on croit qu'il nous en veulent ou crainte d'un
professeur. Peu à peu, l'école apparaît comme le lieu de tous les dangers et cette crainte envahit tout, au
point de bloquer la moindre possibilité d'apprentissage.
Elle exprime une angoisse de séparation avec incapacité à défusionner avec la mère notamment.
Cette angoisse est dûe, en partie, à l'idée de la mort.
Des pédopsychiatres ont pû faire un rapprochement entre les enfants victimes de phobie scolaire et à la
confrontation, de près ou de loin, à une mort dans leur entourage.
La phobie scolaire débute fréquemment soit à l'entrée du C.P, vers 6 ans soit à l'entrée au collège, vers 11
ans.
6-7 ans, c'est l'âge où l'enfant comprend que la mort est irréversible et commence à penser qu'elle peut
toucher ses parents. Ne pas aller à l'école est un moyen de rester avec eux, comme si par sa présence, il
pouvait les empêcher de mourir.
Vers 11 ans, à l'orée de l'adolescence, l'idée de la mort prend une nouvelle intensité.
La mort, ultime séparation, représente une obligation de se détacher, ce à quoi l'adolescent aspire en même
temps qu'il le redoute.
Ne pas aller au collège, c'est aussi ne pas se séparer de ses parents, rester dans une immuabilité qui est un
gage d'éternité.
La phobie scolaire exprime une incapacité à grandir.
Le passage au C.P, c'est quitter le monde protégé de la toute petite enfance, la maternelle, avec ses jeux, ses
chansons pour entrer à la grande école, plus sérieuse où l'on va se consacrer aux apprentissages.
L'âge de raison qui marque le début de la période de latence, met fin à la période oedipienne dont l'enfant
qui souffre de phobie scolaire semble ne pas être encore sorti.
Dans son ouvrage sur la séparation , Marce Ruffo qualifie la phobie scolaire « d'épidémie moderne ».
Il en attribue la cause « aux progrès accomplis par les parents, bien meilleurs que ceux d'autrefois, plus
attentifs, plus compréhensifs, plus disponibles. »
Il poursuit son analyse en posant : « Comment quitter des parents si bons ? Comment se séparer de ceux qui
sont toujours prêts à satisfaire vos envies comme vos besoins ? Pourquoi prendre le risque de la frustration
quand les parents font tout leur possible pour les combler sans cesse ? Pour avoir envie de sortir du cocon de
la famille, il faut que celle-ci sache créer le manque.
LA MALADIE OU LE HANDICAP
La maladie ou le handicap privent celui qui en est atteint d'une partie de ses capacités physiques ou
mentales, renforçant ainsi la dépendance à l'autre dont il a besoin pour satisfaire certains besoins vitaux ou
pour le protéger.
La maladie ou le handicap d'un parent ou d'un enfant renforcent et figent le lien. La marche vers l'autonomie
et vers un relatif détachement semble se faire au ralenti.
Comment se séparer d'un parent psychiquement malade ?
Les enfants, habités par un sentiment de toute-puissance, pensent toujours qu'ils sont – au moins un peu –
responsables de ce qui arrive à leur parent.
N'est-ce pas leur faute si leur parent est fragile ?
Ne peuvent-ils par leur simple présence, devenir l'ange salvateur qui va guérir la maladie parentale.
Dans le même temps, ils éprouveront sûrement des souhaits de mort plus ou moins conscients envers ce père
ou cette mère. L'ambivalence atteint son paroxysme : « je t'aime, je te hais, je ne peux pas me passer de toi
ni toi de moi » et fait naître la culpabilité. Mais la culpabilité fige le lien. On ne peut se séparer si on se sent
coupable.
Un parent c'est fait pour rassurer, encourager, rendre plus fort. Avec un parent malade, les rôles paraissent
inversés : l'enfant n'est plus l'objet de ses préoccupations, c'est le parent qui devient objet de préocupation
pour l'enfant.
En temps normal, celui-ci se soucie peu de ses parents, sauf en ce qui concerne l'affection, l'attention et les
soins qu'il lui apportent.Ses parents sont des héros, forts, tout-puissants.
Le parent malade est empêché d'accéder au rang de héros et il faut se soucier de lui parcequ'il est fragile.
Si le parent est dépressif, comment ne pas hésiter à le laisser seul ? L'enfant pense que sa présence peut-être
un garde-fou aux accès de mélancolie parentale.
Parce qu elle oblige à prendre soin et à protéger, la maladie psychique attache l'enfant à son parent. On ne
peut se séparer quand on a des doutes sur la qualité de résistance de celui dont on doit s'éloigner.
Dans le cas d'un enfant handicapé ou malade, on a tendance à dire que les parents ne parviennent pas à se
détacher de lui. En fait, c'est parce que l'enfant ne s'autonomise pas qu'il ne donne pas à ses parents la force
de le laisser s'éloigner d'eux. Comme il faut être deux pour fusionner, il faut être deux pour se séparer mais
le handicap et la dépendance qu'il engendre renforce le lien. L'enfant a toujours besoin de ses parents ou d'un
tiers pour assurer sa survie et ils pensent bien souvent être, sinon les seuls, en tout cas les plus compétents,
pour s'occuper de lui.
Plus compétents, ils le sont, du moins en partie, par l'affection qu'ils éprouvent pour lui et parce qu'ils sont
les seuls à porter l'enfant imaginaire qu'ils avaient rêvé avant la naissance, cet enfant qu'il serait devenu s'il
n'était pas handicapé.
Avec les parents, les médecins ont un devoir de loyauté : ne pas interdire l'espérance, mais y poser certaines
limites afin qu'ils puissent s'habituer progressivement à la réalité. Pour parvenir à composer avec cette
réalité, les parents ont besoin de temps, un temps que l'on doit respecter et qu'il ne nous appartient jamais de
juger.
QUAND LES PARENTS SE SEPARENT
L'enfant, lui, subit la séparation, qui l'oblige notamment à un remaniement psychique des images parentales
et le force à renoncer à certains rêves.
Parce qu'elle lui est imposée, cette sépararion ne se fait jamais sans souffrance, une souffrance qui s'exprime
parfois sous formes de symptômes soulignant la difficulté à accepter la réalité.
Pourtant, le plus délétère dans le divorce des parents n'est pas tant la souffrance que le risque de fusion
compensatrice qu'il comporte.
Le divorce n'est jamais banal, l'enfant a besoin de croire qu'il est issu de l'amour de ses parents et que cetr
amour est éternel. Les adultes peuvent rêver d'autres amours, l'enfant, non : il a un père et une mère qu'il ne
conçoit qu'ensemble. Il a besoin d'avoir une image forte et idéalisée de ses parents avant de les renverser de
leur piédestal à l'adolescence.
Mais les conflits, la séparation, en « coupant » le couple, abiment cette image idéale.
Les enfants vont rêver un moment, que la séparation n'est pas définitive, avant de comprendre que la vie
n'est pas conforme à leurs rêves et que leurs parents ne revivront plus jamais ensemble.
Cela peut prendre du temps et ils expriment leur souffrance à leur façon, en s' investissant moins à l'école,
par exemple en ayant des troubles du sommeil ou en se montrant agressifs.
Dans les divorces difficiles, la séparation du couple parental entraîne souvent la création d'un nouveau
couple mère-fils ou mère-fille, plus rarement avec le père mais cela arrive parfois, couple fusionnel qui
exclut celui qui est parti.
La mère se replie sur son enfant et reporte sur lui tout l'amour qu'elle ne donne plus à son compagnon tandis
que l'enfant colmate l'absence du père en régressant vers un état antérieur et désire dans le même temps,
alléger la peine de sa mère qu'il sent fragilisée.
En fusionnant ainsi, de manière réactionnelle et archaïque, chacun lutte contre le vide créé par la
séparation, sans voir qu'ils se prennent mutuellement dans un piège dont le bénéfice ne peut-être que
de courte durée, dans la mesure où la fusion empêche de se confronter à la réalité de la perte d'amour
pour la mère, de l'absence du père pour l'enfant.
L'idéal est que, après un divorce, les deux parents se remettent en couple.
Les enfants se rangent du côté de celui qu'ils perçoivent comme le plus fragile.
En devenant le parent de leur parent, en inversant les rôles, puisque le parent n'est plus assez fort pour tenir
le sien, ils vont entrer, vis à vis de lui, dans une stratégie de soutien, d'attention, ils vont s'occuper de lui au
quotidien.
Tout se passe comme si celui qui ne recompose pas n'était pas tout à fait séparé de l'autre et c'est presque par
compassion que l'enfant va souhaiter que le couple se reforme pour soulager le parent de sa peine.
Cependant, il est empêché d'oublier le couple parental dont il est issu.
L'ENTREE A L'ECOLE MATERNELLE
L'enfant qui devient élève à l'école va rester enfant dans sa famille, l'école ne va pas devenir toute sa vie, il a
besoin d'être rassuré par rapport à cela.
L'enfant vit une double épreuve : la séparation et l'entrée dans un système de normes collectives qui va
occasionner une nouvelle structuration de lui-même.
A l'école, tout s'apprend et le premier apprentissage, c'est se séparer de sa mère.
Ceci nécessite un travail avec les parents dès l'inscription de l'enfant : comment vont-ils parler de
l'école à l'enfant, puis comment vont-ils le « confier » à l'école ? Une séparation n'est pas un abandon,
une scolarisation n'est pas un rapt.
La séparation est une expérience de maturation pour l'enfant : une maturation affective en premier lieu, mais
qui aura des effets sur le développement cognitif et social.
Cette question de séparation amène l'enfant à se séparer de l'objet premier (la mère) pour aller vers la
culture.
Une relation trop exclusive à la mère est aliénante car elle empêche la différenciation entre soi et les autres.
Se séparer est une opération psychique qui va de pair avec l'identification de soi : elle permet à
l'enfant se différencier des autres.
Il faut admettre d'emblée qu'une période d'adaptation est nécessaire et qu'elle sera plus ou moins longue.
Il ne faut pas nier le travail psychique nécessaire à la séparation et le temps nécessaire à ce travail.
Nous allons accepter l'expression des sentiments et des désirs souvent contradictoires des enfants et ne pas
nier la difficulté de la séparation.
Il est important d'entendre la peine et le chagrin de l'enfant, les craintes des parents et parfois aussi l'angoisse
de l'enseignant. Les enfants ont une sensibilité très forte et réussissent à réactiver chez les adultes des
blessures enfouies.
L'inscription à l'école est en cela fondamental.
Préparer cette séparation, c'est rechercher une continuité marquée par des symboles (un document de
présentation de l'école à la famille, un petit carton d'invitation pour l'enfant, une photo...).
Il faut accueillir l'enfant et sa famille, pour les préparer à cette séparation en recherchant une continuité.
Si l'enfant est source d'angoisses, c'est le plus souvent à cause de non-dits ou de mal-dits sur l'école. Les
parents n'ont pas ou peu de représentations de l'école mais ils ont parfois certains souvenirs douloureux de
leur propre passé scolaire.
Ils ont souvent besoin de déposer ces appréhensions, l'enseignant peut susciter, recueillir ces ressentis, en
mettant des mots sur ce que l'enfant ressent de leur propre appréhension à inscrire leur enfant à l'école.
Lorsque l'émotion est là, il est parfois facile de repérer les familles pour lesquelles la séparation va être
difficile, mettre des mots rassurants à ce sujet, dire ce que l'on perçoit de leur inquiétude est déjà, pour eux,
l'assurance d'un lieu bienveillant et sécurisant.
Quand il se présente à l'école, le petit enfant est souvent porteur d'une angoisse qui n'est pas
complètement la sienne parce qu'il n'est pas encore complètement séparé de sa mère. Un des moyens
de l'aider est de permettre à sa mère d'être en sécurité avec nous pour parler de ce qu'est l'école et de
ce qu'elle représente pour elle.
L'enfant n'entre pas à l'école pour voir perdurer le lien maternel. Dès le premier jour, il entre à l'école pour
devenir un écolier, rompre des liens, apprendre à se séparer de son univers familier et conquérir des libertés;
Une partie de la vie de l'enfant va maintenant échapper à ses parents et certains ont du mal à l'accepter.
Pour de nombreuses mères, être une bonne mère c'est anticiper les besoins et penser à la place de l'enfant.
C'est pour cette raison que parfois cela se passe mal, il y a des mères qui n'acceptent pas de « perdre ». Il est
parfois important de préciser que l'école ne « prend » pas les enfants et que nous aurons l'occasion de nous
rencontrer tout au long de l'année pour préciser la complémentarité des rôles éducatifs de chacun.
Quand les enfants vivent en symbiose avec leur mère et ne sont pas encore parvenus à s'identifier
comme individu, ils vivront assez mal la classe. Ils auront du mal à trouver des marques dans ce lieu
et seront le plus souvent passifs.
Il faudra leur laisser le temps d'instaurer une relation à ce monde nouveau mais il faudra envisager aussi un
travail en parallèle avec la mère pour qu'elle accepte de n'être plus tout pour son enfant. C'est à ce prix qu'il
pourra grandir, apprendre et s'intégrer au groupe , notre intervention à ce niveau peut être utile.
LA RENTREE DE SEPTEMBRE
C'est un moment essentiel et lorsqu'un rééducateur peut être présent, son rôle est tout à fait important :
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Il est important d'accompagner les moments de rupture, de séparation, de transition qui sont
toujours source d'angoisse ( l'accueil, la sortie, le passage aux toilettes, la récréation...)
Les parents ont toujours tendance à fuir rapidement, à « abandonner » l'enfant, or ,il est
important que la séparation soit parlée : « je vais au travail... je vais à la maison... Je
reviendrai te chercher tout à l'heure. »
L'enfant va faire l'expérience que la meilleure façon de se retrouver c'est de se séparer. Il est toujours
important de faire préciser si c'est papa ou maman ou la nourrice qui viendra le chercher.
Dans la mesure du possible, l'accueil doit être personnalisé, et avoir lieu dans la classe et pas dans la cour
qui n'est pas un lieu suffisamment sécurisant pour l'enfant.
Ce sont les parents qui enlèvent les vêtements et les mettent au portemanteau. Ils marquent, par ce rituel, que
ce sont eux qui confient l'enfant à l'école.
L'enfant est accueilli, nommé et ses pleurs éventuels sont traduits en paroles pour que progressivement, ce
vécu de séparation se transforme en acceptation d'une vie séparée avec la richesse de découvertes et de
plaisirs nouveaux.
L'heure des retrouvailles, « l'heure des mamans » a aussi son importance.
Durant ce moment, se joue parfois un règlement de compte affectif;
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soit l'enfant se précipite dans les bras de ses parents,
soit il se met à pleurer,
soit il donne des coups de pied à ses parents et fait un caprice,
soit il est indifférent,
soit il va se réfugier dans un coin et refuse de quitter la classe
Il est important que nous puissions mettre des mots sur ces difficiles retrouvailles et interpréter pour les
parents les réactions inattendues de l'enfant.
Les parents doivent pouvoir comprendre les rapports de tension liés aux retrouvailles et ne pas se sentir
agressés par ces comportements déroutants.
Selon Françoise DOLTO, la scolarisation n'a d'intérêt pour un enfant que lorsqu'il sait déjà s'occuper seul,
bavarder avec son ours et s'il a déjà joué en liberté avec d'autres enfants.
Ce n'est pas tant une question d'âge que de niveau, il faut que l'enfant ait l'autonomie de son propre
corps.
DE QUELLE AUTONOMIE PARLE-T-ON ?
L'autonomie de l'être se fonde de la séparation mais aussi de la rencontre avec l'autre.
Elle ne se décrète pas, c'est l'enfant qui doit la conquérir.
Trop souvent, on assimile l'autonomie à une réponse matérielle que l'enfant apporte au désir de l'autre : « il
range bien ses affaires, il s'habille tout seul... » mais il n'y a d'autonomie que si l'enfant revendique luimême cette liberté d'action, quand il dit « moi tout seul ».
Là, on peut parler d'autonomie car l'enfant a un projet personnel.
Pour qu'il y ait autonomie, il faut qu'il y ait une marge de choix de la part de l'enfant et qu'il puisse se passer
de l'adulte, prendre lui-même en charge une partie de sa vie.
Paradoxalement, un enfant carencé ne pourra pas se séparer, il va « adhérer ».
On n'adapte pas un enfant, c'est lui qui s'adapte par un réél travail psychique, mais plus il est jeune, plus il a
besoin qu'on l'aide pour le faire, du moins que l'on mette en place les conditions de son adaptation.
C'est aussi pour cette raison qu'il faut entraîner les enfants à l'esprit critique et au développement de
l'imaginaire plutôt qu'à la passivité et au conformisme. L'autonomie nécessite que l'enfant situe son action
entre contrainte et liberté.
Il a un besoin constant d'étendre son action sur tout ce qui l'entoure, mais s'il a été empêché de faire des
expériences, il n'ose pas aller du connu vers l'inconnu, il faut lui permettre de prendre progressivement le
risque d'oser en favorisant sa création, en l'accompagnant d'un geste, d'une parole, d'un sourire, d'une
présence.
On voit trop d'enfants arriver à l'école très inhibés parce qu'on a découragé ou désapprouvé leurs activités
exploratrices, les rendant passifs, craintifs et soumis.
L'AUTONOMIE n'est pas une finalité en soi, elle est indissociable de l'appropriation du savoir.
Pour s'approprier des connaissances, l'enfant doit faire passer le savoir d'une dimension sociale à une
dimension individuelle pour que progressivement ce savoir devienne partie intégrante de sa personne et qu'il
puisse l'utiliser au gré de ses besoins, de sa créativité, de son imagination.
Nous sommes amenés à rencontrer des enfants en difficulté d'autonomisation, ce sont tous les enfants dont
vous me dites « il n'imprime pas, ça ne reste pas, ça glisse ».
Où en sont-ils dans cette autonomisation, dans cette volonté de s'approprier le savoir ? On touche les limites
du pédagogique à ce moment-là, l'enfant n'est pas présent psychiquement et n'est pas acteur dans cette
démarche.
L'apprentissage est favorisé par un climat de sécurisation affective et la possibilité d'agir en sujet autonome
et responsable.
Différentes situations seront favorables à la conquête de l'autonomie en maternelle :
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Faire expliquer à l'enfant ce qu'il fait pour lui permettre de prendre du recul.
Lui laisser une marge de choix, ainsi que le temps d'hésitation
Lui reconnaître le droit à l'erreur comme une étape obligée de l'apprentissage
Favoriser le travail entre pairs qui favorise l'interactivité, l'expérience partagée.
Nous pouvons rencontrer deux situations problématiques :
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soit l'enfant est sous l'influence de l'autre et n' a pas cette capacité à s'en abstraire, c'est plus tard
l'élève qui aura besoin de la présence constante de l'enseignant pour travailler
soit l'enfant est tout entier en réaction contre la présence de l'autre qu'il ressent comme une atteinte à
son intégrité, c'est plus tard l'élève qui va se rebeller contre l'école et les apprentissages.
Pour permettre ce mouvement continu, il est donc fondamental de développer, dès le plus jeune âge, :
- la confiance en soi
- l'imagination
- la communication et l'ouverture sur le monde
Devenir écolier, c'est quitter le monde privé de sa maison, ses parents pour accéder au statut social
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où l'on apprend l'effort
où l'on rencontre échec ou réussite
où l'on acquiert l'estime de soi
où, au contraire, l'on se confronte à la perte de l'estime de soi
Des travaux montrent le rôle des pratiques éducatives dans le développement cognitif. Une chercheuse
québequoise Ercilia Palacio-Quintin, a mis en évidence le fait que les enfants qui avaient les meilleures
performances cognitives sont ceux qui ont un environnement familial qui :
- aide l'enfant à explorer par lui-même
- l'encourage à évaluer les conséquences de ses actions futures et à vérifier les résultats des actions déjà
effectuées
- donne davantage de feed-back positifs (encouragements)
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pose des questions
Par contre, pour les enfants qui réussissent le moins bien, on observe que l'environnement familial
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est plus directif et s'exprime sous une forme impérative,
intervient à leur place,
donne des solutions sans offrir plusieurs possibilités
donne des feed-backs négatifs (jugements, reproches)
D'autres chercheurs ont mis aussi ces critères en évidence en soulignant l'importance que pouvait revêtir
l'estime de soi.
Ce qui donne aux membres du RASED une orientation dans leur travail avec les parents et nous amène à
nous intéresser de plus près à cette notion essentielle d'estime de soi.
III – L'ESTIME DE SOI
L'être humain a ceci de particulier qu'il construit sa propre valeur à partir de la valeur que l'autre lui accorde.
La valeur que l'on se donne se construit tout d'abord dans le temps des processus primaires (là où le bébé est
encore en fusion avec sa mère). C'est dans le regard de la mère que se construit en premier ce sentiment
de valeur.
A ce propos, Winnicott nous dit : « Peut-être un bébé au sein ne regarde-t'il pas le sein. Il est plus
vraisemblable qu'il regarde le visage. Que voit le bébé quand il tourne son regard vers le visage de sa mère ?
Généralement, ce qu'il voit, c'est lui-même. »
C'est dans ce premier regard et dans ce « premier dialogue tonique » (Wallon), que l'enfant peut évaluer
combien il vaut.
Plus tard, au moment des processus secondaires, l'enfant cherchera des renforcements de cette valeur
dans toutes les marques de reconnaissances qui émaneront de la sphère sociale, il les cherchera en
particulier dans ses enseignants.
D'autres psychanalystes, en particulier Mélanie Klein, nous ont démontré que l'amour de soi était une
condition indispensable pour s'ouvrir à la relation objectale, c'est-à-dire à la relation aux choses, aux
autres et au savoir.
Donc, si tout se passe bien, un enfant, conscient d'avoir de la valeur pour l'autre, pourra construire sa propre
valeur, il pourra alors diriger sa curiosité vers l'extérieur, il pourra alors accéder au monde du savoir.
Mais tout ne se passe pas toujours bien, il peut arriver que le regard de la mère soit « voilé, tourné vers une
douleur qui exclut l'enfant » (Pierre Kammerer, psychanalyste).
Ce manque, voire cette négation de l'enfant en tant que sujet, peut perdurer dans les années de la petite
enfance.
Beaucoup d'enfants nous arrivent à l'école avec ce narcissisme défaillant.
J'aimerais vous citer les travaux d'Annie Langlois, maître de conférences en sciences de l'éducation et
formatrice dans le champ de l'AIS. Elle pose que « le désir d'apprendre est en étroite corrélation avec
l'estime de soi et que le désir d'apprendre est en correspondance avec la capacité qu'a l'enfant de
s'exprimer et d'être entendu dans ses besoins, ses plaisirs, mais aussi dans ses manques et ses
souffrances.
Elle préconise de faire une large place aux activités d'expression, des activités où l'enfant se donne à voir
(chant, théatre, marionnettes, danses mais aussi ce qu'il a produit : peinture, exposition de fin d'année,
constructions de livres collectifs...)
L'enfant, en se donnant à voir, ou en donnant à voir ce qu'il a produit, pourra alors recevoir des
marques de reconnaissances sociales positives; à partir de ces regards sociaux positifs, il pourra se
construire un narcissisme secondaire qui viendra, pour partie, réparer le manque à être initial.
Et si l'on accepte le lien énoncé précédemment entre l'amour de soi et et la possibilité d'aller vers les savoirs,
ces activités d'expression deviennent alors un outil pédagogique privilégié pou les enfants qui ne se sont pas
constitués comme ayant de la valeur pour l'autre.
Les activités d'expression s'appuient sur ce qui a été imprimé. Il d'agit alors de sortir de soi ce qui a été
imprimé souvent en faisant souffrance.
Prenons un exemple : Supposons qu'une petite fille de 3 ou 4 ans qui, jusqu'à présent, jouissait de l'attention
et de l'amour exclusifs de ses parents se trouve soudain en présence d'un bébé que l'on mettra peut-être dans
sa chambre, avec qui elle devra partager l'attention et l'amour de ses parents et bébé qu'elle devra de surcroît
aimer.
Rien de plus normal... Cela se passera peut-être bien mais cela se passera peut-être mal.
Si cette petite fille ne peut exprimer sa jalousie, sa détresse auprès de ses parents, si ses parents ne peuvent
pas ou ne veulent pas l'entendre, si l'expression de la pulsion est barrée, alors cette petite fille aura toutes les
chances de ne plus être attentive et curieuse à l'école maternelle.
Elle pourra même, si la situation perdure, s'installer dans l'inhibition intellectuelle et présenter les signes
cliniques du retard mental.
Et là, toutes les pédagogies différenciées, les médiations et remédiations ne pourront pas venir à son secours,
car la difficulté de rentrer dans les apprentissages ne se situe pas uniquement du côté du cognitif mais aussi
de l'affectif.
L'auteur de cette recherche défend l'idée qu'il appartient à l'école de mettre en place des stratégies
pédagogiques pour que cette parole expressive puisse trouver à se dire et à être entendue en mettant en place
des ateliers d'expression symbolique (c'est à dire placés dans le faire-semblant) tels que jeu dramatique,
peinture, poterie, histoires sans fin (la collection des LILI et Max qui présente des problématiques d'enfants
ordinaires est ici un déclencheur précieux) et bien-sûr les coins-jeux où l'enseignant peut aller de temps en
temps et prendre le temps d'entendre et peut-être, s'il s'en sent la capacité pour interagir.
Dans l'école, les partenairees privilégiés pour conduire de telles activités sont bien-sûr les enseignants
spécialisés mais un enseignant ordinaire peut aussi très bien tenir ce rôle, il suffit souvent de laisser l'enfant
s'exprimer et d'accueillir ses productions en sécurité pour que des événements ponctuels qui ont fait
souffrance puissent être dépassés.
L'élève est aussi un enfant, sujet porteur de désir et sa manière de nous dire sa souffrance se traduit
parfois par une non-possibilité d'apprendre.
L'ESTIME DE SOI est donc un processus dynamique et continu qui commence bien avant la naissance et
qui se prolonge tout au long de la vie.
Les liens privilégiés créés dans le contexte familial et l'amour inconditionnel des parents contituent la base
de l'estime de soi.
Dépendant de ses parents, le petit enfant se sent comme il pense que ses parents le voient.
C'est leur regard, son premier miroir, qui lui reflète une image de lui plus ou moins favorable qu'il va
progressivement intérioriser.
Ainsi, son estime de soi est intimement liée à la nature de ces premières interactions.
Un enfant dont les parents sont capables de l'accepter dans sa différence et d'encourager ses efforts, qui sont
disponibles et aimants, a de fortes chances de construire un modèle de soi aimant et compétent.
En revanche, un manque de renforcements positifs induirait un besoin croissant d'approbations externes qui
entraîne, à son tour, une certaine dépendance vis à vis de l'extérieur, une dépendance liée à un manque
d'identité qui peut se traduire, à l'adolescence, par des comportements à risques.
Cependant, tout n'est pas encore joué à la fin de la petite enfance puisqu'en grandissant, l'enfant
élargit son champ de relations sociales, notamment lors de l'entrée en maternelle.
Créant de nouveaux liens privilégiés avec d'autres adultes, ceux-ci influencent à leur tour son estime
de soi.
Progressivement, il va également se comparer et se mesurer à ses pairs tout en cherchant leur
approbation.L'enfant devient capable de différencier plusieurs facettes de ses compétences et dès l'âge de 8
ans, les enfants distinguent 5 domaines qui représentent, dès lors, les différentes composantes de l'estime
de soi : les compétences dans les domaines scolaires, athlétiques, relationnels, l'apparence physique et
la conduite.
Ces dimensions ne se distribuent pas de façon homogène : un enfant peut sentir fort dans un domaine et
moins dans un autre. Le jugement que l'enfant porte sur lui dépend de l'importance accordée à ces différents
aspects à la fois par lui-même et par son entourage. Se sentir peu compétent en sport, par exemple, n'affecte
pas le sentiment global d'un enfant si ce domaine n'est pas considéré, ni par lui, ni par son entourage, comme
une valeur essentielle.
Cependant, lorsque le sentiment d'incompétence touche l'école qui représente un domaine
particulièrement valorisé, l'estime de soi risque d'être ébranlé.
Différentes études montrent qu'il existe un lien incontestable entre l'estime de soi et l'attitude de l'enfant face
aux apprentissages.
Pour aborder, dans de bonnes conditions, une notion nouvelle, pour avoir envie de l'assimiler, il faut un
minimum d'estime de soi.
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Il faut s'estimer capable de cet apprentisage, se dire que s'il nous a été proposé, c'est que ,
certainement, on en a les moyens.
Il faut aussi avoir une certaine confiance dans ceux qui nous font cette proposition et
avoir déjà fait l'expérience que ce qu'ils nous proposent a de fortes chances de réussir et donc
d'aboutir à un renforcement de l'estime de soi.
L'estime de soi est un prérequis à tout apprentissage. On a souvent tendance à oublier ou à sous-estimer
cette dimension affective alors qu'elle peut compromettre les efforts de l'enseignant et empêcher tout
apprentissage.
En tant qu'enseignant, nous avons tous été confrontés à ces enfants en difficulté, en souffrance, qui, parce
qu'ils se sont installés trop précocément dans un un statut d'échec et d'incompétence, ont perdu l'envie et le
désir d'apprendre.
« Il n'essaie même plus... » dit-on souvent. Non, il n'essaie plus parce que l'échec est trop douloureux pour
son image de lui-même, parce que chaque échec ravive ce sentiment d'incompétence et qu'il va ,
effectivement, rapidement dépenser plus d'énergie à ne pas apprendre dans des stratégies d'évitement,
d'opposition passive, d'imitation...
Ces défenses s 'installent parce que l'expérience de l'échec n'est plus supportable pour lui et compromet son
équilibre psychique.
Toutes les recherches entreprises dans ce domaine rappellent les mêmes principes d'une éducation qui se
donne comme priorité de maintenir ou de susciter l'émergence d'une estime de soi positive /
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Le droit à la différence, faire de la différence une valeur essentielle, on est tous différents, on
n'apprend pas en même temps, rappeler à cette occasion les différentes composantes de
l'estime de soi afin que chacun ait le droit à des renforcements positifs, à des félicitations.
Les encouragements, les feed-back positifs. Se sentir reconnu et valorisé par l'enseignant
devant les autres est nécessaire et il faut multiplier ces situations pour les enfants en
souffrance et en difficulté.
Pour cela, créer des situations quotidiennes qui vont permettre à l'enfant de se mettre en
réussite. Une étude de Perron a rappelé que l'assouplissement des exigences en fonction des
difficultés des élèves permet d'améliorer l'estime de soi, du fait que la fréquence des réussites
augmente. Pierrehumbert avait déjà rapporté que les élèves suivant un cursus spécialisé ne se
dévalorisent pas forcément sur le plan des compétences scolaires et sont même davantage
satisfaits d'eux-mêmes que les « mauvais » élèves de la filière normale. L'évaluation dans une
classe spécialisée est atténuée par une pédagogie plus valorisante et insistant plus sur les
renforcements des succès que celui des échecs.
Les travaux de NADIA ROUSSEAU au Québec ( détentrice d'un doctorat en psychopédagogie et d'une
maîtrise en éducation spécialisée) sont intéressants à citer à ce niveau de la réflexion. Sa recherche vise deux
objectifs complémentaires : développer chez des jeunes ayant des troubles de l'apprentissage, inscrits en
centre de formation en entreprise, une meilleure connaissance de leurs troubles d'apprentissage. Evaluer
l'impact du programme « mieux se connaître pour mieux apprendre » sur la connaissance de leurs troubles
spécifiques d'apprentissage, sur l'estime de soi et sur les valeurs interpersonnelles.
En effet, n'ayant pas de connaissance sur l'origine et la nature même de leurs difficultés scolaires, les jeunes
s'approprient une série de qualificatifs peu flatteurs pour se décrire : « idiot, stupide, cruche, bloqué,
borné... ».
Ils expriment également des sentiments à l'égard de leur rendement ou de leur place dans le monde scolaire
« j'me sens géné, j'me sens pas apprécié, on n'est pas comme les autres. »
Face à cette réalité, le programme favorise la connaissance de soi, l'identification de ses forces et de ses
limites.
La connaissance qu'a un élève de ses troubles d'apprentissage favorise ses apprentisages et le
développement d'une estime de soi positive.
Le Réseau d'Aides intervient à ce titre, en cherchant avec l'enfant à avoir une meilleure compréhension de
ses difficultés et en s'appuyant sur ses qualités ou savoirs pour dépasser ses difficultés.
Essayer d'identifier les causes de l'échec et aider l 'enfant à mettre des mots sur ses difficultés, c'est
effectivement la base de notre travail avec lenfant mais aussi avec ses parents et ses enseignants.
Rassurer l'enfant sur le fait qu'il n'est pas moins intelligent que les autres, qu'il a encore besoin de
temps pour développer certaines compétences réussies par d'autres mais que l'on est persuadé qu'il va
y arriver, c'est dynamique, il y a une perspective d'avenir, un projet, la comparaison aux autres peut
alors se dépasser.
Je redis souvent à mes collègues avec quelles précautions on doit pratiquer l'évaluation chez les tout-petits.
Je sais que cette opinion est grandement partagée pour avoir souvent échangé sur ce propos.
L'enfant de cet âge n'a pas la notion de temps, il vit dans le présent, le moment immédiat, il n'y a pas de
notion de progrès à accomplir dans une évaluation négative, fut-elle un petit bonhomme qui ne sourit pas.
Lorsqu'une telle évaluation apparaît isolée, et entourée d'évaluations positives, l'enfant se rassure, en
revanche, lorsqu'il présente son travail avec une succession de petits bonshommes qui ne sourient pas, que
peut-il bien faire de ces évaluations là ?
Elles fixent une incompétence, un non-savoir qui peuvent être redoutables et préjudiciables pour l'estime de
soi même et son désir d'apprendre.
Utiliser un système d'évaluations pour l'enseignant, c'est évident, maintenant, le rendu aux parents et aux
enfants doit être fait avec beaucoup plus de prudence. Mettre des mots sur ce qui gêne et retarde
l'acquisition de cette compétence est nécessaire. Resituer l'évaluation ponctuelle d'une compétence
dans un continuum, dans la dynamique d'un enfant en train d'apprendre, avec son rythme, ses
difficultés, son histoire. Remettre de la différence dans une comparaison statique et dépersonnalisée.
L'enfant qui apprend est unique, il faut en maternelle respecter cette différence, accepter que les
choses ne se passent pas de la même façon pour tous. Les évaluations, les productions doivent être
utilisées avec la plus grande prudence, leur objectif devrait être de mettre l'enfant dans une situation de
réussite, une production écrite qui aboutit à un résultat insatisfaisant n'a aucun intérêt pour l'enfant et ne peut
que le dévaloriser.
CONCLUSION
Cet exposé a pour ambition de vous faire comprendre l'incroyable complexité de la difficulté à apprendre.
Elle ne se résume pas à des difficultés intellectuelles ou à des expressions comme « il ne veut pas grandir »,
« sa mère ne veut pas couper le cordon », « il n'est pas autonome, il ne fait rien tout seul », tous ces constats
ne sont que la partie émergée de l'iceberg.
La difficulté qu'exprime l'enfant à grandir, à s'autonomiser, à prendre confiance en lui, le dépasse largement,
comme elle dépasse également, le plus souvent, les parents, pris dans un système de représentations,
d'identifications complexes et sont eux-mêmes en proie à des conflits, à des inhibitions, à des angoisses non
résolues.
Notre travail ne se situe pas dans le soin, nous ne sommes pas des thérapeutes, mais notre action consiste à
faire des liens entre les différentes facettes que l'enfant peut donner à voir à l'école, dans sa famille, et avec
nous et à donner une autre lecture de ses difficultés.
Dédramatiser, déculpabiliser l'enfant, sa famille, l'enseignant pour replacer la difficulté à apprendre au
centre d'un système relationnel école/famille qui va devoir entreprendre un véritable travail de réflexion et
d'élaboration autour de ce que l'enfant donne à voir.
Mettre des mots sur ce que l'enfant ressent comme une honte, une infériorité par rapport aux autres.
Face à un enfant en souffrance, il est n écessaire d'abandonner, un temps, l'exigence d'avancer dans les
compétences du livret bleu.
L'école et la famille doivent bien comprendre que l'enfant a autre chose à régler et que la
préoccupation de tous va être de le reconstruire, de restaurer la confiance en lui et en ceux qui
l'entourent, il va falloir le porter narcissiquement et cela nécessite parfois un retour en arrière sur le
plan scolaire.
L'urgence n'est plus qu'il ait acquis les mêmes compétences que les autres en fin d'année, l'urgence
c'est qu'on lui ait redonné l'envie et le plaisir d'apprendre.
Ne pas accepter ce temps de reconstruction, c'est faire avancer un enfant dans un parcours qui ne sera
que souffrance et va briser irrémédiablement son estime de lui-même.
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