Carl SCHMITT, La notion de politique. Théorie du partisan

NOTES BIBLIOGRAPHIQUES
Carl SCHMITT,
La notion de politique. Théorie du partisan.
Note incidente relative
à
la notion de politique,
tra-
duite de l'allemand par Marie-Louise Steinhauser, pré-
face de Julien Freund,
Calman-Lévy,
1972, 331 pages.
Au texte de 1932 sur
la notion de politique
sont ajoutés
une préface de l'auteur (mars 1963), trois corollaires
(I,
1931;
II,
1938;
III)
et des notes et références
(1963).
Le texte sur la
théorie du partisan
remonte à 1963.
Les deux textes de C. Schmitt, que
Calmann-Lêvy
a présenté en
1972 au public de langue française, sont d'un intérêt particulier et
pour la compréhension de l'histoire de la civilisation occidentale
et pour la réflexion proprement théorique de la notion de poli-
tique.
Dans l'étude
La notion de politique,
C. Schmitt réagit contre la
tendance répandue vers les années 1930-1940 qui confondait poli-
tique et Etat et affirme que «le concept d'Etat présuppose le
concept de politique» (p. 59). C'est la distinction entre substance
et instance: une étude des institutions politiques implique une
théorie du phénomène politique lui-même.
C. Schmitt ne présente cependant pas une théorie du politique,
mais se borne à délimiter le champ propre auquel doit s'appliquer
une telle théorie. Par ailleurs l'identification du domaine politi-
que implique nécessairement une interrogation sur la validité des
critères retenus.
Pour l'auteur «la distinction spécifique du politique, à laquelle
peuvent se ramener les actes et les mobiles politiques, c'est la
discrimination de l'ami et de l'ennemi. Elle fournit un principe
d'identification qui a valeur de critère, et non une définition ex-
.haustive
ou compréhensive ... Le sens de cette distinction de l'ami
et de l'ennemi est d'exprimer le degré extrême d'union ou de dé-
sunion, d'association ou de dissociation ... » (p. 66). Le terme d'enne-
mi doit être pris dans le sens de
hostie
et non
d'inimicus.
Il s'agit de
J'ennemi public et non de l'ennemi privé.
Le critère proposé par C. Schmitt pour délimiter le phénomène
politique est d'un intérêt particulier pour le sociologue.
On pourrait, par exemple, reprendre ce critère pour l'étude et
la classification des groupements sociaux. Quand Durkheim et
Itoute son école définissent les groupes par un degré élevé de
139
cohésion ou par une conscience collective forte, ils se réfèrent
à un état de paix interne.
Quand Marx et ses successeurs insistent sur les conflits de
classe, ils se réfèrent à un état de guerre dans lequel des enne-
mis s'affrontent.
Les théories sociologiques de l'équilibre ou du changement pri-
vilégient l'un ou l'autre des termes de la discrimination de l'ami
et de l'ennemi.
C. Schmitt a le mérite d'insister sur le fait que la dialectique
de l'ami et de l'ennemi est indispensable pour la compréhension
de toute forme de vie collective et d'ajouter que n'importe quel
domaine de la vie sociale (religieux, philosophique, moral, écono-
mique, technique ... ) peut devenir le domaine stratégique pour la
compréhension de toute société, si la discrimination de l'ami et de
l'ennemi s'opère par son biais.
Finalement la conclusion générale de cette étude est de décla-
rer non-scientifique toute analyse qui prétend expliquer la société
par l'action d'un facteur dominant, car ainsi la notion de politique
est réifiée.
Le texte Théorie du partisan est un approfondissement de la problé-
matique de l'ami et de l'ennemi.
Le contexte international ne permet plus une distinction claire
entre la paix et la guerre, entre le civil et le militaire, finalement
entre le privé et le public. Le partisan, ce combattant irrégulier et
tellurique dont l'engagement idéologique est très intense, est une
des figures les plus caractéristiques du phénomène politique de
notre siècle.
C. Schmitt montre comment la figure du partisan a évolué de-
puis la guerre d'Espagne (1808-1813) jusqu'à la guerre d'Algé-
rie (1962).
Ce qui ressort de cette analyse est que la guerre est une conti-
nuation de la politique, dans la mesure le partisan peut radica-
liser l'opposition entre ami et ennemi. Lénine, par exemple, en
mettant l'accent sur l'identification et la lutte de l'ennemi de
classe, conteste l'édifice tout entier de la société.
D'une manière générale, toutefois, le partisan demeure un irré-
gulier mais par rapport à un état régulier. Ce sont les critères
qui légitiment une situation de fait donnée, qui fournissent le ca-
dre de la stratégie et de l'action du partisan: «Celui qu'on a
dépouillé de tout droit va puiser son droit dans l'hostilité. C'est
en elle qu'il trouve un sens à sa cause et le sens du droit quand
s'écroule l'édifice de protection et d'obéissance qu'il habitait ou
que se déchire la trame normative de la légitimité qui garantis-
sait son droit et sa protection. Et c'est la fin du jeu convention-
nel
'>
(p. 306).
Mais l'état d'hostilité demande le contrepoids de l'amitié. Le
partisan doit se ranger à côté d'un tiers puissant, qui peut le sub-
ventionner, mais qui, en tout cas, doit en légitimer l'action. Les
140
conséquences «sont celles d'une amitié politique et constituent une
sorte de reconnaissance politique même s'il n'y a pas reconnais-
sance publique et formelle comme partie belligérante ou comme
gouvernement» (p. 307). L'échec de Salan est au fait qu'il
était devenu un
hostie
à l'intérieur, sans trouver à l'extérieur une
puissance amie. Par contre la réussite des mouvements de libé-
ration au Vietnam, pour citer un exemple récent, est dû en grande
partie à l'appui idéologique et matériel d'une puissance extérieure
amie.
G. T.
VAN HAECHT,
Anne. La prostituée. Statut et image. Editions
de l'U.L.B., Bruxelles, 1973, 212 pages.
Ce bref ouvrage comprend trois parties relativement hétérogè-
nes. «Le
phénomène
s reprend brièvement pour l'essentiel quelques
données de deux mémoires récents consacrés
à
la prostitution
à
Bruxelles et à Liège. «Le discours» traite du fait juridique et
social et de l'étiologie de la prostitution. «La Parole» essaie
l'analyse ontologique de la prostitution et présente quelques images
de la prostituée à travers divers écrits littéraires.
L'auteur invoque «la difficulté d'approcher les déviants et la
prostituée en particulier» pour justifier le non-recours à des don-
nées de première main (page 21). Le lecteur regrettera beau-
coup ce défaitisme. D'autant plus que les données de fonds uti-
lisées sont d'origine policière. Le «phénomène» paraît approché
superficiellement. Les formes contemporaines, notamment celles
qui échappent à la vigilance des polices, auraient peut-être mérité
plus d'attention.
Très classiques sont encore, tant l'exposé de la législation pé-
nale que l'essai de théorisation liant les attitudes des sociétés
vis-à-vis de la prostituton et vis-à-vis du mariage monogamique.
Le législateur pénal et la police des mœurs n'expriment pas plus
orthodoxement la société que la prostituée et ses clients. L'analyse
est rudimentaire et peu renouvelée.
Si l'absence de systématique dans la recherche apparaît partout,
elle culmine lors du choix de résumés d'auteurs qui tient bien
d'ontologie: tout cela est très intéressant, brillant souvent, mais
trop rapide, abandonné à peine ébauché.
Dans l'ensemble, l'étude du statut et de l'image de la prostituée,
annoncée par le titre de l'ouvrage, y progresse peu. Il reste toute-
fois à féliciter l'auteur d'aborder un sujet aussi difficile. Et à lui
souhaiter de pouvoir l'approfondir. Et de pouvoir insérer son ana-
lyse dans une critique plus générale de la société belge; le pour-
ra-t-elle sans recourir à des informations de première main, et
sans dépasser le thème trop latéral du rejet de la prostitué par la
société «bien-pensante
?
L.
J.
141
KARL MARX. «La question juive ».
KARL MARX. «Critique de la philosophie du droit
de
Hegel ».
Ed. bilingue, présentée par François Châtelet, et tra-
duite par M. Simon, Aubier, Paris, 1971, 154 et 119
pages.
«
Aubier» présente aux lecteurs de langue française les deux
articles publiés par Karl Marx dans l'unique numéro des Annales
franco-allemandes en février 1844. Tout en disposant d'une tra-
duction, ils pourront en juxtalinéaire se référer au texte allemand.
Ces deux publications s'inscrivent dans le programme d'éditions
«Connaissance de Marx
»,
dont on peut espérer qu'il reprendra
également les œuvres de la maturité, plus enrichissantes pour les
sociologues que les premiers écrits de Marx.
On peut estimer que l'édition gagnerait à être accompagnée
d'un appareil critique plus rigoureux: quels principes ont-ils guidé
la traduction? En quoi diffère-t-elle des tentatives antérieures?
Au lecteur de deviner.
D'excellentes introductions de François Châtelet situent judi-
cieusement l'intérêt surtout historique et érudit de ces articles.
Ils constituent dans l'œuvre de Karl Marx un moment de prise
de distance vis-à-vis de l'hégélianisme de gauche; ils préparent
la théorie matérialiste d'analyse de la société (seule l'étude de
la propriété et des rapports de production peut apporter une ré-
ponse aux problèmes sociaux) ; ils annoncent les grand thèmes
de la maturité : la lutte des classes, la nécessaire destruction de
l'ordre bourgeois lui-même.
Les titres paraissant en couverture sont abrégés. On aurait
préféré : «A propos de la question juive» et «Contributions à la
critique de la philosophie du droit de Hegel» : le caractère propre
de ces articles est caché par ces abréviations. Car Marx n'a ja-
mais eu l'intention d'apporter une solution à la question juive, ni
de critiquer la philosophie du droit de Hegel, de façon exhaus-
tive. Il s'agit d'œuvres de polémique contre les hégéliens de gauche.
En ce sens, on ne voit pas bien ce qui a guidé leur choix pour ce
programme de publications ; si effectivement le but poursuivi est
bien celui qui est exposé par Aubier en annexe, sous la rubrique
«Collection Connaissance de Marx» : ces articles n'apportent pas
aux chercheurs étudiants et praticiens en sciences sociales des
«références faciles et indiscutables» à la pensée de Marx. Une
lecture non-superficielle suppose une connaissance approfondie
des débats qui opposèrent Marx et les hégéliens de gauche, donc,
au moins, une bonne connaissance de Hegel et des principaux de
ses disciples. Du moins, doit-on se féliciter du choix de l'auteur
de l'introduction de l'édition: François Châtelet, connaisseur in-
contesté de la philosophie allemande du 1ge siècle.
L.
J.
142
Henri
DESROCHE
et Placide
RAMBAUD
(sous la direction de)
c
Villages en développement - contributions
à
une socio-
logie villageoise.»
Paris-La Haye-Mouton, 1971, 411
pages.
Cet ouvrage reprend les actes des premier et deuxième collo-
ques d'Albiez le Vieux, 1969 et 1970. Il contient vingt communi-
cations consacrées, soit
à
la sociologie générale du village, soit
aux expériences collectivistes rurales (kibboutzim, kolkhozes), soit
au développement des villages par des initiatives de coopération.
L'introduction de Placide Rambaud s'efforce de caractériser le
village (français) : espace délimité et clos, un système économi-
que fondé sur une activité monovalente, rigidité et stabilité de la
relation groupe-espace, pouvoir d'investissement, singularité créa-
trice. Une telle tentative est certes méritoire, mais on pourrait
s'interroger sur sa signification. Que le village français corres-
ponde à une réalité sociologique (diversifiée probablement), on
en conviendra volontiers.
On se demande si les caractéristiques soulignées par l'auteur ne
sont pas le propre d'autres groupements humains : tout espace
humain est délimité et clos par rapport
à
un autre; certaines
villes (les villes minières, par exemple) connaissent aussi un sys-
tême économique fondé sur une activité monovalente. C'est bien
la «spécificité» villageoise qui reste inexpliquée. Est-il possible
de la cerner scientifiquement et universellement?
Une première partie de l'ouvrage est consacrée aux villages de
France.
Le mérite général des communications est de restituer fidèlement
le concret des tentatives de développement villageois: témoignages
très vivants.
Mentionnons trois bibliographies spécialisées: Placide Rambaud,
Le village dans le système social; Basile Kerblay, Monographies
sur le village soviétique, esquisse d'une nomenclature; Doris Ben-
simon-Donath, Les villages d'Israël.
L.
J.
c
Panorama des Sciences humaines sous la direction de Denis
Hellier ».
NRF - 1973. Paris. 667 pages.
Denis Hollier et ses collaborateurs ont réalisé la gageure de
présenter en un seul ouvrage un panorama général des sciences
humaines. Tour
à
tour sont rappelées les problématiques et les
tendances principales des disciplines traditionnelles (Psychologie,
Sociologie), des sciences du Travail (Géographie humaine et Tech-
nologie, Economie), des Sciences de l'inconscient (Psychanalyse,
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