Une odyssée spatio-temporelle autour du DD et de la RSE : deux

Une odyssée spatio-temporelle autour du DD et de la RSE : deux concepts
aux frontières indéfinies
Wafa Chakroun
Doctorante, ERFI et CML - universités de Montpellier I et de Sousse
Assistante, Université de Sousse, Rue Khalifa Karoui, Sahloul 4, BP n°526, 4002, Sousse
Tunisie
Fafani Gribaa
Doctorante, ERFI et CML - universités de Montpellier I et de Sousse
Assistante, Université de Sousse, Rue Khalifa Karoui, Sahloul 4, BP n°526, 4002, Sousse
Tunisie
Azzedine Tounés
Enseignant-chercheur
Groupe ESC Chambéry Savoie, Savoie Technolac, 12, avenue d'Annecy
73 381 Le Bourget du Lac Cedex
France
00 33 (0)4 79 25 38 14
Résumé
L’objet de cette recherche est de présenter la genèse dans le temps et dans l’espace des
concepts de développement durable et de responsabilité sociale de l’entreprise. Une lecture
spatio-temporelle indique les faits sociopolitiques et environnementaux les plus importants
ayant accompagné l’émergence de ces deux concepts. Pour une odyssée complète, l’analyse
spatio-temporelle retrace l’évolution épistémologique de ces derniers tout en notant
l’appropriation qui en est faite par différents acteurs institutionnels et organisationnels.
Nés il ya plus de 70 ans, les revues historique et épistémologique renseignent que ces deux
concepts présentent des contours indéfinis, l’un pouvant se substituer à l’autre. Toutefois, la
perspective adoptée montre que le concept de responsabilité sociale de l’entreprise est
fortement lié à celui de développement durable. Ce lien offre aux chercheurs en sciences de
gestion des problématiques renouvelés dépassant l’inexistence de consensus conceptuels.
Mots clés : analyse spatio-temporelle, approches américaine et européenne,
développement durable, écodéveloppement, responsabilité sociale de l’entreprise,
Introduction
Les politiques des pays industrialisés comme ceux des pays en voie de développement sont
de plus en plus sensibles aux risques écologiques, économiques et sociaux encourus par les
hommes et les écosystèmes. Les entreprises s’engagent de manière croissante dans des
processus et des démarches de développement durable. L’enseignement de ce dernier et de la
responsabilité sociale de l’entreprise dénote l’intérêt croissant de la communauté académique
à ces champs pédagogiques émergents.
L’objectif de cet article est de rendre compte de l’évolution dans le temps et dans l’espace
des concepts de développement durable et de responsabilité sociale de l’entreprise. Cette
analyse spatio-temporelle met en exergue les faits sociaux, politiques et environnementaux
majeurs qui ont marqué la genèse de ces deux concepts. Conjointement, cette odyssée retrace
l’évolution épistémologique de ces deux concepts en indiquant l’appropriation qui en est fait
par les gouvernements, les diverses institutions et les entreprises. Les perspectives historique
et épistémologique nouent des liens entre le développement durable et la responsabilité
sociale de l’entreprise. Nés il ya près d’un siècle, ces deux concepts présentent des frontières
instables, l’un se substituant à l’autre dans des contextes particuliers.
Cette recherche se structure en trois parties. La première aborde l’émergence
sociopolitique et académique du développement durable à travers l’engagement institutionnel
(1.1) et la métamorphose conceptuelle (1.2). Dans la deuxième partie, nous abordons le
changement de paradigme de la responsabilité de l’entreprise en invitant le lecteur à visiter les
origines de ce concept (2.1) tout en mettant en exergue les différences et les similitudes entre
les approches américaine et européenne (2.2). Le parcours historique et épistémologique nous
amène à synthétiser l’émergence, les transformations de ces deux concepts en lien avec les
principaux événements sociopolitiques et environnementaux qui les ont marqués (3).Cette
synthèse constitue l’un des principaux apports de cette recherche. En guise de conclusion, et
au-delà des débats sur la préservation des ressources et l’équité inter et intra-générationnelle,
la performance de l’entreprise passe par la résolution de l’équation rentabilité/responsabilité.
Nous renseignons sur les cadres théoriques susceptibles d’expliquer l’engagement des
entreprises en faveur du développement durable. La théorie des parties prenante parait être la
plus appropriée.
1. Emergence sociopolitique et académique du développement durable
Depuis le milieu des années 1960, le développement durable est une préoccupation
grandissante de l’opinion publique et de divers acteurs sociaux. La prise de conscience des
enjeux écologiques met au devant de la scène de nombreuses interrogations sociales,
économiques et environnementales ; différents organisations et gouvernements se sont
mobilisés et impliqués en vue d’éclairer et d’enrichir ces débats.
1.1. L’engagement institutionnel
Les effets négatifs de la révolution industrielle sur l’environnement et sur l’homme
s’accumulent depuis le siècle passé. Ce constat oblige à reconsidérer la question du
développement ; il s’agit d’explorer des modèles garantissant à long-terme un progrès
économique, social et environnemental. C’est ce qui est appelé le développement durable et
que nous noterons par abréviation dans la suite du texte DD.
En 1962, le livre "Silent Spring" publié par Carson, a eu un important impact dans la
société civile américaine. L’auteur indique que les résidus des pesticides agricoles atteignaient
des niveaux catastrophiques ; les dommages causés aux espèces animales et à l’homme sont
considérables.
Outre ces menaces écologiques, surgissent des inquiétudes démographiques. Le Président
de l'Académie Française des Sciences, Roger Heim (1963), interpelle sur l’impact que de la
croissance démographique sur le DD (terme non encore en usage). De me, Ehrlich (1968),
dans son ouvrage "Population Bomb", prédisait une raréfaction des ressources et des décès en
masse dus à la pollution. Le doublement de la population mondiale sur vingt-cinq ans,
affirmait-il, exigerait des besoins en correspondance difficilement mobilisables pour des pays
développés et impossible à réunir pour ceux qui sont pauvres (structures de communication,
les matières premières, les produits agricoles, les besoins en soin…). La surpopulation sera
source d’épuisement des ressources minérales et de l’eau, de famine, de maladies
épidémiques, de destruction de la faune des océans, de pollutions de l'air…
Les années 1970 ont connu des mouvements de protestation internationaux en faveur de la
protection de l'environnement. Les États-Unis ont organisé le 22 avril 1970 la journée de la
terre ("The earth day"), projet initié par le sénateur Gaylord Nelson ; les questions
écologiques et environnementales ont mobilisé une foule de près de 20 millions de personnes.
Cette manifestation a cristallisé la naissance du mouvement écologique moderne en occident.
Conscients des risques écologiques et démographiques qui menacent les équilibres
environnementaux, sociopolitiques et économiques, divers programmes et mesures ont tantôt
été mis en place par des organisations internationales, tantôt par des gouvernements. Le
tableau 1 reprend les plus significatifs.
Année
Faits sociopolitiques Programmes et constats
1970 Journée de la terre Les ressources de la planète ne sont pas
illimitées ; en conséquence, il est primordial
d'organiser leur répartition équitable et durable.
1971 Création de Greenpeace
Cette organisation concentre ses actions sur les
problèmes globaux qui menacent
l'environnement. Les changements climatiques,
la consommation énergétique, la biodiversité...
constituent des enjeux planétaires
1971 Rapport "Meadow" par le Club
de Rome : halte à la croissance
Celui-ci met en garde contre le danger d’une
croissance économique et démographique
exponentielle qui épuiserait les ressources et
surexploiterait les systèmes naturels.
1972
Rapport "only one earth, nous
n’avons qu’une terre" publiés
par René Dubos et Barbara
Ward
Ce document a inspiré le sommet de Stockholm.
René Dubos est le créateur de la formule
"penser globalement, agir localement".
1972
Rapport de Founex, écrit par
Maurice Strong, organisateur de
la conférence des Nations unies
sur l'environnement et le
développement de Stockholm.
Développement et environnement sont les "deux
faces d’une même médaille". Il est nécessaire de
concevoir et de mettre en œuvre des stratégies
de développement socio-économique équitables,
respectueuses de l'environnement, appelées
stratégies d'écodéveloppement.
1972 Sommet des Nations unies sur
l'homme et l'environnement,
Stockholm.
Apparition du concept d’écodéveloppement qui
remet en cause les modes de développement
classiques.
1987 Rapport Brundtland, en
préparation du sommet de Rio :
Notre avenir à tous
Le DD est "un développement qui répond aux
besoins des nérations présentes sans
compromettre la capacité des générations
futures de répondre aux leurs".
1990 Premier rapport du PNUD sur
le développement humain Ce rapport utilise pour la première fois les IDH,
indicateurs de développements humains.
1992 Sommet de la terre (Rio)
Déclaration de Rio avec 27 principes ; Agenda
21 avec 2 500 recommandations ; conventions
sur la biodiversité, le climat, la désertification ;
texte sur les forêts.
1997 Assemblée générale des
Nations unies à New York
(Rio+5)
Lancement du "Global Reporting Initiative
(GRI)" dont l'objectif est de mettre en place un
rapport de DD normalisé au même titre qu'un
rapport financier.
1997 Conférence de Kyoto Le protocole de Kyoto est élaboré avec une
volonté d’efficacité, mais les ratifications ne
suivent pas.
2002 Sommet mondial sur le DD
(Johannesburg) "Notre maison brûle et nous regardons ailleurs"
(J. Chirac). Participation active des entreprises.
Tableau 1 - Engagement des institutions en faveur du DD
L’analyse chronologique de cette synthèse indique que le concept de DD s’est
progressivement distancé de son acception initiale strictement écologique. Multiforme et
multidimensionnel, il s’est décliné en de nombreuses définitions.
1.2. La genèse du concept : du développement au développement durable en passant par
l’écodéveloppement
Suite aux faits sociopolitiques ayant marqués les années 1970, il était question de
réconcilier deux approches antagonistes, celle du développement humain et de
l'environnement. Cette métamorphose réconciliatrice est relatée en deux temps forts dont le
premier peut être situé dans les années 1970. Une équipe de chercheurs composée
principalement d'économistes, à leur tête Maurice Strong, s’est réunie En 1972 afin
d'examiner les liens entre environnement et veloppement. Cette équipe conclut qu'il est
nécessaire et possible de mettre en œuvre des stratégies de développement socio-économique
équitables, respectueuses de l'environnement, appelées stratégies d'écodéveloppement.
En France et dès 1973, l'équipe d'Ignacy Sachs prolonge les travaux américains sur le
concept d’écodéveloppement. Pour intégrer les contraintes environnementales dans les
stratégies entrepreneuriales, cinq facteurs doivent être pris en considération, à savoir : la
combinaison de la pertinence sociale et de l’équité des solutions proposées, la prudence
écologique, l’efficacité économique, les aspects culturels et la territorialité. Cette transition du
concept de développement, dans ses approches traditionnelles, à l’écodéveloppement remet en
cause les modèles de développement connus jusque là chez les économistes.
Le deuxième temps fort est la poursuite de cette évolution à la fin des années 1970 et
durant la cennie 1980. En effet, le prolongement de la conception de l’écodéveloppement
est à l’origine de problématiques dépassant la seule préoccupation écologique. En effet, en
novembre 1976, le "Primer simposio sobre ecodesarrollo", organisé par l'Association
Mexicaine d'Epistémologie, affirme que les conflits de plus en plus prononcés entre les
modèles économiques en vigueur et les dégradations naturelles pourraient se résoudre par des
choix de société relevant des pouvoirs institutionnels et politiques. Le développement ne
devrait pas uniquement être guidé par des considérations économiques, mais également par
des exigences sociales et écologiques.
Ainsi le concept d’écodéveloppement, réapproprié par les anglo-saxons se meut et
s’exprime par celui de "Sustainable development", traduit successivement par développement
soutenable puis développement durable. Ce vocable est cité pour la première fois en 1980 par
l'Union Internationale de la Conservation de la Nature dans son ouvrage "Stratégie mondiale
de la conservation". Il est ensuite mis à l'honneur en 1987 dans le rapport commandé par les
Nations Unies à la commission Brundtland pour être consacré par la conférence de Rio sur
l'environnement et le développement en 1992.
Récemment en 2001, la commission des communautés européennes note que "le
développement durable est plus qu’un concept purement environnemental, il s’agit de faire
cohabiter une économie dynamique avec une société qui donnerait sa chance à tous, tout en
améliorant la productivité des ressources en dissociant croissance et dégradation de
l’environnement".
Ces différentes approches se réfèrent à un cadre macro-économique ; toutefois, c’est au
niveau micro-économique que le DD est soumis à contingence (Reynaud, 2004, pp.117-119).
Ces approches ne fournissent néralement pas les modes d’intégration de ce concept dans le
management des entreprises. Ce n’est qu’à la fin du siècle précédent que ce concept essaime
ce niveau micro-économique.
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