nalite : aspects diagnostiques a travers l

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UNIVERSITE DE LILLE II-DROIT ET SANTE
FACULTE DE MEDECINE HENRI WAREMBOURG
THESE POUR LE DIPLOME D’ETAT DE DOCTEUR EN MEDECINE
Année 2012
LES PATIENTS A ORGANISATION LIMITE DE LA PERSONNALITE : ASPECTS DIAGNOSTIQUES A TRAVERS
L’APPROCHE DYNAMIQUE DE LA RELATION D’OBJET.
Présentée et soutenue publiquement le 16 mai 2012
Par Maud Maraninchi
Jury
Président : Monsieur le Professeur GOUDEMAND Michel
Assesseurs :
Monsieur le Professeur THOMAS Pierre
Monsieur le Professeur VAIVA Guillaume
Madame le Docteur ELIA Edvick
Directeur de Thèse : Monsieur le Professeur GOUDEMAND Michel
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« On nous parle d’une pratique particulière à la manière anglaise. Tous les cordages de
la marine royale, du plus gros au plus mince, sont tressés de telle sorte qu’un fil rouge
va d’un bout à l’autre et qu’on ne peut le détacher sans tout défaire; ce qui permet de
reconnaître, même aux moindres fragments, qu’ils appartiennent à la couronne »
Goethe [37].
Ce travail soutient l’idée selon laquelle l’aspect transnosographique des critères séméiologiques prive de leur spécificité des éléments qui, examinés dans la dynamique de
leur relation objectale révèlent des caractéristiques psychodynamiques spécifiques
pouvant constituer un outil diagnostique et thérapeutique fondamental pour les patients
borderline.
Le terme « borderline » est introduit en psychiatrie en 1884 par C. Hugues [43], tandis
que Kraepelin [49] en dépit de la dichotomie psychose/névrose décrivait déjà des tableaux cliniques « occupant un large champ depuis des états morbides avancés jusqu’à
des personnalités légèrement excentriques qu’on peut considérer comme normales ».
Cependant ce concept ne commencera à être développé aux États-Unis qu’à partir des
années 50.
On l’utilisait et l’utilise encore afin de décrire des états ne s’inscrivant ni totalement
dans la névrose ni dans la psychose mais à la frontière.
Le Dr J.-C. Rosse recherche en 1890 les preuves cliniques des folies limites.
Le psychanalyste A. Stern en 1938 reprend le terme borderline en insistant sur l’«
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hypersensibilité » des sujets, leur « rigidité défensive » et leur « peu d’estime de soi ».
Limites de quoi…, entre quoi et quoi…qui et qui…ou quoi?... entre psychose et névrose, normal et pathologique, intrusion et abandon, positions schizo-paranoïdes et
dépressives, sujet / objet, dedans /dehors, homme/femme.
Le concept de « limite » pouvant peut être à lui seul faire l’objet d’une théorisation
selon Green [40] pour qui les frontières sont des « zones d’élaboration psychique »,
ajoutant que « la limite est un concept très important dans la psychanalyse » : « Il suffit
de parcourir les écrits de Freud pour s’apercevoir qu’il est constamment question de la
limite ». Par ailleurs l’auteur critique la psychanalyse conçue davantage comme une
théorie de la pratique. Elle doit avant tout fournir matière à réflexion avant d’être appliquée aux patients.
Mais la « bête noire » des équipes soignantes les rend aussi sujettes à une régression
contre-transférentielle, de par la mise en échec systématique de leur prise en charge
chaotique et perturbante pour celle des autres patients et le fonctionnement d’un service.
Le comportement des sujets borderline reflète leurs projections intenses, répondant à un
vécu persécutif de type sensitif et à une accumulation de tensions et frustrations dont la
décharge agressive s’effectue dans le passage à l'acte clastique auto et/ou hétéro
agressif.
Les patients borderline sont ces patients qui « clash » et renvoient au quotidien les
soignants à un sentiment d’échec voire de d’inutilité thérapeutique, avec un engluement
dans une répétition morbide à l’image des patients, ainsi qu’à un sentiment envahissant
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de frustration et d’impuissance au sein d’équipes menacées d’épuisement professionnel, de burn-out.
En effet, la souffrance et la personnalité des soignants (puisque l’on considère le sujet
dans sa relation objectale) font partie intégrante de la problématique borderline et
doivent être envisagées dans le cadre de la thérapie institutionnelle afin que les soignants ne deviennent pas des « soi-niant » ni des « soi-niés ».
Confrontés en permanence à l’ instabilité psycho-émotionnelle et comportementale
majeures des sujets borderline, les soignants sont en proie à répondre de façon symétrique à une telle agressivité par la réactivation dans le contre transfert (au sens large) de
modes de fonctionnement et de mécanismes de défense archaïques et universels plus ou
moins abandonnés jusqu’alors, ainsi que par des comportements inappropriés de
l’ordre du passage à l’acte contre-transférentiel. Telles en témoignent les escalades et
surenchères de projections agressives soignant-soigné ou encore les prescriptions médicamenteuses intempestives répondant au final à un sentiment d’impuissance.
Trop nombreux sont les soignants dans le flou et la confusion face au concept de sujet
borderline tant d’un point de vue diagnostique que thérapeutique, et se retrouvent donc
démunis lorsqu’ils sont confrontés à de tels patients, pris en charge le plus souvent dans
un contexte de crise.
Ce qui pourrait s’avérer une prise en charge adaptée car spécifique finit ainsi par se
résumer à gérer des passages à l’acte clastiques répétés et à s’efforcer de maintenir le
cadre qui n’a de cesse d’être mis à l’épreuve, en collaboration avec le médecin faisant
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souvent l’objet de projections négatives de la part de l’équipe soignante, nuisibles à un
travail institutionnel adéquat, ainsi qu’à la prise en charge des autres patients.
Il s’agit ici de fournir des outils diagnostiques concrets, en explicitant au préalable
quelques bases psychogénétiques et psychodynamiques caractéristiques de la relation
d’objet chez les patients borderline afin de mieux comprendre et gérer leur grande
instabilité.
On pourrait présenter de manière empirique les sujets borderline comme faisant l’objet
d’une pathologie spécifique du lien et de l’autre, et sur un plan psychodynamique de la
relation objectale.
Enfin, dans ce travail l’approche analytique se trouve au coeur de la réflexion qui se
veut elle-même réductionniste, mais non réductrice, s’inscrivant au final dans un système de pensée d’analyse intégrative et holistique dans lequel l’individu apparaît
comme un « tout », c’est-à-dire au sein de son environnement, et dans la dynamique de
ses relations objectales tant avec les objets internes qu’externes, et ses relations d’objet
internalisées.
Ce système serait constitué de différentes « sous-parties » ou modes de fonctionnement
psycho dynamiques, d’où l’hypothèse modélisée de la compartimentation psychique
proposée entre autres par Catherine Chabert.
Contrairement au triptyque freudien Inconscient, Transfert et Libido, il s’agirait de
considérer un système analytique reposant sur trois piliers fondamentaux que sont :
-la libido
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-le narcissisme
-les signifiants maîtres de l' « être au monde » , primaires, originels, mais aussi
acquis, secondaires dont le sens donné à l’existence, se structurant entre réel, imaginaire et symbolique selon le postulat Lacanien.
C'est à ce niveau et grâce aux apports lacaniens dont on connaît l'influence de la pensée
phénoménologique que nous accorderons dans ce travail une place privilégiée à la
phénoménologie subjective en dépit de notre paradoxal télescopage sur la relation
objectale.
Cette représentation schématique prend en compte à la fois l’économie psychique
décrite par Freud dans la logique de la complexité d’une chaîne de causalité multifactorielle, avec d’innombrables ramifications, mais également la représentation lacanienne dont l’ élaboration psychopathologique est fondée sur l’articulation entre réel,
imaginaire et symbolique, et par la constitution d’un nœud borroméen stable, bien
ficelé, permettant d’échapper à la psychose.
16
Le cri, Edvard Munch (Skrik, 1893).
Parce qu’être borderline, c’est hurler de désespoir, de rage impuissante. C’est un sentiment d’abandon et de rejet, de solitude et d’ennui, de vide, d’une agressivité violente
envers soi-même et envers les autres, d’un deuil pathologique et paradoxalement anaclitique de soi, des autres, de leur regard et de leurs cris.
Etre borderline, c’est être persécuté par ‘les autres’ mais surtout par soi-même, par le
temps, l’ennui, le vide.
Borderline, pathologie de l’autre ? Les projections envers ce grand Autre sont tellement
intenses que le sujet état limite peut s’affranchir de toute responsabilité en l’attribuant à
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autrui par projection.
Une patiente borderline fit le rêve suivant : elle se trouvait derrière une vitre, dans une
maison enflammée. Les gens passaient devant elle tandis qu’elle frappait très fort
contre la vitre et que personne ne l’entendait.
Les gens la regardaient sans rien faire ni comprendre, ils passaient leur chemin sans
entendre sa souffrance ni voir les flammes
Elle pensait les dégoûter et se sentait abandonnée, rejetée.
18
Tableau d’inspiration néoclassique de Richard Westall, 1812.
Ce tableau représente l’épée de Damoclès au-dessus du roi des orfèvres, après que le
tyran de Syracuse lui a cédé sa place le temps d’une journée afin de lui faire comprendre l’ambivalence de la tyrannie, oscillant entre la jouissance d’une
toute-puissance et la menace d’une mort certaine imminente.
Parce que le sujet borderline est un tyran qui veut s’inscrire dans le désir de l’Autre et
inscrire l’Autre dans son désir, tout en le rejetant par crainte d’être rejeté à son tour. Il
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vit dans l’urgence vitale, la quête incessante et insatiable de l’objet équivalent au signifiant primaire perdu, la hantise de l’abandon et l’insécurité permanente.
Le borderline vit avec une épée de Damoclès sur la tête.
20
On commencera par mettre en avant l’importance de la terminologie, ainsi qu’à clarifier nos choix à ce niveau.
C'est pourquoi la différence est faite d'emblée concernant celle-ci, entre le trouble de la
personnalité de type limite en tant que syndrome psychiatrique et qu’entité nosographique, et le concept psycho dynamique de borderline qui est du domaine de la psychanalyse.
Le concept psychodynamique d’état limite est souvent confondu avec celui de trouble
de personnalité de type limite au sens du DSM-IV-R, désignant un syndrome spécifique
regroupant des comportements observables tels que l’instabilité relationnelle ou
l’impulsivité, tandis que le concept de borderline renvoie à une organisation le plus
souvent pathologique de la personnalité considérée dans des aspects psychodynamiques spécifiques.
La terminologie employée ici a largement été inspirée par les travaux d’Otto Kernberg,
eux-mêmes d'ordre intégratif.
La classification des troubles de la personnalité (selon le DSM-IV-TR et la CIM-10)
suit une approche catégorique tandis que le trait de la personnalité suit une approche
dimensionnelle.
21
Il n’est pas surprenant de constater l’étendue des polémiques concernant la terminologie, tout comme la conceptualisation en terme de structure ou encore d’entité nosographique fait toujours depuis l’objet de nombreuses controverses et théorisations
psycho dynamiques et génétiques tant dans le monde de la psychiatrie que de la psychanalyse.
Mais l’existence en pratique clinique courante de patients ne fonctionnant ni ou pas
exclusivement selon un mode névrotique, psychotique, ou pervers fait à ce jour l’objet
d’une reconnaissance quasi consensuelle y compris chez les lacaniens qui récusent
l’existence de tout ce qui se rattache à la notion de trouble limite de la personnalité,
dénonçant un « fourre-tout » [58] des borderline ainsi que les limites diagnostiques du
thérapeute, tandis que l’émergence du concept de « psychose ordinaire » peut apparaître comme une alternative aux limites aussi floues que son contenu diffus et critiquable.
C’est en tout cas le point de vue défendu dans ce travail récusant le diagnostic d’état
limite par exclusion tout en redoutant le risque de dérive « sur diagnostique » qui
amènerait à ranger dans une vaste pseudo-catégorie « fourre- tout » l’ensemble des
patients dont la description clinique ne rassemble pas l’ensemble des critères nosologiques des autres catégories.
On utilisera indifféremment les termes de patients à organisation limite de la personnalité, de patients borderline ou de type borderline, de troubles limites de la personnalité, de troubles de la personnalité de type limite, de troubles de la personnalité de type
borderline. Selon kernberg dont le point de vue nosographique est soutenu dans ce
travail, les organisations limites de la personnalité regroupent l’ensemble des troubles
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graves de la personnalité dont les personnalités schizoïdes, paranoïdes, immatures,
hypomanes, narcissiques. Les troubles limites de la personnalité de type borderline ne
constituent en fait qu’un sous-type de ces organisations limites.
On emploiera par ailleurs le terme de « spectre borderline » selon l’expression de M.
Little [56] et nous soutiendrons l'hypothèse d’une organisation psychique compartimentée [14].
En somme il s'agit de décrire comment nous avons pu utiliser différentes théories psychanalytiques des théoriciens de la relation d'objet, et les intégrer dans
un travail résultant de la confrontation à l'empirisme de l’expérience clinique.
Thomas Widiger [73] débat sur les contraintes de l'approche catégorique et propose
l'approche dimensionnelle des troubles de la personnalité. Le modèle à cinq facteurs de
la personnalité a été proposé en tant qu'alternative à la classification des troubles de la
personnalité.
Il existerait une possibilité de « fonctionnement de type limite » selon C. Chabert [13]
chez des patients déficients mentaux ou toxicomanes mimant la symptomatologie sans
en avoir pour essence la structure compartimentée.
H. Deutsch [16] décrit avec tant de précision les personnalités « as if » qu’elle admet
n’en avoir rencontrées au final qu’une seule, si ce ne fut elle-même…L’auteure écrit au
sujet de « l'imposteur », que les fausses personnalités, les « personnalités « comme si »
auraient pu éviter ou cacher leur psychopathologie si elles avaient trouvé la circonstance favorable de l'action politique : comme tant de héros de guerre ou de révolution,
l'imposteur aurait pu mettre sa pathologie au service d'une carrière glorieuse entendons
: la psychanalyse, au contraire, offre une autre voie qui serait la dissolution de l'im23
posture et une chance de bâtir une véritable relation de désir et d'amour avec un autre. »
H. Deutsch s'acharne à traquer l'imposteur dont elle dira « depuis que je m'intéresse à
l'imposteur, il me poursuit partout. Je le trouve parmi mes amis et mes relations aussi
bien qu'en moi-même » [16].
On reproche à la nosographie du très controversé DSM-IV d’être trop réductrice de par
les limites qu’elle pose arbitrairement dans le cadre de la catégorisation. Catégoriser
reviendrait à « mettre dans des cases de plus en plus restreintes » des individus dans une
description réductrice qui ne contiendrait au final plus personne, proportionnellement à
la précision de sa description nosologique.
Reste donc à définir ce qui selon notre pratique quotidienne nous permettrait
d’identifier un groupe de patients spécifique. Le problème étant qu’à trop promouvoir
la spécificité, chaque patient en viendrait à constituer à lui seul une « catégorie » invalidant jusqu’à la définition du terme.
A l’inverse une description trop large et/ou ne tenant pas compte de l’aspect psycho
dynamique intrapsychique et temporel deviendrait vite le fameux « fourre-tout » des
borderline.
Pour se faire, on s’aidera donc des spécificités de la relation objectale chez ces sujets.
Tout comme a été évoqué le spectre schizophrénique et le continuum schizo-affectif par
Saoud et D’Amato [70], M. Little [56] a étendu ce concept à celui de « spectre des
borderline ».
Le point de vue structurel de Kernberg est le suivant: il distingue les organisations
limite de la personnalité des états limites stricto-sensus, l’ensemble se situant dans un
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« spectre borderline » [45] [56], un continuum psycho émotionnel. L’organisation
limite de la personnalité concerne un ensemble d’opérations mentales pouvant contribuer à la formation de symptômes et de traits de caractère extrêmement divers. En dépit
de l’instabilité de son expression au niveau psychiatrique, il s’agirait d’une structure
stable à l’intersection entre deux formes pathologiques que constituent la névrose et la
psychose.
Kernberg évoque les « déformations sévères du moi » [45], notion déjà développée par
Freud [35] afin de se défendre contre l’effondrement, et de s’adapter face aux menaces
de la cohésion du moi.
Green [40] considère l’état limite comme un état « métastable » et non pas un « mélange confus » entre névrose et psychose et introduit le terme de « psychose blanche ».
Pour Steiner [71] les états limites sont à la limite entre les positions schizo paranoïdes et
dépressives décrites par Mélanie Klein.
Bergeret [6] parle des « états intermédiaires » ou « astructurés », et introduit le modèle
du tronc commun des états limites avec la survenue de deux traumatismes réel (s) et/ou
imaginaire(s), pouvant évoluer à l’âge adulte selon les cas vers la névrose, la psychose
ou la régression psychosomatique ; l’état limite traduisant dans tous les cas selon
l’auteur qui adopte la position structurelle dynamique, et qui le conduira à qualifier ces
patients d’ « états limites dépressifs », inscrivant ceux-ci dans un continuum entre
humeur et personnalité, humeur et structure psychique.
25
Le concept de relation d’objet fut introduit par Fairbairn [19] en 1952 en Grande Bretagne puis s’est très vite répandu et a été par la suite repris et développé aux Etats-Unis
par des auteurs tels qu’O. Kernberg, M. Malher, E. Jacobson, puis en France par
Bouvet, Schmitz, Green ,André, Racamier, Bergeret…, s’opposant ainsi à l’autre grand
courant que constitue la « psychologie du moi », ou « ego psychology »sous l’influence
d’auteurs tels que Hartmann, et Anna Freud dont l’école s’oppose à celle de M. Klein.
Aux Etats-Unis, la relation d’objet a d’abord été assimilée par les culturalistes à la
relation interpersonnelle actuelle et consciente, loin de la position freudienne, dans
laquelle est considérée la relation entre les objets, considérant tant ce qui lie ces objets
que le gouffre qui les sépare. Dans la théorie de la relation d’objet, la perspective dominante reste celle du sujet, toujours inscrit dans la dynamique de sa et/ou ses relations
à ou aux objets, aussi bien réels que fantasmatiques.
Nous laisserons le terme d'intersubjectivité aux neurosciences cognitives qui étudient
entre autres la théorie de l'esprit et reviendrons plus loin sur ce concept.
Nous entendrons dans ce travail le concept de « relation d’objet » au sens le plus large
qu’il puisse lui être donné, c’est-à-dire en terme de représentation de tout ce qui, partant
du sujet va s’inscrire dans la dynamique du lien à un objet.
La relation d’objet peut être à un objet matériel comme à un objet imaginaire ou
symbolique, mais toujours en lien, ou pas, avec le réel.
Dans tous les cas, l’importance du prégénital ou préoedipien domine dans la psycho26
pathologie borderline.
Alors que Fairbairn [19] parle d’« object relations », M. Klein [46] traite d’ « object
relations theories ». Fairbairn [21] fut l’un des théoriciens de la relation d’objet ayant le
plus influencé ce courant de pensée en remettant en question à la fois la théorie de la
pulsion et la nosologie.
Selon cet auteur, le sujet tend à se lier avec l’objet en tant que finalité, et non selon le
principe du plaisir freudien. L'auteur voit dans la relation d'objet une équivalence entre
les états du moi et de l'objet dans une logique de symétrie en miroir.
Rycroft [69] distingue la relation d’objet de la relation interpersonnelle : « Relation du
sujet à son objet, et non relation entre le sujet et l’objet qui est une relation interpersonnelle. Ceci parce que la psychanalyse est une psychologie de l’individu et n’étudie
par conséquent les objets et les relations que du point de vue d’un seul et même sujet. ».
John Harlow [41] a fait d'importantes découvertes grâce à l'éthologie. Il a étudié la
théorie de l'attachement (singes rhésus): au moindre signal de danger les petits singes
s'agrippent à la mère. Il constate par ailleurs des troubles de relations sociales lorsque le
singe a été isolé, et l'absence de développement social s'il a été isolé de six à 12 mois. La
mise en contact de singes avec des mères artificielles (fausse fourrure etc.) a montré que
de façon spontanée ils allaient vers celles qui avaient le contact le plus doux, le plus
confortable ou réconfortant. John Harlow a donc travaillé dans la continuité de Bowlby
et de sa théorie du lien ou de l'attachement social primaire.
Dans les années 30 Lorenz décrit la théorie du lien et du phénomène de l'empreinte. Il
remarque que dans les heures suivant la naissance d'un poussin, celui-ci suit instincti27
vement tout ce qui est en mouvement dans son environnement primaire et visuel et se
lie avec lui, s'y attache de manière irréversible. Il raconte également comment un
groupe de canards dont il a assisté à l'éclosion l’ont suivi.
Le nourrisson se trouve dans un état de dépendance absolue. Si à ce stade, dans
l’environnement primaire, les fonctions de maternage, de holding [76] [78], et
d’accordage affectif [72] de la mère « good enough » [77] ou de son substitut font
défaut, l’adaptation réciproque du nourrisson et de son environnement se trouve interrompue.
On ne peut traiter de la relation d'objet sans évoquer les interactions précoces à trois
niveaux décrits ci-dessous.
Le terme d’interaction, en psychologie et psychopathologie, renvoie au concept
d’interaction interpersonnelle, et sociale.
On repère 3 dimensions de l’interaction [59]

L’interaction comportementale : ajustement tonico-postural et contacts cutanés,
regards, vocalisations du bébé et paroles maternelles.

L’interaction affective : tonalité affective générale de l’interaction et qualité de
l’harmonisation affective permettant au bébé et à son partenaire de partager
leurs expériences émotionnelles. D. Stern [72] parle de l’accordage affectif
entre le bébé et ses partenaires. Il décrit l’expérience subjective partagée par la
mère et son bébé (vers 8-9 mois), essentielle pour la mise en place d’une activité
symbolique et du langage.
28

L’interaction fantasmatique avec sa double dimension imaginaire (consciente
ou préconsciente) et fantasmatique (inconsciente), notion introduite notamment
par S. Lebovici [48].
Une telle connaissance des interactions permet de comprendre de façon plus précise et
objective la relation objectale mère-enfant qu’elles reflètent.
Bion développera le concept éléments alpha et bêta [7], et Hochmann [42] celui de
proto-conversation avec l’importance de la mise en récit dans le développement du
langage et de l’intersubjectivité.
Il a depuis été largement argumenté en faveur de l'impact délétère de lacunes concernant les interactions précoces mère-enfant sur le développement psycho affectif et
moteur du nourrisson. Et ce, que le lien soit absent, de mauvaise qualité, ou que ce lien
soit au contraire de nature fusionnelle avec de grandes difficultés de séparation et donc
d'individuation. C'est encore là une problématique centrale du patient borderline, subissant les séparations comme un abandon mais pour lequels la présence de l'autre peut
rapidement devenir intrusive. Ainsi, les limites sujet/ objet peuvent devenir floues voire
se confondre suite à la rapidité et à l'intensité desmouvements introjectifs et projectifs,
le sujet se perdant dans l'objet.
Le moi présente donc des états compartimentés, pouvant passer de l'un à l'autre, de
l'abandon à l'intrusion, en quelques instants par le biais du clivage, mécanisme de défense archaïque sur lequel nous reviendrons.
Hermann Imre, psychanalyste hongrois, a introduit des concepts fondamentaux à la
base des études sur le développement précoce du nourrisson et la relation objectale, au
29
travers des perspectives de Bowlby (« attachement » de type « secure »ou « insecure »)
[12], de Balint (« l’amour primaire ») [2].
Il est le fondateur des concepts d’ « unité duelle » et de « matrice originaire indifférenciée » concept repris par la suite par Mélanie Klein qui parlera plutôt d’«unité
fondamentale » pour caractériser l’état symbiotique primaire dans la relation mère
enfant.
Il fonde également la théorie de l’agrippement.
Freud, suivi par Anna Freud et Spitz, évoque l'attachement en d’autres termes, le
mettant en lien avec les processus mis en jeu dans la théorie de l'étayage pulsionnel
libidinal oral sur les pulsions d'auto conservation renvoyant au narcissisme primaire.
L'attachement se développerait dans cette perspective à la suite de la répétition d'expériences de satisfaction.
Freud introduit la notion de « choix d’objet » dont il distingue deux type :
-le choix d’objet par étayage, en réponse aux besoins du sujet, sur le modèle des soins
prodigués par la mère qui comble et gratifie.
-le choix d’objet narcissique, selon ce que le sujet est, souhaite être (idéal du moi) ou a
été.
Dans sa théorie de l'attachement considérée comme théorie de l'attachement social
primaire, Bowlby [12] évoque le « besoin social primaire ».
Contrairement à la théorie de l'apprentissage social qui se ferait selon un système de
conditionnements mutuels et réciproques entre la mère et l'enfant, la mère jouerait le
rôle de renforçateur secondaire par rapport à la répétition des expériences de satisfac-
30
tion en répondant de façon appropriée aux sollicitations du nourrisson. Avec Bowlby
cette notion de renforçateur secondaire est inutile car on admet que le besoin de contact
est inné chez l'enfant.
L'attachement se ferait donc parce que la mère ou le substitut maternel répond à ce
besoin primaire de contact social.
L’intérêt majeur de la théorie de l'attachement est d’accorder un rôle essentiel aux
interactions précoces et au rôle des parents dans le développement de l'enfant.
Cet attachement peut-être de type « secure ». Le sujet a confiance au lien à l'autre et
pense que celui-ci sera disponible en répondant à ses besoins si l’occasion se présente.
Ce qui n'est pas le cas dans l'attachement de type « insecure » dont on distingue deux
types et rappelant le mode d’attachement du sujet Borderline à son environnement :
-l'attachement angoissé ambivalent :
L'individu se trouve dans ce cas dans l'incertitude que son parent répondra à ses besoins
si le cas se présente, ce qui génère une accumulation d'angoisse et de frustration impuissante. L'individu a donc beaucoup de difficultés à se détacher de son environnement primaire pour explorer le monde car son self manque de confiance en soi.
- l'attachement angoissé « évitant » : (type sensitif voire schizoïde ou autistique)
On assiste ici à une sorte de repli sur soi défensif et à une limitation des relations avec
l'environnement social par anticipation défensive de la rupture potentielle d'un lien
relationnel insecure donc susceptible de se rompre à tout moment.
Le sujet essaie par conséquent de s'auto suffire sur le plan affectif et libidinal, et peut
être diagnostiqué comme « narcissique ou ayant un faux self » selon Bowlby [12].
Ce schéma serait le fait de rejets répétés de la part de la mère alors que le sujet re-
31
cherche réconfort et affection.
Des cas graves ont été rapportés lors de rejets répétés, de mauvais traitements ou de
séjours prolongés en milieux spécialisés.
Des études prospectives ont montré que ces modèles d'attachement ont tendance à
persister après avoir été mis en place.
Ce ne serait pas toujours le cas si le schème d'attachement instauré au cours des premières années joue un rôle fondamental dans la structuration du sujet, celui-ci pourrait
être modifié si les interactions avec son environnement le sont.
D'autres études ont cependant montré l’importance capitale du schème d'attachement
instauré lors des douze premiers mois, en objectivant son impact trois ans et demi plus
tard sur l'enfant.
Le moi du patient borderline est compartimenté car clivé, et non pas « morcelé » ou
dissocié, comme c’est le cas chez les patients psychotiques dissociés. Le moi du borderline serait donc clivé, et le psychisme compartimenté, aux niveaux narcissique,
libidinal, cognitif et psychoaffectif.
En effet, l'état de leur moi dans chacun des compartiments juxtaposés [13] qu'ils contiennent présente une cohérence interne et sont reliés les uns aux autres par le biais du
clivage, mécanisme de défense inconscient faisant passer d'une représentation à une
autre suite à une intolérance à l'ambivalence et à la frustration issue de celle-ci.
Ainsi pour chaque patient borderline le clivage du moi se traduit par différents aspects
32
de sa personnalité qualifiée par Erikson de « diffuse », susceptibles d'émerger indépendamment les uns des autres chez le sujet, dans des cycles de réintrojectrion/reprojection persécuteurs [45].
Le surmoi est issu de l’introjection des interdits éducationnels (notamment parentaux),
culturels et religieux à l’origine d’une agressivité projetée vers l’extérieur, d’où le
sadisme du surmoi. Chez le patient borderline le surmoi est personnifié et sadique.
Personnifié car insuffisamment intégré au niveau cognitif selon Otto Kernberg [45].
Chez le sujet borderline, le moi s’élabore autour d’une dynamique conflictuelle entre ça
et surmoi dont il se défend par clivage, ce qui gêne l’intégration d’un moi et d'un surmoi
appropriés. Par conséquent le moi apparait lui aussi insuffisamment intégré et compartimenté suite au clivage.
De par ce conflit, le compromis à la base du noyau central de la structure névrotique
héritée de l'Oedipe ne peut correctement se structurer et certains sujets borderline,
incapables d'accéder ou de tolérer l'ambivalence persistent à osciller entre des états
clivés.
Chez certains, le ça et le moi ont vaincu le surmoi, c'est la « danse du moi » décrite par
M. Klein dans le cadre de la manie [42].
À défaut, le surmoi sadique l’emporte et punit le sujet en le culpabilisant de ne pas
atteindre l'idéal du moi s'inscrivant chez le sujet borderline dans l'idéal du moi considéré par l'autre, rejoignant ainsi l’idée de Lacan selon laquelle le désir du sujet est le «
désir de l'Autre ».
Suite au clivage le moi se retrouve compartimenté, il peut ainsi coexister différents
33
compartiments au sein de la personnalité, chacun étant régi selon des modes de fonctionnements psychodynamiques différents.
Lorsqu'un de ces compartiments domine le moi du fait du clivage, le sujet reste conscient qu'il peut fonctionner selon d'autres modalités relationnelles à d’autres moments.
Les instances psychiques sont des systèmes constitutifs de l’appareil psychique.
-Dans la 1ère topique, Freud distingue l’inconscient, le préconscient et la conscience.
-Dans la 2ème topique, il considère le psychisme comme structuré en un ça, un moi, un
surmoi, les 3 instances principales.
Le schéma ci-dessous résume les liens entretenus entre ces deux topiques, qui ne sont
donc pas inconciliables.
34
Iceberg topique
-Le « ça » est un terme employé pour la 1ère fois par Georges Groddeck en 1923, repris
la même année par Freud qui en développa la conceptualisation.
-Le « soi » est introduit par Carl Gustav Jung et Mélanie Klein.
- « Self », « vrai self », et « faux self » sont des termes Winnicottiens.
35
Chez le patient borderline, le moi peut-être idéalisé et profondément dévalorisé, le moi
apparaît donc à ce niveau aussi clivé.
La confiance en soi repose souvent au sein d'un équilibre précaire entre représentation
de soi par le moi et représentation de soi par autrui.
L'Autre, son désir et son regard peuvent représenter un appui narcissique en renvoyant
au sujet une ou des représentation (s) de soi et d'objet (s) « totalement bonne (s) »
pouvant l'amener à adopter des attitudes de séduction, avec une érotisation des relations
sociales.
On remarque d'ailleurs la faille narcissique de ces sujets qui, soumis à des pressions
susceptibles de mettre en péril leur assise ou leur édifice narcissique décompensent sur
le plan psycho affectif.
Les représentations de soi par autrui peuvent faire office également de miroir narcissique, comme le souligne les travaux de Kohut [48] sur le narcissisme et les transferts
dits « en miroir ».
Freud a montré son attachement aux grands principes métapsychologiques [33] [27]:
-Le principe économique renvoie à la libido. Selon la métapsychologie
l’instinct de vie et à un niveau plus élémentaire la pulsion de vie relève d’une poussée
constante qui peut être temporairement satisfaite dans le cadre du besoin, contrairement
au désir [28].
-Le principe dynamique considère les conflits intra ou inter psychiques qui régissent une personnalité.
36
-Le principe topique considère l’aspect structurel du psychisme humain à travers les instances psychiques.
La première topique servira de base à l’élaboration des théories de la névrose tandis que
la deuxième topique (1923) enrichira les réflexions de Freud lui permettant de réaliser
l’ébauche du développement de théories concernant les pathologies narcissiques et les
psychoses.
L’idéal du moi garde une part demeurée intacte de la représentation du soi grandiose
primitif [48] et peut être persécuteur de par les exigences narcissiques auxquelles il
soumet le sujet. Il peut être à l’origine d’une névrose de contrainte, y compris chez les
sujets borderline.
Il illustre un des aspects du clivage du moi puisque la toute puissance et le narcissisme
infantile primitif (dans lequel le sujet est son propre idéal dixit Freud) peuvent évoluer
en s’élaborant en faux self, les sujets borderline donnant ainsi l’impression dans leur vie
socioprofessionnelle d’être tout à fait adaptés voire hyper adaptés dans leurs relations et
dans l’empathie, alors qu'il n'en est rien. En fait, cette capacité d'empathie, et de théorie
de l'esprit ne serait qu’une projection de leurs propres représentations attribuées à autrui.
Il s'agit en fait d'une empathie envers soi-même, envers l'Autre-moi, miroir narcissique,
l’alter-ego.
37
Le transfert a d'abord été décrit par Freud qui dès le début de son activité psychothérapeutique s'était aperçu, alors qu'il travaillait avec son maître Joseph Breuer, que les
patients projetaient sur le thérapeute des représentations et des affects dont les enjeux
étaient bien antérieurs à ce qui était actualisé dans la cure, reproduisant des modes de
fonctionnements relationnels archaïques en lien avec les troubles présentés par le patient.
Pour les psychanalystes les plus puristes le transfert intervient strictement dans le cadre
de la relation thérapeutique d'un patient avec son analyste et concerne uniquement les
éléments inconscients projetés sur celui-ci.
Au sens le plus large que l'on puisse lui donner le transfert consiste à la projection de
représentations mentales et émotionnelles inconscientes et conscientes sur le thérapeute. Le mode de fonctionnement relationnel objectal avec celui-ci reproduisant les
relations d’objets passées et permettant leur analyse par la régression dans le cadre de la
thérapie.
Dans la cure il peut également s'agir à travers le transfert, d'une tentative de réparation
de relations d'objets passées ou actuelles défectueuses à quelque niveau, par la répétition qui permet de maintenir un « sentiment continu d'exister » selon Winnicott.
Le transfert peut se concevoir sous l'angle psycho dynamique mais reste par ailleurs
objectivable par le comportement du patient de type limite, dans l’acting out transférentiel. Lorsque le transfert se produit lors de la psychothérapie, il peut être positif si le
thérapeute permet au patient d’introjecter de bons objets externes et de constituer de
38
bonnes relations internalisées participant de façon appropriée à l’élaboration d’un moi
intégré, supportant l’ambivalence et capable de l’élaborer suffisamment afin d’éviter
l’acting out projectif. Le thérapeute joue alors le rôle d’un moi auxiliaire sur lequel le
patient peut s’appuyer afin de s’en détacher peu à peu avec l’aide du thérapeute.
L’acting out transférentiel intervient dans le cadre du transfert négatif, souvent en lien
avec l’identification projective.
Parfois on assiste à des acting out hors transfert contrastant avec une apparente stabilité
pendant l’entretien en lien avec le transfert positif, mais en réalité le transfert négatif
reste latent [45].
Depuis, de nombreux auteurs se sont penchés sur la question du transfert chez le patient
borderline. On citera entre autres Otto Kernberg, Jacques André, Margaret Little,
Sandor Ferenczi, Heinrich Racker, Michel Neyraut, André Green.
Freud a aussi utilisé le terme de "mésalliance" pour désigner ce phénomène. Plus tard,
cette notion deviendra une notion centrale de la psychanalyse.
Sous l'appellation de transfert on distingue différents courants de pensée des plus stricts
aux plus souples.
Pour Laplanche et Pontalis (1967), la relation d’objet constitue au sens large le mode de
relation du sujet avec son monde.
Otto Kernberg [45] considère le transfert au sens large c'est-à-dire l'ensemble du matériel psychique que le patient projette sur le thérapeute, s'agissant là d'un début d'al-
39
liance thérapeutique pour le sujet borderline qui commence alors à investir la thérapie à
travers le lien au thérapeute.
Il évoque également le fait qu'un transfert en apparence uniquement positif (avec un
patient au discours lisse et en apparence adapté) peut masquer un transfert négatif
latent, et vise en fait à séduire le thérapeute, ce dernier renvoyant au patient des images
de soi totalement bonnes. Mais dans ce genre de thérapie les résistances deviennent
alors de plus en plus difficiles à surmonter et les acting out se produisent par conséquent
en dehors des séances et peuvent même conduire à une aggravation. C'est d'ailleurs sur
ce point précis qu’il faudra revenir lors des séances suivantes afin d'élaborer ce qui s'est
produit en dehors de la thérapie et amener le patient à faire un travail d'interprétation
dont le but est de perlaborer et de verbaliser ses frustrations et angoisses insoutenables
demeurées à l’état brut. Elles resteraient le cas échéant sous forme de rejetons pulsionnels agressifs, de pulsions de mort déliées, se fixant de façon chaotique sur des
objets de projection n'étant pas forcément impliqués dans la problématique
sous-jacente.
L'instauration d'un transfert et d'une alliance thérapeutique peut être très laborieuse au
départ mais doit toujours rester l'objet de réflexion et de remaniements visant à
l’amélioration de ces processus.
On prendra pour exemple le cas de Margaret Little, analysante de Winnicott, dans le
contact au départ était très fuyant, fragile, très précaire comme sur le point de se rompre
à tout moment. Les prémices du transfert étaient ambivalentes, avec un transfert non
franchement négatif puisque la patiente restait beaucoup en retrait, dans la rétention et
non dans le passage à l'acte durant les séances à cette étape de la cure.
Mais Winnicott a su tenir le cadre qu'il avait mis en place et adapté à sa patiente lorsque
40
celle-ci à travers le transfert a commencé ses passages à l’acte répétés. Il est ainsi
parvenu à utiliser le matériel analytique de ces premières séances.
Le sujet borderline cherche un spectateur qui, par le renforcement narcissique et libidinal que cela implique, incorpore (et donc détruit symboliquement) le thérapeute au
niveau du moi, bien que donnant l’apparence de vouloir le garder à distance, de minimiser voire dévaloriser son rôle et son existence. On assiste alors à un monologue
sarcastique, un théâtralisme, à des patients qui coupent la parole adoptant une position
directive de supériorité lors des entretiens, faisant écran à un narcissisme clivé, à une
perte profonde d’estime de soi.
Freud associe le transfert négatif (« réaction thérapeutique négative ») en 1916 à la
culpabilité oedipienne et au masochisme. En 1937 il l’associe à la pulsion de mort.
Selon C. Chabert [13], la « réaction thérapeutique négative » constitue la « forme extrême du masochisme moral » où selon Freud, « seule la souffrance elle-même importe » [33]. Le destin narcissique de la sexualité rejoint le destin libidinal du narcissisme selon le principe du plaisir. Elle la met en lien avec une condensation du plaisir
incestueux et de sa punition tandis que d’après Freud, dans Un enfant est battu (1924),
le désir d’être battu par le père se rapporte à celui d’avoir des rapports passifs avec lui.
Au final, il y aurait dans le masochisme moral quelque chose de salvateur dans la destructivité et la perdition.
Le masochisme pourrait ainsi se concevoir comme une défense, voire une lutte
acharnée en dépit de sa dimension passive, contre l’angoisse liée à la culpabilité ou
encore comme une tentative de réparation liée à un complexe d’Oedipe incorrectement
refoulé.
41
Le transfert psychotique:
Dans ce cas, il y a rupture totale avec la réalité, abolition ou altération des limites soi
thérapeute, en lien avec l’alternance rapide des mouvements projectifs/introjectifs, avec
des troubles de l’attribution ainsi qu’une désorganisation conceptuelle. Mais à la différence d’un sujet psychotique, ces phénomènes ne sont que transitoires et non pas
installés dans la chronicité.
On verra plus loin l’importance capitale qu’accorde Margaret Little [56] au transfert
psychotique dans la thérapie des patients « limites-psychotiques », allant jusqu’à développer le contre transfert et les possibilités de l’utiliser pour la compréhension et la
prise en charge thérapeutique des troubles de la personnalité de type limite, dans un
souci de quête permanente vers une psychothérapie davantage personnalisée, prenant
en compte les particularités de chaque patient selon leur (s) mode (s) de fonctionnement
en termes de relation d’objet.
Il équivaut au pendant du transfert de l'analysant, mais du côté du thérapeute. Au sens
large du terme il s'agit de toutes les représentations mentales et les affects inconscients
et conscients qui émergent au cours de la cure analytique chez le thérapeute.
Kernberg [45] évoque la place primordiale décernée à celle du contre transfert dont la
définition tout comme celle du transfert va pour certains de la plus large à la plus restreinte. C’est à dire de tout ce qui est généré consciemment et inconsciemment en
termes de représentations et de réactions psycho-émotionnelles chez l’analyste, à tout
ce qui relève du seul inconscient, en réaction aux processus transférentiels du patient
(définition restreinte, puriste).
42
Dans ce travail, comme pour le transfert c'est l'appellation large qui est prise en considération.
Certains auteurs se réfèrent cependant à son sens le plus restreint qui le décrit comme
des projections, de nature inconsciente uniquement, en réponse au transfert du patient.
Ici encore O. Kernberg [45] accorde au contre-transfert une dimension plus large du fait
de la richesse des indices qu’il peut fournir concernant les processus de pensée du
patient qu'ils soient primaires ou bien secondaires.
Ce contre-transfert qu’il soit considéré au sens restreint ou au sens large doit être
constamment repris par le thérapeute et analysé au mieux dans le cadre d'une supervision. Il existe des outils permettant de l'utiliser à bon escient afin de mieux comprendre
ce qui se passe chez le patient et comment on peut l'aider. Une mauvaise gestion du
contre transfert peut avoir des effets délétères pour le déroulement de la cure et pour le
patient, c’est pourquoi il est fortement conseillé au thérapeute n'étant plus en mesure de
gérer ce contre-transfert devenu envahissant de passer la main et de reprendre une
thérapie personnelle.
La gestion du contre transfert nécessite une qualité particulière chez le thérapeute qui
s’apparente à ce que Bion a nommé « la capacité négative », c'est-à-dire la capacité du
thérapeute à ne pas passer à l’acte, d'apprendre à tolérer le silence et l'absence d'intervention voire un certain malaise qui s'installe lors de la thérapie sans qu’il ne laisse rien
paraître. Ce afin de ne pas fonctionner en miroir du patient borderline et de ne pas
entretenir son mode de fonctionnement.
43
Hélène Deutsch [16] « s'interroge sur le socle à partir duquel ont surgit sa parole interprétative et son activité organisatrice ». « Quel est cet autre de la psychanalyse, dont
elle s'est sans doute dégagée, mais qui, en la constituant, et en l'accompagnant tout au
long de sa carrière, fut le mobile profond de son discours, la condition de son oreille
interne et de son sens du vrai ? » [50]. Visionnaire, Hélène Deutsch accordait déjà de
l'importance et se questionnait profondément sur son vécu analytique, ce qui se trouve à
la base de la démarche dans l'étude du contre-transfert chez le thérapeute.
Racker [62] utilise les réactions contre-transférentielles pour se renseigner sur l’état
affectif du patient. Il distingue l’identification concordante (identification analyste/
analysant de type moi-moi, ça-ça et surmoi-surmoi), de l’identification complémentaire
(identification aux objets transférentiels). Cette dernière serait à son paroxysme lorsque
l’analyste en régression se met à utiliser l’identification projective.
Le passage à l’acte est conçu comme une réponse par l’agir de ce qui ne peut être
élaboré mentalement.
Le passage à l’acte ou acting out peut s’effectuer pendant les séances, on parlera alors
d’acting out transférentiel, ou en dehors de celles-ci.
Il correspond sur le plan psychodynamique à une décharge motrice en réponse à une
accumulation d’excitations pulsionnelles à l’état délié génératrice d’angoisse. Ces
pulsions non liées à un objet et dans l’incapacité, du moins immédiate, à être sublimées,
sont anxiogènes et désorganisent le sujet borderline, et sont donc projetées vers
l’extérieur ou réintrojectées sous forme d’autoagressivité.
44
Si celui-ci se produit pendant la durée des séances le thérapeute peut aider le patient à
l'élaborer mentalement, le verbaliser afin « d'en faire quelque chose » c'est-à-dire un
travail d'interprétation, d’accompagnement, de transformation, dans le but de « passer à
autre chose ».
Celui-ci peut se manifester essentiellement en dehors des séances, donnant en contrepartie une apparence « lisse » en surface dans la relation thérapeutique. Le patient
déploie en fait corps et âme afin d’apparaître comme le « bon objet » aux yeux du
thérapeute, garant de son narcissisme.
L’intolérance aux frustrations est insoutenable pour les sujets de type limite qui se
sentent envahis par un sentiment de vide, et sont saisis par des angoisses d'annihilation,
d'effondrement du soi qui échappe au moi.
L’anxiété conduit à un sentiment de rage impuissante impossible à élaborer mentalement par les capacités d'intégration du patient qui se trouvent dépassées sur le plan
cognitif. Autrement dit, le sujet « déborde », « clive » et utilise le passage à l’acte
comme mécanisme de défense symbolique dans le réel. La décharge pulsionnelle tente
désespérément de se résoudre dans l’acting out.
Freud [25] abordait la question d’un continuum et non pas de limites en comparant
celles-ci à des « cartes de géographie » et aux tableaux des impressionnistes.
C. Chabert [13] parle de fonctionnement de type limite et récuse le ni névrotique ni
psychotique et la place intermédiaire des états limites, en insistant sur la coexistence de
45
conduites névrotiques et psychotiques avec une répartition variée selon les sujets et
recouvrant un « éventail » de fonctionnements des mieux adaptés aux plus pathologiques.
Elle met d'emblée de côté la question soulevée par la catégorisation en disant qu'il lui
apparaissait plus essentiel de distinguer les problématiques fondamentales de ces
fonctionnements et leurs aménagements défensifs que de déterminer la part de névrose
ou de psychose. D’où l’intérêt de la théorisation de la relation objectale comme une
complémentarité voire une alternative à la prise en charge diagnostique psychiatrique
classique, basée sur la nosographie des classifications internationales (DSM- IV-R), en
étudiant la clinique toujours en lien avec la psychopathologie qui la sous-tend.
Selon l’auteure, chez certains sujets on note la prédominance de mécanismes de défense davantage en lien avec la problématique oedipienne, l’angoisse de castration, et
pour lesquels la part de fonctionnement psychotique n’émergerait que transitoirement
de par la réactivation de mouvements archaïques régressifs, tandis que d’autres ont
principalement recours à des processus primaires de l’ordre du clivage et pour lesquels
l’inhibition domine. Elle dégage deux problématiques principales centrées sur la perte
d’objet et l’organisation psychosexuelle et masochiste, et souligne l’intérêt des travaux
de Winnicott sur l’objet et l’espace transitionnel qui serait défaillant selon elle chez les
patients borderline, ceux-ci n’y accédant que ponctuellement, dans la discontinuité.
A. Green défend l'idée que des parties plus primitives du moi peuvent coexister avec
d'autres plus élaborées. Un « ça » brut et passionnel négociant avec un surmoi sadique
afin de trouver des compromis dans le moi du sujet borderline. C'est ce qu'il nomme
« la folie privée » [40].
Les patients « as if » décrits par H. Deutsch [16] suppléent leur manque de self par un
46
recours - « un branchement » lacanien [58] - à différents pôles d ’identification, du plus
rigide ( déterminé, unique, organisé, autoritaire tel que l’armée ou la police) , à une
multitude de choix d’objets de manière totalement indifférenciée, en deçà de la théorie
freudienne du choix d’objet narcissique ou par étayage, mais de niveau encore plus
archaïque de l’ordre de l’identification primaire, « adhésive ». Le self carencé en directivité signifiante s’attribue quelque chose de l’identité de l’autre. Ces identifications
adhésives permettraient de palier à la carence du « trait unaire » [58], du signifiant
maître, au manque de sens donné à une existence « qui ne va pas de soi » selon
l’expression de Winnicott.
Rycroft CF [40] évoque la possibilité de coexistence de mécanismes de défenses névrotiques et psychotiques au sein d’une même structure psychique.
La structure désigne à priori une organisation, c’est-à-dire la modalité selon laquelle les
éléments qui la constituent sont en rapport les uns avec les autres.
Il reste délicat de dégager ce concept de sa connotation inertique en la distinguant
arbitrairement de l’aspect dynamique.
On peut parler de structuration psychique ou de structure de personnalité, de structure
psychique en termes d’instances psychiques (Freud, 2è topique, 1923) ou encore de
structure névrotique, psychotique ou de perversion [23]. Ces dernières étant considérées par la psychanalyse classique et lacanienne comme exclusives les unes des autres.
Or la pratique clinique courante montre tout un éventail de modes de fonctionnement et
donc de types de personnalités sur lesquelles se sont greffés des troubles psychotiques,
à savoir délirants, dissociatifs ou déficitaires (on choisira par mesure de simplification
d'exclure les déficiences mentales, les troubles envahissants du développement et cer-
47
taines affections neurologiques).
En pratique on considèrera dans ce travail l’appareil psychique comme un système
constitué de sous-systèmes [63], compartimenté à la façon d’une mise en abîme psychique. Mais aussi selon un point de vue dimensionnel, un appareil en lien avec son
environnement à différents niveaux versus catégorisation.
Freud évoque dans l’Abrégé le « clivage du moi » dans le cas du fétichisme [25].
Il fait par ailleurs référence à la fixation et la régression aux investissements prégénitaux dans des cas où l’organisation génitale a été correctement instaurée autour de
l’Oedipe, introduisant ainsi la possibilité de coexistence au sein d’une même structure
d’éléments génitaux et prégénitaux, théorie ultérieurement développée par Bouvet dans
ses écrits relatifs à la genèse de la relation d’objet.
Parmi les sources des théories de la compartimentation, on retrouve en 1931 [26] dans
les écrits de Freud, avant l’abrégé des références à l’importance de la phase
pré-oedipienne dans la genèse de la structuration psychique et sexuelle. Il parle de l’«
arrière-pays » chez la femme durant laquelle se produiraient des fixations et refoulements à l’origine d’une structuration de type névrotique.
Par ailleurs la description de l’homme aux loups interpelle par la description de mécanismes de défenses psychotiques chez ce patient ayant été diagnostiqué par la suite
état limite par d’autres auteurs, et considéré comme ayant une psychose ordinaire par
les lacaniens [58] [60]. Ceux-ci voient en effet dans la description de ce cas clinique des
indices même discrets, de l’expression « de la forclusion du Nom-du-Père » : une
non-extraction de l’objet, des défaillances du capitonnage et dans le nouage de la
structure subjective, la prévalence des identifications imaginaires.
48
Kernberg [45] adopte un point de vue structurel dynamique concernant ceux qu'il
nomme les organisations limite de la personnalité.
Mais parler d' « organisation » n'est pas immuable et n'exclut pas pour l'auteur l'instabilité psycho émotionnelle caractéristique de ces patients.
Les signes spécifiques résident en la psychopathologie de la relation objectale, centrée
sur la perte d'objet et la quête effrénée pour le récupérer, c'est-à-dire tout ce qui relève
de la dépendance et de l’anaclitisme, ainsi que le retour aux processus primaires de
pensée [45] en particulier les mécanismes de défense archaïques dont les principaux
sont le clivage et l'identification projective. Kernberg classe dans les organisations
limites de la personnalité, les personnalités « pré-psychotiques » parmi lesquelles
comptent les personnalités schizoïde, paranoïde, hypomane et cyclothymique, ces deux
dernières ayant été classées dans le DSMIV-R parmi les troubles bipolaires de
l’humeur, dont on sait la continuité avec les troubles psychotiques [70].
Pour Steiner [71], les états limites sont à la limite entre les positions schizo paranoïdes
et dépressives décrites par M. Klein dans le développement normal du nourrisson ; elle
parlera aussi de noyau psychotique universel déjà évoqué par Freud.
Bergeret [6] les qualifie d’ « états intermédiaires » avec l'existence d’un « tronc
commun des états limites » pouvant évoluer selon les cas vers la névrose, la psychose
ou la régression psychosomatique, traduisant un état structurel instable qui le conduira
à qualifier ces patients d’ « astructurés ».
Il s’agit du schéma en deux temps avec un traumatisme réel ou symbolique précoce
autour de l’Oedipe et un plus tardif en général en fin d’adolescence. Un traumatisme
pouvant être la répétition de micro-traumatismes passés inaperçus mais ayant sur le
long terme fragilisé la structure psychique du sujet, le prédisposant ainsi à d’importants
49
remaniements structurels.
Il les associe par ailleurs au trouble de l'humeur qu’est la dépression qui selon lui
sous-tend ce trouble de la personnalité dans son expression clinique comme dans les
mécanismes de défense mis en jeu afin de lutter contre l'effondrement dépressif.
Dans l’état dit pré-psychotique, la psychose n'est pas déclenchée mais serait latente,
parfois confirmée à posteriori par l'émergence de troubles psychotiques avérés mais
présents jusqu'à ce point à l’état frustre de psychose compensée, non déclenchée ou
encore de « psychose blanche » concept psychanalytique introduit et développé par
André Green et. J.L Donnet en 1973.
Ce terme fut en quelque sorte repris par les lacaniens sous l'appellation de psychose
ordinaire [58] [60].
Mais pour la « clinique floue » [60] d’une psychose supposée non déclenchée (psychose ordinaire) les partisans de Lacan parlent de « suppléances » et non de « mécanismes de compensation » anti-psychotiques [58]. Les premières se différenciant des
secondes par des élaborations défensives visant à maintenir la fonction symbolique du
signifiant primaire et non pas par des aménagements non spécifiques de structure dits
de compensation visant à pallier aux insuffisances de celui-ci.
Les lacaniens récusent le terme d’état limite, allant jusqu’à dire qu’il n’y a de limite que
diagnostique et par conséquent insuffisance de compétences du thérapeute.
Ils évoquent la psychose ordinaire sans pour autant donner de consignes thérapeutiques
concrètes à ce niveau.
On retrouve la notion d’états « limites psychotiques » chez M. Little [56] et la notion de
spectre border line n’est pas sans rappeler l’hypothèse d’un continuum psychique étayé
par les neurosciences dans l’hypothèse théorique d’un spectre schizophrénique avec un
50
continuum schizo-affectif entre le trouble bipolaire et la schizophrénie (Kety et Rosenthal, 1968) [70] et celle d’un spectre autistique.
La compartimentation se manifeste également au niveau clinique, objectivable, par des
patients pouvant passer aisément, à une vitesse et une périodicité variablement d’une
hyperréactivité interpersonnelle à une athymie plus ou moins profonde semblant se
fondre dans un continuum allant du syndrome amotivationnel plus ou moins sévère,
jusqu’à l’athymhormie psychotique.
Le terme d’ « intersubjectivité », hérité de la théorie de l’empathie, est employé dans le
domaine des neurosciences cognitives mais n’entre pas en contradiction avec les théories de la relation objectale, soit avec les modèles psychanalytiques. Bien au contraire,
ceux-ci seraient complémentaires selon J. Hochmann [42] et B. Golse [39].
L’intersubjectivité est fondamentale pour Golse dans le cadre de l’étude de la psychologie développementale et fournit des éléments capitaux concernant les processus
intimes ontogénétiques et psychodynamiques.
Golse [38] évoque la « double différenciation » qu’il dit « lente et graduelle car très
coûteuse sur le plan énergétique ». Il s’agit de différencier le soi du non soi, l’intérieur
et l’extérieur du psychisme et du corps-soma et ce par le biais d’investissement
d’espace et de processus transitionnels mis en œuvre dans la relation mère-enfant.
Ce double mouvement permettrait au sujet de sortir de la relation fusionnelle originelle
et de se différencier en interaction avec son environnement.
51
Il existe trois types de théories expliquant son acquisition selon Golse, attaché à des
recherches et publications concernant la troisième:
1. Celle supposant un processus lent et graduel,
2. Celle supposant qu'elle est donnée d'emblée, innée.
3. Celle supposant qu'elle est acquise suivant un mouvement dialectique entre un
noyau d'indifférenciation primaire et des noyaux d'intersubjectivité.
Stern et Trevarthen considèrent que cette capacité d’intersubjectivité est présente
dès la naissance (intersubjectivité primaire) puis se développerait en interaction
avec l’environnement (intersubjectivité secondaire).
Ce concept recouvre « la reconnaissance que soi et l'autre sont des personnes distinctes
ayant chacune des intentions, des désirs différents » [38]. Golse rappelle que la psychanalyse classique accorde davantage d’importance à l’intrasubjectivité qu’à
l’intersubjectivité, au sujet qu’à la relation d’objet. C’est ainsi que la théorie de la
relation objectale s’inscrit dans le pont qu’élabore le pédopsychiatre et psychanalyste
entre la psychanalyse et les neurosciences.
La relation d’objet la plus originelle de l’individu est celle de l’unité fondamentale
primaire constituée par l’enfant et son environnement dont la mère, alors que le self est
encore indifférencié, en constitution. Par la suite, par le biais des interactions les plus
52
précoces avec son environnement et du fait des processus d’individuation neuropsychologiques sous-jacents au développement psychomoteur de l’individu, le sujet apprend progressivement et par étapes à accéder à la représentation de l’objet, de l’Autre,
du signifiant.
Stern (1945) évoque la position clé de la mère et de l’impact de la carence affective et
du rôle déterminant de l’environnement précoce.
Fairbairn [21] définit la libido comme « objet-seeking » au lieu du « pleasure-seeking »
se démarquant ainsi du postulat freudien de la théorie de la sexualité et du principe du
plaisir.
Freud fait référence à la fixation et à la régression aux investissements prégénitaux dans
des cas où l’organisation génitale a été correctement instaurée, introduisant ainsi la
possibilité de coexistence au sein d’une même structure d’éléments génitaux et prégénitaux qui sera ultérieurement développée par Bouvet et par Otto Kernberg [45].
Par le biais des circonstances du quotidien, l’enfant se développe progressivement par
interaction avec son entourage et son environnement. Ses fonctions cognitives se développent en parallèle aux processus d'individuation faisant l'objet actuellement
d’importantes controverses dans le monde de la psychanalyse et de la psychiatrie, bien
que certains auteurs tels que Golse [38] [39] n'opposent pas les données acquises par les
neurosciences cognitives et celle issues d'une approche psychanalytique. Il les estime
même complémentaires, sans pour autant prôner une théorie de la naturalisation.
Son intérêt se situe autour du développement psychomoteur du nourrisson et il émet
53
l'hypothèse d'un développement en alternance de noyaux d'identification primaire avec
des moments d'indifférenciation, le tout selon un processus graduel constituant des
étapes du développement. Les noyaux d'identification primaire ainsi que les états
d'indifférenciation sont en lien étroit avec la théorie de Meltzer concernant le mantèlement /démantèlement sensoriel.
Mélanie Klein n'est pas considérée par nombre d'auteurs comme une théoricienne de la
relation d'objet mais comme un de ses précurseurs Winnicott [75], qui fut élève et
analysant de M. Klein lui reproche cependant d’accorder trop de place à l’objet interne
et aux relations d’objet internalisées, fantasmatiques, par rapport aux objets externes,
réels, mais aussi de ne pas avoir assez développé l’importance capitale de
l’environnement et de la qualité des soins apportés par celui-ci dans le développement
psychoaffectif primaire du nourrisson, pour lequel il décrit des concepts fondamentaux
tels que le holding, l’environnement suffisamment bon, les phénomènes et objets
transitionnels à l’origine du développement ultérieur d'intérêts et aptitudes aux processus et phénomènes d'ordres intellectuels, artistiques et culturels.
M. Klein [46] [47] décrira cependant des états et stades du développement psychomoteur du nourrisson dans le cadre des interactions précoces telles que les positions
schizo-paranoïdes et dépressives faisant partie du développement normal du nourrisson, qui subsisteraient selon certains auteurs chez les états limites, à visée défensive, ou
seraient l'objet de régression à des points de fixations précoces des stades du développement psychoaffectif du nourrisson.
L'auteure situe son oeuvre dans la continuité du travail de Freud, mais a étudié le développement psychoaffectif à des stades plus précoces du développement, ciblant les
interactions toujours plus précoces de l’enfant avec son environnement, notamment la
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mère. Elle introduira des concepts fondamentaux tels que l’unité fondamentale, les
positions schizo-paranoïdes et dépressives et leur importance dans le développement
normal et pathologique du nourrisson, l’identification projective, la notion d’objet
partiel/objet total. Cette dernière trouve dans ses origines écho aux écrits de Freud [25]
qui, s’il ne parlait pas d’objet partiel, déclarait que l’agressivité primaire envers le sein
disparaissait lorsque l’enfant percevait la mère « comme un tout », autrement dit
comme un objet total.
Selon M. Klein, le moi existe dès la naissance bien que partiellement puis se développe
dans ses interactions avec l’environnement en particulier primaire, c’est-à-dire la mère,
en partant de l’ « unité fondamentale ». Pour Freud [29] « il n’existe pas dès le début,
dans l’individu, une unité comparable au moi ; le moi doit subir un développement ».
M. Klein (1946) introduit des concepts fondamentaux pour la compréhension de la
psychologie du développement du sujet qui serviront de référence aux théories ultérieures d’une grande partie des théoriciens de la relation d’objet et du développement
psychoaffectif de l’individu. On retiendra dans ce travail ses apports concernant :
-les positions schizo-paranoïdes et dépressives.
Dans cette configuration, clivage et projections occupent le devant de la scène; étudiés
par la psychanalyste chez les enfants, ces concepts serviront largement la cause des
théoriciens de la relation d’objet, notamment chez les sujets borderline.
-l’identification projective, quant à elle, représente un mécanisme de défense
archaïque à la base de réintrojections persécutrices liées à la survie du moi. Il en résulte
des relations d’objets partielles.
-Au fur et à mesure du développement, l’intégration augmente et le moi se
55
constitue.
Les positions schizo paranoïdes dominent au départ chez le nourrisson qui, en réponse à
des besoins vitaux fait appel au sein par des signaux (pleurs, cris) permettant au sein de
venir apporter satisfaction. Si tel est le cas l'enfant atteindra la satiété et donc la satisfaction, la réassurance d'avoir une réponse à ses demandes qui à ce stade pour le nourrisson concerne la survie.
Si le sein fait défaut l'enfant qui au départ « hallucine » le sein selon Freud, accède par
clivage à la position schizo paranoïde du sein persécuteur.
Le sein est considéré dès le début de la vie par le nourrisson comme un objet total. Puis
au cours des processus d'individuation, le nourrisson prend conscience que la mère est
un objet total et que sein n'est qu'un objet partiel, alors il se déprime et culpabilise suite
à son agressivité incorporatrice primitive. M. Klein comme Winnicott pensent que cette
position dépressive correspond à un stade d'évolution et de progrès dans le développement psychique du nourrisson.
De nombreux auteurs (Paula Heimann, Khan, Bouvet, Kernberg…) ont en commun
leur considération pour les aspects structurels dynamiques et génétiques de
l’organisation limite de la personnalité, et tous mettent en avant le rôle des conflits et de
l’agressivité prégénitale, en particulier orale, et tous considèrent la coexistence et une
association particulière de rejetons pré-génitaux et génitaux.
Kernberg [45] évoque la condensation des buts prégénitaux avec les buts génitaux sous
l’influence de l’agressivité orale, avec pour conséquence une pseudo-latence précoce.
Mais cette condensation et l’Œdipe précoce échoueraient car l’agressivité prégénitale,
en particulier orale, infiltreraient ces processus.
56
Jean-Pierre Lebrun [54] dans un monde sans limite, parle du rôle déterminant, tiercéisant du rôle du père, tout particulièrement du « nom du père » [52] et de l’impact de sa
forclusion en tant que signifiant maître autour duquel l’individu en devenir se structure,
et qui déterminera, ou pas, une articulation adéquate entre réel, symbolique et imaginaire, permettant d’échapper à la psychose.
Freud reste le précurseur de toutes les notions qui par la suite, reprises et développées,
ont fait le lit des élaborations ultérieures concernant ces patients par les théoriciens des
états limites et de la relation d’objet.
Tandis que le Maître considère la satisfaction libidinale comme étant le but de la pulsion selon le principe du plaisir, Fairbairn [19] et les autres théoriciens de la relation
objectale conçoivent l’objet comme étant lui-même la finalité.
Il y a chez le sujet état limite contingence et interchangeabilité de l’objet, quête effrénée
de l’objet perdu et par celui-ci du bien être absolu, du « nirvana » selon l’expression de
Barbara Low, dont le prototype est le sein de la mère et le narcissisme primaire, celui
présent depuis les états développementaux les plus précoces régis par « l’amour primaire » [2].
L’importance de l’objet et du lien à l’objet est clairement illustrée dans deuil et mélancolie, où le sujet, en réaction à la perte de l’objet désinvestit libidinalement celui-ci
et régresse « jusqu’au narcissisme » [30]. Libido d’objet et libido narcissique apparaissent ainsi dans une continuité puisque le moi constitue « le grand réservoir libidinal » [34] et qu’à partir du narcissisme primaire, la libido narcissique peut
se « transformer » [34] en libido d’objet dès lors que le sujet commence à investir les
objets externes.
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Dans le « narcissisme primaire » Freud [29] décrit une relation d’objet originaire au
sujet lui-même avant d’adopter plus tard une vision anobjectale du narcissisme primaire puisqu’ au départ « il n’y a pas d’objet » [25] et introduit ainsi sans le nommer le
concept d’indifférenciation primaire. Ainsi, dans l’abrégé, il mentionne en effet
qu’ « au début, l’enfant ne différencie certainement pas le sein de son propre corps »
[25] et que ce serait dans l’absence et le manque de la mère que l’enfant commencerait
à se différencier corporellement de celle-ci.
L’aspect contingent de l’objet porte l’attention du maître sur la perspective subjective
alors qu’il apparaît au contraire donner toute sa dimension à l’interaction entre le sujet
et l’objet puisque la pulsion cherche à tout prix dans sa poussée la liaison à l’objet, se
déplaçant « à volonté » d’un objet à un autre.
L’objet apparaît intimement lié à la pulsion puisqu’il constitue pour celle-ci un moyen
d’atteindre son but qui, selon le principe du plaisir, est toujours la satisfaction libidinale, mais il n’y est pas « originairement lié » [28], et sa contingence et son interchangeabilité semblent minimiser son importance face au sujet et à la pulsion dont la
source ne provient pas du monde extérieur mais toujours de l’intérieur du corps.
Tout semble à ce stade de l’œuvre freudienne donner la primauté au sujet et à la pulsion
au dépend de l’objet qui est « ce qu’il y a de plus variable dans la pulsion » [28] et du
rôle de l’environnement. La nature même de l’objet implique le paradoxe d’être en lien
avec le sujet mais d’en être séparé par un gouffre ontologique, car celui-ci ne sera
jamais appréhendé par le sujet que par l’intermédiaire d’une représentation mentale et
émotionnelle que le sujet élabore et qui constituera l’objet interne. La réalité phéno-
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ménologique subjective en lien avec l’objet est par nature inaccessible, le langage y
permet l’accès mais le mot reste de l’ordre de la représentation mentale, du symbole
signifiant matérialisant la pensée.
La pulsion, considérée par Freud comme un « concept limite » [28] entre le soma et la
psyché, partant du ça et « représentant dans le psychisme les exigences
d’ordre « somatique » [28], serait à la base de toute activité conservatrice par nature.
Mais dire des pulsions qu’elles sont conservatrices ne signifie pas pour autant qu’elles
opèrent pour la conservation de la vie de l’individu. Freud étend en effet ce terme à la
conservation d’un état antérieur dont le prototype originel est représenté par l’état
anorganique, d’inanition. Sa finalité se situe selon Freud au-delà du principe du plaisir
comme l’illustre la contrainte de répétition traduisant des « tendances plus primitives
situées au-delà du principe du plaisir » [33] et qui demeurent obscures.
Une pulsion libidinale destinée à priori à obtenir une satisfaction sexuelle peut donc
être « inhibée quant au but » [28] et détournée de son but premier afin d’obtenir une
satisfaction plus durable ou afin d’éviter un déplaisir, tel qu’une culpabilité suite au
conflit avec l’instance surmoïque, qui résulterait de l’accomplissement de cette pulsion,
le but ultime pouvant être par conséquent l’autoconservation.
La signification des sensations de plaisir et de déplaisir reste énigmatique pour Freud
qui préfère raisonner en termes d’énergie psychique, assimilant le déplaisir à
l’augmentation de cette énergie et des excitations, et le plaisir à une diminution de cette
énergie, à un état de stabilité absolue.
59
Il oppose les instincts du moi (de mort) « nés du jour où la matière a reçu le souffle de
vie » [33] et qui « tendraient au rétablissement de l’état inanimé » [33] portant à son
paroxysme l’ambivalence conceptuelle de la conservation, aux instincts sexuels (de
vie).
Ainsi, la pulsion de mort (Thanatos) tend à retourner à l’état antérieur ou inorganique,
qui est aussi tendance à la destruction et à la déliaison, par opposition à l’éros ou pulsion d’amour qui elle tend vers la liaison et vers la conservation de soi et de l’espèce.
Ce n’est pas par hasard que nous avons choisi de regrouper la libido et le narcissisme
dans ce travail car les deux semblent être liés à la base.
Selon Freud le moi constitue durant toute l’existence « le grand réservoir libidinal »
[34], et il nomme l’accumulation originelle de libido le narcissisme primaire quasiment
assimilé à l’indifférenciation primaire et renvoyant au bien-être fondamental, absolu,
de passivité dans la dépendance aux soins envers la mère, le moi lui-même étant considéré par Freud comme l’un des deux objets originaires le sujet lui-même et « la
femme qui lui donne les soins » [25].
Cette conception initiale du narcissisme primaire décrit implicitement une relation
d’objet et évoluera vers une conception du narcissisme primaire anobjectal puisqu’ « au
début « il n’y a pas d’objet » [25] et qu’il n’y a pas non plus d’ « unité comparable au
moi » [28], et introduit le narcissisme primaire comme l’ « investissement libidinal
originaire du moi » [29].
Il étend par ailleurs le concept de libido à l’intérêt psychique en général [29], faisant
résonnance à l’autoérotisme mental [42] et n’exclut pas que celle-ci puisse provenir
d’une énergie psychique indifférenciée originelle qui ne « deviendrait libido que par
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l’acte de l’investissement d’objet » [29], puis va à l’encontre de cette hypothèse en
1915 [28] en postulant que l’objet n’est pas « originairement lié » à la pulsion.
Freud [29] différencie pulsions du moi et pulsions sexuelles, libido du moi et libido
d’objet. leur supposant une origine distincte et propose la théorie de l’étayage des
pulsions libidinales sur les pulsions d’autoconservation qui seraient donc les plus anciennes, et compteraient parmi les composantes originelles les plus élémentaires du
narcissisme qui apparaît ainsi comme résultant d’un développement à partir des pulsions libidinales et des pulsions d’autoconservation, les premières s’étayant sur les
secondes. Ce qui est clairement illustré chez les sujets du spectre borderline car il existe
une grande partie d’individus dont la compulsivité notamment dans la boulimie, montre
une régression du désir à l’envie puis au besoin, de la pulsion libidinale à
l’autoconservation, noyau du narcissisme primaire.
Chez le patient borderline le moi est clivé au niveau narcissique, et peut ainsi voir
coexister un désinvestissement du moi d’allure dépressive, avec une perte d’estime de
soi et des défenses dites « maniaques » versant mégalomaniaque.
La personnalité narcissique d’un point de vue structurel serait rattaché par Kohut [48] à
la structure psychotique tandis que Kernberg [45] le classe parmi les organisations
limites de la personnalité.
Chez les sujets borderline, la pratique clinique nous montre une grande variété de tableaux cliniques témoignant de processus psycho dynamiques sous-jacents tout aussi
diversifiés.
Une caractéristique commune à tous ces états est l’aspect hétérogène du narcissisme
61
dont l’expression s’étend de la mégalomanie à la dévalorisation profonde voire à
l’effondrement narcissique.
Ces sujets sont souvent en proie à un idéal du moi tantôt fusionné avec le moi, tantôt
inaccessible et destructeur (persécutif) pour le moi. Une épreuve de réalité contrariant
cet idéal du moi peut fragiliser voire effondrer le sujet narcissiquement sous forme
d‘une dépression dite narcissique car centrée sur la perte de l’estime de soi, pouvant
aller jusqu’à des formes mélancoliformes puisque la perte d’objet concerne le moi [30]
le sujet s’appauvrit en libido narcissique puisque celle-ci se trouve confondue avec la
libido d’objet, le moi étant l’objet.
Alors que chez le patient névrosé toute atteinte narcissique fait déployer des défenses et
des mécanismes compensateurs visant à maintenir l’assise narcissique, les sujets limites peuvent avoir recours à de tels procédés mais ceux-ci finissent par s’avérer défaillant. La faille vient d’un deuil symbolique pathologique du soi grandiose primitif, de
la Toute-Puissance infantile.
Du narcissisme primaire à l’investissement d’objet
Pour qu’il y ait relation d’objet il faut un investissement de l’objet, et bien que la théorie
de la relation objectale soit post freudienne, en 1914 Freud [29] définit le narcissisme
par un investissement libidinal du moi, précédant le déplacement secondaire de cet
investissement sur les objets, précisant que celui-ci reste fondamentalement lié à
l’investissement du moi tels « le corps d’un animalcule protoplasmique envers les
pseudopodes qu’il a émis » [29] par le biais des processus identificatoires qualifiés par
Freud de lien le plus originel à l’objet.
62
Le narcissisme primaire apparaît ainsi dans l’œuvre de Freud dans un 1er temps de
nature objectale, dans l’investissement libidinal des deux objets originaires que sont le
sujet lui-même et la mère puis évolue vers une conception anobjectale puisqu’au début
« il n’y avait pas d’objets » [25] et que l’enfant ne « différenciait certainement pas le
sein de son propre corps » [25].
A ce titre, identification primaire et narcissisme primaire apparaissent étroitement liés.
L’amour et le désir s’étayant sur la satisfaction des pulsions d’autoconservation, la
mère devient la « première séductrice » [25] et cet état d’osmose le « prototype de
toutes les relations amoureuses ultérieures » [25].
Le monde extérieur constitue au départ une source d’excitation et donc de déplaisir
amenant le sujet à demeurer à un investissement autoérotique. Le sujet va par la suite
investir les objets et chercher à s’éloigner du noyau primaire tout en cherchant à y
revenir. Ainsi, un trouble à ce niveau serait susceptible d’intervenir dans la psychogénèse des conduites pathologiques répétitives.
L’Idéal du moi est une représentation du moi vers laquelle tend l’individu dans le but de
retrouver la perfection du narcissisme originaire et de la toute-puissance infantile.
Masochisme et perversion narcissique : du principe du plaisir à l’économie psychique.
Freud affirme que « toute sensation de déplaisir de nature névrotique n’est au fond
qu’un plaisir non ressenti comme tel » [33] et suppose en 1920 l’existence d’un masochisme primaire après avoir formulé l’hypothèse inverse en 1915 [28].
Le masochisme secondaire peut se rencontrer chez ces patients qui « auraient tout pour
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être heureux » mais qui sont constamment dans la répétition de la mise en échec et de la
destruction. Dans les deux cas on retrouve souvent un traumatisme en lien avec la perte
d’un bon objet idéalisé et la quête effrénée et désespérée qui s’en suit pour le retrouver,
que ce soit par la séduction ou par une soumission passive régressive dans un rapport
anaclitique dominant/dominé. Ces modes de fonctionnements relationnels sont à mettre
en lien avec les relations d’objet primaires comme « la mère ou la femme qui donne les
soins » représentant le prototype des relations d’objets ultérieures.
Dans la perversion, la liaison par le passage à l’acte de pulsions agressives apaise d’une
certaine façon le sujet, tel un besoin, temporairement satisfait.
Le sujet narcissique se nourrit de l’autre, impliquant sa destruction symbolique.
On notera ici l’effacement des limites et/ou un continuum entre désir et besoin, renvoyant à l’enchevêtrement des deux, illustré par la théorie freudienne de l’étayage [28].
On rencontre des patients disposés à une certaine « hospitalophilie » mais dont le
symptôme devenu symbole concret de l’existence et de la souffrance du sujet en vient à
constituer une interface relationnelle leur permettant d’être dans la relation à l’autre,
chez lequel ils puisent dans la représentation idéalisée de l’objet et du lien à celui-ci une
satisfaction libidinale et narcissique, illustrant la dépendance caractéristique des self
défaillants.
L’état limite ou devrait-on dire sans limites ne connaît pas la satiété, l’idéal n’est jamais
atteint si ce n’est dans l’imaginaire, ou pour les plus brillants d’entre eux par la sublimation et la créativité, par laquelle les patients borderline atteignent un niveau de
bien être absolu libidinal et narcissique qui devient l’objet idéalisé dont la perte entraîne
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la quête inexorable, les poussant à consommer toutes sortes de psycho stimulants visant
à stimuler la créativité, et à lutter contre la déliaison. Des créatifs ont ainsi évoqué la
perte d’élan vital, de désir, d’intérêt, en dehors de ces moments d’extase ou tout leur
paraît insipide, les poussant à générer désordre et chaos dans ce vide.
Détruire volontairement, se détruire, permet de garder l’illusion d’un contrôle face à la
crainte de la destruction. La stabilité ne peut être vécue que dans l’instabilité d’une
perpétuelle répétition nuisible au final au sujet.
Mélanie Klein [47] a étudié les mécanismes mentaux primitifs en remontant à la constitution des frontières du moi et à la différenciation self /objet.
Winnicott est allé encore plus loin dans son œuvre en étudiant un stade prédédent la
différenciation self/objet, et l’intégration soma/psyché.
L’investissement d’un espace transitionnel implique le détachement de l’autoérotisme,
le deuil de soi dans le sens de l’acceptation de l’éloignement de la relation objectale la
plus primitive retrouvée dans l’état fusionnel d’indifférenciation primaire puis osmotique, état différent de l’indifférenciation primaire.
Tout comme se souvenir revient à faire un deuil selon Winnicott [79]
se représenter le self, l’objet et leurs limites nécessite de faire le deuil de
l’indifférenciation primaire du lien à l’autre qui ne devient autre que parce que le self
devient self, se représenter en souvenir la mère c’est aussi être en mesure de tolérer puis
d’accepter son absence, ce qui renvoie en partie à la position dépressive décrite par
Mélanie Klein [46].
65
L’enfant y investit des objets qui ne sont ni lui ni la mère, mais une part de lui et de la
mère : ce sera le siège de l’élaboration de représentations mentales et de la symbolisation.
Le sujet sort du narcissisme primaire lorsqu’il commence à investir les objets [29] [25]
en tant que tels ce qui implique en parallèle la différenciation self / objet et les processus d’individuation.
Mais ces investissements ne restent pas sans lien avec le self (et l’objet primaire) qui y
investi sa libido d’objet et narcissique dans un sentiment continu d’exister, et qui dans
une dynamique de projection/ introjection/ réintrojection et d’identification, élabore les
représentations du self, du non self, de l’objet, les limites du self, de l’objet et les limites
entre le self et l’objet, les uns s’étayant sur les autres.
Avant d’avoir acquis certaines capacités de représentation l’enfant ne peut différencier
son self de l’objet car il n’y a pas encore de self constitué selon Winnicott contrairement
à ce qu’affirme M. Klein pour qui le moi existe dès la naissance (tout comme le surmoi
et l’Œdipe seraient également très précoces) [75] et les développementalistes comme
Trevarthern, Stern, selon lesquels il existerait d’emblée chez l’enfant une intersubjectivité primaire en lien avec les processus d’identification primaire et d’imitation puis
qui se développerait par la suite dans le lien et l’interaction avec l’environnement.
Mélanie Klein, analyste de Winnicott utilise afin d’accéder à la transitionnalité de
l’individu en devenir, le dessin à la place du rêve dans le cadre de la psychothérapie
pour enfants, et décide d’appliquer le même type de règles aux psychanalyses pour
enfants qu’aux analyses d’adultes.
66
Il s’agit de s’adapter aux modes de fonctionnement de l’enfant, considérant les interactions en lien avec son environnement qui, une fois intériorisées deviennent le siège
de la reconstruction d’un monde interne fantasmatique constitué d’objets internes, de
relations d’objet internalisées, la dimension représentationnelle symbolique mais surtout imaginaire apparaissant primordiale dans l’œuvre kleinienne.
Elle apparaît ainsi comme un des auteurs précurseurs des aménagements de cadre et des
théories concernant la transitionnalité développée par la suite par son analysant, Winnicott.
Le sujet évoluerait selon la psychanalyste au sein d’une matrice de relations aux objets
internes, de relations internalisées, aux dépens selon certains auteurs dont Winnicott
[75], des objets externes réels.
Winnicott, reproche à son analyste et superviseur de son travail, d’avoir toujours voulu
considérer l'apparition de certains types de mécanismes mentaux chez l'enfant à des
stades toujours plus précoces.
Il considère que le développement psychomoteur du nourrisson est plus progressif et
met en avant l'importance de la « qualité des soins de l'environnement » à laquelle
Mélanie Klein n'aurait pas accordé d'importance selon lui.
L’état limite aurait selon plusieurs auteurs dont C. Chabert [14] un défaut d’accès à
l’ambivalence du fait du clivage et de difficultés liées à l’accès à la position dépressive
décrite par M. Klein [46], et à la sollicitude qui permettra par la suite d’entamer un
travail de réparation structurant pour le sujet, participant à la formation et à la maturation du self, puis à terme à l’accès et au développement d’activités artistiques et culturelles.
Mais les sujets états limites étant dans une telle intolérance aux frustrations et à
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l’angoisse, leurs mécanismes de défense dont le clivage sont très sollicités et se concrétisent dans le passage à l’acte.
L’ambivalence ne peut être tolérée du fait de la contamination du bon objet qui doit
demeurer totalement bon, par le mauvais objet, symboliquement détruit par un acting
out auto et/ou hétéro-agressif qui vise à expulser, à détruire ce mauvais objet aliénant.
Selon C. Chabert la psychopathologie de la transitionnalité jouerait un rôle capital dans
la genèse de la psychopathologie des relations objectales chez les fonctionnements
limites.
L'enfant se développerait selon certains auteurs dont Golse [39], par l'alternance dans le
développement de noyaux d'identification primaire et de moments d'indifférenciation.
Le fait que le sein fasse appel à tous les sens dans un contexte relationnel et affectif,
contribuerait au processus de différenciation/individuation.
Les phénomènes transitionnels permettent par la tiercéisation et la genèse du signifiant
dont le prototype est incarné dans le fantasme fondamental, dans l’union originelle à
partir de laquelle l’individu va se différencier.
L'espace transitionnel décrit par D. W. Winnicott représente l’espace d’ 'investissement
du non-soi mais reste lié à celui-ci puisque il fera le terrain du développement ultérieur
en lien avec la culture, l'art et autres processus intellectuels. Il s’agit d’un travail de
séparation-individuation permettant la constitution des frontières de l’objet, du
non-moi et du moi. En son absence on assiste à l’interminable et à la mélancolie. Son
rôle a souvent été mentionné dans la psychopathologie du sujet borderline et des dé-
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faillances à son niveau expliqueraient en partie la clinique de ces sujets (C. Chabert, O.
Kernberg, Brusset). En pratique on s'aperçoit que de telles défaillances n'entraînent pas
nécessairement de troubles des voies de sublimation. Bien que cette question soit développée dans ce travail dans la partie concernant la créativité chez le sujet borderline,
on s'attachera à démontrer qu'en dehors d'artistes et d'intellectuels dont l'organisation
limite de la personnalité ne fait aucun doute (C. Baudelaire, Patrick Dewaere, Amy
Winehouse….), il peut y avoir des sujets de type limite ayant fait l'objet de défaillance à
ce niveau mais restant capables de sublimation et de créativité. On citera pour exemple
une patiente typiquement borderline, pouvant passer de périodes de polyaddiction
intense à des périodes d'abstinence totale pouvant durer de plusieurs mois à années,
capable d'être productive dans le domaine musical, la peinture ou encore la poésie.
Voici un extrait d'un de ses nombreux poèmes (une centaine au total) illustrant ces
propos :
Elle aimait tellement la vie, avant que les sons ne deviennent des bruits,
Que ses yeux par la lueur du jour éblouis ne voient clair plus que la nuit.
La nuit, son antre, lui nuit bien plus que l'ennui,
Qui seule la détruit et la pousse dans sa quête effrénée pour la vie,
Poussée par une avidité cannibale, mais l'envie
Ne peut être assouvie lorsque la satiété se trouve abolie.
Dans cette existence sans limite affadie par la répétition,
La fuite vers l'avant s'impose comme solution,
Trouvant son essor dans l'espoir désabusé mais déterminé,
De trouver la paix,
Laissant lascivement décanter
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Le chaos, rançon d'une ambivalence assumée,
Duquel émerge le sublime et ou macère la médiocrité.
La quête ultime, bien au-delà du plaisir
Est le sentiment plus élaboré,
De vivre l'instant décontenancé.
LA NUIT LUIT NUIT (auteure anonyme)
On retrouve dans ce poème des éléments typiques de la pathologie de type limite à
savoir un sentiment de vide et d’inconsistance, un rapport au temps biaisé, une quête
avide « au-delà du principe du plaisir » freudien, renvoyant à la problématique de
l'économie psychique du masochisme.
La patiente se réfugie dans le milieu de la nuit et dans les artifices parce que le jour la
renvoie trop à l’insoutenable principe de réalité.
Ce texte est empreint d'ambivalence, on retrouve un désir est un espoir désespéré de
tendre vers le bonheur, mais aussi une absence de limite à ce désir. Le plaisir est pour
elle un désir et un besoin satisfait dans la discontinuité. Elle cherche à « trouver la
paix » mais s'acharne paradoxalement à se détruire par l'abus de substances toxiques sur
lesquels elle déplace un besoin de dépendance absolue. Ce texte fut écrit après une
rupture sentimentale. La relation avec son ami était décrite comme très tourmentée,
avec de nombreuses crises clastiques, un vécu abandonnique intense des que celui-ci
s'éloignait d’elle est une violence physique les mettant tous deux en péril dans une
dynamique de répétition morbide.
On retrouve également la problématique de l'ennui dans cette « vie affadie par la répétition » et l'absence de satiété libidinale.
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La patiente décrit une relation fusionnelle à la mère et pas de troubles apparents dans la
transitionnalité primaire (sans qu'elle eut pour autant d'objet transitionnel tel que le
« doudou » ou une tétine après le sevrage) mais cette dépendance totale à la mère
semble avoir été déplacée dans un premier temps sur ses amis proches, qui après un
déménagement se serait alors déplacé sur le petit ami en question. Après la rupture est
tombée dans l'addiction aux drogues dures (cocaïne, amphétamines, héroïne) ce qui
semble valider la théorie de la contingence et de l'interchangeabilité de l'objet.
71
Pour O. Kernberg [45] ces aspects se retrouvent dans la faiblesse du moi se caractérisant par un manque de contrôle pulsionnel, de tolérance à l’angoisse, ainsi qu’un
trouble dans l’accès aux voies de sublimation rejoignant l’hypothèse d’un trouble de la
transitionnalité de C. Chabert [13].
Selon l’auteur, suite à la quantité et à la vitesse des introjections et projections, les
limites sujet-objet, intérieur-extérieur s’étiolent, l’identification projective y contribue,
en réintrojectant ce qui avait été auparavant projeté sur l’objet sur un mode persécutif.
Par conséquent ce moi étant mal intégré avec un surmoi sadique personnifié contribue à
son insécurité et fait que le moi présente des difficultés au niveau du contrôle pulsionnel.
L’objet chez le patient limite n’est pas comme chez le névrosé un objet externe mais un
objet interne, incorporé dans le moi du sujet.
La faiblesse du moi est souvent confondue avec une personnalité faible ce qui n'est en
rien le cas. Un individu peut apparaître avec une forte personnalité et présenter des
signes de faiblesse du moi [45] et réciproquement.
72
Dans la première topique, Freud distingue l'inconscient comme étant régi par des
processus primaires (répondant aux principes du plaisir dans la décharge pulsionnelle
qu'elle soit libidinale ou dans la pulsion de mort), du conscient soumis quant à lui à des
processus secondaires, plus élaborés.
Au départ Freud séparait le conscient et l'inconscient mais suite aux difficultés rencontrées dans certaines cures « qui ne finissent jamais » comme celle de l'homme aux
loups, et à des impasses psychopathologiques, il reconnut dans le fétichisme qu’il
considère comme une perversion, que le moi pouvait être clivé.
Cette remise en question comme à son habitude de ses propres théories implique que le
moi peut ainsi posséder différents compartiments qui coexistent au sein d'une même
structure psychique qualifiée par conséquent de compartimentée.
Les processus primaires et secondaires peuvent donc coexister de façon clivée,
c'est-à-dire sans interférer les uns avec les autres, se déployant selon le contexte, et
pouvant passer des uns aux autres très rapidement caractérisant ainsi l’instabilité psychoémotionnelle des sujets borderline.
Dans le moi peuvent coexister des compartiments de structure primaires mettant en jeu
des processus de pensée plus archaïques que les secondaires, par exemple le recours
fréquent à des mécanismes de défense plus archaïques que dans la névrose, à savoir le
recours au déni plus volontiers qu'au refoulement.
73
A. Green (1973) introduit une « clinique du vide » dès lors qu'il instaure le concept de
« psychose blanche ». Il crée arbitrairement cette entité avec l’apport de Jean-Luc
Donnet. Sous cette appellation, ils conçoivent avant tout « le noyau psychotique fondamental caractérisé par le blanc de la pensée, l'inhibition des fonctions de représentation, la triangulation où la différence des sexes qui séparent deux objets camoufle le
clivage d'un unique objet bon ou mauvais, le sujet étant sous le coup des effets combinés d'une présence intrusive persécutrice et de la dépression par perte d'objet ». Green
insiste sur des aspects paradoxaux des états limites qui découle des processus primaires
de pensée en particulier les mécanismes de défense archaïque tel le clivage, qui détermine au final un psychisme formé de : « noyaux isolés, relativement structurés, mais
sans communication entre eux » [40]. Il en résulte une cohésion défaillante, ainsi qu'une
impression globale de comportements contradictoires chez un moi décrit par l'auteur
comme étant « vulnérable, à la fois rigide et sans cohésion ». Au final, les arguments
psychopathologiques de Green viennent étayer l'hypothèse d’une structure psychodynamique (qu’il qualifie de métastable) borderline et de compartimentation psychique
chez les sujets borderline.
Il existerait selon Kernberg [45] au-delà des processus primaires et secondaires de
pensée, différents « niveaux » au sein de ces processus, des plus élémentaires aux plus
élaborés.
Selon C. Chabert [14], les processus primaires de pensée, répondant en partie au principe du plaisir hérité de Freud, seraient inhibés par les processus secondaires plus
élaborés dont certains font partie intégrante du surmoi, et permettant au moi de trouver
un compromis toujours au niveau des processus secondaires de pensée car pour
l’auteure: « seule l’inhibition venue du moi permet une pensée secondarisée ».
74
Il faut en effet que les processus primaires, soumis à l'intensité pulsionnelle dictée par le
principe du plaisir, soient en quelque sorte régulés par des processus secondaires afin
d’être élaborés mentalement.
Pour C. Chabert [13], le refoulement permet de conditionner « le développement des
processus secondaires ».
Lorsqu’il y a perte d’objet réelle ou symbolique il devient alors possible de régresser « jusqu’au narcissisme » [30] dans la mélancolie et le deuil, différente de la régression de type schizoïde avec désinvestissement défensif des objets.
Si l’on s’en réfère à l’économie Freudienne l’appauvrissement en libido d’objet devrait
se traduire par un accroissement en libido narcissique avec un retour de
l’investissement objectal sur le moi ou devrait-on dire dans le moi s’il s’agit d’un mode
plus régressif.
La régression narcissique a été qualifiée par Kohut [48] d’autoérotique en rapport à
l’aspect fragmenté de l’investissement libidinal primaire du soi corporo-psychique.
Pour Freud [28] l'objet est indispensable à la décharge de la pulsion afin de diminuer les
excitations source de frustration et d'agressivité, et d'atteindre la satisfaction libidinale
selon le principe du plaisir. Il est au centre de la confrontation entre principe de plaisir
et principe de réalité.
Les limites sujet-objet sont chez le borderline instables, pouvant aller jusqu'au transfert
psychotique [45] [56]. Lorsqu'il y a perte d'objet le sujet borderline perd une partie de
75
lui-même, de son identité ; il en va de même de sa survie avec des angoisses pouvant
atteindre l'intensité psychotique de déréalisation et de dépersonnalisation, le sentiment
panique de perdre le contrôle de soi, de devenir « fou ».
La perte d'objet est donc vécue comme un abandon, rejet qui réactive des problématiques anciennes du même ordre. L'agressivité envers cet objet est réintrojectée sous
forme de culpabilité, c'est la position dépressive décrite par Mélanie Klein qui permet
d’accéder aux processus de réparation.
Le sujet ayant perdu une partie de lui-même entre dans un vécu insecure et persécutif, il
ne peut donc que tout mettre en place pour récupérer l'objet et réparer ce qui a été brisé.
Le sujet borderline est incapable de faire le deuil de l'objet car il garde un lien fusionnel
à celui-ci. Les lacaniens y voient concernant la psychose ordinaire un indice de non
extraction de l’objet [58], les limites de soi et d'objet étant fragiles au point de se
confondre fréquemment lors des situations « de crise » ou de surcharge émotionnelle.
Le borderline ne peut faire le deuil car il a été rejeté, ce qui le renvoie à une image de soi
« totalement mauvaise » et tente de retrouver l'amour primaire [2], l’amour d’objet de
Freud, de l'Autre, miroir narcissique, afin de le renvoyer une image de lui « totalement
bonne » [41].
Au final, le sujet borderline n’a pas fait le deuil primitif de son soi grandiose archaïque,
de sa toute- puissance infantile. Mais derrière ces aspects mégalomaniaques se cache en
fait un narcissisme compartimenté avec une atteinte profonde de l'estime de soi.
La relation dyadique fusionnelle, défaillante et/ou inappropriée à la mère ferait « le lit
76
de toutes les addictions » selon J.P Lebrun [49].
Freud avait été l’un des premiers à s’intéresser aux conséquences psychiques chez le
sujet de la perte d’objet, mais décrivait déjà implicitement par certains aspects la relation d’objet notamment par ses références à l’identification ou encore à « l’ombre de
l’objet » [30] qui reste sur le sujet. En 1920 il introduit le modèle de la compulsion de
répétition. Ce modèle de l’agir dans une dynamique répétitive est conçu comme une
menace pour l’élaboration psychique.
Pour Bion les personnalités dépendantes sont dans un « effort » [8] pour s’interdire de
penser. L’élaboration psychique faisant défaut, l’activité mentale devient désagréable,
dépourvue d’autoérotisme mental et la fuite dans le passage à l’acte ou la superficialité
s’impose comme solution afin de lutter contre l’angoisse, la dépression, la confusion.
L’incapacité des patients limites à être dépendants de l’objet les conduit dans leur
relation d’objet à atteindre un degré de dépendance régressive absolue par leur manque
de pare-excitations lors des interactions primaires avec la mère et l’environnement. Le
rôle de pare-excitation normalement tenu par la mère concerne les capacités neutralisantes envers des excitations psychiques à l’impact potentiellement délétère pour la
structuration psychique (tels que l’angoisse, la frustration, l’agressivité)
L’avidité relationnelle de cette dépendance les pousse à rechercher de façon inconsciente une illusion de perfection du bien être absolu corrélé à « l’unité de base » [56],
l’état d’indifférenciation primaire, le narcissisme primaire décrit par Freud pour qui le
sujet ne pourra jamais se résoudre à renoncer à l’époque idéalisée où le moi « est son
propre idéal ». Le sujet est par conséquent dans la quête de cet état que Freud mettra en
lien avec l’abaissement des excitations tendant vers une absence d’excitation totale
77
dont le prototype est l’état anorganique dont le « souffle de vie » [33] sort le sujet qui
interagit alors avec l’environnement primaire. La recherche de « l’amour primaire » [2]
apparaît ainsi dans un continuum avec la recherche de l’inanition.
Le sujet borderline est poussé à désinvestir totalement par clivage l’objet anaclitique et
à déplacer ce lien sur d’autres objets. Ce mode relationnel peut aussi être évoqué en
termes d’insécurité du lien, tandis que le clivage secondaire au vécu persécutif exerce
une fonction défensive contre la crainte anticipatrice anxiogène d’être déçu, trahi,
rejeté, abandonné, en somme de perdre l’amour de l’objet.
Ce vécu persécutif ne représente donc que l’expression de la peur plus fondamentale
car d’ordre plus primitif de la perte d’objet.
Chez le sujet borderline, le seul fait de la séparation, de la rupture du lien à l’objet réel
est vécu comme un abandon profond avec un vécu psycho corporel d’arrachement, de
rupture du sentiment continu d’exister, rappelant jusqu’à l’autisme, au démantèlement
dans lequel surviennent des angoisses de dissolution, de morcellement psychotiques,
d’annihilation, touchant à la survie, au sentiment continu d’exister winnicottien.
L’identité primaire s’étaye sur des modèles relationnels primaires du sujet en interaction avec son environnement, la mère ou la personne qui donne les soins en chef de file
, puis le rôle du père vient trianguler la relation, participant activement à l’élaboration
par l’enfant de ses propres limites, des limites du soi, par rapport à celles du non-soi.
La rupture du lien est vécue comme persécutrice par le sujet borderline. L’Autre devient mauvais objet externe puis interne qu’il faut expulser, par la voie de la projection
qu’elle soit identificatoire ou dans l’acting out si l’élaboration mentale fait défaut.
Kernberg [45] évoque le retour fusionnel à l’objet primaire de l’unité mère-enfant chez
78
les patients limites par la régression réactionnelle voire défensive face à l’émergence de
rejetons pulsionnels agressifs issus de la frustration ou de l’angoisse provoquée par les
mauvais objets externes lors des processus de différenciation-individuation précoces.
Mettre quelque chose à l’intérieur, remplir le vide par du plaisir et du désir, selon une
régression jusqu’au ça et au stade sensorimoteur; mettre un bon objet dedans, afin de se
protéger contre les mauvais objets externes.
On citera pour exemple les compulsions alimentaires:
-On retrouve un sentiment de vide aspirant, une quête avec agressivité orale
régressive dans la voie autoérotique d’une satisfaction libidinale totale immédiate, la
satiété caractéristique du besoin qui, à la différence du désir, peut être temporairement
satisfait [28].
Il s’agit d’une lutte effrénée contre le sentiment de vide, de non existence, contre la
pulsion de mort ou de déliaison.
L’envie du sein est selon M. Klein [46] empreinte d’agressivité orale, l’incorporation
inéluctablement liée par nature à la destruction de l’objet, par analogie avec le modèle
de la digestion.
L’enfant acquérant progressivement la capacité de représentation de la mère en tant
qu’objet total, apprend à la reconnaître comme étant la même personne envers laquelle
il décharge son agressivité. C’est ainsi que l’enfant accède à l’ambivalence, à la culpabilité et à la dépression, qui seules conduisent à la capacité de réparation. Freud
avait déjà introduit l’idée que l’enfant éprouve de la culpabilité lorsqu’il perçoit ou se
79
représente la mère comme une personne entière.
Dans ce cas précis il semble au premier abord que les pulsions libidinales s’étayent,
comme sur les pulsions d’autoconservation (besoin alimentaire) [28]. La satisfaction
libidinale est recherchée mais ne peut être atteinte que parce qu’elle masquerait la
recherche physiologique de l’autoconservation, de la survie répondant au « sentiment
continu d’exister » winnicottien.
Mais la question se reposerait probablement si l’on considérait la lutte ultime « au-delà
du principe du plaisir » [33], pour l’abaissement des excitations, le « nirvana »
c’est-à-dire pour la satisfaction libidinale absolue originaire issue du narcissisme primaire dans lequel le « sujet est son propre idéal » selon Freud.
Edward Glover [36] critique ce terme et met en évidence le lien entre borderline et
addictions dans un schéma :
« J’ai représenté les addictions comme de réels états « borderline » en ce sens qu’ils ont
un pied dans les psychoses et l’autre dans les névroses. Ils ont leurs racines dans les
états paranoïdes, bien qu’occasionnellement un élément mélancolique domine le tableau. Néanmoins, ils sont suffisamment du côté névrotique du développement pour
préserver une relation à la réalité nettement adéquate si ce n’est l’importante exception
de la relation avec les drogues, derrière lesquelles repose le mécanisme paranoïde. »
En revanche, un sujet peut être amené suite à des troubles de l'humeur et ou à un contexte favorisant à devenir toxicomane. Les remaniements neurobiologiques qui s'effectuent alors peuvent amener un toxicomane à voir sa personnalité profondément
restructurée sur un mode d'organisation limite.
80
Méta-analyse du cas de la fonction–cigarette :
La cigarette est un bon objet pour parler de projection sur un objet et rappelle l'objet
transitionnel, qui permet de tolérer l’absence de l’objet fondamental. Ces projections
ont pour fonction d'aider le sujet à donner de la consistance à son self défaillant dans
des situations sociales même anodines telles que l'attente d'un bus ; au niveau symbolique, c'est la sphère orale qui est concernée, celle par laquelle est passée l'une des
satisfactions libidinales premières, la succion du sein. Il s'agit avec la cigarette de
remplir un vide, de lutter contre l'ennui qui aspire en aspirant puis en rejetant la fumée
dans une illusion de contrôle de la consommation et d’un plaisir dont la libido semble
plus attachée à la représentation qu’à la réalité phénoménologique.
La cigarette est un symbole de récompense qui permet de soutenir le signifiant et de
lutter contre l’angoisse de l’ennui et d’une temporalité aux limites non posées par le
sujet.
Il s'agit d'un objet qui stimule tous les sens : la vue, l'odorat, le toucher, le goût, et même
l’ouïe. On ne peut évoquer la comparaison avec le mantèlement /démantèlement des
sensations de Meltzer concernant au départ le sein. En effet l’afférence des différents
flux sensoriels provenant des cinq sens serait traitée par les centres intégrateurs de la
conscience, conférant au nourrisson ses premiers instants d'ébauche de formation du
moi.
La cigarette crée un climat psychique qui enveloppe le sujet. Celui-ci tient l’objet qui
soutient le sujet en retour. Elle lui permet au sujet de se « rassembler », de lutter contre
l’angoisse et la confusion qui en résulte.
La cigarette constitue un appui phallique qui donne au sujet un sentiment de consis-
81
tance et un pare-excitations dans les interactions sociales, une lutte contre la pulsion de
mort, contre les pulsions déliées de l'angoisse.
Dans l'ennui il y a perte d'auto érotisme mental le sujet ne se suffit plus à lui-même et a
constamment besoin de l'objet pour se divertir. Il n'a de sentiments d'exister que s'il est
pris en considération par celui-ci. La cigarette permet ainsi de lutter contre la solitude
en se substituant à cet Autre faisant défaut.
Freud s'interroge sur les différences entre les deux états psychoémotionnels que constituent le deuil et la mélancolie. Il formule l'hypothèse que la perte d'objet qui a lieu
dans le deuil concerne le moi dans le cadre de la mélancolie.
Il existe une culpabilité dans la mélancolie suite à des projections agressives que le sujet
a envers son environnement, avec des automutilations et une perte profondede l'estime
de soi.
L’estime de soi est profondément affectée chez les sujets borderline. L’idéal du moi
avec lequel le moi tente de fusionner n’est atteint que dans l’imaginaire puis invalidé
par l’épreuve de réalité. Ainsi un sujet borderline peut présenter une apparente confiance en soi et une hypertrophie du moi qui relève en fait de défenses maniaques contre
la dépression [6] qui sous-tend leur psychopathologie.
Le désir étant « désir de l’Autre » [51] selon Lacan, le sujet borderline n’a de cesse de
chercher le désir de l’Autre qui passe par la reconnaissance par cet Autre, objet de
projections du signifiant Maître.
Suite à la rapidité d’alternance des cycles de projections/introjections, les limites su-
82
jet-objet s’effacent et un sérieux trouble de l’identité en découle. Le sujet borderline
cherche à inscrire l’autre dans son désir, mais aussi à s’inscrire dans le désir de cet
autre, en miroir au sien propre. Cette reconnaissance peut se lire à deux niveaux :
-archaïque, en tant que reconnaissance de son existence, et de son identité.
-de sa souffrance, de ses désirs, de ses pensées et croyances, de la qualité de ces
dernières, source de gratification narcissique, et donc de satisfaction libidinale.
Si le besoin de reconnaissance ne peut être satisfait, le sujet borderline est envahi par un
sentiment de haine visant à protéger son estime de soi. Celle-ci étant secondairement
projetée vers l’extérieur et sur l’objet, dont la dépendance à celui-ci est insoutenable car
ambivalente. Le sentiment d’impuissance inhérent à la haine et à toute frustration
conduit le sujet à se défendre en attaquant l’objet, à le blesser afin de garder un lien à
celui-ci, et l’illusion de le contrôler. Le sujet borderline peut ainsi s’éloigner de l’objet,
le rejeter, pour lui faire vivre en miroir ce que lui-même vit afin d’induire le manque
chez l’autre, de « lui faire comprendre, lui montrer » sa propre souffrance. Montrer à
l’autre qu’il est important pour lui, le forcer à avoir besoin de lui. Il s’agit là d’une
stratégie de double contrainte d’amour et de haine.
Le terme d’ « introjection » a d’abord été employé par Sandor Ferenczi avant d’être
repris par Freud [28], tandis que Bion fut un des pionniers utilisant ce concept pour ses
théorisations concernant les interactions précoces de l’enfant avec son environnement
83
au cours de son développement psychomoteur.
L’introjection revient à s’attribuer une représentation mentale et/ou émotionnelle en
provenance du monde extérieur, tandis que la projection est l'expression d'une représentation mentale attribuée au monde extérieur.
La projection peut se concevoir en termes de décharge pulsionnelle nécessaire à
l'abaissement d'un niveau d'excitation générateur de frustration voire d’angoisse. Elle
précède et est concomitante au passage à l'acte.
Elle peut-être interprétative voire sensitive, on parle alors d'identification projective
lorsque le sujet se sent persécuté suite à la réintrojection de ses propres projections
issues de rejetons pulsionnels agressifs [45]. Ces derniers répondent à l’intolérance à la
frustration, et/ou à l’angoisse dans le cadre de la faiblesse du moi.
Mélanie Klein utilisera largement ces termes, introduisant le concept d’identification
projective, que l’on différencie des projections identificatoires. Freud décrit des mécanismes de défense correspondant trait pour trait à l’identification projective en 1915
mais qui ne sera nommée ainsi et introduite que par Mélanie Klein en 1946 : « le monde
extérieur se décompose pour le moi en une partie « plaisir » qu’il s’est appropriée, et un
reste qui lui est étranger. Le moi a extrait de lui-même une partie intégrante, qu’il jette
dans le monde extérieur et ressent comme hostile » [28].
Il attribue au monde extérieur le rôle originel de premier agresseur, à l’origine de la
pulsion de mort ou de déliaison.
Le clivage est étroitement lié à l’identification projective. C’est dans son cadre qu’il
intervient à titre de mécanisme de défense contre la persécution.
Dans l'identification projective le sujet projette des mauvaises images de soi et d'objet
84
introjectées suite à des processus identificatoires. La réintrojection de rejetons pulsionnels agressifs issus de ces représentations s’avère persécutrice pour le sujet qui
devient agressif à son tour.
Il s’agit d’un processus de clivage avec recours au passage à l'acte faute d'élaboration
d'une grande intolérance à la frustration. Celle-ci est source d'une souffrance psychique
pas encore mentalisable, et où prédominent un sentiment de rage impuissante et de
désorganisation angoissante et déstructurante pour le sujet.
Les projections identificatoires sont des représentations mentales attribuées à autrui en
miroir de celles du sujet, par identification. Un sujet borderline peut aussi avoir
l’impression de devenir ce qui est projeté sur lui suite au manque de « trait unaire » [58]
de son self suggestible.
Concept déjà utilisé par Freud où il évoque le clivage du moi dans le fétichisme ainsi
que l'existence « d’êtres de frontière » [25]. Il en parlait déjà dans le cadre de l'hystérie
[32].
Selon Wildlöcher [74], le clivage résulterait d’un déni de la réalité extérieure permettant à une fausse croyance de se maintenir.
En pratique, ce que l’on nomme « clivage », consiste à passer d’une représentation
mentale, en termes d’intentions, de désirs, de croyances et d’émotions, à une autre qui
lui est complètement opposée en réaction défensive/agressive.
Le concept de clivage (spaltung) est présent dès les premiers écrits de Freud. Il té-
85
moigne alors de la coupure radicale entre le conscient et l'inconscient. De ce fait, le
clivage n'a pris valeur de concept psychanalytique qu'avec le temps puisqu'au début il
est simplement emprunté à la psychiatrie où on le traduit par la dissociation.
La nouveauté du texte est de reprendre la notion de clivage à la lumière d'une pratique
psychanalytique se référant à la deuxième topique freudienne. Parlant de clivage du
moi, Freud ne parle plus d'une coupure entre deux systèmes mais à l'intérieur d'une
même instance, ouvrant la voie à de nombreux développements théoriques dont le
kleinisme qui utilisera systématiquement cette notion.
C'est en se basant sur la clinique des psychoses et des perversions que Freud en vient à
développer cette notion qu'il hésite à décrire comme un simple mécanisme de défense.
Le clivage du moi permet la co-existence en parallèle de deux attitudes tout à fait inconciliables sans que ces contradictions ne soient prises en compte.
Selon O. Kernberg [45] le clivage est le principal mécanisme de défense des sujets
borderline dont dépendraient tous les autres dont l’identification projective et le déni
(Kernberg, 1979). Les autres mécanismes de défense ne feraient que renforcer le clivage.
C. Chabert [14] parle d’ « économie dans le traitement pulsionnel » car selon l’auteure,
le clivage permettrait de maintenir une « étanchéité » entre les « mouvements positifs »
et les « négatifs ». Tandis que dans l’Oedipe amour et haine coexistent de façon ambivalente envers le même objet, le clivage amour pour l’un/ haine pour l’autre caractériserait selon elle les organisations oedipiennes des « fonctionnements limites de la
personnalité dans le cadre de sa théorie de la compartimentation psychique. Le clivage
permettrait enfin d’éviter l’ambivalence à laquelle le sujet borderline n’aurait accès que
86
dans la discontinuité et non pas dans une continuité signifiante, renvoyant au sentiment
continu d’exister de Winnicott.
Le fétichiste n'est pas psychotique et reconnaît sans mal que la femme n'a pas de pénis,
alors même que toute une autre partie de lui-même entretient la croyance en la présence
d'un pénis chez la femme.
Le sujet peut même avoir une critique adaptée de ses autres modes de fonctionnement,
de ses autres « compartiments », s’exprimant hors de ceux-ci à l’instant même où il en
parle.
Ainsi le sujet borderline peut sembler avoir un accès privilégié et objectif à ses représentations conscientes voire inconscientes et avoir des capacités introspectives (insight)
particulièrement développées, alors qu’il n’en est rien. L’hypnose repoussait selon
Freud les défenses encore plus loin, ce qui le poussa à arrêter la pratique de cette
technique. De même l’insight peut chez le sujet borderline être source de résistance à
l’analyse. Cela pourrait s’expliquer en partie par le fait que la gratification narcissique
qui en découle augmenterait les défenses narcissiques, comptant parmi les plus difficiles à surmonter car inhérentes à l’identité primaire du sujet, à la toute-puissance
infantile dont le deuil n’a pas ou insuffisamment été élaboré.
Dans la première topique, Freud établit une coupure radicale entre le conscient et
l'inconscient, à différencier du « morcellement psychique » de type psychotique dans
lequel une perte de cohérence intervient au sein de la structure psychique. Dans ce cas il
s'agit de dissociation psychotique.
87
Chez les sujets borderline, des états du moi différents peuvent coexister voire être
juxtaposés et le sujet peut être conscient d'être dans ces états, y compris au moment du
clivage. Mais il peut exister un déni provisoire des autres états du moi. Tout se passe
alors comme si le sujet borderline oubliait les dispositions psychiques qui le conduisent
à se représenter et ressentir le réel différemment selon qu'il se trouve dans tel ou tel état
du moi.
Le sujet borderline recherche comme tout un chacun mais de manière explicite, non
refoulée, cet état de bien être absolu, trouvant ses racines dans les premières expériences de satisfaction qu’il cherche à reproduire.
Or, suite à des fixations archaïques, et n’ayant pas passé certains stades du développement de manière appropriée, il ne peut accepter la réalité telle qu’elle est, qui le
frustre, l’aliène, et le pousse à projeter sa haine dans le passage à l’acte.
Il passe donc d’un extrême à l’autre comme par nécessité compulsive, s’imposant à lui
mais dont il semble détenir une pseudo-illusion de contrôle par le biais du sentiment de
toute-puissance persistant.
Le refoulement ferait partie des mécanismes de défense de niveau supérieur tandis que
le déni, des mécanismes de défense de niveau inférieur [45]. Dans le refoulement, le
matériel chassé hors du champ de la conscience reste dans l’inconscient et demeure
accessible potentiellement à la conscience si le sujet est capable de vaincre les résistances qui s’y opposent. Dans le refoulement, l’accès au contenu inconscient reste
possible par le biais du travail analytique, tandis que dans le déni le matériel psycho-émotionnel est totalement évacué hors du moi. Concernant le déni, ces représen88
tations sont expulsées de la conscience avant même d’avoir pu y pénétrer tandis que
dans le refoulement celles-ci peuvent devenir secondairement conscientes, constituant
un outil psychothérapeutique majeur dans le cadre de la psychanalyse freudienne. En
effet, la représentation refoulée devenue consciente devrait selon cette théorie conduire
à la disparition du symptôme.
Le déni apparaît relatif pour J. André [1] qui pense que le sujet borderline reste conscient qu’à d’autres moments il peut avoir des états d’âme différents voire opposés.
O. Kernberg [45] considère le déni comme un ensemble de mécanismes de défense
qu’il situe à différents « échelons » selon leur degré de structuration fonction du développement psychique. Le déni caractéristique des organisations limites de la personnalité se situerait à l’échelon le plus bas, autrement dit le plus primitif. Il mentionne
le « déni réciproque » au cours duquel le patient peut avoir un vécu psychoaffectif
diamétralement opposé à celui qu’il a eu (amour/haine, idéalisation/castration…). Le
déni renforce alors le clivage tout en étant issu de processus de clivage. A un moment
donné de son existence, le sujet est capable de se souvenir et d’admettre avoir eu des
affects et représentations opposés, mais le déni des émotions opposées reste possible
afin de protéger le moi comme il en va du déni maniaque comme défense anti-dépressive.
A un « échelon » supérieur se trouve la négation. Le patient déclare savoir ce qu’une
personne pourrait penser mais reste dans une forme de déni plus élaborée proche du
refoulement.
89
Le sujet borderline a tendance à idéaliser l’Autre-objet, car en tant que miroir narcissique celui-ci doit refléter son alter ego, les images de soi et d’objet « totalement
bonnes » [45]. L’idéalisation des relations d’objet internalisées se situe au cœur de la
psychopathologie borderline. Si le sujet est déçu par l’objet, celui-ci devient alors
persécuteur par identification projective, poussant le sujet à l’expulser hors de lui en
tant que représentant des mauvais objets internes et mauvaises relations d’objet internalisées. Dans l’acting out on observe une destruction compulsive s’inscrivant dans une
dynamique de répétition visant dans un mouvement de double contrainte à rompre
tout lien à l’objet anaclitique afin de l’assujettir et de le conserver paradoxalement, à
tout prix. Il met ainsi l’objet de telles projections sous emprise afin de l’asservir et
cherche à le contrôler totalement, à le posséder, dans tous les cas à l’incorporer dans son
propre désir, et être l’unique objet du sien. Il ne tient alors pas compte des représentations et du désir de l’Autre en tant qu’individu à part entière, témoignant ainsi de
troubles de l’identité et de l’empathie.
L’objet totalement bon, idéalisé et protecteur se retrouve lui-même l’enjeu d’une tentative de protection contre les mauvais objets internes et externes, mais finit cependant
toujours tôt ou tard, d’une façon ou d’une autre, par décevoir, devenant lui-même le
mauvais objet persécuteur par identification projective.
Le sujet borderline cherche à tester la solidité du lien, voire à le renforcer inconsciemment en le mettant paradoxalement à l’épreuve. En assujettissant l’autre et en le
faisant souffrir il cherche à le dominer afin de satisfaire son soi grandiose archaïque
tout-puissant. C’est la perversion narcissique source de gratification et donc de satis90
faction libidinale selon le principe du plaisir. Etre aimé par l’objet ne lui suffit pas, il
veut être adoré, idéalisé et exige l’exclusivité. Cette idéalisation se fait en miroir de sa
propre idéalisation, l’idéal du moi ayant fusionné avec le moi.
Le sujet borderline veut imposer à l’autre-objet cette représentation idéalisée de soi un
peu à la manière d’un tableau. Si l’objet le conçoit différemment de cette représentation
idéalisée il devient alors persécuteur par identification projective pour le sujet borderline qui se défend par clivage en le dévalorisant de façon despotique. Le mauvais objet
doit être détruit symboliquement car il menace l’édifice narcissique garant de la cohésion du moi. L’objet est lui-même garant du narcissisme du sujet en servant de spectateur faute de consistance du moi du sujet borderline qui pour se sentir exister a besoin
de projeter « à l’extérieur », dans le réel des représentations et affects illusoires car
idéalisés.
Selon O. Kernberg [45], ces mécanismes de défense sont intriqués avec le clivage et
l’identification projective. L’objet idéalisé constitue une projection narcissique omnipotente du sujet lui permettant de se protéger contre les mauvais objets persécuteurs. Là
encore, les frontières entre soi et objet sont mal délimitées, le sujet se projetant sur
l’objet, l’amenant à une dépendance et une quête fantasmatique d’un objet « magique », idéalisé, ainsi qu’à des conduites psychorigides visant à un contrôle absolu
illusoire de l’objet et de toute-puissance. Mais la dépendance n’est pas réelle car le lien
à l’objet est dépourvu d’amour authentique impliquant la reconnaissance et
l’acceptation, dans son ambivalence, de l’objet réel. Selon J. André [1] les patients
borderline ont une incapacité à être dépendants de qui ou quoi que ce soit. Ceci car les
frontières l'objet et eux sont flouttées de par la rapidité de l'alternance entre des mouvements projectifs et introjectifs [45].
91
Ces défenses peuvent être de type histrionique, elles sont alors caractérisées par une
exaltation de l'humeur avec emphase, un maniérisme avec théâtralisme. Le sujet est
dans la représentation du « soi grandiose archaïque » [48] reconstitué et l’on se trouve
ici à la frontière des idées délirantes.
Elles peuvent être par ailleurs de type passif-dépendant, le sujet luttant contre un chaos
intérieur et des angoisses générées au sein d’un self carencé, insuffisamment intégré,
incapable d’assumer de quelconques responsabilités. Ainsi le sujet régresse jusqu'à
l'état de totale dépendance et de bien-être absolu de l'unité de base [56], de l'état de
fusion primaire. Il existe ici un problème de deuil de l’état de bien être absolu du narcissisme primaire, celui-ci étant source de renforcement libidinal et narcissique permettant un développement psychomoteur approprié.
L’anxiété peut apparaître comme un mécanisme de défense névrotique contre la dépression qui sous-tend la psychopathologie borderline selon Bergeret [4].
Le trouble de la personnalité borderline est reconnu comme entité nosographique par
le DSM-IV (axe 2) et la CIM 10.
92
Selon le DSM-IV TR le trouble de personnalité limite est principalement caractérisé
par :

la peur du rejet et de l’abandon.

l’instabilité de l’humeur.

la difficulté à contrôler les pulsions, les actions, les actes ou les réactions impulsives souvent néfastes.

les relations interpersonnelles instables.

une difficulté avec l’intimité.

une dissociation et une méfiance importante en présence de stress.
La CIM10 reconnaît un trouble de la personnalité émotionnellement labile divisée en
type borderline et en type impulsif.
Voici les critères simplifiés des troubles de personnalité émotionnellement instable et
borderline
CIM-10
Trouble de personnalité émotionnellement instable
Type borderline :
-perturbation et incertitude concernant sa propre image
-relations intenses et instables
-efforts pour éviter l'abandon
-menaces ou tentatives récurrentes de gestes auto-agressifs
-sentiment permanent de vide
93
Type impulsif :
-impulsivité
-tendance aux éclats de colère et à la violence
-humeur instable et capricieuse
-comportement querelleur
-difficultés à poursuivre une action
On s'aperçoit néanmoins que de nombreuses caractéristiques du type impulsif de la
classification CIM 10 correspondent aux critères DSMIV-R du trouble de la personnalité borderline.
Par ailleurs les patients peuvent présenter des signes précédemment cités en des proportions ou associations variables, sans pour autant être un patient état limite.
O. Kernberg [45] évoque les manifestations cliniques de l’Organisation Limite de la
Personnalité comme ci-dessous :
-graves difficultés dans les relations humaines avec préservation de l’épreuve
de réalité (en dehors d’épisodes psychotiques intercurrents).
-traits de personnalité contradictoires.
-coexistence chaotique de défenses contre des « contenus du ça » primitifs.
-pseudoinsight sans sollicitude ni conscience de la nature conflictuelle de ce
matériel et manque d’empathie.
-absence d’identité nette.
-dissociation d’états contradictoires du moi.
-manifestations non spécifiques de la faiblesse du moi.
94
On peut voir un retrait schizoïde comme décrit par Fairbairn [20]. Mais la froideur de
contact peut en fait traduire une défense quant à l’idéalisation primitive de l’objet et à
son assujettissement à celui-ci, et au besoin de fusion à qui en résulte. Ce peut être un
moyen de défense contre les attaques potentielles de l’objet. Tenir à distance l’objet
peut s’interpréter comme un moyen de tenir à distance un objet externe idéalisé auquel
le moi s’identifie. Car s’il s’avérait défaillant, le moi se trouverait alors menacé de
destruction.
On rencontre ainsi fréquemment des patients borderline contenant plus ou moins une
méfiance sous tendue par un vécu persécutif a minima, pouvant aller de la simple
préoccupation ou crainte du jugement de l’autre à des tendances interprétatives marquées. Celles-ci sont exacerbées selon les périodes, mais aussi par la crainte anticipatrice in- ou préconsciente de l’angoisse de perte du lien ou de dépendance à l’autre, et à
fortiori au thérapeute, sur lequel sont souvent projetées des représentations fantasmatiques du « sauveur ». Il y a alors impossibilité de renoncer de la pensée magique (le
trouvé-crée) à l’origine d’un non investissement de principe de l’objet par peur de la
dépendance ou de la déception, de la trahison, ou du rejet.
L’angoisse de perte d’objet d’origine archaïque révèle ainsi un fonctionnement significatif en processus primaires. Mais il est possible de retrouver ce type de fonctionnement chez des individus non borderline, la question étant de savoir quelle dimension
et quelle intensité occupe ces processus chez le patient en rapport avec les processus
psychiques plus élaborés (refoulement), et s’ils sont présents en permanence ou s’ils
apparaissent dans le cadre d’une régression réactionnelle à un facteur de stress ou à une
angoisse importante. D’où l’intérêt de prévoir des consultations d’une longueur et
95
d’une fréquence adaptées, permettant une meilleure observation clinique.
On observe le plus souvent une hyperesthésie des contacts pouvant conduire à un retrait
schizoïde défensif source d'anxiété désorganisatrice menaçant jusqu'à « l'identité » et la
« survie » [56] de l’être, et source potentielle d'attaques de panique. Tout se passe
parfois comme s'il n'y avait pas de pare excitations chez ces patients avec une hyperréactivité interpersonnelle et un discours souvent cru voire impudique.
De la bizarrerie schizoïde à l’hyper-syntonie, on retrouve toute la clinique d’un continuum psychopathologique. Ce qui se traduit par une hyper-adaptabilité sociale de
surface laissant latent un sérieux trouble de l’empathie et de la relation interpersonnelle.
Cette aisance apparente dans les relations sociales serait d'ordre défensif. Le sujet
borderline se met en mode « représentation/ exhibition » afin de masquer un malaise
relationnel intense.
Cet appui narcissique sur les représentations d'autrui corrobore la constitution d'une
faille narcissique toujours présente chez le patient borderline. Si cet appui rempli ses
fonctions phalliques, le sujet borderline voit son énergie psychique chargée d'auto
érotisme mental rendant possible des actions pragmatiques.
Le sujet peut même s'avérer efficace quasi proportionnellement aux gratifications
fournies par les bonnes représentations de soi par autrui. Il peut se sentir comme dans la
manie, exalté, capable de tout.
A l'inverse, si la représentation de soi par autrui renvoie au sujet des représentations de
soi et d'objet (s) totalement mauvaise (s), une telle représentation devient alors écrasante, inhibitrice, castratrice, et persécutrice pour le sujet qui se trouve alors découragé
96
et dévalorisé, et a tendance à se déprimer.
Présentation ou devrait-on dire « représentation », car le sujet borderline a besoin d'un
public, d’un auditoire afin d’exhiber les reliquats de son soi grandiose archaïque [48]
réactivé dans la relation à l'autre. Le thérapeute devient spectateur et doit être source de
gratification narcissique pour ce compartiment hypertrophié du moi ou bien incarner un
surmoi non sadique personnifié se substituant de manière auxiliaire à son surmoi sadique personnifié [45], permettant d’accéder à la culpabilité d’une position dépressive
et à la sollicitude, qui sont les conditions nécessaires au travail de réparation. C'est
pourquoi le patient borderline peut être dans la répétition morbide d’expériences négatives, dans la double contrainte de réparer des traumatismes anciens impliqués dans
la genèse de leurs troubles en détruisant d’abord les mauvais objets internes par économie masochiste inconsciente [31].
Le sujet borderline se retrouve parfois tellement démuni dans sa quête de l'objet qu’il
utiliserait tout ce qui est à sa portée afin de soulager ce sentiment insupportable de
solitude et d'abandon. Le chantage affectif en fait partie. Celui-ci peut être un chantage
au suicide. Souvent le passage à l'acte n'est pas objectivement envisagé et lorsqu'il l’est
c’est souvent à visée démonstrative. Combien de patients borderline ont pu clairement
énoncer après un passage à l'acte auto agressif ou de tentative d’autolyse, qu'ils l'avaient
fait « pour montrer » à une personne de leur entourage leur souffrance et leur détresse
devenues insupportables. Ils le disent souvent, il s'agit d'un « appel au secours » plus
que d'une réelle volonté de mort. On retrouve une telle ambivalence chez les toxico-
97
manes, qui décrivent dans leur prise de substances psychoactives une recherche liminaire entre extase et annihilation, entre principe du plaisir et pulsion de mort.
L’hypertrophie du moi est le dénominateur commun aux personnalités narcissiques,
paranoïaques « de combat » (versus sensitives), hypomanes, et aux troubles de l'humeur. Cet état peut également être pharmaco-induit, des sujets sous l'influence de
substances psycho actives pouvant développer les mêmes symptômes sans relever pour
autant d’une organisation limite de la personnalité.
Dans les deux cas, au sein du moi le conflit entre ça et surmoi a fait du moi le vainqueur
sur le surmoi sadique, et le moi peux ainsi exprimer sa toute-puissance au final régressive et défensive.
Il pourrait s’agir de défenses anti-dépressives, anti-effondrement narcissique et existentiel relatives au postulat primaire de l’identité et de la survie d’une « existence allant
de soi » selon l’expression de Winnicott.
C’est ainsi que des patients peuvent se présenter sur le versant hypomane et/ ou mégalomaniaque alors que sur un autre versant clivé dans le cadre d’une compartimentation psychique, ils apparaissent sur un versant mélancolique avec une forte dévalorisation narcissique, une culpabilité plus ou moins refoulée, un sentiment d’indignité,
d’incurabilité, des idées noires, sans toutefois entretenir un raisonnement délirant bien
que celui-ci se situe à la limité du vécu paranoïde et de l’interprétation délirante.
L'humeur des patients borderline couvre un large champ allant d'une simple hyperréactivité interpersonnelle à un état d’exaltation de l'humeur de type maniaque, de la
98
psychasthénie à la mélancolie, en passant par le « laisser tomber du corps » [58] et la
dysthymie. Ils s'ennuient rapidement en l'absence de psycho stimulation.
On peut donc les voir passer rapidement d'un état d'exaltation s'ils sont stimulés à un
état de psychasthénie voire d'état crépusculaire avec « laisser tomber du corps » s'ils
sont livrés à eux-mêmes.
Les patients états limites ont la particularité de voir les éléments constituant leur humeur étroitement enchevêtrés et liés aux éléments intrinsèques à leurs traits de personnalité.
Ainsi la labilité émotionnelle est-elle un trait de personnalité ou un trouble de
l’humeur ?
La théorie de la relation objectale reste libre de ce type de questionnement puisqu'elle considère que le plus important n'est pas de rattacher systématiquement
un patient à une entité nosographique ou à une structure névrotique, psychotique,
ou perverse, mais de le traiter selon des spécificités de son mode de fonctionnement relationnel à l'objet, en association à un traitement symptomatologique non
spécifique.
Contrairement au trouble bipolaire typique dans lequel les fluctuations thymiques
peuvent apparaître en dehors de tout contexte manifeste déclencheur, le sujet borderline
conserve une humeur particulièrement réactionnelle aux événements de vie et au contexte en général.
On a longtemps utilisé et certains professionnels continuent à le faire, les termes de
dépression « endogène » que l’on opposait à la dépression dite « exogène ». Aujourd'hui ces dénominations apparaissent désuètes suite à l’avancée des recherche en
neurosciences ayant permis de mettre en évidence un continuum entre la schizophrénie
99
et la bipolarité, sur le plan neurobiologique comme sur le plan clinique [70].
L’évaluation de l’humeur reste prioritaire quel que soit le type de sujet présentant une
organisation limite de la personnalité de type borderline, car elle peut impliquer
l’emploi de traitements médicamenteux spécifiques ayant fait la preuve de leur efficacité. Entreprendre une psychothérapie de première intention poserait donc un sérieux
problème éthique suite à la perte de chance d'amélioration clinique.
De la réactivité interpersonnelle à la manie on constate tout un continuum d'états
d'exaltation de l'humeur. De même on peut observer des fléchissements thymiques plus
ou moins profonds, très variables dans le temps et selon le contexte, allant de la dépressivité ou de la dysthymie à un état dépressif majeur voire à la mélancolie.
Il reste difficile de séparer ce qui a trait à la personnalité d'un trouble de l'humeur.
Un patient borderline peut présenter un trouble de l’humeur caractérisée. Ces deux
aspects diagnostiques ne sont pas exclusifs.
Terme employé par Salomon Resnik [65] et F. Richard [66] Tandis que Freud [30]
nommait « névroses narcissiques » la mélancolie et la schizophrénie. Celle-ci est centrée sur la perte d’estime de soi et donc sur la perte d’objet. Dans la mélancolie, la perte
concerne le moi un objet externe auquel le moi s’identifie.
Dans la dépression narcissique le sujet voit son idéal du moi confronté au principe de
réalité et dans le cas des personnalités narcissiques pour lesquelles le moi se fond avec
100
l’idéal du moi, la cohésion du moi voire ses fondements même se trouvent menacés par
le risque de déstructurer le sujet.
Vignette clinique 1:
Un patient dont l’anamnèse évoquait une personnalité psychorigide avec des traits
narcissiques et obsessionnels fut un jour confronté à une situation professionnelle
fortement dévalorisante de régression hiérarchique qu’on lui imposa, faute de ne
parvenir à assumer ses responsabilités. Sa famille le décrivait comme quelque un de
dynamique, toujours actif, stimulant les autres, et n’ayant jamais présenté auparavant
de symptôme dépressif.
Il présentait des traits d’allure obsessionnelle, était très organisé, planifiant toujours
tout à l’avance, sans trouble obsessionnel compulsif caractérisé. Lors du premier
entretien le contact apparaissait « bizarre » et désaffecté, avec une absence de tristesse
et d’angoisse évoquant davantage une athymhormie psychotique qu’une apathie ou une
anesthésie affective d’ordre dépressif ou névrotique. Son contact avec la réalité était
altéré, faisant penser à un état psychotique voire pré-psychotique en cours de décompensation.
Il décrivit un épisode bizarre et ambivalent dans lequel il dit avoir essayé d’étrangler
sa fille âgée de 13 ans, mais sans réelle violence physique, disant que c’était un jeu. Il
expliquait son geste par le fait qu’il voulait l’empêcher de vivre les conséquences
dramatiques de sa ruine et qu’il n’y avait pas d’autre solution. Cela faisait deux semaines qu’il restait figé sur le canapé sans rien faire, alors qu’il avait coutume de ne
jamais rester inactif. Son épouse avait affirmé que la situation financière était difficile
101
mais pas si désespérée que ce qu’il laissait entendre, ce qu’avait confirmé l’assistante
sociale du service.
La première hypothèse diagnostique fut celle d’une dépression mélancolique délirante
(idées de ruine) mais l’aspect théâtral de la tentative de strangulation avec la chaussette faisait évoquer des troubles conversifs de type crépusculaire avec symptômes
dissociatifs atypiques (bizarrerie, émoussement affectif, ambivalence, perplexité tantôt
désaffectée, tantôt anxieuse). A noter cette étrange singularité d’allure psychotique
qu’il avait de se gratter à sang un point d’un diamètre de 1 cm environ situé en regard
de la fourchette sternale et qu’il s’était brûlé au niveau du bras avec une cigarette alors
qu’il n’avait à priori aucun antécédent d’automutilation.
Interprétation : ce patient faisait évoquer des remaniements structurels et/ou fonctionnels à partir d’une personnalité de type narcissique et obsessionnelle, avec un
fonctionnement jusqu’alors en faux self dans le sens où la représentation du moi avait
fusionné avec celle de l’idéal du moi, le principe du plaisir en termes de libido narcissique prévalant sur le principe de réalité.
La réalité brisant cette représentation idéalisée de soi génère ainsi un clivage entre le
moi et l’idéal du moi, à l’origine des phénomènes dissociatifs observés, dont le vécu de
dépersonnalisation et de déréalisation du sujet, critiqué par celui-ci après la résolution
de l’épisode. Il évolua favorablement sous cyamémazine et lorazépam. Le cyamémazine étant bien toléré à des doses considérables (50 mg 3 fois par jour) paraissait argumenter en faveur de l’implication de processus psychotiques, mais les éléments
dissociatifs disparurent rapidement en 2 ou 3 jours si bien que le médecin qui le vit par
102
la suite pour la première fois enleva le cyamémazine et considéra qu’il s’agissait d’un
patient purement névrosé et déprimé.
La pauvreté dans l’élaboration et dans l’expression émotionnelle y compris après
l’amélioration clinique me paraissait cependant questionnante. Son discours apparaissait souvent plaqué, et son intégration dans le service très bonne après une période de
retrait avec repli sur soi pendant plus de deux semaines.
Son mode de fonctionnement très organisé et rigide allait aussi en faveur d’un manque
de self supplée par le collage d’un moi insuffisant à un idéal du moi comblant le vide
(d’autres patients tels que les personnalités as if décrites par H. Deutsch suppléaient à
ce manque de self par le recours à de multiples pôles d’identification adhésive.)
Lacan avançait par ailleurs que l’absence de ressenti des affects, en lien avec des carences imaginaires ne permettant pas de perlaborer le fantasme originel, peut signer
l’existence d’une structure psychotique.
Ce cas étaye la théorie de la compartimentation psychique ainsi que le point de vue de
Kernberg concernant le rattachement des personnalités narcissiques aux organisations
limites de la Personnalité, dans le sens où ces sujets peuvent présenter à la fois des
symptômes névrotiques et des symptômes psychotiques.
La dysthymie se retrouve dans la classification nosologique du CIM10 et DSM-IV-R au
rang des troubles de l’humeur mais en pratique, on la trouve souvent assimilée à un
trouble névrotique de la personnalité.
103
Psychasthénie, athymhormie, syndrome amotivationnel, autant de termes qui dans le
fond se rejoignent sémantiquement et phénoménologiquement car traduisant tous une
perte de vitalité ou d’élan vital. Le terme d’athymhormie est davantage utilisé pour
caractériser la perte d’élan vital liée à la structure psychotique, dont la part neurophysiologique et neurocognitive a essentiellement été mise en avant, contrairement à la
psychasthénie ayant fait l’objet de théories psychodynamiques d’ordre psychanalytique. Sont-elles de nature différente ou juste une question de terminologie au service
de la nosographie?
La perte de vitalité, d’investissement de l’existence ou psychasthénie, se différencie de
l’athymie dépressive (perte de motivation) et de l’athymhormie psychotique.
Dans la psychasthénie le sujet reste en principe stimulable, esclave de son environnement, ayant fait défaut à la base.
La psychasthénie voire un syndrome dépressif en lien avec cette dernière si elle
s’enkyste, souvent en réaction au contexte, n’exclut pas une autre caractéristique fréquente de ces patients à savoir un déploiement inexorable d’énergie psychique dont les
ressources paraissent inépuisables, alimentées par une hyperréactivité interpersonnelle
et donc par la relation à l’autre.
Cette énergie déployée peut ensuite demeurer dans la relation d’objet internalisée, dans
la vie fantasmatique du sujet avec ses objets internes, mais elle peut également brusquement laisser place à une dévitalisation massive si le sujet ne se sent plus dans la
relation au bon objet, interne ou externe et qui lui insuffle « le souffle de vie » [33]. La
difficulté de ces patients réside non pas dans l’internalisation de leur relation d’objet
mais dans la capacité à maintenir celle-ci de façon secure, c’est-à-dire stable et solide,
104
non menacée à chaque instant de destruction, ce qui entraînerait dans son sillage le sujet
lui-même, qui, par défaillance du self, s’identifie de manière adhésive à cette relation
d’objet internalisée.
Dans la psychasthénie, le courant libidinal ou « autoérotisme mental » [42] inhérent au
fonctionnement psychique et à la créativité se trouve interrompu.
La douleur morale quant à elle n’exclue pas nécessairement la créativité comme le
démontrent clairement certains artistes, qui par leurs capacités de sublimation et
d’élaboration symbolique peuvent tirer de leur douleur une énergie créatrice qui entretient l’autoérotisme mental, dans une logique d’économie masochiste selon le principe du plaisir.
C’est en effet la relation à l’autre et la quête insatiable de cet autre qui nourrissent son
élan vital.
Le syndrome amotivationnel apparaît plus dépendant du contexte chez le patient borderline qui reste réactif aux circonstances par opposition à un patient schizophrène de
type déficitaire, hébéphrène.
Il en va de même pour l’humeur, la labilité émotionnelle étant particulièrement dépendante du contexte, elle apparaît à ce titre de nature moins « endogène » (c’est-à-dire
causée essentiellement par des désordres neurobiologiques en comparaison à la causalité psychique) que chez les patients atteints de bipolarité, par exemple une manie ou
mélancolie délirante au tout état de l’humeur semblant échapper au contexte ou s’être
autonomisé.
105
Vignette clinique 2 (analyse clinique structurelle psychodynamique de la relation
d’objet.) :
Une patiente présentant un trouble de la personnalité de type limite disait qu’elle ne se
sentait comprise par personne parce que les gens la voyaient toujours vivante et l’air
heureux, mais qu’en fait elle tirait de sa relation à l’autre son « énergie » et que cela
pouvait la rendre excitée voire euphorique dès qu’elle était en relation avec quelque
un. Parler dans ces moments-là lui procurait beaucoup de plaisir, elle se sentait créative et pouvait avoir un humour que je retrouvais authentiquement subtil en entretien.
Son « soi grandiose » [48] et ses tendances exhibitionnistes qui constituent pour ces
dernières des défenses hystériques donc de type névrotique, étaient alors réactivées.
Capter l’attention des autres et sentir leur intérêt voire leur admiration la faisait se
sentir exister, avoir de la valeur. Dans son discours on notait des idées mégalomaniaques, de fortes tendances interprétatives et imaginatives parfois quasi délirantes,
une hypersexualité, une séduction avec érotisation des relations sociales. Cela contribuait, à priori, à alimenter ses idées de grandeur et à la recharger en libido narcissique, paraissant à première vue aller à l’encontre du point de vue économique et
dynamique de la théorie freudienne selon laquelle libido d’objet et libido narcissique
sont liées à la manière de vases communicants, si l’une s’enrichie l’autre s’appauvrit et
réciproquement.
En apparence chez cette patiente la libido d’objet semble accroître sa libido narcissique mais en fait dès le départ, dès l’investissement d’objet, les projections personnelles d’ordre narcissique, celles par exemple de l’idéal du moi projeté sur l’objet
d’amour, sont tellement importantes, qu’il s’agit en fait d’un objet investi de libido
narcissique plus que de libido d’objet, l’objet est en fait un moyen de satisfaction
106
narcissique plus primitif car plus avide et donc moins inhibé par le surmoi héritier de
l’Œdipe.
Mais à mieux y regarder la façon dont la patiente se comportait avec ses objets externes s’inscrivait dans une adhésion quasi-totale à ceux-ci. Elle allait toujours vers la
fusion, s’identifiait très facilement et disait d’ailleurs avoir l’impression d’avoir plusieurs personnalités selon les situations ou périodes de sa vie. On rapproche ce cas des
personnalités as if décrites par Hélène Deutsch ou encore des personnalités diffuses
d’Erikson ou de Kernberg, liées à un manque de self ou à un faux self. La relation
d’objet était duelle ou fusionnelle, à la différence de ce que j’avais pu observer chez
une deuxième patiente typiquement névrosée ayant elle aussi des tendances exhibitionnistes et qui, d’un point de vue purement descriptif présentait la quasi-totalité des
symptômes présentés par l’autre patiente, mais chez qui, à l’opposé, la relation d’objet
était de type duelle, parfois osmotique mais non fusionnelle. Etre au centre de
l’attention « des autres » lui procurait en général plus de plaisir et d’excitation qu’une
seule personne (sauf me dit- elle lorsqu’il s’agit de l’homme qu’elle souhaite séduire)
et que dans tous les cas cette personne était représentée dans son esprit comme un
public, un auditoire et qu’elle souhaitait que « les gens », l’objet a, soient jaloux d’elle,
et que l’objet d’Amour, l’objet A « l’envie ».
Mais ce dernier terme parut plus approprié concernant la première patiente qui était
dans une relation plus directe, plus avide, plus cannibalique, voulant avant tout être
aimée, adorée donc avec plus de libido narcissique que de libido d’objet.
La deuxième était en effet dans une hypersexualité sans qu’elle n’ait probablement
jamais vraiment eu accès à la jouissance physique puisqu’elle répondit « je crois »
107
lorsqu’on en vint à la question de l’orgasme. Elle parlait crument disant pouvant ne
faire parfois qu’une fellation sans chercher à être personnellement satisfaite et que son
« plaisir » était « celui de l’autre ». Il s’agit davantage ici d’une satisfaction orale
d’origine archaïque préoedipienne que génitale héritée de l’oedipe. Ce qui me fit y voir
chez elle une avidité orale importante probablement prédominante. Je remettais alors
en question le diagnostic structurel de névrose hystérique s’il y avait en effet plus de
prégénital que de génital, mais je m’aperçus au fur et à mesure des entretiens que la
présence d’éléments génitaux ou prégénitaux pouvait varier selon les moments d’une
même journée ou sur plusieurs jours voire semaines.
D’où l’intérêt d’une évaluation répétée et étendue de la symptomatologie et surtout des
aspects psycho dynamiques de la relation d’objet pour le diagnostic de trouble limite de
la personnalité.
Une telle instabilité chez la seconde patiente m’incita donc à penser davantage à une
organisation limite de la personnalité, diagnostic pouvant être biaisé par le fait que la
patiente s’alcoolisait régulièrement depuis des années mais sans aucun signe
d’éthylisme chronique et pouvait arrêter parfois pendant des mois (tout comme la
cigarette), en période de régime notamment, qu’ elle disait suivre en partie pour
l’obliger à limiter sa consommation d’alcool dans une logique de stratégie adaptative.
La première patiente disait que les autres ne pouvaient pas concevoir la détresse dans
laquelle elle se trouvait, puisqu’en leur présence ses défenses hystériques étaient au
premier plan, et que lorsqu’elle se retrouvait seule elle se sentait comme dévitalisée, « vide »,, « morte », avec l’impression de ne pas « vivre réellement ».
Ce cas illustre combien la présence physique des objets réels, dans le monde extérieur
108
est importante pour les sujets limites, ce qui suggère l’hypothèse de fixations libidinales
à un stade des plus primitifs du développement libidinal, encore dominé par le sensorimoteur, avant que la capacité de représentation mentale et d’accès au symbolique ne
soit acquis.
La même patiente rapportait des périodes de régression libidinale autoérotique avec
masturbation parfois pluri quotidienne et journées passées à lire des magazines
« people » pour avoir disait- elle de la « légèreté » du « rêve » et de la « facilité ».
Un jour elle raconte comment elle fut soudainement prise d’une envie de manger une
crêpe au chocolat en passant devant une crêperie. Elle entra et prit deux crêpes au
chocolat d’un coup, par crainte « de ne pas en avoir assez » de n’être pas rassasiée.
Elle les ingurgita avec gloutonnerie au point que le serveur lui en fit la remarque, puis
elle partit. Elle eut d’abord l’impression crue de « s’être masturbée », puis se sentie
coupable, « honteuse, grosse et moche ». Puis, passant devant une boulangerie elle y
entra et y acheta plusieurs pâtisseries et sucreries qu’elle engloutit, les mâchant à
peine comme pour se remplir avant tout, mettre à l’intérieur un bon objet, tel une défense contre la dépression permettant de se protéger des mauvais objets externes
persécuteurs par identification projective. Elle disait que tant t’à faire elle avait tout
détruit et « préférait aller jusqu’au bout pour ne plus être tentée d’aller plus loin », afin
que les tensions issues de l’accumulation d’excitations diminuent.
On peut y voir un exemple typique de clivage, de loi du tout ou rien, le bon objet interne
étant contaminé, il ne reste qu’à le détruire afin que lui-même ne contamine pas les
autres. Il faut donc le projeter hors de soi, en l’occurrence sur la nourriture, par le biais
d’une agressivité orale dans la destruction inhérente à l’incorporation selon le modèle
109
de la digestion de M. Klein.
Vignette clinique 3:
Une patiente borderline décrivait ainsi comment se sentant persécutée par les autres
elle finissait par s’isoler dans son travail tout en maintenant en apparence une vie
sociale adaptée. Lorsqu’elle rentrait le soir, le contre-investissement envers les objets
persistait et créait une inhibition sexuelle avec son compagnon. Lorsque celui-ci
s’éloignait, il lui devenait possible d’avoir envie de lui. Mais aussitôt qu’elle était en sa
présence il devenait envahissant, intrusif. Tout se passait comme si elle l’incorporait
dans une représentation psychique globale sans tenir compte de son individualité,
comme si les limites qui les séparaient se dissolvaient en sa présence puis se reconstituaient en son absence.
Elle disait ne jamais se sentir « synchrone » avec lui ni avec que ce soit. Elle avait le
sentiment de ne jamais vivre l’instant présent, d’être en « décalage » perpétuel. Elle
était tellement dans la représentation de ce qu’elle devait être et de ce que devait être
sa vie qu’elle avait l’impression que cela la « dénaturait », la faisant agir de façon
rationnelle et désaffectée, la rendant « opérationnelle et froide ». Elle disait ne plus
rien ressentir, sans que cela s’inscrive pour autant dans un état dépressif caractérisé,
mais plutôt dans le cadre d’une psychasthénie avec perte de courant libidinal lié à
l’investissement des processus intellectuels. Elle n’éprouvait pas de plaisir à penser ni
à vivre et ce, « depuis toujours », en dehors d’un discours idéalisé concernant
l’enfance, le « paradis perdu » [66].
110
Une des hypothèses soutenue dans ce travail est qu’il existe un lien entre le sentiment
subjectif de vide des sujets borderline et le vide primaire winnicottien, duquel né le
désir préalable au comblement de ce vide, tout comme du chaos existentiel le besoin de
réparation.
Selon Duvocelle [18], l’angoisse latente est le trait le plus constant chez les patients
dépressifs-limites. Elle est « permanente , diffuse, flottante et infiltrante » et peut être
d’aspect « hypocondriaque, neurovégétatif ou suicidaire ».
L’angoisse de mort est elle aussi transnosographique mais se manifeste différemment
selon les cas : par une angoisse simple, des attaques de panique d’intensité psychotique
avec dépersonnalisation et déréalisation, ou encore des angoisses de morcellement
d’allure psychotique.
J. Collomb [15] la conçoit comme une régression à des positions d’autoconservation,
dans des efforts démesurés tendant à la survie et à l’identité. La représentation de la
mort serait ainsi évitée par la constitution de conduites phobiques d’évitement et de
déplacement renforcés par des « supercheries idéalisatrices » imitant la sublimation.
Cela peut se traduire par l’appartenance identificatoire à des groupes fermés, vivant en
autarcie et plutôt rassurants, alignés sur des idéaux communs mystico-intellectuels ou
culturels afin de maintenir une intégrité narcissique.
Au final, l’angoisse reste un symptôme transnosographique, pouvant se retrouver chez
des sujets psychotiques, névrotiques ou limites.
111
Les concepts freudiens en question ayant fait l’objet de développements par ailleurs
dans ce travail, on s’attachera plutôt à l’examen de ce qui pourrait être l’embryon d’un
des aspects majeurs de la pathologie des troubles limites de la personnalité, c’est-à-dire
du vide, renvoyant systématiquement à une absence de résolution de conflits archaïques, afin de comprendre la psychogenèse de la clinique et sa psychopathologie
actuelle.
Dans la crainte de l’effondrement (texte non daté des années 60) Winnicott évoque
l’impact de cette absence de vide préalable au désir: « le vide est une condition nécessaire et préalable au désir. Le vide primaire veut seulement dire: avant de commencer à se remplir ».
Winnicott caractérise le vide en expliquant que « pour le comprendre, ce n’est pas au
traumatisme qu’il faut penser, mais au fait que là où quelque chose aurait pu être bénéfique, rien ne s’est produit ». Le « quelque chose » en question correspondant à la
carence de l’environnement primaire, c’est-à-dire des interactions précoces et soins
maternels.
La clinique du vide telle que la pratique Green sera aux antipodes du sentiment continu
d’exister Winnicottien, des perturbations voire un effondrement concernant
l’élaboration du noyau dur structurel de la confiance en soi pouvant affecter
l’organisation du moi, et le lien au moi, à l’objet, et au réel devient alors insecure.
112
Le potentiel désorganisateur, déstructrant et l’aspect régressif de l’angoisse nécessitent
une évaluation de la structure de la personnalité et donc du mode de fonctionnement de
la relation objectale à distance d’une décompensation ( exacerbation anxieuse, attaques
de panique ), ou en dehors d’une période d’anxiété installée durablement pouvant
toutes deux mimer une désorganisation d’allure psychotique dissociative, une excitation maniaque, exacerber le vécu persécutif d’une personnalité sensitive ou paranoïaque, ou encore entraîner un vécu de dépersonnalisation, de déréalisation.
S. Le Poulichet [55] parle de « l’instant catastrophique qui ne connaît pas de limites, ni
surfaces où se réfléchir ».
Les manifestations cliniques psychodynamiques de l’anxiété vont d’une angoisse de
type névrotique de castration avec culpabilité dépressive sous l’influence d’un « surmoi
sadique personnifié » [45], à une angoisse d’intensité psychotique, d’origine plus archaïque, qualifiée différemment selon les auteurs (d’annihilation, de morcellement,
d’effondrement…) relative à la « survie » et à « l’identité » selon M. Little [56].
Dans Inhibition, symptôme et angoisse Freud revient sur sa théorie de l’angoisse
exposée dans la première topique en considérant l’angoisse comme étant à l’origine du
refoulement et non plus la conséquence de celui-ci. L’angoisse de castration remonte
selon Freud plus anciennement à la perte d’objet, problématique centrale de la psychopathologie de la relation objectale chez le sujet borderline au point que Bergeret [6]
parle d’états limites dépressifs dont la psychopathologie serait sous-tendue par la perte
d’objet ou la crainte de cette perte.
Les deux types principaux d’angoisse se rattachent pour l’un davantage à un fonc-
113
tionnement d’ordre névrotique tandis que l’autre semble lié à un type de fonctionnement plus archaïque développé dans ce travail.
Le premier type d’angoisse se manifeste cliniquement de façon visible dans
l’expression faciale ou le comportement du patient. L’anxiété est souvent permanente,
flottante entre les décompensations et paroxystique lors des exacerbations, mais dans
tous les cas une problématique de l’ordre de la castration émerge.
Dans l’angoisse psychotique et les attaques de panique d’intensité psychotique, les
organes nobles tels que le cœur et le cerveau sont les organes les plus fréquemment
impliqués. Lorsque cette angoisse désorganisatrice parvient à se focaliser sur un organe
en particulier se pose alors la question d’un possible rôle défensif de l’hypocondrie
contre l’extension de la désorganisation à la totalité du self, les deux types d’angoisses
pouvant et étant fréquemment juxtaposées.
La présence d’une hypocondrie ou d’attaques de panique avec sensation de mort imminente doit ainsi faire évoquer et rechercher une organisation limite la personnalité.
Les sujets borderline rapportent fréquemment un sentiment de vide, « d’être mort » ou
d’ennui, que l’on pourrait supposer en lien avec la déliaison de Bion, interrogeant sur la
possibilité
d’une
fonction
réactionnelle
voire
défensive
contre
l’angoisse
d’annihilation, d’une instabilité psycho émotionnelle avec passages à l’acte dont le but
serait de rétablir le sentiment continu d’exister fondamental. Dans cette hypothèse, le
passage à l’acte serait un mécanisme de défense comportemental contre l’angoisse.
114
En pratique, les patients borderline se plaignent d’un mal-être existentiel, d’un sentiment de vide, d’ennui, de manque insatiable entraînant toutes sortes d’addictions
comme si l’objet de leur quête effrénée de bien être absolue était au service d’une lutte
contre la pulsion de mort ou de déliaison, un manque ou une discontinuité
d’autoérotisme mental nécessaire à toute activité créatrice.
Concernant l’aspect compulsif de la répétition évoquée plus haut, Freud avait été interpellé par le paradoxe apparent de la réactivation répétitive du vécu des scènes
traumatiques chez les traumatisés de guerre, notamment dans les rêves, et qui semblaient aller à l’encontre du principe du plaisir puisqu’ils étaient à l’origine d’une névrose.
Anna Freud est à l’origine de la notion d’identification à l’agresseur. Kernberg [44]
développera ce concept, mentionnant la tendance inconsciente à la réactivation de
relations d’objet internalisées pathologiques chez des sujets ayant subi des traumatismes sexuels précoces aigus ou répétés, les amenant à répéter les conduites déviantes
dont ils ont autrefois été l’objet.
On commencera par considérer l'agressivité, qu'elle apparaisse concrètement dirigée
contre le sujet lui-même ou contre l'objet. En effet une agressivité dirigée contre l'objet
peut en fait refléter une agressivité initialement dirigée contre le sujet lui-même (et
réciproquement) [28], mais dont la représentation narcissique totalement bonne faisant
défaut va contraindre le sujet à projeter hors de lui cette mauvaise représentation de soi
115
sur les objets extérieurs, par identification projective, se traduisant par le passage à
l'acte hétéro agressif (moral ou physique).
Un comportement ou des conduites agressives peuvent donc en réalité masquer un
profond sentiment persécutif et la peur d'être agressé ou contaminé par l'objet, celui-ci
pouvant être le sujet lui-même lorsque la représentation du moi totalement bonne se
trouve compromise par l'épreuve de réalité. C'est le cas dans les conduites addictives ou
le sujet se retrouve dans des états faisant penser à des équivalents suicidaires, tant la
mise en danger vital et le jeu avec la mort est patent.
L'ambivalence est dans ce cas à son apogée, les sujets décrivant à la fois une recherche
de bien-être absolu et une fuite hors de la réalité, de leur existence devenue insupportable.
Comme si l’édifice du self et l’ « architecture relationnelle » comme la nommait
Françoise Dolto [17], était toujours plus ou moins menacée d’effondrement. Le caractère quasi compulsif de mise en déséquilibre par la compulsion morbide à la répétition suggère une fonction défensive du moi visant à lutter contre :
-la pulsion de mort issue de la répétition mise en jeu sous la forme de l’absence de
changement, de la stabilité dont l’aspect continu équivaut à la répétition dans le temps,
- la menace inconsciemment anticipée de la perte de l’équilibre parfait, du bien être
absolu originaire, relégué plus tardivement par la toute-puissance infantile où le moi e
l’idéal du moi ne font plus qu’un.
La régression à des addictions de toutes sortes, affectives et toxiques avec un abandon
de soi s’apparente à un « laisser-tomber du corps » [58], un retour à l’état de dépendance absolue voire au-delà, à l’état d’annihilation, d’absence totale d’excitations et
116
donc d’angoisse.
Le sujet n’a pas totalement extrait l’objet. Il l’exclut ponctuellement par clivage, ce qui
maintient le sujet dans une dépendance à l’objet.
Le caractère répétitif, quasi compulsif de mise en déséquilibre suggère une fonction
défensive de l’instabilité psycho-émotionnelle et comportementale, visant à lutter
contre la pulsion de mort issue de la répétition, et/ou contre la menace inconsciemment
anticipée de la perte de l’équilibre parfait, du bien être absolu originaire.
Sur un plan différentiel, les personnalités hystériques auront plutôt tendance à être dans
l’insatisfaction et l’ennui, et moins dans ce sentiment de vide annihilant. La plupart du
temps, la névrose hystérique permet au sujet de chercher des compromis maintenant un
degré de satisfaction libidinale et narcissique, en référence à Freud selon lequel « toute
sensation de déplaisir dans la névrose n’est en fait que du plaisir non perçu comme tel »
[33]. A ce titre, l’expression d’Œdipe « C’est maintenant que je ne suis plus rien que je
deviens un homme » se prête fort bien à la symptomatologie Borderline. Certains névrosés finissent ainsi par avoir un rapport fétichiste à leur état mental (bénéfice secondaire), trouvant la jouissance dans l’idéalisation nostalgique du passé, ou du caractère exceptionnel de leur être et de leur existence, générant le courant libidinal de
l’autoérotisme mental sans lequel la pensée deviendrait désagréable et dépressiogène
pour le sujet.
Chez les sujets borderline, les pulsions auto et/ou hétéro agressives incluses dans des
cycles de répétition morbides peuvent traduire une incapacité à ressentir de la satisfaction quant à l’expérience effectuée encore et encore, sans arriver à en extraire
l’ « auto érotisme mental » [42] et la satiété apaisante nécessaire afin de passer à autre
117
chose, à mettre en parallèle avec la quête effrénée de bien être absolu dans l'ici et
maintenant faisant écho au bien être absolu primaire.
L’anaclitisme se rattache à la problématique addictive et se traduit par une importance
dépendance affective envers une autre personne, dont l’origine semble trouver ses
racines dans la dépendance primaire à la mère, dépendance au départ physiologique.
Dans cette hypothèse et si l’on s’en réfère à l’interchangeabilité de l’objet, la dépendance avec produit ne serait que le fait d’un déplacement de cette dépendance primaire
sur des toxiques-objets avant que le relai ne soit pris par la dépendance physiologique
au produit. Dans dépendance affective, c’est en fait le besoin d’amour inassouvi souvent en lien avec un environnement primaire carencé qui est destructeur pour le sujet.
La toxicomanie permet de donner au sujet l’illusion de ne pas subir et de contrôler en
apparence sa consommation et donc son état affectif.
Le toxicomane ou le sujet dépendant en général a perdu le contrôle pulsionnel quant à
certains comportements et conduites qui apparaissent dès lors compulsifs, répétitifs et
néfastes pour l’individu car sources de souffrance, de vécu douloureux, de vide,
d’impatience, de frustration sans fin, d’anhédonie totale en dehors du lien à l’objet.
Mais les pulsions de mort prédominent toujours au final sur les pulsions libidinales qui
ne sont apaisées qu’en pointillés.
Le patient dépendant, dans cette discontinuité menaçant la cohésion du self, perd ainsi
progressivement confiance en lui, ce qui se trouve parfois masqué par une apparente
désinvolture, des défenses maniaques et/ou narcissiques.
Selon Kohut [48], la compulsion de répétition pourrait exprimer un besoin irrépressible
de restaurer le sentiment de cohésion de soi. Ce qui revient à en faire un mécanisme de
118
défense contre la désorganisation du moi soumis à l’angoisse et/ou à la dépression, suite
à un défaut de pare-excitation.
D. Wildlöcher [74] émet l’hypothèse soutenue dans ce travail d’un manque de rappel
des expériences de satisfaction chez les états limites. Il incrimine le rôle de la sexualité
infantile avec un défaut d’autoérotisme mental qui n’aurait donc pas été correctement
mis au service des processus créatifs en lien avec l’espace transitionnel.
Cela rappelle la théorie relative aux troubles obsessionnels compulsifs dont la compulsion à réaliser certains gestes, rituels ou autres symptômes serait a priori un moyen
de lutter (mécanisme de défense) contre une angoisse sous-jacente. Autrement dit
mettre de l'ordre d'une façon aussi rigide pourrait masquer une crainte inconsciente
d'être envahi par une désorganisation globale du soi.
Lorsque l'agressivité est au service de la compulsion de répétition, le sujet en souffrance, suite des mécanismes d’identification projective renvoyant des images de lui et
d'objet totalement mauvaises qui le persécutent et viennent anéantir des représentations
de soi et d’objet totalement bonnes, est amené à l’acting out dirigé contre le les mauvais
objets internes et/ou externe ayant porté atteinte à la représentation idéalisée des bons
objets.
Le sujet borderline apparaît ainsi ne pas avoir fait le deuil de la toute-puissance infantile
et se trouve donc dans des situations de grande frustration lorsque l'épreuve de réalité
n'est pas en mesure de fournir la satisfaction libidinale et narcissique vers laquelle tend
son idéal du moi fusionné avec le moi idéal. Cela dénote une certaine psychorigidité
dans les processus de pensée et par voie de conséquence dans les relations sociales et
119
interpersonnelles.
Créativité et destruction dans l’œuvre de Charles Baudelaire :
Dans le cas des artistes dits « maudits » encore nommés les « Saturniens », nous
prendrons pour exemple Charles Baudelaire car il apparaît chez le poète des traits de
personnalité se rattachant à l'organisation limite de la personnalité à savoir une intolérance à la frustration dénotée par son souci de perfectionnisme, d’idéal jamais atteint le
conduisant dans une compulsion morbide de répétition à l’autodestruction par l’abus de
toxiques et au « spleen ».
Le poète a fait l'objet de multiples addictions dont l'alcool (absinthe), le haschisch,
l'opium, les femmes et le sexe, dans le cadre d’une vie de dandy décadent. Ses poèmes
témoignent cependant d’une puissance créatrice et par conséquent d'un accès privilégié
à la sublimation et donc à la transitionnalité.
L’effet psychostimulant des drogues vise à restituer l’autoérotisme mental faisant défaut ou perçue comme insuffisante pour le sujet.
Le manque de satisfaction libidinale et de limites à la satiété traduit bien un défaut de
lien des pulsions libidinales à l’objet, et génère la quête avide d’un objet susceptible de
fixer et de lier ces pulsions restées libres.
Baudelaire avait appris à se servir de ces drogues [5], telles des neurotransmetteurs qu'il
apprit selon lui à utiliser afin d’aller plus loin, de lui ouvrir les « portes de la perception » [10]. Il se trouve donc inspiré davantage après avoir consommé ces substances,
d'où la nécessité d’en prendre à des doses toujours plus élevées. Il se met de façon
120
répétée en danger, adoptant des conduites à risques concernant les drogues mais aussi
les femmes.
Il contracta ainsi avec la syphilis avec l’une d’entre elles, puis mourut quelques années
plus tard.
Illustration par 3 poèmes de Charles Baudelaire :
Ce ne seront jamais ces beautés de vignettes,
Produits avariés, nés d'un siècle vaurien,
Ces pieds à brodequins, ces doigts à castagnettes,
Qui sauront satisfaire un cœur comme le mien.
Je laisse à Gavarni, poète des chloroses,
Son troupeau gazouillant de beautés d'hôpital,
Car je ne puis trouver parmi ces pâles roses
Une fleur qui ressemble à mon rouge idéal.
Ce qu'il faut à ce cœur profond comme un abîme,
C'est vous, Lady Macbeth, âme puissante au crime,
Rêve d'Eschyle éclos au climat des autans ;
Ou bien toi, grande Nuit, fille de Michel-Ange,
Qui tors paisiblement dans une pose étrange
Tes appas façonnés aux bouches des Titans !
L’Idéal [4]
121
De ce ciel bizarre et livide,
Tourmenté comme ton destin,
Quels pensers dans ton âme vide
Descendent ? réponds, libertin.
- Insatiablement avide
De l’obscur et de l’incertain,
Je ne geindrai pas comme Ovide
Chassé du paradis latin.
Cieux déchirés comme des grèves,
En vous se mire mon orgueil ;
Vos vastes nuages en deuil
Sont les corbillards de mes rêves,
Et vos lueurs sont le reflet
De l’Enfer où mon cœur se plaît.
Horreur sympathique [4]
L'un t'éclaire avec son ardeur,
L'autre en toi met son deuil, Nature !
Ce qui dit à l'un : Sépulture !
122
Dit à l'autre : Vie et splendeur !
Hermès inconnu qui m'assistes
Et qui toujours m'intimidas,
Tu me rends l'égal de Midas,
Le plus triste des alchimistes ;
Par toi je change l'or en fer
Et le paradis en enfer ;
Dans le suaire des nuages
Je découvre un cadavre cher,
Et sur les célestes rivages
Je bâtis de grands sarcophages.
Alchimie de la douleur [4]
On se focalisera sur l'ennui et le sentiment de mal-être et de vide existentiel, le sentiment d'être aspiré par le néant, l'absence et l’anhédonie du moment. Chez le sujet
borderline il existe ce que l'on nommera un collapsus temporel, un rapport faussé à la
temporalité, en ce sens où la satisfaction doit être immédiate et ne peut attendre l’instant
perdu dans l’éternité.
« Et le temps m’engloutit minute par minute,
123
comme la neige immense encore pris de froideur ;
je contemple d’en haut le globe en sa rondeur... »
Dans « AU LECTEUR » [4] il annonce d'emblée la couleur de son œuvre.
« Mais parmi les chacals, les panthères, les lices,
Les singes, les scorpions, les vautours, les serpents,
Les monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants,
Dans la ménagerie infâme de nos vices,
Il en est un plus laid, plus méchant, plus immonde !
Quoiqu'il ne pousse ni grands gestes ni grands cris,
Il ferait volontiers de la terre un débris
Et dans un bâillement avalerait le monde ;
C'est l'ennui ! - l'oeil chargé d'un pleur involontaire,
Il rêve d'échafauds en fumant son houka.
Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat.
Hypocrite lecteur, - mon semblable, - mon frère ! »
Baudelaire présente toutes les caractéristiques du sujet de type borderline, les non
spécifiques et spécifiques à savoir le retour aux processus primaires de pensée avec
l'utilisation de mécanismes de défense archaïques. Mais le poète étant très largement
capable de sublimation, les mécanismes de défense principaux ne seront pas le clivage
et l'identification projective au service de rejetons pulsionnels agressifs mais
l’'identification et l'idéalisation au service de rejetons pulsionnels libidinaux réintrojectés source de gratification narcissique et à travers elle de satisfaction libidinale. Mais
124
le désir n’est satisfait que temporairement et le sujet reste insatiable dans sa quête du
bonheur absolu, du désir de l’Autre-objet et du désir de celui-ci.
D'où l'importance capitale d'un des facteurs non spécifiques caractéristiques des organisations limites de la personnalité qui est l'accès aux voies de sublimation selon
Kernberg, qui différenciera les tempéraments à tendance psychopathique plus hétéro
destructeurs de ceux autodestructeurs voir masochistes lorsque la sublimation est possible.
Le développement, quand bien même relatif, des voies de sublimation, témoigne chez
les sujets borderline créatifs de compartiments psychiques libres de conflits interdisant
leur accès, et par conséquent d’une faiblesse du moi elle aussi compartimentée.
De l’hyperréactivité interpersonnelle à la manie, de la psychasthénie à la dépression
mélancoliforme, l'humeur des sujets borderline se caractérise avant tout par son instabilité. La labilité émotionnelle ne connaît aucune règle, elle peut être très variable d'un
instant à l'autre, d'un jour à l'autre, d'une période de vie à l'autre.
Elle reste souvent essentiellement liée au contexte et la qualité de ses relations objectales. Il s'agit des patients qui répondent à la question « depuis quand allez-vous mal ou
vous sentez-vous ainsi » : « depuis toujours ». Et qui décrivent un sentiment de mal-être
chronique ainsi qu’une dépressivité diffuse caractéristique de leur dysthymie.
125
De la réactivité interpersonnelle à la manie on retrouve tout un continuum d'états
d'exaltation de l'humeur et d'autres signes caractéristiques du syndrome maniaque
(logorrhée, hypertrophie du moi, jeux de mots, insomnies…).
De même sur le versant dépressif on retrouve un continuum allant d'une simple tendance dépressive ou d'une psychasthénie jusqu'à un état dépressif majeur voir un syndrome mélancolique.
Il semble difficile de séparer ce qui a trait à la personnalité de ce qui relève d’un trouble
de l'humeur. Tandis que Bergeret associe les états limite à la dépression qui sous-tend
selon lui leur psychopathologie, certains auteurs (M. Gelder, R. Mayou, P. Cowen)
considèrent ce trouble de la personnalité comme un trouble de personnalité affectif en
avançant que chez certains individus des troubles de l'humeur sont présents tout au long
de leur existence.
Un patient borderline peut présenter des troubles de l'humeur voire même une authentique maladie bipolaire. Mais pour en faire le diagnostic il faudrait dans l’idéal, outre
une étude approfondie de l'anamnèse par le patient et de son entourage, réaliser une
fenêtre thérapeutique en milieu hospitalier afin d'observer ce qu'il se passe dans ce cas
après mise à distance de l’environnement proche voire d’un sevrage pour ce qui est des
toxicomanes.
Mais les résultats restent cependant difficiles à interpréter selon la longueur et l'intensité du passé de la personne toxicomane ou prise dans une relation de dépendance
affective ayant été sous emprise pendant une période suffisamment longue. Dans ce cas
des hospitalisations longues ou itinérantes programmées peuvent s'avérer d’une grande
126
aide sur le plan symbolique, avec des personnes soignantes ressources pour ces patients
dont la fonction première serait de restaurer un environnement et des soins suffisamment bons.
Chez le patient borderline des aménagements névrotiques peuvent se retrouver dans
deux cas de figure, à savoir :
-sous la forme de compartiments coexistants ou juxtaposés avec d'autres compartiments structurés sur un mode psychotique ou une organisation limite de la personnalité.
-Sous la forme de défenses de type névrotique (histrionique ou passive-dépendante) citées plus haut.
Des « compartiments » névrotiques peuvent donc exister chez le borderline qui pourra
ainsi présenter au premier plan une apparente structuration de type névrotique
c'est-à-dire un mode de fonctionnement en processus secondaires de pensée alors que
son mode de fonctionnement principal relèvera essentiellement d’une organisation
limite de la personnalité caractérisée par la prédominance du recours à des processus
primaires de pensée [45].
De même une grande instabilité psycho émotionnelle assortie de plusieurs traits de
personnalité rattachée au fonctionnement de type limite peut révéler au final une
structuration principalement névrotique. On examinera ainsi ce que ces deux troubles
de la personnalité souvent confondus ont de commun et ce qui les différencie.
.
127
Dans l’hystérie comme dans le trouble borderline on retrouve la dramatisation. Elle est
souvent associée à des chantages émotionnels, des crises clastiques de colère et des
passages à l'acte auto agressifs dans une dimension le plus souvent démonstrative,
visant à attirer l'attention afin de mobiliser l'entourage. La culpabilité résultant de ce
comportement est davantage typique de l’hystérie. Le borderline est sadique et considère quant à lui que tout lui est dû, y compris la souffrance de l’autre.
On retrouve derrière ce comportement une carence affective réelle ou imaginaire avec
une quête effrénée d'affection. Mais ce type de comportement épuise souvent les
proches produisant l'effet inverse, ce qui renforce le comportement pathologique du
sujet en détresse qui s’appauvrit en libido narcissique, finissant par régresser et rechercher la dépendance.
Ces patients manquent de self, sont suggestibles et influençables par autrui surtout par
les personnes dont le statut social occupe une place importante. Ils recherchent l'attention et des stimulations permanentes ce qui les rend dépendants des autres et de l'environnement.
Les personnalités histrioniques expriment souvent des affects superficiels et labiles, ont
tendance au théâtralisme, à dramatiser et à chercher à culpabiliser leur entourage. Mais
il se produit en général effet inverse et l’environnement proche après s'être épuisé
d'inquiétude a souvent tendance à faire le « deuil » symbolique du sujet pourtant toujours vivant, aggravant et ou enkystant sa symptomatologie dans un cercle vicieux.
Un sujet borderline peut avoir l’impression de devenir ce qui est projeté sur lui suite aux
défaillances de son self suggestible. Mais la suggestibilité est moindre que chez les
sujets principalement névrosés qui s’inscrivent plus facilement dans des projections
identificatoires que dans l’identification projective persécutrice.
128
Le contact du sujet borderline sera plutôt sensitif ou pénétrant que superficiel. S’il est
superficiel, ce sera la conséquence d’une attitude défensive. La dramatisation et la
théâtralisation se retrouvent mais l'aspect authentique diffère de l’apparente inauthenticité retrouvée chez des personnalités de type hystérique.
Dans le cas de l’histrionisme, le discours est souvent érotisé, dans une séduction et une
familiarité inappropriée. Le regard de l'autre revêt un intérêt majeur et ces sujets dans la
séduction permanente sont manipulateurs et accordent beaucoup d'importance à leur
apparence physique qu'ils utilisent comme un outil ou appât destiné à attirer l'attention
de l'autre. Ils sont ainsi très sensibles à des remarques négatives les concernant. Ce sont
des personnes en général égocentriques. Ces aspects hystériques sont fréquemment
retrouvés chez le borderline.
L’hystérique peut comme le borderline témoigner d'une hyper sexualité et exprimer des
sentiments évocateurs d'une passion amoureuse, mais en fait il n'en est rien. Tandis que
ces émotions restent superficielles chez l’hystérique qui considère l’autre en tant que
sujet distinct de son moi, le borderline éprouve des affects plus authentiques et violents
envers un autre pouvant fusionner avec le moi lorsque les processus identificatoires et
les projections envers cet autre sont intenses. Les femmes hystériques apparaissent le
plus souvent paradoxalement frigides, du fait d’une sexualité insatiable suite à un Oedipe non résolu (recherche persistante du désir du père), qui apparaît chez le borderline
davantage comme la conséquence d’une quête inassouvie de l’objet d’amour perdu.
Le sujet borderline n’est pas toujours dans la séduction, au contraire il peut chercher de
manière défensive à détruire (projections agressives) l'objet totalement bon qui pourrait
par son jugement ou ses actes souiller l'image de son moi idéalisé héritier de son « soi
grandiose archaïque » [48] non dépassé.
129
On parle ici de défenses narcissiques et antidépressives car le narcissisme du borderline
étant clivé, porter atteinte à celui-ci pourrait entraîner une hémorragie narcissique et
par voie de conséquence un effondrement dépressif.
On retrouve fréquemment dans l’hystérie un traumatisme d’ordre sexuel dans la petite
enfance avec séduction mais passivité d’où les amnésies électives concernant ces épisodes interdits refoulés hors de la conscience mais non déniés, donc toujours accessibles à la conscience en théorie, par le travail psychanalytique.
Dans la pathologie borderline on retrouve souvent des traumatismes d’ordre sexuel
précoces, souvent chroniques et répétés [44], conscients ou déniés plutôt que refoulés
ou à l’origine d’une banalisation voire d’une « belle indifférence » comme chez
l’hystérique.
Le névrosé investit souvent d’emblée la relation thérapeutique et s’inscrit dans un
rapport de séduction ou de dominant /dominé se traduisant par une soumission à
l’analyste et résultant de la triangulation oedipienne.
Le sujet borderline pourra passer de la soumission à la toute-puissance d’un entretien à
l’autre voire dans le même entretien. Sa position, inconstante par nature, varie constamment.
L’objet vécu comme persécuteur n’est pas dans le monde extérieur mais provient de
l’intérieur du corps du sujet ; la menace n’est pas diffuse mais projetée sur un organe
donné, même s’il peut s’agir de plusieurs organes. Selon Freud, il s’agirait d’un dé-
130
placement du sexuel sur le corps.
On lui suppose une fonction défensive contre la désorganisation engendrée par
l’anxiété et le sentiment de perte de contrôle de soi qui en résulte. En ce sens, attribuer
son origine à un organe et donc à une unité structurelle ayant des limites concrètes donc
plus facilement représentables (à la différence d’une angoisse de persécution par
exemple) pourrait avoir une fonction contenante de cette angoisse protégeant le sujet de
la désorganisation, et le moi de la déstructuration.
Selon Fenichel [22], l’hypocondrie apparaît comme une attitude destinée antérieurement à l’objet se retournant contre la mauvaise partie du sujet, l’organe en cause représentant l’objet avec sa charge ambivalente et l’ensemble se trouvant réintrojecté
dans le corps. Ce serait un état de transition entre l’hystérie et l’hallucination psychotique.
Rosenfeld [67] pense que l’hypocondrie ne se réduit pas à une simple régression mais
est aussi un moyen de défense contre une décompensation plus poussée du moi psychotique.
Des angoisses chroniques et/ou intenses répétées, notamment pendant la période critique de l’adolescence peuvent s’avérer déstructurantes, surtout lors d’épisodes répétés
d’angoisse panique d’intensité psychotique avec vécu de déréalisation et de dépersonnalisation, perte de la représentation de son identité, vulnérabilité absolue et soudaine avec exposition patente au risque de mort imminente et de folie, perte du contrôle
de soi. On peut d’autre part observer des épisodes délirants réactionnels en psycho-oncologie après l’annonce d’un diagnostic ou pronostic mettant en danger la survie
131
du sujet. Celui-ci, dans l’illusion inconsciente de son immortalité héritée de la
toute-puissance infantile ne peut intégrer à son sentiment continu d’exister la représentation ou plutôt l’absence de représentation de la mort, ni envisager la possibilité
du néant, impasse méta représentationnelle qui se trouve alors refoulée.
Ce sentiment continu d’exister, s’il se trouve confronté à l’irreprésentable, se voit
menacé de perte de cohésion.
Dans l’hypocondrie, il y a régression autoérotique selon Freud avec désinvestissement
de la libido d’objet et investissement autoérotique d’un organe, d’une partie du moi
fragmentée. Dans l’hypocondrie névrotique ou limite on retrouve fréquemment associées des attaques de panique avec terreur de mort imminente, épisodes de dépersonnalisation ou déréalisation, angoisse concernant donc la « survie » et l’ « identité »
[56]. Le contact à la réalité est ici perdu, mais la critique de l’épisode après la crise peut
être conservée témoignant d’un rapport à la réalité approprié.
Les attaques de panique peuvent n’exister que sur une période très limitée puis disparaître, mais peuvent aussi se chroniciser au point de constituer un état permanent de
déréalisation, un véritable collapsus psychoaffectif de l’individu totalement obsédé par
la crainte de mourir, et vivant par procuration cette mort en temps réel.
Vignette clinique :
Une patiente Borderline présentant un trouble anxieux généralisé, un trouble panique
et une hypochondrie se prenait ainsi le pouls tout au long de la journée pour vérifier sa
fréquence cardiaque et sa régularité, jusqu’à constater sa présence. Le simple fait de le
prendre déclenchait par anticipation anxieuse un accroissement de l’anxiété, et la
crainte d’une nouvelle attaque de panique devenait soudainement obsessionnelle au
132
point de la déclencher compulsivement comme pour ne plus avoir à lutter pour tenter
de gérer l’angoisse de son déclenchement.
Elle eut ensuite des vécus de dépersonnalisation et de déréalisation de plus en plus
fréquents, finissant par se chroniciser et la cloîtrant dans l’égocentrisme hermétique le
plus total. Elle régressait narcissiquement avec une attitude fétichiste à l‘égard du soi
grandiose réactivé et un vécu paranoïde persécuteur exacerbant des tendances interprétatives préexistantes. Sortir de son hypervigilance permanente et de l’angoisse qui y
est inhérente aurait signifié pour elle « baisser la garde » et permettre ainsi à la mort
de la prendre « par surprise ». Elle comparait son cœur et son cerveau à des « bombes
à retardement » dont elle scrutait obsessionnellement les signes annonciateurs de
déclenchement du processus létal irréversible.
L’angoisse apparaissant ainsi comme un mécanisme de défense contre l’effondrement
psychique, narcissique et dépressif.
L’hypocondrie se retrouve chez les sujets névrosés et borderline. Elle peut être diffuse
ou concerner préférentiellement certains organes comme les deux organes dits
« nobles » que sont le cerveau et le cœur. Le symbolisme archaïque de ces organes
renvoie directement à l’identité et à la vie. Chez le névrosé on retrouve derrière cette
hypocondrie une culpabilité héritée de l’Œdipe et la peur de la punition par la maladie.
L’hypocondrie met la vie directement en péril avec l’angoisse d’une mort imminente.
Une telle angoisse d’annihilation associée à un vécu de dépersonnalisation, doit faire
évoquer une structure limite de la personnalité, le vécu de déréalisation avec la terreur
de perdre le contrôle de soi constituant des éléments dissociatifs atypiques.
133
Névrose
Etat limite (clivage et compartimentation à
tous les niveaux)
Libido
Séduction
Hypersexualité = Oedipe non résolu
Exaltation/déplaisir
Hypersexualité = quête de l’objet d’amour
Séduction/inhibition
Narcissisme
Égocentrisme
Fragile
Mésestime de soi/hypertrophie du moi
Cognition
Processus secondaires >>processus
primaires
suggestibilité
Processus primaires>>processus secondaires
Défaut de sublimation/créativité
Discontinuité de la pensée
Désorganisation conceptuelle intermittente
Manque d’intégration : ambivalence
Affects
Labilité émotionnelle
Affects superficiels
Théâtralisme, dramatisation
Inauthenticité
Détachement jovial-belle indifférence
Labilité émotionnelle
Violence des affects/anesthésie affective
Dramatisation/
Authenticité
Double lien amour/haine
Comportement
Manipulation
Démonstration
Extraversion
Désinhibition
Manipulation
Impulsivité
Agressivité
Destruction/protection
Exhibition/retrait schizoïde
Diagnostic différentiel névrose-état limite
Comment valider le regroupement sous la même terminologie de « psychose » un
ensemble d’états psychiques aussi diversifiés qu’une schizophrénie déficitaire, une
psychose paranoïaque, ou encore une manie délirante ? Leur point commun essentiel
résidant au final dans la perte de contact avec la réalité. Or on sait pertinemment que le
contact et le lien à la réalité peut aussi être profondément altéré dans le cas de patients
considérés comme névrosés ou états limites. L'exemple de l’ancienne psychose maniaco-dépressive renommée maladie bipolaire depuis le DSM-IV illustre bien la confusion liée à la terminologie puisque cette appellation rassemble à la fois des termes
134
désignant une structure et un trouble de l'humeur, alors que ces deux axes sont bien
distincts dans la classification DSM-IV qui a ainsi mis de côté les concepts psychanalytiques de psychose et de névrose pourtant toujours largement employés en pratique
courante dans les services de psychiatrie.
Les neurosciences s’attachent aujourd’hui à démontrer un continuum entre la schizophrénie et la maladie bipolaire [70]. C'est en partie pourquoi le terme de psychose
maniaco-dépressive a dû laisser la place à celui de maladie bipolaire, se détachant ainsi
du questionnement concernant la structure psychique.
Bion [9] décrit une partie psychotique et non psychotique de la personnalité tandis que
M. Klein [47] parle de noyau psychotique primaire et suppose l’existence universelle
de niveaux de fonctionnement psychotique sans adhérer pour autant à sa théorie de
stades psychotiques précoces universels dans le développement normal de l’enfant.
Freud évoquait déjà en 1937 l’existence d’une part psychotique dans le moi de tout
névrosé et la « déformation du moi » [24] à visée défensive contre l’angoisse et la
dépression, et l’existence d’ « êtres de frontière » [23].
Dans la psychose, la représentation de l’objet n’est pas clivée mais morcelée, suite à un
trouble intervenant encore plus précocement dans le développement psycho-moteur du
nourrisson, c’est-à-dire dés lors des stades les plus précoces de différenciation soi-objet
et d’élaboration du soi en miroir du non-soi dans une dynamique caractéristique laissant
alterner des noyaux d’identification primaires avec des temps d’indifférenciation
primaires.
135
Rapaport et coll [64] ont mis en évidence chez les patients borderline un mode prédominant de fonctionnement en processus primaires de pensée, comme chez les patients psychotiques, par l’examen de tests projectifs, renvoyant aux fantasmes primitifs
avec fléchissement de leurs capacités d’adaptation aux représentations formelles.
Tandis que chez le patient psychotique l’ébauche de scission du noyau fondamental ne
serait pas même initiée, il n’y aurait pas de mouvement de liaison à l’objet externe et
donc pas de possibilité de constitution d’un moi, l’objet reste incorporé dans le moi, et
cette « non extraction de l’objet »constitue pour les lacaniens un élément fondamental
et un « phénomène élémentaire » dans le diagnostic de la psychose ordinaire [58].
Des auteurs tendent à faire pencher les personnalités de type borderline vers la psychose. Margaret Little [56] parle d’états limites-psychotiques en les identifiant comme
une entité commune à laquelle elle-même se rattache et en a fait l’expérience analytique
en tant qu’analysante de Winnicott.
Les sujets borderline peuvent présenter une simple sensitivité allant du simple vécu
interprétatif à un vécu paranoïde plus marqué, étant à son apogée dans le délire paranoïaque qui émane fréquemment par épisode chez des personnes présentant une organisation limite de la personnalité, en particulier sous l’influence de toxiques.
Les sujets de type borderline peuvent présenter également un ou des épisodes psychotiques aigus anciennement nommés bouffées délirantes aiguës.
136
La sensitivité résulte en partie du mécanisme d’identification projective déjà décrit, se
produisant lorsqu’un individu attribue à un autre des pensées, sentiments ou comportements qu’il ne peut tolérer chez lui-même, tout en ayant une empathie persécutive à
leur égard, les amenant à vouloir contrôler le comportement de l’autre-objet.
Ces personnalités peuvent après leur rémission et réintégrer une vie socioprofessionnelle considérée comme normale par la société mais on retrouve systématiquement des
éléments subdélirants, des pensées magiques, des discours centrés sur des thématiques
mystiques, spéculatoires avec adhésion totale et rigidité du discours proche de
l’hermétisme psychotique et, par conséquent, des idées subdélirantes voire délirantes.
On a souvent tendance à confondre en pratique clinique les troubles de la personnalité
de type limite avec les troubles du comportement de type psychopathique ou avec les
personnalités antisociales, les deux derniers relevant plus généralement d'une organisation limite de la personnalité mais à la différence du sujet borderline ceux-ci auraient
fait le deuil de l’objet.
Le trouble de la personnalité antisociale est caractérisé dans la nomenclature internationale du DSMIV-R et du CIM-10 par la présence de troubles des conduites avant l'âge
de 15 ans. Il s'agirait selon cette classification d'individus insensibles, présentant des
relations instables, une irresponsabilité, une impulsivité avec irritabilité, une absence
de culpabilité et de remords, et un refus d'accepter les responsabilités.
Le trouble de la personnalité antisociale relève aussi d’une pathologie du lien, à cela
près que dans ce cas le sujet a fait le deuil de l'autre et ne peut éprouver de l'empathie à
137
son égard. Les processus d'identification projective sont tellement intenses que le sujet
se retrouve persécuté par l'autre et par son environnement, ce à quoi il répond par des
passages à l'acte agressifs suite à un défaut d'accès aux voies de sublimation et à une
insuffisance des capacités d'élaboration mentale.
Kernberg [45] considère que l’on retrouve parmi les manifestations cliniques des organisations limites de la personnalité un « pseudo insight sans sollicitude ni conscience
de la nature conflictuelle de ce matériel », ainsi qu'un « manque d'empathie ». Selon
l’auteur, il serait plus difficile voire impossible de susciter des réponses psycho-émotionnelles adaptées chez certaines personnes réagissant avec une agressivité
excessive. Ces individus seraient ainsi plus ou moins constitutionnellement et génétiquement prédisposés à une désorganisation et à un trouble de la personnalité anti-sociale.
L'accès d’allure authentique à l’insight et à l’empathie pourrait en réalité repousser plus
loin à un niveau moins accessible des défenses narcissiques. Les patients états limites
ont tendance à projeter intensément des représentations sur l'autre ce qui revient à
interpréter ce qui se passe dans l’esprit en termes de croyances, d’intentionnalité, de
désir, et d’émotions. Cette dernière description correspond à la théorie de l'esprit
elle-même influencée par la théorie de l'empathie. Le trouble limite de la personnalité
peut être soupçonné d’être en rapport avec un trouble de l'empathie, notamment dans le
cas des personnalités antisociales et des troubles du comportement de type psychopathique.
Les sujets borderline apparaissent clivés à ce niveau et peuvent montrer une apparente
138
hyper empathie avec une humeur hypersyntonique faisant en fait écran à des projections narcissiques du soi, et notamment du soi grandiose archaïque. Il ne s'agit en réalité
pas d'une empathie réelle mais de phénomènes d'identification précoces réactivés dans
le déplacement de projections sur l’autre-objet.
L'empathie fait le plus souvent défaut chez le patient borderline et pourrait s'expliquer
en partie par des troubles constitutionnels et acquis lors des stades de développement
psychomoteur précoces, lors des positions schizo-paranoïdes mais surtout dépressives
qui donnent par la suite accès à la culpabilité à l'empathie et ultérieurement à la capacité
de réparation.
On aura selon Kernberg [45] davantage une hyperempathie inadaptée qu’une absence
totale d’empathie, celle-ci apparaissant essentiellement dans les vécus plus persécutifs.
Les relations aux autres individus peuvent ainsi sembler superficielles ou protectrices.
D’où l’aspect « étriqué, rigide et primitif » de leurs relations objectales. Cette superficialité pourrait résulter d’un manque de culpabilité suite à la condensation des buts
génitaux et prégénitaux ayant entravé la résolution appropriée du complexe d’Oedipe.
L’autre n’est dans cette perspective pas considéré comme un individu à part entière,
avec son propre mode de fonctionnement, ses intentions, ses désirs, ses croyances
suggérant un trouble de la théorie de l’esprit, du fait de projections identificatoires
envahissantes. Considérer l’autre comme libre et indépendant de soi porte atteinte au
narcissisme du sujet borderline.
En résumé, le patient borderline ne sera empathique que si cette empathie lui procure un
intérêt narcissique et où libidinal, dans le cas contraire il utilisera pour se défendre le
clivage et fera du sujet un mauvais objet faisant ainsi barrage à toute possibilité d'empathie.
139
Névrose
Etat limite
Psychose
Symptômes
Obsessions
Phobies
Hystérie
Dysthymie
Dépression
Instabilité
pscho-émotionnelle et
comportementale
Sensitivité
Dysthymie
Dépression
Obsessions
Épisodes psychotiques
transitoires
Délire
Autisme
Dissociation
Déréalisation
Dépersonnalisation
Angoisse
Castration
Avec culpabilité
Panique
Perte d’objet
Abandonnique
Paranoïde
Panique
Vide
Morcellement
Dissolution
Annihilation
Relation d’objet
Génitale/triangulaire
Anaclitique,dépendante
Discontinue fusionnelle/ dyadique
Insecure
Dominant/dominé
Conflictuelle
Incorporatrice
Fusionnelle
Mécanismes de
défense inconscients
Haut niveau:
-Refoulement
-Annulation
Bas niveau:
(plus archaïque)
-clivage
-identification projective
-déni
-idéalisation
-omnipotence
-Dévalorisation
Bas niveau:
-Déni
-Forclusion
Conflits intrapsychiques
Ça-surmoi
Moi-idéal du moi
Ça-surmoi
Ça-moi
Ça-moi
Moi
Intégré
Clivé
faible
Morcelé
Dissocié
Surmoi
Intégré, héritier de
l’oedipe
Personnifié
Sadique
Non intégré
Personnifié
Tableau résumant les organisations métapsychologiques structurelles
140
Motif d’hospitalisation :
Monsieur G., âgé de 38 ans, est hospitalisé suite à une intoxication médicamenteuse
volontaire au paracétamol (une boîte) et tentative de phlébotomie, dans le cadre d'un
syndrome anxio-dépressif consécutif à une rupture sentimentale.
Antécédents :
Le sujet ne présente aucun antécédent psychiatrique connu et ne prend aucun traitement
.Il consomme de l'alcool, du cannabis régulièrement et occasionnellement de la cocaïne
mais n'est pas alcoolisé lors de son hospitalisation.
Il n'est pas d'antécédent psychiatrique familial connu.
Cliniquement on observe :
À son arrivée dans le service, le patient présente un état anxieux et dépressif.
-Les éléments dépressifs sont les suivants :
-tristesse, pleurs
-douleur morale
-aboulie
-athymie
141
-dévalorisation narcissique
-péjoration de l’avenir
-idées noires, sentiment de mal-être existentiel diffus
-idées suicidaires critiquées de manière adaptée sans intention de récidive de
passage à l'acte ; (regrets, désir de réparation)
-troubles cognitifs (plus ou moins en lien avec la dépression car consommation
d’alcool et de cannabis régulière) : mémoire, attention, concentration.
-pas de troubles du sommeil ou de l’appétit
-pas de ralentissement psychomoteur
-pas d’élément psychotique
-Les éléments anxieux :
-ruminations
-attaques de panique intermittentes
-anxiété anticipatrice fluctuante
-subexcitation psychomotrice sans élément maniaque à l’entrée
-désorganisation conceptuelle non dissociative (non psychotique)
On note une hyperréactivité interpersonnelle marquée ainsi qu’un contact adhésif et
d’allure régressive (phénomènes transférentiels) avec idéalisation du thérapeute et
projections multiples (thérapeute perçu comme un « sauveur », attentes conséquentes,
relation internalisée à l’objet totalement bon, etc.)
Ses attentes concernant l'hospitalisation sont floues et ce n'est que le lendemain, alors
que son état s'est déjà nettement amélioré (labilité émotionnelle), qu’il dit souhaiter
142
débuter une thérapie qui lui « ouvrira les portes du bonheur et de la sérénité » pour lui
et les personnes qui lui sont chères.
Lors de ce deuxième entretien il ne présente aucun symptôme anxieux ni dépressif, son
humeur s’est nettement améliorée, on note cependant un état de subexcitation psychomotrice avec logorrhée.
Il décrit un sentiment qu’il dit lui être devenu insupportable, celui de n'être « que
l'ombre d'un individu normal, rarement lucide totalement passif, l'esprit cotonneux en
permanence, dans un état végétatif, aucunement maître de son existence. ». Il dit ressentir un « spleen quotidien », une « mélancolie » qui l’ « étouffe » et l’ « épuise ».
Anamnèse:
Le sujet a trois ans lorsque sa soeur N. décède à l'âge de cinq ans d’un accident domestique, elle était tombée de son lit superposé alors qu'ils jouaient ensemble dans leur
chambre.
Sa mère était la seule adulte présente et n'a pas su gérer convenablement la situation
selon Mr G.
Il ne se souvient pratiquement de rien concernant la période précédant l'accident.
Juste de très vagues souvenirs dont celui d'une fille souriante et pleine de vie.
Deux ans après le décès de sa soeur naissent ses frères jumeaux, Anthony et Grégory.
Il dit se souvenir des deux couveuses contenant les jumeaux qu'il observait en souriant à
travers la vitre de la maternité alors qu'il ne soupçonnait pas à cet instant à quel point sa
vie allait « changer pour devenir un enfer ».
De retour chez lui, sa mère concentre toute son attention sur ses frères et à partir de ce
143
jour il dit avoir eu le sentiment de ne plus avoir existé pour elle. Il pense que de par son
statut d’aîné il « devait » être « autonome ».
De son côté son père, un « homme formidable mais discret » s'était selon lui « réfugié »
dans le boulot. Il ne pardonna jamais à sa mère la mort de leur fille, la considérant
responsable par son manque de vigilance.
Selon lui sa mère les a surprotégés si bien qu'au final ils étaient incapables de faire quoi
que ce soit excepté détruire tout ce qui les entourait.
A l’âge de six ans, ses parents ont considéré qu'il lui était trop difficile de travailler
sereinement dans un environnement aussi bruyant et il a donc été envoyé en pension.
Toujours selon les dires du patient, l'enseignement était dispensé dans un collège très
strict. Toutes les semaines, le directeur de l'école passait dans les classes et dispensait
plusieurs coups de cravache sur le derrière des élèves dont les résultats étaient en baisse
même sensible et ce devant toute la classe.
Il se souvient de la première fois où il a reçu ces 10 premiers coups, accroupi devant le
bureau du professeur, face à tous ses camarades de classe, essayant de retenir ses
larmes.
Le maître d'école était selon le patient un alcoolique qui fumait des « gitanes maïs »
dans la classe ; sadique de surcroît il adorait arracher leurs « petits cheveux sous les
tempes » à la moindre occasion. Il dut le supporter pendant quatre « longues » années.
Le plus traumatisant selon le sujet fut l'internat. Les deux premières années Mr G
dormait dans un internat à proximité du collège, une petite structure familiale dirigée
144
par Mr et Mme B., Un couple sévère mais attachant.
Les deux premières années furent difficiles mais les deux suivantes « horribles » pour
le patient (« elles me hantent encore aujourd'hui »)
Puis Mr G. verbalise le sentiment d'être le spectateur d'une vie qui n'est pas la sienne,
être le prisonnier d'un corps et d’un esprit qu’il ne maîtrise pas tant au niveau de ses
actes que de ses émotions.
Il dit n'avoir « jamais fait de choix », et que tout s'est déroulé « avec le moins de prise
de décision possible », « ballotté par la vie ».
Pour se sentir vivant, Mr G dit avoir « besoin d'aimer ». Il pense « sous-traiter » son
existence en « calquant ses envies et ses projets sur ceux de la personne (qu'il) aime ».
Maintenant qu’il se retrouve seul il dit n'avoir plus rien, plus d'envie, plus de projet et
que plus rien n'a d'importance puisqu'il ressent de nouveau le sentiment de ne plus
maîtriser quoi que ce soit.
Il dit que son esprit est « pollué » par sa propre image, qu’il ne ressent plus que de
l'amertume et l'envie de tout détruire. Il a l'impression de devenir « dingue » et que ses
pensées sont des plus inquiétantes.
Il ne cesse de mettre son existence en danger (conduite risquée à moto, drogue, tentative
de suicide). Il dit se « faire peur » puisque la personne avec laquelle il vit depuis plus de
38 ans c'est-à-dire lui-même lui est « inconnue » et le « paralyse » ; ce sentiment
l'amène à souhaiter qu’une maladie incurable se déclare afin d'assouvir une « profonde
145
envie de vengeance ». Il nous demande s'il est atteint de schizophrénie.
Le sentiment de n'être qu'une « marionnette » est selon lui amplifié par le fait de ne plus
avoir de mémoire. Il dit ne « rien se rappeler», que tout est « flou » et qu'il ne sait plus
« rien ». Tout s'est déroulé selon lui comme si les 38 années passées n'avaient été
qu'une succession de cauchemars et que les seuls moments de bonheur qu'il ait connus
furent ceux passés avec son ancienne amie.
L’amie en question est une jeune femme âgée de 23 ans, avec laquelle il vécut une
relation décrite comme une alternance de « doux rêves » et de « gros bémols ». Il décrit
une personne très instable sur le plan émotionnel, manipulatrice et parfois tyrannique
avec lui. Elle l'a trompé plusieurs fois prétextant un sentiment d'être « incomprise ».
Il pense que sa relation avec elle était sadomasochiste, lui-même étant le masochiste, («
peut-être pour me punir ou pour me détruire ») avec de nombreuses crises clastiques le
plus souvent centrées sur des idées de jalousie. Il apprit au tout début de leur relation
que celle-ci avait fait l’objet d’attouchements durant son enfance et dit avoir eu beaucoup de patience et « compassion » à son égard.
Paradoxalement si le sujet met en avant sa rupture sentimentale lors du premier entretien afin d'expliquer les raisons de son passage à l'acte auto agressif, il n'évoque quasiment que son histoire personnelle lors du second entretien, laissant de côté ce qui
concerne son ex compagne.
On remarque ici la contingence et interchangeabilité de l'objet chez les patients borderline, et dans cette hypothèse le lien à l'objet d'attachement primaire incarné par la
146
mère l'ayant délaissé après la naissance de ses deux frères se serait déplacé sur son
amie.
On peut donc parler ici de dépendance affective et de carence affective précoce à impact traumatique.
Le reste de l'entretien peut se résumer par quelques mots-clés énoncés par le patient et
typiques de la problématique Borderline : frustration, injustice, sentiment d'abandon,
d'exclusion, de révolte, d'impuissance, de rancoeur, complexe d'infériorité, dégoût de
soi, lâcheté, regrets, manque affectif, dépendance affective.
La critique de son geste n’est qu’en apparence adaptée et le patient dit qu'il s'agissait
davantage d'un appel au secours que d'un réel désir suicidaire. Il exprime des regrets
mais le geste reste cependant banalisé.
Mr G. sort donc du service 48 heures après son admission avec l'instauration d'un suivi
en centre médico psychologique par une psychologue et sans traitement médicamenteux. Au cours de son hospitalisation du lorazépam 1 mg et de l'hydroxyzine 25mg
avaient été prescrits et efficaces sur la symptomatologie anxieuse.
-Aspects diagnostiques cliniques psycho dynamiques évocateurs du diagnostic
d'État limite:
-Analyse clinique, diagnostic syndromique :
Concernant les classifications internationales, Mr G. Remplit les conditions requises
pour le diagnostic. En effet :
147
-D'après la CIM-10 ou ICD-10 version 2010 le patient rassemble les caractéristiques
nécessaires au diagnostic de troubles de la personnalité émotionnellement labile de type
borderline évoquées plus haut, à savoir une instabilité psycho émotionnelle avec tendance impulsive sans tenir compte des conséquences de ses actes. Ll'humeur est imprévisible et labile. Les relations interpersonnelles sont intenses et très instables. Les
passages à l'acte sont clastiques et ne peuvent être maîtrisés. On observe une tendance à
créer des conflits avec les autres et les perturbations de l'image de soi, de ses objectifs,
de ses intérêts, un sentiment chronique de vide intérieur, une prédisposition à l'autodestruction avec automutilations et une tentative de suicide.
-Le DSM-IV-TR
Ici encore ce patient rassemble plus de cinq critères sur les neuf (neuf au total) utiles au
diagnostic, à savoir :

efforts effrénés pour éviter un abandon réel ou imaginé.

mode de relations interpersonnelles instables et intenses caractérisées par
l’alternance entre les positions extrêmes d’idéalisation excessive et de dévalorisation : on se réfère ici au discours idéalisé concernant son amie, alternant avec des moments de dévalorisation réciproque dans des surenchères
d'insultes lors de leurs disputes.

perturbation de l’identité : instabilité marquée et persistante de l’image ou de
la notion de soi : sentiment d'être une « marionnette », « je me fais peur car la
personne avec laquelle je vis depuis 38 ans « m’est inconnu » et « me paralyse », « est-ce de la schizophrénie ? »

impulsivité dans au moins deux domaines potentiellement dommageables
pour le sujet (par exemple : dépenses excessives, sexualité, toxicomanie,
148
conduite automobile dangereuse, crises de boulimie ou d’anorexie) : polytoxicomanie alcool, drogue, anaclitisme, conduite dangereuse de sa moto.

répétition de comportements, de gestes ou de menaces suicidaires, ou
d’automutilations : tentative de phlébotomie, répétition des comportements à
risques.

instabilité affective due à une réactivité marquée de l’humeur (par
exemple : dysphorie épisodique intense, irritabilité ou anxiété durant habituellement quelques heures et rarement plus de quelques jours) : observable dans le service.

sentiments chroniques de vide : « j'ai l'impression d'être le spectateur d'une
vie qui n'est pas la mienne. », « Pour me sentir vivant j'avais besoin d'aimer », »
maintenant que je suis de nouveau seul, je n'ai plus rien, plus d'envie, plus de
projets et plus rien n’a d’importance puisque je ressens de nouveau le sentiment
de ne plus maîtriser quoi que ce soit. »

colères intenses (rage) et inappropriées ou difficulté à contrôler sa colère
(par exemple : fréquentes manifestations de mauvaise humeur, colère
constante ou bagarres répétées, colère subite et exagérée) : « tout mon esprit est pollué par son image je ne ressens plus que de l'amertume et l'envie de
tout détruire ».

survenue transitoire dans des situations de stress d’une idéation persécutrice ou de symptômes dissociatifs sévères (peur panique avec vécu de dépersonnalisation, déréalisation, amnésie élective) : « je sens que je deviens
dingue et mes pensées sont des plus inquiétantes. »
149
-Analyse structurelle, psycho dynamique et génétique de la relation d'objet :
L’utilisation du terme analyse structurelle sera limitée à la structure au sens où l'entend
Kernberg [45] qui élargit le sens de la structure en termes de dérivés structurels des
relations d'objet internalisées, sans aborder directement la question de la structure en
termes de névrose psychose ou de perversion.
Le cas de Mr G. évoque une pathologie des relations d’objet internalisées suite à
l’introjection de rejetons pulsionnels agressifs prégénitaux en lien avec les carences
relationnelles aux objets parentaux dont il a fait l’objet. En dehors de ce premier
traumatisme, on retrouve des traumatismes répétés étalés depuis l’enfance jusqu’à
l’adolescence à type de carences affectives sévères et répétées, ayant entraîné des distorsions dans ses choix d’objets plus tardifs. Le patient semble avoir inconsciemment
porté son choix sur une personne incarnant ses relations d’objets précoces afin de reproduire celles-ci dans une compulsion morbide à la répétition, c’est-à-dire une personne tyrannique et perverse selon sa description, qui le faisait passer régulièrement
d’une position idéalisée à une position dévalorisée. Par ailleurs une personne ayant été
abusée dont sexuellement dans son enfance témoignant de processus identificatoires à
ce niveau. Il adoptait avec celle-ci une attitude de soumission passive et ne la dévalorisa
que lorsque celle-ci le quitta (ainsi qu’à chaque fois qu’elle avait tenté de le faire) afin
de se protéger contre ses agressions. A l’admission, Mr G. était appauvri en libido
narcissique mais sa libido d’objet restait intacte voire augmentée, puis ces tendances s’
inversèrent. Son amie était alors l’objet persécuteur par identification projective et
identification primaire à la mère. Lui s’identifiait de façon alternée tantôt à l’agresseur,
tantôt à la victime par clivage.
150
Nous avons évoqués dans ce travail l’hypothèse d’une tentative de réparation à travers
cette répétition et de restitution narcissique d’une identité structurée du soi sur fond de
sentiment continu d’exister. Cette tentative est illustrée par le choix d’objet narcissique
relatif à son amie dont Mr G. était « très fier » de la réussite scolaire et de la « beauté »
comme pour restaurer le narcissisme lui ayant fait défaut suite au peu d’investissement
narcissique dont il dit avoir fait l’objet dans ses relations d’objets précoces avec les
parents (objets signifiants précoces et d’identification à l’origine de l’élaboration du
narcissisme primaire et secondaire).
Mr G. présente des symptômes évocateurs de la faiblesse du moi à savoir une intolérance à l'angoisse à laquelle nous rajouterons une intolérance aux frustrations, à la
solitude et à l'ennui.
Le patient a manifestement recours à des mécanismes de défense archaïques tels que le
clivage et l’identification projective (envers son amie qui est l’objet persécuteur à
l’admission), et leur concrétisation dans le passage à l'acte afin d'expulser les mauvais
objets internes introjectés et les relations d'objet internalisées pathologiques. Mais aussi
l’idéalisation primaire de son amie alternant avec une dévalorisation de celle-ci en
miroir de celle des objets parentaux clivés (mère « totalement mauvaise »/père « totalement bon »). D’autre part, en se soumettant passivement à elle et à ses colères, il
reproduisait les schémas précoces de déprivation affective et relationnelle dont il avait
fait l’objet. De manière ambivalente, en s’assujettissant il chercher à la garder, à la
contrôler ainsi qu’à réparer inconsciemment ses relations d’objets précoces par la répétition.
L’ambivalence discontinue des sujets limites infiltre l’ensemble de ce tableau clinique,
151
ainsi que le clivage suite à l’incapacité de tolérer cette ambivalence.
Les processus dissociatifs atypiques tels que la dépersonnalisation et la déréalisation
vécues par le patient lors des attaques de panique sont le témoin avec le clivage de
mécanismes de défense primitifs caractéristiques des sujets Borderline.
La décharge pulsionnelle matérialisée dans l’acting out va ainsi défendre les bons
objets internes et les relations d'objet internalisées totalement bonnes du sujet en diminuant l'accumulation d'excitation issue des rejetons pulsionnels agressifs de la libido
contrariée.
152
Lorsque la théorie de la relation d’objet émerge dans les années 50, elle marque une
rupture de paradigme en psychanalyse, s’aventurant au-delà de la théorie freudienne
des pulsions et faisant voler en éclat bon nombre de « limites » concernant la théorie de
la sexualité usée par d’ infinis étirements dans ses applications pour la compréhension
de cas cliniques. L’architecture relationnelle à laquelle renvoie la relation d’objet
permet de renseigner sur la structure de personnalité et d’apporter des outils face à
l’errance diagnostique de patients non névrotiques et non psychotiques fonctionnant en
dépit de l’instabilité clinique qui les caractérise selon des processus psycho dynamiques
intégrés au sein d’une structure spécifique stable dans son expression clinique pourtant
instable. Ce travail soutient ainsi la possibilité d'une prise en charge diagnostique en
psychiatrie des troubles limites de la personnalité basée tout ou en partie sur le mode de
fonctionnement de la relation d’objet, au-delà de la catégorisation et des classifications
internationales. L’hétérogénéité clinique inter et intrasubjective, la discontinuité de la
pensée et le désordre qui caractérisent les organisations limites de la personnalité
étayent l’hypothèse d'une compartimentation psychique chez les sujets borderline au
sein de laquelle peuvent coexister différents modes de fonctionnement psychique clivés
les uns des autres.
A une époque toujours plus dénoncée à travers les dérives d’une société de consommation assujettissante et aliénante pour ses contemporains, de la psychologie du moi à
celle de la société, les théoriciens de la relation d’objet sont plus que jamais en mesure
de s’interroger sur la tendance individualiste. Celle-ci semble s’inscrire dans une dérive
post existentialiste qui, à défaut d’avoir libéré le sujet d’inhibitions surmoïques héritées
de principes religieux et castrateurs et de l’avoir revalorisé en lui attribuant sa pleine
153
finalité existentielle, ne se met paradoxalement pas à son service si l’on considère que
la subjectivité phénoménologique de l’être finit par s’amalgamer à l’avoir et au faire.
Ce n’est probablement pas le fruit du hasard si cette problématique semble faire écho à
celle qui se trouve au cœur des conflits intra et interpsychiques des sujets borderline qui
apparaissent constamment dans l’agir, dans une quête avide et désespérée d’amour, de
possession cannibalique de l’autre, avec la crainte annihilante de sa perte les conduisant
à des efforts effrénés pour lutter contre la double contrainte de la peur de l’abandon et
de la dépendance.
Ont-ils toujours existé alors que l’état des connaissances ne permettait pas encore de les
caractériser ou leur genèse est-elle en partie le fait du développement de la science, de
l ‘évolution sociétale et des remaniements structurels et fonctionnels au sein de l’unité
familiale ?
Dans son ouvrage intitulé Un monde sans limite, malaise dans la subjectivation
Jean-Pierre Lebrun [54] traite des rapports entre l'évolution sociétale et des remaniements dans l'organisation au sein de la structure familiale construite selon un modèle
patriarcal.
Ces changements entraveraient le rôle tiercéisant du père et plus précisément du signifiant primaire ou « Nom du père » [52], fonction indispensable à l'élaboration d'une
structure non psychotique pour un individu.
Les précurseurs surmoïques sadiques, interdits hérités de l’Oedipe, tiercéisent la relation duelle à mère qui, si elle persiste trop longtemps à l’état osmotique voire plus
archaïque fusionnel, pourraient être un obstacle aux processus d’individuation et prédisposer l’individu à toutes sortes d’addictions voire à la psychose.
Le père prend paradoxalement plus de pouvoir concernant le droit parental qui dans le
154
modèle sociétal occidental était jusqu’à présent en faveur de la mère. Les pères ont droit
désormais à un congé paternité mais leur représentation aux yeux de l’enfant en tant que
figure autoritaire symbolisant le tiers et le signifiant primaire participera à l’élaboration
d’un trait unaire.
On assiste au final à l’impact sociétal de l’évolution patriarcale et de la scientificité aux
dépends de la religion. Nietzsche clame que « Dieu est mort » et la science donne
l’illusion que tout est possible : « Ce n’est pas la victoire de la science qui caractérise le
XIXe siècle mais la victoire de la méthode scientifique sur la science » [61].
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161
AUTEUR : MARANINCHI
Prénom : Maud
Date de soutenance : 16 mai 2012.
Titre de thèse : Les patients à organisation limite de la personnalité : aspects diagnostiques à
travers l’approche dynamique de la relation d’objet.
Thèse, médecine, Lille,
Cadre de classement : DES de psychiatrie.
Mots-clés : borderline, organisation limite de la personnalité, relation d’objet, instabilité,
passage à l’acte, faiblesse du moi, processus primaires de pensée, prégénitalité,
compartimentation psychique, dépendance, abandon, intrusion, narcissisme, libido.
Résumé : La question diagnostique borderline a toujours fait l’objet de controverses dans le
monde de la psychanalyse comme de la psychiatrie. La théorie de la relation objectale,
dépassement de la théorie de la pulsion freudienne, s’est développée à partir de la deuxième
moitié du XXe siècle alors que le concept de borderline commençait largement à se répandre.
Mais l’ambition diagnostique de ce nouveau paradigme psychanalytique n’est pas de se
substituer à la catégorisation dominant les classifications internationales en psychiatrie, mais
d’en être complémentaire, voire de palier à une certaine insuffisance de leurs limites.
L’instabilité et l’agressivité caractéristiques de ces patients est le fait de particularités
psychodynamiques de la relation objectale conditionnées par leurs mécanismes de défense
archaïques et la pathologie de leurs relations d’objets internalisées. Dans tous les cas, la
psychopathologie apparaît en lien avec une problématique prégénitale dominante qu’il
convient d’étudier afin de déterminer une prise en charge moins chaotique et davantage
personnalisée en dépit de l’hétérogénéité clinique de ce groupe de patients.
Composition du jury :
Président : Professeur Michel Goudemand
Assesseurs : Professeur Pierre Thomas
Professeur Guillaume Vaiva
Docteur Elia Edvick
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