Congrès ASAC-IFSAM 2000 Montréal, Québec Canada Nihel Chabrak (étudiante) Université Paris Dauphine (CEREG) LA POLITIQUE COMPTABLE COMME COMPORTEMENT ORGANISATIONNEL : UNE APPROCHE SOCIO-COGNITIVE This article provides a conceptual and a methodological framework to analyse the accounting policy in an organisation. In a socio-cognitive approach, the accounting policy is considered as a manifest behaviour, which is conditioned by a latent behaviour. Thus, the study of the semantic tissue around the accounting policy choice is relevant to the comprehension of this organisational behaviour. 1. Introduction La politique comptable est une notion qui a suscité un débat important dans la communauté comptable. L’existence d’une politique comptable n’est pas un fait étonnant, du moment qu’au sein du système de normes et de règles comptables, on relève des marges de choix. La politique comptable est justement définie comme étant « l'ensemble des choix faits par les dirigeants sur des variables comptables qui conduisent, dans le respect des contraintes réglementaires, à façonner le contenu ou la forme des états financiers publiés » (Casta, 1997). Cette définition de la politique comptable nous place dans une logique d’optimisation des choix quant au contenu et à la communication financière de l’entreprise avec son environnement. L’existence de ces marges de choix et le risque d’excès de telles politiques entravent une évolution de la réglementation comptable pour assurer une meilleure comparabilité des états financiers dans le temps et dans l’espace d’une part, et la limitation des formes de création comptable d’autre part. Pour éclairer cette évolution souhaitable de la réglementation, il faut comprendre au mieux les déterminants des choix de politiques comptables. Cette question a suscité de nombreuses recherches. Partant des travaux de la théorie positive de la comptabilité, nous montrons, dans cet article, les limites épistémologiques, théoriques et méthodologiques de ce courant pour étudier la question de la politique comptable. Ensuite, nous proposons d’évoluer, à travers l’observation, à une compréhension de la politique comptable ainsi que des facteurs déterminants qui la soustendent. Enfin, nous proposons un cadre théorique et méthodologique qui pourrait élucider la question de la politique comptable. 2. Limites de la théorie positive de la comptabilité Les travaux de la théorie positive de la comptabilité ont accordé une large place à la question de la politique comptable. Ces travaux1, se sont opposés à une approche purement 1 Pour une revue de la littérature sur la théorie positive, voir les travaux de Watts et Zimmerman et T. Saada en France. Actes du Congrès ASAC-IFSAM 2000 1 normative et testent statistiquement des hypothèses de déterminants des choix comptables. Par ailleurs, les travaux sont construits autours de l’hypothèse des marchés efficients qui stipule que les manipulations purement comptables, entraînant des déformations ou des distorsions de la réalité désignées traditionnellement par le terme de bruit, n’ont aucune influence sur les cours boursiers. Ce postulat repose sur une hypothèse d’accès gratuit et complet à l’information. Ainsi, la notion de l’information, de son accessibilité et de son coût sont au cœur de la réflexion sur l’efficience des marchés par rapport aux publications comptables. De ce fait, deux volets d’études se sont développés : le premier volet porte sur le contenu informationnel des données comptables, illustrant la non-neutralité des informations comptables. Il s’agit ici de la théorie du signal. Le deuxième volet étudie les motivations contractuelles, économiques et politiques des choix comptables effectués par les entreprises, il s’agit de la théorie politico-contractuelle (ainsi, le deuxième volet tend à expliquer le pourquoi de ce comportement de signalisation exposé dans le premier volet). Les conclusions de ces recherches attestent que la comptabilité n’est plus cet instrument de communication objectif. Cette subjectivité qui est à l’origine de la politique comptable serait introduite car l’information a la capacité d’influencer les décisions des investisseurs d’une part et résoudre les problèmes d’agence dans la firme d’autre part (voir les travaux de Hagermann et Zmijewski). D’une façon générale, l’apport de la théorie positive de la comptabilité est considérable. Toutefois, cette approche permet-elle de comprendre vraiment les choix de politique comptable ? Quelques-uns peut-être mais cette approche est trop réductrice pour tous les cerner. Permet-elle sinon de comprendre vraiment les comportements qui se traduisent par les choix comptables ? Pas davantage. Les principales critiques qu’on pourrait adresser à la théorie positive à ce niveau de l’analyse sont les suivantes : Tout d’abord, la théorie positive présente la politique comptable comme étant un comportement économique qui se prête à une modélisation et à des analyses à partir d’un corpus d’hypothèses. Une sorte de panoplie de stimulus-réponse. Un choix comptable serait dans ce cas une réaction presque automatique, une sorte de variable dépendante dont on fait hypothèse qu’elle est simulée par une autre variable. La question qui se pose à ce niveau est de savoir si le rôle des managers est effectivement réduit à une simple réaction suscitée par des variables externes ? Peut-on réduire le manager à une simple boîte noire, sans se préoccuper de tout fonctionnement interne, de toute volonté, de toute expérience, … ? La théorie positive a modélisé des actions réflexes et non réflexives, tout l’opposé justement de la notion de politique qui trouve son essence dans le temps. En effet, elle se veut continuité et volonté. Au contraire, la théorie positive met en scène des personnages sans histoire, sans recul, sans responsabilité. Sont-ils vraiment nos comptables ? Avec cette démarche empruntée par la théorie positive de la comptabilité, on pourrait substituer une machine à un homme, car la réponse est dépourvue de tout ce que pourrait caractériser un être humain, à savoir des comportements psychologiquement et socialement enracinés. La deuxième critique concerne le postulat d’opportunisme des dirigeants, à partir duquel les chercheurs de la théorie positive ont construit leurs hypothèses de recherche. Ce postulat qui a été emprunté aux économistes néoclassiques, n’a jamais fait l’objet d’une véritable analyse. Dans la logique Popperienne, ce postulat relève des construits forts de la théorie qui ne sont pas soumis à la réfutation, ni à la remise en cause. Pouvons nous, cependant, réduire la réalité humaine de la sorte ? Quelle vision de l’homme conduit à considérer tout comportement comme a priori opportuniste ? N’est-il pas réducteur de condamner l’homme à cette seule voie qu’est Actes du Congrès ASAC-IFSAM 2000 2 l’opportunisme ? N’aurait-il donc pas un comportement plus complexe ? Pas même s’il s’avèrait dans la majorité des cas comme opportuniste, serait-il juste de généraliser ? Le bon sens veut que nous prêtions plus d’attention à nos jugements, notamment lorsqu’il s’agit de construire des théories et des connaissances sur cette base. La théorie positive présente malheureusement un individu qui correspond au modèle X de Mac Grégor. C’est la conception de l’homme paresseux qui aurait besoin de contrôle et de régulation, qui ne pourrait travailler sans contraintes, qui n’aurait pas d’autonomie et dont la seule satisfaction serait la rétribution. Le risque d’une telle conception, c’est que l’individu, dans ce cas, se comporterait à l’image de ce qu’on attend de lui. On produirait, par conséquent des individus correspondant au modèle présupposé, des individus paresseux. La réalité pourrait être plus différente, car il y aurait une autre conception de la nature humaine (Y), des individus qui s’impliqueraient dans leurs travaux, qui voudraient se réaliser dans leurs missions, qui souhaiteraient avoir plus de responsabilités. Ces individus trouveraient leur satisfaction plus dans le travail que dans la rémunération. La réalité humaine est très complexe, la réduire à un comportement opportuniste serait regrettable. Il serait souhaitable d’analyser d’une manière plus profonde les comportements humains plutôt que d’émettre des présupposés idéologiques. Les orientations épistémologiques, théoriques et méthodologiques du courant de la théorie positive ne permettent pas d’analyser le postulat d’opportunisme. En effet, l’étude des comportements ne relève pas de l’épistémologie naturaliste. Les comportements humains sont d’une complexité qui suscite une approche non structurée, sans a priori et inscrite dans l’étude des phénomènes, comme cas particuliers. La réalité humaine, tellement diverse et complexe, ne devrait pas être soumise à des généralisations et à des comparaisons, au risque de la vider de tous ses sens, de toutes ses spécificités, de toutes ses particularités. La vie humaine n’est pas soumise à des lois physiques, elle n’est pas soumise ni à la prévision, ni à la normativité. L’optimisation serait la conséquence d’une meilleure compréhension du sujet et d’une adéquation des conditions à cette découverte. De plus, le cadre théorique emprunté par la théorie positive ne permettrait pas d’appréhender les facteurs mis en jeu par les choix des dirigeants. L’observation révèle qu’en effectuant un choix comptable, les dirigeants affichent un comportement intégré, polyphasé et multidimensionnel, au sens de Mintzberg (1973). En effet, le comportement du dirigeant est une action ou réflexion non isolée, finalisée, soutenue par une attitude, faisant appel à des connaissances et à des caractéristiques individuelles en relation dialectique avec l’environnement organisationnel. Pour cerner les comportements des dirigeants, il faudrait faire appel à un cadre permettant de saisir la complexité des comportements individuels et des situations ou des contextes. Cet espace de réflexion s’insère dans les théories étudiant l’être humain en rapport avec son environnement. Enfin, la méthodologie adoptée par les chercheurs de la théorie positive de la comptabilité ne permet pas de saisir les traits du comportement du dirigeant qui est soumis à une double totalité, à savoir une totalité psychique et une totalité systémique de l’organisation. La construction scientifique à laquelle aboutit la théorie positive est une image d’une expérience morcelée. Les résultats ressemblent à une juxtaposition d’éléments plutôt qu’à une vision globale, totalitaire et intégrée. Le morcellement est observé au niveau des politiques comptables ainsi que de leurs déterminants. La politique comptable se traduit certes par un ensemble de choix comptables, mais pourrait–elle être considérée comme la somme arithmétique de ces choix ? Ne serait-elle pas plutôt une notion plus complexe qu’un simple agrégat de choix ? Actes du Congrès ASAC-IFSAM 2000 3 De plus, pouvons-nous considérer qu’elle serait la résultante de facteurs isolés ou même conjugués. Serait-elle plutôt l’émanation de comportements plus diffus dans l’organisation ? Le sens commun veut que nos choix résultent de nos connaissances qui sont acquises par nos expériences. De ce fait, l’action, la réflexion, la décision ne sont pas dissociées des acquis. Serait-il réducteur de considérer la politique comptable comme une conséquence plus ou moins prévisible à partir du moment que le dirigeant serait confronté à un ensemble de variables. Le déterminisme serait probablement aveuglant pour pouvoir cerner la notion de politique comptable, car en définitif, la question de la politique comptable serait plus fondamentale qu’une détermination de réactions suscitées par des facteurs dans le cadre d’hypothèses appliquées par les chercheurs ? La compréhension de la politique comptable ne serait que possible grâce à une reconstitution de l’expérience du dirigeant. La théorie positive s’est contentée de présenter différentes réponses à des variables, expérimentales et externes qui pourraient être complètement étranges à l’expérience du dirigeant. Critique de la méthodologie de la théorie positive Variable A Choix comptable = Réaction 1 Variable B Choix comptable = Réaction 2 Variable C Choix comptable = Réaction 3 Variable A + B Choix comptable = Réaction 4 Variable A + C Choix comptable = Réaction 5 Variable B + C Choix comptable = Réaction 6 Variable A + B + C Choix comptable = Réaction 7 ? ∑ (V) == Expérience du dirigeant comptable ? ∑ (R ou choix)== Politique Ce schéma illustre la fragmentation de l’expérience du dirigeant, en néglegeant la multidimentionnalité et la complexité des décsions. Les choix ne sont pas isolés, ni conditionnées et déclenchés par un stimulus de l’environnement. Après cet exposé, on peut se demander si ces lacunes ne pouvaient expliquer les limites des validations statistiques des travaux de la théorie positive. En effet, les recherches de la théorie positive cernent, certes l’essentiel, mais pas tous les facteurs expliquants les choix comptables. Actes du Congrès ASAC-IFSAM 2000 4 Pour ces raisons, l’étude des choix de politique comptable ne saurait se limiter à cette approche. Si nous voulons expliquer les politiques comptables dans les organisations, il nous semble qu’il faut recourir à des théories et à des méthodes qui ne soient pas limitées par des postulats aussi réducteurs. Plusieurs voies alternatives sont sans doute possible. Tout d’abord, nous allons observer. 3. Un autre point de départ ; l’approche socio-cognitive Tout d’abord, la politique comptable est une notion abstraite. Elle ne peut être saisie qu’ à travers l’image de l’entreprise. Image issue des représentations de l’entreprise par la comptabilité et par les responsables. En effet, l’information comptable traduit une vision à la fois globale et formelle, mais également des visions individuelles et informelles. Ces représentations de l’entreprise sont les résultantes d’un ensemble de comportements dans l’organisation. Les représentations sont soutenues par toute action, réflexion ou décision, à laquelle, tout responsable fait face dans l’organisation. Ainsi, les choix comptables devraient être considérés comme étant des comportements organisationnels. Le choix d’un cadre théorique et méthodologique doit s’inscrire dans le souci de décortiquer ces comportements. Que l’on ne puisse pas saisir la politique comptable en soi, mais seulement à travers ses manifestations nous contraint à adopter une posture phénoménologique. Ensuite, il ne s’agit pas de voir comment les décisions doivent être prises pour être optimales, ni comment elles peuvent être prises. Notre souci est de montrer comment les décisions sont effectivement prises. Ce travail essaie de mettre à nu comment le choix de politique comptable est effectivement entrepris. Il s’inscrit de ce fait dans une approche plutôt descriptive que normative ou mathématique. Enfin, l’étude des comportements dans les organisations devrait tenir compte des comportements individuels, impliquant des caractéristiques cognitives, mais également de la dimension sociale qui, à travers la prise en compte du cadre social qu’est l’organisation, constitue une source de complexité du comportement. C’est la raison pour laquelle, l’approche sociocognitive, qui puise ses bases théoriques dans la psychologie cognitive et dans la psychologie sociale, nous a paru pertinente. 4. La politique comptable : comportement manifeste, comportement latent La pproche socio-cognitive peut s’appliquer à de nombreux domaines, nous allons tenter de mettre ce cadre théorique au service de la recherche d’une explication des choix comptables dans une organisation. Dans une perspective des sciences cognitives, le comportement a deux niveaux. Il y a un comportement manifeste, mais également un comportement latent. Le comportement manifeste est défini, en psychologie cognitive, comme étant l’ensemble des activités motrices, y compris verbales, et des activités glandulaires par lesquelles l’individu répond aux sollicitations de son environnement physique et social. Le comportement latent est composé d’un ensemble d’activités mentales. La psychologie cognitive considère qu’il s’agit d’un ensemble d’opérations de traitement de l’information, opérations par lesquelles l’individu, au départ de l’information sensorielle, élabore des représentations et effectue des transformations sur ces représentations, Actes du Congrès ASAC-IFSAM 2000 5 pour finalement les utiliser pour la mise en place de ses comportements manifestes. Il s’agit, donc, d’opérations cognitives ou processus cognitifs. La plus grande difficulté avec les activités mentales est leur observation. Certains sont restés à cette difficulté, ainsi la psychologie anglo-saxonne a été fortement marquée par le béhaviorisme (J.B Watson, B.F Skinner) entre les années 20 et 60. Le comportement manifeste était considéré, par les béhavioristes, comme étant la seule donnée objective qui puisse fonder une connaissance scientifique. Ce n’est qu’après que les psychologues (Miller aux Etats Unis, etc.) ont voulu tenir compte du fait que le comportement manifeste soit « piloté » par le système nerveux qui traite de l’information. Ainsi, a été relancé l’étude des processus dits « de haut niveau », parmi lesquels les processus de décision, de résolution de problèmes, de raisonnement, etc. (Costermans, 1998). Pour pouvoir faire émerger les facteurs déterminants dans les choix comptables, l’apport de la psychologie cognitive nous amène à déplacer le débat sur la politique comptable à un autre niveau, plus fondamental. En effet, la politique comptable est, dans cette approche, la résultante d’un ensemble de comportements observables qui seraient pilotés par des comportements de « haut niveaux », dits latents. La compréhension des déterminants des comportements manifestes revient alors à reconstituer l’activité mentale ou cognitive qui les sous-tend. La difficulté se présente ainsi : comment étudier les comportements latents. Comment mettre en évidence cette activité cognitive ? Une possibilité prometteuse, que cet article propose, consiste à appréhender l’organisation de l’activité mentale, qui pilote le choix de politique comptable (comportement manifeste), à travers le réseau sémantique tissé autours des décisions comptables. Le réseau sémantique est donc une manière de schématiser le comportement latent. Un réseau sémantique est une structure de représentation des connaissances qui se présente sous la forme d’un graphe comportant des nœuds. Ces nœuds correspondent à des objets, des concepts ou des événements. Ils sont reliés entre eux par des arcs qui spécifient la nature de leurs relations. Comment pourrions-nous appréhender l’activité mentale à travers le réseau sémantique ? La réponse serait comme suit : Dans les sciences cognitives, les comportements latents sont considérés comme étant des opérations de traitement de l’information (Information processing). La psychologie cognitive a étudié ces opérations en analysant comment l’information de l’environnement est encodée, sélectionnée, organisée, stockée, récupérée, par le biais des systèmes sensoriels, perceptifs, attentionnels, mnémoniques, etc. Plusieurs études attestent des effets de contexte dans l’activité cognitive. Reste à savoir comment les informations sont traitées ? Une distinction essentielle concernant l’étude du traitement de l’information en psychologie cognitive est celle qui oppose un traitement « ascendant » (bottom-up) et descendant (top-down). Dans le premier type de traitement, présumé automatique, les informations traitées sont directement issues de la simulation sensorielle : il s’agit d’un guidage par le stimulus. Dans cette perspective, le contexte a essentiellement une fonction de modulateur : les connaissances et les processus sont généraux mais leur mise en œuvre se spécifie en fonction du contexte qui, dans cette perspective, ne peut être qu’un contexte situationnel externe. Cette même fonction modulatrice apparaît dans la théorie piagétienne classique : les caractéristiques des situations facilitent ou rendent plus difficile la mise en œuvre de structures cognitives générales, ce dont on rend compte en invoquant l’implication de schèmes procéduraux qui jouent le rôle de médiateurs entre la situation et les Actes du Congrès ASAC-IFSAM 2000 6 structures cognitives du sujet. Dans le second type de traitement, plus contrôlé, les informations sont traitées sous le guidage des concepts, des représentations cognitives en mémoire (Houdé & Coll, 1998). Le contexte est ici présenté selon une autre conception, dans la mesure où il est considéré comme constitutif des connaissances dont il détermine à la fois l’activation et les limites de validité (les connaissances ne sont valides que dans le cadre d’un contexte donné). Il existe donc également un contexte interne. Une modélisation éventuelle de cette affirmation consiste à présenter la contextualisation de l’organisation des connaissances par les buts. Dans ce cas, les objets seront catégorisés par des procédures et organisés par inclusion dans un réseau sémantique. Le contexte interne peut également guider le traitement de stimulus, dans ce sens, la contextualisation qui caractérise l’organisation des connaissances humaines apparaît comme la condition de leur efficacité (Houdé & Coll, 1998). Quelle que soit la conception, le contexte apparaît dans les processus cognitifs comme l’une des références déterminantes dans l’élaboration de la décision. La notion de champ psychologique est ainsi évoquée, car probablement c’est dans le secteur de la décision qu’on peut voir, le plus explicitement, quelques-unes des modalités qui permettent l’articulation des données concrètes et des notions à caractère théorique qui permettent de les traiter (Cadet, 1998). C’est ainsi, qu’actuellement, l’accent est mis sur les interactions complexes entre ces deux types de traitement ainsi que ces deux conceptions du contexte, en relation avec les exigences de la tâche et les caractéristiques individuelles. Certains auteurs soulignent même le rôle de l’action ou des représentations de l’action dans le traitement de l’information. Ainsi, par exemple, la perception serait une action simulée, au sens où elle est un jugement, une prise de décision, une anticipation des conséquences de l’action (Houdé & Coll, 1998). Ce schéma illustre l’activité cognitive qui pourrait guider les choix comptables faits par les dirigeants. Les comportements émanent des connaissances dont dispose le responsable et qui seraient mises en œuvre, dans un champ psychologique, par une contextualisation interne et externe. Les données concrètes jouent le rôle de la fonction modulatrice pour les connaissances générales. En effet, le responsable fait appel à des représentations compte tenu du contexte externe. Cependant, cette mise en œuvre est une sorte d’activation soumise à des notions théoriques relevant du contexte interne. Ainsi, le comportement latent serait un processus de traitement d’informations, qui puise ses origines dans les connaissances générales du dirigeant, contextualisés par une relation dialectique entre les caractéristiques internes du responsable et les facteurs externes de son environnement. La structure épistémologique qui en résulte serait le schéma directeur, à partir duquel, le responsable décide d’un ensemble de choix comptables. Ainsi, le réseau sémantique permet d’appréhender l’activité mentale puisqu’il est l’aboutissement d’un processus de mise en œuvre des connaissances générales du dirigeant, contextualisées par le champ psychologique. Les concepts et les arcs de ce réseau trouvent leurs sens dans les spécificités du processus de sa mise en œuvre. Actes du Congrès ASAC-IFSAM 2000 7 Le réseau sémantique pour appréhender l’activité cognitive CONNAISSANCES GENERALES Le contexte externe (Fonction modulatrice) Le contexte interne (exemple de modélisation: contextualisation par les buts) Mise en œuvre Mise en œuvre Spécification de la mise en œuvre en fonction Activation et limites de validité Du contexte externe en fonction du contexte interne Guidage par le stimulus = Traitement « ascendant » Guidage par les représentations en mémoire Champ psychologique Articulation des notions à caractères théoriques et des données concrètes Connaissances générales tissé Mise en œuvre Réseau sémantique autour des choix comptables Les représentations dans la mémoire Structure épistémologique à partir de la quelle l’individu organise son expérience (Son comportement) 5. Comment accéder au comportement latent ? A ce niveau de l’analyse, nous pourrions nous poser une question sur l’outil méthodologique qui pourrait nous aider à reconstituer le réseau sémantique en question. Tout d’abord, toute approche méthodologique doit s’inscrire dans une vision phénoménologique et holistique. L’étude doit présenter les spécificités des cas individuels. Chaque individu dispose d’un système référentiel qui lui est propre, chaque individu doit être considéré comme ayant des expériences personnelles, des histoires spécifiques à évoquer. Ainsi, les sujets auraient des attitudes différentes à l’égard du chercheur et de la question étudiée. La nature de l’objet de recherche exige une rupture avec toute recherche de généralisation des connaissances. Dilthey (un philosophe allemand) défend, à la fin du siècle dernier, l’idée que la méthode employée par les sciences naturelles ne peut pas s’appliquer à la psychologie. La vie psychique est inexplicable en termes de causes et d’effets. On peut seulement la comprendre, l’observer et la décrire en termes de totalités données de l’expérience Actes du Congrès ASAC-IFSAM 2000 8 vécue, c’est en ce sens que la méthode suggérée dans cet article doit relever d’une épistémologie humaniste l’opposant à l’épistémologie naturaliste qui sert de fondement à la méthode expérimentale. Cette attitude compréhensive s’insère dans le cadre d’une phénoménologie car, ce qui importe en phénoménologie, c’est moins l’étude de cas innombrables que la compréhension intuitive et profonde de quelques cas particuliers (Reuchlin, 1998). Car aussi ce n’est pas l’étude des choses en soi, mais comment elles nous apparaissent, par exemple dans les représentations comptables De plus, le souci d’une vision holistique est certes dicté par le principe de l’intégrité psychique qui fait que l’expérience humaine est une totalité. Toute approche doit éviter de morceler l’expérience de l’individu au risque de faire perdre à ses comportements, tout sens. Mais, la vision holistique est également dictée par la réalité organisationnelle. En effet, les propriétés du tout ne peuvent, en aucun cas, être prédites ou expliquées à partir des propriétés des parties. Le holisme est associé à l’émergentisme, dans le sens où, les propriétés du tout émergent d’une manière qui ne peut être dérivée des propriétés des constituants (Bougon & Komocar, 1994). Les systèmes sociaux, dans une perspective holistique, ne possèdent pas une existence absolue indépendante des participants. En effet, la structure et la dynamique des systèmes sociaux proviennent des concepts et des connexions qui existent dans l’esprit des participants. A partir de la systémique organisationnelle, tout comportement devrait être considéré par rapport à tout le système et ses composantes. L’organisation est un ensemble en interaction dynamique. Tout comportement est multidimensionnel, intégré et polyphasé (Mintzberg, 1973). Ainsi, l’étude d’un comportement organisationnel doit tenir compte de cette réalité complexe et mouvante. Une approche holistique pourrait le permettre. Compte tenus de ces exigences de méthode, pour mettre à nu le réseau sémantique tissé autour des choix comptables, la cartographie cognitive pourrait être d’un précieux apport. 6. La carte cognitive idiosyncrasique : outil de recherche pour la problématique de la politique comptable La méthodologie des cartes cognitives idiosyncrasiques s’inscrit dans une approche phénoménologique. Elle respecte le holisme et l’émergentisme , notions fondamentales pour étudier les comportements organisationnels. Plusieurs tendances ont marqué l’utilisation des cartes cognitives. Dans ce travail, elle est définie comme étant « la représentation graphique d’un modèle général de prise de connaissance à partir duquel l’individu disait organiser son expérience » (Cossette, 1994). La carte cognitive reconstruit une structure épistémologique qui serait le repère ou le schéma directeur, à partir duquel le sujet oriente et dirige ses comportements. L’analyse de cette carte pourrait élucider l’organisation de l’activité mentale du sujet. Elle pourrait mettre en relief le réseau sémantique tissé autour des choix comptables dans l’organisation. Cossette définit la carte cognitive comme étant « la représentation graphique de la représentation mentale que le chercheur se fait d’un ensemble de représentations discursives énoncées par le sujet à partir de ses propres représentations cognitives à propos d’un objet particulier ». Ainsi, l’auteur distingue le produit cognitif du produit matériel qu’est la carte cognitive. Cet avis nous convient dans la mesure où la carte cognitive n’est qu’une Actes du Congrès ASAC-IFSAM 2000 9 schématisation résultant d’un effort de reconstitution de la pensée du sujet, par le chercheur, et qui subit un processus de conservation de transformation et de réduction (Cossette, 1994). Ceci nous permet de préciser davantage la méthode requise : comment en effet dessiner la carte cognitive ? La définition suggère l’utilisation de l’entretien en profondeur comme instrument de recherche afin d’aboutir à la réalisation des cartes cognitives. L’entretien en profondeur est une série d’entretiens menée à un niveau de profondeur et de liberté élevé. Toutefois, contrairement à l’entretien clinique psychanalytique ou psychiatrique, l’attitude de l’interviewer peut être plus ou moins directive, car c’est lui qui suggère le domaine à explorer. La liberté se traduit à deux niveaux : celui de l’interviewer, dans la manière comment il conduit l’entretien et celui de l’interviewé dans sa façon de répondre. Les entretiens ne sont pas répétés d’une façon systématique et délibérée, avec différents sujets, à des fins de comparaison. En effet, l’entretien en profondeur consiste à répéter les séances de façon heuristique et émergente à des fins d’accumulation de la connaissance sur un domaine particulier. Cette approche est dictée par le souci du chercheur d’évoluer vers le but de sa recherche (Thiétart & coll, 1999). En effet, le chercheur doit observer le contenu latent (Grawitz, 1996) et chercher à atteindre le niveau « inconscient » à fin de circonvenir la présence d’un système de défense développé par le sujet, pour qui, l’entretien constitue une succession de dévoilements risqués, voire menaçants. Ces résistances sont liées à deux séries de facteurs : le processus d’objectivation à l’œuvre dans l’interlocution et la régionalisation des représentations. Ces facteurs ont trait à la dimension cognitive, affective et sociale chez l’individu. L’objectivation découle du fait que le sujet interrogé ne livre pas un discours déjà constitué mais le construit en parlant. Ainsi, il opère une transformation de son expérience cognitive passant du registre procédural (savoir–faire) au registre déclaratif (savoir–dire). En explicitant ce qui n’était encore qu’implicite, extériorisant ce qui était intériorisé, le sujet passe de l’insu au dit et s’expose en se posant à la fois hors de lui-même en vis-à-vis. Il peut vouloir reculer autant devant la nouveauté de ses propos que devant leur incongruité (Blanchet & Gotman, 1992). La régionalisation des représentations est le fait que les représentations ne soient pas formulables n’importe où ni en n’importe quelles circonstances. En effet, elles sont structurées en régions plus ou moins étanches et hiérarchisées. Pour la sociologie ce phénomène relève d’une conception du discours social et de l’idéologie qui sont davantage liées au désir de ne pas perdre la face (Blanchet & Gotman, 1992), qu’à un processus de refoulement psychique 2. Proche de cette réaction de refoulement, Freud a évoqué aussi la réaction de l’oubli qui se rapporte sur des faits et non sur des désirs et qui révèle la manière, selon laquelle, le sujet réorganise ses souvenirs, en oubliant de préférence ce qui lui a été désagréable. Les éléments présentés dans ce paragraphe conditionnent le cadre d’utilisation des cartes cognitives. Tout d’abord, les cartes cognitives, que nous essayerons d’élaborer dans nos travux ultérieurs, sont des cartes idiosyncrasiques qui répondent le mieux au souci de ne pas morceler l’expérience de l’individu chose qui pourrait s’avérer comme réductionniste de l’être humain. Les cartes idiosyncrasiques consacrent l’intégrité psychique des individus et le caractère indivis de leur expérience. Elles sont élaborées dans le but d’explorer l’expérience individuelle dans toutes ses particularités et spécificités. Pour cela, les cartes idiosyncrasiques sont élaborées sans 2 Théorie psychanalytique, selon laquelle le sujet va rejeter hors de la conscience les désirs ressentis comme coupables (en repoussant ces désirs, les sujets arrivent à les ignorer). L’apport de Freud consiste essentiellement à montrer que ces désirs conservent leur énergie pour s’extérioriser sous une autre forme consciente, cette fois acceptable Actes du Congrès ASAC-IFSAM 2000 10 a priori, sans figer le sujet dans un cadre prédéterminé, à travers des concepts présupposés. De ce fait, les cartes idiosyncrasiques ne se prêtent pas à une comparaison. Toute autre approche des cartes cognitives constitue une limitation à l’exploration du vécu individuel. Le sujet risque de s’écarter de sa propre conceptualisation de la réalité en se trouvant prisonnier d’un modèle cognitif fermé par le chercheur (Cossette, 1994). En conclusion, la carte cognitive idiosyncrasique est une façon d’aborder la complexité et la dynamique qui caractérisent le comportement de tous les jours en milieu de travail, notamment le choix de politique comptable. 7. Conclusion Cet article présente une nouvelle approche pour l’étude des politiques comptables dans l’organisation. En effet, les recherches qui ont été menées relèvent essentiellement de la théorie positive de la comptabilité. Les choix épistémologiques, théoriques et méthodologiques de ces chercheurs permettent d’analyser les choix comptables en tant que comportements économiques qui se prêtent à une modélisation simple. De plus, ce sont des comportements construits sur la base d’une conception fort critiquée de la réalité humaine, à savoir une conception de l’homme opportuniste qui aurait besoin d’être encadré pour éviter les débordements. Une rupture épistémologique avec la théorie positive serait dictée par le souci de découvrir la réalité humaine. Cette réalité est beaucoup plus complexe pour la saisir à travers des présupposés théoriques. A cet effet, nous avons emprunté la voie de l’observation, pour la compréhension, en considérant chaque cas comme étant particulier et porteur de connaissances, sans chercher à généraliser ou à aboutir à une vision unique. L’incomparabilité est tout à fait réelle et la réalité humaine est riche par l’incommensurabilité des cas individuels. Ensuite, l’observation révèle une autre réalité des choix comptables. Les choix seraient des comportements organisationnels. Ils reflètent une réalité psychologiquement et socialement ancrée. En conséquence, une rupture théorique serait justifiée, en faisant appel à une approche socio-cognitive. L’apport de ce cadre théorique serait de déterminer le niveau auquel il faudrait étudier la question des déterminants des choix comptables. En effet, dans une perspective de sciences cognitives, les comportements observables (les choix comptables) seraient pilotés par des comportements latents. La compréhension des déterminants des choix comptables serait possible grâce à la reconstitution de l’activité cognitive, notamment du réseau sémantique tissé autour des choix comptables. La nature de l’objet étudié et du niveau d’analyse justifierait une rupture méthodologique. Les cartes cognitives idiosyncrasiques reconstruisent le réseau sémantique qui oriente les choix comptables des dirigeants. Ces cartes pourraient respecter le holisme auquel est soumise l’expérience du dirigeant. Une expérience qui est soumise à l’intégrité psychique et à la nature systémique de la dynamique organisationnelle. Les entretiens en profondeur pourraient permettre de construire ces cartes. Le dirigeant aurait la possibilité de reproduire ses schèmes idiosyncrasiques, sans être figé dans un cadre préétabli, structuré et plein d’a priori. Les perspectives de recherche que propose cet article sont autrour de la construction des cartes cognitives idiosyncrasiques pour pouvoir comprendre les choix traduisant les politiques comptables dans les organisations. Actes du Congrès ASAC-IFSAM 2000 11 8. Bibliographie 2) Blanchet, A & Gotman, A., L’enquête et ses méthodes: l’entretien, Nathan, France, 1992. 3) Bougon, Michel. G & Komocar, John. M, « Les cartes cognitives composites : Théorie holistique et dynamique des organisations et du processus d’organisation », article dans l’ouvrage sous la direction de Pierre Cossette: « cartes cognitives et organisations », Edition ESKA, Canada, 1994. 4) Cadet, B., Psychologie cognitive. 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