La Politique comptable comme comportement organisationnel

Actes du Congrès ASAC-IFSAM 2000 1
Congrès ASAC-IFSAM 2000 Nihel Chabrak (étudiante)
Montréal, Québec Université Paris Dauphine (CEREG)
Canada
LA POLITIQUE COMPTABLE COMME COMPORTEMENT
ORGANISATIONNEL : UNE APPROCHE SOCIO-COGNITIVE
This article provides a conceptual and a methodological framework to analyse the
accounting policy in an organisation. In a socio-cognitive approach, the accounting
policy is considered as a manifest behaviour, which is conditioned by a latent
behaviour. Thus, the study of the semantic tissue around the accounting policy
choice is relevant to the comprehension of this organisational behaviour.
1. Introduction
La politique comptable est une notion qui a suscité un débat important dans la
communauté comptable. L’existence d’une politique comptable n’est pas un fait étonnant, du
moment qu’au sein du système de normes et de règles comptables, on relève des marges de
choix. La politique comptable est justement définie comme étant « l'ensemble des choix faits par
les dirigeants sur des variables comptables qui conduisent, dans le respect des contraintes
réglementaires, à façonner le contenu ou la forme des états financiers publiés » (Casta, 1997).
Cette définition de la politique comptable nous place dans une logique d’optimisation des choix
quant au contenu et à la communication financière de l’entreprise avec son environnement.
L’existence de ces marges de choix et le risque d’excès de telles politiques entravent une
évolution de la réglementation comptable pour assurer une meilleure comparabilité des états
financiers dans le temps et dans l’espace d’une part, et la limitation des formes de création
comptable d’autre part. Pour éclairer cette évolution souhaitable de la réglementation, il faut
comprendre au mieux les déterminants des choix de politiques comptables. Cette question a
suscité de nombreuses recherches.
Partant des travaux de la théorie positive de la comptabilité, nous montrons, dans cet
article, les limites épistémologiques, théoriques et méthodologiques de ce courant pour étudier la
question de la politique comptable. Ensuite, nous proposons d’évoluer, à travers l’observation, à
une compréhension de la politique comptable ainsi que des facteurs déterminants qui la sous-
tendent. Enfin, nous proposons un cadre théorique et méthodologique qui pourrait élucider la
question de la politique comptable.
2. Limites de la théorie positive de la comptabilité
Les travaux de la théorie positive de la comptabilité ont accordé une large place à la
question de la politique comptable. Ces travaux1, se sont opposés à une approche purement
1 Pour une revue de la littérature sur la théorie positive, voir les travaux de Watts et Zimmerman et T. Saada
en France.
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normative et testent statistiquement des hypothèses de déterminants des choix comptables. Par
ailleurs, les travaux sont construits autours de l’hypothèse des marchés efficients qui stipule que
les manipulations purement comptables, entraînant des déformations ou des distorsions de la
réalité désignées traditionnellement par le terme de bruit, n’ont aucune influence sur les cours
boursiers. Ce postulat repose sur une hypothèse d’accès gratuit et complet à l’information. Ainsi,
la notion de l’information, de son accessibilité et de son coût sont au cœur de la réflexion sur
l’efficience des marchés par rapport aux publications comptables. De ce fait, deux volets
d’études se sont développés : le premier volet porte sur le contenu informationnel des données
comptables, illustrant la non-neutralité des informations comptables. Il s’agit ici de la théorie du
signal. Le deuxième volet étudie les motivations contractuelles, économiques et politiques des
choix comptables effectués par les entreprises, il s’agit de la théorie politico-contractuelle (ainsi,
le deuxième volet tend à expliquer le pourquoi de ce comportement de signalisation exposé dans
le premier volet).
Les conclusions de ces recherches attestent que la comptabilité n’est plus cet instrument
de communication objectif. Cette subjectivité qui est à l’origine de la politique comptable serait
introduite car l’information a la capacité d’influencer les décisions des investisseurs d’une part et
résoudre les problèmes d’agence dans la firme d’autre part (voir les travaux de Hagermann et
Zmijewski).
D’une façon générale, l’apport de la théorie positive de la comptabilité est considérable.
Toutefois, cette approche permet-elle de comprendre vraiment les choix de politique comptable ?
Quelques-uns peut-être mais cette approche est trop réductrice pour tous les cerner. Permet-elle
sinon de comprendre vraiment les comportements qui se traduisent par les choix comptables ?
Pas davantage. Les principales critiques qu’on pourrait adresser à la théorie positive à ce niveau
de l’analyse sont les suivantes : Tout d’abord, la théorie positive présente la politique comptable
comme étant un comportement économique qui se prête à une modélisation et à des analyses à
partir d’un corpus d’hypothèses. Une sorte de panoplie de stimulus-réponse. Un choix comptable
serait dans ce cas une réaction presque automatique, une sorte de variable dépendante dont on
fait hypothèse qu’elle est simulée par une autre variable. La question qui se pose à ce niveau est
de savoir si le rôle des managers est effectivement réduit à une simple réaction suscitée par des
variables externes ? Peut-on réduire le manager à une simple boîte noire, sans se préoccuper de
tout fonctionnement interne, de toute volonté, de toute expérience, … ?
La théorie positive a modélisé des actions réflexes et non réflexives, tout l’opposé
justement de la notion de politique qui trouve son essence dans le temps. En effet, elle se veut
continuité et volonté. Au contraire, la théorie positive met en scène des personnages sans
histoire, sans recul, sans responsabilité. Sont-ils vraiment nos comptables ? Avec cette démarche
empruntée par la théorie positive de la comptabilité, on pourrait substituer une machine à un
homme, car la réponse est dépourvue de tout ce que pourrait caractériser un être humain, à
savoir des comportements psychologiquement et socialement enracinés.
La deuxième critique concerne le postulat d’opportunisme des dirigeants, à partir duquel
les chercheurs de la théorie positive ont construit leurs hypothèses de recherche. Ce postulat qui
a été emprunté aux économistes néoclassiques, n’a jamais fait l’objet d’une véritable analyse.
Dans la logique Popperienne, ce postulat relève des construits forts de la théorie qui ne sont pas
soumis à la réfutation, ni à la remise en cause. Pouvons nous, cependant, réduire la réalité
humaine de la sorte ? Quelle vision de l’homme conduit à considérer tout comportement comme
a priori opportuniste ? N’est-il pas réducteur de condamner l’homme à cette seule voie qu’est
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l’opportunisme ? N’aurait-il donc pas un comportement plus complexe ? Pas même s’il s’avèrait
dans la majorité des cas comme opportuniste, serait-il juste de généraliser ? Le bon sens veut
que nous prêtions plus d’attention à nos jugements, notamment lorsqu’il s’agit de construire des
théories et des connaissances sur cette base.
La théorie positive présente malheureusement un individu qui correspond au modèle X de
Mac Grégor. C’est la conception de l’homme paresseux qui aurait besoin de contrôle et de
régulation, qui ne pourrait travailler sans contraintes, qui n’aurait pas d’autonomie et dont la seule
satisfaction serait la rétribution. Le risque d’une telle conception, c’est que l’individu, dans ce
cas, se comporterait à l’image de ce qu’on attend de lui. On produirait, par conséquent des
individus correspondant au modèle présupposé, des individus paresseux. La réalité pourrait être
plus différente, car il y aurait une autre conception de la nature humaine (Y), des individus qui
s’impliqueraient dans leurs travaux, qui voudraient se réaliser dans leurs missions, qui
souhaiteraient avoir plus de responsabilités. Ces individus trouveraient leur satisfaction plus dans
le travail que dans la rémunération. La réalité humaine est très complexe, la réduire à un
comportement opportuniste serait regrettable. Il serait souhaitable d’analyser d’une manière plus
profonde les comportements humains plutôt que d’émettre des présupposés idéologiques.
Les orientations épistémologiques, théoriques et méthodologiques du courant de la théorie
positive ne permettent pas d’analyser le postulat d’opportunisme. En effet, l’étude des
comportements ne relève pas de l’épistémologie naturaliste. Les comportements humains sont
d’une complexité qui suscite une approche non structurée, sans a priori et inscrite dans l’étude
des phénomènes, comme cas particuliers. La réalité humaine, tellement diverse et complexe, ne
devrait pas être soumise à des généralisations et à des comparaisons, au risque de la vider de
tous ses sens, de toutes ses spécificités, de toutes ses particularités. La vie humaine n’est pas
soumise à des lois physiques, elle n’est pas soumise ni à la prévision, ni à la normativité.
L’optimisation serait la conséquence d’une meilleure compréhension du sujet et d’une adéquation
des conditions à cette découverte.
De plus, le cadre théorique emprunté par la théorie positive ne permettrait pas
d’appréhender les facteurs mis en jeu par les choix des dirigeants. L’observation révèle qu’en
effectuant un choix comptable, les dirigeants affichent un comportement intégré, polyphasé et
multidimensionnel, au sens de Mintzberg (1973). En effet, le comportement du dirigeant est une
action ou réflexion non isolée, finalisée, soutenue par une attitude, faisant appel à des
connaissances et à des caractéristiques individuelles en relation dialectique avec l’environnement
organisationnel. Pour cerner les comportements des dirigeants, il faudrait faire appel à un cadre
permettant de saisir la complexité des comportements individuels et des situations ou des
contextes. Cet espace de réflexion s’insère dans les théories étudiant l’être humain en rapport
avec son environnement.
Enfin, la méthodologie adoptée par les chercheurs de la théorie positive de la comptabilité
ne permet pas de saisir les traits du comportement du dirigeant qui est soumis à une double
totalité, à savoir une totalité psychique et une totalité systémique de l’organisation. La
construction scientifique à laquelle aboutit la théorie positive est une image d’une expérience
morcelée. Les résultats ressemblent à une juxtaposition d’éléments plutôt qu’à une vision
globale, totalitaire et intégrée. Le morcellement est observé au niveau des politiques comptables
ainsi que de leurs déterminants. La politique comptable se traduit certes par un ensemble de
choix comptables, mais pourrait–elle être considérée comme la somme arithmétique de ces
choix ? Ne serait-elle pas plutôt une notion plus complexe qu’un simple agrégat de choix ?
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De plus, pouvons-nous considérer qu’elle serait la résultante de facteurs isolés ou même
conjugués. Serait-elle plutôt l’émanation de comportements plus diffus dans l’organisation ? Le
sens commun veut que nos choix résultent de nos connaissances qui sont acquises par nos
expériences. De ce fait, l’action, la réflexion, la décision ne sont pas dissociées des acquis.
Serait-il réducteur de considérer la politique comptable comme une conséquence plus ou moins
prévisible à partir du moment que le dirigeant serait confronté à un ensemble de variables. Le
déterminisme serait probablement aveuglant pour pouvoir cerner la notion de politique comptable,
car en définitif, la question de la politique comptable serait plus fondamentale qu’une
détermination de réactions suscitées par des facteurs dans le cadre d’hypothèses appliquées par
les chercheurs ?
La compréhension de la politique comptable ne serait que possible grâce à une
reconstitution de l’expérience du dirigeant. La théorie positive s’est contentée de présenter
différentes réponses à des variables, expérimentales et externes qui pourraient être
complètement étranges à l’expérience du dirigeant.
Critique de la méthodologie de la théorie positive
? ?
(V) == Expérience du dirigeant (R ou choix)== Politique
comptable
Ce schéma illustre la fragmentation de l’expérience du dirigeant, en néglegeant la
multidimentionnalité et la complexité des décsions. Les choix ne sont pas isolés, ni conditionnées
et déclenchés par un stimulus de l’environnement.
Après cet exposé, on peut se demander si ces lacunes ne pouvaient expliquer les limites
des validations statistiques des travaux de la théorie positive. En effet, les recherches de la
théorie positive cernent, certes l’essentiel, mais pas tous les facteurs expliquants les choix
comptables.
Variable A Choix comptable = Réaction 1
Variable B Choix comptable = Réaction 2
Variable C Choix comptable = Réaction 3
Variable A + B Choix comptable = Réaction 4
Variable A + C Choix comptable = Réaction 5
Variable B + C Choix comptable = Réaction 6
Variable A + B + C Choix comptable = Réaction 7
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Pour ces raisons, l’étude des choix de politique comptable ne saurait se limiter à cette
approche. Si nous voulons expliquer les politiques comptables dans les organisations, il nous
semble qu’il faut recourir à des théories et à des méthodes qui ne soient pas limitées par des
postulats aussi réducteurs. Plusieurs voies alternatives sont sans doute possible. Tout d’abord,
nous allons observer.
3. Un autre point de départ ; l’approche socio-cognitive
Tout d’abord, la politique comptable est une notion abstraite. Elle ne peut être saisie qu’ à
travers l’image de l’entreprise. Image issue des représentations de l’entreprise par la
comptabilité et par les responsables. En effet, l’information comptable traduit une vision à la fois
globale et formelle, mais également des visions individuelles et informelles. Ces représentations
de l’entreprise sont les résultantes d’un ensemble de comportements dans l’organisation. Les
représentations sont soutenues par toute action, réflexion ou décision, à laquelle, tout responsable
fait face dans l’organisation. Ainsi, les choix comptables devraient être considérés comme étant
des comportements organisationnels. Le choix d’un cadre théorique et méthodologique doit
s’inscrire dans le souci de décortiquer ces comportements. Que l’on ne puisse pas saisir la
politique comptable en soi, mais seulement à travers ses manifestations nous contraint à adopter
une posture phénoménologique.
Ensuite, il ne s’agit pas de voir comment les décisions doivent être prises pour être
optimales, ni comment elles peuvent être prises. Notre souci est de montrer comment les
décisions sont effectivement prises. Ce travail essaie de mettre à nu comment le choix de
politique comptable est effectivement entrepris. Il s’inscrit de ce fait dans une approche plutôt
descriptive que normative ou mathématique.
Enfin, l’étude des comportements dans les organisations devrait tenir compte des
comportements individuels, impliquant des caractéristiques cognitives, mais également de la
dimension sociale qui, à travers la prise en compte du cadre social qu’est l’organisation, constitue
une source de complexité du comportement. C’est la raison pour laquelle, l’approche socio-
cognitive, qui puise ses bases théoriques dans la psychologie cognitive et dans la psychologie
sociale, nous a paru pertinente.
4. La politique comptable : comportement manifeste, comportement latent
La pproche socio-cognitive peut s’appliquer à de nombreux domaines, nous allons tenter
de mettre ce cadre théorique au service de la recherche d’une explication des choix comptables
dans une organisation.
Dans une perspective des sciences cognitives, le comportement a deux niveaux. Il y a un
comportement manifeste, mais également un comportement latent. Le comportement manifeste
est défini, en psychologie cognitive, comme étant l’ensemble des activités motrices, y compris
verbales, et des activités glandulaires par lesquelles l’individu répond aux sollicitations de son
environnement physique et social. Le comportement latent est composé d’un ensemble
d’activités mentales. La psychologie cognitive considère qu’il s’agit d’un ensemble d’opérations
de traitement de l’information, opérations par lesquelles l’individu, au départ de l’information
sensorielle, élabore des représentations et effectue des transformations sur ces représentations,
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