programme peuvent améliorer (et parfois contrarier) ceux d’un
autre... ce qui implique une nécessaire révélation complète des
informations détenues par les responsables de programme, pour
tenter de parvenir à une coordination-révélation effective (15).
L’économie politique de la LOLF conduit à mettre l’accent sur le
bouclage des préférences pour avoir une fonction de préférence
étatique, authentique et opératoire, quelles que soient les diffi-
cultés antérieurement précisées. Les citoyens expriment leurs pré-
férences par leurs votes ; les décideurs publics traduisent ces der-
nières en missions, programmes et actions ; l’Administration met
en œuvre ces actions, notamment par le biais de ses budgets
opérationnels de programme. La LOLF, net progrès de la gestion
publique, est basée sur une tétralogie inspirée des sciences du
management : Efficacité, Efficience, Transparence, Responsabi-
lité (Effectiveness, Efficiency, Transparency, Accountability).
Cette tétralogie interpelle les tenants de l’économie politique au
niveau des choix publics. En fait, en ce point de l’analyse c’est
la transparence qui est essentielle. Il faut d’abord clarifier et faire
apparaître nettement les définitions des finalités, objectifs, mis-
sions poursuivis. Il faut ensuite réduire les asymétries d’information
entre l’Etat et les citoyens afin de combattre les government fai-
lures afférents à l’action étatique qui pallie les market failures ainsi
que précédemment noté. La LOLF améliore la révélation de la
fonction de préférence étatique sur trois points : mise en évidence
claire (ou clarifiée) des objectifs de l’action publique (missions) ;
précision sur les moyens permettant d’atteindre les objectifs (pro-
grammes, actions et rôle des responsables de crédits y afférents) ;
recherche d’une préférence étatique dépassant la stricte annua-
lité budgétaire et écartant le poids d’une trop forte préférence
pour le présent. On ne peut que se féliciter des résultats de
l’enquête du Center on Budget and Policy Priorities qui, en 2006,
a classé la France en tête du premier groupe des cinquante-neuf
pays enquêtés dans le cadre de la construction d’un Index
d’Open Budget Policy sur le plan de la transparence budgétaire
(le premier groupe constitué par six pays (France, Royaume-Uni,
Etats-Unis, Nouvelle-Zélande, Afrique du Sud et Slovénie) avait un
index supérieur ou égal à 0,85 sur 1, la France obtenant 0,89 (16).
Bien entendu, cette transparence vaut pour le budget de l’Etat,
ce qui à l’évidence pose un problème d’extension de la LOLF à
l’ensemble des budgets publics, au sens de l’Union européenne.
La hiérarchisation
des préférences étatiques
La hiérarchisation des préférences étatiques implique un dialogue
centre/périphérie de façon à atteindre, d’une part, les objectifs
poursuivis par l’action publique, et à permettre, d’autre part, la
mise en place des incitations-injonctions adéquates pour que les
agents publics remplissent leur mission.
Sur le plan analytique, et quelles qu’en soient leurs limites précé-
demment évoquées, les théorèmes du bien-être (et notamment
le second) nous enseignent que la dimension informationnelle des
relations entre l’Etat et les agents privés est une condition essen-
tielle de leur réalisation concrète (notamment en matière d’affec-
tation des fonds publics).
Sur le plan opératoire, force est de constater que l’Etat est un
ensemble d’institutions concourant à la hiérarchisation des pré-
férences étatiques : Gouvernement, administrations centrales et
services extérieurs, administrations locales, administrations de
Sécurité sociale, ainsi qu’opérateurs publics à statuts divers (éta-
blissements publics, entreprises publiques...). Le système ne sera
efficace que si s’instaure un vrai dialogue entre le centre et les
opérateurs périphériques.
Mais l’instauration de ce dialogue, et c’est peut-être là un apport
des économistes, ne peut avoir lieu que s’il y a prise en compte
de l’asymétrie d’information existant entre le Gouvernement et
les administrations, ainsi qu’entre celles-ci et les citoyens. Le Gou-
vernement connaît mal la mise en pratique de ses actions par les
administrations et le niveau d’effort des agents publics est mal
connu. Une solution, et c’est une voie à laquelle nous convie
l’économie politique de la LOLF, est d’établir des contrats incitant
les agents à l’effort tout en minimisant leur rente information-
nelle (17). La théorie des incitations permet en effet d’élaborer
des contrats révélateurs pour une structure d’information donnée.
Un résultat important, qui a d’ailleurs valu à son auteur d’être un
des co-prix Nobel en 2007 est le « principe de révélation » ou
théorème de Myerson. Celui-ci nous indique qu’un mécanisme
de révélation est un engagement du Gouvernement à utiliser
efficacement dans l’allocation des ressources l’information que
lui transmettent les agents décentralisés. Ce mécanisme est inci-
tatif s’il est de l’intérêt de tous les agents de transmettre véridi-
quement l’information dont ils disposent (18).
La mise en place des préférences étatiques hiérarchisées peut,
dans cette optique, être conduite selon deux voies, dès lors que
l’on connaît les fonctions de production des administrations
(centralisées) ou de leurs agences (décentralisées). La première,
correspondant à une périphérie administrative fonctionnant en
une approche de type privatif, est celle des incitations. La
seconde, correspondant à une même périphérie fonctionnant
cette fois-ci en une approche de type public, est celle des
injonctions. La voie dite des incitations repose sur des contrats
dont les menus permettent d’atteindre l’efficacité tant produc-
tive qu’allocative (selon le langage des économistes), l’effica-
cité que l’efficience (selon le langage des gestionnaires de la
LOLF), en mettant en lumière les fonctions de production des
acteurs décentralisés (agences). L’existence nécessaire d’inci-
tations repose sur le fait que les agents publics (comme l’indique
l’approche en termes d’économie politique) ne sont pas tou-
jours bénévoles (même si c’est le cas historique « traditionnel »
de l’administration française). L’utilisation d’incitations (concrè-
tement mise en place d’une partie des rémunérations en liaison
avec la performance en termes de réalisation d’objectifs, sous
forme, par exemple, de primes...) suppose que des gains d’effi-
cacité/efficience soient possibles. Ceci se heurte parfois à des
difficultés : importance des rentes informationnelles à limiter ;
rémunération ne pouvant reposer seulement sur l’effort des
agents publics (tradition historique d’égalité des rémunérations
à emploi – mais non nécessairement efficacité – égal) ; aversion
au risque des agents. La voie dite des injonctions est plus clas-
sique. L’agent public périphérique maximise la préférence éta-
tique en suivant les instructions (injonctions) du décideur central
(Gouvernement, administration centrale), ce qui fonctionne
bien si l’on connaît la fonction de production administrative et
si l’on en vérifie et en ajuste, si nécessaire, la mise en œuvre. Le
seul problème bien connu est celui soulevé par les acteurs de
l’Ecole de Virginie et du Public Choice (notamment Gordon Tul-
lock et James Mac Gill Buchanan) : la bienveillance générale
de l’appareil administratif ne correspond pas toujours à la réa-
lité... pour tous les agents publics.
Les deux voies proposées montrant leurs limites, l’existence
de situations intermédiaires implique, comme bien noté par
(15) Comme le note justement Jacques Pelletan dans le complément A du Rapport
du CAE précité, l’interaction stratégique entre les agents publics conduit à ouvrir
en profondeur « le cadre formel de la théorie des jeux » (p. 235), si l’on veut vraiment
avancer sur la révélation des préférences de l’Etat.
(16) Le Center on Budget and Policy Priorities est un think tank de Washington (USA)
qui étudie les politiques budgétaires aux USA et dans de nombreux pays du monde.
Il a lancé en 2005 une vaste enquête internationale (auquel l’auteur de cet article
a été amené à participer), sur la transparence budgétaire, sur la base de construc-
tion d’un Index Open Budget Policy, qui a donné d’intéressants résultats en 2006.
Une nouvelle enquête en cours doit produire des résultats dans les prochains mois.
Ces résultats sont disponibles sur le site www.openbudgetindex.org et les autres
travaux sur le site plus général www.cbpp.org.
(17) Jean-Jacques Laffont et Jean Tirole, A theory of incentives in procurement and
regulation, Boston, MIT Press, 1993 et aussi Rapport du Conseil d’analyse écono-
mique, CAE, nº 24, Actes du colloque du 16 décembre 1999, Paris, La Documenta-
tion française, 2000 (notamment J.-J. Laffont, « Etapes vers un Etat moderne : une
analyse économique », p. 117 et suivantes et le commentaire d’Antoine Lyon-Caen,
p. 151 et s.).
(18) Cf. sur ce point R. Myerson, Incentive compatibility and the bargaining problem,
Econometrica, 1979, p. 61, ainsi que l’article de synthèse de Françoise Forges sur
les trois Nobel d’économie 2007, L. Hurwicz, « E. Maskin, R. Myerson et la théorie des
mécanismes », Revue d’économie politique 2007, nº 6.
finances publiques
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