Pierre LLAU - Gestion et Finances Publiques

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finances publiques
Pierre LLAU
Professeur émérite d’économie des finances publiques
à l’université Paris-Ouest Nanterre-La Défense
La LOLF et les économistes
A propos d’un rapport du Conseil d’analyse économique *
La Rédaction a demandé à un professeur de sciences économiques de grand renom, M. Pierre Llau, d’apporter un regard d’expert
sur l’excellent rapport du Conseil d’analyse économique (paru au cours de l’été 2007) consacré à l’économie politique de la LOLF ».
Pour le faire avec le plus de pertinence possible, l’auteur a recours à la théorie économique, notamment en insistant sur la révélation
et la hiérarchisation des préférences étatiques, avant d’aborder les thèmes eux-mêmes développés dans le rapport.
INTRODUCTION : LES ÉCONOMISTES
FACE AUX ESSAIS DE RÉFORME BUDGÉTAIRE
Peut-il y avoir un regard neuf des économistes des finances publiques sur une réforme budgétaire représentée par la mise en place
de la LOLF, réforme politique, juridique, administrative, comptable... et surtout managériale, marquant le passage d’une
logique de moyens à une logique de résultats, et entraînant de
ce fait une novation de la gestion publique ?
L’économie des finances publiques (Economics of public finance)
s’est de tout temps intéressée au budget et à sa réforme.
Deux jalons historiques méritent sans doute d’être rappelés.
Dans la fameuse distinction Finance publique classique/Finance
publique moderne, chère aux juristes des finances publiques,
ne trouvait-on pas comme fondement le rôle économique
dévolu au budget qui, dans la mouvance keynésienne de
l’immédiat après-guerre, se devait, selon les mots d’Alain Barrère souvent repris par Georges Vedel, d’intervenir par une
action adéquate pour opposer « au déséquilibre économique
privé un déséquilibre économique (du budget public) de sens
contraire ». Dans sa véritable bible de l’économie des finances
publiques des Trente Glorieuses occidentales, Richard A. Musgrave ne centrait-il pas son ouvrage The theory of public finance
- A study in public economy (New York, Mac Graw Hill, 1959) sur
une analyse des trois fonctions économiques fondamentales du
budget ? A savoir, allocation (production de services collectifs),
redistribution (des revenus et des patrimoines, notamment par
la fiscalité), stabilisation de la conjoncture (par action volontariste sur le solde budgétaire, allant bien au-delà des simples
stabilisateurs automatiques).
Ces jalons historiques peuvent paraître de nos jours largement
datés, désuets : l’action stabilisatrice conjoncturelle à court
terme du budget est aujourd’hui amplement controversée.
Applicable sans aucun doute aux conjonctures dites « keynésiennes » (sous réserve des conditions de soutenabilité de la
politique budgétaire dans une économie mondialisée, grevée
de déficits et dettes antérieurs et devant prendre en compte le
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vieillissement de la population), elle ne paraît plus de mise dans
les conjonctures classiques dites « antikeynésiennes », et ne peut
avoir qu’un effet de lissage dans les conjonctures ricardiennes
dites « non keynésiennes ».
Il n’en demeure pas moins que les économistes spécialistes des
finances publiques ont médité, étudié, discuté... les diverses
expériences esquissées en matière de réforme budgétaire au
cours des six dernières décennies.
Cela a été le cas à propos du budget de tâches ou de performance tasksetting budget dont une première variante avait été
proposée aux USA dès le début du XXe siècle, lors du mandat du
président Herbert Hoover. Le renouveau de ce type de budget
à la fin des années 1940, en vue d’une application au budget de
l’Etat des principes de contrôle de gestion mis en œuvre dans les
entreprises privées, a attiré l’attention des économistes. Mais il faut
bien reconnaître qu’en France, l’application dite budget fonctionnel n’a abouti qu’à une ventilation des grandes dépenses
publiques par fonctions dont la vertu principale était... essentiellement illustrative, jusqu’à sa disparition silencieuse des documents budgétaires.
Cela a été surtout le cas avec les budgets de programmes introduits aux USA en 1961 avec la démarche Planning, Programming, Budgeting System (PPBS) qui ont donné lieu en France à
l’expérience dite de Rationalisation des choix budgétaires
(RCB). Celle-ci s’est véritablement développée dès mai 1968 (1),
et voulait être, selon une référence basique, l’insertion dans le
budget de « la gestion par objectifs plus l’analyse coûtavantage et au-delà l’analyse de systèmes ». Les blancs budgétaires en sont devenus l’expression, mais ces derniers n’ont
jamais été intégrés de facto dans la démarche des parlementaires traitant des choix budgétaires, lors des délibérations
relatives aux lois de finances. Ainsi sont-ils demeurés ce que
(*) Edward Arkwright, Christian de Boissieu, Jean-Hervé Lorenzi et Julien Samson,
Economie politique de la LOLF, Rapport du Conseil d’analyse économique CAE,
nº 65, Paris, La Documentation française, avril 2007. Le rapport est augmenté d’un
commentaire et d’une série importante de compléments.
(1) Date « historique » qui a vu la naissance, sous l’impulsion du ministre des Finances
et sous la présidence de Philippe Huet, de la Commission pour la rationalisation des
choix budgétaires.
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d’aucuns ont appelé (à tort selon nous) un « mythe technocratique » des ingénieurs-économistes ; en toute hypothèse, les
blancs budgétaires ont disparu dans l’indifférence générale en
1996 lors d’une réforme des documents budgétaires.
Plusieurs nouvelles expérimentations, reprenant certains aspects
des réformes antérieures sont apparues en parallèle dans l’univers
anglo-saxon. Le Management by objectives (MBO) a tenté de
recentrer la gestion budgétaire sur les objectifs à atteindre, sous
l’impulsion du président Richard Nixon. Le Zero base budgeting
(ZBB) s’est efforcé de mettre en place une justification au premier
dollar de toute dépense publique, sous l’impulsion du président
Jimmy Carter.
C’est la révolution conservatrice contre le « trop d’Etat » animée
par les politiques à la Ronald Reagan / Margaret Thatcher, ainsi
que la dérive des finances publiques dans la crise qui a marqué
nombre de pays occidentaux, qui ont mis à nouveau l’accent,
au tournant des années 1980-1990, sur la recherche d’une logique
de performance budgétaire dans une optique de « new public
management » et de rénovation de la gestion publique. La
démarche EEE (Effectiveness, Efficiency, Economy, soit Efficacité,
Efficience, Economie) est ainsi devenue la référence de base
apparue, sous des vocables divers, dans de multiples expériences
menées en Nouvelle-Zélande, en Australie, au Canada, au
Royaume-Uni, aux USA, aux Pays-Bas, dans les pays scandinaves...
et depuis 2001 (avec perfectionnement en 2005) en France avec
l’adoption de la LOLF (loi organique relative aux lois de finances).
La pleine entrée en vigueur en janvier 2006 de la réforme budgétaire issue de cette dernière, fruit d’une heureuse convergence
politique entre majorité/opposition et Parlement/Gouvernement,
constitue une novation et une avancée majeure en matière de
gestion publique. Il y a désormais une nouvelle élaboration/présentation du budget de l’Etat articulée autour du triptyque missions/programmes/actions. C’est la conséquence directe du passage d’une logique de moyens à une logique de résultats et donc
de performance. A l’évidence, ce passage entraîne de nombreuses conséquences : repérage, définition, évaluation des missions (puis programmes et actions) qui sont la clé de voûte de la
logique mise en œuvre ; réorganisation des organigrammes administratifs et de la gestion des ressources humaines ; mise en place
d’une nouvelle comptabilité publique, culminant à la fois en un
contrôle de gestion « analytique » des opérations et en une certification des comptes de l’Etat par la Cour des comptes, dans le
cadre de la loi de règlement...
La nouvelle gestion budgétaire publique de l’Etat s’efforce de
traduire désormais un essai de suprématie managériale sur une
vision purement juridico-politique « traditionnelle ». Il n’en
demeure pas moins que l’économie politique de la LOLF, implicite
derrière la démarche suivie, se doit d’être mise en évidence. C’est
ce à quoi s’est attaché le Rapport du Conseil d’analyse économique de mai 2007, dont on voudrait faire apparaître quelques
axes essentiels en termes d’analyse et de politique économique.
On mettra tout d’abord l’accent sur l’approche de la réforme
budgétaire en termes d’économie politique. On insistera ensuite
sur l’élément clé, à notre sens, la nécessaire révélation et hiérarchisation des préférences étatiques. On essaiera enfin de
dégager les perspectives de nouvelles marges budgétaires
ouvertes par la réforme. On conclura sur les propositions des économistes permettant une mise en œuvre des potentialités induites
par la réforme budgétaire.
UNE APPROCHE
DE LA RÉFORME BUDGÉTAIRE
EN TERMES D’ÉCONOMIE POLITIQUE
La réforme budgétaire introduite par la LOLF est étudiée par les
économistes faisant rapport au CAE, en termes d’économie
politique.
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Au sens traditionnel, le vocable économie politique, appellation
consacrée par les grands auteurs classiques (Adam Smith, JeanBaptiste Say, David Ricardo, Karl Marx...) dès le milieu du
XVIIIe siècle et tout au long du XIXe siècle, voire au cours du
XXe siècle par certains de leurs épigones, fait référence à l’économie générale ou globale par opposition à l’économie domestique. L’économie politique moderne actuelle fait référence à un
courant d’analyse qui s’efforce de rendre compte de la politique
économique en intégrant les déterminants politiques des décisions de politique publique. Ce courant d’origine anglo-saxonne
(puis européenne) s’est développé à partir des années 1960 sous
l’appellation de « (new) political economy ». C’est à cette dernière approche que se réfèrent les économistes auteurs du Rapport du CAE sur la LOLF. Cette approche peut être schématisée
en distinguant : l’économie normative, l’économie positive et
l’économie politique.
L’économie normative
L’économie normative, dont les néo-classiques anciens et
modernes sont les plus grands représentants, fonde son analyse
et notamment celle des choix de politique économique et budgétaire par référence aux théorèmes de l’économie du bien-être.
Sous un certain nombre de conditions strictes (concurrence pure
et parfaite, information parfaite, répartition initiale donnée des
revenus et des fortunes...), ces théorèmes conduisent aux résultats
suivants. Premier théorème : une économie de marchés anonymes parfaitement concurrentiels, opérant dans le même environnement, conduit, via un ajustement du système des prix, à un
équilibre général correspondant à un optimum de production (dit
de Pareto). Dans cette situation, on ne peut améliorer la situation
d’un individu A sans détériorer celle d’un individu B. Cette situation est socialement efficace en ce sens qu’aucune autre organisation ne peut dégager des résultats unanimement meilleurs du
point de vue du bien-être individuel (2). Deuxième théorème :
tout optimum de production, socialement efficace, peut être
réalisé, sous de strictes conditions, par un équilibre de marchés
anonymes concurrentiels via des redistributions adéquates entre
individus grâce à des transferts (impôts ou subventions)
forfaitaires.
L’application de cette approche normative ne va pas sans poser
problèmes.
Il faut disposer d’une méthodologie de comparaison des situations, ce qui implique de définir un ordre de préférence entre les
politiques publiques et par la même de révéler les préférences
étatiques (point crucial qui sera abordé dans la deuxième partie).
Il faut constater à l’évidence que l’économie effective est loin de
remplir les conditions requises pour la validité des théorèmes (par
exemple, la concurrence est-elle vraiment pure et parfaite ?) [3],
ce qui conduit à préconiser des optima de second rang (second
best)... tout en sachant que des décisions partielles se rapprochant apparemment des conditions de premier rang... écartent
souvent d’un optimum de second rang.
Il faut rappeler, en liaison directe avec la réforme budgétaire,
que l’économie des finances publiques, et ce sans oublier les
controverses Etat vs Marché, a bien montré que les défaillances
des marchés (market failures) peuvent conduire à l’intervention
d’un Etat afin de combler ces défaillances : cas du monopole
naturel, existence de services collectifs (biens publics), externalités
(des producteurs ou des consommateurs), asymétries d’information (antisélection, risque moral). Cette intervention de l’Etat peut
à son tour générer des défaillances spécifiques (government failures) qui impliquent la recherche d’une adéquation Etat/marché
qui relève de l’économie politique.
(2) Analytiquement, en vertu du théorème de la dualité, cet optimum peut aussi
être atteint par l’organisation d’une planification pure et parfaite, avec ajustement
par les quantités... et absence de démocratie.
(3) Ou plus prosaïquement « libre et non faussée » !
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finances publiques
L’économie positive
L’économie positive s’attache à déterminer les canaux par lesquels les décisions de politiques publiques peuvent affecter les
comportements des agents économiques privés.
L’exemple du policy-mix est à cet égard éclairant : comment
concilier la politique monétaire et la politique budgétaire qui assurent la stabilisation conjoncturelle qui maximise la croissance
potentielle tout en minimisant l’inflation ? L’étude de fonctions de
réaction du type règle de Taylor (monétaire et budgétaire) est à
ce propos un exemple significatif. Il s’agit d’une règle simple selon
laquelle le décideur politique (sous réserve désormais de l’indépendance de la Banque centrale) s’efforce de minimiser la perte
globale résultant d’écarts entre taux de croissance potentielle et
taux de croissance effective, d’une part, et entre taux d’inflation
souhaitée et taux d’inflation réalisée, d’autre part. Cette
démarche d’économie positive ne s’écarte pas de la méthodologie usuelle de la politique économique : les caractéristiques de
comportement des agents économiques privés, les technologies
de production... comme la décision de politique publique sont
considérés comme des données exogènes dont on s’efforce de
mesurer l’impact.
On ajoutera : le type d’anticipations des agents économiques
privés face aux décisions de politiques publiques joue dans cette
approche positive un rôle clé dans la détermination de l’impact
des politiques. Mais cet impact basé sur le comportement
constaté des agents ne permet pas une analyse économique
des déterminants de la politique puisque ce type de décision est
fondamentalement rangé dans la catégorie des données
exogènes.
L’économie politique
L’économie politique (moderne), approche retenue par les économistes auteurs du Rapport du CAE, s’attache à endogénéiser
le comportement des décideurs politiques, s’efforçant d’en
rendre compte d’une façon voisine de celle adoptée pour l’analyse du comportement des agents privés. L’Etat n’est pas, en ce
sens, en surplomb d’une économie privée qu’il s’efforce de
réguler au nom d’une vision « idéelle » (idéaliste ?) de l’intérêt
général. L’économie politique intègre dans son analyse les
contraintes et les processus par lesquels les décideurs politiques
sont conduits, notamment dans les régimes démocratiques, à
mettre en œuvre telle ou telle politique publique. On peut noter
en ce sens que l’approche des anticipations rationnelles (largement développé dès le milieu des années 1960) montre que le
comportement des agents privés face à une décision de politique
publique, n’est pas un comportement d’automates répondant à
de simples impulsions (comme c’était le cas dans les analyses plus
traditionnelles à la Jan Tinbergen). Les agents, anticipant les décisions de politique publique, ont désormais des comportements
stratégiques : ils peuvent par leurs réactions rendre inefficace une
politique publique. Ainsi, une politique optimale ex ante peut-elle
être atteinte d’incohérence temporelle, et ne plus être optimale
ex post.
L’Etat n’est pas, dans une approche d’économie politique, le
paterfamilias omnipotent, omniscient et bénévole que l’on suppose implicitement dans les autres approches. L’Etat n’est pas
omnipotent car les hypothèses requises par l’économie normative
pour atteindre un optimum de premier rang ne sont vraiment
jamais remplies. L’Etat doit se contenter de faire ce qu’il peut, id
est mettre en œuvre des optima de second rang. L’Etat n’est pas
omniscient car l’information étant imparfaite, il doit s’efforcer
d’améliorer cette dernière en mettant en place des mécanismes
incitatifs adéquats. L’Etat n’est pas toujours bénévole car l’analyse positive de ce dernier a montré : que derrière l’intérêt général,
l’Etat pouvait défendre de facto l’intérêt de certains groupes
sociaux ; que l’Etat, conglomérat d’organisations politico-administratives à plusieurs niveaux de décentralisation, peut rendre
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possible, pour certains agents économiques (élus, fonctionnaires...) le développement d’une certaine propension à la
bureaucratie, permettant à ces derniers de maximiser leur intérêt
personnel sous le couvert de l’intérêt général (4).
Une approche des conséquences de l’introduction de la LOLF en
France, conduite en termes d’économie politique, paraît donc
nécessaire puisque la réforme budgétaire recherchée présente
une pluralité de dimensions, politique, juridique, administrative,
comptable, managériale, et bien sûr, économique, et que, par
ailleurs, elle concerne (pour le moment) l’ensemble des agents
de l’administration publique étatique.
LA NÉCESSAIRE RÉVÉLATION
ET HIÉRARCHISATION
DES PRÉFÉRENCES ÉTATIQUES
Le Rapport du CAE indique que « l’économie politique de la
LOLF » est à construire (5). Il faut entendre par là deux démarches
essentielles. La première (déjà connue dans les années 1970 lors
de l’expérience RCB) est d’assurer, à partir des finalités (aims),
objectifs (objectives) et missions (missions) des décideurs publics,
l’émergence et la révélation des préférences étatiques. La
seconde, qui comporte un double aspect analytique et opératoire, est de déterminer, voire de mettre en place par la réforme,
l’organisation optimale de l’Etat permettant d’atteindre les
objectifs et missions poursuivies, en mettant à jour un système
adéquat d’incitations afin que les agents publics atteignent et
remplissent de façon adéquate les fins recherchées.
La révélation des préférences étatiques
La révélation des préférences étatiques est un problème basique
de toute analyse économique en termes de public finance qui
a retenu depuis longtemps l’attention des grands auteurs du
« répertoire économique » (6) dans un débat à double labellisation « préférences individuelles, préférences collectives et préférences étatiques » ou « fonction d’utilité collective (sociale), fonction de préférence étatique » (7).
Lorsqu’on analyse la révélation des préférences des agents privés
(dans l’optique de la théorie du consommateur) on peut, sur la
base de travaux analytiques de Paul A. Samuelson (1938), et de
Hendricks S. Houthakher (1950), repris et prolongés la même
année par le même Samuelson, parvenir à d’intéressants résultats.
On montre dans un premier temps l’existence d’un axiome faible
de révélation des préférences qui se traduit par la construction
d’une fonction de demande du consommateur (de l’agent privé)
qui associe un ensemble de biens et services à un niveau de
revenu d’un vecteur de prix. On montre dans un deuxième temps
l’existence d’un axiome fort de révélation des préférences qui,
reprenant la notion d’intégrabilité des fonctions de demande
(étudiée par Vilfredo Pareto dès 1906), indique que si cette condition est satisfaite, les demandes du consommateur (de l’agent
privé) peuvent être conçues comme dérivées d’une fonction
ordinale. Samuelson démontre en 1950 que l’articulation entre les
préférences révélées des agents privés et l’intégrabilité des fonctions de demande, permet de déterminer la fonction d’utilité au
niveau individuel d’un agent privé, établissant un véritable ordre
hiérarchique des préférences individuelles (les conditions d’intégrabilité des demandes s’avérant dans ce cas nécessaires et
suffisantes).
(4) Cf. sur tous ces points : Avinash Dixit, The making of economic policy, Boston,
MIT Press 1996, et d’une manière plus générale, Agnès Bénassy-Quéré, Benoît
Cœuré, Pierre Jacquet et Jean Pisani-Ferry, Politique économique, Bruxelles, De
Boeck, 2005.
(5) Cf. sur ce point le Rapport du CAE, op. cit., p. 8.
(6) Cf. sur ce point le même Rapport p. 37 à 57 ainsi que le bon complément A
présenté par Jacques Pelletan, p. 229 à 238.
(7) Cf. en termes d’acronymes le débat FUC vs FPE, le dernier voulant être la version
opératoire du premier.
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finances publiques
Lorsqu’on analyse la révélation des préférences des agents
publics (dans l’optique de l’Etat décideur en une approche
d’économie politique), le problème est substantiellement différent et plus complexe que dans le cas des agents privés, car il
s’agit de construire une fonction d’utilité collective (ou de bienêtre social) qui puisse se traduire en une fonction de préférence
étatique « opératoire ».
Sur le plan purement analytique, l’analyse doit clarifier deux
grands débats : le premier traite des fondements logiques de
l’existence d’une utilité collective ; le second traite des processus
logiques fondant les règles de décision permettant de passer de
l’individuel au collectif.
Le premier grand débat a été ouvert selon deux perspectives. La
première perspective a été conduite en termes d’individualisme
méthodologique, dès 1789 par Jérémy Bentham, en s’appuyant
sur le principe de « la satisfaction la plus large », en partant de
l’individuel pour atteindre le collectif. Abraham Bergson montre
en 1938 que l’utilité collective (le bien-être social) peut être représenté par une fonctionnelle, id est une fonction des fonctions de
préférences individuelles, ce qui fait de l’Etat un simple interprète
des utilités individuelles. Samuelson développe l’analyse dès 1947
et, à la suite de divers travaux, Amartya K. Sen étendra le concept
en 1970 en définissant les fonctions de bien-être social comme
« des cartes déterminant l’ordination sociale d’un ensemble
d’alternatives à l’aide d’une liste complète d’indicateurs numériques individuels » (8). La deuxième perspective a été conduite
cette fois en termes holistes, id est en termes d’Etat organique.
L’analyse conduit elle aussi à l’existence de fonctions de bien-être
social. Mais dans ce cas, la fonction d’utilité collective s’affranchit
de la satisfaction directe des préférences d’utilité individuelles. Le
bien-être social, déterminé par le décideur public est l’expression
directe du choix social, tel que l’Etat organique le conçoit (9).
Le second grand débat, initié par Condorcet dès 1785 avec son
célèbre paradoxe (10), recherche la règle de décision optimale
correspondant à une procédure rationnelle de passage des utilités individuelles à une utilité collective (sociale). L’évidence
immédiate paraît être le choix d’une règle par scrutin (vote). Le
problème est que Kenneth Arrow démontre en 1951 (11) dans son
célèbre théorème d’impossibilité que, lorsqu’on pose des conditions strictes mais « raisonnables » sur les règles de décision (par
vote) il est impossible de passer, sans perte de généralité, des
fonctions de préférences individuelles à une fonction de préférence sociale ou d’utilité collective (par suite d’absence de transitivité des choix votés, d’existence de majorités cycliques...). Il
n’existe donc pas de règle de vote (sauf restrictions particulières)
telle qu’une fonction de préférence sociale soit associée à tout
profil de préférences individuelles... ce qui conduit logiquement
à un pessimisme afférent à la rationalité des choix publics. Mais,
bien entendu, des essais de dépassement du théorème d’impossibilité ont fait l’objet de multiples travaux. On retiendra en ce sens
deux voies intéressantes. La première est la restriction de l’universalité des domaines de choix des individus, ou de la condition
d’indépendance à l’égard des alternatives non concernées. La
prise en compte de la première restriction conduit à poser l’existence d’unimodalité des préférences individuelles, comme analysé par Duncan Black dès 1948 : dans ce cas la règle dite du
votant médian permet de lever le théorème d’impossibilité. La
prise en compte de la seconde restriction conduit à se garantir
contre les comportements stratégiques des individus en procédant à divers types de votes ordonnés dans lesquels les scrutins
permettent aux intensités des préférences individuelles de se
manifester (cas, par exemple, des votes à points). La seconde voie
intéressante est de s’efforcer d’enrichir les informations de telle
sorte que puissent apparaître des comparaisons interpersonnelles,
voire même des valeurs cardinales à côté des préférences individuelles ordinales. Sen a en ce sens bien montré dès 1970 que
les fonctions d’utilités sociales seront plus ou moins complètes en
fonction du niveau de comparabilité des utilités, ce qui est une
conséquence importante pour la détermination d’une fonction
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de préférence de l’Etat, dans la mesure où les conditions de
complétude plus ou moins importante de ces préférences ont un
impact sur la révélation des préférences du décideur public.
Sur le plan opératoire, point le plus prégnant pour l’étude de
l’économie politique de la LOLF, il faut constater que la révélation des préférences de l’Etat repose en fait sur une conception
organique qui la rapproche d’une analyse en termes holistes. Le
point de départ est constitué par les objectifs nationaux des
décideurs publics eux-mêmes, tout en sachant bien, comme
montré par Anthony Downs, dès 1957, qu’en régime démocratique, la logique élective veut que la préférence étatique ne
puisse ignorer les préférences individuelles. De fait, les principaux
modèles reposent sur une révélation a posteriori des choix effectués en supposant une hypothèse de rationalité du décideur
central : on détermine donc l’importance relative des choix de
l’Etat en supposant que celui-ci a pris ses décisions de façon
rationnelle. Plusieurs méthodes (12) peuvent être utilisées en ce
sens : modèles quadratiques avec des valeurs-cibles afférentes
à des objectifs et des actions fixées par le Gouvernement ;
modèle de linéarisation d’une fonction objectif quelconque qui
donne les conditions nécessaires et suffisantes pour obtenir des
solutions au système obtenu ; modèles de fonctions de réaction
de l’Etat utilisées dès 1964 par Gray Reuber qui permettent de
connaître les taux marginaux de substitution entre les objectifs
qui apparaissent dans la fonction de préférence de l’Etat... En
France, l’exemple traditionnel de construction d’une fonction
de préférence étatique est constitué par les travaux menés à
l’occasion des Ve et VIe plans à la fin des années 1960 et au
début des années 1970. Dans le VIe plan, Roger Guesnerie et
Pierre Malgrange, dès 1972-1973, ont construit en des études qui
font date, une fonction de préférence étatique en se basant sur
divers objectifs (taux de croissance du PIB, taux de chômage...)
et instruments de politique économique (13). Leur démarche, en
termes d’optimum inverse, examine les variations relatives
autour d’un optimum pour en induire les coefficients de la fonction de préférence. Il se trouve en effet que, à l’optimum, les
dérivées de la fonction objectif globale (par rapport à chaque
objectif) doivent être nulles s’il n’y a pas de dégénérescence
du système, ce qui, sous certaines conditions, conduit à une
révélation de la fonction de préférence de l’Etat a posteriori.
Quelle que soit la qualité de ces diverses méthodes, un point
focal demeure : c’est celui des obstacles à la révélation des
préférences, liés entre autres à l’hypothèse de rationalité du
décideur public. En effet, comme l’a montré la mise en place
de la maquette de la LOLF, ceci n’a rien d’évident. Il est difficile
de bien identifier les objectifs du Gouvernement car il existe des
« zones de recouvrement ou d’indifférence » entre ces derniers ;
la détermination d’un lien de causalité entre objectifs poursuivis
et résultats atteints (indépendamment du coût de recherche de
ce lien) n’est pas toujours aisée à mettre en évidence ; les
contraintes technico-politiques (14) ne sont qu’imparfaitement
connues du révélateur de la préférence étatique. Par ailleurs,
l’interdépendance existant entre les décideurs publics et les
objectifs qu’ils poursuivent entraîne un biais entre les actions
conduites sur la base des préférences révélées : les résultats d’un
(8) Amartya K.Sen, Collective choice and social welfare, San Francisco, Holden Day,
1970.
(9) C’est le cas classique dans la littérature économique de la fonction dite du
« petit père des peuples » dans laquelle pour m biens et n agents individuels on a
un bien-être social W tel que W = W[UE], l’utilité sociale recherchée directement
par l’Etat pour ses citoyens étant UEE, sans prise en compte directe des satisfactions
individuelles.
(10) Les travaux de Condorcet avaient été précédés en 1781 par ceux de Borda.
(11) Kenneth J. Arrow, Social choices and individual values, J. Wiley, New York, 1951.
(12) Bien présentés dans le Rapport du CAE, nº 65, op. cit., complément A, p. 227
et s.
(13) Roger Guesnerie et Pierre Malgrange « Formalisation des objectifs à moyen
terme. Application au VIe plan », Revue économique 1972, p. 242 (nº spécial RCB).
On rapprochera de cet article ceux de Michel Deleau et des deux auteurs précédents dans la même revue, 1973, p. 802 et p. 1072.
(14) Rappelons nous les difficultés de la fusion Direction générale des Impôts (DGI)
et Direction générale de la Comptabilité (DGCP), il y a quelques années... et
aujourd’hui (?).
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programme peuvent améliorer (et parfois contrarier) ceux d’un
autre... ce qui implique une nécessaire révélation complète des
informations détenues par les responsables de programme, pour
tenter de parvenir à une coordination-révélation effective (15).
L’économie politique de la LOLF conduit à mettre l’accent sur le
bouclage des préférences pour avoir une fonction de préférence
étatique, authentique et opératoire, quelles que soient les difficultés antérieurement précisées. Les citoyens expriment leurs préférences par leurs votes ; les décideurs publics traduisent ces dernières en missions, programmes et actions ; l’Administration met
en œuvre ces actions, notamment par le biais de ses budgets
opérationnels de programme. La LOLF, net progrès de la gestion
publique, est basée sur une tétralogie inspirée des sciences du
management : Efficacité, Efficience, Transparence, Responsabilité (Effectiveness, Efficiency, Transparency, Accountability).
Cette tétralogie interpelle les tenants de l’économie politique au
niveau des choix publics. En fait, en ce point de l’analyse c’est
la transparence qui est essentielle. Il faut d’abord clarifier et faire
apparaître nettement les définitions des finalités, objectifs, missions poursuivis. Il faut ensuite réduire les asymétries d’information
entre l’Etat et les citoyens afin de combattre les government failures afférents à l’action étatique qui pallie les market failures ainsi
que précédemment noté. La LOLF améliore la révélation de la
fonction de préférence étatique sur trois points : mise en évidence
claire (ou clarifiée) des objectifs de l’action publique (missions) ;
précision sur les moyens permettant d’atteindre les objectifs (programmes, actions et rôle des responsables de crédits y afférents) ;
recherche d’une préférence étatique dépassant la stricte annualité budgétaire et écartant le poids d’une trop forte préférence
pour le présent. On ne peut que se féliciter des résultats de
l’enquête du Center on Budget and Policy Priorities qui, en 2006,
a classé la France en tête du premier groupe des cinquante-neuf
pays enquêtés dans le cadre de la construction d’un Index
d’Open Budget Policy sur le plan de la transparence budgétaire
(le premier groupe constitué par six pays (France, Royaume-Uni,
Etats-Unis, Nouvelle-Zélande, Afrique du Sud et Slovénie) avait un
index supérieur ou égal à 0,85 sur 1, la France obtenant 0,89 (16).
Bien entendu, cette transparence vaut pour le budget de l’Etat,
ce qui à l’évidence pose un problème d’extension de la LOLF à
l’ensemble des budgets publics, au sens de l’Union européenne.
La hiérarchisation
des préférences étatiques
La hiérarchisation des préférences étatiques implique un dialogue
centre/périphérie de façon à atteindre, d’une part, les objectifs
poursuivis par l’action publique, et à permettre, d’autre part, la
mise en place des incitations-injonctions adéquates pour que les
agents publics remplissent leur mission.
Sur le plan analytique, et quelles qu’en soient leurs limites précédemment évoquées, les théorèmes du bien-être (et notamment
le second) nous enseignent que la dimension informationnelle des
relations entre l’Etat et les agents privés est une condition essentielle de leur réalisation concrète (notamment en matière d’affectation des fonds publics).
Sur le plan opératoire, force est de constater que l’Etat est un
ensemble d’institutions concourant à la hiérarchisation des préférences étatiques : Gouvernement, administrations centrales et
services extérieurs, administrations locales, administrations de
Sécurité sociale, ainsi qu’opérateurs publics à statuts divers (établissements publics, entreprises publiques...). Le système ne sera
efficace que si s’instaure un vrai dialogue entre le centre et les
opérateurs périphériques.
Mais l’instauration de ce dialogue, et c’est peut-être là un apport
des économistes, ne peut avoir lieu que s’il y a prise en compte
de l’asymétrie d’information existant entre le Gouvernement et
les administrations, ainsi qu’entre celles-ci et les citoyens. Le Gouvernement connaît mal la mise en pratique de ses actions par les
- No 10 - Octobre 2008
administrations et le niveau d’effort des agents publics est mal
connu. Une solution, et c’est une voie à laquelle nous convie
l’économie politique de la LOLF, est d’établir des contrats incitant
les agents à l’effort tout en minimisant leur rente informationnelle (17). La théorie des incitations permet en effet d’élaborer
des contrats révélateurs pour une structure d’information donnée.
Un résultat important, qui a d’ailleurs valu à son auteur d’être un
des co-prix Nobel en 2007 est le « principe de révélation » ou
théorème de Myerson. Celui-ci nous indique qu’un mécanisme
de révélation est un engagement du Gouvernement à utiliser
efficacement dans l’allocation des ressources l’information que
lui transmettent les agents décentralisés. Ce mécanisme est incitatif s’il est de l’intérêt de tous les agents de transmettre véridiquement l’information dont ils disposent (18).
La mise en place des préférences étatiques hiérarchisées peut,
dans cette optique, être conduite selon deux voies, dès lors que
l’on connaît les fonctions de production des administrations
(centralisées) ou de leurs agences (décentralisées). La première,
correspondant à une périphérie administrative fonctionnant en
une approche de type privatif, est celle des incitations. La
seconde, correspondant à une même périphérie fonctionnant
cette fois-ci en une approche de type public, est celle des
injonctions. La voie dite des incitations repose sur des contrats
dont les menus permettent d’atteindre l’efficacité tant productive qu’allocative (selon le langage des économistes), l’efficacité que l’efficience (selon le langage des gestionnaires de la
LOLF), en mettant en lumière les fonctions de production des
acteurs décentralisés (agences). L’existence nécessaire d’incitations repose sur le fait que les agents publics (comme l’indique
l’approche en termes d’économie politique) ne sont pas toujours bénévoles (même si c’est le cas historique « traditionnel »
de l’administration française). L’utilisation d’incitations (concrètement mise en place d’une partie des rémunérations en liaison
avec la performance en termes de réalisation d’objectifs, sous
forme, par exemple, de primes...) suppose que des gains d’efficacité/efficience soient possibles. Ceci se heurte parfois à des
difficultés : importance des rentes informationnelles à limiter ;
rémunération ne pouvant reposer seulement sur l’effort des
agents publics (tradition historique d’égalité des rémunérations
à emploi – mais non nécessairement efficacité – égal) ; aversion
au risque des agents. La voie dite des injonctions est plus classique. L’agent public périphérique maximise la préférence étatique en suivant les instructions (injonctions) du décideur central
(Gouvernement, administration centrale), ce qui fonctionne
bien si l’on connaît la fonction de production administrative et
si l’on en vérifie et en ajuste, si nécessaire, la mise en œuvre. Le
seul problème bien connu est celui soulevé par les acteurs de
l’Ecole de Virginie et du Public Choice (notamment Gordon Tullock et James Mac Gill Buchanan) : la bienveillance générale
de l’appareil administratif ne correspond pas toujours à la réalité... pour tous les agents publics.
Les deux voies proposées montrant leurs limites, l’existence
de situations intermédiaires implique, comme bien noté par
(15) Comme le note justement Jacques Pelletan dans le complément A du Rapport
du CAE précité, l’interaction stratégique entre les agents publics conduit à ouvrir
en profondeur « le cadre formel de la théorie des jeux » (p. 235), si l’on veut vraiment
avancer sur la révélation des préférences de l’Etat.
(16) Le Center on Budget and Policy Priorities est un think tank de Washington (USA)
qui étudie les politiques budgétaires aux USA et dans de nombreux pays du monde.
Il a lancé en 2005 une vaste enquête internationale (auquel l’auteur de cet article
a été amené à participer), sur la transparence budgétaire, sur la base de construction d’un Index Open Budget Policy, qui a donné d’intéressants résultats en 2006.
Une nouvelle enquête en cours doit produire des résultats dans les prochains mois.
Ces résultats sont disponibles sur le site www.openbudgetindex.org et les autres
travaux sur le site plus général www.cbpp.org.
(17) Jean-Jacques Laffont et Jean Tirole, A theory of incentives in procurement and
regulation, Boston, MIT Press, 1993 et aussi Rapport du Conseil d’analyse économique, CAE, nº 24, Actes du colloque du 16 décembre 1999, Paris, La Documentation française, 2000 (notamment J.-J. Laffont, « Etapes vers un Etat moderne : une
analyse économique », p. 117 et suivantes et le commentaire d’Antoine Lyon-Caen,
p. 151 et s.).
(18) Cf. sur ce point R. Myerson, Incentive compatibility and the bargaining problem,
Econometrica, 1979, p. 61, ainsi que l’article de synthèse de Françoise Forges sur
les trois Nobel d’économie 2007, L. Hurwicz, « E. Maskin, R. Myerson et la théorie des
mécanismes », Revue d’économie politique 2007, nº 6.
715
finances publiques
Jean-Hervé Lorenzi dès 1975 (19), l’apparition de quasi-marchés.
Le système d’information sera adéquat si le centre transmet à la
périphérie une double catégorie de signaux : signaux en prix
(moyens accordés) et signaux en quantités (objectifs attendus),
dans le cadre d’une perspective budgétaire. A l’évidence, la
LOLF œuvre dans le sens souhaité par une approche en termes
d’économie politique, mais ne sera véritablement satisfaisante
que si sa mise en œuvre conduit à une véritable réforme de
l’Administration et au-delà même de l’Etat, ouvrant la voie à de
nouvelles marges de manœuvre de la politique budgétaire (20).
LES PERSPECTIVES
DE NOUVELLES MARGES
DE MANŒUVRE BUDGÉTAIRES
La mise en place de la LOLF est bien, en une approche d’économie politique, une réforme institutionnelle. Cette réforme de
la gouvernance budgétaire ouvre-t-elle de nouvelles marges de
manœuvre à la politique budgétaire (21) ? A l’évidence, ce
n’est pas là la préoccupation principale de la réforme. Trois interrogations méritent cependant d’être posées. Il faut tout d’abord
apprécier l’impact de la mise en place de la LOLF sur la politique
budgétaire macroéconomique. Il convient ensuite d’analyser
l’influence possible sur la budgétisation des recettes et des
dépenses de l’Etat. Il est enfin nécessaire de s’intéresser, en une
approche plus microéconomique, au renforcement potentiel
de l’aptitude des gestionnaires à opérer des choix plus
efficients (22).
La LOLF et la politique
budgétaire macroéconomique
La politique budgétaire a aujourd’hui pour référence
(contrainte ?) principale le respect des règles posées par l’UEM
et le pacte de stabilité et de croissance. Qu’apporte la LOLF à
une politique de « discrétion contrainte » susceptible d’être (éventuellement) menée par les pouvoirs publics (23) ? En fait, la LOLF
ne modifie guère les marges de manœuvre de la politique budgétaire. Certes la LOLF a une logique d’arbitrage d’enveloppes
plus porteuse d’esprit de responsabilité, et fait preuve d’une
dynamique top down et non push up qui permet d’avoir une
vision globale. Elle accorde la priorité à la performance, ce qui
rend en principe plus objectifs les choix publics, et a, par ailleurs,
une préparation plus précoce que dans l’ordonnance de 1959
tout en essayant d’avoir une approche plus ample, étudiant
notamment de près les dépenses fiscales. Mais de fait, les grands
axes d’une politique budgétaire sont toujours déterminés seize ou
dix-huit mois avant la période concernée par la loi de finances.
Et, par ailleurs, et c’est là un point crucial, la LOLF qui régit le seul
budget de l’Etat, n’a pas le bon périmètre pour la politique budgétaire actuelle, dans sa dimension européo-mondialisée. On sait
en effet que le périmètre pertinent est désormais l’ensemble des
administrations publiques (avec ou sans contrainte du Traité de
Maastricht). Les administrations de Sécurité sociale, comme les
administrations publiques locales (sans parler des ODAC, sauf cas
particulier) ne relèvent pas de la LOLF. Certes, des progrès
(cependant insuffisants) ont été faits dans une période récente
dans le cadre de la loi de financement de la Sécurité Sociale,
ainsi, surtout avec les efforts menés par les administrations publiques locales (24). On ajoutera : l’augmentation des dépenses
sociales (progrès de l’imagerie médicale, vieillissement, couverture de la population...), la montée en puissance de la part relative des finances locales depuis vingt-sept ans de décentralisation... entraînent mécaniquement le déclin relatif de la part des
dépenses publiques de l’Etat, id est des dépenses en régime LOLF.
Le LOLF améliore le jeu des stabilisateurs automatiques. En effet,
la disposition précitée relative aux surplus budgétaires va
permettre une amélioration de la politique budgétaire
716
contra-cyclique... tout au moins en période budgétaire favorable. Mais cette règle contient en elle-même une double limite.
L’affectation du surplus ne joue que lorsque ce dernier existe,
par exemple lorsque lors d’une période d’expansion l’hypothèse budgétaire a retenu une norme de croissance inférieure
à la croissance potentielle... mais elle ne joue pas lorsque le
Gouvernement a su intelligemment (voire politiquement) anticiper une croissance forte. Par ailleurs, la nouvelle règle ne fixe
pas d’indication concernant son affectation. Les stabilisateurs
automatiques impliqueraient, sauf conjoncture de chômage
keynésien, que l’intégralité de l’éventuel surplus vienne en
réduction du déficit et de la dette publics. La LOLF peut améliorer le jeu des stabilisateurs automatiques, mais ignore celui
des politiques keynésiennes, éventuellement examinables en
conjoncture récessionniste de ce type, théoriquement (historiquement ?) envisageable.
La LOLF n’a pas d’effet sur les éléments structurants de la politique
budgétaire. Elle est sans impact sur le Pacte de stabilité et de
croissance « rénové ». L’opportunité d’insérer une règle d’or à la
britannique ou à l’allemande dans le vote budgétaire n’a pas
été évoquée (point qui sera discuté en conclusion IV). La LOLF
n’a pas abordé, sauf très indirectement, le problème des prélèvements obligatoires et de la concurrence fiscale ; elle n’a pas
non plus pris en compte les contraintes du vieillissement de la
population. Elle demeure donc pour l’essentiel peu porteuse de
marges de manœuvre au niveau de la politique budgétaire
macroéconomique.
La LOLF et les choix budgétaires
en matière de dépenses et de recettes
La LOLF dont on vient de voir les limites en matière de potentiels
effets macroéconomiques globaux, peut-elle améliorer les choix
budgétaires des composantes de la loi de finances ? En matière
de recettes, la réponse est négative puisqu’il s’agit, comme noté
antérieurement, d’une question qui n’était pas directement
dans le champ de préoccupation de la LOLF. En matière de
dépenses, on peut penser que la LOLF peut aider à une meilleure
appréhension des problèmes en débat. Il faut cependant noter
(19) Jean-Hervé Lorenzi, L’efficacité du plan : modèles de contrôle de l’articulation
plan-marché, Paris, PUF, 1975.
(20) On n’insistera pas ici dans le Rapport du CAE présenté, sous l’angle des économistes, ni sur la leçon des expériences étrangères (ch. 2), ni sur les implications
de la LOLF (ch. 3), ces points étant essentiellement abordés en termes de gestion
publique. On notera simplement les éléments suivants : l’importance primordiale de
la diffusion et des pratiques de la performance ; la nécessaire remise en cause des
organisations administratives ; l’exigence du triptyque gouvernance/pilotage/contrôle, le rôle fondamental dévolu à la gestion des ressources humaines...
(21) Cf., sur ce point, le Rapport CAE, nº 65, op. cit. ch. 3, p. 146 et s. Cf. aussi le
complément F au Rapport présenté par François Riahi, « LOLF et marges de
manœuvre budgétaires », p. 327 et s.
(22) Une interrogation peut être aussi conduite sur le point de savoir si la LOLF ouvre
de nouvelles possibilités aux parlementaires face aux choix budgétaires proposés
par le Gouvernement. En matière d’amendements compensés, il y a une véritable
nouveauté par rapport à l’ordonnance de 1959. Ceux-ci étaient seulement permis
en matière de recettes ; ils sont désormais possibles en matière de dépenses au sein
d’une même mission. En matière de contrôle, les pouvoirs du Parlement sont renforcés avec la possibilité qu’a ce dernier de mieux identifier les carences dans la
gestion publique, et de nourrir les débats lors de la budgétisation des dépenses tout
en s’appuyant sur les pouvoirs d’investigation non négligeables des Commissions
de finances.
De manière générale, la LOLF va dans le sens d’un renforcement des obligations
d’information vis-à-vis du Parlement. C’est notamment le cas de l’amendement de
la LOLF en 2005 qui vise à remédier aux défauts du dispositif de régulation des crédits
en cours d’année budgétaire ainsi qu’à l’emploi des éventuels surplus (cagnottes).
Désormais, le Gouvernement doit indiquer au Parlement le taux ventilé de mise en
réserve des crédits (réserve de précaution), et doit par ailleurs arrêter dans sa première partie de la loi de finances « les modalités selon lesquelles sont utilisées les
éventuels surplus par rapport aux évaluations de la loi de finances de l’année, du
produit des impositions de toute nature établies au profit de l’Etat » (art. 34-I-10).
(23) La notion de « discrétion contrainte » élément du débat rules vs discretion en
matière de politique économique, a été introduite par Ben Bernanke, Constrained
discretion and monetary policy, Speech at New York University, 3 février 2003 et
développée par les travaux de Jean Pisani-Ferry et du Centre Bruegel (cf. notamment « Politique économique : avons-nous appris ? », Congrès AFSE, 19 septembre
2007, Conférence Présidentielle à paraître dans le nº 3 de la Revue économique
2008).
(24) Cf. notamment sur ce point « La LOLF et les collectivités locales, une démarche
de performance déjà engagée », Les Notes Bleues de Bercy, nº 342, 1er au 15 février
2008, p. 35 et s. On pourra aussi se reporter au Guide pratique pour une démarche
d’amélioration globale et progressive de la gestion publique locale, Paris, 2007,
disponible sur le site www.colloc.bercy.gouv.fr/
No 10 - Octobre 2008 -
finances publiques
en ce domaine trois contraintes lourdes rigidificatrices des
dépenses : le poids de la dette publique (la charge d’intérêt a
triplé en vingt-cinq ans en point de PIB, indépendamment de
toute variation de taux à la hausse) ; l’augmentation des salariés
de l’Etat (fonctionnaires et autres agents publics), sous réserve
des efforts récents de non-remplacement des départs en
retraite ; le vieillissement des salariés de l’Etat qui pèse directement sur les dépenses. Ces contraintes notées, les éléments permettant de dégager une marge de manœuvre apparaissent,
notamment depuis la loi de finances 2006, première véritable loi
en LOLF. En effet, l’approche globale en termes de missions et
de programmes permet de mieux définir les actions à entreprendre, et de structurer les dépenses (25). L’arbitrage par
grandes enveloppes lié à la logique top down adoptée conduit
à des arbitrages au niveau des missions, de sorte que les lettres
plafonds peuvent être communiquées aux commissions des
finances lors du débat d’orientation budgétaire id est avant la
fin juin. Ainsi la procédure budgétaire, qui relève toujours d’un
jeu non coopératif (comme dans nombre de pays), grâce à
l’arbitrage par grandes enveloppes, tend à circonscrire l’importance du jeu. Mais bien entendu les évolutions juridiques, comptables, managériales... ne peuvent remplacer le rôle du décideur public dans l’ajustement du niveau et de la structure des
dépenses de l’Etat. C’est d’ailleurs pour cela que, dans la lignée
des ajustements menés au Canada et en Suède, le Gouvernement actuel a souhaité une Révision générale des politiques
publiques (RGPP) dès le 10 juillet 2007. L’audit de l’ensemble des
missions de l’Etat (appuyé sur les données du budget en LOLF)
a été confié à vingt-six équipes faisant des propositions de
réforme de structure des dépenses, voire même des structures
de l’Etat. Ces audits devraient se poursuivre jusqu’en juin. Puis
viendra la grande phase d’arbitrage qui doit conduire à une loi
de programmation des finances publiques pour trois ans.
La LOLF et les marges de manœuvre
des gestionnaires publics
Les marges de manœuvre budgétaires, au niveau du gestionnaire public exécuteur de la micro-mécanique des flux budgétaires, s’accroissent avec l’assouplissement des conditions opératoires de dépense publique, puisqu’il y a une intensification de la
flexibilité de gestion allant certes de pair avec une limitation des
reports.
L’accroissement de la flexibilité pour les gestionnaires publics
est important sur trois points essentiels. Le responsable d’un programme, tout comme celui d’un budget opérationnel, est
désormais libre d’utiliser les crédits qui lui sont alloués (sous
réserve de la règle de la fongibilité asymétrique pour les
dépenses de personnel). Le contrôle financier est aujourd’hui
très allégé par rapport à la période ante LOLF (puisqu’il ne joue
en fait que sur la soutenabilité budgétaire des choix). La régulation budgétaire est, comme noté précédemment, exprimée
par une réserve budgétaire dont le quota est inscrit dans la
première partie du projet de loi de finances (et donc comme
dès le début de l’année).
La limitation des reports des crédits d’une année sur l’autre (le
report étant limité à 3 % par programme, sauf dérogation légale
expresse) implique pour le gestionnaire public un bon suivi budgétaire annuel. Elle facilite par ailleurs le pilotage global annuel
par la Direction du Budget. Cette limitation des reports peut
cependant induire une asymétrie d’information au niveau du
micro-gestionnaire public. Le non-report peut en effet provoquer
une situation d’aléa moral budgétairement sous-optimale. Pour
éviter une diminution de crédit l’année ultérieure, un gestionnaire
public peut préférer dépenser inconsidérément en fin d’année.
La fongibilité des crédits permet de dépenser ces dernières pour
un objet différent de celui initialement prévu ; elle n’est en aucun
cas une incitation à une moindre utilisation des crédits si cette
solution s’avère judicieuse.
- No 10 - Octobre 2008
CONCLUSION :
DES PROPOSITIONS D’ÉCONOMISTES
POUR ASSURER L’EFFICACITÉ
ET L’EFFICIENCE DE LA LOLF
Le Rapport sur l’économie politique de la LOLF se conclut par des
propositions (Pn) pour concrétiser les potentialités offertes par
cette dernière (26). On conclura cette note en présentant brièvement ces propositions assorties de quelques remarques.
Assurer une authentique révélation des préférences en systématisant l’évaluation a priori des décisions publiques (P1), rendant
crédibles les objectifs et les moyens (P2), déclinant tous les indicateurs dans les systèmes de gestion des programmes (P3). La
révélation des préférences de l’Etat a été notée dans le point II
comme un élément clé de la démarche LOLF : on ne peut donc
qu’être d’accord avec ces propositions.
Transformer l’Etat en réorganisant l’Administration selon la nature
des missions exercées (P4), en adaptant les organigrammes aux
programmes (P5), en confiant les structures publiques à de véritables patrons (P6), en mettant en place la nouvelle gouvernance
de l’Administration (P7), en mettant sous tutelle les administrations
défaillantes (P8). Réformer l’Etat est certes éminemment souhaitable mais c’est en l’espère un « vaste programme » qui implique
volonté politique du décideur central...et quasi-accord de la périphérie qui ne sera (peut-être) acquis que si l’objectif central d’efficacité se double d’un objectif d’équité, le dilemme efficacité/
équité des économistes politiques demeurant au cœur de la
question (27).
Gérer de manière efficace les finances publiques, en mettant en
œuvre un Pacte national de finances publiques (P9), en généralisant la LOLF à toute la sphère publique (P10), en associant programmation des dépenses et pluriannualité (P11), en effaçant
« les points de fuite » budgétaires du cadre des finances publiques
(P12), en allant vers une règle d’or budgétaire (P13), en pilotant
les structures publiques par contrat (P14). Ces propositions relèvent tant de la gestion, de l’économie politique, que de la politique stricto sensu. (P9) est, nous semble-t-il, en chemin, avec la
Conférence nationale des finances publiques et les débats
d’orientation budgétaire de mi-année, qui devraient s’enhardir
et traiter durablement du fond du problème. (P10) ne peut
qu’être une proposition applaudie des deux mains ; mais tant
qu’elle ne sera pas mise en place, nombre de progrès ultérieurs
seront de fait bloqués. (P11) nous paraît extrêmement souhaitable. Un objectif triennal, lié aux exigences européennes, est
possible au niveau des missions. Le vote annuel du budget permet
les ajustements stratégiques (et surtout « tactiques ») exigés par
l’évolution de la mondialisation de l’économie : il devrait être
centré sur les inflexions des programmes et des actions assurant
la pérennité de la gestion. Est-il souhaitable, comme l’indique le
Rapport, d’aller plus loin et d’adopter (via une modification de
la LOLF) une distinction entre deux sortes d’enveloppes budgétaires ? Des enveloppes triennales, closes sur des programmes
précis, coexisteraient ainsi avec des enveloppes ouvertes qui
pourraient être remises en cause tous les ans. C’est une perspective à examiner de près, l’aléa moral exigeant un suivi justificatif
des enveloppes closes... sans oublier les aléas de la volatilité de
la conjoncture mondiale. En toute hypothèse, la question est en
voie d’être provisoirement tranchée puisqu’une circulaire du
(25) Il y a dans le budget général de l’Etat en 2008, 34 missions, 134 programmes
et 605 actions (auxquels s’ajoutent 14 missions, 38 programmes et 82 actions hors
budget général).
(26) Cf. Rapport du CAE nº 65, op. cit., p. 157 à 179 (on n’oubliera pas que le
Rapport est augmenté d’un commentaire et de nombreux compléments).
(27) En ce qui concerne les résultats de l’enquête du CBPP, précédemment évoqués, qui sont mis en avant en faveur d’une nouvelle gouvernance de l’Administration, l’insuffisante transparence quant à l’information des citoyens sur les décisions à venir, ainsi que les difficultés des intervenants extérieurs à suivre (surveiller)
l’action des administrations, on ne peut qu’appuyer les efforts à mener tout en étant
modérément optimiste sur le dernier.
717
finances publiques
Premier ministre a annoncé le 11 février 2008 les modalités de
lancement d’un budget pluriannuel. Suite aux enseignements de
la RGPP, le budget définira au 30 juin 2008 les comptes et effectifs
de l’Etat pour 2009-2010-2011. Mais les projets de loi annuels seront
seuls contraignants, la programmation triennale devant être le
gage de la crédibilité de la trajectoire des finances publiques
(point sur lequel on se permet d’être dubitatif). (P12) est un point
très important car les opérateurs de l’Etat (créateurs « quasi autonomes » de dépenses et d’emplois) peuvent être des agents efficaces d’élargissement des marges de manœuvre, ce qui peut
être positif dans certains cas (autonomie des universités ?), mais
qui peut être aussi contradictoire avec une politique de maîtrise
des dépenses publiques. En toute hypothèse, une vraie soumission
des opérateurs de l’Etat aux exigences de la LOLF (notamment
au contrôle de la dynamique de l’emploi financé ou contrôlé par
l’Etat) paraît recommandable. (P13) qui propose la mise en place
d’une règle d’or budgétaire fait l’objet d’un débat « classique »
entre économistes des finances publiques. Elle va en fait de pair
avec la proposition (P11) qui va dans le sens de l’octroi d’un
cadre de politique à moyen terme à la politique budgétaire. Plusieurs variantes de cette règle d’or peuvent être envisagées audelà de la règle simple qui existe déjà en France pour les administrations publiques locales. Un premier problème de mise en
place de cette règle est de savoir ce que recouvriraient les
dépenses d’investissement seules finançables par l’emprunt au
sens de la règle d’or. Au-delà des normes actuelles de la comptabilité nationale, l’investissement devrait en principe inclure les
dépenses de recherche, d’éducation supérieure à préciser, les
dépenses environnementales en faveur du développement
durable... Il conviendrait de trouver une liste acceptable des
« dépenses d’avenir », tout en restant ferme sur le non-recours à
l’emprunt pour le financement des dépenses de consommation
courante, de simple fonctionnement. Un second problème, plus
analytique, est lié aux controverses sur les effets à long terme du
financement public par l’emprunt qui peut ne pas toujours améliorer le bien-être des citoyens (28). Il nous apparaît néanmoins
que, nonobstant ces remarques, la proposition du Rapport du
CAE est opératoirement raisonnable... même si elle est plus difficile à mettre en pratique qu’il ne serait souhaitable. (P14) est une
proposition sérieuse : la notion de contrat de performance est
assez largement développée déjà depuis plusieurs années ;
encore faudrait-il qu’elle puisse s’appliquer effectivement aux
agences et à tous les opérateurs de l’Etat.
Entraîner une novation des comportements par la transparence
et l’évaluation en mettant en place une revue de programmes
à la française (P15), en systématisant l’évaluation a posteriori des
politiques publiques (P16), en assurant un suivi des recommandations des évaluations et des auditeurs (P17), en promouvant un
usage raisonné de la loi fiscale (P18) et en accompagnant la mise
en œuvre de la LOLF (P19). La Révision générale de politiques
publiques (RGPP) a démarré, comme précédemment noté, dès
juillet 2007 et aboutit déjà à des résultats comme notés à propos
de (P11). L’évaluation systématique (P16) est bien sûr une étape
nécessaire. La clarification intervenue sur la position de la Cour
des comptes (vis-à-vis du Parlement et du ministère du Budget)
dans son rôle « d’expert certificateur » des comptes de l’Etat est
une étape importante dont la première certification des comptes
de l’Etat en mai 2008 montre toute la portée... et le travail encore
à accomplir. (P17) est une proposition sérieuse montrant la nécessaire avancée de la responsabilité (accountability) dans le
compte rendu par les responsables de programmes. Les modalités techniques proposées, notamment la mise en place d’un
comité des suites (à condition qu’il soit véritablement ouvert aux
experts et à la société civile) paraissent adéquates. (P18) et (P19)
ont une portée plus générale. P(18) souhaite un usage raisonné
de la loi fiscale en rappelant l’amplitude laissée au législateur de
l’impôt par opposition aux contraintes pesant sur le législateur de
la dépense. La Revue générale des prélèvements obligatoires
(RGPO) mise en œuvre en 2008 devrait (peut-être ?) faire
718
quelques propositions sur ce point. La meilleure solution nous
paraît être de partager le monopole du vote des prélèvements
obligatoires entre la loi de finances et la loi de financement de
la Sécurité sociale, ce qui supposerait toutefois une révision constitutionnelle et... ne manquerait pas d’entraîner une levée de boucliers de parlementaires et de partenaires sociaux, ce qui impose
un long dialogue avant l’acceptation d’une telle mesure. (P19)
propose le dépassement de plusieurs points de blocage de la
LOLF et la préparation d’une « révision technique » de cette dernière. Cela est tout à fait souhaitable. On peut raisonnablement
espérer qu’un travail commun majorité/opposition puisse être mis
en place à cet effet, comme ce fut le cas pour la LOLF 2005.
0
L’approche en termes d’économie politique de la LOLF prolongeant des travaux menés au CAE depuis 1997, sur le rôle du « secteur public/service public » dans l’économie, montre l’intérêt et
les apports possibles des économistes des finances publiques en
matière de réforme budgétaire et de réforme de l’Etat. Ne se
reconnaissent-ils pas tous plus ou moins disciples d’un auteur du
siècle dernier, Joseph A. Schumpeter, très en vogue aujourd’hui
avec l’économie de la connaissance, de la recherche et de
l’innovation, qui écrivait déjà en 1938 : « les finances publiques
constituent l’un des meilleurs points de départ pour une investigation de la société. L’esprit d’un peuple [...], les acteurs politiques qui se préparent, tout cela, et plus encore, est écrit dans
son histoire fiscale » ? (29).
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Dixit (A.), The making of economic policy, Boston, MIT Press, 1996.
(28) Alexandre Minea et Patrick Villieu ont récemment montré que, dans un modèle
de croissance endogène, si les effets de la règle d’or sont favorables à court et
moyen terme, il n’en est pas nécessairement de même à long terme. Le paramétrage du modèle, et notamment de l’élasticité de substitution intertemporelle, peut
dans certains cas, conduire à un affaiblissement de la croissance de long terme.
Cf. sur ce point leur article « Faut-il financer l’investissement public par l’emprunt ? »,
Revue économique, 2003, p. 5.
(29) Joseph A. Schumpeter, « English prices and public finance », 1960-1822, Review
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No 10 - Octobre 2008 -
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Extraits du rapport sur la situation
et les perspectives des finances publiques
de la Cour des comptes (23 juin 2008)
La soutenabilité des finances publiques
(...) La situation des finances publiques est considérée comme soutenable si, en l’absence de toute nouvelle réforme
des dépenses ou des prélèvements obligatoires, la dette publique reste sous un certain plafond, en pourcentage du PIB,
à un horizon donné.
Le programme de stabilité vise un rééquilibrage des comptes publics en 2012 sur la base d’hypothèses de croissance
volontaristes qui tranchent avec l’approche plus prudente de nos partenaires. Il repose aussi sur un ralentissement prononcé
des dépenses publiques, ambitieux au regard des évolutions passées même s’il est en deçà des résultats obtenus dans
d’autres pays européens. Il s’agit d’infléchir leur croissance pour économiser plus de 45 Mdsc à l’horizon de 2012 alors que
l’Allemagne a pu faire un effort, rapporté à son PIB, plus de deux fois supérieur en cinq ans.
La répartition retenue de l’effort n’est pas identique pour tous les secteurs. La norme pour les dépenses de l’Etat n’est
guère plus rigoureuse que ces dernières années. Pour les dépenses sociales, l’objectif est moins volontariste que dans la
programmation précédente mais son respect suppose la poursuite des efforts des trois dernières années pour l’assurance
maladie. Avec une progression de 1,4 % en volume, les dépenses locales sont supposées connaître un très fort infléchissement, ce qui est une hypothèse fragile.
La maîtrise des dépenses est d’autant plus nécessaire que les dépenses publiques annuelles supplémentaires de retraite,
dépendance et santé pourraient représenter de 4 à 5 points de PIB à long terme. De plus, la progression des dépenses
publiques liées aux risques environnementaux est mal connue mais sera certainement importante.
Les perspectives démographiques de la France à long terme sont certes plus favorables que celles de ses partenaires
européens et l’augmentation prévisible de ses dépenses publiques est donc un peu moins forte mais la situation de ses
finances publiques est moins soutenable du fait de son endettement et de son déficit structurel actuels.
- No 10 - Octobre 2008
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