La multifonctionnalité des territoires ruraux
Bernard Vachon, Ph.D
Professeur à la retraite, département de géographie, UQAM
Expert en Développement local et régional
Décentralisation et Gouvernance territoriale
Consultant national et international
Groupe de travail sur la multifonctionnalité des territoires ruraux
Jouvence, Orford, 26 janvier 2009
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1. Comment peut-on définir la vitalité d'un territoire? Dans quelle mesure cette
vitalité est-elle liée au type et au nombre de fonctions qui s'y trouvent?
La vitalité d'un territoire découle d'un ensemble de facteurs combinés. Elle relève, de
façon générale, du dynamisme économique et social exprimé par des variables et indices
de production (économie productive) et de consommation (économie résidentielle), mais
aussi de variables démographiques (la croissance de la population, la structure d'âge) et
sociales (le niveau de scolarité, la qualification professionnelle, la capacité innovante, le
leadership…).
Le questionnement s'élargit aux causes, aux facteurs explicatifs de la vitalité territoriale.
Comment s’équilibrent au Québec les forces de polarisation et de diffusion des activités et
des populations ? Quel est l’impact de la mobiligrandissante des personnes, des biens,
des informations dans un contexte marqué par l’internalisation croissante des échanges et
l’ouverture à la compétition internationale ? Quels mécanismes expliquent les trajectoires
différenciées des territoires ? Sur quels atouts ceux-ci peuvent-ils compter pour construire
des stratégies d’innovation et de développement local durable ?
De nombreuses dynamiques productives et résidentielles sont à l’œuvre sur les territoires:
compétitivité, attractivité, capacité à entreprendre et à innover, niveau d’éducation de la
population, qualification de la main-d’œuvre, qualité de l’environnement et du cadre de vie,
sécurité…
Si la vitalité d'un territoire est souvent liée à un contexte économique, social et
environnemental qui favorise certains milieux plus que d'autres, une part très importante
de cette vitalité est attribuable à des politiques volontaristes axées sur la compétitivité
territoriale et l'attractivité. La vitalité d'un territoire est alors tributaire d'un ensemble de
conditions dont certaines découlent de l'action publique, c'est-à-dire de politiques, de
programmes et de mesures appropriées pour stimuler l'entrepreneurship local et attirer
l'investissement productif, d'autres pour stopper l'exode et favoriser l'accueil de nouveaux
résidents.
La vitalité d'un territoire ne se résume pas à sa performance économique.
Un territoire municipal, supra-municipal ou régional, a forcément plusieurs fonctions:
résidentielle, culturelle, récréative, productive (secteurs agricole, industriel, forestier,
touristiques, commercial, …) et de services publics. Ces fonctions n'ont toutefois pas le
même poids selon les territoires: si elles sont relativement équilibrées dans certains, des
spécialisations peuvent apparaître dans d'autres. Ainsi, la fonction économique productive
est prépondérante dans certaines communautés (les villes mono-industrielles, les
communautés agricoles ou agro-foretières et les villages de pêche à l'extrémité du
spectre), alors que l'activité agricole ou les fonctions résidentielle ou récréo-touristique
pourront exister en combinaison équilibrée avec d'autres fonctions sur d'autres territoires.
En soi, la vitalité d'un territoire n'est pas liée à la présence de telle ou telle fonction ou de
combinaison de fonctions. Elle est liée au dynamisme de cette fonction (ou combinaison
de fonctions) et de sa population. Une communauté à prédominance agricole peut avoir
une forte vitalité économique et sociale. Lorsque cette fonction est affectée par un déclin
qui se prolonge dans le temps et que d'autres fonctions ne viennent pas s'y substituer, un
processus de dévitalisation s'enclenche. Des efforts seront alors tentés pour rompre une
spécialisation devenue problématique en favorisant une plus grande diversification
d'activités productives ou le développement de l'économie résidentielle (prédominante ou
en combinaison avec l'économie productive).
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Les efforts que requiert la lutte au déclin économique et social exigent une capacité du
milieu à se mobiliser et à réunir les conditions d'une relance fondée sur des bases
nouvelles. Il y a ici un dynamisme humain qui est sollicitée, caractérisée par la capacité
innovante, le leadership, l'ouverture, la concertation, le partenariat, etc. Conjuguées à des
politiques et programmes gouvernementaux appropriés, les ressources humaines du
milieu viseront à créer un environnement compétitif et propice aux initiatives qui remettront
la communauté sur la voie du développement – un environnement pour "mettre les
territoire en état de produire et de se développer".
2. Observe-t-on une tendance vers une plus grande spécialisation des fonctions
territoriales (par exemple : spécialisation sur le plan économique tel qu’en
agriculture ou spécialisation résidentielle ou récréative)?
De façon générale, les recherches et analyses portant sur l'évolution des territoires
révèlent une tendance lourde vers une plus grande polyvalence des territoires ruraux. Ce
qui s'explique par un ensemble de facteurs dont les principaux sont: (i) la mobilité accrue
des biens, des personnes et des informations; (ii) la dématérialisation d'un nombre
croissant d'activités économiques qui entraîne l'éclatement de la ville et la reconquête de
plusieurs régions rurales, les économies de proximité liées à la concentration urbaine
n'étant plus indispensables pour la localisation de plusieurs productions "immatérielles":
(iii) les dysfonctionnements de la grande ville et la quête pour une meilleure qualité de vie,
la campagne offrant à cet égard plusieurs avantages; (iv) le développement et la
généralisation des technologies d'information et de communication qui facilitent le travail à
distance (télétravail); (v) l'intérêt manifesté par les territoires ruraux envers la
diversification des activités économiques et l'accueil de nouvelles familles, ce qui contribue
à modifier les organisations et la dynamique de ces communautés et pour certaines, à
lutter plus efficacement contre des problématiques de déclin et de dévitalisation.
Cette tendance lourde vers une plus grande polyvalence des territoires ruraux comporte
toutefois le risque de se faire dans le désordre si elle n'est pas prise en charge par des
politiques publiques et des dispositifs spécifiques d'aménagement et d'urbanisme
(gouvernance).
Conjointement à cet tendance lourde à l'échelle macro, on constate au niveau local, des
mouvements vers des spécialisations sur des fonctions spécifiques. À cet égard, les
fonctions résidentielle, récréo-touristique et de villégiature marquent le pas dans plusieurs
milieux ruraux des régions périphériques et intermédiaires aux dépens des fonctions
agricole, forestière et de pêche. Victimes de crises à la fois structurelles et conjoncturelles,
ces dernières sont devenues des secteurs économiques très instables et aux perspectives
d'avenir incertaines. Dans ce contexte la relève se raréfie, les entreprises qui résistent se
restructurent et l'action publique oriente ses stratégies de développement vers de
nouvelles fonctions. Dans les régions centrales, celles de Montréal et de Québec
notamment, le haut potentiel des terres agricoles et l'application de la Loi sur la protection
du territoire et des activités agricoles assurent une certaine pérennité à des communautés
de longue tradition agricole. Le voisinage des grands centres urbains et les nouvelles
demandes sociales exercent toutefois de fortes pressions sur ces zones agricoles. Si bien
qu'on assiste à des brèches de plus en plus nombreuses dans l'homogénéité agricole de
ces communautés et à une coexistence progressive de la fonction agricole avec des
fonctions résidentielle, commerciale et industrielle, source de conflits d'usages dont
l'activité agricole sort généralement perdante.
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Enfin, il faut noter la spécialisation de plusieurs productions agricoles qui s'est imposée en
modèle sur la grande majorité des fermes depuis les années 60 et qui caractérise
aujourd'hui de vastes territoires de production: (lait, volaille, porc, œufs, céréales, produits
maraîchers, etc.). Ce courant de spécialisation est remis en question depuis un certain
nombre d'années par différents organismes et groupements. Le récent rapport de la
Commission sur l'avenir de l'agriculture et de l'agroalimentaire québécois a aussi traité de
cette question et proposé des voies de remplacement.
3. Quelles sont les conséquences (positives et négatives) de cette tendance à la
spécialisation pour les territoires?
La spécialisation d'un territoire est souvent liée à la présence dominante d'une ressource
naturelle (matière première, source énergétique, qualité agronomique des sols, paysage,
environnement naturel, etc.). ou d'atouts historiques ou patrimoniaux. Elle peut être
attribuable aussi à la persistance de l'activi pionnière qui a accompagné l'occupation
première du territoire, telles l'agriculture, la forêt et les pêches. Appuyée par des structures
et des dispositifs appropriés tant au niveau de la chaîne de production qu'à celui de la
transformation et de la mise en marché (dans le cas des productions spécialisées), la
spécialisation comporte des avantages (systèmes productifs locaux, économies de
proximité, pouvoir de négociation pour la conquête de marchés, bassin de main-d'œuvre
spécialisée, etc.).
Pour plusieurs territoires du Québec, et plus spécifiquement à l'échelle des municipalités
locales et des MRC, l'expérience des quarante dernières années a démontré que la
spécialisation dans les domaines agricole, forestier, des pêches et des mines, constituait
un facteur de vulnérabilité très important lorsque surviennent des crises tant structurelles
que conjoncturelles affectant ces secteurs économiques. C'est ainsi que plusieurs
territoires ruraux du Québec dont l'économie et l'organisation sociale étaient fondées sur
l'agriculture, la forêt ou les pêches, ont été entraînés dans la spirale de la dévitalisation
suite à l'effondrement de ces activités économiques. Les territoires concernés déploient
aujourd'hui des efforts considérables pour diversifier leur base économique. Et cette
diversification repose sur la capacité du milieu à susciter une polyvalence de fonctions qui
stimulera la vie économique et sociale tout en générant des emplois dans des domaines
nouveaux d'activités.
La spécialisation et la multifonctionnaliont chacune leurs mérites dans l'organisation et
le dynamisme d'un territoire. Elles possèdent aussi chacune leurs conditions
d'épanouissement dans le temps et dans l'espace. Selon les évolutions en cours,
conséquences de la mondialisation des marchés, selon les politiques et règles de l'OMC,
les tendances des consommateurs, les progrès de la productivité, etc., l'une ou l'autre
apparaîtra appropriée au contexte ou au contraire en mal d'adaptation.
Dans le contexte actuel marqué, comme on l'a souligné précédemment, par la grande
mobilité des personnes, des biens et des informations, et aussi par la quête d'une
meilleure qualité de vie, la ville sort de son cadre traditionnel et trouve à la campagne les
ressources pour répondre à plusieurs de ses besoins. La société rurale devient ainsi très
intégrée dans la socié urbanisée en raison des échanges villes-campagnes, du
rapprochement des modes de vie, des aspirations communes et des fréquentations
quotidiennes (mouvement pendulaire des travailleurs), hebdomadaires et saisonnières.
Ce nouveau contexte d'osmose entre espaces urbains et espaces ruraux s'avère propice
à la multifonctionnalité des territoires ruraux.
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4. Comment et dans quelle mesure la multifonctionnalité des territoires ruraux peut
répondre aux enjeux de l’occupation du territoire dans le contexte
d’aujourd’hui?
4.1 Les enjeux de l'occupation du territoire
L’enjeu principal de l'occupation du territoire est la "tenue des territoires", c’est-à-dire le
maintien et le développement d’une présence active. Il importe alors de stimuler la
croissance économique et la création d'emplois dans toutes les régions et communautés.
Sans perspective économique, l’occupation des territoires ne peut reposer que sur des
non-actifs, retraités ou visiteurs, ce qui ne saurait suffire pour assurer la viabilité des
territoires (l'économie résidentielle locale n'est possible que s'il y a une économie
productive forte en amont).
Un autre enjeu important de l’occupation de l’espace est la capacité d'offrir une réponse
diversifiée et adaptée à la demande sociale provenant à la fois des villes et des
campagnes. Cette demande sociale interpelle autant les loisirs, la résidence et le tourisme
que la qualité de vie, la culture, le patrimoine et la nature dans une perspective
d'accessibilité et de protection.
Enfin, un troisième enjeu de l'occupation du territoire est la prise en charge de la
gouvernance des ressources et des services à la population par les collectivités
territoriales. Pour ce faire, celles-ci (municipalités locales, MRC et régions) doivent
disposer de compétences accrues et de ressources appropriées conférées par une
véritable politique de décentralisation.
4.2 Multifonctionnalité et occupation du territoire
L'émergence du concept de multifonctionnalité et son élargissement
Le thème de la multifonctionnalité est apparu dans les négociations internationales à la fin
des années 1980. On le retrouve en particulier dans le chapitre 14 de l’Agenda 21 dont le
premier domaine d’activité a pour titre « Examen, planification et programmation intégrée
des politiques agricoles, compte tenu du caractère multifonctionnel de l’agriculture et, en
particulier de son importance pour la sécurité alimentaire et le développement durable ».
Dans le prolongement de ce texte, la déclaration finale du Sommet Mondial de
l’Alimentation de 1996 fait état « du caractère multifonctionnel de l’agriculture ».
De même, après que les ministres de l'agriculture des pays membres de l'Union
européenne eurent reconnu officiellement le caractère multifonctionnel de l'agriculture lors
de la conférence ministérielle de Paris en mars 1998, l'Organisation de coopération et de
développement économiques (OCDE) a engagé divers travaux d'analyses de ce concept.
Son cadre analytique a été élaboré par l’OCDE en 2001.
Ainsi, le concept de multifonctionnali répond à l’idée que l’activité agricole assure
simultanément des « fonctions » économiques, sociales, spatiales et environnementales.
En France, il a été mis de l'avant par la Loi d’orientation agricole de juillet 1999 qui fixe le
cadre d’une nouvelle politique s’inscrivant dans une perspective de développement
durable et prévoit à cet effet la mise en place de la procédure des contrats territoriaux
d’exploitation (CTE) dans lesquels la multifonctionnalité occupe une place importante.
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