de labelliser le libre-échange comme un bien public mondial dans son discours de
développement économique, [12] il va de soi qu’il s’agit là avant tout d’une priorité
politique propre à l’institution en question, et non d’une qualification scientifique
basée sur les seuls critères de non-rivalité et de non-exclusion (d’ailleurs, il est
aisé d’imaginer une zone de libre-échange telle le NAFTA qui exclut certains états
de son club). Le risque est donc que le nouveau discours des biens publics
mondiaux vienne légitimer tout type de coopération intergouvernementale ou
action des organisations internationales, en particulier du système onusien, sous
couvert de critères pseudo-scientifiques et apolitiques.
Ensuite, le discours du PNUD se borne à constater que la production des biens
publics mondiaux par les organisations internationales et la coopération
intergouvernementale est une nécessité au vu des choix économiques rationnels
des états qui agiront toujours de manière individualiste et utilitariste comme dans
le dilemme du prisonnier. Les livres du PNUD n’avancent pas de modèle de
production et/ou de gestion alternatif à la marchandisation et à la puissance
publique du modèle capitaliste dominant. Finalement, le prisme des biens publics
mondiaux nous impose une vision très étriquée de la vie en commun : soit
l’individu, soit l’État, et, au niveau mondial, une gouvernance globale encore mal
définie.
Au contraire, l’approche des biens communs propose un nouveau système social
de coproduction et de cogouvernance qui rejette la dichotomie
propriétarisation/régulation publique de la théorie économique conventionnelle.
Elle se détache radicalement de la culture de marchandisation et prône la non-
appropriation des richesses partagées comme l’eau, les terres agricoles, les
connaissances et les cultures. Plus fondamentalement encore, les adeptes des
biens communs nous invitent à dépasser la grille de lecture économique
traditionnelle des biens exposée ci-dessus pour redéfinir la prospérité sur base de
critères alternatifs sociaux, écologiques, et mêmes philosophiques.
La dichotomie biens privés/biens publics a longtemps dominé l’économie de
marché. Les différences entre biens communs et biens publics, elles, sont bien
plus difficiles à cerner. Or, les « biens communs mondiaux » (
global commons
) et
les « biens publics mondiaux » (
global public goods
) sont bel et bien devenus
des concepts fort mobilisateurs du vocable politique international. Il devient dès
lors capital de distinguer les logiques politiques sous-jacentes aux deux notions.
Distinguer les biens communs mondiaux de la notion faussement voisine des
biens publics mondiaux, c’est en effet insister sur le potentiel d’un nouveau
paradigme de réappropriation collective pour repenser notre rapport aux autres et
à la planète.
[1] Voy. par exemple, J. Ballet, « Propriété, biens publics mondiaux, bien(s) commun(s) : Une lecture des
concepts économiques »,
Développement durable et territoires
, nr. 10, mars 2008, para. 67 ; F. Lille et J.
Cossart, « Les biens publics mondiaux », ATTAC, Juin 2008 ; J. Quilligan, « Why distinguish common goods
from public goods », in D. Bollier et S. Helfrich (eds.),
The Wealth of the Commons : A World Beyond
Market & State
, The Commons Strategy Group, http://wealthofthecommons.org/.
[2] I. Kaul, I. Grunberg et M. A. Stern (eds.),
Global Public Goods : International Cooperation in the 21st
Century
, New York/Oxford, Oxford University Press, 1999, 546 p.
[3] I. Kaul, P. Conceição, K. Le Goulven et R. U. Mendoza (eds.),
Providing Global Public Goods : Managing
Globalization
, New York/Oxford, Oxford University Press, 2003, 672 p.
[4] I. Kaul et P. Conceição (eds.),
The New Public Finance : Responding to Global Challenges
, New
York/Oxford, Oxford University Press, 2006, 664 p.
[5] Voy. l’article fondateur de la théorie des biens publics : P. Samuelson, « The Pure Theory of Public
Expenditure »,
The Review of Economics and Statistics
, vol. 36, nr. 4, Novembre 1954, pp. 387-389.
[6] G. Hardin, « The Tragedy of the Commons »,
Science
, vol. 162, nr. 3859, Décembre 1968, pp. 1243-
1248.
[7] E. Ostrom,
Governing the Commons : The Evolution of Institutions for Collective Action
, Cambridge,
Cambridge University Press, 1990, 298 p.
[8] Voy. par exemple : D. Bollier et al.,
Biens communs : comment (co)gérer ce qui est à tous
, Octobre
2012, 53 p. ; E. Verhaegen, « Vive la Transition ?! La révolution des ‘communs’ »,
Politique
, nr. 90, Mai-Juin
2015, pp. 41-45.
[9] Voy. par exemple le document de travail du Conseil scientifique d’Attac : F. Lille et J. Cossart, « Les
biens publics mondiaux », ATTAC, Juin 2008, pp. 2-3.
[10] A. Sen, « Global Justice : Beyond International Equity » in I. Kaul, I. Grunberg et M. A. Stern (eds.),
EN GUISE DE CONCLUSION