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Certificat universitaire santé mentale en contexte social : précarité et
multiculturalité
UCL/LAAP/SSM Le Méridien
Edition 2012
LES ANIMATEURS A LA VIE AFFECTIVE ET SEXUELLE
FACE AUX ENJEUX DE LA MULTICULTURALITE :
COMMENT S’EN SORTIR AVEC LES PROPOS
HOMOPHOBES ?
Florence HERMANS
Psychologue
!
Cette enquête de terrain porte sur une réalité des animations à la vie sexuelle et affective
dans des classes d’adolescents bruxellois, à savoir la difficulté chez les animateurs à être
confronté à des propos homophobes durant les animations réalisées auprès d’adolescents de
culture arabo-musulmane.
Face à ces propos, les animateurs s’épuisent et interrogent le sens de continuer à parler
d’homosexualité. Au regard de ces difficultés, il s’agit de mettre en dialogue la question de la
sexualité en islam afin de porter le débat avec les nuances nécessaires. Pris dans des
loyautés culturelles, religieuses mais aussi pris dans une précarisation économique et
relationnelle, ces jeunes font résistance à une altérité qui vient bousculer leurs schèmes de
pensées.
L’implication de la recherche réside dans le souci de la nuance en contexte social afin de
proposer des pistes d’action pour continuer à nourrir le débat démocratique.
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« C’est notre regard qui enferme souvent les autres dans
leurs plus étroites appartenances, et c’est notre regard aussi
qui peut les libérer. »
Amin Maalouf1
!
1 Amin MAALOUF, Les identités meurtrières, Paris, Grasset, 1998, p.32
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Introduction
Psychologue et animatrice dans deux centres de Planning Familial à Bruxelles, je suis aux
premières lignes d’un lien qui unirait la santé sexuelle à une santé mentale suffisamment
bonne, une capacité de vivre et de souffrir dans un environnement donné et transformable,
sans destructivité mais non sans révolte (Furtos, 2007).
Deux évènements principaux figurent de point de départ de ce travail. Tout d’abord, lors
d’une réunion d’animateurs en EVRAS (Education à la Vie Affective, Relationnelle et
Sexuelle), sous forme de journée d’intervision et de partage autour des animations de l’année
écoulée, j’ai été marquée de constater combien une thématique était récurrente : la difficulté
des animateurs à parler de l’homosexualité, à déconstruire les remarques homophobes parfois
très violentes, à maintenir un dialogue constructif et respectueux autour de ce sujet avec des
élèves de culture arabo-musulmane.
Un autre jour, au cours d’un atelier sur les animations EVRAS, une travailleuse d’un centre de
planning familial situé dans une zone précarisée de Bruxelles et dont le public des animations
est composé majoritairement de jeunes d’origine turque ou maghrébine, me déclare qu’elle
évite désormais d’aborder le thème de l’homosexualité lors de ses animations. Selon elle, cela
provoque de telles réactions qu’elle a l’impression d’augmenter les résistances homophobes
plutôt que d’amener davantage d’ouverture et de tolérance.
Que cela conduise des animateurs EVRAS à éviter consciemment ou pas le sujet m’a
encouragée à mener une enquête de terrain à ce sujet.
Qu’est-ce qui se joue dans l’expression de l’homophobie chez ces jeunes ? Qu’est-ce qui se
joue du côté des animateurs EVRAS confrontés à ces réactions homophobes ? Comment
aborder l’homosexualité sans entrer dans une confrontation violente et pour les jeunes, et
pour l’animateur ? Comment faire de la prévention contre l’homophobie avec ce public ?
J’ai choisi d’aller à la rencontre de travailleurs de centres de planning familial afin d’écouter
ce que ce thème leur évoquait, comment ils y étaient confrontés en animation et les pistes
d’action qu’ils avaient bricolées progressivement au vu de leur expérience de terrain et de
leurs réflexions. L’idée était de partir de leur ressenti afin de pouvoir appréhender les
difficultés auxquelles les animateurs en vie affective et sexuelle sont confrontés. Je
présenterai donc leurs témoignages, recueillis lors d’entretiens réalisés avec eux, en individuel
ou deux travailleurs d’un même centre conjointement.
Il est incontestable que l’homophobie n’est pas l’apanage des jeunes d’origine arabo-
musulmane. Ne les désignons donc pas boucs émissaires de nos difficultés à nous, animateurs.
Myriam, psychologue dans un centre de planning familial, a souhaité d’emblée apporter cette
nuance fondamentale en début de son entretien.
« J’ai eu des réactions très homophobes dans des classes qui étaient d’écoles
catho très bourges ! C’était juste un peu plus poli, parce que ce sont des jeunes
qui sont sociabilisés autrement. Mais c’était tout aussi puant comme réaction,
avec des profs qui réagissaient de manière pas du tout adéquate face à ce que
leurs chers petits blondinets pouvaient sortir. Je pense qu’il faut faire attention à
ne pas simplifier les choses. Et c’est vrai que dans le langage courant, dans les
conversations, les gens vont axer facilement les difficultés sur les classes de
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jeunes garçons d’origine marocaine, par exemple. C’est tellement facile comme
catégorie. Je ne nie pas qu’il y ait des choses compliquées autour des orientations
sexuelles minoritaires et avec les gens différents dans ces milieux. Mais ça dépend
comment tu t’amènes en tant qu’animateur, avec quoi tu viens ! »
Par ailleurs, la récurrence avec laquelle des animateurs EVRAS se racontent avoir été mis à
mal face à de l’homophobie souligne les difficultés professionnelles de ceux-ci à exercer leur
métier auprès de jeunes issus d’une immigration qui, au travers de leurs propos, interpellent
les professionnels sur leur intimité et leur sexualité. Est-ce alors à dire qu’il s’agit d’une
homophobie spécifique chez les jeunes issus de l’immigration turco maghrébine ? Cette
question mérite à mon sens d’être déconstruite au départ sans tomber dans le piège des
généralisations, des accusations abusives et faciles dont ces jeunes sont trop souvent les
cibles. Ce sont en effet les mêmes jeunes qui subissent bon nombre de discriminations et de
stigmatisations.
Mais restons également attentifs à ne pas tomber dans un ultra politiquement correct qui
empêche toute parole sur ces jeunes si ce n’est pour les victimiser. On ne peut nier que les
questions d’orientation sexuelle sont en tension dans les milieux issus de l’immigration turco-
maghrébine.
Par ailleurs, je n’adhère pas à l’idée que poser la question de l’islam revient à stigmatiser la
population qui s’en défend. Comme dit Dassetto, analyser clairement vaut mieux que ne rien
dire au risque de laisser courir les bruits, les rumeurs et la désinformation. 2 Vu qu’on se
trouve au centre d’une question sensible, l’analyse par les sciences sociales, dont
l’anthropologie, s’impose d’autant plus pour contribuer à prendre en compte sereinement ce
fait social incontestable qu’est la présence à Bruxelles, et en Belgique, d’une importante
réalité musulmane3.
L’homophobie en questions
Attitude d’hostilité générale, psychologique et sociale envers les homosexuels, l’homophobie
résulte d’une impossibilité d’accepter et de respecter la différence. L’homosexuel est assigné
à la place de l’autre, du contraire, de l’inférieur ou de l’anormal. L’homophobie donne lieu à
des comportements plus ou moins violents dictés par des sentiments de peur, de dégoût ou de
répulsion qui prennent source dans des conflits individuels4. D’autres manifestations, plus
insidieuses, trouvent leurs origines dans le mépris de l’homosexuel catégorisé comme
« autre ». Dans cette forme d’homophobie, la tolérance de l’homosexuel est de façade :
l’homosexuel n’est pas rejeté mais personne ne trouve choquant qu’il ne jouisse pas des
mêmes droits que les hétérosexuels5.
Pour aborder ce sujet en animation, il me semble essentiel de saisir les mécanismes qui sous-
tendent l’homophobie. Qu’est-ce qui se joue dans une réaction homophobe ? Dans quels
conflits internes la personne homophobe est-elle empêtrée ? Et au-delà des comportements
individuels, comment une société peut-elle encourager ou dissuader l’homophobie ?
A cette fin, il est illustrant de mettre en perspective l’homophobie, l’hétérosexisme et le
sexisme.
2 Felice DASSETTO, L’iris et le croissant, Bruxelles et l’islam au défi de la co-inclusion, Louvain-La-Neuve, Presses Universitaires de
Louvain, 2011, p. 16
3 Op cit.
4 Daniel BORRILLO, « L’homophobie : comment la contrer ? », L’homosexualité à l’épreuve des cultures, L’Agenda Interculturel, n°286,
CBAI, octobre 2011
5 ibid
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L’homophobie est une forme particulière de l’hétérosexisme qui est lui-même une forme
particulière du sexisme. Comme les autres formes de stigmatisation, l’hétérosexisme est régie
par une catégorisation du champ social produisant des dichotomies spécifiques : l’homme vs
la femme, le masculin vs le féminin, l’hétérosexualité vs l’homosexualité. Ce processus
conduit à une sorte de naturalisation des catégories alors que les critères des catégorisations
sont socialement construits et répondent à une norme collective plutôt qu’à un fonctionnement
intrinsèque6.
En outre, cette catégorisation est sous tendue par des rapports de pouvoir. L’homophobie
ordonne une hiérarchisation des sexualités au profit de l’hétérosexualité. Cette forme
spécifique du sexisme rejette également tous ceux qui ne se conforment pas au rôle
prédéterminé par leur sexe biologique : travestis, transsexuels, bis, hétérosexuels dont la
personnalité ne colle pas aux stéréotypes de genre,… Ainsi, celui qui lance l’insulte « pédé »
décrie souvent un non-respect des attributs masculins dit « naturels » plutôt qu’il ne songe à la
véritable orientation sexuelle de la personne. L’homophobie deviendrait ainsi la gardienne des
frontières sexuelles (hétéro/homo) et du genre (masculin/féminin)7.
L’homophobie serait donc liée à une conception rigide des frontières entre les genres et d’une
vision du masculin et du féminin comme nécessairement complémentaires. Une collègue, qui
a été personnellement et professionnellement traversée par ces questions, parle des
représentations mentales qui sont heurtées par l’homosexualité :
« De toute façon, l’homosexualité, pourquoi est-ce qu’elle gêne ? C’est parce que
dans les représentations des gens, tu n’es plus face à un homme viril, avec toutes
les caractéristiques qu’on attribue d’habitude aux hommes, qui est en relation
avec une femme qui a les caractéristiques à l’opposé : douceur, etc.
L’homosexualité, elle vient remettre ça en question. Elle vient dire qu’il y a
parfois des hommes qui se suffisent à eux-mêmes, et certaines femmes entre elles
qui se suffisent à elles-mêmes. Et donc, tu remets en question la complémentarité
du masculin et du féminin. C’est pour ça qu’il y a tellement d’homophobie. C’est
tout, c’est aussi simple que ça. »
Pour Castaneda, machisme et homophobie sont toujours liés. Ainsi, plus la définition des
rôles masculins et féminins est rigide dans une société, plus le machisme sera présent, et plus
il y aura d’homophobie car l’homosexuel sera perçu comme transgressant les rôles de genre
en vigueur. La lutte contre l’homophobie va donc de pair avec la lutte pour l’équité des sexes,
et ce dans tous les domaines 8.
Des écarts de logique
Les jeunes rencontrés lors de ces animations et les difficultés récurrentes des animateurs
montrent combien un discours sur une altérité reste laborieux dans des contextes sociaux de
précarité et combien aussi il s’agit de mesurer les enjeux des écarts de logiques dans notre
faculté à comprendre et à poser un regard sur la clinique.
6 Caroline DAYER, « Souffrance et homophobie. Logique de stigmatisation et processus de socialisation », In Homosexualités et
stigmatisation, sous la dir. de Susan HEENEN-WOLFF, Paris, PUF, 2010
7 Daniel BORRILLO, « L’homophobie : comment la contrer ? », ibid
8 Marina CASTANEDA, Entretien retranscrit dans THORENS-GAUD, E., Adolescents homosexuels, des préjugés à l’acceptation,
Lausanne, Favre S.A., 2009
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Comment s’exprime cette homophobie en animations EVRAS ? Que se cache-t-il derrière le
discours homophobe ? Y a-t-il des contextes d’animations qui l’encouragent ? Comment
lutter contre l’homophobie sans augmenter les résistances des élèves ?
J’ai voulu ici mettre le discours des animateurs en lien avec le discours des jeunes pour
proposer un champ de compréhension. En effet, le risque reste important de trop lâcher prise,
d’exclure encore davantage des jeunes en situations multiples d’exclusions, tout comme il
reste essentiel d’éviter l’écueil de la banalisation des souffrances exprimées par les
intervenants sociaux.
Je me dois de préciser que les personnes que j’ai interviewées9, chacune à leur façon, s’en
sortent bien dans leurs animations, notamment vis-à-vis des enjeux de la multiculturalité.
Elles ont développé des stratégies qui leur permettent de ne pas se vivre en grande difficulté
face aux classes rencontrées et aux discours homophobes entendus. Néanmoins, ce qu’elles
m’ont transmis contribue à saisir certaines réalités de leur métier et fournit des clés de
compréhension d’un contexte social qui, à certains moments, favorise l’expression de propos
homophobes.
9 Certains prénoms sont des pseudonymes.
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