TRP2 Géographie Humaine Le Pic de Pétrole : Elements d’analyse discursive
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Introduction
Le 19 février 2008, pour la première fois de l’histoire, le baril de pétrole a dépassé à New York le seuil symbolique
des 100 dollars américains, ce qui représente un record absolu. En juillet 2008, le prix du même brut atteignait 145
dollars le baril, avant de s’effondrer aux alentours de 50 dollars le baril après les krachs boursiers de l’Automne.
La tension est forte sur l’offre qui risque de ne plus suffire à la demande, d’autant plus que pour certains
spécialistes, la perspective prochaine de voir se tarir les gisements de cette ressource stratégique renforce la
probabilité d’un pétrole moins abondant et durablement cher.
La croissance de la demande énergétique dans le monde, due à l’essor économique fulgurant des économies en
transition combinée à la saturation des capacités de production des pays producteurs, en plus de l’insuffisance
des industries de raffinage dans certains pays consommateurs, constituent différents facteurs qui, pris dans leur
ensemble, expliquent en partie la tension sur l’offre des hydrocarbures. Pour d’autres analystes, ce sont plutôt les
tensions géopolitiques qui sont au centre des inquiétudes sur l’offre pétrolière. La volatilité du marché des cours
du pétrole est certainement amplifiée par de fortes spéculations induites par des incertitudes à la fois
géopolitiques, financières, techniques et environnementales. Contrairement aux deux chocs pétroliers précédents
(1973, 1979), cette flambée des prix depuis 2004 n’est pas corrélée à une crise internationale géopolitique
majeure.
Cette situation inédite réveille dans l’opinion publique un discours de crise, de déplétion et de pic de production
autour d’une spéculation sur les réserves réelles. La parution du film documentaire « The Oil Crash » (McCormack
Ray et Basil Gelpke, 2006), qui fait écho au documentaire « An Inconvenient Truth » (Guggenheim 2006) présenté
par Al Gore pourrait révéler l’émergence d’un discours de pénurie et de crise imminente dans le grand public qui
prendrait sa place aux côtés du discours climatique.
Mais il apparaît que le discours de crise pétrolière reste, dans le discours public et vulgarisé, relativement discret
par rapport à la thématique du réchauffement climatique, à tel point que j’ai découvert ce problème par hasard en
parcourant un article du professeur Gérard Stampfli de l’université de Lausanne (Uniscoop, no. 526 / 2007).
Dès lors je me suis posé la question de savoir pourquoi le sujet restait à ce point discret alors que le discours
d’une crise énergétique semble indiquer un danger beaucoup plus imminent et menaçant pour le fonctionnement
de nos sociétés qu’un réchauffement climatique à long terme soumis à de nombreuses incertitudes. La découverte
des ouvrages de vulgarisation autour de la crise énergétique et une analyse du discours sous-jacent me parut un
bon moyen de trouver des éléments de réponse à la question posée précédemment.
C’est pourquoi j’ai commencé par dégager du documentaire « The Oil Crash » (McCormack Ray et Basil Gelpke,
2006) les principales articulations du discours avant de le rattacher au contexte des nombreuses parutions
récentes, qui déclinent le même discours sous des formes variées avec des interprétations, des explications et
des tentatives de faire la part des choses assez récurrentes.
Après cette synthèse du discours, je me dégagerai de l’ambitieuse entreprise d’en restituer la vérité factuelle qui
ressort de la géologie, de la géographie politique et économique pour me consacrer à une étude plus
herméneutique propre à la géographie humaine. En effet, les affirmations pertinentes restent difficiles d’accès
dans un contexte politique, commercial et technique vecteur de secret et de dissimulation. Je laisserai aux
spécialistes des sciences pétrolières la tâche ardue de séparer le bon grain de l’ivraie et de juger de la pertinence
des avertissements de pénurie et de l’impact probable des crises économiques et sociales résultantes.
La première partie du travail consistera à étudier les phénomènes discursifs qui interviennent dans la
problématique. Je tenterai de préciser le discours et ses enjeux. Quelle vérité se déploie dans quel contexte ?
Quel environnement rend des idées importantes qui passeraient inaperçues le cas échéant ? Quels sont les
arguments en jeu ?
La seconde partie de ce travail sera consacrée à la construction sociale et politique du discours. Par qui la vérité
du discours a-t-elle été construite ? Comment s’est-elle formée puis développée ? Pourquoi ce type de discours et
pas un autre ? Qui a le droit de construire le discours ? Il s’agira d’explorer les régularités du discours au cours de
l’histoire, les intérêts qui le promeuvent, les mythes qui lui donnent vie et les symboles qui lui confèrent sa prolixité
actuelle, symboles qui sont nourris de leviers culturels bien plus anciens que l’exploitation industrielle du pétrole.
Dans une troisième partie, j’examinerai l’enveloppe du discours c’est-à-dire ce qui le contient, le contraint, le limite
et le raréfie, mais aussi l’emballe et le propulse.