L’œuvre d’Evguéni Schwartz éclairée par ses Carnets
(1942-1958, non traduits du russe)
Entretien Youlia Zimina (metteur en scène, comédienne) et Philippe Awat
Youlia Zimina - Schwartz écrit ses Carnets alors qu’il est déjà assez âgé. Il
les commence en 1942, en pleine guerre. Il a un fort désir d’introspection, et
se rapelle de toutes les blessures de son enfance qui ont forgé ou détruit son
caractère mais aussi déni son écriture. Il dit être très obsédé par la forme et le
conte en est une. Ce qu’il apprécie dans ce type de récit, c’est la dimension du
réel et non celle de l’image, de l’allégorie.
Philippe Awat - Pourquoi le choix du conte ?
Youlia Zimina - Cela lui permet de poser des situations très fortes dès le départ,
celle de la lutte pour la liberté ou la lutte philosophique comme dans l’Ombre,
ou « Qu’est-ce qui est la vérité quand tout va mal?» comme dans Le Roi nu. Le
conte offre une situation donnée. Schwartz a beaucoup travaillé pour arriver
à quelque chose de l’ordre du conte noir. En 1942, il écrit : « Le conte est
l’endroit où soufe éternellement le vent du nord. Les maisons sont gonées
comme des voiles de navires et où les troncs d’arbres et les palissades ne sont
jamais droits ». Il dépeint là une image récurrente dans son œuvre, celle d’une
dimension d’irréel dans le froid, dimension méchante, austère et non un irréel
enchanté propre à l’univers des contes pour enfants.
Dans sa vie, il a toujours frôlé le pire, mais ce pire ne l’a pas touché; il y a
toujours échappé. Il en ressort un énorme sentiment de culpabilité. Il n’est
donc pas le Lancelot du Dragon. Ce pire a toujours été à deux millimètres de
lui mais, à chaque fois, il y échappait ; cela ne lui permettait pas de devenir
héroïque, d’où sa réexion sur l’héroïsme. Les gens ne sont pas des héros,
c’est la situation qui les pousse à l’acte héroïque. Les gens héroïques dans son
univers laissent toujours percevoir une faille.
La dualité chez Schwartz trouve ses origines dans les racines familiales. Fils
d’un père juif et d’une mère russe, il hérite physiquement du côté slave de
sa mère, mais au moment des pogroms, dans sa ville natale de Maïkop, ses
parents sont poussés à fuir. Il décrit, d’ailleurs, la nuit irréelle de cette fuite,
nuit pendant laquelle il n’arrive pas à comprendre pleinement l’horreur de
l’événement car pour lui cette fuite revêtait aussi un aspect excitant, épique
pour l’enfant qu’il était. Il décrit une scène où, plongé dans une obscurité
totale avec ses parents, il assiste à l’incendie d’une fabrique qui paraît alors
s’illuminer de mille feux. Il sublime une réalité tragique intégrant ainsi une
distance au regard des événements. Cette dualité marquera l’ensemble de son
œuvre.
Un deuxième épisode marquant de sa vie est la naissance de son petit frère :
« Je vivais entouré comme dans un étui par l’amour de ma mère, par ses soins.