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Compte-rendu du séminaire
« La nature nous suggère-t-elle une nouvelle forme d’économie basée sur la fonctionnalité ?»
Bernard Perret et Christophe Sempels 22 Novembre 2011
Compte-rendu
22/11/2012
« La nature nous suggère-t-elle une
nouvelle forme d’économie basée sur la
fonctionnalité ?»
Bernard Perret Christophe Sempels
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Présentation par Laurent Ledoux
Nous accueillons aujourd’hui deux invités prestigieux qui vont aborder le sujet de
l’économie de la fonctionnalité. Il s’agit tout d’abord de Christophe Sempels, un ami, et
l’une des personnes à l’origine de la conception de ce cycle. Christophe professeur de
stratégie, marketing et développement durable à Skema Business School (Sophia
Antipolis) et promoteur du « marketing durable » enrichira le débat d’exemples tirés de
ses recherches. Christophe est l’auteur entre autres de « Oser le marketing durable » et
finalise actuellement un livre sur l’économie de la fonctionnalité.
Puis nous avons Bernard Perret. Ingénieur et socio-économiste, a été administrateur de
l’Institut français de l’École nationale de la statistique et des Etudes Economiques. Il est
membre du comité de rédaction de la revue Esprit. Ses thèmes de recherche portent sur
l'évaluation des politiques publiques, les indicateurs sociaux et de développement
durable, la sociologie et l'anthropologie économique, le travail et l'emploi, les questions
sociales, la gestion publique, l'épistémologie, les questions spirituelles et religieuses. Il
est l’auteur de nombreux ouvrages parmi lesquels : L’Economie contre la société (1993),
L’Avenir du travail (1995), Les Nouvelles Frontières de l’argent (1999), Logique de
l’espérance (2005) ou, plus récemment, Pour une raison écologique (2011).
Christophe Sempels
Bonjour je travaille à la Skema Business School qui est une école de commerce en
France. J’y enseigne la stratégie, le développement durable, et plus spécifiquement je
m’intéresse à l’articulation qu’il peut y avoir entre développement durable et stratégie
d’entreprise, essentiellement sous le prisme du business model. J’essaie donc de penser
la manière d’intégrer le développement durable au cœur du raisonnement stratégique
de l’entreprise pour redéfinir ses modalités d’interaction avec les marchés de manière à
ce que cette stratégie soit beaucoup plus compatible avec les enjeux du développement
durable.
Aujourd’hui nous allons aborder une question bien ambitieuse : « La nature nous
suggère-t-elle une nouvelle forme d’économie basée sur la fonctionnalité ? ».
Tout d’abord je souhaite attirer votre attention sur un constat ; nous avons à faire
aujourd’hui à une économie très largement couplée. Que signifie le couplage de
l’économie ? En substance on constate que chaque pourcentage de produit intérieur brut
s’accompagne d’une hausse quasi équivalente avec l’ensemble des fonctions que l’on
réalise dans le capital naturel. Nous avons besoin de ressources pour faire fonctionner
notre économie, dans une proportion au oins équivalente à l’accroissement de notre
richesse. Mais nous devons faire face au problème suivant : Comment imaginer une
croissance infinie sachant qu’elle est couplée à un stock de ressources finies et qu’elle a
besoin de ces ressources pour fonctionner ? C’est évidemment anti-naturel. En effet
notre économie est extrêmement énergivore et gourmande en ressources. Et
malheureusement notre stock de ressources est limité. Et il sera nécessaire d’intégrer
l’idée suivante ; l’accès aux ressources deviendra de plus en plus compliqué tant en
termes de disponibilité quantitative que qualitative. Nous rentrons en effet dans l’ère
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des ressources rares et donc des ressources chères. La Commission Européenne a
commandé un rapport visant à évaluer quarante ressources en terme de minerai et en
terme de métaux les plus critiques pour la compétitivité de l’économie européenne. Cela
signifie que nous avons impérieusement besoin de ces ressources pour faire tourner
l’économie européenne. Sur ces quarante ressources, quatorze ont atteint un seuil
critique. Il s’agit par exemple du graffite, du platine, du cobalt, etc… La question qui
émerge ici est celle du découplage : « est-il possible de casser ce lien étroit qui relie
création de richesse d’une part, consommation de ressources et d’énergie d’autre part ?
Est il possible de casser ce lien en accroissant de manière radicale la productivité de nos
ressources ? » L’économie de la fonctionnalité est une modalité de réponse parmi
d’autres par rapport au découplage. Les scientifiques nous alertent aujourd’hui sur la
nécessité d’atteindre le facteur 4. Le facteur 4 pour certain est déjà très largement
insuffisant. On parle du facteur 9, 20. Mais de quoi s’agit-il ?
Cela signifie qu’il conviendrait d’améliorer la productivité de nos ressources d’un facteur
4. Il s’agit en d’autres termes, à périmètre constant de diminuer de 80% la quantité de
ressources et d’énergie pour atteindre le même niveau de production et de richesse. Si
l’on projette cet objectif dans la réalité d’une entreprise, on réalise l’immensité du
chemin à parcourir. Dans certaines de ses modalités, l’économe de la fonctionnalité
permet d’atteindre le facteur 4. Cependant il s’agit d’un chemin extrêmement exigeant.
J’aimerais avant tout positionner l’économie de la fonctionnalité dans un encastrement
de logique qui monte en puissance la capacité de découplage.
Je souhaite tout d’abord évoquer le terme d’écoefficience. L’idée est de produire la
même chose avec moins.
Par exemple avez vous une idée de la quantité d’eau nécessaire pour produire un kilo de
pain ? il faut 1300 litres d’eau.
Et pour un kilo de bœuf ? 15 000.
Cela signifie que dans nos produits se cache une quantité effroyable de ressources
invisibles dont nous n’avons absolument pas conscience. L’idée de l’ecoefficience est
d’obtenir le même résultat en utilisant radicalement moins de ressources.
Je vais citer un exemple parlant, celui de la marque de jeans Levi’s. Ils ont lancé un vaste
programme visant à duire considérablement les volumes d’eau utilisés. Ils ont obtenu
en moyenne, sur l’ensemble des gammes un gain de 28% de réduction, avec pour
certains modèles une réduction de 96%. On peut ainsi imaginer les gains en termes de
ressources et en termes d’économie. Nous nous trouvons ici en plein cœur du modèle
d’éco-efficience ; repenser un produit et sa conception en vue de réduire la
consommation de ressources. Un autre exemple est celui de LVMH qui travaille
également beaucoup avec l’éco-conception. Leur bouteille de Henessy est passée de
780g à 600g. Cela conduit à une réduction de 715 tonnes de verre annuelle. De plus cette
bouteille ne comporte plus d’étiquette, celle-ci étant remplacée par une impression à
même le verre.
Evoquons également La Poste en France qui rassemble la plus grande flotte de véhicules
détenus par une entreprise dans le pays. La Poste a mis en place une formation d’éco-
conduite de l’ensemble des conducteurs de véhicules. Lorsque les véhicules sont en
charges et à 50% du personnel formé, on obtient 6% de réduction de carburant ainsi
que 10% d’accidents en moins.
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Il s’agit du premier niveau. En effet l’économie de la fonctionnalité présuppose que
l’on s’inscrive dans une logique d’éco-efficience.
Le deuxième niveau correspond à l’économie de la circularité. Cela consiste à
transformer un déchet non valorisé en ressource. En ce qui concerne les déchets, nous
possédons une formidable capacité à les produire. L’idée ici est de boucler les boucles, et
de faire tourner la matière sur elle même, de manière à ce que l’on puisse récupérer de
génération en génération de produits un maximum de composants. Un exemple parlant
est celui de la «grill kitchen», s’inspirant du fonctionnement systémique et cyclique de la
nature. Cela signifie d’une part que tous les appareils sont éco-conçus ; par exemple le
lave-vaisselle va consommer moins d’eau et moins d’énergie. Par exemple l’eau du lave
vaisselle va être préchauffée par la chaleur dégagée par le compresseur du frigo.
Un autre exemple est celui du palais de la Méditerannée à Nice. Dans cet hôtel la piscine
est chauffée par la salle des serveurs informatiques qui produit énormément de chaleur.
Très souvent on utilise même des climatiseurs pour réduire la température. C’est une
hérésie. On a besoin de chaleur et on va consommer de l’énergie alors que l’on dispose
d’un trop plein de chaleur ailleurs dans le bâtiment.
Tentons maintenant de définir l’économie de la fonctionnalité. Cette dernière vise à
changer résolument le business model d’une entreprise en la faisant passer d’un mode
de vente de produit à un mode de mise à disposition de service qui satisfait les mêmes
besoins que ceux initialement pris en charge par le produit. Il y a en réalité deux
modalités concernant l’économie de la fonctionnalité. D’une part les « 3S », ce qui
signifie le « Sustainable Service System », soit le système serviciel durable. La première
modalité peut se résumer ainsi : « Je ne vais plus vous vendre un bien, mais je vais vous
mettre ce bien à disposition pour vous en facturer l’usage». Cette dimension consiste en
effet à mutualiser des biens. Dans le cas du car sharing, le but est de maximiser
l’utilisation d’une voiture, sachant qu’une voiture individuelle passe 97% de son temps
au parking.
L’autre modalité est le service sur l’usage. Evoquons l’exemple de Xerox. Dans ce cas, on
passe d’une simple mutualisation à la création d’un écosystème circulaire. Au départ
cette entreprise ne vendait que des photocopieurs. Puis un jour, ils ont décidé de ne plus
vendre les photocopieurs mais de les louer à leurs clients, tout en gardant le titre de
propriété de leurs photocopieurs. Ils se sont rendus compte que leur revenait un très
grand nombre de machines. Et ils se sont dits qu’ils avaient commis une erreur énorme
en internalisant le coût de gestion de fin de vie, qui était auparavant à la charge du client.
A ce moment là, le personnel du service environnement a eu l’idée de récupérer certains
composants des anciennes machines pour les réintroduire dans les nouvelles.
Malheureusement les machines n’avaient pas été conçues pour être démontées. Ils ont
par conséquent amorcé un programme de recherche et développement de machines
pouvant être démontées, et les pièces récupérées aisément de génération en génération
de machines. Aujourd’hui Xerox récupère entre 70 et 90% des composants des
anciennes machines pour les réintroduire dans les nouvelles machines. On peut donc
affirmer un gain très important en terme de ressources.
De plus lorsque l’on crée de telles boucles et lorsque l’on facture à l’usage, on a un
avantage direct à ce que notre produit dure le plus longtemps possible. Il s’agit d’une
logique complètement contraire à celle de l’obsolescence planifiée. En effet, à l’heure
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actuelle, il y a un délicat équilibre à trouver pour que la durée de vie soit compétitive sur
le marché, mais surtout pas trop longue pour ne pas se priver du marché de
remplacement. Quand on fonctionne sur la modalité du service centsur l’usage, on a
un rationnel économique à faire durer le produit le plus longtemps possible. L’intérêt est
de construire le produit sur le principe de durabilité en terme de vie, de facilité de
démontage et de réparation.
Ensuite, je souhaite mettre en exergue la capacité à satisfaire des besoins sociaux
nouveaux. Par exemple, Electrolux a tenté pendant un temps de développer sur une île
en Suède, un projet de mise à disposition de lave-linge moyennant un service de
facturation à l’usage. Cette initiative se révélait extrêmement concluante à la fois en
terme de rentabilité et d’acceptabilité sociale. Pourtant ils n’ont pas poursuivi cette
initiative car les technologies de l’objet communicant n’existaient pas encore et ils
dépendaient d’un tiers pour mesurer l’utilisation.
Aujourd’hui grâce aux nouvelles technologies, on pourrait très facilement réintroduire
cette donne. Et cela permettrait de résoudre des problèmes sociaux car aujourd’hui la
pauvreté coûte très cher. En effet laver son linge au lavoir automatique revient
beaucoup plus cher que de laver son linge chez soi. On peut mutualiser l’utilisation de
machines sur des immeubles et atteindre des objectifs sociaux.
Dans cette perspective, le business model se renverse de manière assez considérable.
Selon les tests pilotes, cette modalité permet d’atteindre du facteur 2, c’est à dire de
diviser par 2 la quantité d’énergie et ressource nécessaire à a satisfaction de nos
besoins. Ce n’est malheureusement pas suffisant.
A présent, attardons nous sur la deuxième modalité, soit le service centré sur le résultat.
Soit par exemple Monsanto vendant du pesticide. Cette entreprise n’a aucun incitant
économique réel à ce que les agriculteurs utilisent moins de pesticide. L’idée est de se
demander ce que l’on peut vendre aux agriculteurs tout en produisant de la richesse et
en vendant résolument moins de pesticides. Cela nous amène à nous interroger sur le
résultat du pesticide. En toute logique l’agriculteur achète un pesticide pour protéger sa
culture. Au lieu de lui vendre du pesticide, on pourrait ainsi lui vendre le résultat rendu
par le pesticide, soit un taux de perte admissible moyen. Si le taux de perte est inférieur,
la rémunération augmentera ; s’il est supérieur, l’entreprise rétrocèdera une partie du
contrat. Dans cette logique, le pesticide deviendra un moteur de coût que l’entreprise
aura économiquement intérêt à minimiser.
Dans le cas de Michelin, l’idée est de développer pour les transporteurs routiers des
contrats au kilomètre. Ils vont vendre un service de gestion externalisée du poste
pneumatique. Ils mettent du pneumatique à la disposition du transporteur, en gardant la
propriété et en étant facturé au km. Ainsi l’entreprise a un réel intérêt économique à ce
que les pneus durent le plus longtemps possibles. Ce service a été déployé récemment et
ils ont déjà capté 300 000 clients en un temps relativement record. On se trouve ici sur
un modèle fonctionnel, et par conséquent il y a un intérêt économique à éco-concevoir.
La lyonnaise des eaux est entrain de travailler avec les services publics pour ne plus
vendre du mètre cube mais du taux de service environnemental.
Toutefois la transition sera extraordinairement compliquée. Il s’agit réellement de
virement de business model et d’un redéploiement des activités, des ressources
stratégique clé. On ne sera plus sur un modèle produit mais sur un modèle service. Les
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