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2008-2009 - LES IDÉES CONTEMPORAINES
Nation
républicaine
et nation
ethnoculturelle
Rémy Pech
Professeur d’histoire à l’Université Toulouse Mirail
(occitaniste-chercheur, républicain convaincu, militant laïque)
Je me suis replongé l’an passé dans le mouvement des vignerons parce que
c’était son centenaire. J’ai toujours soutenu l’idée que ce mouvement des vigne-
rons n’était pas une jacquerie, et je vais employer le mot d’insurrection (peut-être
excessif)
J’avais écrit un article, (dédié à Robert Lafont qui est mon ami) : « Est-ce une
révolte contre Marianne ou est-ce Marianne qui est en révolte? ». L’idée d’une
république qui régule l’économie et qui s’occupe un peu des gens, des citoyens,
c’est cette idée que j’ai développée, y compris dans le paroxysme de la révolte des
vignerons, la mutinerie de ziers, qui est une des rares mutineries militaires
ayant eu lieu en temps de paix et qui n’a fait aucune victime.(Les seules victimes
ont été les pauvres troufions expédiés à Gafsa dans le sud tunisien et dont plu-
sieurs sont morts des fièvres et de dysenterie).
D’autre part j’ai eu une fréquentation assez proche de Maurice Agulhon (je
prononce en mouillant le « l » d’Agulhon, comme il se doit en occitan). Je suis un
« agulhonien » fervent parce que j’ai participé à ses enquêtes sur le culte de
NATION RÉPUBLICAINE ET NATION ETHNOCULTURELLE
Marianne, qui ont rénové l’approche politique de la Troisième République par
l’ethnographie: pourquoi des gens se sont-ils mis à édifier des statues, et que
signifient ces statues?
D’autre part, c’est vrai que j’ai travaillé pas mal avec Robert Lafont dans la
recherche occitane. Je suis plutôt un occitaniste chercheur qu’un occitaniste mili-
tant de cette lignée.
Je suis par ailleurs un républicain convaincu et un militant laïque.
C’est à ces titres divers que je vous parlerai donc ce soir de nation républi-
caine et de nation ethnoculturelle.
La nation républicaine: Qu’est-ce qu’une nation?
J’ai éconduit à réfléchir au problème de la nation, soit dans mes cours de
licence ou d’agrégation, soit pour la chaire Jean Monnet d’histoire européenne,
puisque le problème des États nations et celui de la construction européenne sont
liés, comme ceux du droit à la différence, de l’appartenance ou de l’identité.
Je vais commencer la réflexion en évoquant le fameux cri « vive la Nation »
qui a été lancé à Valmy et qui a mis en déroute l’armée prussienne. Depuis, on
s’évertue à démontrer que les Prussiens, qui étaient mal alimentés, étaient atteints
de dysenterie et que c’est la faim qui les a mis en déroute, plutôt que le cri de
« vive la Nation ». Mais il n’empêche qu’on a crié « vive la Nation » plutôt que
« vive le Roi » et c’était le 20 septembre 1792: or le lendemain, 21 septembre, la
République a été proclamée par la Convention Nationale, ce qui n’est pas quand
même une coïncidence innocente.
Alors pour parodier Renan dans son livre classique culte « Qu’est-ce qu’une
nation? » (qui est en réalité une conférence à la Sorbonne, qui tient une partie
assez minime de cet ouvrage déjà petit de 1882 mais retenez la date, on va y reve-
nir), je dirais: qu’est-ce qu’une nation républicaine?
En quoi peut-elle se différencier d’une nation monarchique, et en quoi se dif-
férencie-t-elle aussi de nations ayant des férences ethniques, raciales ou ethno
culturelles comme les sociologues ou les ethnologues la qualifient. Je pense aussi
qu’il faut réfléchir au rapport du thème de la nation avec des notions voisines
comme peuple, patrie ou État, qui coïncident plus ou moins avec la nation.
Nation, peuple, patrie, État.
Il y a des nations sans État, on pourrait citer la Catalogne voisine, par
exemple; et des États composés de plusieurs nationalités, la Suisse et bien d’au-
tres. Et donc on peut disserter abondamment. Je prendrai un exemple pour vous
inciter à vous méfier et à penser que ces notions ne sont pas toujours aussi décou-
pées au couteau que l’on peut le penser.
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RÉMY PECH
On connt le fameux enseignement de l’école primaire qui qualifie les
Gaulois comme nos ancêtres (je ne pense toutefois pas qu’il ait été enseigné tel
quel dans les colonies, mais il faudrait le démontrer de façon très précise…)
Personnellement, comme je suis né dans le voisinage de Narbonne, (qui est la plus
ancienne colonie romaine), on m’a enseigplutôt « nos ancêtres les romains ».
Et on m’a appris la désignation romaine de Narbonne « colonia julia narbo mar-
tius decumanorum ». Je devais avoir sept ou huit ans lorsqu’on m’a appris ça et je
l’ai « enclosqué » comme on dit à Vinassan.
Donc « nos ancêtres les Gaulois » n’est pas un thème qui correspond à la
nation républicaine, et pourtant cest Jules Ferry et l’école de la Troisme
République qui ont po cette référence ethnique, qui est évidemment ts
approximative, puisqu’il y a des régions ce sont les Romains, d’autres ce
sont les Ibères, d’autres encore où ce sont les Basques etc.
Le mot « nation » est issu du latin « nascio » qui vient du verbe « nascere »
(qui correspond à naître) et il y a donc un rapport avec l’origine. Mais il a pris une
tournure politique d’une manière assez cente. On peut penser que c’est la
Révolution Française qui l’a popularisé dans ce sens, bien qu’on le trouve dans le
siècle des Lumières assez souvent employé.
On peut observer qu’en 1789, au moment de la convocation des États géné-
raux, dans les adresses qui ont été publiées par ceux qui ont été les leaders de la
première Révolution, on trouve l’expression de nation employée de façon restric-
tive (par exemple Mirabeau s’est adressé à la nation provençale et Robespierre à
la nation artésienne). C’était une conception de la nation qui voulait dire la petite
patrie, ou le lieu de naissance de mes compatriotes qui vont me signer à l’élec-
tion qui est en cours. Et ce sont ces mêmes leaders qui quelques semaines,
quelques mois après, ont échafaudé, ont forgé le concept véritablement de
« nation ».
On évoque au Moyen-Age le « collège des quatre nations »: il y avait à la
Sorbonne la nation picarde, la nation normande, la nation française… Il y avait un
lien certain avec la langue, mais il n’y en avait pas avec les États. D’ailleurs les
passeports n’ont existé qu’au dix neuvième siècle.
Si on reprend le cours de la Révolution Française, je crois que l’apparition la
plus forte de sens politique eut lieu au cours de la fameuse séance du Jeu de
paume du 17 juin 1789.
C’est le jour les États Généraux du royaume, (en fait le Tiers État, qui se
désignait comme les Communes en reprenant le terme anglais), à l’unanimité
moins une voix, votent leur transformation en Assemblée Nationale Constituante.
(La voix manquante était celle du député de Castelnaudary, Martin Dauch, il a
été le seul à s’abstenir, et on a voulu l’obliger à voter. Sur le tableau de David on
essaie de lui faire lever le bras et puis le président de la séance, qui était Bailly, le
maire de Paris a dit, « non, non laissez-le ». Sous-entendu, comme ça on verra que
c’est un vote libre, que ce n’est pas un vote contraint.).
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Le terme de nation apparaît ainsi de façon éclatante à cette séance. Mais il
faut souligner qu’il n’y a pas république à ce moment là, la monarchie subsiste.
L’effigie du roi figure sur les pièces de monnaie que tout le monde utilise. Ce qui
change ce sont les formules: « Roi des français » au lieu de « Roi de France » et la
formule de la monarchie absolue « Dieu protège la France », remplacée par « la
Nation, la Loi et le Roi ». Ce qui montre bien que la loi, c’est-à-dire l’ensemble
des règles qui doivent être respectées par tous les citoyens (et le premier d’entre
eux, le premier magistrat de la nation), émane bel et bien de la nation.
La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen
La claration des Droits de l’Homme et du Citoyen a évotée le 26 août
89, c’est-à-dire au début de la Révolution, mais déjà un certain nombre de choses
s’étaient passées depuis le 17 juin: la prise de la Bastille qui symbolisait, (plutôt
qu’elle n’était effective sur le plan politique, puisqu’il n’y avait que sept ou huit
malheureux qui purgeaient des lettres de cachet à la Bastille), l’arbitraire et l’ab-
solutisme; et puis la nuit du 4 août avec l’abolition de la féodalité, (Louis XVI a
attendu longtemps avant de signer les décrets de la nuit du 4 août)…
La Déclaration des Droits de l’Homme, qui commence par « Les représen-
tants du peuple français réunis en Assemblée Nationale », fonde la légitimité de la
nation puisque, en définitive, la citoyenneté c’est l’appartenance à une nation avec
les droits et les devoirs qui en découlent. Ceci est explicià l’article 3 il est
dit: « le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation » (ou
il ne faut pas comprendre le mot essentiellement avec un sens moderne qui serait
« réside surtout », mais au sens de « réside par essence », c’est-à-dire fondamenta-
lement et totalement.) Et je continue la lecture de la Déclaration: « nul corps, nul
individu » (sous- entendu, même pas le roi), ne peut exercer d’autorité qui n’en
émane expressément.
Cette déclaration est bien sûr à l’usage de la France révolutionnaire et de
cette monarchie constitutionnelle qui est mise en place (puisque la Déclaration
des Droits de l’homme et du citoyen va servir de pambule à la premre
Constitution française qui est la Constitution de 1791). Mais en même temps c’est
une déclaration universelle puisque, vous le savez, il n’est pas écrit « article 1, les
citoyens français naissent et demeurent libres et égaux en droit » mais « les
hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit ». Donc c’est destiné au
monde entier.
Si on va plus avant dans l’histoire de la révolution, la Convention s’est donc
réunie et a proclamé la République peu après la victoire de Valmy, qui marque un
coup d’arrêt à l’invasion des troupes coalisées. Mais il faut rappeler quand même
que c’est la France qui avait déclaré la guerre à l’empereur d’Autriche, roi de
Bohème et de Hongrie, puisque Louis XVI jouant le jeu de la Constitution, était
venu lui-même à l’Assemblée, faire voter cette déclaration de guerre (mais dans
un but de déstabilisation de la volution). C’était la politique du pire. On a
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accusé Marie-Antoinette d’avoir fomenté cela, mais enfin Louis XVI en était par-
faitement capable lui-même, il avait une haute conscience de ses fonctions et il
était capable de prendre des décisions. Mais enfin le coup d’arrêt de Valmy est
quand même fondamental.
La Convention était réunie pour voter une nouvelle constitution, (c’est le but
de toute convention : on avait repris le terme de la Convention américaine, en
ajoutant « Convention nationale ») mais curieusement dans la Déclaration des
Droits, on ne trouve pas le mot « nation ». La Déclaration des Droits de 1793, qui
n’a jamais été appliquée, substitue presque partout le mot «peuple ». On ne la
trouve que de façon adjective à l’article 23 « la souveraineté nationale ». C’est
une particularité.
Alors est-ce que le terme de « peuple » était à ce moment là prévalant, surtout
à Paris, dans les sections des sans- culottes? Est-ce que le terme de nation parais-
sait déjà dépassé et nécessitait un approfondissement? Je ne le sais pas, il faudrait
s’adresser à des spécialistes de la Révolution, comme Michel Vovelle, par exemple
qui serait capable de répondre. Cependant, que cela soit en 1789 ou en 1793, la
notion de nation est quand me présente, à travers les biens nationaux, par
exemple, ou la garde nationale.
La citoyenneté représente à la fois un statut de citoyen individuel et aussi,
lorsqu’elle est élargie à la collectivité nationale, c’est ce qu’on appelle le droit des
peuples à disposer d’eux-mêmes, qui va être constamment invoqué par tout le
monde y compris par les adversaires des notions républicaines au XXesiècle. Et là
j’observe qu’on ne dit pas le droit des nations à disposer d’elles-mêmes, on dit le
droit des peuples. Le nom de peuple revient, et peuple c’est à la fois une notion
beaucoup plus affective et beaucoup plus complexe aussi. Un peuple peut être
considéré comme plusieurs nations ou plusieurs éléments nationaux. Ce sont
donc des notions assez difficiles à cerner, et qui ne sont pas complètement iden-
tiques (comme tous les synonymes d’ailleurs).
L’histoire a fait que le Roi de France, (je ne vais pas entrer dans le détail de la
fuite à Varennes etc.) n’a pas accepté sa transformation en symbole national qui
était à la fois un partage de pouvoir et une perte de pouvoir pour lui, et en même
temps une désacralisation. C’est-à-dire que le roi devient un fonctionnaire man-
daté par les élus de la nation et par la nation toute entière, même s’il est hérédi-
taire, et il n’est plus le représentant de Dieu sur Terre, avec tout le décorum et la
symbolique du sacre de Reims qui en fait presque un prêtre. C’est la monarchie
absolue de droit divin qui disparaît.
Et ce refus conduit finalement, à travers diverses péripéties, à la déclaration
de guerre (on en a déjà parlé), à la déposition du roi le 10 août 1792 et à son exé-
cution le 25 janvier 93, dans un contexte dramatique d’invasion et de soulèvement
interne et de risque d’arrêt du processus révolutionnaire.
La Convention proclame la République et il y a de manière quasi congénitale
en France, une liaison entre nation, république et patrie, puisque l’appel à la
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