Economie
26Mai 2017
Comprendre les clés de l’économie du bonheur…
Mickaël Mangot : « Plus on passe de temps devant la télévision,
moins on est heureux. »
L’argent fait-il le bonheur ? Oui, mais
pas totalement, c’est ce qu’indi-
quent les travaux de l’économie du
bonheur. Docteur en économie, Mickaël
Mangot dirige l’Institut de l’Économie
du Bonheur. Il enseigne à l’AgroParis-
Tech ainsi qu’à l’ESSEC à Paris et à Sin-
gapour.
« Heureux comme Crésus ? Leçons inat-
tendues d’économie du bonheur » de
Mickaël Mangot est publié aux Éditions
Eyrolles.
La Baule + : Vous travaillez
depuis plusieurs années sur
la notion de bonheur et la fa-
çon de l’intégrer dans l’indice
de développement d’un pays
ou dans son produit intérieur
brut. Nous connaissons tous
ce refrain : « Il me semble que
la misère serait moins péni-
ble au soleil… » Mais cela
ne résume pas tout…
Mickaël Mangot : Oui,
puisque les pays les plus heu-
reux ne sont pas les pays les
plus ensoleillés ! Au dernier
classement du bonheur, dans
le Word Happiness Report,
la Norvège est le pays le plus
heureux, devant le Dane-
mark, et l'on ne peut pas dire
que ce soient des pays très
ensoleillés. Après, ce qui
compte, ce n’est pas l’in-
fluence du climat, mais l’in-
fluence des variables écono-
miques, les choix
économiques personnels et
l’environnement macroéco-
nomique. Tout cela a une in-
fluence. Nous essayons de sa-
voir si le travail fait le
bonheur, si l’argent fait le
bonheur ou si la consomma-
tion fait le bonheur…
Pourtant, il y a des gens qui
ont une petite retraite et qui
vivent plus heureux en Es-
pagne ou au Portugal que
s’ils étaient dans un pays
plus froid…
On regarde le déclaratif des
gens en matière de bonheur.
On demande aux gens com-
ment ils se sentent sur une
échelle de 0 à 10. Le fait
d’être dans un pays à pou-
voir d’achat plus faible, avec
sa retraite, peut évidemment
faciliter le bonheur. On sait
que la perception de sa situa-
tion financière est toute rela-
tive et qu’elle est surtout re-
lative par rapport aux gens
qui nous entourent. Avec le
même niveau d’argent, le fait
de se retrouver dans un pays
où les prix sont plus faibles
aura tendance à améliorer
notre bonheur.
Comment avez-vous été
amené à vous pencher sur
cette économie du bonheur ?
Ce qui m’intéresse, c’est la
rencontre entre le fait écono-
mique et l’humain. Cela fait
une quinzaine d’années que
je m’intéresse à l’économie
comportementale afin d’ana-
lyser comment la psycholo-
gie des gens influence leurs
choix économiques. L’écono-
mie du bonheur, c’est l’en-
vers de l’économie compor-
tementale, puisqu’il s’agit de
voir comment notre situation
économique influence notre
bien-être psychologique.
Les économistes ont été pen-
dant très longtemps réticents
à s’intéresser à cette question
du bien-être des individus.
Pour quelles raisons ?
Parce qu’ils considéraient
que ce n’était pas mesurable:
or, les économistes aiment
bien regarder ce qu’ils peu-
vent mesurer... Ils ont consi-
déré que le bonheur était
quelque chose de très subjec-
tif, donc insondable, et ils se
sont intéressés uniquement à
ce qui était observable, c’est-
à-dire le comportement. Ce
n’est que dans les années 70,
lorsque l’on a développé des
mesures du bonheur, que les
économistes ont commencé
à s’y intéresser et, de manière
méthodologique, on s’est
aperçu que c’était des me-
sures assez fiables, corrélées
avec de nombreux faits in-
contestables qui montrent
que ce que disent les gens de
leur bonheur est vraisembla-
blement assez juste. Quand
on se dit heureux, en se don-
nant 8 sur 10 sur une échelle
du bonheur, c’est vraisembla-
blement que l’on est heureux.
On est toujours en
train de courir, surtout
quand on est jeune,
vers un statut social
plus élevé et ce n’est
pas forcément le
chemin le plus direct
pour le bonheur.
La France est quand même
dans une culture de lutte des
classes. Les gens qui habitent
dans une cité HLM peuvent
se sentir heureux… Mais si
l'on construit des pavillons
individuels à côté du quar-
tier, celui qui est dans le
HLM va s’estimer beaucoup
plus malheureux, parce qu’il
va ressentir un déclassement.
Celui qui habite dans le pa-
villon individuel va se consi-
dérer comme un riche. Et si,
plus tard, on construit
quelques dizaines de mètres
plus loin des maisons plus
élégantes, avec des piscines,
c’est celui qui est dans son
pavillon qui va se sentir dé-
classé… C’est toujours en es-
calier…
Tout à fait. La comparaison
sociale est partout et, malheu-
reusement, elle est plutôt as-
cendante que descendante.
On est plutôt le pauvre de
quelqu’un que le riche de
quelqu’un. On est toujours
en train de courir, surtout
quand on est jeune, vers un
statut social plus élevé et ce
n’est pas forcément le che-
min le plus direct pour le
bonheur. On a observé que
l’argent et le statut social fai-
saient le bonheur : donc, plus
on s’élevait dans la pyramide
sociale, plus l'on était heu-
reux, mais cela implique un
certain nombre de limites.
L’argent a un impact sur le
bonheur quand on en a peu
initialement : 1 euro de plus
quand vous en gagnez 1000
a beaucoup plus d’impact
que quand vous en gagnez
10 000 ! L’argent achète sur-
tout l’une des dimensions du
bonheur, qui est la dimen-
sion la plus froide, celle que
l’on appelle la satisfaction de
la vie. Mais cela achète beau-
coup moins les émotions po-
sitives. Les riches ne rigolent
pas du matin au soir ! Sur les
moyennes, les émotions po-
sitives stagnent assez vite
avec le revenu.
Donc, l’argent ne fait pas for-
cément le bonheur, mais il y
contribue…
Cela dépend de ce que l’on
entend par bonheur. Si l'on
pense à cette évaluation de
la vie, on peut dire oui sans
aucun doute. Si l'on pense
aux émotions, on répond oui
jusqu’à un certain seuil.
Si l’argent ne fait pas totale-
ment le bonheur, le travail
fait-il le bonheur ? Évidem-
ment, cela dépend des tâches,
un pompiste ou un poinçon-
neur du métro - je prends vo-
lontairement deux exemples
de métiers qui n’existent plus
- ne sont-ils pas a priori
moins heureux qu’un reporter
qui fait le tour du monde ?
On a repéré des choses assez
étonnantes et, pour tous les
métiers, on a trouvé des gens
qui les faisaient par vocation
et qui ont trouvé du sens vis-
à-vis de leurs clients ou de
leurs collègues. Même un
pompiste ou un poinçonneur
peut être content d’aller au
boulot, parce qu’il a des rela-
tions intéressantes avec les
usagers ou avec ses col-
lègues… Même pour des mé-
tiers que l’on peut considérer
de l’extérieur, sans les connaî-
tre, comme peu gratifiants,
les gens se disent plus heu-
reux que les chômeurs. C’est
pareil pour les contrats pré-
caires. Les gens en CDD,
même s’ils sont moins satis-
faits de leur emploi et de leur
vie que les gens en CDI, sont
incomparablement plus satis-
faits de leur vie que les chô-
meurs. Le travail n’est pas
épanouissant en lui-même,
mais c’est toujours mieux
que l’absence de travail
lorsqu’elle est subie. En re-
vanche, on trouve des
groupes sociaux qui ne tra-
vaillent pas et qui sont par-
faitement heureux, c’est le
cas des jeunes retraités et des
femmes au foyer. Le travail
n’est pas la condition sine
qua non au bonheur.
Le moment le plus
agréable,
paradoxalement, ce
n’est pas quelques
jours après l’achat,
mais ce sont les jours
avant l’achat.
L’argent apporte la possibi-
lité de s’offrir ce que l’on
veut, mais vous expliquez
que c’est un bonheur très
éphémère…
Il y a de très nombreuses ex-
périences et des travaux qui
analysent l’impact de la
consommation sur le bon-
heur juste après l’acte
d’achat. On s’est aperçu que,
même pour les biens dura-
bles, l’effet est toujours très
éphémère. L’achat d’une nou-
velle voiture a un impact per-
ceptible sur le bonheur dé-
claré des gens à peu près
jusqu’à trois mois après
l’achat et, pour une nouvelle
maison, c’est de l’ordre d’un
an maximum. On s’adapte
très vite... Il y a un effet d’an-
ticipation, puis un effet de
lune de miel avec son achat,
puis un effet d’adaptation.
Le moment le plus agréable,
paradoxalement, ce n’est pas
quelques jours après l’achat,
mais ce sont les jours avant
l’achat, quand on imagine ce
que l’on va faire avec sa nou-
1er
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