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Formation et Profession • Avril 2006
Dénonçant les amalgames schématiques où, à force
de simplifications parfois grossières, les termes per-
dent leur sens propre, les deux débatteurs s’efforcent
d’abord de définir les concepts employés dans ce dé-
bat. Ainsi, Lebrun précise qu’un enseignement actif
ne se réduit pas à la pédagogie de projet : « [...] la
pédagogie de projet ne représente qu’une voie possi-
ble, mais pas exclusive, qu’une formule entre autres
de mise en œuvre d’une pédagogie de découverte où
l’élève est acteur de ses apprentissages, donc vérita-
blement actif ». Pour Gauthier, il est nécessaire de
distinguer l’enseignement structuré et explicite et l’en-
seignement passif. Ce n’est pas parce qu’un enseignant
exploite une pédagogie structurée, tel le direct instruc-
tion, qu’il se contente de donner un cours magistral.
En effet, une approche de direct instruction signifie
pour Gauthier : « un enseignement extrêmement
structuré, qui va dans le même sens que le curricu-
lum, où l’on va procéder du simple au complexe, où
l’on va interroger les élèves […], on modélise, on fait
une pratique guidée, on fait une pratique autonome
et tout ceci dans une structure très solide ». Ce sont
donc sur ces positions conceptuelles clairement défi-
nies que les auteurs feront reposer leur argumentaire
respectif.
Le premier thème abordé concerne les demandes du
nouveau programme d’enseignement au secondaire,
plus communément nommé « la réforme », et le rôle
que tient le projet dans ce nouveau curriculum. Pour
Gauthier, le ministère joue un jeu équivoque. D’une
part, le MELS indique aux enseignants qu’ils pour-
ront utiliser la pédagogie de leur choix dans leur classe.
D’autre part, le Bureau d’approbation des manuels
scolaires du Québec (BAMQ) impose des critères cen-
trés autour de la pédagogie de projet. « Ce qu’on
pense, en tout cas, ce qui prévaut le plus, c’est la règle
à laquelle doivent s’assujettir les éditeurs de manuels
scolaires pour voir leurs manuels approuvés compte
tenu du fait qu’ils investissent des millions de dollars
dans la production de manuels ». Un enseignant sera
alors, selon Gauthier, fortement encouragé à centrer
son enseignement sur le projet, car les manuels de
classe lui imposeront, d’une certaine façon, ce type
de pédagogie. De ce fait, le MELS proposerait un
mode de pensée unique et non l’ouverture pédagogi-
que qu’il semble prôner au sein du programme.
Lebrun présente, quant à elle, une vision toute diffé-
rente des prescriptions de la réforme et du rôle de la
pédagogie de projet. Ainsi, le projet n’est qu’une for-
mule pédagogique parmi tant d’autres qui composent
un enseignement actif centré sur l’élève. Les concep-
teurs de la réforme : « parlent de béhaviorisme et de
socioconstructivisme pour rappeler que les deux cou-
rants appellent des démarches différentes, mais com-
plémentaires que les enseignants sont invités à utili-
ser en fonction des activités et des objectifs qu’ils
poursuivent ». L’élément qui importe le plus dans le
cadre de la réforme est la construction d’une com-
munauté d’apprentissage fondée sur la coopération
des apprenants. En d’autres termes, c’est une démo-
cratisation de l’apprentissage et non de l’enseignement
qui est en jeu. Il n’y a pas de condamnation des an-
ciennes démarches, selon Lebrun, car le projet lui-
même n’est pas une découverte didactique récente.
Les dénonciations seraient à relier plus au retour d’un
discours traditionaliste en enseignement, au Québec
comme en France, qu’aux enjeux et finalités véhicu-
lés par les nouveaux programmes.
L’une des questions qui suscitent le plus de divergen-
ces entre nos deux protagonistes est celle de l’effica-
cité d’une pédagogie de projet dans le contexte de la
classe. D’emblée, Gauthier met cartes sur table et s’in-
terroge sur l’efficacité de la pédagogie de projet en
mentionnant le manque de recherches empiriques et
de synthèses de recherches venant appuyer une telle
approche. Ce type de pédagogie pourrait, selon lui,
se référer à plusieurs types de pratiques qui ne sont
pas toutes égales en fonction d’efficacité : « Alors, de
quoi parle-t-on quand on parle de pédagogie de pro-
jet? Et toutes ces pratiques se valent-elles? Et là-des-
sus, j’ai beaucoup de réticence à donner d’entrée de
jeu le feu vert, disons, ou l’absolution à toutes ses
approches qui renvoient au même mot : pédagogie
de projet ». Poursuivant dans cette lignée, Gauthier
affirme que l’efficacité d’une approche pédagogique
peut se mesurer et donc, que son degré d’efficacité
est transférable quel que soit le contexte dans lequel
elle est utilisée. Il en découle selon lui que l’échec
scolaire des élèves pourrait être relié à l’approche
pédagogique utilisée par l’enseignant. Citant comme
exemple une étude menée à Montréal par Manon
Théoret qui a évalué une approche socio-