des néologisme s en latin médiéval : approche statistiqu e et

DES NÉOLOGISME
S
EN LATIN MÉDIÉVAL
:
APPROCHE STATISTIQU
E
ET RÉPARTITION LINGUISTIQU
E
Une étude des néologismes médiolatins, dans l'état actuel d
e
la documentation, ne peut être menée à bien que dans de
s
limites très strictes
: vocabulaire bien déterminé dans le temps
,
l'espace ou la spécificité
. On ne peut certes analyser dans le
s
mêmes conditions le vocabulaire littéraire, celui de la philoso-
phie, du droit, des sources diplomatiques ou des technique
s
scientifiques
. De nombreux travaux se sont attachés à l'étud
e
approfondie de faits lexicographiques survenus dans u
n
domaine particulier de l'expression écrite
. Ainsi, les travaux d
e
Christine Mohrmann sur le latin des chrétiens, les études d
e
dom Jean Leclercq ou de Pierre Michaud-Quantin sur le lati
n
monastique ou philosophique, celles de Dag Norberg sur l
a
poésie latine
. Les innovations verbales de certains auteurs on
t
suscité l'intérêt' de même que les vulgarismes contenus dan
s
les documents diplomatiques
2
.
Tous ces travaux, qu'il n'est pa
s
dans nos intentions de répertorier, ont utilisé une
documenta-
tion
bien rigoureusement cernée, ont labouré un champ clos
.
1.
Pour ne
citer que
des
travaux récents notons l'étude
d'Otto
Prinz
sur l
e
vocabulaire
de Berthold de
Constance dans (c Deutsches Archiv für Erfors-
chung des Mittelalters » 30, 1974, p
. 488 sq
.
; celle
de E
.
Burstein
sur celui
d
e
Guibert
de
Nogent dans
«
Cahiers
de
civilisation médiévale
» 21, 1978
,
p
. 247
sq
.
et
celle
de F
. Robustelli
Della
Cuna
sur
Osbern de Goucester
dan
s
« Quadrivium » 13, 2, 1972 p, 43
sq
.
2.
H
.
TIEFENBACH,
Studien zu
Wörtern Wolksprachiger Herkunft in karolin-
gischen
Königsurkunden
. Ein Beitrag zur Wortschatz
der
Diplome Lothars
I
un
d
Lothars
II,
München, 1973
(Manstersche Mittelalterlische Schriften 15)
.
W
.
D
. LANGE,
Philologische
Studien zur Latinitdt westhispanischer Privaturkun-
den des 9-12
Pubs,
1966
(Mittelllateinische Studien und Texte hgg
. v
. Karl Lan-
gosch )
.
44
A
.-M
.
BAUTIER -
M
. DUCHET-SUCHAU
X
Tout au contraire, cet article se propose, en survolant un
e
documentation largement ouverte, de présenter le fruit d'un
e
expérience dans le domaine de la lexicographie médiolatine,
à
la lumière des travaux de préparation et de rédaction d
u
Novum
Glossarium
Mediae
Latin itatis
. Si
nos sources sont limi-
tées à quatre siècles (IX°-XII
e
siècles), elles concernent en prin-
cipe tout ce qui a pu être écrit en ce temps sur le territoir
e
européen où l'on pratiquait le latin
. Nous nous contenterons d
e
faire, sur la base de notre travail, quelques remarques sur le
s
innovations du médiolatin. Cette réflexion n'est pas novatrice
.
Il y a plus d'un quart de siècle, le Professeur
Marian
Plezi
a
avait présenté lors d'une réunion de lexicographes tenue
à
Cracovie en octobre 1958, une intéressante étude sur les
struc-
tures
du latin médiéval d'après les données fournies par l
e
premier volume du dictionnaire du latin médiéval polonais
3
,
et, après la terminaison du second volume du
Lexicon media
e
et infimae latinitatis Polonorum,
il avait fait paraître un nouve
l
article de conclusions lexicographiques intitulé « Remarque
s
sur la formation du vocabulaire médiolatin en Pologne » D
e
son côté, le docteur Otto
Prinz
publiait en 1978 ses Réflexion
s
sur la constitution et le développement des néologismes médio-
latins
5 ,
à la lumière de la partie publiée du
Mittellateinische
s
Wörterbuch
.
La surprise du lexicographe face à la documentation médié-
vale qu'il a à traiter, est l'apport considérable des mots
nou-
veaux,
l'enrichissement surprenant du vocabulaire médiéva
l
face à celui de l'antiquité classique
. Nous avons voulu analyse
r
ce phénomène
. Il convenait donc, par des sondages réalisé
s
dans la masse lexicographique contenue dans les fascicule
s
publiés du
Novum
Glossarium
mediae
latinitatis,
d'évaluer l
e
pourcentage des néologismes en latin médiéval, de juger d
u
nombre des mots classiques disparus et enfin d'étudier le méca-
nisme et l'origine de la création verbale des hommes d
u
Moyen Âge classique
. Nous nous sommes donc livrés, comm
e
3.
Marian
PLEZIA,
Le dictionnaire
du
latin médiéval
en
Pologne,
dan
s
«ALMA» 28, 1958, pp
. 263-284
.
4.
Ibid
.37,
1970, pp
. 193-198
.
5.
Mittellateinische Wortneubildungen, ihre Entwicklunstendenzen und ihr
e
Triebkräfte
dans
« Philologus ~> 122, 1978, pp
.
249-275
.
NÉOLOGISMES
EN LATIN
MÉDIÉVAL
4 5
nos prédécesseurs, à ce qu'il vaut mieux appeler comptage qu
e
statistique, puisque la matière étudiée est par essence fluc-
tuante
: les dépouillements, comme l'on sait, ne sont pa
s
exhaustifs, et même s'ils l'étaient, ils ne porteraient que sur l
a
documentation publiée et, si les manuscrits avaient été pris e
n
compte, de même que les chartes, cette documentation serai
t
lacunaire comme tout ce que le Moyen Âge nous a livré
;
d'autre part, les limites chronologiques qui nous sont assignée
s
excluent à la fois les textes mérovingiens et les sources posté-
rieures à 1200 où, sous l'effet de la masse et de la différencia-
tion accrue des textes et sous la pression des langues vernacu-
laires, les nouveautés verbales se sont multipliées fortement
.
Une autre difficulté réside dans la détermination même de
s
mots classiques
. Le
Thesaurus
linguae
latinae
contient de
s
exemples tirés de Grégoire de Tours ou même postérieurs à lui
.
Un mot répertorié dans le seul vocabulaire des basses époque
s
doit-il être reconnu comme classique ou médiéval ? La mêm
e
remarque peut être faite à propos du vocabulaire de Forcellin
i
qui est notre base de référence puisqu'au début de notre travai
l
le
Thesaurus
linguae
latinae
n'avait pas atteint les lettres qu
e
nous rédigions
.
Dans les deux articles que nous avons mentionnés, M
. Plezi
a
signalait respectivement 45 % et 47 % de néologismes dans le
s
deux premiers volumes du
Lexicon mediae
et infimae latinitati
s
Polonorum
et Otto
Prinz
en relevait également 45 % dans le
s
fascicules parus du
Mit tellateinisches
Wörterbuch
.
Notre statis-
tique est nettement supérieure
. Pour la lettre M, sur 3
.506 mot
s
traités, 2
.250 ne sont pas attestés dans l'Antiquité, c'est-à-dir
e
que l'on arrive à un apport frais de 65 % du matériel linguis-
tique
. Pour la lettre O le rapport est un peu plus faible
: 52 %
.
Il baisse encore pour N (49,5 %), lettre encombrée de particule
s
grammaticales qui sont beaucoup moins adaptées à la variatio
n
morphologique
. La proportion remonte à environ 70 % pour l
e
premier fascicule en cours de publication de la lettre PA, qui
a
bénéficié des tout derniers dépouillements
. Ce renforcemen
t
des néologismes du
Novum
Glossarium
par rapport aux
diver
-
ses
entreprises nationales n'a rien d'étonnant car si la base d
e
mots classiques conservés reste stable, nous cumulons tou
t
l'apport créatif des diverses régions d'Europe
. Parmi celles-ci
46
A
.-M
.
BAUTIER - M
.
DUCHET-SUCHAU
X
l'influence des langues romanes s'est manifestée, comme l'o
n
sait, avec une force toute particulière au point de constitue
r
dans nos colonnes plus des deux tiers des mots d'origine verna-
culaire
. Cependant, comme nous le développerons, ce sont bie
n
les créations tirées du vocabulaire classique qui constituen
t
l'écrasante majorité des néologismes du latin médiéval
. Le phé-
nomène de renouvellement agit à l'intérieur même de la langu
e
plus encore que par contamination avec les parlers locaux
.
Le rapport entre mots classiques et mots nouveaux est s
i
favorable à ces derniers que j'ai voulu vérifier pour la tranch
e
MA la proportion de vocables antiques éliminés de la langu
e
médiévale
: 189 termes ne se retrouvent pas dans notre
docu-
mentation
.
Si l'on songe que 1150 lemmes en MA apparaissen
t
dans nos colonnes, dont 310 remontent à l'antiquité classique
,
le déchet est relativement médiocre
. Il est curieux de note
r
également que sur ces 189 mots disparus la moitié n'a fait so
n
apparition qu'au temps de la basse latinité et que la grand
e
majorité de l'ensemble concerne des vocables rares ou tout
à
fait techniques et attestés le plus souvent chez un seul auteur
.
Cette observation est confirmée par l'examen attentif du pre-
mier fascicule en PA et M
. Plezia a fait la même remarque e
n
ce qui concerne les mots classiques disparus du vocabulair
e
latin utilisé par les Polonais pendant le Moyen Âge
6
.
Pour rester dans le chapitre des absences, en dehors de
s
termes qui s'appliquent à des traits de civilisation révolue
tels que les sacrifices rituels ou les jeux du cirque ou encore le
s
raffinements culinaires empruntés à la Grèce, on constate quel-
ques restrictions insolites dans les dérivations de certains mots
:
par exemple l'adjectif
macer
`maigre', voit disparaître six déri-
vés et n'en gagne que trois dans notre documentation
. Le subs-
tantif
pampinus
résiste seul de sa famille à l'assaut du temps
.
La perte de cinq vocables tirés de
marmor
n'est compensée qu
e
par un seul adjectif médiéval
.
Avant d'aborder l'étude des néologismes, l'honnêteté nou
s
oblige à reconnaître d'entrée de jeu que la moitié des néolo-
gismes que nous avons répertoriés n'apparaissent que dans u
n
seul texte ou chez un seul auteur, qu'ils ne se sont, donc pa
s
6
. Op
. cit
., p
.
274
.
NÉOLOGISMES
EN LATIN
MÉDIÉVAL
4
7
réellement ancrés dans la langue et qu'ils correspondent sou
-
vent aux mots rares éliminés de la langue antéri&ure auxquel
s
nous avons fait allusion plus haut
. L'autre moitié des nouveau
x
mots s'est, en revanche, suffisamment installée dans le vocabu-
laire pour justifier cette étude
.
Sur les mille premiers vocables nouveaux de la lettre
M
répartis en catégories selon leur étymologie (pour autant qu
e
celle-ci puisse être déterminée car environ 6 % des mots relevé
s
a résisté aux investigations), 37,5 % des néologismes 'sont tou
t
simplement formés sur les modèles classiques, soit qu'il s'agiss
e
de substantif ou d'adjectif, d'adverbe ou de verbe ou encore d
e
diminutif ou de fréquentatif
. Cette proportion est encore ren-
forcée dans le premier fascicule de la lettre P (environ 50 % de
s
néologismes sont issus de mots classiques)
.
Nombre de substantifs sont façonnés de façon tout à fai
t
normale sur un adjectif, un substantif ou un verbe suivi d'un
e
terminaison
: ainsi pour les noms exprimant une action, sou
-
vent un métier, les terminaisons en
-ator,
en
-arius,
en
-it
a
(macellator, matricularius
; mandrita),
au féminin en
-issa,
-ari
a
(priorissa, panetaria)
.
Les nouveaux mots abstraits adoptent l
e
plus souvent des suffixes en
-tas (maioritas, maternisas)
for
t
prisés par les scolastiques, en
-entia, -antia (macilentia, mali-
gnantia),
en
-tio (malignatio, mandatio),
parfois en
-men (macu-
lamen, mandarnen),
exceptionnellement en
-ismus (monachis-
mus)
.
Les mots juridiques sont souvent terminés par
-mentu
m
(mandamenturn, maritamentum),
ou
-agium, -aticum (marita-
gium, maritaticum),
ou encore
-atus (maioratus), -ia (maioria
,
manumissoria),
enfin en -ura (mansura, manumissura)
.
Noton
s
la désaffection pour les suffixes
-tuda, -edo
que O
.
Prinz
avai
t
également remarquée'
.
Les diminutifs se présentent sous les formes habituelles
,
avec les suffixes
-ulus, -ula, -ulum (paludulus, margaretula
,
macellulum), -culus -cula (maciecula), -ellus,
-ella
(paludellus
,
membranella), -olum, -ola (marsupiolum, materiola), -uncul
a
(obedientiuncula)
.
Les adjectifs nouveaux adoptent les suffixes habituels e
n
-alis, -anis (magisterialis, palumbaris), -bilis (magnificabilis)
,
7
. Op
. cit
.,
p . 254
.
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