integration de l`union europeenne et experiences de regionalisme

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INTEGRATION DE L’UNION EUROPEENNE
ET EXPERIENCES DE REGIONALISME
DANS LES PAYS EN DEVELOPPEMENT
Actes des Ières Journées Internationales d’Etudes Jean Monnet
Avril 2003
Sous la direction de Pascal Kauffmann, Professeur de Sciences
Economiques et Bernard Yvars, Chaire Jean Monnet en Intégration
régionale comparée, Maître de Conférences de Sciences Economiques à
l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
Intégration régionale comparée
AVANT – PROPOS
Jean-Pierre Lachaud, Professeur à l’Université Montesquieu-Bordeaux 4, Directeur du
CED……………………………………………………
5
INTRODUCTION
Pascal Kauffmann et Bernard Yvars …………………………….......7
PREMIERE PARTIE : LES APPORTS JURIDIQUES ET INSTITUTIONNELS DE LA
CONSTRUCTION EUROPEENNE…...
16
Le modèle européen de production du droit matériel,
C.
Horrut, Maître de conférences à l’Université Montesquieu-Bordeaux4
…………………………………………………………………………
17
Les mécanismes juridiques d’intégration régionale en Afrique noire : une application originale
du modèle européen,
G. Fouda, Docteur en Droit, CERDRADI, Université Montesquieu-Bordeaux4
……………………………………………………………………………
29
Le régionalisme transfrontalier : l’expérience de l’Union européenne pour l’Afrique postcoloniale à travers l’expérience de Borgu
A. I. Asiwaju, Professeur à l’ Université de Lagos…………………59
2
Table des matières
DEUXIEME
PARTIE : LES LECONS DE L’INTEGRATION DES PROCESSUS
PRODUCTIFS EUROPEENS……………………………..
92
Intégration économique régionale et mécanismes compensatoires dans la Communauté de
développement d’Afrique australe : quelles leçons de l’expérience européenne ?
O. Cureau, CERSEI, Université Panthéon-Assas………………….93
L’intégration régionale dans l’UEMOA : les limites du modèle européen
A. S. Claeys, CEAN, Bordeaux
et A. Sindzingre , CEAN et CNRS,
Paris…………………………………………………………………………………119
L’Union européenne et l’intégration des pays andins : l’accentuation des mécanismes
concurrentiels
H. Mazurek, chargé de recherche à l’ IRD, Lima………………163
L’Union européenne et le Mercosur : deux voies spécifiques d’intégration et d’insertion dans la
mondialisation des activités
B. Yvars, Maître de conférences à l’Université Montesquieu-Bordeaux 4
…………………………………………………………………………..
TROISIEME
MONETAIRE
PARTIE : LES EXPERIENCES
ET
DE
EUROPEENNES D’UNIFICATION
COORDINATION
ECONOMIQUES……………………………………….
194
DES
POLITIQUES
222
Les critères de commerce extérieur de la théorie des ZMO : risques comparés de la formation
3
Intégration régionale comparée
d’unions monétaires (UEM, Argentine-Brésil, Argentine-Etats-Unis)
J. Trotignon, Maître de conférences à l'Université Lyon III…… 223
La question du régime de change dans le Mercosur au regard de l’expérience européenne
P.
Kauffmann,
Professeur
à
l’Université
Montesquieu-Bordeaux
……………………………………………………………………………………..
4
239
La coordination des politiques monétaires au sein du Mercosur : les enseignements du modèle
européen d’intégration régionale
E. Seselovsky, Professeur à l’Université nationale de Rosario… 272
Instabilité, commerce et coordination des politiques macro-économiques dans le Mercosur :
quel rôle pour l'Union européenne ?
P. Giordano, Professeur à l’IEP de Paris (chaire Mercosur)…... 293
4
Avant-propos
Avant-propos
Professeur Jean-Pierre Lachaud,
Directeur du Centre d'économie du développement
La transition du monde actuel met en évidence la coexistence de
progrès humains considérables et l'étendue croissante de la pauvreté. Ce
contraste entre la globalisation de la prospérité et la globalisation de la pauvreté
conduit à affirmer qu'il n'est pas, pour l'espèce humaine, de défi à relever aussi
important que celui du développement.
Sans aucun doute, la recherche de nouveaux paradigmes en la matière,
exigeant une approche globale du développement qui accorde une plus grande
importance aux aspects institutionnels et culturels, implique, en même temps, la
prise en compte de l'évolution spécifique du contexte économique international,
marquée par deux forces étroitement liées. D'une part, la globalisation de
l'économie accentue l'interdépendance internationale, le rythme de l'intégration
économique mondiale - intensification et élargissement des liens internationaux
aux niveaux commercial et financier - s'étant accéléré au cours des deux
dernières décennies. D'autre part, la résurgence du régionalisme, apparu il y a
de nombreuses années en Europe de l'Ouest, est susceptible de conduire à une
évolution quelque peu différente. En vérité, le régionalisme a probablement un
rôle de catalyseur dans le processus de libéralisation globale, dans la mesure où
il accroît l'ouverture vers l'extérieur et ébranle le protectionnisme national, et,
de ce fait, représente plus un tremplin vers l'intégration mondiale qu'un
obstacle.
5
Intégration régionale comparée
Cette question constitue une dimension importante du programme de
recherche 1999-2002 du Centre d'économie du développement -CED- de
l'Université Montesquieu - Bordeaux IV, exécutée par le Groupe de recherche
sur l'intégration économique et monétaire -GRIEM- dirigé par M. Bernard
Yvars. Le présent ouvrage contribue à la mise en oeuvre de ce programme et
rassemble plusieurs études - issues d'un colloque sur ce thème en octobre 2000
-, visant à expliciter les relations entre l'intégration européenne et le
régionalisme dans les pays en développement.
En précisant les apports juridiques et institutionnels de la construction
européenne, en explicitant les leçons de l'intégration des processus productifs
européens, et en examinant les expériences européennes d'unification monétaire
et de coordination des politiques économiques, cet ouvrage souhaite contribuer,
à travers les diagnostics établis, à mieux éclairer les gouvernements, les
décideurs publics et privés, et les partenaires du développement dans
l'élaboration des politiques. En même temps, l'ambition des analyses et des
conclusions développées dans cette étude est de promouvoir les discussions et
d'approfondir la recherche au sein de la communauté scientifique.
Nous remercions M. Bernard Yvars, Maître de conférences, pour avoir
suscité, organisé et participé à cette recherche. Nous témoignons également
notre gratitude à l'égard des Professeurs Pascal Kauffmann et Jean-Claude
Gautron pour leur coopération et leur contribution au succès de cette Journée
d'Etude.
6
Intégration régionale comparée
Introduction générale
Pascal Kauffmann
Bernard Yvars
Université Montesquieu-Bordeaux IV
La deuxième moitié du vingtième siècle apparaîtra sans doute, avec le
recul du temps, comme ayant été « l’ère de l’intégration régionale » (pour
reprendre l’expression d’Haberler [1964]). Ce processus, par lequel on désigne
un rapprochement commercial, économique et institutionnel entre Etats, aura
connu deux phases successives assez clairement identifiées. La première
coïncide approximativement avec les années soixante, et voit en particulier la
naissance de la Communauté économique européenne. La seconde trouve son
origine dans l’accord de libre échange américano-canadien, ultérieurement
étendu au Mexique pour former l’ALENA, et s’étend sur la décennie quatrevingt dix. Quel que soit le devenir – et nous l’imaginons volontiers très actif –
de ce phénomène, sa genèse et ses fondements seront à rechercher dans le
demi-siècle qui nous sépare de la fin de la seconde guerre mondiale.
Au rang des multiples entités régionales ayant vu le jour au cours de cette
période, la construction européenne occupe une place éminemment originale. Il
n’est pas excessif d’affirmer qu’elle a engendré, tant dans le domaine
strictement économique qu’en matière juridique et institutionnelle, une
référence unique, et parfois même un modèle. Dès la première vague
d’intégration régionale, au demeurant, le « marché commun » européen est
source d’inspiration pour les pays en développement. Ces derniers chercheront,
à travers des entreprises telles que l’Union des Etats de l’Afrique de l’Est, le
Marché commun centre-américain, l’East African Community ou encore le
Pacte Andin (pour s’en tenir à ces quelques exemples), à reproduire
Intégration régionale comparée
l’expérience communautaire de rapprochement entre voisins et – dans une
certaine mesure - entre égaux.
S’agissant de la dimension économique des processus de régionalisation,
on ne peut s’empêcher de mettre en parallèle les avancées de l’analyse
théorique, dans le sillage des travaux fondateurs de Viner [1950], et les progrès
de l’intégration européenne. Les seconds ont régulièrement constitué le mobile
empirique profond à l’origine des premières. Pour offrir deux illustrations de
ces interactions qui soient à la fois récentes et significatives, il n’est que de se
tourner vers deux étapes décisives franchies par l’Europe communautaire
durant les dix dernières années.
La première concerne la concrétisation du « grand marché intérieur » des
biens, services et facteurs de production. Celle-ci stimula vivement, à partir du
milieu des années quatre-vingt, les réflexions relatives, par exemple, aux effets
de l’intensification de la concurrence ou de la taille des marchés sur les
échanges entre pays partenaires. La coïncidence des travaux novateurs
d’auteurs comme Krugman sur les « nouvelles théories » du commerce
international, caractérisées par la prévalence de formes imparfaites de
concurrence, et de l’approfondissement du marché unique européen,
conduisirent à un véritable renouvellement de la théorie de l’intégration
économique.
Une deuxième illustration notoire de l’influence motrice de l’expérience
européenne sur l’analyse économique concerne la théorie des zones monétaires
optimales. Celle-ci naquit au début des années soixante, à partir des
contributions fondatrices de Mundell [1961], McKinnon [1963] et
ultérieurement Kenen [1969]. Nourrie de la controverse de l’époque entre
partisans des changes fixes et avocats des changes flexibles, elle connut une
8
Introduction
longue période de désuétude après l’effondrement du système de Bretton
Woods, qui paraissait consacrer pour longtemps, dans les faits sinon sur le
papier, la victoire des « flexibilistes » sur les « fixistes ». Ce furent bel et bien
les velléités d’unification monétaire en Europe qui, à compter de la fin des
années quatre-vingt, donnèrent à la théorie des zones monétaires optimales son
second souffle. En particulier, les termes de l’analyse coûts-avantages des
unions monétaires s’en sont trouvés profondément approfondis et enrichis,
tandis que la problématique de la transition vers un régime de taux de change
irrévocables se faisait jour.
La construction européenne offre, par ailleurs, un édifice juridique et
institutionnel sans aucun équivalent dans le monde. Le corpus théorique qu’est
le droit communautaire constitue une illustration saisissante de cette
singularité, qui s’écarte à la fois du droit international dans son acception
usuelle, et du droit qu’ont pu produire les espaces véritablement fédéraux. Le
processus intégrateur a été influencé par plusieurs courants théoriques et
doctrinaux, notamment le fédéralisme, l’approche confédérale et une passerelle
pragmatique entre ces deux formes d’organisation politico-sociale, le
fonctionnalisme. Au regard des faits, cette voie intermédiaire a constitué un
compromis efficace et opératoire entre la résistance confédérale des Etats et la
volonté fédéraliste des traités européens. L'épineuse question de la
supranationalité reste néanmoins posée de façon récurrente : doit-on s'appuyer
sur des organismes de coopération, avec décision finale à une instance
intergouvernementale, ou sur des organes indépendants des Etats membres, ou
intergouvernementaux, prenant des décisions à la majorité simple ou qualifiée ?
Le statut de référence incontournable acquis peu à peu par l’Union
européenne tient également au fait que, sous des appellations diverses, cette
9
Intégration régionale comparée
entité a gravi en moins de cinquante ans les principaux niveaux de l’échelle de
l’intégration régionale. Tout d’abord zone de libre échange puis, très
rapidement, union douanière dotée d’une politique commerciale commune,
l’ancienne CEE s’est efforcée d’édifier un véritable marché intérieur unifié
pour les biens, les services et les facteurs de production. Parvenue à ses fins au
tournant des années quatre-vingt dix, elle aura ensuite marqué la dernière
décennie du vingtième siècle à travers son projet d’unification monétaire, qui
se concrétise sous nos yeux. L’UE en arrive alors, pour ainsi dire
naturellement, à s’interroger à voix haute sur la teneur exacte des futurs stades
de son édification qui, à un titre ou à un autre, seront fédéraux ou ne seront pas.
Les mondes en développement ont donc eu – et ont plus encore
aujourd’hui - toutes les raisons de s’inspirer du « modèle » européen
d’intégration régionale. En effet, au delà des enseignements sans équivalent
que livre l’expérience européenne, la constitution de blocs régionaux solides et
cohérents apparaît comme une nécessité prégnante pour les pays émergents. Il
est devenu un lieu commun d’affirmer que la mondialisation - avérée – des
marchés, des processus productifs, voire des normes sociales elles-mêmes
appelle, pour ceux qui souhaitent ne pas la subir passivement, un
rapprochement sur une base régionale. Celui-ci est d’ores et déjà à l’œuvre. La
question que soulève le présent ouvrage consiste à savoir dans quelle mesure la
référence européenne peut éclairer utilement son avenir.
Pour tenter d’offrir quelques éléments de réponse à cette interrogation, les
contributions qui suivent sont organisées en trois grandes parties.
La première s’intéresse aux apports juridiques et institutionnels de la
construction européenne. C. Horrut examine ainsi le modèle européen de
production du droit matériel. Soulignant sa portée en comparaison des traités
10
Introduction
internationaux ordinaires, il insiste sur le fait qu’une telle édification n’a été
possible – et ne serait imaginable ailleurs – que moyennant une culture
juridique commune préalable sur l’espace concerné. G. Fouda propose, pour sa
part, de mettre en parallèle les mécanismes juridiques d’intégration régionale
en Europe et en Afrique noire. Il cherche en particulier à savoir dans quelle
mesure les différences séparant les seconds des premiers – par exemple en
termes de prédominance de l’inter-étatique sur le supranational - peuvent
expliquer les difficultés inhérentes, sur le plan institutionnel, aux essais de
rapprochements régionaux sur le continent africain. En s'appuyant sur une
analyse historique, A.I. Asiwaju montre que la formation de territoires
nationaux en Europe au XXe siècle et dans l'Afrique post-coloniale fait parfois
apparaître des similitudes. Cependant, les solutions aux problèmes soulevés par
l'existence de territoires aux frontières artificielles sont spécifiques. Les
dispositions européennes telles que par exemple les accords de Schengen, ne
sont pas applicables à une Afrique qui doit élaborer son propre dispositif
régulateur, avec l'aide des organismes internationaux et de l'Union européenne.
La deuxième partie du présent ouvrage fait de l’intégration des processus
productifs son point focal. Les deux premières contributions qui le composent
ont pour objet des entités régionales africaines, les deux suivantes étant
consacrées au continent sud-américain.
O. Cureau se penche, en premier lieu, sur le cas de la Communauté de
développement d’Afrique australe (la SADC). Il s’attache, en particulier, aux
mécanismes de redistribution des gains liés à l’intégration régionale entre pays
partenaires, en s’appuyant notamment sur l’expérience des fonds structurels
européens. En second lieu, A.S.Claeys et A.Sindzingre mettent en parallèle
l’Union européenne et l’Union économique et monétaire ouest-africaine
11
Intégration régionale comparée
(UEMOA). Tant l’histoire des deux entités que les schémas institutionnels et
jusqu’à l’expérience d’intégration monétaire font l’objet de leurs
investigations, dont il ressort clairement que le niveau de l’intégration
productive (« réelle ») fait par trop défaut aux membres de l’UEMOA.
Le Pacte Andin et le Mercosur sont sans conteste les deux blocs
régionaux sud-américains les plus significatifs. S’agissant du premier, H.
Mazurek n’hésite pas à stigmatiser la distance qui sépare encore la coupe des
lèvres – les ambitions, pourtant trentenaires puisqu’elles datent de la « première
vague » d’intégration régionale, n’ayant que trop fragmentairement été suivies
d’effet. L’auteur considère notamment qu’un renforcement des mécanismes
concurrentiels au sein même des pays membres du Pacte est un point de
passage obligé sur la voie de l’approfondissement des relations économiques
entre ces derniers. Le Mercosur, quoique plus récent que son voisin andin, n’en
a pas moins vivement progressé sur la voie de l’intégration régionale depuis la
signature du Traité d’Asuncion en 1990. Malgré les inquiétudes que fait
nécessairement surgir la tournure récemment prise par la crise argentine,
l’édification d’une véritable union douanière est en bonne voie, si bien que la
mise en parallèle avec l’Union européenne est sans doute plus féconde encore
ici qu’ailleurs. B.Yvars s’attache alors à faire la part du « transférable » et du
« spécifique » dans l’expérience communautaire, et montre que, si le Mercosur
peut continuer de s’inspirer substantiellement de la référence européenne en
matière institutionnelle, les divergences et spécificités l’emportent assez
nettement en matière d’intégration des processus productifs, et ce tant au sein
de chaque entité que vis-à-vis du reste du monde.
C’est précisément parce que le Mercosur occupe, d’ores et déjà, une
position avancée sur l’échelle de l’intégration régionale, qu’on le retrouve tout
12
Introduction
au long de la troisième et dernière partie de cet ouvrage. Celle-ci est consacrée
aux enseignements de l’expérience européenne aux plans de l’unification
monétaire et de la coordination des politiques économiques. Le caractère
unique de l’UE atteint, en l’espèce, son point culminant, si bien que rares sont
les espaces sur lesquels ces enseignements peuvent être dès aujourd’hui
utilement projetés. Le Mercosur s’inscrit au rang de ces derniers, et ce avec
d’autant plus d’acuité que ses dix premières années d’existence auront été
empreintes d’instabilité macroéconomique et monétaire. La récente rupture du
lien entre le peso argentin et le dollar ne fait, en effet, que s’ajouter aux
perturbations dues à la dévaluation du real brésilien de 1999, elles-mêmes
précédées par les ondes de choc des crises de change asiatique de 1997 («
l’effet saké ») et mexicaine de 1994 (« l’effet Tequila »).
J.Trotignon s’intéresse, en premier lieu, aux deux principaux membres du
Mercosur que sont le Brésil et l’Argentine, à la lueur de la théorie des zones
monétaires optimales. Il montre en particulier qu’à l’aune des critères
traditionnels d’optimalité, une éventuelle monnaie unique argentino-brésilienne
serait plus pertinente que l’union monétaire de fait qui a longtemps uni
l’Argentine et les Etats-Unis, à travers un régime de currency board. A cet
égard, l’abandon de ce régime et de la convertibilité au taux de un pour un
entre le peso et le dollar, par delà son caractère critique, est susceptible d’ouvrir
des perspectives au plan de l’intégration monétaire régionale. Prolongeant ce
type de réflexions, P.Kauffmann insiste sur le fait que l’intensification des liens
« réels » entre partenaires d’un accord commercial rend de moins en moins
opportun un régime de changes flexibles entre eux. Il tente alors de tirer, à
destination des pays du Mercosur, les leçons des années quatre-vingt dix en
Europe, caractérisées tout à la fois par les crises du système de change fixes
13
Intégration régionale comparée
mais ajustables qu’était le SME, et par la transition conditionnelle vers un
régime de parités irrévocables.
Les deux dernières contributions de l’ouvrage sont plus spécifiquement
dédiées à la question de la coordination des politiques économiques. Celle-ci
occupe actuellement une place privilégiée dans l’agenda des pays membres du
Mercosur, et ces derniers font très clairement de l’expérience européenne leur
principale source d’inspiration. Comme le montre E. Seselovsky, ce sont en
particulier les mécanismes de « l’ancien » SME d’une part, et le volet macroéconomique du Traité de Maastricht (notamment les critères de convergence),
d’autre part, qui peuvent être utilement mobilisés pour tenter de bâtir un
schéma pertinent de coordination des politiques monétaires et budgétaires au
sein de cette zone. P. Giordano, enfin, examine, à la lueur des dix premières
années de fonctionnement du Mercosur, les effets de l’instabilité macroéconomique sur l’intensification de l’intégration régionale. Il s’interroge sur la
manière dont l’Union européenne pourrait contribuer à davantage de stabilité
dans cette région du monde, ce qui pourrait passer par les termes
judicieusement choisis de l’accord d’association dont discutent les deux entités
depuis 1999.
Bibliographie
HABERLER,G. [1964], “Integration and growth in the world economy in
historical perspectives “, American Economic Rewiew, vol. 54.
KENEN, P. [1969], “ The Theory of optimal currency areas : an eclectic view”,
in Mundell, R.A. et Swoboda, A.K. (eds), Monetary Problems of the
International Economy, University of Chicago Press.
McKINNON, R.I. [1963], “ Optimum currency areas”, American Economic
Rewiew, vol. 53.
MUNDELL, R.A. [1961], “ A Theory of optimum currency areas”, American
Economic Rewiew, vol. 51.
14
Introduction
VINER, J. [1950], The Customs Union Issue, Stevens & Sons.
15
Intégration régionale comparée
PREMIERE PARTIE : LES APPORTS
JURIDIQUES ET INSTITUTIONNELS DE LA
CONSTRUCTION EUROPEENNE
16
Le modèle européen de production du Droit matériel
Le modèle européen de production du Droit matériel
Claude HORRUT
Maître de conférences de Science politique
à l'Université Montesqieu-Bordeaux IV
INTRODUCTION
On oublie souvent que dans le processus européen d'intégration
régionale le Droit a eu un rôle d'accompagnement de tout premier ordre.
Qu'eût été l'intégration sans une juridiction audacieuse et inventive pour fixer,
dans les premières années d'application des Traités, le principe d'autonomie de
l'ordre juridique communautaire, sa primauté sur les droits nationaux, son effet
direct ? En termes non équivoques, la Cour de justice des Communautés
européennes a rapidement précisé la portée du Droit produit par le processus
d'intégration "à la différence des Traités internationaux ordinaires, le Traité a
institué un ordre juridique propre intégré au système juridique des Etats
membres lors de l'entrée en vigueur du Traité, et qui s'impose à leurs
juridictions" (cf CJCE 15.07.64 Costa c/Enel 6/64 Rec p.1141).
"Intégré et qui s'impose", ce sont les caractéristiques que le juge
européen a fait prévaloir dans de nombreuses décisions (1). Si bien que la zone
d'intégration régionale européenne a aujourd'hui un système juridique assez
proche de celui d'un Etat fédéral. Cette situation ne s'explique que si on prend
en compte trois facteurs (2). Le premier provient de la jurisprudence des Juges
nationaux qui s'est alignée sur celle du Juge européen. Seul le Conseil d'Etat,
en France, est resté longtemps réservé à l'égard de la primauté du Droit
européen. Mais dans un arrêt de 1969, il finit par se ranger (CE Ass 20.10.89
Nicolon ; jurisprudence confirmée par CE 14.09.90 Boisdet). Le second facteur
17
Intégration régionale comparée
est politique et vise le comportement des Etats membres. Il s'est rapidement
établi, que lorsqu'un Etat adhère à l'Union européenne et aux Communautés, il
s'aligne sur "l'égal respect par les Etats membres, de l'ordre juridique
européen". L'intégration juridique européenne n'aurait pu être sans ce respect
partagé du droit institué. Le troisième se trouve au niveau des peuples
européens. L'ensemble des consultations qui sont intervenues dans la vie
européenne-(cf D. J. Seiler, La vie politique des Européens, Economica,
1998)- a eu pour effet de légitimer un système juridique qui n'aurait pu être,
sans cette onction du suffrage universel ; et la ratification du Traité de
Maastricht, obtenue de justesse en France, a été un temps fort de l'intégration
juridique
Aujourd'hui, l'efficacité du système juridique européen est établie. Tout
sujet de droit de l'Union, tout individu ou personne morale (entreprise,
association, syndicat, collectivité publique) peut demander l'application des
règles découlant du droit européen. La démarche juridique est double. La plus
simple est de saisir le Juge national qui a compétence pour faire prévaloir le
Droit européen sur le droit national. Un peu plus complexe est l'itinéraire
européen.
Le justiciable peut en effet faire valoir ses droits en saisissant les
instances de l'Union. Il peut
porter sa plainte devant la Commission
européenne. Si le bien fondé est établi, la Commission contacte l'Etat membre
concerné. Au vu des explications fournies, elle peut demander que soit mis fin
au non-respect du droit. Si elle n'obtient pas satisfaction, la Commission peut
engager un recours devant la Cour de Justice.
Aux voies juridictionnelles, tant nationale qu'européenne, s'ajoutent des
procédures non -juridictionnelles chargées de résoudre rapidement les litiges :
la saisine du médiateur européen ou d'un député européen et enfin le droit que
18
Le modèle européen de production du Droit matériel
tout un chacun a d'introduire une pétition devant le Parlement européen (3).
Quand on s'interroge sur ce qui fait la force du droit européen,
aujourd'hui (au sens où c'est un droit qui assure son effectivité) intervient en
premier lieu la panoplie des recours qui donnent au justiciable tous moyens
d'agir et de faire consacrer la primauté de l'état de Droit européen. Il est sûr de
trouver, et c'est le second élément, une Cour de Justice compréhensive ; à
interprétation téléologique disent les juristes. Mais n'est-ce pas, parce que les
peuples sont unis par une même culture de respect du droit que le miracle de
l'intégration juridique s'est produit ?
A la question: "le modèle d'intégration juridique façonné par cinquante
ans de construction européenne est-il exportable ?", nous serions alors tenté de
répondre, que le préalable est, peut-être, l'existence d'une culture juridique, sur
l'espace concerné, ce qui est une façon de se ranger sur l'adage qui fait des
moeurs le préalable à l'effectivité du Droit (4).
I- La panoplie des recours juridictionnels
En vertu de l'article 164 du Traité CEE, la CJCE, Cour commune aux
trois Communautés, doit assurer "le respect du droit dans l'interprétation et
l'application du Traité". Sur le plan des compétences, la Cour est à la fois "juge
constitutionnel" (dans un rapport aux Traités que l'on peut considérer comme
une ébauche de constitution fédérale), juge international (dans le rapport au
contentieux entre les Etats membres), juge administratif (puisque chargée du
contentieux en annulation pour illégalité) et enfin juge de droit commun (dans
son rapport aux particuliers) (5).
Correspondent à cette vaste compétence une panoplie de recours, dont
la lenteur est le seul défaut et l'aboutissement, des arrêts obligatoires et
exécutoires - l'exécution ne posant pas de problèmes majeurs, contrairement à
19
Intégration régionale comparée
d'autres ordres juridiques où elle en est la pierre d'achoppement.
A - Le recours en annulation (art.173 CEE ; 146 CEEA ; 33 CECA)
Dans un court délai (deux mois), il permet d'attaquer les actes
décisoires du Conseil, de la Commission, du Parlement pour incompétence,
vice de forme, violation de toute règle de droit relative à son application. Le
recours en annulation est la transposition en contentieux européen du recours
pour excès de pouvoir inventé par les juristes français pour s'assurer que les
autorités politiques et administratives prennent leurs décisions et réglementent
dans le respect du droit.
B - Le recours en carence (art.175 CEE ; 148 CEEA ; 35 CECA)
Il s'agit ici de la sanction de l'inaction du Conseil ou de la Commission.
L'institution incriminée doit être "mise en demeure". Au terme d'une période
de deux mois, si l'autorité concernée a gardé le silence, la Cour de Justice peut
être saisie. Du point de vue du droit à agir, il est fait distinction entre :
- les requérants privilégiés : Conseil, Commission, Etats membres,
Parlements qui agissent sans condition d'intérêt ;
- les requérants ordinaires : personnes physiques et personnes morales,
qui ont à prouver leur intérêt à agir ;
Sur le fond, l'objectif est le même : sanctionner la carence à édicter un
acte, dès lors qu'une obligation du droit européen en commande l'édiction.
C - Le recours en constatation de manquement (art.169 et 170 CERE ;
141 et 142 CEEA ; 88 CECA)
Les conditions procédurières de ce recours sont différentes selon les
20
Le modèle européen de production du Droit matériel
traités. Pour s'en tenir au traité CEE, il y a une phase précontentieuse,
permettant de régler le litige sans être obligé de saisir la Cour. Cette phase
comporte une mise en demeure et un avis motivé de la Commission. Dans la
phase contentieuse, la saisine appartient aux seuls Etats membres. Il y a le
préalable de l'avis de la Commission mais si celle si n'a pas rendu d'avis dans
les trois mois de sa saisine, la Cour en toutes hypothèses est à son tour saisie.
L'objectif de ce recours est de faire constater qu'un Etat membre a
manqué à une obligation qui lui incombe en vertu des Traités. L'exécution de
l'arrêt rendu est, dans le contexte, fragile puisqu'il s'agit de le faire exécuter par
l'Etat même dont la Cour constate le manquement (6).
D - Le contentieux de l'interprétation
On est dans le cas du Juge national saisi d'un litige dans lequel il a à
appliquer le droit européen. On distingue ici la question préjudicielle
d'interprétation et la question préjudicielle d'appréciation de validité. Dans la
question préjudicielle d'interprétation, les Juridictions des Etats membres, mais
aussi le Conseil, la Commission, les Etats membres eux-mêmes ont la faculté
de saisir la CJCE. Les autorités habilitées à saisir sont tenues par l'arrêt
d'interprétation. La Cour, dans un arrêt de référence, précise la portée de cette
obligation :"il en résulte que la règle ainsi interprétée doit être appliquée par
tous les Juges de la Communauté, même à des rapports juridiques nés et
constitués avant eux" (CJCE 27 mars 1980 Salumi 66/127 et 128/71 Rec.
p.1252).
Dans la question préjudicielle d'appréciation de validité, la CJCE est
saisie par la juridiction nationale de la validité d'une disposition du Droit
européen. La Cour considère que le recours en appréciation de validité
constitue une modalité de contrôle des actes communautaires analogue au
21
Intégration régionale comparée
recours en annulation. Comme en matière d'appréciation, l'arrêt de la Cour a
une portée générale.
E - Les recours en responsabilité contractuelle et extracontractuelle
(art.215 CEE ; 188 CEEA ; 40 CECA)
L'article 215 du Traité CEE précise : "en matière de responsabilité
extracontractuelle, la Communauté doit réparer conformément aux principes
généraux communs aux droits des Etats membres les dommages causés par ses
institutions de par ses agents dans l'exercice de leurs fonctions". Il s’agit d’un
recours en indemnité distinct des autres recours que nous avons décrits. La
jurisprudence de la Cour dans ce domaine reste quelque peu restrictive. Sur le
terrain de la faute créant le préjudice et ouvrant droit à réparation, elle exige,
en pratique, une faute lourde. La responsabilité sans faute n'est pas exclue mais
la simple existence d'une illégalité n'est pas constitutive de faute. La portée du
recours en indemnité s'en trouve réduite (7).
Comme on a pu s'en rendre compte, la panoplie des recours dans l'ordre
juridique européen est une pièce maîtresse dans la consolidation de l'Etat de
Droit Européen. Mais les voies de droit auraient pu rester lettre morte sans un
juge pour leur donner vie. On rencontre alors toute l'importance de la
jurisprudence de la CJCE.
II- Le rôle déterminant de la jurisprudence de la CJCE
Pour saisir la place centrale du Juge dans la construction de l'ordre
juridique intégré, il faut tout d'abord partir de ce que les Traités institutifs,
juridiquement parlant, sont des normes du type "loi-cadre", "dispositions
programmatrices", "orientations", "objectifs" - "soft law", en quelque sorte. Le
droit dérivé des Traités est lui même souvent de cette nature. Si bien que sans
22
Le modèle européen de production du Droit matériel
un juge, pour donner sens à ces normes, il aurait été difficile aux pays membres
d'avancer dans la voie de l'intégration régionale.
Les solutions apportées par le Juge à la question des compétences
transférées sont devenues alors essentielles. S'écartant du principe traditionnel
d'interprétation "restrictive", la CJCE a préféré faire prévaloir une
interprétation "extensive", piégeant en quelque sorte les Etats membres dans le
nécessaire transfert de compétences lié à leur projet tout en évitant d'apparaître
comme le Juge qui décide là où le politique hésite. C'est ce que les juristes
soulignent en parlant d'interprétation téléologique, autrement dit une
interprétation prenant comme repère l'objectif d'intégration.
Dans ce cadre, quarante années de Jurisprudence européenne ont permis
d'arrêter trois principes qui président à l'interprétation : l'effet utile, l'effet
nécessaire et la sauvegarde des Traités (8).
A - Le principe de l'effet utile : l'arrêt Franz Grad
L'arrêt Franz Grad est un grand arrêt de la jurisprudence européenne.
La cour fait, en cette espèce, incontestablement oeuvre prétorienne (CJCE
Franz Grad 9/70 Rec p.825). Le gouvernement allemand entendait, à l'époque,
établir une distinction entre le "règlement communautaire" directement
applicable et la "décision" qui ne l'aurait pas été. C'eût été, si cette position
avait été consacrée, vider le droit communautaire d'une part importante de son
efficacité.
Pour la Cour, les dispositions du Traité (article 189) donnent aussi bien
au règlement qu'à la décision force obligatoire car "la décision perdrait tout
effet utile si les Juridictions nationales étaient empêchées de la prendre en
considération en tant qu'élément du Droit communautaire". La double nature, à
la fois normative et intégrative de cette décision est bien mise en valeur par les
23
Intégration régionale comparée
commentateurs de l'époque (cf. J.Boulouis, «A propos de la valeur normative
de la Jurisprudence de la CJCE » Mélanges Waline 1974 I. p.149 ; et J.
Mertens de Wilmars, «La Jurisprudence de la CJCE comme instrument de
l'intégration communautaire », Cahier de Droit Européen, 1976, p.135).
B - Le principe de l'effet nécessaire : l'arrêt AETR
L'arrêt AETR met le Juge européen dans la position à avoir à trancher
entre la Commission Européenne et le Conseil des Ministres. Ces deux
institutions sont en conflit sur la portée des compétences transférées. A
l'origine du conflit, l'Accord Européen sur les Transports Routiers (AETR)
conçu dans le cadre de la Commission Economique pour l'Europe relevant de
l'Organisation des Nations Unies. La Commission estime que la Communauté
Economique Européenne est compétente pour conclure cet accord ; le Conseil
des Ministres s'y oppose en raison de "l'absence d'une disposition expresse du
Traité" sur ce point. Le principe de "l'effet nécessaire" permet alors à la CJCE
de donner raison à la Commission. L'argumentation juridique qu'elle produit se
fonde sur l'article 75 du Traité CEE qui donne compétence largement définie à
la Communauté pour mettre en place une politique commune des transports.
La cour reconnaît, ensuite, qu'aucune disposition du Traité CEE ne prévoit
expressément compétence en matière de conclusion d'accords internationaux.
Nonobstant, le Juge se prononce néanmoins pour la compétence de la
Communauté.
D'abord, parce que l'article 210 du Traité CEE donne à la CEE la
personnalité juridique, ce qui établit qu'elle a capacité à conclure des
conventions avec les Etats - tiers ; ensuite, parce que le Traité CEE donne
comme mission à la CEE l'établissement d'une politique des transports; enfin,
parce que l'article 75 verrait son effet compromis si "les dispositions utiles"
24
Le modèle européen de production du Droit matériel
que peut prendre le Conseil à cette fin "ne devaient pas s' étendre à la
conclusion d'Accords avec les Etats - tiers".
La portée de l'accord AETR est également fondamentale. La raison en
est qu'en se fondant sur "l'effet utile" en l'espèce, la Cour pose un principe
d'interprétation qu'elle appliquera à l'ensemble des Traités. Non seulement la
Communauté se voit reconnue comme sujet autonome du Droit International,
mais ses compétences externes sont largement étendues par la référence à
l'effet utile.
C - La sauvegarde des traités : l'arrêt dit des Pêcheries
L'article 155 du traité CEE fait de la Commission la gardienne des
Traités. "Elle veille à l'application du présent Traité ainsi que des dispositions,
prises par les institutions, en vertu de celui-ci", alinéa premier.
Dans l'affaire dite des Pêcheries, l'acte d'adhésion du Royaume Uni à la
CEE (1972) prévoyait qu'à l'issue d'une période transitoire, les mesures à
prendre pour la conservation des ressources naturelles maritimes relèveraient
de la compétence communautaire dans le cadre de la politique commune de la
pêche.
Le Conseil des Ministres de la Communauté n'ayant pas, dans les délais
souhaitables, pris les mesures de conservation, le gouvernement britannique en
tira argument pour se soustraire à la compétence communautaire et retrouver sa
compétence unilatérale et nationale. L'inaction de la Communauté reconnue, le
Juge n'en conclut pas moins que "le transfert de compétence en la matière étant
total et définitif au profit de la Communauté, une telle carence n'a pu, en aucun
cas, restituer aux Etats membres, la compétence et la liberté d'agir en ce
domaine" (CJCE, 5 mai 1981, Commission c/Royaume - Uni 804/79 Rec., pp
1045 ; 1072 ; 1076). C'est le principe dit de la sauvegarde des Traités.
25
Intégration régionale comparée
A travers ces trois principes, la jurisprudence européenne a trouvé les
régulations juridiques globales nécessaires à la cohérence du programme
européen d'intégration régionale. Les quarante années de jurisprudence de la
CJCE et des Juridictions nationales ont été déterminantes dans la construction
de l'Europe, structurée autour de politiques communes décidée par les
gouvernements, mais aussi façonnées par les décisions des juges qui leur ont
donné un champ de développement conforme à l'objectif global d'intégration.
C'est ainsi que le Droit européen s'est progressivement constitué, non pas dans
le cadre d'une "superstructure" mais d'une "commune structure" (9).
III- Le droit de la commune structure
Le Droit européen ne se superpose pas. Il s'impose dans un espace
juridique en voie de développement, chaque phase décisive du chantier Europe
apportant sa contribution à une construction dont la problématique est fédérale.
Il convient de distinguer le droit primaire, ou originaire, du droit dérivé.
A - Le droit originaire
Il est constitué par les trois traités de départ : le Traité CECA du 18
avril 1951, entré en vigueur le 23 juillet 1952 ; le Traité CEE du 25 mars 1957
entré en vigueur le 1er janvier 1958 ; et le Traité Euratom CEEA, même date.
Ces textes fondateurs sont complétés par une série de protocoles qui ont "une
force impérative" égale à celle des trois Traités. Le droit primaire ou originaire
est enrichi aujourd'hui par de nombreux traités qui jalonnent l'histoire de
l'intégration européenne, en particulier, le Traité du 8 avril 1965, instituant une
logique d'unification institutionnelle, avec un Conseil des ministres et une
Commission unique ; la décision du 20 septembre 1976 sur l'élection au
26
Le modèle européen de production du Droit matériel
suffrage universel direct des représentants au Parlement européen entré en
vigueur le 17 juillet 1979 ; les Traités d'adhésion qui concernent aujourd'hui
neuf pays ; l'Acte Unique européen des 17 et 28 février 1986 entré en vigueur
le 1er juillet 1987 ; le Traité de Maastricht du 7 février 1992 entré en vigueur le
19 janvier 1993 et dernièrement, le Traité d'Amsterdam signé le 2 octobre
1997 et entré en vigueur le 1er avril 1998.
B- Le droit dérivé
La qualification des actes qui entrent dans le droit dérivé se trouve dans
l'article 189
amendé du Traité CEE. On y distingue les actes dérivés
obligatoires des actes non obligatoires. Mais la CJCE n'accorde qu'une
importance relative à la qualification formelle, sa jurisprudence s'appliquant à
déterminer l'objet de l'acte, son contenu et procédant parfois, dans le contexte,
à une requalification.
Au titre des actes dérivés obligatoires, on compte le règlement
communautaire qui est de base (en application directe d'une disposition du
Traité) ou d'exécution. Pour le règlement d'exécution, interviennent le Conseil
(art.145 Traité CEE) ou la Commission (art.155 Traité CEE). La pièce la plus
originale, mais aussi la plus performante, est la directive. Elle est prévue à
l'article 189 du Traité CEE et se trouve ainsi définie : "norme liant tout Etat
membre destinataire quant au résultat à atteindre tout en laissant aux instances
nationales la compétence quant à la forme et aux moyens". C'est grâce aux
directives datant de la période où J. Delors présidait la Commission, que les
pays membres ont pu être prêts, ensemble, pour l'Europe sans frontières (1er
janvier 1993) ou, aujourd'hui, pour l'abandon des monnaies nationales au
profit de la monnaie unique (1er janvier 2002).
La décision et les actes issus de la pratique des institutions complètent
27
Intégration régionale comparée
la catégorie des actes dérivés obligatoires. La décision a pour but d'appliquer à
un sujet de droit le droit européen ; elle est d'effet direct et ne se réclame pas de
norme nationale la transposant. Les actes issus de la pratique des institutions
sont assimilables aux actes internes ; leur effet juridique est ici
intrainstitutionnel ou Au Dans le droit dérivé non obligatoire, on trouve les avis
et recommandations (cf. C.A.Morand, «les recommandations, les résolutions et
les avis en droit communautaire », Cahier de Droit Européen 1970, p.263 et
suivantes).
Au droit produit par la commune structure, il faut ajouter le droit issu
des Accords externes, les sources complémentaires que sont les Accords entre
les Etats membres, sans oublier la Jurisprudence et les principes généraux du
droit.
Dans son arrêt International Handelsgeselfschaft et Köster, la Cour
rappelle avec justesse` "que le respect des droits fondamentaux fait partie
intégrante des principes généraux dont la Cour de Justice assure le respect ; que
la sauvegarde de ces droits doit être assurée dans le cadre de la structure et des
objectifs de la communauté" (CJCE International Handelgeselfschaft Köster
11/70 et 25/70 Rec p.1123 ; 1133 ; 1161 et 1176). Dans cette dimension,
l'intégration juridique européenne n'est pas exportable partout car elle s'est
construite sur une forte exigence, à la fois sur le niveau de la pratique
démocratique et de l'effectivité des Droits. Il est symptomatique de constater
qu'aujourd'hui, dès lors qu'un de ces deux objectifs est ébranlé, c'est la structure
commune qui vacille.
"Constituée d'Etats de Droit, la Communauté européenne est
nécessairement une Communauté de Droit. Sa création, comme son
fonctionnement, autrement dit, le pacte communautaire repose sur l'égal
respect, par les Etats membres de l'ordre juridique communautaire" (11). La
28
Le modèle européen de production du Droit matériel
logique de cette Communauté de Droit est peut-être plus d'avoir à s'imposer
plutôt qu'à composer démocratie et Droits de l'Homme, surtout lorsque l'on
regarde vers l'Est européen et le Sud balkanique ou méditerranéen (12).
Notes
(1) Sur le Droit européen, les ouvrages sont nombreux ; voir J.C. Gautron, Droit
européen, Dalloz 8ème éd.,1998.
(2) Cf. P.Manin, Les Communautés européennes, Pédone, 4ème éd., 1998.
(3) Cf. J.Boulouis Droit institutionnel de l'Union européenne Montchrétien, 6ème éd.,
1997.
(4) Le "Quid leges sine moribus ?" des Latins.
(5) Cf. M.C. Bergerès, Contentieux communautaire, PUF, 1994.
(6) En 1990, la Commission, préoccupée par la non-exécution des arrêts a publié un
Rapport qui dénombre 86 cas de non-exécution ou d'inexécution partielle sur les arrêts
antérieurs à 1989.
(7) Cf. F. Fines, Etude sur la responsabilité extracontractuelle de la CEE, Thèse
Bordeaux, 1989
(8) Cf. P. Manin, Les Communautés européennes, précité.
(9) Nous avançons ce concept de "commune structure" dans le contexte d'une Europe
qui s'interroge toujours sur ses institutions, cf. P. Moreau Desfarges, Les Institutions
européennes, Armand Colin 1995, et J. L. Quermonne, Le système politique de
l'Union européenne, Montchrétien, 1998.
(10) Les Traités de Rome, Maastricht et Amsterdam. Textes comparés, La
Documentation française, Ed. 1998.
(11) Cf. M.Darmon, Conclusions dans l'affaire Johnson, 15 mai 1986, 222/84 Rec.,
p.1656.
(12) La logique "impériale" est bien mise en valeur dans l'ouvrage de Lester Thurow.
La maison Europe: superpuissance du XXI siècle, Préface de Jacques Delors, Traduit
de l'américain par J. Fontaine, Calmann Levy, 1992.
29
Intégration régionale comparée
Les mécanismes juridiques d’intégration régionale
en Afrique noire : une application originale du modèle
européen
Guillaume FOUDA,
Docteur en droit, CERDRADI,
Université Montesquieu-Bordeaux-IV.
INTRODUCTION
La prétention est sans doute exagérée de vouloir parler de l’originalité
des mécanismes juridiques d’intégration régionale en Afrique si l’on s’en tient
au cadre strictement conventionnel des accords et traités qui sont
l’instrumentum juridique incontournable de tout processus juridique
d’intégration régionale (1). Sur ce point, il ne souffre d’aucun doute que
l’Afrique n’offre aucune singularité. Toutefois, la littérature relative au droit
international en Afrique d’une manière générale, et plus particulièrement en ce
qui concerne le droit de l’intégration régionale, présente quelques fois des traits
qui lui revendiquent une certaine originalité (2), tant au niveau des
préoccupations (développement, lutte contre la pauvreté, maintien de la paix,
protection des droits de l’homme, environnement) qu’au niveau de ses
fondements historiques (3). Les éléments qui se dégagent de ces différentes
analyses nous conduisent à mieux appréhender les mécanismes juridiques
d’intégration régionale en Afrique.
30
Les mécanismes juridiques d’intégration régionale en Afrique noire : une
application originale du modèle européen
La structuration des Organisations internationales (4) du continent
appelle dès lors une lecture plus attentive; tout comme les difficultés recensées
dans les différents processus d’intégration ne sont pas étrangères à ce
particularisme (5). En outre, il n’est pas tout aussi aisé d’aborder la question de
l’intégration régionale en Afrique dans une approche comparée au modèle
européen. Non seulement les différences sont énormes d’un point de vue
historique, économique, politique et culturel, mais plus encore, la pratique et
l’effectivité du droit de l’intégration sont loin de présenter quelques
similitudes. En essayant d’y réfléchir, nous trouvons néanmoins quelques
réponses à notre préoccupation. D’abord, la réalisation et les évolutions
actuelles de l’intégration européenne peuvent, à juste titre, être regardées
comme un archétype d’un point de vue de la technique juridique. L’Union
européenne se caractérise comme «un ordre juridique spécifique…un nouvel
ordre juridique qui s’écarte à la fois du droit international de type classique et
des modèles connus de droit fédéral, tout en empruntant cumulativement aux
deux» (6). Elle constitue un système institutionnel et normatif fondé sur une
«communauté de durée illimitée, dotée d’attributions propres, de la
personnalité, de la capacité juridique, d’une capacité de représentation
internationale et plus précisément de pouvoirs réels issus d’une limitation de
compétence ou d’un transfert d’attributions des Etats à la Communauté» (7).
Ensuite, l’Union européenne entretient avec les pays d’Afrique, des Caraïbes et
du Pacifique un ensemble de relations privilégiées qui encouragent
l’intégration régionale des Etats partenaires (8). Par conséquent, à partir du
31
Intégration régionale comparée
modèle européen, le regard que nous portons sur l’intégration régionale en
Afrique nous permet d’en ressortir les limites, les embûches sociopolitiques.
Nous pouvons ainsi faire le point, tant que le continent est loin d’atteindre une
certaine perfectibilité du modèle, sur les textes juridiques, la pratique, la
doctrine et les principes juridiques qui accompagnent le droit de l’intégration
régionale en Afrique noire.
Au niveau des textes, nous pouvons relever leur prolifération qui est le
reflet conséquent de la multitude d’organisations régionales ou sous-régionales
que compte le continent (9).
Au niveau de la pratique, l’effectivité de la mise en oeuvre du droit de
l’intégration se trouve largement compromise à cause des multiples obstacles
que l’on rencontre en Afrique pour ce qui est de l’application du droit, non
seulement au niveau sous-régional, régional ou continental, mais d’abord au
niveau de chaque Etat dont dépend largement l’effectivité du droit de
l’intégration (10).
Au niveau de la doctrine et des principes juridiques (11), nous pouvons
retenir leur rapprochement progressif au besoin d’effectivité, de juridisation, de
spécialisation, d’une part, de démocratisation et du respect des droits de
l’homme (12), d’autre part. Même si dans l’ensemble prévaut encore des
relations interétatiques qui sont le gage du respect de la souveraineté de chaque
Etat, certaines avancés ne cachent pas leur vocation supranational, par le biais
d’harmonisation ou d’uniformisation des législations nationales dans certains
secteurs ainsi que la création d’institutions supranationales (13) ayant en
32
Les mécanismes juridiques d’intégration régionale en Afrique noire : une
application originale du modèle européen
principe vocation à se substituer aux organes étatiques.
Les mécanismes juridiques d’intégration régionale en Afrique noire tels
que nous les abordons aujourd’hui, ne saurait donc afficher un aspect définitif
et achevé. Ils sont pour l’essentiel en formation et connaissent de nombreuses
mutations qui dissimulent mal leur caractère expérimental. Aussi se présentent
ils comme des moyens d’institutionnalisation d’une certaine idée de l’unité
africaine qui s’oppose à un Etat africain lui même en formation.
33
Intégration régionale comparée
I - La difficile institutionnalisation d’une mystique d’unité sans cesse
fuyante
L’idée de l’unité africaine correspond à un projet très ancien et d’une
particulière ambition. Non seulement nous pouvons juridiquement la lire dans
les premières constitutions des Etats nouvellement indépendants (14), mais
encore, elle est l’expression de la conscience d’une solidarité régionale. Les
gouvernants des Etats africains ont souvent affirmé la personnalité originale de
l’Afrique, considérée dans son ensemble et par rapport aux autres parties du
monde. Dans cette particularisation, il est aussi question de surmonter des
oppositions tenant à l’histoire, à la langue, à la civilisation, aux caractéristiques
même des peuples d’un continent très diversifié. Le contexte constitutionnel
actuel (15) ne manque pas de ressortir cette préoccupation que démontrent
respectivement l’affirmation péremptoire de l’attachement des Etats à la Charte
africaine des droits de l’homme et des peuples qui parfois, «fait partie
intégrante» de la Constitution et a «une valeur supérieure à la loi interne» (16)
d’une part, et la proclamation d’un attachement à la cause de l’unité africaine
et l’engagement constitutionnel de «tout mettre en oeuvre pour réaliser
l’intégration sous-régionale et régionale» (17), d’autre part.
L’Organisation de l’unité africaine et l’Union africaine qui est appelée à
la remplacer sont l’émanation de ces différentes préoccupations. Mais, il faut
bien admettre que la construction d’une Organisation continentale capable
d’être le reflet de la réalisation d’un degré appréciable d’intégration ne peut se
faire sans s’appuyer sur des fondements théoriques et stratégiques de la
34
Les mécanismes juridiques d’intégration régionale en Afrique noire : une
application originale du modèle européen
«construction communautaire» (18) où, le type d’institutions à mettre en place,
les mesures concrètes à promouvoir et les échéances à fixer dépendent
directement de la nature et des éléments à intégrer. Il faut donc pouvoir tenir
compte du contexte, de la nature des acteurs en présence et des enjeux qui les
réunissent ou qui sont susceptibles de les réunir à savoir : une convergence des
stratégies nationales, une démarche progressive et flexible, le rôle de l’Etat et
des
Organisations
non
gouvernementales,
l’approfondissement
des
connaissances du phénomène et des mécanismes d’intégration.
L’intérêt d’une Union africaine, ultime étape d’un difficile processus
d’intégration régionale, devra se mesurer à sa capacité à transcender la
survivance des stratégies qui tiennent comptent des affinités géographiques,
historiques, linguistiques, économiques et monétaires et qui sont la marque
d’une intégration sous-régionale et d’une intégration sectorielle plus effective.
A - De L’O.U.A à l’Union africaine, à la recherche de l’Organisation
continentale
Le traité constitutif de l’Union africaine a été adopté lors du XXXVIe
sommet de l’O.U.A à Lomé le 12 juillet 2000. La nouvelle organisation fixe,
aux termes de l’article 3 du traité, une litanie d’objectifs dont les plus
récurrents comme «réaliser une plus grande unité et solidarité entre les pays
africains et entre les peuples d’Afrique ; défendre la souveraineté, l’intégrité
territoriale et l’indépendance de ses Etats membres ; accélérer l’intégration
politique et socio-économique du continent ; promouvoir et défendre les
positions africaines communes sur les questions d’intérêt pour le continent et
ses peuples ; favoriser la coopération internationale, en tenant dûment compte
35
Intégration régionale comparée
de la Charte des Nations unies et de la Déclaration universelle des droits de
l’homme ; promouvoir la paix, la sécurité et la stabilité sur continent» côtoient
ceux d’une nouvelle génération: «promouvoir les principes et les institutions
démocratiques, par la participation populaire et la bonne gouvernance ;
promouvoir et protéger les droits de l’homme et des peuples conformément à
la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et autres instruments
pertinents relatifs aux droits de l’homme ; coordonner et harmoniser les
politiques entre les Communautés économiques existantes et futures en vue de
la réalisation graduelle des objectifs de l’Union».
Aussi, retrouve- t- on dans les principes dont se dote l’Union une
catégorie qui s’attache à en présenter le caractère innovateur: «respect des
principes démocratiques, des droits de l’homme, de l’Etat de droit et de la
bonne
gouvernance ;...condamnation
et
rejet
des
changements
anticonstitutionnels de gouvernement ».
Sur le plan institutionnel, la création d’un «Parlement panafricain»
(art.17), d’une «Cour de justice de l’Union» (art.18) et d’un «Comité des
représentants permanents» (art.1) participe du même projet.
Toutefois, pour mieux saisir les actuelles préoccupations africaines de
construire une Organisation d’intégration à l’échelle continentale, on ne saurait
faire l’impasse des étapes qui ont marqué l’histoire du processus postulé.
L’évolution de l’idée de l’unité africaine peut dès lors être théorisée comme
étant un compromis permanent entre les tenants d’une intégration fédéraliste de
l’Afrique post-coloniale, les tenants d’une coopération étroite entre les Etats
indépendants et également souverains et aussi, le scepticisme de la critique qui
dénie aux Etats toutes capacité de pouvoir transcender le poids des différences
et de se soustraire d’une partie de leur souveraineté. Ce bref schéma théorique
explique parfaitement ce qu’ont été les «années O.U.A.». L’Organisation de
36
Les mécanismes juridiques d’intégration régionale en Afrique noire : une
application originale du modèle européen
l’unité africaine s’est imposée, tant en Afrique que dans la vie internationale,
comme une organisation régionale aux termes du chapitre VIII de la Charte des
Nations Unies. Cette qualité lui a valu son rôle dans les rapports macrodiplomatiques des Etats africains entre eux et avec le reste du monde. Ainsi,
l’Organisation a t- elle représenté un «cadre de concertation, un forum où les
Africains apprennent à mieux se connaître et à développer le sentiment de la
solidarité de leur destin»(19).
Dans une étude qui décrit les débuts du processus de regroupement des
Etats africains au lendemain des indépendances, P.Lampué (20) remarquait
déjà que si l’idée de l’unité africaine a été abordée d’une manière confuse et
qu’on s’est référé tantôt à l’Afrique des ethnologues tantôt à l’Afrique
géographique, le sentiment de l’appartenance à un seul ensemble a fourni le
cadre à l’appui de l’unité et a donné à l’O.U.A., au-delà des tendances qu’elles
recoupe, un espace numériquement important (une cinquantaine d’Etats) pour
débattre des problèmes communs. Cette vocation à regrouper de façon très
large des tendances diverses qui se dégagent dès les fondations de
l’Organisation avec les groupes dits de Monrovia et de Casablanca représentant
respectivement une conception de l’unité respectueuse de la souveraineté de
chaque Etat et une vue fédéraliste de l’Afrique. Les principes régissant
l’Organisation et les organes institués s’attacheront à tenir un équilibre
davantage fragilisé par le développement d’un phénomène de groupe très
marqué (21).
Au bout du compte, la Charte d’Addis-Abeba (25 mai 1963) fonde
l’Organisation de l’unité africaine sur les principes de «l’égalité souveraine de
37
Intégration régionale comparée
tous les Etats membres, la non-ingérence dans les affaires intérieures des
Etats, le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de chaque Etat
et de son droit inaliénable à une existence indépendante...»(art. 3). Ces
principes tendent à la réalisation des objectifs énoncés à l’article 2 de la Charte
et principalement, à «renforcer l’unité et la solidarité des Etats africains et
malgache». Mais, on retiendra que l’action de l’organisation est exclusivement
menée dans un ensemble de mécanismes qui s’inscrivent dans le domaine du
droit international classique (droit des traité, droit des relations diplomatiques
et consulaires, règlement pacifique des différends).
Au regard de la récurrence de cet objectif d’unité, on ne peut que dégager une
infime différence entre la démarche de l’O.U.A et l’Union africaine dont la
réalisation n’échappera certainement pas à un processus d’intégration
continentale en perpétuelle perspective.
L’O.U.A. s’est sans doute employée à développer entre les Etats une
coopération économique et technique par le biais de la création d’un «marché
commun» ou d’une «Communauté économique». La fin des années soixantedix est marquée à ce sujet d’une étroite collaboration entre l’O.U.A et la
Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique dont la stratégie
tient, pour l’essentiel, à la résolution des problèmes de développement et à
l’intégration régionale en Afrique (22).
Le plan d’action de Lagos issu de la Conférence des Chefs d’Etat et de
gouvernement du 28 et 29 avril 1980 dans la capitale nigériane poursuivra dans
la même lancé. Il est entre autres questions, dans la perspective d’un nouvel
ordre économique mondial, de promouvoir le développement économique et
social et de favoriser l’intégration des économies en vue d’accroître l’auto
38
Les mécanismes juridiques d’intégration régionale en Afrique noire : une
application originale du modèle européen
dépendance, amorcer un développement endogène et autoentretenu. La
perspective de cette étroite coopération économique tendant, selon les
résolutions prises, à instaurer au niveau sous régional, régional et continental
un marché commun africain prélude à une Communauté économique africaine
(23) tout aussi ambitieuse. Elle se donne pour but de promouvoir la
coopération et le développement dans tous les domaines de l’activité humaine,
de maintenir et de promouvoir la stabilité économique, d’instaurer des
relations étroites et pacifiques entre les Etats membres et de contribuer au
progrès, au développement et à l’intégration économique du continent.
La démarche envisagée se veut elle même plus réaliste, la Communauté
étant appelée a être progressivement mise en place au cours d’une période de
transition de trente-quatre ans maximum subdivisée en six étapes de durée
variable dont la dernière verra l'intégration de tous les secteurs économiques, la
création d’un marché intérieur unique ainsi qu’une union économique et
monétaire panafricaine, le parachèvement du processus d’harmonisation et de
coordination des activités des communautés économiques régionales, le
parachèvement de la création d’un Fonds monétaire africain, la création d’une
banque centrale unique ainsi qu’une monnaie africaine unique. Un excès
d’optimisme amènera même d’aucun à parler de la Communauté économique
africaine comme une «étape décisive pour l’application d’une norme du droit
international africain du développement» (24).
Paradoxalement, la création récente de l’Union africaine ne conduit - elle
pas a dire que l’Afrique apparaît toujours comme en quête d’une organisation
d’intégration à l’échelle du continent; le fonctionnement de la C.E.A. restant à
voir et l’O.U.A se défendant d’un bilan à l’image des difficultés recensées
39
Intégration régionale comparée
(faiblesses des relations inter africaines, multiplication des conflits armés,
instabilité politique, pauvreté économique...) ?
L’action politique et diplomatique des essais d’intégration à l’échelle
continentale se limiterait ainsi aux déclarations et à l’affirmation d’une Afrique
dans la vie internationale en marge de tout processus d'intégration associant la
technique juridique à la perspective envisagée. La détermination des Etats
africains à mettre en place une intégration régionale et sous-régionale plus
audacieuse, au sens de l’institutionnalisation progressive d’instance à
compétence supranationale, précise davantage le caractère prospectif du
phénomène juridique de l’intégration régionale en Afrique. Il n’est même pas
exagéré de voir dans la démarche institutionnelle, une imitation du modèle
européen, mimétisme qui se dégage d’emblée de la sémantique (Union
européenne – Union africaine ; Communauté économique africaine –
Communauté économique européenne) même si n’y a pas de grandes
similitudes dans les principes, l’effectivité et la diffusion des mécanismes
juridiques d’intégration.
B - Les solidarités géographiques et l’expérience du processus
d’intégration sous-régionale
Autant il peut être facile de présenter le phénomène d’intégration
régionale à l’échelle sous-régionale en Afrique comme l’émanation d’une
démarche méthodique permettant de contourner les obstacles d’une intégration
continentale très large, autant il est vrai que les solidarités géographiques et les
liens historiques post coloniaux ont marqué une première étape du
regroupement des Etats au sein d’Organisations de coopération à dimensions
40
Les mécanismes juridiques d’intégration régionale en Afrique noire : une
application originale du modèle européen
variables (25). En effet, le maintien des divisions territoriales nées de l’histoire
ne s’opposait en rien au regroupement des Etats accédant à l’indépendance.
Cette tendance s’est manifestée essentiellement dans l’Afrique d’expression
française (26). Le premier but que s’assignent les gouvernements de ces Etats
est très modeste ; il s’agit pour l’essentiel de reconstituer, sous une forme
nouvelle, les unions formées au cours de la période antérieure. Aujourd’hui, les
développements du mouvement d’intégration dans ces deux régions d’Afrique
impliquent, sans doute, d’une part, «la recherche d’un patrimoine historique
perdu qui elle même s’inscrit dans une mystique d’unité, d’une identité
culturelle et sociale dont les racines et la légitimité historiques sont plus fortes
que celles proposées par les Etats actuels» (27). D’autre part, ils sont la
conséquence d’un regain d’intérêt que suscite le phénomène au niveau mondial
et dont le succès de l’expérience européenne peut être regardée comme l’une
des matrices qui mettent en exergue les avantages de l’unité et de la
coopération régionale pour braver les défis d’un marché mondial de plus en
plus concurrentiel. Ici, si les préoccupations économiques et monétaires
priment sur les aspects politiques, le droit apparaît comme une équation
efficace pour rapprocher les entités étatiques par le biais d’une dilution
progressive des souverainetés étatiques, la mise en commun de procédures et
d’institutions adéquates.
Dans ce schéma, l’Afrique de l’ouest se présente comme la partie du
continent où les initiatives en faveur des regroupements à vocation régionale
sont les plus nombreuses et les plus audacieuses. Depuis 1952, date de la
constitution de la Mission d’aménagement du fleuve Sénégal, on dénombre une
41
Intégration régionale comparée
quarantaine d’organisations de coopération régionale. Mais de ces multiples
organisations, quelques unes seulement ont été particulièrement bien
structurées (28), la Communauté économique et de développement des Etats de
l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) et l’Union économique et monétaire ouest
africaine (UEMOA) traduisant objectivement le choix de notre analyse.
La première Organisation issue du Traité de Lagos du 28 mai 1975
marque la réalisation d’un projet d’intégration assez important. Elle compte
seize Etats qui s’engagent à construire une Marché commun dont les étapes
successives tiennent compte du niveau de développement économique de
chaque Etat membre. Elle prévoit de ce fait, la libre circulation des biens des
services et des personnes, l’harmonisation progressive des tarifs douaniers
ainsi que le projet d’une monnaie unique (initialement fixée à 1994, elle a été
reportée à l’horizon 2000). Paradoxalement, le fonctionnement de la CEDEAO
dénote clairement que les Etats membres n’ont pas accepté avec suffisamment
de conviction leurs obligations respectives (29). Les modifications et les
nouvelles perspectives apportées par la révision du Traité (30) s’entendent dès
lors comme une volonté de redynamisation du processus d’intégration. Elles
définissent, à terme, la CEDEAO comme la seule Communauté économique de
la région et essaie un aménagement plus précis des relations entre ladite
communauté et les autres organisations intergouvernementales ouest africaines.
Ce changement d’orientation se manifeste aussi dans le statut supranational de
la Communauté par rapport à l’action entreprise en vue de mettre en commun
les souverainetés nationales, à renforcer les institutions communes et rendre
42
Les mécanismes juridiques d’intégration régionale en Afrique noire : une
application originale du modèle européen
leurs décisions directement exécutoires dans les Etats membres (31).
L’UEMOA créée par le Traité de Dakar du 10 janvier 1994 et dont les
fondements remontent à l’ancienne UMOA de 1962 a, elle aussi, vocation à
approfondir l’intégration économique de ses membres en complétant l’union
monétaire initiale par une union économique comportant un marché commun
basé sur la libre circulation des personnes, des biens, des capitaux et des
services, le droit d’établissement, un tarif douanier commun et une politique
commerciale commune. Il est, en outre, envisagé l’harmonisation des
législations des Etats membres dans la mesure nécessaire au bon
fonctionnement de l’Union. Sur le plan institutionnel, on retiendra à côté des
organes comme la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement, le Conseil
des ministres, l’émergence d’une Commission comme organe exécutif de
l’Union et dont les actes d’application (règlements) des décisions du Conseil
ont vocation à être directement applicables dans les Etats membres.
L’existence d’une Cour de justice de l’Union ayant compétence à connaître en
manquement le non respect par les Etats de leurs obligations communautaires
participe sans doute du même projet.
Le processus d’intégration dans la région Afrique centrale répond
quasiment au même schéma par le biais d’une Communauté économique et
monétaire d’Afrique centrale (CEMAC) issue du 63e et dernier sommet de
l’UDEAC du 5 février 1995 à Libreville où il est aussi question pour les Etats
membres d’approfondir et de redynamiser leur processus d’intégration par
l’établissement «d’une union de plus en plus étroite entre les peuples des Etats
membres en vue de raffermir leur solidarité géographique et humaine et... de
participer à la création d’un véritable marché commun africain et consolider
43
Intégration régionale comparée
l’unité africaine»(32). Cette intégration est sous-tendue par deux piliers: une
Union économique (U.E.A.C) ayant pour mission d’assurer la convergence des
performances et politiques économiques, de promouvoir un environnement
favorable au droit des affaires et finalement de créer un marché unique et, une
Union monétaire (U.M.A.C.) appelée à consolider les liens de coopération
monétaire qui existent depuis plusieurs décennies entre les Etats membres.
L’existence de la Communauté économique des Etats d’Afrique centrale
(CEEAC) (33) qui regroupe les Etats membres de la CEMAC plus l’ex-Zaïre,
le Rwanda, le Burundi, l’Angola et Sao-Tomé et Principes pourrait bien être
présentée en parallèle à la CEDEAO (34). Mais le fait que depuis sa création la
CEEAC n’ait pas connu un «fonctionnement harmonieux» (35) et qu’elle
apparaît systématiquement comme absente dans l’actuelle dynamique juridique
d’intégration nous amène à lui accorder peu d’intérêt et à observer une certaine
réserve quant à la cohérence du processus d’intégration en Afrique.
Admettre que les observations empiriques présentent l’intégration
régionale en Afrique comme ne procédant pas d’une «philosophie endogène»
(36) mais plutôt comme une démarche mimétique où l’Europe serait la
principale source d’inspiration (37), explique certainement l’essai d’une
approche sectorielle et fonctionnelle supranationale par le biais de
l’uniformisation et de l’harmonisation de certaines branches des droits
nationaux.
44
Les mécanismes juridiques d’intégration régionale en Afrique noire : une
application originale du modèle européen
C - L’intégration sectorielle, essai d’une approche fonctionnelle : l’exemple
de l’O.H.A.D.A. (38)
L’intégration sectorielle entraîne en Afrique une démarche différente du
processus d’intégration. En privilégiant une approche fonctionnelle,
l’intégration juridique du droit des affaires en Afrique offre un champ
expérimental non négligeable.
D’abord, elle transcende la seule proximité géographique (39) et se fonde
sur des atouts et des réalités en termes de «situation favorable» à l’intégration:
l’usage de la langue, une monnaie commune, des pays ayant partagé un droit
commun issu de la législation française de l’époque coloniale et post coloniale.
Ensuite, l’O.H.A.D.A. met en exergue le phénomène juridique
d’intégration par le biais de l’«harmonisation» et l’«uniformisation» des droits
nationaux. Par cette méthode, les Etats sont progressivement amenés à établir
«un environnement juridique commun» (40) où les distorsions, parfois très
grandes entre les systèmes juridiques sont atténuées, la méthode présentant
entre autres avantages une sécurité juridique puisque la connaissance de la
législation d’un Etat donné garantit qu’il s’agit de la même dans les autres
Etats faisant parties de l’espace juridique intégré (41).
Le Traité O.H.A.D.A. dont les commentaires et analyses (42) démontrent
du caractère innovateur amène pour la première fois le juge constitutionnel
(43) africain à se prononcer sur la question du transfert des compétences
45
Intégration régionale comparée
souveraines de l’Etat à une Organisation internationale et à admettre
explicitement le principe de la supranationalité du droit qui en émane car il faut
le souligner, le débat constitutionnel dans les Etats africains doit s’inscrire dans
la logique d’un «constitutionnalisme sur lequel repose la société de droit et
l’intégration régionale» (44). De manière générale, l’OHADA a pour objet
«l’harmonisation du droit des affaires dans les Etats parties par l’élaboration
de règles simples, modernes et adaptées à la situation de leurs économies, par
la mise en oeuvre de procédures judiciaires appropriées et par
l’encouragement du recours à l’arbitrage» (article 1).
L’Organisation structure son fonctionnement autour des organes
suivants: le Conseil des ministres de la Justice et des Finances, la Cour
commune de justice et d’arbitrage, le Secrétariat permanent et une Ecole
régionale de la magistrature (article 3). Mais, c’est davantage la procédure de
décision portant acte d’harmonisation qui suscite un regain d’intérêt. suivant
les articles 5 à 14 du Traité, l’harmonisation du droit des affaires (45) est
préparée par le secrétariat permanent en concertation avec les gouvernements
des Etats membres qui disposent d’un délai de 90 jours pour faire leurs
observations écrites. Elle est ensuite délibérée et adoptée à l’unanimité par le
Conseil des ministres après avis de la Cour commune de justice et d’arbitrage
dans un délai de 30 jours. La décision d’harmonisation entre en vigueur 90
jours après son adoption et est directement applicable et obligatoire dans le
droit interne des Etats. Cette dernière précision comportant la marque
suffisante du caractère objectivement opposable et supranational des normes
d’harmonisation. On n’est pas loin de se rappeler le Traité CECA comme
fondement de la construction communautaire en Europe et de voir dans la
46
Les mécanismes juridiques d’intégration régionale en Afrique noire : une
application originale du modèle européen
technique d’harmonisation et d’uniformisation du droit dans un secteur
particulier (le droit des affaires) de l’OHADA, une perspective nouvelle de
l’intégration régionale en Afrique (46).
Au demeurant, le mouvement renouvelé du processus d’intégration
régionale suscite toujours une certaine perplexité. Depuis les indépendances
africaines, les initiatives d’intégration sont nombreuses mais le plus souvent
décevantes (47). Sur le plan politique, les instabilités ne sont pas résorbées et
sur le plan économique, les échanges inter-régionaux sont relativement faibles
(5% dans la CEMAC, 10% dans l’UEMOA) (48). Comment peut-on justifier
ce constat d’un point de vue juridique et institutionnel ? N’est-ce pas là l’Etat
africain face à la problématique de l’effectivité du droit de l’intégration?
II - L’Etat africain face à la problématique de l’effectivité du droit de
l’intégration, la difficile application d’un droit supranational
Un commentaire (49) peut être assez sévère du projet de constitution de
l’Union africaine parle d’une «illusion dangereuse» et le justifie en référence
au modèle européen. Il nous est donc opportunément rappelé que l’intégration
européenne fonctionne parce qu’elle trouve un terrain favorable. L’Union
européenne est d’abord une création fondée sur des valeurs, l’économie et la
politique sont inextricablement liées dans l’histoire de l’Europe récente.
Ainsi parle t-on objectivement à son sujet de libéralisation des échanges
commerciaux, du démantèlement des obstacles douaniers du marché, d’union
économique et monétaire, de politique étrangère commune, de défense
47
Intégration régionale comparée
commune. Ces différentes perspectives sont le prolongement objectif (50) du
plan Monnet – Schuman de 1950 qui consistait à mettre en commun (51) le
charbon et l’acier de la France et de l’Allemagne et de qui voulait s’associer à
ces deux Etats. A l’opposé, les références africaines sont d’une autre nature
(colonisation, néo-colonialisme, Traité de Berlin, F.M.I., multinationales...) et
définissent très peu ou pas du tout une africanité comme postulat d’intégration.
Une trop large projection du processus d’intégration occulterait donc les
obstacles réels qui se posent aux mécanismes juridiques de l’intégration et qui
placent l’Etat africain à l’avant-garde dudit processus. Si on peut d’une
certaine manière noter aujourd’hui une tendance où l’Etat africain consentirait
à céder un peu de sa souveraineté pour favoriser l’intégration régionale,
l’interétatisme comme moyen de coopération et d’échange inter africain reste
la règle, autant que les structures de l’Etat africain apparaissent insuffisamment
prêts pour soutenir une intégration durable et juridiquement fiable qui ellemême nous interpelle sur la perspective à envisager.
A - La dominance de l’interétatisme dans le processus juridique
d’intégration
Le voisinage géographique est certainement un élément nécessaire de
l’intégration régionale mais, il n’est guère suffisant pour donner au processus
d’intégration une quelconque réalité dans l’espace international ou dans l’Etat
sujet d’intégration.
Il s’agit donc de voir jusqu’à quel point les Etats acceptent de répondre à
une intégration qu’on entend dans une acception juridique comme «un
48
Les mécanismes juridiques d’intégration régionale en Afrique noire : une
application originale du modèle européen
processus et une situation qui, à partir d’une société internationale morcelée en
entités indépendantes (Etats) les unes des autres tendent à leur substituer de
nouvelles entités plus ou moins vastes dotées au minimum du pouvoir de
décision, soit dans un ou plusieurs domaines déterminés, soit dans l’ensemble
des domaines relevant de la compétence des entités intégrées, à susciter au
niveau des consciences individuelles, une adhésion ou une allégeance et, à
réaliser au niveau des structures, une participation de tous au maintien et au
développement de la nouvelle entité» (52).
Des trois éléments qui se dégagent de cette définition, à savoir : la
naissance d’une entité juridique nouvelle, un faisceau de compétences et une
adhésion socio-politique palpable, il faut reconnaître qu’à ce jour, l’Afrique
n’offre pas une structure régionale qui réponde parfaitement à cette définition.
Ce peu de succès est manifeste parce qu’il faut non seulement tenir compte du
facteur temps, mais surtout les Etats africains paraissent particulièrement
«jaloux» de leur souveraineté et il en résulte que les relations entre ces Etats
même sous le vocable d’intégration sont essentiellement des relations de
coopération intergouvernementale entendue comme «la nécessité de tenir
compte des rapports de force concrets et des intérêts particuliers respectifs»
(53) et par là même, justifie l’importance des mécanismes de conciliation et de
consensus au sein des organisations ayant vocation à regrouper les Etats.
La quasi totalité des Organisations africaines à vocation d’intégration
traduit cette philosophie politique qui laisse intactes les souverainetés dont on
rappelle à chaque occasion le caractère primordial dans des formulations
variées mais répondant au même but. «Union d’Etats indépendants et
souverains», «égalité souveraine des Etats membres, «non ingérence dans les
49
Intégration régionale comparée
affaires intérieures des Etats», «mise en oeuvre au plan régional d’une
politique active de coopération», «coopération étroite»... En plus, la préférence
des dirigeants africains va vers des organisations dont le domaine
d’intervention est limité aux problèmes d’ordre technique, l’idée étant qu’il
serait plus facile de «coopérer» dans ces domaines (54).
Plus schématiquement, les décisions émanant des Organisations
d’intégration ne comportent pas toujours un caractère contraignant. D’où
l’importance de distinguer entre les mesures, en quelque sorte d’ordre intérieur,
qui n’ont d’application qu’à l’intérieur de l’Organisation d’une part, et les
délibérations qui concernent le comportement des Etats à l’extérieur de
l’Organisation d’autre part. Si les premières ont sans aucun doute force
obligatoire car, elles obligent tous les organes de l’Organisation (règlement
intérieur, statut du personnel...), les secondes n’ont pas toujours l’effet
juridique escompté, tout dépendant de l’attitude de l’Etat destinataire (55).
Ainsi donc, il apparaît justifié de qualifier de manière générale avec le Pr.
Gonidec, l’ensemble des Organisations internationales africaines comme des
Organisations de « simple coopération entre Etats qui ont conservé tout entière
leur souveraineté, le seul moyen pour ces Etats de créer des règles de droit par
définition obligatoire étant de recourir au procédé classique du droit des
traités» (56). A cela, s’ajoutent les précisions de l’analyse du processus
décisionnel (57) des Organisations internationales à vocation d’intégration
d’où se dégage d’emblée une approche juridique basée sur la souveraineté des
Etats et conditionnée par l’emprise quasi absolue des Etats membres sur le
50
Les mécanismes juridiques d’intégration régionale en Afrique noire : une
application originale du modèle européen
fonctionnement des institutions régionales elle-même caractérisée par la
prégnance des gouvernements nationaux au niveau des organes de décision.
Nous parlerons volontiers d’«intergouvernementalisme». On notera encore que
la procédure d’élaboration des actes «communautaires» donne une large place
au consensus, ce qui entraîne la faible portée des décisions qui s’en écarteraient
d’où un manque d’autonomie décisionnelle en comparaison au schéma de
l’article 189 du traité instituant la Communauté européenne. Il est aussi à
relever, l’inadaptation des structures permanentes de fonctionnement des
organisations internationales régionales c’est-à-dire, des secrétariats à vocation
d’intégration sujets à une tutelle très marquée des Etats et enfin, une approche
du contrôle juridictionnel très timide qui ne s’émancipe pas du poids de la
diplomatie et du politique et qui se situe en fin de compte à l’échelle du droit
international classique (58).
L’analyse du contrôle juridictionnel tant des actes des Etats que de
l’Organisation d’intégrante apparaît aussi comme révélateur du degré
d’intégration réalisable. Ici encore, l’exemple européen démontre, avec une
particulière pertinence tant par le nombre que par la qualité des décisions
rendues que, le juge joue un rôle de premier plan dans le processus
d’intégration où la Cour de justice de la Communauté européenne se présente
comme une institution incontournable (59). G. Isaac parle dans ce sens de
l’existence d’un «véritable pouvoir judiciaire» (60), la C.J.C.E. bénéficiant à
travers l’ensemble de ses fonctions et de ses moyens d’une indépendance
organique qui insinue un pouvoir autonome. En Afrique, on est loin de
connaître une dynamique jurisprudentielle similaire, non seulement au niveau
51
Intégration régionale comparée
régional parce que les instances juridictionnelles régionales sont toutes
récentes, mais aussi au niveau des juridictions nationales pour lesquelles les
normes internationales sont d’un horizon lointain (61).
Les mécanismes de recours contentieux ouverts aux particuliers pour
l’application des droits de l’homme illustrent parfaitement cette situation.
Alors que la Convention européenne des droits de l’homme a prévu dans
son article 25 un droit de recours individuel juridictionalisé par le Protocole
n°11 du 11 mai 1994, que le droit de recours individuel existe de plein droit
(après épuisement des voies de recours internes) devant la Commission inter
américaine des droits de l’homme où les Etats n’ont à exprimer aucun
consentement à la compétence de ladite Commission, la Charte africaine des
droits de l’homme et des peuples du 28 juin 1981 n’a pas initialement prévu
une juridiction. Elle a cependant institué une Commission compétente pour
recevoir les communications étatiques (art.47 et 49) et celles des autres O.N.G.
et particuliers. En outre, cette Commission n’a aucun pouvoir de décision. Elle
enquête sur les faits, tente un arrangement amiable et adresse son rapport à la
Conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement qui décide de le publier.
La création d’une Cour africaine des droits de l’homme et des peuples
adoptée par le Protocole n°1 de juin 1998 n’apporte pas de changement
fondamental à cette situation puisque, aux terme de l’article 34 dudit Protocole,
les particuliers et les O.N.G. ne sont admis à saisir la Cour qu’à condition que
l’Etat mis en cause ait au préalable accepté la compétence de la juridiction.
L’Etat africain reste de ce fait susceptible de s’extraire de la compétence d’une
juridiction ne présentant aucune originalité du point de vue du droit
international classique.
52
Les mécanismes juridiques d’intégration régionale en Afrique noire : une
application originale du modèle européen
B - Les limites et les insuffisances des structures étatiques
Les Organisations internationales ne valent-elles pas ce que valent les
Etats qui les composent? Cette question simple d’apparence souligne la
relation directe qui existe entre les difficultés du processus d’intégration
régionale et la radioscopie de l’Etat africain tant dans l’ensemble de ses
structures que dans celui très particulier de l’effectivité du droit, y compris
celui relatif à l’intégration régionale. Sans avoir à nous étendre sur ces aspects
qui revêtent par ailleurs un champ d’analyse riche et actualisé, nous pouvons
néanmoins relever quelques aspects.
D’un point de vue identitaire, «les bases sociologiques de l’Etat africain
sont génératrices de contradictions multiples et expliquent en partie leurs
difficultés à maîtriser les problèmes auxquels ils sont confrontés» (62).
D’un point de vue management, «l’incapacité croissante des Etats
africains à faire face à leurs obligations et à leur responsabilité internationales,
leur impuissance à gérer et à diriger leurs propres sociétés, sans même parler
de la banqueroute financière et de la faillite économique et sociale de
nombreux d’entre-eux conduit à reposer la question de la pertinence du modèle
de l’Etat-nation en Afrique et à reformuler les thèses ayant écumées du
régionalisme» (63).
Sur le plan institutionnel (64), les Etats africains ne bénéficient pas
encore d’une tradition juridique bien établie et de ce fait, les services de l’Etat,
«de moins en moins dotés et de plus en plus incapables» (65) ont perdu
53
Intégration régionale comparée
jusqu’aux apparences de légitimité.
Au total, une crise du modèle étatique africain (66) dont les capacités et
les atouts sont très faibles pour susciter une réelle dynamique d’intégration
régionale. Même en fondant cette dynamique sur des facteurs culturels (67), on
n’est pas à l’abri des tissus sociaux qui se désagrègent à l’intérieur des Etats
dont les conflits successifs nous éloignent de l’intégration postulée tout en nous
interpellant pour une perspective mais, laquelle?
C - Quelle perspective ?
Nous ne saurons être portés à décrire la perspective juridique des
mécanismes d’intégration régionale en Afrique en ignorant le cadre dans lequel
elle est abordée, à savoir sa référence au modèle européen. Il apparaît dès lors
opportun de souligner de nouveau la grande influence (68) présente dans le
cadre des rapports de coopération entre l’Union européenne et les pays A.C.P.
dont l’accord du 4 novembre 1995 portant modification de la IVe Convention
de Lomé prévoit expressément un article 5 énonçant des orientations
essentielles à la coopération. Ainsi peut on lire que «la coopération vise au
développement qui, centré sur l’homme, son acteur et bénéficiaire principal,
postule le respect et la promotion des droits de celui-ci». Les actions de
coopération et partant celles d’intégration s’inscrivent dans cette perspective
positive, où le respect des droits de l’homme est reconnu comme un facteur
fondamental d’un véritable développement et où la coopération elle-même est
conçue comme une contribution à la promotion de ces droits. Dans une telle
perspective, poursuit l’énoncé de l’article précité, la politique de
54
Les mécanismes juridiques d’intégration régionale en Afrique noire : une
application originale du modèle européen
développement et la coopération sont étroitement liées non seulement au
respect des droits de l’homme, mais aussi à la reconnaissance et à l’application
effective des principes démocratiques, à la consolidation de l’Etat de droit et à
la bonne gestion des affaires publiques. L’article 136 de la Convention ajoute à
ces orientations une série de mesures susceptibles d’accompagner et de faciliter
le processus d’intégration régionale en Afrique. On retiendra principalement, à
côté de la définition de politiques macro-économiques nécessaires au
développement du commerce, la mise en place et la réforme des cadres
législatifs et réglementaires appropriés ainsi que celle des procédures
administratives, l’appui au Etats A.C.P. pour développer leurs «capacités
internes» et leurs systèmes d’information. L’article 243 quant à lui insiste sur
la nécessité d’une interaction permanente entre les actions entreprises au
niveau de chaque Etat et celles des Organisations d’intégration régionale. On
citera à ce titre, des ajustements structurels intégrant dès leur début des
mesures propres à favoriser l’intégration régionale, l’harmonisation et la
coordination des politiques macro-économiques et sectorielles y compris dans
le domaine douanier et fiscal en vue d’atteindre le double objectif d’intégration
régionale et de réforme structurelle au niveau national, la libéralisation des
échanges et paiements transfrontaliers. Quoique, ces différentes orientations
s’inscrivent strictement dans le cadre conventionnel de coopération entre les
pays A.C.P. et l’Union européenne, elles ont aussi pour vocation d’avoir un
impact réel sur le processus d’intégration régionale en Afrique (69).
Il en est de même du principe de «normalité» (70) dont la formulation
comme concept théorique, objectif et politique de résolution des crises en
Afrique peut constituer une base méthodologique pour accompagner le
55
Intégration régionale comparée
processus d’intégration. Si la normalité ne peut en aucun cas signifier pour
l’Afrique le maintien du statu quo, elle est présentée comme un vecteur fiable
du développement durable en Afrique et de son intégration dans l’économie
mondiale. Sa mise en oeuvre revient à ce qu’on doit coller à la réalité, aux
chances concrètes et aux obstacles actuels et non pas partir de pures
abstractions. Aussi, les acteurs appelés à donner effet au processus
d’intégration en Afrique doivent ils bénéficier d’une parfaite connaissance du
terrain. Le Plan d’action du Caire (71) affirme par la même occasion,
l’importance d’inclure davantage la société civile dans tous les domaines et
souligne la nécessité d’une participation accrue des citoyens au processus de
décision par l’aménagement des divers rôles de l’Etat, des pouvoirs publics
décentralisés par rapport à ceux qui peuvent concerner les autres acteurs,
Organisations non gouvernementales et société civile notamment.
En somme, l’originalité des mécanismes juridiques d’intégration
régionales en Afrique se présente comme une multitude d’approches
susceptibles de faciliter le regroupement des Etats en entités supranationales
viables et effectives, que ce soit dans un espace global (l’ensemble du
continent) ou dans un espace plus réduit (sous-région, secteur d’activités).
Mais il se dégage des différentes analyses une pléthore de difficultés qui
réduisent sensiblement l’optimisme que suscitent certaines des Organisations
ayant vocation à faire l’intégration. Pour une intégration efficiente et efficace,
ne s’agit-il pas de façon prioritaire de prévoir le principe de la primauté du
droit, de moderniser et d’harmoniser les institutions et les législations
nationales ?
56
Les mécanismes juridiques d’intégration régionale en Afrique noire : une
application originale du modèle européen
Notes
(1) Charte des Nations Unies, Chapitre VIII ; R.Yakemtchouk, L’Afrique en droit
international, L.G.D.J, Paris 1971.
(2) F. Borella, « Le régionalisme africain en 1964, A.F.D.I. 1964, p.21-64 ; P.
Guillaume et J. Lagroye, « L’Afrique dans le monde, Les relations inter-étatiques »,
Année africaine, 1966, p.3-19 ; J.C. Gautron, « Le régionalisme africain et le modèle
interaméricain », Annales africaines, 1966, p.49 ; J.M Bipoun-Woum, Le droit
international africain. Problèmes généraux et règlement des conflits, L.G.D.J. Paris,
1970 ; P.F. Gonidec, Les relations internationales africaines, L.G.D.J., Paris 1996.
(3) P. Lampué, « Les groupements d’Etats africains », R.J.P.I.C., 1964, p.21-64.
(4) P.F. Gonidec, Les Organisations internationales africaines. Etude comparative,
L’Harmattan, Paris 1987 ; M. Glélé-Ahanhanzo, Introduction à l’O.U.A. et aux
Organisations régionales africaines, L.G.D.J. 1986.
(5) D. Darbon, « Crise du territoire étatique et communautarisme : les nouveaux
enjeux de l’intégration en Afrique noire », in Régionalisation, mondialisation et
fragmentation en Afrique subsaharienne, Karthala, 1998, p.61.
(6) J.C. Gautron, Droit européen, Dalloz, 9e éd. 1999, p.110.
(7) C.J.C.E, 15 juillet 1964, Costa c/ENEL, aff. 6/64, Rec.1141.
(8) J.J. Gabas, « L’Europe et les pays ACP : comment envisager une nouvelle
convention de Lomé ? », in La convention de Lomé en questions, Karthala, 1998,
p.25 ; B. Conte, » L’aide de l’Union européenne dans le domaine de l’intégration
régionale. L’exemple de l’Afrique de l’ouest, in La convention de Lomé en questions,
p.287 ; A. Pouillieute, « Bilan et perspectives de l’intégration sous-régionale en
Afrique », Afrique contemporaine, n°193, 2000, p.67.
(9) Une soixantaine suivant l’estimation de Azzouz Kerdoun, « Régionalisme et
intégration en Afrique. Vers un nouveau groupement des pays sahélo-sahariens »,
R.J.P.I.C. 1998, p.48-80 ; Organisation de l’unité africaine (O.U.A.), Communauté
économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (C.E.D.E.A.O.), Union économique et
monétaire ouest africaine (U.E.M.O.A.), Communauté économique des Etats
d’Afrique centrale (C.E.E.A.C.), Communauté économique et monétaire d’Afrique
centrale (CEMAC), Common market for Eastern and Southern Africa (COMESA),
Southern African Developpment Community (S.A.D.C.) ;Communauté économique
des pays des Grands lacs (C.E.PG.L), Conseil de l’Entente, Organisation pour la mise
en valeur du fleuve Sénégal (O.M.V.S.), Organisation internationale de lutte contre le
criquet migrateur africain (O.I.C.M.A.), Autorité permanente intergouvernementale
contre la sécheresse et pour le développement en Afrique de l’Est (I.G.A.A.D.),
Comité inter Etats de lutte contre la sécheresse au sahel (C.I.L.S.S.), Organisation pour
l’harmonisation du droit des affaires en afrique (O.H.A.D.A).
(10) G. Fouda, L’application des normes internationales dans les ordres juridiques
étatiques africains, thèse de doctorat en droit, Bordeaux IV, 1999.
57
Intégration régionale comparée
(11) J. Issa-Sayegh, « L’intégration juridique des Etats africains dans la zone franc »,
Penant, 1997, pp.5-31 et 125-163.
(12) V. Eteka Yemet, La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Etude
comparative L’Harmattan, 1996.
(13) G. Kenfack Douanji, « L’abandon de souveraineté dans le traité O.H.A.D.A. »,
Penant, 1999, p.125 ; J.J.Raynal, « Intégration et souveraineté: le problème de la
constitutionnalité du traité O.H.A.D.A.»,Penant 2000, p.5-22.
(14) La Constitution sénégalaise du 4 janvier 1959 entrevoit «l’unité africaine dans le
cadre d’une fédération démocratique». Celle du 7 mars 1963 parlera, quant à elle, de
«l’unité politique, culturelle, économique et sociale indispensable à l’affirmation de
l’unité africaine». La constitution camerounaise du 4 mars 1960 envisagera de façon
prudente la question en projetant l’unité africaine au moyen «d’une coopération étroite
entre les Etats africains». La Constitution togolaise du 14 avril 1961 se prononcera
dans l’optique de «préparer la voie de l’unité africaine», par une «étroite et totale
coopération» entre les Etats «dans le respect mutuel de leur souveraineté».
(15) J. du Bois de GAUDUSSON, G. CONAC et Ch. DESOUCHES, Les
Constitutions africaines publiées en langue française, Bruylant Bruxelles et La
Documentation française, Paris 1997, (2 tomes).
(16) Constitution de la République du Bénin du 11 décembre 1990 (Préambule).
(17) Idem.
(18) Naceur Bourenane, «Des fondements théoriques et stratégiques de la construction
communautaire», in Intégration et coopération régionales en Afrique de l’Ouest,
Karthala et C.R.D.I., Paris 1996, p.63-80.
(19) M. Glélé-Ahanhanzo, Introduction à l’O.U.A. et aux Organisations régionales
africaines, L.G.D.J. 1986, p.19.
(20) Pierre Lampué, «Les groupements d’Etats africains», R.J.P.I.C.
(21) Laurent Zang et David Sinou, «Dynamique des groupes au sein de l’O.U.A et
unité africaine », in L’O.U.A. rétrospective et perspectives africaines, Economica,
Paris, 1990, p.135-181.
(22) Quelle Afrique en l’An 2000: O.U.A. 1979, Institut international d’études
sociales, Genève 1979.
(23) On peut objectivement voir dans le renforcement des Organisations d’intégrations
régionales actuelles l’esquisse d’une mise en oeuvre du plan d’action de Lagos même
si la Communauté économique africaine instituée par le traité d’Abuja du 3 juin 1993
et en instance de création depuis 1994 n’est toujours pas effective.
(24) Michel-Cyr Djiena Wembou, L’O.U.A. à l’aube du XXIe siècle: Bilan diagnostic
et perspectives, L.G.D.J. Paris 1995, p.115.
(25) Jonh O. Igue, Le territoire et l’Etat en Afrique, Les dimensions spatiales du
développement, Karthala, Paris 1995, p.153 et s ; l’auteur parle de «legs colonial»
comme la création d’activités complémentaires entre pays côtiers et pays sahéliens, les
infrastructures de transport à caractère régional, la création d’une monnaie unique.
(26) L’ancienne Afrique équatoriale française (A.E.F.) regroupant la Centrafrique, le
Congo, le Gabon et le Tchad se transformera dès juin 1959 en Union douanière
équatoriale (U.D.E), puis le 8 décembre 1964 avec l’adhésion du Cameroun, en Union
58
Les mécanismes juridiques d’intégration régionale en Afrique noire : une
application originale du modèle européen
douanière et économique d’Afrique centrale (U.D.E.A.C.). L’Afrique occidentale
française (A.O.F.) quant à elle facilitera la formation de l’Union monétaire ouest
africaine (U.M.O.A.) dès le 12 mai 1962 dont les membres manifestent leur volonté de
coopérer, à la fois entre eux et avec la France au sein de la zone franc qui comprend
aussi les pays membres de l’U.D.E.A.C.
(27) Réal Levergne, «Champ d’action pour l’intégration régionale en Afrique de
l’Ouest», in Intégration et coopération régionales en Afrique de l’ouest, KarthaleCRDI, Paris 1996, p.11-37.
(28) D.C. Bach, « L’Afrique de l’ouest: organisations régionales, espaces nationaux et
régionalisme, les leçons d’un mythe », L’Afrique politique,1994, p.93-118.
(29) Luaba Lumu Ntumba, «Ressemblances et dissemblances institutionnelles entre la
C.E.D.E.A.O., La C.E.E.A.C et la Z.E.P » (COMESA) depuis 1994), in Intégration et
coopération régionales en Afrique de l’Ouest, Karthala et CRDI, 1996, p.349-369.
(30) Sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEDEAO, Cotonou juillet
1999.
(31) Luaba Lumu Ntumba, «La faiblesse du cadre institutionnel décisionnel comme
frein à l’intégration régionale » in Mél. à F. Borella, P.U. de Nancy, 1999, p.335-364.
(32) Préambule du Traité instituant la C.E.M.A.C. Dans sa forme actuelle, la CEMAC
est l’association de l’Union économique d’Afrique centrale et de l’Union monétaire
d’Afrique centrale doublées d’une Cour commune de justice et d’arbitrage et d’un
Parlement communautaire.
(33) Traité de Libreville du 18 octobre 1983.
(34) Luaba Lumu Ntumba, op.cit. note n°29.
(35) M.L. Ropivia, «institutions déliquescentes et espace éclaté: quelle intégration
régionale en Afrique centrale», in Régionalisation, mondialisation et fragmentation en
Afrique subsaharienne, Karthala, Paris 1998, p.175-184.
(36) M.L. Ropivia, op. cit. p.178.
(37) N Bourenane, «Des fondements théoriques et stratégiques de la construction
communautaire», in Intégration et coopération régionales en Afrique de l’ouest, p.70.
(38) Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires en Afrique, Traité de
Port-Louis du 19 octobre 1993.
(39) L’organisation comprend seize membres (Bénin, Burkina Faso, Cameroun,
Centrafrique, Comores, Congo, Côte d’Ivoire, Guinée Bissau, Guinée Conakry,
Guinée équatoriale, Mali, Niger, Sénégal, Tchad,Togo.
(40) J. Issa Sayegh, «L’intégration juridique des pays de la zone franc», op.cit.
(41) L’article 4 du Traité UEMOA fait explicitement référence au procédé
d’harmonisation comme condition du bon fonctionnement du marché commun.
(42) M. Bolmin, g. Bouillet-Cordonnier et Karim Medjad, «harmonisation du droit des
affaires dans la zone franc», J.D.I. 1994, p.377 ; Tristan G. Lafond, «Le Traité relatif à
l’harmonisation du droit des affaires en Afrique», Gaz. Pal. 20-21 septembre 1996 ;
J.R. Gomez, « Réflexions d’un commercialiste sur le projet d’harmonisation du droit
des affaires dans la zone franc», Penant, 1994, p.3; Le Directoire de l’OHADA,
«L’harmonisation du droit des affaires en Afrique, outil technique de l’intégration
économique», Juriscopie, lettre d’information trimestrielle, janvier 1996, p.3.
59
Intégration régionale comparée
(43) C.C. Sénégal, Décision n° 3/C/93 du 16 décembre 1993 portant sur la conformité
à la Constitution du Traité OHADA ; C.C. Bénin , DCC-19-94 du 30 juin 1994.
(44) O. Moniyi Adewoye, «Constitutionnalisme et intégration économique», in
Intégration et coopération régionale en Afrique de l’ouest, op. cit. p.371-384.
(45) «Entrent dans le domaine du droit des affaires, l’ensemble des règles relatives au
droit des sociétés et au statut juridique du commerçant, au recouvrement des créances,
aux sûretés et aux voies d’exécution, au régime de redressement des entreprises et de
la liquidation judiciaire, au droit de l’arbitrage, au droit du travail , au droit comptable,
au droit de la vente et à toute matière que le Conseil des ministres décide à l’unanimité
d’y inclure» (article 11).
(46) G. Fouda, L’application des normes internationales dans les ordres juridiques
étatiques africains. Approche théorique et prospective pour une meilleure application
des normes internationales, Thèse de doctorat en droit, Bordeaux IV 1999, p.145-176.
(47) A. Pouillieute, «Bilan et perspectives de l’intégration sous-régionale en Afrique»,
Afrique contemporaine, n°193, 2000, p.67-101.
(48) Idem.
(49) Fouad Laroui, Jeune Afrique L’intelligent, n°2049, du 18 au 24 avril 2000.
(50) Le texte initial du Traité C.E.E s’était limité à instituer trois politiques communes
s’accompagnant d’un transfert en bloc de compétences des Etats membres au profit de
la Communauté (politique agricole, politique des transports et politique commerciale
envers les Etats tiers). L’Acte unique européen de février 1986 y a ajouté cinq autres
(politique monétaire, politique de l’environnement, politique de cohésion économique
et sociale, politique de la recherche et du développement) alors que le Traité de
Maastrich viendra, quant à lui, renforcer les procédures de décision des institutions
communautaires.
(51) Le concept communautaire de politique commune renvoie à trois éléments de
base: 1° le transfert des compétences des Etats au profit de la Communauté, 2° des
mécanismes de décision propres aux institutions communautaires, 3° des mécanismes
de financement entièrement communautaires ou «ressources propres».
(52) P.F. Gonidec, Les Organisations internationales africaines, p.60.
(53) Nguyen Quoc Dinh, droit international public, (caractères généraux du droit de la
coopération internationale), L.G.D.J. Paris 1999, 6e ed. P.1004 et s.
(54) P. Barbier, «L’intégration régionale en Afrique du centre et de l’ouest», A.C.
1993, p.27 ; Les Organisations internationales régionales, La Documentation
française, Paris, 1995.
(55) A titre de comparaison, les articles 5 et 6 de la CEDEAO indiquent que les
organes délibérant adoptent des décisions et des directives. Dans la mesure où
l’expérience européenne utilise la formules sémantique identique, on pourrait penser
que la directive CEDEAO ne lie les Etats que pour les résultats à atteindre et que la
décision CEDEAO serait obligatoire dans tous ses éléments. Mais en réalité, ces
différentes normes de la CEDEAO n’imposent aucune obligation juridique aux Etats.
Les directives et les décisions de la Conférence des Chefs d’Etat (art.5§3) «engagent
toutes les institutions de la communauté». Il en va de même pour les décisions et
60
Les mécanismes juridiques d’intégration régionale en Afrique noire : une
application originale du modèle européen
directives du Conseil qui n’engagent que les institutions relevant de son autorité
(art.6§1).
(56) P.F. Gonidec, op. cit. p. 181.
(57) Luaba Lumu Ntumba, « La faiblesse du cadre institutionnel décisionnel comme
frein à l’intégration», précité.
(58) Article 32 §1 et du Statut de la C.I.J.
(59) M. Bettati, «Le law making power de la Cour», Pouvoirs, n°48 1989, p.57 ; J.
Boulouis, «A propos de la fonction normative de la jurisprudence : remarques sur
l’oeuvre jurisprudentielle de la C.J.C.E. », Mél. Waline, L.G.D.J. 1974, p.148.
(60) G. Isaac, Droit communautaire général, A. Colin, Paris 1999, 7e éd. P.231.
(61) Notre thèse, op.cit.
(62) P.F. Gonidec, Relations internationales africaines, L.G.D.J. Paris 1996, p.11 et s.
(63) D. Darbon, «Crise du territoire et communautarisme; les nouveaux enjeux
idéologiques de l’intégration en Afrique », in Régionalisme, mondialisation et
fragmentation en Afrique susaharienne, p.61.
(64) J. du Bois de Gaudusson, «Le statut de la justice dans les Etats d’Afrique noire
francophone», A.C.La Doc. Française, 1990, p.6; G. Conac, « Le juge de l’Etat en
Afrique francophone», A.C. 1990, p.13; P. Nkou Mvondo, «La crise de la justice de
l’Etat en Afrique noire francophone: éléments des causes du divorce entre la justice et
les justiciables », Penant, 1997, p.208-228.
(65) J.P. Olivier Sadran, « Dramatique déliquescence des Etats en Afrique », Le
Monde diplomatique, février 2000, p.12-13.
(66) Mwayila Tsiyembe, «L’Etat en Afrique, crise du modèle importé et retour au
réalités, essai sur la théorie de l’Etat multinational », in Mél ; F. Borella, P.U. de
Nancy 1999, p.485-520.
(67) Stanislas Odotevi, «Les facteurs culturels de l’intégration économique et politique
en Afrique », in Intégration et coopération régionales en Afrique de l’ouest, p.81-94.
(68) A. Pouillieute, op.cit. Il n’est d’ailleurs pas surprenant que l’analyse s’inscrive
dans le cadre des mutations de la Convention de coopération entre l’union et
européenne et les pays A.C.P.
(69) L’option est entérinée par la Déclaration et le Plan d’action du Caire, Sommet
Afrique –Europe sous l’égide de l’O.U.A et de l’Union européenne des 3 et 4 avril
2000.
(70) Ruddy Doom, «Vers la «normalité», analyse du concept et moyens d’action»in,
Conflits en Afrique, analyses des crises et pistes pour la prévention, éd. Complexe,
Bruxelles, 1997, p.237-293.
(71) Op. cit. note n°69.
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64
Le régionalisme transfrontalier : l’expérience de l’union Européenne pour l’Afrique
post coloniale à travers l’expérience de BORGU
LE REGIONALISME TRANSFRONTALIER : L'EXPERIENCE DE
l'UNION EUROPEENNE POUR L'AFRIQUE POST - COLONIALE A
TRAVERS L'EXPERIENCE DE BORGU
A. I. ASIWAJU
Professeur d'Histoire,
Université de Lagos, Nigeria
* L'auteur remercie l'Institut Français de Recherche en Afrique (IFRA)
d'Ibadan pour le soutien apporté au développement de la recherche présentée dans
cette communication.
I - INTRODUCTION
Le "régionalisme transfrontalier" fait référence à une catégorie nouvelle
de coopération internationale fondée sur l'existence d'Etats souverains aux
territoires adjacents. De tels Etats sont obligés de collaborer pour des raisons
non seulement d'intérêts communs à l'accès aux ressources naturelles et
humaines concernées par une frontière internationale partagée, mais encore
pour des problèmes identiques d'impacts écologiques transfrontaliers liés aux
activités humaines et/ou aux désastres naturels. Bien que la caractéristique
d'une région transfrontalière dans notre communication soit de concerner des
ethnies artificiellement divisées, ce qui donne une importance particulière au
phénomène général des populations de cultures et de langues identiques, il est
essentiel d'avoir présent à l'esprit une autre caractéristique des régions
transfrontalières : le large spectre de ressources transfrontalières naturelles
allant de la terre, de l'eau (en surface et souterraine) et de l'air aux minéraux
solides et liquides ainsi qu'à la flore, la faune, l'environnement
fondamentalement indivisible et l'écosystème.
65
Intégration régionale comparée
Dépendant de la politique mise en place par l'un ou l'autre Etat vis-à-vis
de son voisin géographiquement contigu, les interactions internationales
générées par de telles ressources transfrontalières naturelles et humaines
peuvent être une source de conflit, de guerre ou de coopération et de paix.
Alors que le conflit a été l'issue dominante, l'option de coopération est toujours
restée ouverte d'un point de vue conceptuel et de recevabilité.
En Europe, depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, l'accent
politique a considérablement évolué d'une disposition à la guerre vers un
engagement toujours croissant à l'exploration et à l'utilisation systématique de
la paix et de la coopération pour la définition des limites internationales et le
partage des territoires frontaliers. A un début non coordonné d'initiatives
locales basées sur l'attitude spontanée de la population transfrontalière et
concernant différents groupes ethniques en Europe de l'Ouest, l'organisation
des régions européennes ou Eurorégions (c'est-à-dire "les régions qui bien que
parcourues par des frontières internationales présentent néanmoins une unité'')
(l) a évolué du statut d'impuissance à celui de très bonne coordination dans la
"solide maison de l'intégration européenne"(2). De leurs situations originales
définies comme informelles, les Eurorégions opèrent maintenant comme des
institutions formelles reconnues par les deux lois supranationale et domestique.
Elles sont aussi devenues efficacement coordonnées à la fois aux niveaux
régional et infra - régional.
La pratique de la coopération transfrontalière a été fructueuse et nette
dans sa contribution à l'accomplissement spectaculaire de l'intégration
européenne au point d'influencer les décideurs politiques à l'extérieur du centre
initial de diffusion de l'Europe de l'Ouest. Non seulement cette coopération
devient la pratique ordinaire dans l'Europe du Nord, notamment dans les pays
scandinaves, mais le développement d'après-guerre en Europe de l'Ouest a été
66
Le régionalisme transfrontalier : l’expérience de l’union Européenne pour l’Afrique
post coloniale à travers l’expérience de BORGU
adopté comme modèle par l'Europe centrale et de l'Est depuis la chute du mur
de Berlin et l'effondrement des régimes communistes. Elle est aussi
expérimentée activement et reproduite en dehors de l'Europe, notamment en
Amérique latine et du Nord ainsi qu'en Asie (3). Le centenaire du partage
anglo-français de Borgu, une des régions africaines potentielles ou afrorégions,
créé à la suite du partage de la colonisation européenne et de l'émergence
induite d'Etats africains dépendants, fournit l'occasion pour une réflexion
renouvelée sur la panoplie des potentialités africaines utiles pour la définition
et l'application politiques (4).
Notre communication est structurée en cinq sections. La section I (ou
Introduction) est suivie par la section II intitulée Le modèle européen, basé sur
l'expérience historique européenne et la pratique actuelle. La section III,
Comparabilité africaine, mesure la pertinence de l'Histoire dans l'élaboration
de l'Europe et l'applicabilité à l'Afrique. Dans la section IV, l'étude de Borgu
sera présentée pour illustrer le cas des régions transfrontalières africaines avec
une référence spéciale aux rôles déterminants des aires culturelles découpées et
des populations transfrontalières africaines. Dans la section V conclusive,
intitulée Les recommandations et les réflexions politiques, une tentative est
faite d'identification des conditions de réussite à remplir pour que les
potentialités africaines de régionalisme transfrontalier puissent conduire à des
réalisations concrètes. La section conclut avec des indications sur les
développements et les initiatives politiques récentes allant dans le sens d'un
engouement croissant de refondation des efforts africains d'intégration
régionale sur des bases de coopération transfrontalière entre Etats
géographiquement adjacents et donc, sur la réalité des liens transfrontaliers
écologiques, socio-économiques et historiques. L'exemple du Nigeria et du
Bénin, avec une référence spéciale à la participation active du Borgawa
67
Intégration régionale comparée
s'étendant de part et d'autre de la frontière partagée, est alors utilisé à titre
d'illustration. Cette section conclusive met un accent particulier sur le rôle de la
politique, surtout au niveau de l'Organisation de l'Unité Africaine, et la
nécessité d'un soutien adéquat à la recherche.
II - LE MODELE EUROPEEN
En Europe, le régionalisme transfrontalier est connu pour avoir
commencé et s'être développé comme un mouvement d'accompagnement de
l'évolution de l'intégration européenne. Certes, l'objectif du régionalisme
transfrontalier est l'accomplissement d'une micro - intégration transfrontalière
qui concorderait à la macro - intégration européenne. A l'origine promu par le
Conseil de l'Europe (fondé en 1949), alors le premier aménageur, le
régionalisme transfrontalier s'était exceptionnellement développé pendant les
années 80 par l'adoption d'une approche régionale de la planification et du
développement. Celui-ci s'appuyait sur l'exemple de la Communauté
économique européenne (meilleure allocataire de ressources), aujourd'hui
Union européenne, et la promotion systématique du concept d'une nouvelle
Europe des régions en opposition à la vieille Europe de l'Etat - nation. Les
propos, plutôt instructifs de Giuseppe Vedovato, un expert Italien, indiquent :
Le point de départ pour le développement des régions
transfrontalières peut être situé dans le contrecoup immédiat de la
Deuxième Guerre mondiale, quand les insurmontables barrières
politiques et idéologiques qui s'étaient établies en Europe et les
problèmes sérieux de reconstruction rendaient nécessaires de
regarder de nouvelles ouvertures et de nouveaux modèles de
coopération territoriale. Il a existé un temps qui a vu
68
Le régionalisme transfrontalier : l’expérience de l’union Européenne pour l’Afrique
post coloniale à travers l’expérience de BORGU
l'établissement presque spontané de contacts entre les
communautés locales qui devaient rendre les frontières plus
perméables et développer une variété de différentes formes
organisationnelles (5).
En 1986, quand l'Acte unique européen prévoyait la primauté des
régions comme unités de planification et de développement dans l'Europe
communautaire, les Eurorégions et les initiatives associées de coopération
transfrontalière sont devenues des caractéristiques permanentes de la vie
européenne avec une référence particulière aux Etats-membres du Conseil de
l'Europe et de la Communauté économique européenne. La Charte européenne
des Régions frontalières et transfrontalières, adoptée par l'Association des
Régions frontalières européennes avec son siège à Bonn, contient une liste de
46 régions et associations situées partout en Europe de l'Ouest et du Nord mais
concentrées sur le Rhin (le Waal, prononcé Vaal, aux Pays-Bas), fleuve
principal d'Europe continentale, qui sert de limites internationales, d'une part,
entre l'Allemagne et la France et, d'autre part, entre l'Allemagne et les PaysBas.
Parmi les exemples typiques d'Eurorégions organisées apparaissent la
région de Basiliensi créée définitivement en 1963 autour de la "trinationale"
(Suisse - France - Allemagne) ville de Bâle, noyau d'une plus grande région
transfrontalière couvrant le Jura suisse, la Forêt Noire allemande et les Vosges
françaises ; région de près de 2 millions d'habitants parlant communément un
dialecte allemand local. Puis, il y a l'Eurorégion Rhin - Waal, lancée en 1970,
pour promouvoir la coopération allemano - hollandaise dans l'aire située le
long et de part et d'autre de la frontière binationale. L'"Arge Alp", l'"Alpe
Adria" et le "Cotrao" - organisations régionales respectivement des régions du
69
Intégration régionale comparée
Centre, de l'Est et de l'Ouest des Alpes - relient l'Italie avec les régions
avoisinantes, notamment alpines, incluant la Yougoslavie antérieurement
communiste du temps du Rideau de fer dans le cas de l'"Alp Adria" . Dans
l'Europe du Nord, où les pays Scandinaves (Danemark, Finlande, Norvège et
Suède) ont développé une série d'accords multilatéraux et bilatéraux pour
restreindre les activités pouvant conduire à la pollution de l'air, de la terre, de
l'eau et de la mer, les régions les plus avancées dans le développement de la
coopération transfrontalière concernent le "North Calotte Area", le "West
Nordic region", l'"Archipelago", l'"Arko", l'"Ostiold-Bohus", l'"Orsund Canal"
et le "Bornholm Southeastern Skane".
Les organisations des régions transfrontalières tirent une force
considérable de leur nature multifonctionnelle, chacune combinant le social,
l'économique, l'écologique et divers autres aspects, ce qui concerne de ce fait
un grand nombre de groupes d'intérêt. Mais aussi la force de ces organisations
tient à leur capacité à se fédérer en plus grandes et fortes formations régionales
telles que le Comité pour la Promotion de la Région alpine avec son siège à
Turin (Italie) et la Conférence des Planificateurs de la vallée du Rhin supérieur.
L'autre modèle de coopération transfrontalière, qui développe des fonctions
spécialisées, concerne l'"Eurorégion des Villes", par exemple celle impliquant
plusieurs municipalités dans l'Eurorégion Meuse - Rhin, l'Eurorégion des
Chambres de Commerce, l'accord de coopération entre les Vice-Chanceliers
des Universités de Liège (Belgique), Maastricht (Pays-Bas) et Aix-la-Chapelle
(Allemagne) et l'imaginative Faculté internationale de Scheldt combinant un
haut niveau de formation et la recherche appliquée dans le Zeeland et les
Flandres.
Pendant des années, surtout depuis 1970, le régionalisme transfrontalier
en Europe a considérablement progressé en étant soutenu par les pouvoirs
70
Le régionalisme transfrontalier : l’expérience de l’union Européenne pour l’Afrique
post coloniale à travers l’expérience de BORGU
politiques. Cette croissance significative a été réalisée par une capacité d'autoadministration exprimée par les régions frontières européennes qui ont exploité
pleinement les avantages d'un environnement politique plus favorable,
caractérisé par 1'apprentissage d'après-guerre de la démocratie et l'engagement
à respecter les droits fondamentaux de l'homme. Cette capacité s'est concrétisée
par l'émergence de certaines institutions stratégiques de soutien et de
reconnaissance, gagnées au régionalisme transfrontalier national et surtout
international en Europe. En premier lieu, cela s'est traduit par l'établissement
dans le début des années 1980 de l'"Association of European Border Regions
(AEBR), basée à Bonn, qui a depuis fonctionné comme une structure commune
au niveau continental. Puis est apparu le Bureau de liaison des Organisations
régionales européennes, ancré sur l'AEBR et stratégiquement situé à
Strasbourg, siège aussi du Conseil de l'Europe et du Parlement européen, qui
constituent évidemment des institutions européennes majeures.
L'adoption non seulement de la Convention européenne sur la
coopération transfrontalière des Communautés et Autorités Territoriales mais
encore de Protocoles supplémentaires à la Convention par le Conseil de
l'Europe, respectivement en 1980 et 1993, la création en 1984, avec le
secrétariat du Conseil, d'un Bureau spécialisé sur les pouvoirs régionaux et
locaux et l' institutionnalisation de la Conférence des Ministres responsables de
la Planification régionale fournissent des exemples d'une très grande influence
que le régionalisme transfrontalier a exercé sur les institutions européennes de
Strasbourg.
A l'égard de la Communauté économique européenne et de la
Commission européenne de Bruxelles, la preuve d'une pénétration également
efficace par le régionalisme transfrontalier est fournie par l'entrée en vigueur de
l'Acte unique européen et la prise en compte des régions comme unités
71
Intégration régionale comparée
élémentaires de planification et de développement dans l'Europe de la
Communauté. Les régions de frontière, qui constituent le coeur et la majorité
de la catégorie d'espace dénommée "transrégionale" (c'est-à-dire les régions
dans des Etats différents, surtout celles situées des deux côtés de la frontière
entre les Etats membres), reconnue dans l'Acte unique, ont été les principales
bénéficiaires du Fonds Européen de Développement Régional créé par le
Conseil européen et finançant les programmes INTERREG.
Avec l'effondrement des régimes communistes au début des années 1990
et l'établissement, en résultant, du pluralisme économique, politique et
démocratique en Europe Centrale et de l'Est ; événements ouvrant des
perspectives nouvelles pour l'admission ultime de l'ancienne Europe
Communiste à l'Union européenne, le régionalisme transfrontalier a diffusé son
influence en Europe Centrale et de l'Est (6). Des preuves nombreuses et
diversifiées montrent une large gamme de projets significatifs de la coopération
transfrontalière aussi bien à travers les frontières entre Europe de l'Ouest et de
l'Est qu' entre ces économies elles-mêmes. Dans un premier sous-ensemble
apparaît l’"Eurorégion Egrensis", concernant les autorités locales de la
République tchèque et le Landër allemand de la Franconie de l'Est supérieur, le
Palatinat du Nord supérieur et le Vogtland saxon. Une observation similaire
vaut pour l'Eurorégion de Poméranie à cheval sur l'Oder-Neisse, frontière entre
la Pologne et l'Allemagne. Une illustration plus directe du lien entre l'initiative
de coopération transfrontalière de l'Europe Centrale et de l'Est avec l'Europe
ouest-européenne apparaît dans la ratification polonaise de la Convention
européenne sur la coopération transfrontalière des Communautés et des
Pouvoirs territoriaux de 1993 et la citation fréquente de ses clauses comme
précédent pour plusieurs accords de coopération transfrontalière de la Pologne
avec ses voisins, pays de l'Ouest européen ou de l' Europe Centrale et de l'Est.
72
Le régionalisme transfrontalier : l’expérience de l’union Européenne pour l’Afrique
post coloniale à travers l’expérience de BORGU
Un autre sous-ensemble actif d'organisation des régions transfrontalières
en Europe Centrale et de l'Est, liant les Etats communistes entre eux, peut être
illustré par le projet d'Eurorégion des Carpathes, démarré en 1992 et établi
formellement au début de 1993. Le projet couvre approximativement une
superficie de 118000 km2 et près de 12.5 millions de personnes, et est composé
des régions frontalières contiguës de Pologne, de Hongrie, de Slovaquie et
d'Ukraine, avec la Roumanie qui y participe en tant qu' observateur du fait de
deux provinces limitrophes du nord de la Transylvanie. Ce projet est assisté par
l'Institut pour les Etudes Est - Ouest d'Atlanta (Etats-Unis), et bénéficie de
soutiens financiers d'une Fondation américaine et de la Fondation de la paix
Sasakawa du Japon. Les contributions extérieures sont faites à une Fondation
spécialement créée pour le développement de l'Eurorégion des Carpathes. De la
même façon qu'avec les projets régionaux transfrontaliers de développement à
l'Ouest, les nouvelles initiatives régionales transfrontalières de développement
dans l'Europe Centrale et de l'Est sont aussi soutenues par le Fonds Européen
de Développement Régional de l'Union européenne, tout particulièrement avec
le programme PHARE.
III - COMPARABILITÉ AFRICAINE
(i) Vue d'ensemble
Cette question ne gagne guère à de nouvelles études détaillées comme
cela a été indiqué dans plusieurs de nos travaux antérieurs (7) : contrairement
à la croyance populaire, les territoires des Etats et les frontières en Afrique
post-coloniale ne sont pas structurellement et fonctionnellement différents de
ceux rencontrés ailleurs dans le monde, notamment dans les autres Etats nations créés lors de siècles d'expansion impérialiste et de domination
coloniale par les pouvoirs métropolitains d'autrefois, aujourd’hui Etats
73
Intégration régionale comparée
membres fondateurs du Conseil de l'Europe et de l'Union européenne.
Sans sous-estimer les différences importantes liées à des faits historiques
et géographiques, des ressemblances significatives ont été identifiées entre
l'Afrique et l'Europe avec une attention particulière accordée à la perception
par les peuples locaux de l'arbitraire de processus, en général artificiels, liés
aux effets de partition territoriale. Les études comparatives des impacts
localisés des frontières en Afrique et en Europe tendent à montrer plus de
ressemblances que de différences. Les récriminations traditionnelles de
l'Afrique ignorent souvent ces ressemblances cruciales et négligent les leçons
essentielles que l'Afrique pourrait tirer de l’histoire de l'expérience européenne.
Il est généralement admis, par exemple, que l'Afrique a été
dramatiquement divisée ; ces frontières sont artificielles, souvent
arbitrairement tracées avec peu ou pas de respect pour la préexistence de
modèles socio-économiques et des réseaux de terrain ; les frontières ont
irrégulièrement séparé des zones unifiées de culture et ont sans considération
aucune fragmenté des régions et des écosystèmes de création naturelle ;
beaucoup de problèmes économiques contemporains de l'Afrique proviennent
de cette division territoriale en un très grand nombre d’économies nationales
davantage concurrentielles que complémentaires ; et, finalement, beaucoup de
problèmes politiques actuels du continent sont originaires "de la nature
arbitraire des frontières coloniales qui (entre autres choses) aboutissent...à une
juxtaposition artificielle de groupes incompatibles ou antagoniques".
Cependant, aucune des considérations présentant l'Afrique comme
unique n'a été confirmée par les comparaisons avec l'Europe. Celles-ci, basées
sur des études de cas détaillées, ont démontré une reproduction de l'expérience
européenne en Afrique. En Europe, comme en Afrique, des zones frontières
voisines pratiquent plusieurs langues officielles, des cultures nationales ainsi
74
Le régionalisme transfrontalier : l’expérience de l’union Européenne pour l’Afrique
post coloniale à travers l’expérience de BORGU
que des systèmes économiques différents, des régimes légaux antagoniques et
des traditions administratives parallèles, tout en recouvrant des cultures locales
indigènes distinctes et ignorées par les frontières entre Etats.
Ainsi, de fortes ressemblances ont été trouvées en Europe, dans le cas des
Catalans, "un groupe ethnique ni français, ni espagnol" de la vallée de
Cerdanya des Pyrénées Orientales, traversée par la frontière franco-espagnole.
Une situation similaire se rencontre en Afrique, dans l’Yoruba Occidental et
l'Hausa, composés de groupes ethniques n’étant ni français ni britanniques,
séparés par des espaces officiellement contrôlés par les Français et les Anglais,
puis par les frontières du Bénin - Nigeria et du Niger - Nigeria aujourd'hui.
Les Catalans en Europe et les habitants de l'Yoruba et de l’Hausa en Afrique ne
sont que quelques-uns parmi les nombreux groupes ethniques écartelés ou
parmi les peuples transfrontaliers séparés par des frontières artificielles d'Etat
dans les deux continents.
L'Europe et l'Afrique ont été divisées par plus ou moins les mêmes
processus ; ce sont des continents de multiplicité excessive de territoires d'Etat
et de frontières d’Etat, l'Europe d'une façon même plus évidente que l'Afrique.
Sans considérer le plus grand nombre d'Etats, mais en tenant compte de la
taille territoriale relativement plus petite de l'Europe par rapport à l'Afrique, il
apparaît une instabilité plus grande de la structure territoriale de l’Etat - nation
européen. Ce contraste explique bien, d’une part, l'effet paradoxal que l'Afrique
post-coloniale a engendré, en particulier les crises politiques croissantes
provoquées par les territoires d'Etat et les frontières du continent et, d'autre
part, les révisions cartographiques fondamentales qui ont eu lieu en Europe à la
suite des crises contemporaines européennes. Il a été estimé, par exemple, que
"plus de 60 pour cent des frontières présentes [de l'Europe] [ont été] tracées
pendant le XXe siècle" et que près de "13000 kilomètres de nouvelles lignes
75
Intégration régionale comparée
politiques" ont été nécessaires pour dresser les contours des pays actuels de
l'Europe Centrale et de l'Est, à la suite des crises qui ont touché l'Europe, c'està-dire l'écroulement des régimes communistes à la fin des années 1980 et au
début des années 1990 et la dissolution en résultant de certains Etats avec
l'apparition de nouveaux (8).
En Europe, comme dans l'Afrique défigurée par l'Europe, les territoires
des Etats et les frontières ont été dessinés pour séparer arbitrairement des
caractéristiques semblables, cela étant localement ressenti comme artificiel.
Ainsi les processus de formation des Etats modernes ont résulté dans les deux
continents de formes semblables d'absurdités territoriales, non seulement en ce
qui concerne les contours géographiques et les tailles des territoires d'Etat mais
aussi en ce qui concerne les entités dépendantes (Etats sans littoral et
enclaves). Il y a eu aussi des situations semblables avec des régions naturelles,
artificiellement divisées (mers, lacs, rivières, montagnes, vallées, forêts,
déserts, etc) et, plus gravement, avec des partitions de groupes ethniques et de
zones culturelles. Un dernier sous-ensemble d'effets s'est avéré être
extrêmement productif de minorités nationales ethniques avec des
manifestations d'irrédentisme et la pratique plus épouvantable de "purification
ethnique". En Europe et dans l'Afrique post-coloniale, certaines frontières
d'Etat sont de triste notoriété de par leur rôle déclencheur de revendications et
de conflits dans, et plus particulièrement, entre les Etats.
Ces ressemblances de structures et de problèmes des territoires et des
frontières en Europe et en Afrique ne constituent pas une réelle surprise dans la
mesure où les frontières en vigueur dans le continent africain sont restées celles
plus ou moins créées par les "impérialistes" européens qui les ont tracées et les
ont gérées comme les frontières de leurs propres pays respectifs. Nous avons
indiqué de façon détaillée qu'en Europe comme en Afrique, les processus de
76
Le régionalisme transfrontalier : l’expérience de l’union Européenne pour l’Afrique
post coloniale à travers l’expérience de BORGU
réalisation des frontières ainsi que les structures et les fonctions des frontières
des Etats sont plus semblables que dissemblables. La même observation est
valable pour les types d'instruments légaux et l'ingénierie politique conçus pour
leur gestion : on trouve les mêmes sortes de protocoles, de traités et d’échange
de notes, le même modèle de diplomatie. Le point positif est alors qu'étant
donné ces ressemblances essentielles, les leçons de l'expérience d’un continent
ne peuvent pas et ne doivent pas être perdues pour l'autre.
(ii) Les pressions régionales transfrontalières en Afrique
En Afrique apparaissent les mêmes pressions résultant de l'histoire locale
et de la géopolitique pour la coopération transfrontalière et l'intégration
régionale, comme cela a été le cas et comme cela fonctionne toujours dans
l'Europe de l'après-guerre. En ce qui concerne la coopération transfrontalière,
notamment celle visée dans cette présentation, il est pertinent d'attirer
l'attention sur l'attitude de régions transfrontalières dynamiques pratiquant des
politiques appropriées pour s'intégrer à des organisations transfrontalières
régionales, capables de regrouper les diverses organisations sous continentales et de les transformer en une organisation africaine régionale,
prévue dans le Traité de la Communauté Economique Africaine, initié en 1991
sur le modèle du Traité de 1957 de la Communauté Economique Européenne.
Tout comme en Europe, les perspectives du régionalisme transfrontalier
en Afrique apparaissent irrésistiblement conduites par quatre forces créatrices :
les populations locales, l’économie de frontière, les ressources naturelles et
l'environnement et la nécessité largement reconnue de fonder l'intégration
régionale/sous-régionale africaine sur l’histoire locale et la culture. En fait,
comme nous en avons discuté ailleurs, la manifestation continue de ces facteurs
a mené à des formes diverses de micro - intégration à travers les frontières
77
Intégration régionale comparée
internationales de l'Afrique, chaque projet d’intégration participant ensuite à
des projets régionaux plus vastes d'intégration (processus poursuivis au niveau
étatique dans les diverses sous - régions du continent).
La première et la plus fondamentale des quatre forces contraignant le
régionalisme transfrontalier en Afrique est la présence importante de groupes
ethniques éparpillés et de zones divisées de culture. A l’échelle continentale,
cette situation très sensible a entraîné une difficulté systématique et la
destruction de toute séparation normale ou des fonctions de barrières et des
effets de frontières étatiques. Cet impact d'effacement transfrontalier des
peuples de l'Afrique est produit par des actions transfrontalières de puissants
réseaux culturels, socio-économiques et par les interactions politiques entre
régions frontalières à cheval sur des zones spécifiques de chaque frontière,
parlant des langues indigènes identiques et partageant des identités culturelles
comme la religion traditionnelle, les mémoires communes d'origine ancestrale,
des institutions socio-économiques et politiques identiques ainsi que, dans
beaucoup de cas, des liens de parenté très proches.
Dans des situations comme celles du Shona à travers le secteur de
Monica de la frontière du Mozambique-Zimbabwe, le Ketu-Yoruba, situé de
part et d’autre de la frontière du Bénin et du Nigeria, ou, comme nous le
verrons bientôt, le Baatonu du royaume Nikki de Borgu, partagé par la
frontière du Bénin et du Nigeria, la mémoire d'allégeance commune au même
Etat précolonial est souvent conservée pour renforcer le sentiment de solidarité
qui lie des communautés territoriales des deux côtés des frontières africaines.
La signification de cette dimension ethnique de la solidarité transfrontalière en
Afrique est soulignée par une omniprésence qui a été solidement documentée
dans notre livre, Partitioned Africans : Ethnic Relations Across Africa's
International Boundaries, 1884-1984, publié simultanément en 1984/1985 par
78
Le régionalisme transfrontalier : l’expérience de l’union Européenne pour l’Afrique
post coloniale à travers l’expérience de BORGU
les Presses universitaires de Lagos, Lagos, C. Hurst and Co. (Editeurs) à
Londres et St. Martin's Press à New York.
Le deuxième facteur, corrélé au précédent, favorisant l’attraction
régionale, est le commerce transfrontalier. C'est une bonne mesure de sa
signification qu'après des décennies d'ignorance, il soit devenu un centre
d'intérêt pour des chercheurs et des consultants travaillant surtout pour le
développement international et pour les organismes donateurs incluant la
Banque mondiale, l'Agence pour le Développement International des EtatsUnis (USAID), le Club basé à Paris pour le développement du Sahel de
l'Organisation pour la Coopération Economique et le Développement
(OCDE). Les nombreuses études et publications sur ce sujet et les efforts qui
en ont résulté ne laissent personne dans le doute sur la prééminence des
formes officieuses de transactions d'affaires interafricaines par rapport aux
données officielles de ce même commerce. La large diffusion de ce
phénomène au niveau continental est indiquée par des publications telles que
celles de Janet MacGaffee se concentrant sur l'ancien Zaïre, comme un cas
typique de l’Afrique centrale, de Chris Ackello-Ogutu et P.N. Echessah sur
l'Afrique orientale, travail financé par l’USAID, et de Johnny Egg et John
Igue sur la sous - région de l'Afrique occidentale, recherche financée
séparément par le Ministère français de la Coopération et le Club du Sahel
de l'OCDE à Paris (9).
La réalisation de l'ampleur du flux international commercial
transfrontalier et le caractère vraiment régional de sa dynamique opérationnelle
ont conduit les experts des études de l'Afrique occidentale à apprécier et à
suggérer le besoin d'une réorientation radicale de l'approche actuelle de
l'intégration régionale en faveur d'une nouvelle stratégie qu'ils ont appelée
"l'intégration guidée de marché" (10). La signification de cette suggestion est
79
Intégration régionale comparée
qu'au lieu de suivre le modèle des organisations internationales traditionnelles,
l'intégration régionale en Afrique doit être enracinée dans les interactions
transnationales, comme le suggère la manifestation forte du commerce
transfrontalier interrégional.
La zone d'intégration régionale de l'Afrique de l'Ouest, ECOWAS, a été
réorganisée en trois sous-groupes séparés, basés sur le degré d'intensité des
interactions économiques à travers les frontières des Etats ainsi regroupés. La
restructuration du sous-continent de l'Afrique occidentale a abouti à
l'identification de trois unités se chevauchant : (ll) l’Ouest, comprenant la
région plus large de Sénégambie avec la Gambie, le Sénégal, la Mauritanie, le
Mali, les deux Guinées (Conakry et Bissau) et le Cap Vert ; le Centre Ouest,
incluant la Côte-d'Ivoire, le Ghana, le Burkina Faso, le Liberia et la Sierra
Leone ; et l’Est de l'Ouest dont fait partie le Nigeria et les Etats voisins du
Bénin avec le Togo, le Niger, le Tchad, le Cameroun et la Guinée Equatoriale.
Une démarche semblable est possible pour l'identification de la Tanzanie et des
pays voisins, la République sud-africaine et les pays territorialement adjacents
et la République démocratique du Congo (l'ancien Zaïre) et ses voisins
immédiats.
Le troisième facteur d'attraction interrégionale en Afrique est le poids des
ressources naturelles transfrontalières incluant les habitats naturels et les
entités «écosystémiques». L'importance de ce facteur est particulièrement
soulignée, non seulement par la haute fréquence de l'utilisation faite des
rivières (comme le Zambèze, le Limpopo et le Mano), des lacs (comme le lac
Tchad, le lac Victoria et le lac Malawi) et des montagnes, (le Cameroun,
l’Adamawa et le Kilimandjaro) en tant que frontières, mais aussi par les
caractéristiques banales de rivières transnationales comme le Nil, le Niger, le
Sénégal et l'Orange, rivières d'unité de l'Afrique.
80
Le régionalisme transfrontalier : l’expérience de l’union Européenne pour l’Afrique
post coloniale à travers l’expérience de BORGU
Les possibilités de stimulation de la coopération transfrontalière par la
planification, le développement et la gestion commune sont aussi démontrés,
paradoxalement, par le rôle des ressources transfrontalières stratégiques
comme déclencheurs de conflits internationaux : par exemple l'hydrocarbure
offshore situé dans le Golfe de Guinée, qui a provoqué un différend prolongé
sur une question de frontières et récemment les conflits armés, notamment
entre le Nigeria et le Cameroun, entre la Libye et le Tchad, le Mali et le
Burkina Faso. Ce sont des conflits et des litiges internationaux sur des bouts de
frontières partagés et supposés riches en minéraux solides, par exemple la
bande d'Aouzur et le couloir Agacher. La flore et la faune internationale, très
importante pour tous, les industries touristiques, activités significatives des
pays africains les plus Orientaux et du Sud, se sont avérées être de valeur
comparable en tant que facteurs de conflit et de solidarité transfrontalière
régionale.
La quatrième et dernière indication concernant les perspectives pour le
régionalisme transfrontalier en Afrique repose sur un nombre croissant de
discours. Aux arguments d'une réorientation de projets régionaux d'intégration
sur des fondations plus solides de cultures locales africaines, prenant en
compte les spécificités de l'Histoire et les traditions des habitants (12), s'est
ajouté le plaidoyer pour une perspective de politique de marché, basée sur la
collecte de données scientifiques et l'analyse du commerce, des relations
d’affaires transfrontalières avec leur dynamique régionale et leurs réseaux.
Ajoutez à ces arguments l'appui spontané de la population pour que la politique
de coopération transfrontalière s'incarne dans des réunions de travail telles que
celles tenues en 1988-1992 entre le Nigeria et ses voisins (l3) et au Zimbabwe
en 1995 et 1996 dans un contexte de recherches sur le Développement de
Zones frontalières en Afrique Orientale et du Sud, amorcées à Nairobi (Kenya)
81
Intégration régionale comparée
par le Bureau du Centre des Nations Unies du Développement Régional en
Afrique (14).
Il y a des indicateurs fiables sur l'existence dans la plupart des zones de
frontière africaines "de(s) groupe (s) régional (aux) potentiel(s) composé(s) de
politiciens locaux, d’experts dans les affaires économiques et sociales et de
scientifiques pour étudier la plupart des scénarios appropriés" du type de ceux
qui ont joué un rôle sensible dans les organisations transfrontalières
régionalistes européennes. Il y a des chances pour que les groupes régionaux
africains se
transforment en groupes de pression de coopération
transfrontalière, si la tendance actuelle pour la démocratisation en Afrique est
maintenue. Nous nous attarderons plus longuement sur ce point dans la
cinquième et dernière section de cette communication.
IV- L'ÉTUDE DU CAS DE BORGU
Borgu illustre de manière flagrante le problème africain des régions
transfrontalières caractérisées par une population indigène transfrontalière
de composition ethnique
et
linguistique identique. Borgu s’est
particulièrement distingué par l’extraordinaire sentiment d'allégeance de la
part de ses diverses communautés, connues dans leur histoire pour avoir
jalousement gardé et collectivement défendu son intégrité territoriale. Situé
sur la rive droite du fleuve Niger, compris entre les neuvièmes et douzièmes
parallèles et les premiers et quatrièmes méridiens de longitude est, (15) le
Borgu historique couvre un territoire d'approximativement 70000 kilomètres
carrés pour environ 2 millions d'habitants (16). Cela sera clairement établi
dans cette communication, la caractéristique historique étant ici l'unité dans
la diversité ethnique, culturelle et politique.
Depuis la division franco-anglaise de 1898 et les différents
82
Le régionalisme transfrontalier : l’expérience de l’union Européenne pour l’Afrique
post coloniale à travers l’expérience de BORGU
gouvernements coloniaux qui se sont succédés jusqu'en août et octobre 1960,
respectivement dans les parties française et britannique, Borgu est composé de
deux parties distinctes. D'une part, les communautés à l'Ouest de la frontière,
incorporées dans l'ancienne colonie française du Dahomey (la République
actuelle du Bénin), comprenant les principaux villages de Nikki, Parakou,
Djougou, Kouande, Kandi et Bembereke. D'autre part, à l'Est, le Borgu
nigérian, autrefois administré par le Protectorat britannique du Nigeria du Nord
et comprenant les villages et chefferies de Bussa, Illo, Kaoje, Koenji, Agwara,
Rofia et Aliyara (Babana), Wawa au nord et Kaima, Kenu, Okuta, Ilesha,
Gwanara et Yashkikera au sud.
Aujourd'hui, le Borgu est composé des deux blocs officiels du Bénin
francophone et du Nigeria anglophone. Mais chacune des différentes parties de
cette terre historique a été dispersée en raison de découpages territoriaux par
les pays gouvernants des ères coloniale et post-coloniale. Sur le côté nigérian
de la frontière (l7), par exemple, la sensibilité précoloniale de Borgu a été
d'abord complètement ignorée par une restructuration en deux Emirats rivaux
de Kaima au sud et de Bussa au nord. Puis il y eut une série de découpages
territoriaux et de restitutions particulièrement importantes dans le nord de
Borgu. En 1905, par exemple, Illo, Kaoje, Lefaru, Gendenni dans le Nord-Est
ont été fusionnés avec l'Emirat du Gwandu pour indemniser Sokoto Caliphate
pour les parties de son territoire que les Anglais avaient concédées à la France.
Bien qu'Agwara et Rofia aient été finalement restitués à Borgu, Illo, Kaoje et
Koenji sont restés dans l'Emirat du Gwandu, et aujourd’hui dans la partie de
l’Etat du Birnin Kebbi créé en 1991. Dans la période coloniale, l'identité de
Borgu a été perturbée à plusieurs reprises par des rattachements à d’autres
grandes provinces comme Yauri, Kontagora et, finalement Ilorin. Le Borgu
nigérian a en définitive été découpé en quatre secteurs d'administration locale
83
Intégration régionale comparée
distincts, "dispersés" à travers les frontières des trois Etats adjacents de Kwara,
du Niger et de Birnin Kebbi.
Une expérience semblable de démembrement territorial interne a été
enregistrée pour la partie française de Borgu. Si l'on excepte la division en
unités territoriales plus petites, pour des raisons administratives et ne reposant
sur aucune raison historique, on peut noter la fusion maladroite du Barba, c'està-dire la population de Borgu, avec des non - Barba dans des nouvelles unités
administratives comme Gourma et le Niger Moyen, deux des quatre Cercles
dans lesquels les Français ont au début de la colonisation organisé leur
installation au Borgu ; les deux autres, principalement de population Barba,
étaient les Cercles de Borgou et Djougou-Kouande. Finalement, le Borgu
français a été organisé dans deux Cercles principaux : d'une part, Parakou,
comprenant les subdivisions de Parakou, Bembereke et, d'autre part, Nikki et
Kandi, composés des subdivisions de Kandi, Malanville (principalement de
population Dendi) et Kouande. L'emplacement du quartier général du Cercle de
Kandi dans Natitingou dans le pays Somba, extérieur au Borgu historique, était
aussi culturellement irritant pour les Barbas de la partie française que le
rattachement d'Illo à Gwandu l’a été pour leurs parents dans la partie nigériane
de Borgu. Aujourd'hui, au Bénin, le Borgu historique est constitué des
Départements (les équivalents des Etats au Nigeria) de Borgou et Atacora et
de leurs sous-préfectures (les équivalents des Administrations locales au
Nigeria).
Ces dispositions territoriales coloniales et post-coloniales et les pratiques
administratives les accompagnant ont été ressenties comme inacceptables par
l’énorme majorité du Borgawa (référence collective aux peuples de Borgu par
leurs voisins Hausa), qui a vécu ces événements comme un camouflet
impardonnable à leur perception séculaire, à la fois de leur zone d’implantation
84
Le régionalisme transfrontalier : l’expérience de l’union Européenne pour l’Afrique
post coloniale à travers l’expérience de BORGU
culturelle et des territoires considérés comme sacrés et inviolables. Ce point est
essentiel pour une compréhension des réactions systématiques de rejet de la
division impérialiste européenne et de la domination coloniale différenciée qui
s’y est exercée, réactions qui ont persisté, même subtilement, dans l'ère postcoloniale. Maintenant que ces détails historiques sont bien connus, il suffira de
souligner que le thème le plus central dans l'histoire et la culture de Borgu reste
l'unité dans la diversité d'appartenance ethnique, linguistique, religieuse,
politique et économique. Cette qualité unique a permis non seulement la propre
perception des peuples d’eux-mêmes généralement comme "Barba", mais il a
aussi justifié l'identification objective de Borgu comme une aire de culture bien
définie.
Il est remarquable que, malgré la différenciation interne en plusieurs
groupes ethniques et linguistiques distincts et en sous-groupes dans lesquels les
plus dominants sont le Baatonu et le Boko, respectivement l'élite majoritaire et
l’élite dirigeante, le Borgawa se soit vu lui-même comme "un peuple unique"
et se soit référé à Borgu comme "à notre pays", c'est-à-dire un patrimoine
commun indivisible malgré l'organisation traditionnelle en de nombreux
royaumes, souvent concurrentiels avec trois blocs de pouvoir principaux
centrés sur Bussa, Nikki et Illo. L'observation d'Anene est particulièrement
instructive, et malgré l'accent particulier que son étude place sur l'éclatement
plutôt que sur la fusion des aires de culture dans le tracé des frontières du
Nigeria, il a dû reconnaître à contrecœur que "Borgu était dès sa naissance,
ancienne et non précisément déterminée, un territoire politique distinct dont le
Borgawa (Baatonu ou Boko, Bussa, Nikki ou Illo) était déterminé à défendre
l'intégrité par le sang" (18).
Ce sens extraordinaire d'allégeance collective à Borgu comme la "patrie"
de tout le Borgawa a été démontré partout dans leur histoire connue. Des
85
Intégration régionale comparée
réponses patriotiques de tous au devoir de défense de leur terre sont devenues
particulièrement vivaces, chaque fois que l'on a menacé l'intégrité territoriale
de Borgu en des temps, par exemple, où chacun des Etats constitutifs ou un
groupe de ces Etats était engagé dans des actions menaçant l'équilibre délicat
entre tous les Etats ou, plus souvent quand des pouvoirs extérieurs au Borgu
ont menacé la quiétude et la sécurité de cette zone culturelle. Comme l’a
reconnu Anene, le Borgawa prétend fièrement que "jusqu'à la division du pays
par les Européens, il n'avait jamais cédé à la domination étrangère" 19). Le
peuple Borgawa s'est battu et a repoussé avec succès les invasions de Songhai
sous les Askias aux XVIe et XVIIe siècle, des Etats d'Hausa et d'Habe au XVIIe
et du djihad de Fulani à la première moitié du XIXe siècle. C'était
probablement l’ensemble de ces actions de défense collective qui ont mené
Kenneth Lupton à catégoriser le système politique du Borgawa comme celui
"d'une alliance permanente".
Excepté la revendication collective du Borgawa sur le Borgu au nom d'un
patrimoine commun, il y a d'autres évidences historiques permettant de définir
cette zone comme une région cohérente. Une telle situation, découlant de
l’allégeance collective et de l'histoire de cette zone de culture comme "une
zone défendue" est la preuve indubitable de la conception commune du
territoire et de la frontière pour ce peuple. Cependant, comme ailleurs dans
l'Afrique précoloniale, et surtout dans les sociétés les plus indigènes, le concept
de frontières (tel que compris aussi par le Borgawa) ne repose pas sur des
lignes intangibles de démarcation que les Européens sont venus établir pour
partitionner des zones en juridictions territoriales spécifiques. Qu'il s'agisse des
Etats de Borgu ou de Borgu et des pays contigus, comme ceux de l'Yoruba
(Oyo et Sabe) au sud et au sud-est, le Nupe à l'est, l'Hausa au nord et le Somba
à l'est, la notion de frontière considérée par le Borgawa était significativement
86
Le régionalisme transfrontalier : l’expérience de l’union Européenne pour l’Afrique
post coloniale à travers l’expérience de BORGU
celle d'une inclusion mutuelle et non pas d'une exclusion.
En effet, comme Obare Bagodo l’a expliqué, des frontières telles celles du
Baatonu, la langue du plus grand groupe ethnique de Borgu, sont des
références "de zones de contact et de convergence d'intérêts", des points de
réunion et d'interaction plutôt que de séparation, "tem yina yeru" plutôt que
"tem bonu yeru" (20). Politiquement par exemple, Borgu a été différemment
décrit comme une sorte de confédération ou, comme nous l’avons déjà noté,
comme "une alliance permanente". Alors que chacun des Etats constitutifs a
maintenu sa propre autonomie, Bussa, Nikki, Illo, Wawa, Kaima (le nombre
réel d'Etats variant au gré des fortunes diverses des centres de pouvoir) étaient
reliés entre eux par plusieurs facteurs établissant des bases communes sur des
strates identitaires de cultures autochtones : le respect de règles dynastiques du
même culte du héros, Kisra ; l’échange de cadeaux entre les dirigeants,
notamment à l'occasion de leur nomination ; la participation de chacun à des
festivals traditionnels comme le gani et l’usage de rites et d'instruments de
cérémonie identiques tels le kakaki ou les trompettes....
L'accent mis sur les frontières comme points de contact et d'interaction
mutuelle a contribué à participer largement à l'évolution de Borgu comme
une région significativement intégrée et comme constitutive d’un dispositif
pour la formation d'alliances avec des Etats et des sociétés extérieures au
Borgu. On sait aussi que la notion de frontière culturelle harmonieuse,
établie par le Borgawa, a consolidé la tradition d'un rapport symbiotique
entre des groupes ethniques et linguistiques différents et des sous-groupes
comme ceux du Baatonu et du Boko et a favorisé le processus de fusion
continue de cultures et de sous -cultures distinctes. Alors que la conservation
de l'intégrité de Borgu est restée le souci constant de tout le Borgawa, des
alliances militaires comme celles des royaumes de Borgu avec l'ancien Etat
87
Intégration régionale comparée
Yoruba d'Oyo pour contrôler l'avance du djihad de Fulani, montraient dans
quelle mesure le Borgawa était préparé à permettre la perméabilité de sa
frontière externe avec un tel accord qui augmentait la sécurité de son
territoire. Bien que la Guerre d’Eleduwe de 1835, où le Borgawa et l'Yoruba
se sont collectivement battus contre le Fulani, ait apporté la défaite plutôt
que la victoire des pays alliés et a été en particulier désastreuse pour les Etats
du Borgawa de Nikki et de Wawa dont les dirigeants et de courageux soldats
ont péri dans la bataille, l'existence de Borgu a pu être préservée.
Le développement d'activités politiques, en particulier les mouvements
de masse des partisans des princes nigérians en lutte (notamment Yashikera et
Aliyara) à Nikki, découlant des luttes de succession au cours de l'ère coloniale
(21), rappelle de façon constante que les habitants n’ont pas accepté la division
anglo-française résultant de l'action coloniale et créant une séparation et des
frontières entre Etats. D'autres facteurs ont caractérisé la séparation et les effets
de la frontière : les séries de migrations de protestation qui ont parfois eu lieu
quand des problèmes politico - administratifs de chaque côté de la frontière ont
surgi ; le commerce frontalier avec une mention particulière à la contrebande ;
le caractère essentiellement indéterminé de la frontière, résultant de sa
délimitation controversée et la démarcation totalement insatisfaisante de la
partie de la frontière Bénin - Nigeria dans le secteur de Borgu. Ce dernier
facteur a mené à une situation où les fermiers de l'un ou l'autre côté ont
défriché le pays avec peu ou aucun respect pour la position de la frontière.
Finalement, Borgu est resté une région distincte malgré la frontière
internationale (autrefois inter- coloniale) qui le traverse. La colonisation
française et anglaise a eu un impact indélébile ; il y a eu des processus
parallèles de socialisation par lesquels les langues évidemment différentes et
les cultures des deux pouvoirs de colonisation ont été adoptées (telles les
88
Le régionalisme transfrontalier : l’expérience de l’union Européenne pour l’Afrique
post coloniale à travers l’expérience de BORGU
langues officielles) par les cultures des futurs Etats indépendants. Mais les
effets ont été plus profondément ressentis chez les élites instruites par les
Occidentaux de chaque côté de la frontière que par la majorité non lettrée des
populations locales qui est restée plus attachée à la culture indigène et à ses
traditions, définissant Borgu comme une entité indivisible. La preuve de la
persistance de la tradition de Borgu comme terre et communauté culturelle
composées de peuples divers est apportée par la continuité des relations et des
interactions transfrontalières de groupes de parenté, y compris avec les élites
traditionnelles dirigeantes du Wassangari. Tout cela constitue des indicateurs
fiables sur un Borgu apparaissant comme une des régions transfrontalière les
plus manifestes de l'Afrique.
V- RÉFLEXIONS DE POLITIQUE ET RECOMMANDATIONS
Si comme nous avons essayé de le montrer, il y a en Afrique postcoloniale tant de potentialités et même de pressions pour le régionalisme
transfrontalier comme dans Europe de l'après-guerre, pourquoi l'actualisation
de ce processus en Afrique a-t-elle tant tardé par rapport à l'Europe ? Quels
sont les obstacles en Afrique et quels espoirs peut-on nourrir pour l'avenir ?
Ces interrogations, comme l'argument précédent lui-même, ne sont pas
nouvelles. Cependant, le centenaire de la division anglo-française de Borgu,
acte qui a concrétisé la délimitation problématique de la frontière actuelle du
Bénin - Nigeria, fournit une occasion remarquable pour une discussion
renouvelée et la mise à jour nécessaire de la politique de coopération
transfrontalière (en tant que pierre angulaire des efforts d'intégration régionale
en Afrique). Avec à peine vingt-quatre mois pour quitter le XXe siècle et entrer
dans le XXIe siècle et un nouveau millénaire, trouver des réponses
satisfaisantes à ces questions essentielles de politique doit attirer l'attention, en
89
Intégration régionale comparée
vue de la réalisation pertinente d'un avenir perçu pour ne pas être celui de l'Etat
- Nation en Afrique mais celui des régions et des peuples sur le modèle de
l'Union européenne.
En ce qui concerne la question des obstacles au régionalisme
transfrontalier, le point le plus crucial est la réduction de la structure de l’Etat Nation et l’adoption de principes et de pratiques démocratiques. Tout d'abord,
ce recul concerne le culte de l’Etat - Nation et de ses manifestations négatives
telles les affirmations exacerbées de souveraineté territoriale ou encore ce qui a
été appelé "le nationalisme d'Etat". Le renoncement à ces comportements par
les élites instruites à “l’occidentale”, qui ont fourni les dirigeants des nouveaux
Etats souverains de l'Afrique post-coloniale, a été le plus difficile à réaliser.
Mais cela est très important, notamment au niveau des régions frontalières des
nouveaux Etats.
Dans le cas particulier des nouvelles élites des zones frontières, qui
doivent maintenant être converties à l'adhésion active à "de groupements
régionaux", l'assimilation de cultures européennes contrastées a provoqué une
mentalité produisant un comportement de type "renvoi dos-à-dos" plutôt que
des rapports coopératifs plus souhaitables de part et d'autre des frontières. Les
effets ont été particulièrement dramatiques dans plusieurs cas en Afrique où,
dans la plupart des régions frontières, les élites des différents côtés ont été
aussi les produits des mêmes cultures indigènes (22). Alors que leurs parents
non lettrés traversent les frontières en maintenant leur lien de parenté et
d'autres liens socioculturels ou l'exploitation d'activités commerciales de
frontière, peu d’élites instruites parmi "les africains divisés" se sont
manifestées pour développer des rapports à travers les frontières, de la même
façon qu'ils le font avec leurs pairs à l'intérieur des Etats et même, comme c'est
souvent le cas, avec des pairs appartenant à d'autres cultures indigènes.
90
Le régionalisme transfrontalier : l’expérience de l’union Européenne pour l’Afrique
post coloniale à travers l’expérience de BORGU
Une ironie de l'histoire de l'Afrique post-coloniale vis-à-vis de l'histoire
de l'Europe contemporaine est à noter : c’est précisément quand les Européens,
à la suite de la dernière et de la plus tragique des guerres favorisées par "le
nationalisme d'Etat" des trois siècles précédents, se sont lancés dans une
conversion systématique d'une idéologie nationaliste à une idéologie
régionaliste que les Etats - nations d'Afrique se sont manifestés. Ainsi, alors
qu'en Europe, la tendance depuis 1945 a été d'accomplir " une intégration trans
puis supranationale" et d’éliminer les “frontières nationales”, en Afrique et
dans les anciennes colonies européennes, les frontières tracées par les pouvoirs
d'autrefois (coloniaux européens) "sont devenues" tout à fait sacrées et un des
principaux soucis politiques a été de les délimiter, de les aiguiser, de les
renforcer et de les durcir " (23).
En Europe, finalement, alors que l'on entend et lit fréquemment des
critiques populaires "sur l’Etat -nation comme un mode désuet d'organisation
sociale et le besoin d’orienter l'intégration vers des niveaux plus hauts (l'Union
européenne) et plus bas (communautés locales et régionales)... et vers des
communautés de régions limitrophes comme nouveaux modèles réduits de
l'Europe Unie" (24), en Afrique, les Etats - nations contemporains restent
fermement fondés sur la doctrine et la pratique de la souveraineté territoriale et
les projets régionaux d'intégration sont poursuivis sur le modèle d'organisations
classiques internationales. En Afrique, les frontières internationales et les
régions limitrophes sont tenues et traitées davantage comme des points de
discontinuité que de continuité et comme des barrières plutôt que des ponts
entre les Etats - nations ou des pierres angulaires pour une intégration régionale
plus large. Dans la Communauté européenne, l'accent est mis sur la
décentralisation de l'administration territoriale et le processus décisionnel ; en
Afrique post-coloniale, la tendance est à l’augmentation de la centralisation du
91
Intégration régionale comparée
contrôle.
Les élites dirigeantes de l'Afrique post-coloniale sont préparées pour
continuer à prendre leurs inspirations dans une Europe d'avant-guerre, que les
Européens contemporains eux-mêmes sont déterminés à oublier ; mais,
malheureusement, ils semblent d’accord pour tourner le dos à leur propre passé
caractérisé, comme Basil Davidson l’a bien indiqué et comme nous l’avons
amplement montré dans l'étude du cas de Borgu, par "un génie... pour
l’intégration... par la conquête... et aussi par un mélange fécond et des
migrations" et une impatience manifeste pour des frontières exclusives (24).
Le contraste aigu dans les deux histoires, celle de l'Afrique et de l'Europe
depuis 1945, va au-delà de la question de l'idéologie du nationalisme dans
l’une et du régionalisme dans l'autre. Alors que l'Europe de l'après-guerre
représente une conversion non seulement du nationalisme à l'idéologie
régionaliste, mais aussi du militarisme et du totalitarisme à la démocratie
véritable et à l'obligation totale de la défense et du maintien des droits de
l'homme et des libertés fondamentales, l'Afrique contemporaine montre une
déliquescence progressive dans une ère de direction non démocratique, la
popularisation des régimes militaires, les violations des droits de l'homme, la
corruption massive officielle, un manque total de transparence et de
responsabilité dans la gestion de la plupart des Etats, et l'augmentation des
crises politiques. Cela a conduit l'Afrique à être un continent devant tous les
autres pour le nombre de guerres civiles et de guerres entre Etats depuis la fin
de la Deuxième Guerre mondiale.
En somme, la différence entre l'Afrique et l'Europe doit être vue comme
la "jauge" pour mesurer le vide à combler si, aujourd'hui, les développements
en Afrique de l’Etat - nation doivent être faits pour réaliser dans l’avenir
l'Afrique des régions et des peuples sur le modèle de l'Union européenne,
92
Le régionalisme transfrontalier : l’expérience de l’union Européenne pour l’Afrique
post coloniale à travers l’expérience de BORGU
fermement fondé sur la pratique active et systématique du régionalisme
transfrontalier et nourri par un large nombre de régions s'appuyant sur les
principes et une pratique de gestion démocratique, la décentralisation
administrative et la responsabilité avec une obligation totale du respect des
droits de l'Homme et des libertés fondamentales. C’était sans doute le
ressentiments profond que les Européens de l'après-guerre éprouvaient contre
le nationalisme d'Etat, le militarisme et l'autoritarisme et leur engagement pour
la démocratie, la transparence, la responsabilité et le respect des droits
fondamentaux de l'homme et des libertés qui ont donné aux communautés de
frontière, jusqu'alors
ignorées et opprimées dans des Etats- nations de
l'Europe, la chance pour organiser dans la prospérité transfrontalière, des
communautés territoriales et des autorités qui sont devenues les pierres
angulaires de la réalisation de la Communauté européenne. De semblables
conditions socio - politiques doivent être créées et favorisées si l'Afrique veut
ressembler à l'Europe d’aujourd’hui qui depuis longtemps, a remplacé celle qui
a créé ces Etats coloniaux et néo-coloniaux.
En ne doutant pas que "l'expérience européenne pour surmonter le
nationalisme d'Etat et soulager les problèmes des peuples de frontières peut
avoir quelque application...ailleurs", notamment en Afrique, Raimondo
Strassoldo, dont les travaux sur l'Europe ont été si complémentaires aux nôtres
sur l'Afrique, a exprimé l'espoir que "des unions transnationales dans d'autres
continents soient fondées sur d'autres bases que les tas immenses de décombres
et de cadavres que nous avons eus en Europe" (25). Il a aussi exprimé le désir
"que les horreurs européennes ne soient pas reproduites" ailleurs (26).
Les faits en Afrique n'ont pas correspondu aux espoirs et aux vœux de
Strassoldo. Les enseignements n'ont pas été et ne peuvent pas être les mêmes
en Afrique et en Europe ; mais les horreurs produites par les défaillances des
93
Intégration régionale comparée
Etats post-coloniaux de l'Afrique n'ont pas été moins terrifiantes que celles de
l’Europe d’avant 1945. Les tristes records de l'Afrique concernant les crises
socio - politiques montrent de façon équivalente aux Africains "les tas de
décombres et de cadavres" de l'histoire européenne. Pour preuve, par exemple,
les génocides, les meurtres massifs et les fosses communes aussi bien que les
destructions gratuites et délibérés de propriétés et d'infrastructures qui ont
accompagné plusieurs conflits armés dans le Congo / Kinshasa, le Nigeria,
l'Angola, le Mozambique, le Zimbabwe, l'Afrique du Sud, la Namibie,
l'Ouganda, le Rwanda, le Burundi, le Congo/Brazzaville, la Somalie, le
Soudan , le Libéria, la Sierra Leone et l'Algérie, et, entre le Maroc et la
Somalie et ses voisins, la Libye et le Tchad, le Mali et le Burkina Faso, le
Sénégal et la Mauritanie, le Nigeria et le Cameroun, l'Ethiopie et l'Erythrée.
Aux crises politiques doivent être ajoutés les nombreux cas de désastres
naturels, notamment les sécheresses et les famines dans la zone du Sahel, du
Sénégal à l'ouest et à Djibouti à l'est au milieu des années 1970 et 1980.
Encore une fois, dans toute leur variété, ce que les crises africaines ont
montré est l'inefficacité patente des Etats individuels agissant dans l'isolement
les uns des autres et donc l'impératif de coopération transfrontalière et
d'intégration régionale comme stratégie efficace pour la résolution des crises.
C'est tout à fait instructif, par exemple, qu'un des grands enseignements que les
crises de la région des Grands Lacs ont provoqué, réside dans la suggestion
innovatrice de transformer la zone en un espace d'une nouvelle organisation
sous-régionale. Lorsque cela arrive, l'initiative peut prendre son inspiration
principale sur des structures existantes comme la Commission des Etats pour la
Campagne contre la Sécheresse dans le Sahel, basée à Ouagadougou, et comme
l'Autorité Intergouvernementale pour le Développement, basé à Djibouti et
créé en réponse au désastre environnemental consécutif aux sécheresses et aux
94
Le régionalisme transfrontalier : l’expérience de l’union Européenne pour l’Afrique
post coloniale à travers l’expérience de BORGU
famines du Sahel dans les années l 970 et l 980.
Il n'y a aucun doute qu’en Afrique, nous avons toujours une longue route à
parcourir au regard des écarts qui doivent être comblés pour atteindre les
niveaux de développements de l’Europe. Mais l'avenir est tourné de façon
prévisible vers une affirmation croissante de la coopération transfrontalière
institutionnalisée comme pierre angulaire indispensable à la réalisation de
projets d'intégration transfrontaliers régionaux durables. La preuve en est
double : premièrement, le renouvellement significatif des efforts de création de
nouvelles organisations sous-régionales, une "reconceptualisation" radicale et
une réorientation des institutions existantes ; deuxièmement, la promotion
d'initiatives de politique de coopération transfrontalière, particulièrement dans
le Maghreb, l'Afrique occidentale et l’Afrique orientale et du sud (27).
Dans la première catégorie, de nouveaux développements sont apparus, ceux
qui ont mené à la modernisation de la Communauté Economique d’Etats de
l'Afrique Occidentale (ECOWAS) dans une organisation supranationale pour la
région, basée sur l'adoption d'un Traité ECOWAS, révisé en 1993 ; la
réorientation du Conseil de Coordination et de Développement de l'Afrique du
Sud (SADCC) de l’ère de l'Apartheid vers une nouvelle organisation postapartheid, la Communauté de Développement du Sud de l’Afrique (SADC) et
l'Union du Maghreb Arabe (UMA), enracinée dans la pratique de la
coopération transfrontalière, particulièrement le co-développement de zones
frontières entre les Etats membres du Maroc, de la Mauritanie, de la Libye, de
l'Algérie et de la Tunisie.
En ce qui concerne la deuxième catégorie de développements, se référant
plus spécifiquement à l'avenir du régionalisme transfrontalier, mention a déjà
été faite de la série d'initiatives parmi les Etats membres de l'UMA. D'autres
illustrations pertinentes incluent l'initiative très médiatisée mais pas
95
Intégration régionale comparée
suffisamment soutenue du Nigeria vis-à-vis de ses voisins immédiats, qui ont
élaboré une série d'ateliers bilatéraux, le premier avec la République de Bénin,
à Topo Badagry, en mai 1988, qui a connu un succès retentissant avec la
participation active des autorités territoriales et des communautés locales
nigérianes et béninoises de Borgu.
Finalement, il y a les recherches en cours sur le développement de zones
frontières en Afrique Orientale et du Sud, amorcées en 1992 par le Bureau de
Nairobi (Kenya) du Centre des Nations Unies pour le Développement régional
en Afrique. Ce projet louable a permis de créer deux ateliers fortement
couronnés de succès internationaux, l’un dans le Kariba au Zimbabwe, à la
frontière avec la Zambie, en août 1995, et l’autre, dans le Mutare, également au
Zimbabwe, à la frontière avec le Mozambique. Parmi les succès que ce projet
peut revendiquer, apparaissent toute une gamme d'événements concrets dans la
coopération internationale ou des initiatives incluant le lancement en 1996 d'un
périodique local, le Rapprochement des Frontières : le Bulletin de Kariba Siavonga, publié deux fois par an à l'origine et très bien reçu des deux côtés de
la frontière Zambie- Zimbabwe. De la même façon, sur le secteur frontalier de
Kariba - Siavonga, un Comité bilatéral de Direction a été établi afin d’accélérer
la réorientation générale d'une coopération “dos-à-dos” vers des rapports “face
à face”, plus souhaitables entre les élites locales et les autorités locales des
deux côtés de la frontière.
Quelques recommandations de politique :
Pour promouvoir ces développements au demeurant modestes et assurer
leur extension, il y a un besoin évident d'une réorientation radicale de la
mentalité coloniale de la prétendue "élite de succession". Cela appelle trois
recommandations fortement liées :
96
Le régionalisme transfrontalier : l’expérience de l’union Européenne pour l’Afrique
post coloniale à travers l’expérience de BORGU
(i) Une action urgente planifiée de la part des décideurs politiques en Afrique ;
(ii) Un appui fort de la part d’Africains et des communautés de chercheurs sur
l’Afrique, à l’intérieur et à l'extérieur de l'Afrique ;
(iii) Une aide appropriée par des communautés de donateurs, particulièrement
les amis de l'Afrique dans l'Union européenne et l’ALENA.
En ce qui concerne les décisions de politique appropriées, l'Organisation
de l'Unité Africaine (l'OUA) doit être particulièrement concernée. Ayant
sagement résolu par sa Charte de 1963 et la Déclaration du Caire de 1964 de
légitimer les frontières coloniales passées dans l'intérêt de la paix continentale
et de la stabilité, l'OUA ne doit pas se permettre d'entrer dans le XXIe siècle
sans prendre le tournant logique qu’elle aurait déjà dû prendre : celui d'assurer
la conversion des frontières passées, érigées en barrières officielles, vers de
nouveaux dispositifs permettant une meilleure communication entre les Etats
membres. En faisant cela, l'Organisation va pouvoir profiter de l'expérience de
l'Europe, le colonisateur d'autrefois de l'Afrique, où les problèmes de frontière
semblables à ceux de l'Afrique post-coloniale ont été abordés et résolus avec
succès. Est particulièrement recommandée l'adoption
d’instruments
applicables à l’échelle du continent sur le modèle de la Convention européenne
sur la Coopération transfrontalière entre les Autorités territoriales et les
Communautés, qui est entrée en vigueur en 1984 et qui, depuis lors, a été
ratifiée et adoptée par un nombre croissant d'Etats européens incluant des Etats
comme la Pologne, appartenant aux régions récemment libérées d'Europe
Centrale et d'Europe de l'Est. L'OUA, en s'appuyant sur la Banque de
Développement Africaine, doit créer un Fonds de Développement Africain
Régional sur le modèle du FEDER pour des buts semblables au programme
INTERREG de la Communauté européenne.
Deuxièmement, les chercheurs africains travaillant sur l’Afrique doivent
97
Intégration régionale comparée
changer des thématiques traditionnelles (c'est-à-dire principalement avec une
perspective conflictuelle) et se focaliser à nouveau sur les projets plus proches
de la paix, des potentialités d'intégration coopérative et régionale des frontières
africaines. Des établissements de recherche africains à l'extérieur du continent,
avec l'exemple du Programme de Coopération Internationale en Afrique centré
sur la frontière artificielle - PICA -, conclu en 1989 avec l'Université du NordOuest d'Evanston (Illinois, Etats-Unis), doivent collaborer activement avec des
centres équivalents africains ; ainsi, le Centre d'Etudes des Régions et des
Frontières Africaines, actuellement en coopération avec l'Université de Lagos
(Nigeria), pour étudier de manière permanente le rôle des frontières dans
l'intégration régionale, notamment en Afrique.
La troisième et dernière recommandation de politique a trait au rôle
attendu de la communauté internationale, particulièrement de la Communauté
Economique Européenne (devenue Union européenne), en raison des anciens
pouvoirs impériaux et coloniaux qui ont divisé l'Afrique y compris le Borgu au
cours du siècle dernier. "Borgu 98" offre une occasion rare pour l'Europe de
l'après-guerre d'être particulièrement sensibilisée, non seulement aux maux et
aux dettes dues à l’Afrique colonisée mais aussi au devoir moral nécessaire de
dédommagement par des programmes d'aide appropriés. C’est à cet égard que
nous voulons maintenant faire les recommandations spécifiques suivantes :
(i) Une réorientation radicale de la pratique actuelle du Fonds monétaire
international et de la Banque mondiale qui soutiennent aujourd'hui encore
seulement des projets nationaux. La politique de prêt, qui a eu tendance à
accorder l'attention à la structure territoriale des Etats - nations, doit être
complétée par un appui accru aux initiatives internationales de développement
régional ;
(ii) Un appui actif des pays développés, particulièrement ceux de l'Union
98
Le régionalisme transfrontalier : l’expérience de l’union Européenne pour l’Afrique
post coloniale à travers l’expérience de BORGU
européenne et de l’ALENA, pour le rapatriement de richesses mal acquises,
investies par les leaders africains corrompus et
les fonctionnaires qui
gouvernent leurs économies, notamment sur les marchés de capitaux et dans les
secteurs immobiliers. Cela accroîtra la transparence, composante principale
d'une gestion démocratique et exigence forte pour la réalisation du
régionalisme transfrontalier en Afrique ;
(iii) L'extension en Afrique de la part de l'Union européenne, en particulier de
la Commission européenne, de l'appui financier qu'elle a octroyé à l'Europe
Centrale et Orientale par l’intermédiaire de programmes de développement
transfrontaliers régionaux; et, finalement,
(iv) Le jumelage exemplaire d’”Eurorégions” (par exemple la région
Baschensi) avec de futures régions transfrontalière africaines comme le Borgu.
Concluons cette communication sur ce dernier aspect en demandant aux
gouvernements et aux peuples de Grande-Bretagne, de France et d'Allemagne,
Etats - nations européens dont les ressortissants ont été responsables
complètement ou en partie de la partition arbitraire de Borgu, d'apporter de
telles contributions qui accéléreraient son évolution pour en faire une
exemplaire "Afrorégion" sur le modèle des "Eurorégions" qui, depuis les
années 1950, ont été minutieusement construites à travers les frontières des
Etats métropolitains européens d'autrefois, particulièrement ceux de France et
d’Allemagne permettant l'apparition de la "Framagne" de l'Union européenne.
NOTES
1. Vedovato, G. (1995): Transfrontier Cooperation and the Europe of Tomorrow
(Strasbourg : Council of Europe), p. 2.
2. Ibid., p.3.
3. Pour des travaux similaires sur l’Amérique Latine et du Nord, voir L Lambi, L.
(1989): "The Venezuela-Colombia Borderlands : A Regional and Historical
Perspective", Journal of Borderland Studies (hereafter J.B.S), Vol. 4, No. 1: 1-38; P.
Ganster, "The Andean Border Integration: Report on a Seminar à Lima, Perou, 3-6
99
Intégration régionale comparée
juillet 1989", J.B.S., Vol. 5, No. l, 1990 : 95-10 and Niles Hansen (1983): "European
Transboundary Cooperation and its Relevance to the United States - Mexico Border",
Journal of the American Institute of Planners, Vol. 49, No. 3, 336-343. Pour une
référence au régionalisme transfrontalier en Asie, voir Gooneratne, W. and E.
Mosselman (1996): "Planning Across the Borders: Border Regions in Eastern and
Southern Africa", en particulier la section intitulée "Lessons from Asian and European
Experiences", Regional Development Dialogue, Vol. 17, No. 2, pp. 136-155,
particulèrement pp. 148-149.
4. Pour des travaux antérieurs de l’auteur sur les potentiels africains pour le
régionalisme transfrontalier, voir Asiwaju, A I. (1984): Artificial Boundaries (Lagos :
University of Lagos press, Asiwaju, A.I. Ed. (1985), Partitioned Africans: Ethnic
Relations Across Africa's International Boundaries, 1884-1984, (London: C. Hurst and
Co.) and A.I. Asiwaju (1992): "Borders and Borderlands as Linchpins for Regional
Integration in Africa: Lessons of the European Experience", Africa Development
(CODESRIA, Dakar), xvii, 2, 345-363.
5. Vedovato, op. cit., p.3.
6. Ibid., pp. 9- 13.
7.Voir particulièrement Asiwaju, A.I. (1996): "Borderlands in Africa: A Comparative
Research Perspective with Particular Reference to Western Europe" in Paul Nugent
and A.I. Asiwaju, Eds., African Boundaries: Barriers, Conduits and Opportunities
(London : Frances Pinter).
8. Foucher, M. (1998): "The Geopolitics of European Frontiers" in Anderson, M. and
E. Bort (eds.), The Frontiers of Europe (London: Frances Pinter), 235.
9.Pour les références détaillées, voir : MacGaffee, Janet et al (1991): The Real
Economy of Zaire: The Contributions of Smuggling and other Unofficial Activities to
National Wealth (Philadelphia: University of Pensylvania Press); C. Ackello-Ogutu
and P.N. Echessah (1997): Unrecorded Cross-Border Trade Between Tanzania and
Her Neighbours: Implications for Food Security (Nairobi: USAID Regional Economic
Development Support Office - Draft Report); and J. Egg and J. Igue (1993): MarketDriven Integration in the Fastern Sub-Region: Nigeria's Impact on its Immediate
Neighbours (Paris: Club du Sahel/OECD).
10. Egg and Igue, op cit.
11. Ibid.
12. Voir Asiwaju, 1985, and 1995 op. cit. and Stanislas Adotevi (1997): "Cultural
Dimensions of Economic and Political Integration in Africa" in Real Laverge, ed.
Regional Integration and Cooperation in West Africa (Trenton, New Jersey: Africa
World Press and Ottawa: International Development Research Centre - IDRC).
13. La série bilatérale de colloques consultatifs entre le Nigeria et chacun de ses
voisins a été documentée par les publications suivantes (Voir A.I. Asiwaju and B.M.
Barkindo, Eds. The Nigeria-Niger Transborder Cooperation, Lagos: Malthouse Press,
1993 ; A.I. Asiwaju and O.J. Igue, Eds. The Nigeria-Benin Transborder Cooperation,
Lagos: University of Lagos Press, 1994; A.I. Asiwaju, B.M. Barkindo and Mabale,
Eds. The Nigeria-Equatorial Guinea Transborder Cooperation, Lagos: National
Boundary Commission, 1996).
14. Pour l'initiative U.N.C.R.D. pour l’Afrique orientale et du sud, voir le numéro
100
Le régionalisme transfrontalier : l’expérience de l’union Européenne pour l’Afrique
post coloniale à travers l’expérience de BORGU
spécial de Regional Development Dialogue (Vol. 17, No. 2, 1996), particulièrement la
sous-section intitulée "Regional Development Beyond Borders", pp. 136-215; and
A.I. Asiwaju and Marlies de Leeuw, Eds. Border Region Development in Africa:
Focus on the Eastern and Southern Sub-Regions (Nagoya, Japan: United Nations
Centre for Regional Development, Forthcoming).
15. Anene, J. C. (1970): The International Boundaries of Nigeria The Framework of
an Emergent African Nation (London: Longman), p. 194.
16 On doit cette estimation, au moins en partie, à Obare Bagodo (1994): "Liens
ethniques et systèmes de chefferie traditionnelle comme élément de coopération
transfrontalière: exemple des "Bariba" in Asiwaju and Igue, op cit., p. 63.
17. Pour une étude récente sur le Borgu au Nigéria, voir O.D. Akinwunmi (1995):
"The Nigerian Borgu, 1898-1989: A History of Inter-Group Relations", Ph.D. Thesis,
Department of History, University of Ilorin, Ilorin, Nigeria.
18. Anene, op. cit., p. 198.
19. Ibid.
20. Bagodo, op. cit., p. 67.
21. Cette migration massive a eu lieu en 1907.
22. Pour une étude de cas détaillée, voir A.I. Asiwaju (1975): "Formal Education in
Western Yorubaland, 1889-1960: A Comparison of the French and British Colonial
Systems", Comparative Education : Review, Vol. 19, No. 3, pp. 434-450. Voir aussi le
chapitre 9 'Educating the Hausa" in W.F.S. Miles (1995): Hausaland Divided:
Colonialism and Independence in Nigeria and Niger (Ittaca: Cornell Univ. Press), pp.
227-247.
23. Strassoldo, R. (1989): "Border Studies: The State of the Arts in Europe" in
Asiwaju,
A.I. and P.O. Adeniyi, Eds. Borderlands in Africa: A Multidisciplinary and
Comparative Focus on Nigeria and West Africa (Lagos: University of Lagos Press), p.
392: Pour une comparaison plus systématique de l’Afrique et de l’Europe, voir
Asiwaju, A.I. (1996): "Public Policy for Overcoming Marginalisation: Borderlands in
Africa, North America and Western Europe" in Sam Nolutshungu, Ed. Merging of
Insecurity: Minorities and International Security (New York: Rochester Univ. Press.)
24. Basil Davidson, quoted by Anene, op. cit., p. 2.
25. Strassoldo, op. cit., 392.
26. Ibid.
27. Pour une publication précédente, voir A.I. Asiwaju (1998) : "Fragmentation or
Integration : What Future for African Boundaries?", Papier présenté au Colloque
International intitulé "Nigeria and the Future of Africa: Setting the Agenda for the 21st
Century", Lincoln University, Pennsylvania, 29 avril-2 mai.
101
Intégration régionale comparée
DEUXIEME PARTIE : LES LECONS DE
L’INTEGRATION
DES PROCESSUS PRODUCTIFS EUROPEENS.
102
Intégration économique régionale et mécanismes compensatoires dans la Communauté
de Développement d’Afrique australe (SADC) : Quelles leçons de l’expérience
européenne ?
Intégration économique régionale et mécanismes
compensatoires dans la Communauté de Développement
d’Afrique australe (SADC) : Quelles leçons de l’expérience
européenne ?
OLIVIER CUREAU
CERSEI, Université
Panthéon-Assas (Paris II)
INTRODUCTION
La SADC (Southern African Development Community) a remplacé la
SADCC (Southern African Development Coordination Conference) en 1992.
Cette dernière, créée en 1980, avait pour principal objectif de réduire la
dépendance économique des pays de la « ligne de front », en particulier à
l’égard de l'Afrique du Sud1. Cette transformation reflète les changements
profonds intervenus dans la région, telle que la démocratisation de l'Afrique du
Sud. La SADCC fonctionnait sur la base d’une coopération sectorielle financée
en grande partie par l’aide internationale. La SADC s’est fixée comme objectif
de créer une véritable communauté fondée sur la coopération et l’intégration
économique régionale. L'Afrique du Sud intègre la SADC en 1994, suivie de
Maurice en 1995. La communauté s’élargit à nouveau en septembre 1997 avec
l’admission des Seychelles, pays le plus riche d’Afrique, et de la République
Démocratique du Congo (ex-Zaïre), pays parmi les plus pauvres du continent2.
La SADC a décidé d’approfondir son processus d’intégration
économique régionale à travers la libéralisation des échanges, des projets
d’infrastructures, le développement des complémentarités industrielles. Les
103
Intégration régionale comparée
effets des accords d’intégration régionale sont largement discutés dans la
littérature économique. Les impacts traditionnels à attendre de tels accords sont
les effets de création et de détournement de commerce, les effets de taille
(rendements croissants, accentuation de la concurrence) et l’attraction des
investissements directs étrangers à travers la réduction des distorsions et
l’élargissement de la taille du marché potentiel. Les bénéfices non traditionnels
concernent la crédibilité des politiques gouvernementales sur le plan intérieur
et extérieur, la coordination des politiques économiques, les effets de signal
auprès des agents économiques, le pouvoir de négociation ou l’existence de
mécanismes de sanction plus efficaces que ceux de l’OMC.
Le Protocole de Commerce signé en 1996 propose la réduction et
l’élimination graduelle des barrières tarifaires et non-tarifaires sur les échanges
intra-régionaux avec à terme (2006) l’établissement d’une zone de libreéchange entre partenaires de la SADC. A ce jour, seuls l’Ile Maurice, la
Tanzanie, le Zimbabwe, le Botswana et la Namibie ont ratifié le Protocole.
Cela souligne les réticences et les craintes de nombreux pays de la région quant
aux effets à attendre d’une telle zone en termes de recettes fiscales ou de
développement industriel. L'Afrique du Sud, de part son poids économique
dans la région, ne risque-t-elle pas d’être le principal bénéficiaire de la zone de
libre-échange ? L’intégration régionale ne risque-t-elle pas d’accroître les
inégalités entre pays ?
Nous nous attachons ici à étudier les mécanismes de compensation
potentiels dans le cadre d’une zone de libre-échange. Ces mécanismes sont
utilisés afin de transférer une partie des gains de la libéralisation commerciale
régionale vers les pays qui en bénéficient le moins. La question des
compensations peut devenir politiquement importante dans la négociation
d’accords de commerce régionaux, en particulier lorsqu’une économie est
104
Intégration économique régionale et mécanismes compensatoires dans la Communauté
de Développement d’Afrique australe (SADC) : Quelles leçons de l’expérience
européenne ?
dominante, comme c’est le cas en Afrique australe (section 1).
Le rôle potentiel des compensations est de s’assurer que la coopération
régionale est bénéfique à l’ensemble des pays participants, en dépit des
asymétries pouvant caractériser les bénéfices directs provenant des échanges et
de l’investissement. Les mécanismes qui atténuent ces asymétries, en
augmentant les flux de capitaux des pays du «centre» vers la périphérie,
peuvent accroître les bénéfices et la soutenabilité d’une zone de libre-échange.
L’expérience internationale suggère cependant que de tels mécanismes
ne sont pas toujours essentiels dans la création d’accords commerciaux
soutenables. De plus, une compensation n’implique pas nécessairement un
transfert budgétaire de gouvernement à gouvernement. En effet, les
propositions alternatives considérées ici, et qui s’appuient en partie sur
l’expérience européenne (section 2), suggèrent que d’autres méthodes peuvent
davantage contribuer à accroître les échanges et l’investissement en Afrique
australe (section 3).
1. Le besoin de mécanismes compensatoires au sein de la SADC
L’objectif de l’intégration économique régionale est d’améliorer
l’allocation des ressources, et par ce biais, d’accroître les revenus de tous les
pays participants. Cependant, l’expérience internationale suggère que les
bénéfices de l’intégration commerciale régionale (en termes d’échanges intrarégionaux et de nouveaux investissements) tendent à être plus importants pour
les plus grands pays participants. Les revenus relatifs de certains partenaires
peuvent donc diverger - même si leur croissance est plus rapide qu’auparavant.
Etant donné que certains pays croissent plus vite que les autres, on peut
s’attendre à l’émergence de pôles d’industrialisation. C’est notamment pour
105
Intégration régionale comparée
cette raison que l’introduction de mécanismes compensatoires revêt une
importance toute particulière, notamment en Afrique australe.
1.1. La compensation
La création de mécanismes compensatoires (sous la forme de transferts
budgétaires de gouvernement à gouvernement) se pose en général dans un
contexte d’unions douanières et non de zones de libre-échange. Rappelons que
les unions douanières sont caractérisées par un libre-échange entre les pays
membres et un tarif extérieur commun (TEC) appliqué à l’égard du reste du
monde. Dans le cas d’une zone de libre-échange, les droits de douanes sont
supprimés sur les échanges intra-régionaux mais les pays membres restent
libres de choisir leurs tarifs extra-régionaux.
Une des justifications théoriques à l’établissement d’un mécanisme
compensatoire dans le cas d’une union douanière repose sur le fait que les pays
exportateurs nets vis-à-vis des autres pays membres de l’union bénéficient de
gains supérieurs ; les pays importateurs nets pouvant même subir des pertes. En
effet, la présence d’un TEC ne permet plus aux pays d’ajuster le prix des
importations via un ajustement des tarifs. Etant donné que le TEC accroît le
prix des biens importables au-dessus du prix mondial - qu’ils soient produits ou
non dans l’union douanière -, les consommateurs des pays membres de l’union
paient une taxe sur ces biens. Les pertes associées à ces « taxes » sur les
consommateurs sont compensées en partie par les paiements aux
gouvernements membres provenant du fonds commun des recettes douanières
(dans la mesure où les biens sont importés en dehors de l’union) et en partie
par les gains des producteurs de l’union provenant de l’accroissement du prix
dû au TEC. Par conséquent, les pays exportateurs nets vis-à-vis des autres pays
106
Intégration économique régionale et mécanismes compensatoires dans la Communauté
de Développement d’Afrique australe (SADC) : Quelles leçons de l’expérience
européenne ?
de l’union bénéficient de gains supérieurs3. Pour cette raison, une
compensation payée par les pays membres exportateurs nets à leurs partenaires
peut être instaurée, de sorte que les gains liés à l’appartenance à l’union soient
partagés équitablement.
Afin de mieux comprendre ce problème, considérons l’exemple d’un
pays important des vêtements (le pays A), membre d’une union douanière
comportant un pays producteur de vêtements (le pays B), et où l’industrie est
protégée par un TEC de la concurrence étrangère (pays K produisant plus
efficacement que B les vêtements). Du fait de l’existence du TEC, les
consommateurs de vêtements du pays A doivent payer plus cher l’achat de
vêtements, qu’ils soient produits par le pays B ou par le pays K. Si le
gouvernement du pays A pouvait réduire le tarif, ses citoyens auraient accès à
des vêtements meilleur marché. Le différentiel de prix que les consommateurs
supportent va soit au fonds commun de recettes douanières (s’ils importent de
K), soit directement aux producteurs de B (s’ils importent de B). Dans ce
dernier cas, où B est exportateur net, la présence du TEC transfère des revenus
de A vers B. Le rôle de la compensation (ici de B vers A) est alors de
compenser ces transferts de revenus.
Deux autres éléments arguent en faveur d’un mécanisme compensatoire
au sein d’une union douanière : la possible polarisation de l’industrie dans les
économies les plus grandes de l’union et, dans le cas d’accords comme celui de
la SACU4, le manque de marge discrétionnaire budgétaire pour les pays
membres plus petits lorsque le TEC est déterminé unilatéralement par le pays
membre le plus grand.
La SADC ne visant à être qu’une zone de libre échange et non une
union douanière, la question de la détermination unilatérale des tarifs par
l’Afrique du Sud ou de l’effet d’accroissement des prix du fait du TEC est hors
107
Intégration régionale comparée
de propos pour l’instant. Dans le cadre d’une zone de libre échange, il n’y a pas
de perte de souveraineté et chaque pays peut réduire le prix de ses importations
potentielles en modifiant ses propres tarifs. Néanmoins, une polarisation de
l’investissement vers les économies les plus grandes et les plus diversifiées de
la zone est possible. Pour cette raison, l’argument de compensations dans le
cadre de la zone de libre-échange intra-SADC est tout à fait pertinent. En effet,
l’Afrique du Sud dispose d’une position dominante dans le commerce régional
et le déséquilibre commercial élevé en sa faveur est susceptible de s’accentuer,
voire de perdurer encore longtemps. De plus, l’Afrique du Sud pourrait attirer
l’investissement direct étranger au détriment de ses voisins plus petits.
Cependant, d’après l’observation des accords régionaux existants dans
le monde, l’instauration de transferts budgétaires à l’intérieur d’une zone de
libre-échange n’est pas systématique. Le Mercosur, par exemple, a négocié un
TEC sans compensation. L’ALENA (zone de libre-échange asymétrique) ne
prévoit pas de transferts de ressources compensatoires entre les Etats-Unis et le
Mexique.
De plus, lorsque des transferts sont réalisés, l’apport de ceux-ci ne
produit pas nécessairement un développement des zones périphériques. En
effet, le paiement de compensations résulte généralement de la volonté des
contributeurs nets de réaliser de tels transferts. Plus le nombre de pays pauvres
est élevé dans l’union, plus la charge du (ou des) pays riche(s) de l’union liée
aux paiements compensatoires sera élevée. Or, dans la mesure où l’efficacité
des transferts en terme de développement n’est pas uniforme, l’incitation des
pays plus riches de continuer à payer uniquement pour maintenir les pays plus
petits dans l’union douanière est réduite. Il peut alors arriver que l’on se trouve
à un point tel que la situation ne soit plus tenable : les pays membres les plus
riches peuvent refuser le paiement ou exiger des changements quant à la
108
Intégration économique régionale et mécanismes compensatoires dans la Communauté
de Développement d’Afrique australe (SADC) : Quelles leçons de l’expérience
européenne ?
définition des paiements si d’autres transferts budgétaires doivent être faits.
Ainsi, les pays les plus grands et les plus riches peuvent se détourner de
leurs engagements liés au versement des compensations, en particulier si les
unions douanières intègrent de nouveaux membres plus pauvres, comme cela
peut être le cas dans l’Union Européenne avec la question de l’adhésion de
PECO. Les pays membres d’accords régionaux recherchent alors de plus en
plus des méthodes alternatives de financement du développement des pays plus
pauvres, ceci afin d’améliorer la répartition des bénéfices de l’intégration
économique.
1.2. Des déséquilibres régionaux profonds susceptibles de s’accentuer dans
le cadre de la zone de libre-échange intra-SADC
L'Afrique australe est une région très hétérogène et marquée par de
profonds déséquilibres économiques susceptibles de s’accentuer dans la
période à venir. L'Afrique du Sud est sans conteste le pays le plus développé du
continent et constitue le centre névralgique des relations économiques intra et
extra-régionales. Son PIB représente près de 75 % du PIB de la région australe
et plus de 40 % du PIB de l'Afrique sub-saharienne alors que sa population ne
représente que 7,5 % du total de l'Afrique sub-saharienne. L'Afrique du Sud, le
Botswana, la Namibie et l’Ile Maurice figurent parmi les cinq pays les plus
riches d’Afrique. Ce sont les seuls pays africains - avec le Gabon - à être
classés dans la catégorie des Pays à Revenu Intermédiaire par l’OCDE. Le PIB
par habitant de l'Afrique du Sud, du Botswana et de l’Ile Maurice est ainsi
proche de celui du Mexique (3320 $ US). Il est un peu inférieur à celui de la
Malaisie (3890 $ US) et supérieur à celui de la Pologne (2790 $ US) ou de la
Thaïlande (2740 $ US). A contrario, avec un PIB par habitant de 122 $ US, le
109
Intégration régionale comparée
Mozambique constitue le pays le plus pauvre de la région5. Si ce dernier a le
PIB par tête le plus faible de la région, le Lesotho a la plus petite économie
avec les Seychelles. Le Zimbabwe, quant à lui, constitue la seconde économie
la plus industrialisée après l'Afrique du Sud.
Les économies de la région sont passées, en quelques années, d’un
modèle de croissance introvertie et protectionniste à une croissance par
l’exportation. Parallèlement, ces pays ont transformé des économies très
étatisées en des économies davantage axées sur le marché. La libéralisation
rapide de ces économies s’est souvent effectuée dans le cadre des Plans
d’Ajustement Structurel (PAS) appuyés par les Institutions de Bretton Woods.
La libéralisation externe s’est traduite par une convertibilité croissante des
monnaies, par la suppression des doubles systèmes de taux de change, par la
réduction générale des droits de douane et par le lancement de politiques de
promotion des investissements étrangers (créations de zones franches, mise en
place d’incitations fiscales, etc.). La libéralisation interne a entraîné en
particulier la suppression des monopoles et le lancement de programmes
massifs de privatisations ; ceux-ci sont largement engagés en Afrique du Sud,
au Mozambique et en Zambie.
Le développement industriel et la diversification sont des impératifs
pour la région. Seuls la Zambie, le Zimbabwe, l’Ile Maurice et l'Afrique du Sud
disposent d’un secteur manufacturier significatif, représentant près du quart de
leur PIB. Le manque de diversification des pays de la région se caractérise par
une forte concentration de la production industrielle dans des secteurs
d’activité à forte consommation en ressources (produits alimentaires, boissons,
tabac et textiles) et qui fournissent, à l’échelon régional, la moitié de la valeur
ajoutée générée par le secteur manufacturier. A l’exclusion du pétrole et des
métaux non-ferreux, la production régionale ne satisfait que la moitié de la
110
Intégration économique régionale et mécanismes compensatoires dans la Communauté
de Développement d’Afrique australe (SADC) : Quelles leçons de l’expérience
européenne ?
consommation. Là encore, l'Afrique du Sud domine la production industrielle
régionale. Mesurée en terme de valeur ajoutée, son secteur manufacturier est
cinq fois plus important que celui de la SADC, et quinze fois supérieur à celui
du Zimbabwe (second producteur manufacturier de la région).
La domination de l'Afrique du Sud s’exerce aussi sur les marchés
financiers. L’Afrique du Sud est globalement le seul pays de la région
disposant
d’institutions
financières
spécialisées
indépendantes
et
fonctionnelles, telles que des banques, des assurances, des fonds de pension
privés, des mutuelles ou des institutions de financement industrielles et
minières. Avec une capitalisation boursière de 280 milliards de dollars US et
des flux financiers journaliers de près de 7 milliards de dollars US, la Bourse
de Johannesburg domine les marchés de capitaux de la région et constitue un
lieu important des transactions de changes et de financement pour un grand
nombre de pays de la région.
La structure du commerce extérieur de la région correspond à la
structure classique des pays en développement d’exportation de produits
primaires vers les pays industrialisés et d’importations de biens manufacturés
en provenance de ceux-ci. Compte tenu de sa structure de production, l’Afrique
australe est fortement dépendante des marchés internationaux6 pour ses
importations de biens intensifs en capital et technologies, qui n’ont
généralement pas (hormis pour l'Afrique du Sud) de substituts intra-régionaux
concurrents. La part des produits primaires avoisine, en moyenne et pour
l’ensemble de la SADC, 82 % du total des exportations. Les produits
manufacturés ne constituent que 10 % du total des exportations de la SADC et
ne sont bien souvent que des biens de consommation à faible valeur ajoutée.
Compte tenu de la richesse de la région en ressources minières, les
avantages comparatifs des pays d'Afrique australe sont, comme de nombreux
111
Intégration régionale comparée
pays
en
développement,
particulièrement
centrés
sur
les
filières
d’approvisionnement (énergie, agroalimentaire, non-ferreux), produits peu
dynamiques dans le commerce mondial. Hormis l'Afrique du Sud, l’Ile
Maurice (textiles) et le Zimbabwe (sidérurgique), les pays de la région ne
parviennent pas à construire des avantages comparatifs dans d’autres filières.
De par son poids économique et son niveau de développement, l'Afrique du
Sud contribue à l’essentiel des avantages et désavantages comparatifs de la
SADC. Les principaux désavantages comparatifs des pays d'Afrique australe
portent sur des biens d’équipement et sur du matériel de transport, ainsi que sur
quelques biens intermédiaires (fils et tissus, pétrole dans le cas de l'Afrique du
Sud) et alimentaires (céréales).
L’intégration des échanges en Afrique australe est à la fois asymétrique
et polarisée autour de l'Afrique du Sud, pays dominant largement les échanges
intra et extra-régionaux. Les échanges entre l'Afrique du Sud et ses voisins
correspondent au schéma traditionnel d’exportations de produits manufacturés
(produits chimiques, biens d’équipement, matériel de transport) en échange
d’achat de matières premières nécessaires au fonctionnement de l’économie
sud-africaine (tabac brut, minerais, textiles, etc.).
L’accroissement des échanges intra-régionaux observé depuis 1980
s’explique principalement par la croissance des exportations sud-africaines,
particulièrement marquée durant les années 90, en direction des pays de la
région. La fin de l’embargo sur l'Afrique du Sud et le désarmement douanier
rapide engagé par ses voisins dans le cadre des plans d’ajustement structurel
ont constitué les principaux facteurs de cette croissance des exportations sudafricaines, et en particulier de produits manufacturés. Cette situation a
fortement accru les déséquilibres commerciaux en faveur de l'Afrique du Sud7.
Aucun pays d'Afrique australe n’a été épargné par cette poussée des
112
Intégration économique régionale et mécanismes compensatoires dans la Communauté
de Développement d’Afrique australe (SADC) : Quelles leçons de l’expérience
européenne ?
exportations sud-africaines vers la région, qui a permis à l'Afrique du Sud de
devenir le premier fournisseur de la totalité des pays de la SADC, à l’exception
de l’Angola. Le classement des pays selon l’importance des parts de marché
sud-africaines fait apparaître trois groupes bien distincts. Les pays membres de
la SACU sont ceux qui entretiennent les relations économiques les plus étroites
avec l'Afrique du Sud. Dans ce « premier cercle », la part de marché sudafricaine est de l’ordre de 80-90 %8. Dans les pays limitrophes ou très proches
qui ne sont pas membres de la SACU (Mozambique, Zambie, Zimbabwe,
Malawi), les parts de marché sud-africaines sont un peu moins élevées mais
restent tout de même très importantes (30-40 %). Elles y ont progressé très
rapidement au cours des dernières années, ce qui a correspondu en partie à un
effet de rattrapage par l'Afrique du Sud des positions perdues pendant les
décennies précédentes, au cours desquelles ses voisins avaient cherché à
réduire leur dépendance à l’égard de celle-ci. Enfin, les parts de marché sudafricaines sont un peu plus réduites (entre 10 et 20 % dans les autres pays de la
zone (Angola, Rép. Dém. du Congo, Ile Maurice, Seychelles, Tanzanie),
l'Afrique du Sud étant tout de même le premier fournisseur de ces trois derniers
pays. De manière peu surprenante, c’est vers ces pays que les exportations sudafricaines ont le plus progressé au cours des dernières années.
Les pays de la SADC présentent par ailleurs une certaine
complémentarité de leurs échanges commerciaux9, supérieure à celle observée
pour l’ensemble de l’Afrique sub-saharienne10. Cela souligne l’existence
d’opportunités que présente le développement du commerce entre ces pays.
Cependant, cette complémentarité relative est à la fois profondément
asymétrique et bipolaire. En effet, si la structure des exportations de l'Afrique
du Sud est complémentaire de celle des importations des pays de la région, la
structure d’offre de ceux-ci est généralement éloignée de la demande sud-
113
Intégration régionale comparée
africaine. De plus, les pays de la SADC (hors Afrique du Sud) présentent des
structures d’échanges (de production) davantage concurrentes que
complémentaires. Par conséquent, le potentiel de développement des échanges
intra-SADC se traduit principalement par un potentiel de croissance des
exportations sud-africaines vers les autres pays de la région. On peut donc,
suivant cette prédiction, s’attendre à un creusement des déséquilibres
commerciaux en faveur de l'Afrique du Sud et à une accentuation de la
polarisation de l’activité économique dans cette dernière si des politiques
appropriées11, en particulier dans le cadre de la zone de libre-échange intraSADC, ne sont pas rapidement mises en œuvre. Ces prédictions sont, par
ailleurs, confirmées par les résultats obtenus par Evans (1999). Ce dernier,
estimant l’impact d’une zone de libre-échange sur l’ensemble des pays
membres de la SADC, montre en particulier que l'Afrique du Sud pourrait
accroître son excédent commercial avec la région de l’ordre de 70 millions de
dollars US. Eu égard au déséquilibre initial important, il faudrait, toutes choses
étant égales par ailleurs, près de douze années, compte tenu des estimations des
taux de croissance des exportations et des importations, pour obtenir un
équilibre commercial entre l'Afrique du Sud et ses partenaires régionaux. Cette
situation ne contribuerait en fin de compte qu’à accroître les écarts de niveaux
de développement à l’intérieur de la SADC.
2. L’expérience de l’Union Européenne et de la SACU
Les expériences de l’Union Européenne et de l’Union douanière
d’Afrique australe quant à la mise en place de mécanismes compensatoires
peuvent constituer des éclairages utiles pour la définition d’un schéma de
compensations au sein de la SADC.
114
Intégration économique régionale et mécanismes compensatoires dans la Communauté
de Développement d’Afrique australe (SADC) : Quelles leçons de l’expérience
européenne ?
2.1. L’expérience des fonds structurels et de développement de l’Union
Européenne
Afin de satisfaire aux objectifs de réduction de « l’écart entre les
niveaux de développement des diverses régions » et de réduction du « retard de
développement des régions les moins favorisées », la Communauté dispose de
plusieurs fonds à finalité structurelle, auxquels s’ajoutent les interventions
propres de la Commission sous la forme des Programmes d’initiative
communautaire. Tous ces instruments s’appuient sur les concours de la Banque
européenne d’investissement (BEI) et constituent des points de repère utiles
pour la SADC.
Les fonds structurels, qui représentent près de 36 % du budget
communautaire en 1999 (soit 0,45 % du PNB des Quinze), visent à indemniser
les victimes des restructurations économiques, que les cibles soient définies en
terme de zone (zone en retard, zone en reconversion) ou en termes de
catégories sociales (chômeurs de longue durée, jeunes en phase d’insertion). Ils
reposent sur plusieurs principes d’intervention : la concentration des actions
sur des objectifs ; la programmation sur plusieurs années ; le partenariat avec
les Etats membres, les collectivités locales et les acteurs du développement
local ; et l’additionnalité (les fonds viennent en complément et non en
substitution aux aides nationale, régionale ou locale). Au regard des pratiques
de financement en Afrique australe, ces principes peuvent servir de points de
repère utiles dans la définition d’un cadre de financement régional au sein de la
SADC.
Les fonds structurels sont au nombre de quatre. Le Fonds européen de
développement économique régional (FEDER), créé en 1975, est le pivot de la
politique régionale communautaire en faveur des régions en retard de
115
Intégration régionale comparée
développement. Il contribue au soutien d’investissements productifs,
d’infrastructures locales, de développement des PME, d’actions pour
l’éducation, la santé, la recherche, dans les régions les plus défavorisées. Le
Fonds social européen (FSE), créé par le Traité de Rome, a pour mission le
cofinancement d’actions de formation professionnelle et d’aides à l’emploi. Le
Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA) favorise le
soutien aux structures agricoles (modernisation de la production et de la
commercialisation) et aux actions de développement rural. Le Fonds de
cohésion, créé par le Traité de Maastricht en 1993, est destiné à soutenir
l’effort de cohérence économique et sociale des Etats membres. Il est réservé
aux Etats membres dont le PIB par habitant est inférieur à 90 % de la moyenne
communautaire, soit l’Espagne, la Grèce, l’Irlande et le Portugal. L’attribution
des crédits se fait sur le principe de conditionnalité macroéconomique : effort
de convergence pour la Grèce afin qu’elle intègre la zone euro, respect du
Pacte de stabilité et de croissance pour l’Espagne, l’Irlande et le Portugal. Ce
fonds finance des projets qui ne concernent que les secteurs des infrastructures
de transport et de l’environnement.
Quel est l’impact des fonds structurels sur le rattrapage des
pays/régions riches par les pays/régions pauvres ? L’évaluation de l’impact des
actions structurelles montre qu’au niveau national les économies convergent
mais qu’au niveau régional les disparités ne se réduisent nullement. En effet,
on observe une réduction des écarts des revenus nationaux lorsque l’on prend
en compte les effets des transferts. Ces derniers expliqueraient ainsi la moitié
de la convergence observée sur la période 1989-1993 (Cour et Nayman, 1999).
Cependant, les disparités de revenu par habitant entre régions ont eu tendance à
se maintenir, voire à s’accentuer, tant à l’intérieur de chaque Etat qu’au sein de
la Communauté. Cet accroissement des inégalités est particulièrement notable
116
Intégration économique régionale et mécanismes compensatoires dans la Communauté
de Développement d’Afrique australe (SADC) : Quelles leçons de l’expérience
européenne ?
dans les pays, tels que l’Espagne et le Portugal, qui ont largement bénéficié des
fonds structurels (Commissariat Général du Plan, 1999).
Face aux critiques formulées à l’encontre des fonds structurels, la
Commission a proposé, dans le cadre de l’Agenda 2000, une réforme autour de
trois axes : la concentration des aides12, la simplification et la décentralisation
de la mise en œuvre des fonds, le renforcement de l’efficacité et du contrôle.
L’expérience européenne des fonds structurels peut certes constituer un
éclairage utile pour la région SADC, mais elle ne peut pas être suivie en l’état
par les pays de la région. La nature et le montant des fonds pour l’Afrique
australe doit, d’une part, prendre en compte les différences de niveaux de
développement entre les pays et, d’autre part, établir le lien entre leurs
capacités de financement de ces fonds et leur besoins prioritaires, tels que les
infrastructures et l’éducation. En effet, les pays de la région ne peuvent bien
évidemment pas contribuer (en % de leur PIB) au financement des fonds au
même niveau que les pays européens. Le financement de ces besoins
prioritaires passera donc également par une participation des bailleurs de fonds
et du secteur privé.
Enfin, de manière beaucoup plus marquée que pour l’Union
Européenne, l’existence de ces fonds peut servir de support à la crédibilité
interne de l’Union en Afrique australe et envoyer un signal aux pays les moins
développés de la région de rester dans l’Union.
2.2. La SACU : point de référence pour la SADC ?
Plusieurs membres de la SADC considèrent que les accords liés au
partage du revenu au sein de la SACU peuvent servir de point de référence
quant à la forme que devraient prendre les paiements compensatoires dans la
117
Intégration régionale comparée
future zone de libre-échange. La SACU est une des plus anciennes union
douanière et son mécanisme de compensation est considéré comme
fonctionnant avec un relatif succès (O’Connell, 1997).
L’Accord actuel de la SACU a été signé en 1969 avec l’objectif
d’encourager le développement économique de l’union douanière dans son
ensemble, de promouvoir le développement et la diversification
(industrialisation) des économies les moins avancées et de partager
équitablement les gains du libre-échange13. Cependant, suite aux nombreuses
plaintes émises par le Botswana, le Lesotho et le Swaziland (pays BLS), la
formule de partage des revenus de l’union douanière - principal mécanisme de
compensation - a été modifiée en leur faveur14. En effet, les pays BLS
mettaient en avant les effets défavorables de leur appartenance à une union
douanière avec un pays plus développé. On peut, parmi ceux-ci, citer la
croissance des prix issue de la structure tarifaire sud-africaine de protection de
ses industries, la croissance des prix issue des restrictions quantitatives de
l'Afrique du Sud sur les importations, la perte d’autonomie budgétaire et la
polarisation du développement économique en Afrique du Sud.
L’accord de la SACU est, depuis 1994, en renégociation. Le principal
point d’achoppement des négociations semble être, sans surprise, la formule de
partage du revenu. Alors que l'Afrique du Sud attribue le déclin de sa part dans
le revenu de la SACU aux transferts « généreux » aux pays BLNS, ces derniers
considèrent que les revenus reçus n’ont pas compensé les effets néfastes de leur
appartenance à une union douanière incluant un pays plus grand et plus
développé économiquement. Bien que la nouvelle formule du partage du
revenu n’ait pas été rendue publique, plusieurs caractéristiques semblent se
dessiner. Cette nouvelle formule assurerait que le revenu des pays BLNS
(Botswana, Lesotho, Namibie, Swaziland) ne soit pas brutalement déstabilisé et
118
Intégration économique régionale et mécanismes compensatoires dans la Communauté
de Développement d’Afrique australe (SADC) : Quelles leçons de l’expérience
européenne ?
permettrait une compensation envers les pays BLNS pour les effets liés à
l'accroissement des prix dû au TEC sur les importations totales. Il y aurait donc
un « facteur d’augmentation implicite » en ce qui concerne la polarisation et la
perte de discrétion budgétaire. Le fait que la part de l’Afrique du Sud soit le
résidu après calcul des parts des autres pays devrait disparaître. La part de
chaque pays serait désormais calculée de façon spécifique. Avec cette nouvelle
formule, les pays BLNS seraient responsables de la fixation et de la collecte
des droits d’accise mais les droits de douanes continueraient d’être collectés
par le Fonds Commun avant d’être redistribués. Ainsi, les pays BNLS
recevraient environ 60% du nouveau fonds (constitué uniquement de droits de
douane). Néanmoins, cette part jointe aux droits d’accise qu’ils perçoivent
devrait décliner du fait de la libéralisation tarifaire. En effet, les accords signés
entre l'Afrique du Sud et le GATT en 1994 exercent une pression importante
sur les négociations actuelles en termes de baisse des droits de douane et
d’élimination des restrictions quantitatives.
La seconde source majeure de désaccord porte sur la nature des
institutions chargées de gouverner l’accord révisé. Les pays BLNS souhaitent
un Secrétariat qui soit également une institution supranationale établissant les
tarifs. L’Afrique du Sud se montre opposée à céder un tel pouvoir décisionnel à
une institution supranationale tant qu’il n’existe pas d’accord entre tous les
pays membres de la SACU sur les politiques industrielles. L’Afrique du Sud
pense vraisemblablement que la SACU a fonctionné efficacement et de façon
moins coûteuse sous son contrôle, contrairement aux autres organisations
régionales en Afrique. L’Afrique du Sud a cependant proposé un siège à
chaque pays BLNS au Board of Tariffs and Trade, afin d’avoir un processus
décisionnel plus démocratique.
Ainsi, ces négociations sont un enjeu important pour l’avenir de la
119
Intégration régionale comparée
SACU, et plus largement pour l’ensemble de la SADC. Malgré la domination
économique écrasante de l'Afrique du Sud dans la région, une stratégie de
développement équilibré pour l’ensemble de la région est cruciale pour le
succès du développement économique futur de tous les membres de la SACU.
La persistance des inégalités existantes et l’inattention portée à un
développement intégré en Afrique australe aura des répercussions défavorables
sur l'Afrique du Sud en termes de flux migratoires et de réduction de la taille
des marchés d’exportations des biens sud-africains. Enfin, l’issue des
renégociations actuelles de l’accord de la SACU servira, par ailleurs, de point
de repère pour la définition de stratégies d’intégration à l’échelle de la SADC.
Il est donc essentiel qu’un accord sur le système de compensation soit
atteint entre les pays de la SACU. Un échec enverrait un signal négatif aux
autres membres de la SADC quant à un éventuel système de compensations
intra-SADC.
Or, même si les cinq pays de la SACU parviennent à un accord, cela ne
signifie pas qu’ils souhaitent étendre cet accord aux autres membres de la
SADC. En particulier, l’Afrique du Sud est peu susceptible d’accepter de payer
des compensations selon le même dispositif dans le cadre d’une union à
quatorze membres. En effet, ses contraintes politiques, économiques et sociales
internes (réduction des inégalités entre les populations) ne favorisent pas la
prise de responsabilité incombant au pays « centre » envers les pays
« périphériques » de la région. Ainsi, pour que les pays plus pauvres puissent
recevoir des compensations pour les effets de détournement de commerce
provenant de la zone de libre-échange, il faudra vraisemblablement trouver des
alternatives aux compensations fondées sur les transferts budgétaires de
gouvernement à gouvernement.
120
Intégration économique régionale et mécanismes compensatoires dans la Communauté
de Développement d’Afrique australe (SADC) : Quelles leçons de l’expérience
européenne ?
3. Les mécanismes alternatifs aux transferts budgétaires
La libéralisation commerciale est une source de risques pour les
gouvernements. Le premier danger est que les coûts de court terme (en termes
de chômage, de réduction des profits des secteurs auparavant protégés,
d’éventuels déficits commerciaux et de pertes de recettes douanières) soulève
l’opposition des producteurs nationaux avant que les bénéfices de long terme
(croissance économique, création d’emplois) n’aient pu se faire sentir. A cela
s’ajoute la forte pression politique des gouvernements des pays les plus enclins
à voir leur déficit commercial régional accru au sein de la zone de libreéchange. La soutenabilité politique d’un regroupement régional dépend donc
de la perception que chaque pays a des gains à attendre d’un tel accord. Cet
argument politique met en évidence l’importance des flux financiers (y compris
l’aide et les investissements étrangers) pour compenser les déséquilibres
commerciaux et permettre une distribution équitable des bénéfices entre les
pays participants.
En effet, la redistribution des gains du libre-échange intra-régional
constitue une raison politique et économique majeure à l’accroissement des
flux financiers intra-régionaux des économies du « centre » vers les économies
de la périphérie. Ces flux apparaissent d’autant plus nécessaires si les
économies du « centre » attirent la plupart des investissements directs
étrangers. Plusieurs mécanismes peuvent alors être utilisés pour encourager les
flux financiers intra-régionaux.
3.1. La suppression du contrôle des changes sur les flux intra-régionaux de
capitaux
121
Intégration régionale comparée
La suppression du contrôle des changes sur les flux intra-régionaux de
capitaux constitue un premier moyen de faciliter ces flux. Cela permet en
particulier au capital privé des économies du « centre » de rechercher des
opportunités d’investissement profitable dans les pays voisins, et
éventuellement de bénéficier d’une main d’oeuvre meilleur marché et de
dotations différentes en matières premières pour la production destinée à de
vastes marchés. Dans le cadre de la SADC, cette mesure constitue un
complément important à la mise en place de la zone de libre-échange. La
suppression des contrôles sur les investissements directs étrangers pourrait
constituer une première étape. En ce sens, l'Afrique du Sud a fortement
libéralisé son régime de contrôle des changes sur les investissements en
direction des pays de la SADC (hors pays de la CMA15 où il existe déjà une
libre circulation des capitaux). Pour l'Afrique du Sud, un déficit du compte
financier de sa balance des paiements vis-à-vis de la SADC permettrait de
compenser son large excédent du solde des transactions courantes avec celle-ci.
3.2. La libre circulation des travailleurs
La libre circulation des travailleurs constitue un second moyen de
redistribution des bénéfices d’une zone de libre-échange entre les pays
membres. En théorie, lorsque le travail peut circuler librement des industries ou
des zones en déclin vers celles en croissance, les flux de revenus et les envois
de fonds des travailleurs permettent une redistribution des gains réalisés dans
les nouvelles zones de croissance industrielle. En pratique, du fait de
l’existence d’un taux élevé de chômage des travailleurs non qualifiés dans la
plupart des pays d’Afrique australe (et du manque de travailleurs qualifiés), la
libre circulation des travailleurs entre les économies de la région est peu
122
Intégration économique régionale et mécanismes compensatoires dans la Communauté
de Développement d’Afrique australe (SADC) : Quelles leçons de l’expérience
européenne ?
probable. Il n’est donc a priori pas souhaitable d’instaurer une libre circulation
des travailleurs avant que les marchés du travail nationaux ne fonctionnent plus
efficacement. Cependant, à plus long terme, la libre circulation des travailleurs
permettrait de réduire les disparités régionales.
3.3. L’introduction progressive et asymétrique de baisses tarifaires
L’introduction progressive et asymétrique de baisses tarifaires constitue
une troisième voie à envisager. L’introduction progressive et asymétrique
d’une baisse tarifaire au sein de la zone de libre-échange a déjà été acceptée
par les Etats membres. En effet, elle constitue un mécanisme redistributif dans
la mesure où elle offre, pendant une période donnée, un accès non réciproque
au marché du plus grand pays, à savoir l'Afrique du Sud. La proposition est,
qu’à la signature du traité de la zone de libre-échange, les pays membres de la
SACU réduisent ou suppriment immédiatement leurs droits de douane sur
environ les trois quarts de leurs produits en provenance de la SADC. Après
cinq années, ces suppressions de tarifs devront concerner 90% des importations
en provenance de la SADC. Les pays non membres de la SACU auront quant à
eux huit ans pour harmoniser leurs tarifs à ceux des pays de la SACU.
Une telle stratégie permettra aux investissements nationaux et étrangers
de la région (en particulier sud-africains) de s’établir avant la suppression
progressive des barrières protectionnistes. Bien que cela puisse prolonger
certaines distorsions économiques, ce principe est vraisemblablement
nécessaire à la construction d’une capacité industrielle dans les économies les
moins diversifiées. Il limitera en particulier l’affaiblissement - voire la
destruction - des industries existantes du fait d’une libéralisation trop rapide.
Parallèlement, la mise en place d’un agenda concernant la suppression des
123
Intégration régionale comparée
protections devrait encourager les entreprises à prendre des mesures afin de
devenir plus efficaces. On peut ainsi espérer que le développement d’une
capacité industrielle améliore non seulement les échanges intra-régionaux mais
encourage également la main d’oeuvre à rester sur son territoire d’origine.
L’Afrique du Sud n’a d’ailleurs pas attendu la mise en place de la zone
de libre-échange pour commencer, unilatéralement, à réduire ses tarifs sur ses
importations régionales. En mars 1998, elle a annoncé une suppression de
droits de douane sur 60% de ses lignes tarifaires. Etant donné que la période de
8 ans de libéralisation asymétrique prévue par le Protocole de Commerce ne
commence qu’à la signature de celui-ci, la décision sud-africaine offre donc un
délai supplémentaire aux autres pays membres. Notons que l’impact de cette
décision sur les petits pays de la SACU reste encore incertain.
3.4. Les incitations à l’investissement régional et au développement
Les incitations à l’investissement régional et au développement
constituent une dernière alternative possible. Le modèle proposé par
l’UEMOA16, de transferts compensatoires durant la période de transition vers
l’établissement d’un TEC est particulièrement intéressant pour la SADC, car il
intègre des pays en développement relativement pauvres. Cependant, les pays
exportateurs nets ont signifié qu’ils ne souhaitaient pas poursuivre le paiement
de transferts compensatoires après la période d’ajustement des autres pays
membres. Une suggestion apparaît cependant intéressante : les donateurs
pourraient contribuer au financement des fonds structurels et de développement
au sein de l’UEMOA. Cette mesure pourrait conduire à une redéfinition des
priorités de l’aide, plutôt qu’à une augmentation du volume d’aide reçue par les
pays participants.
124
Intégration économique régionale et mécanismes compensatoires dans la Communauté
de Développement d’Afrique australe (SADC) : Quelles leçons de l’expérience
européenne ?
L’idée d’un programme d’investissements en infrastructures régionales,
pouvant impliquer la création d’un fonds de développement en Afrique
Australe, n’est pas nouvelle. La question de l’investissement régional en
infrastructures a, au contraire, historiquement constitué un centre d’attention
tout particulier de la SADC. S’appuyant sur l’expérience européenne, la
création d’un fonds de soutien au développement de la région est actuellement
étudiée par la FISCU (Finance and Investment Sector Cordinating Unit) de la
SADC.
Il existe en effet plusieurs avantages à disposer d’un mécanisme de
redistribution centré sur l’investissement en infrastructures, en particulier sur
les transports et les télécommunications. En effet, de telles dépenses ont un
impact significatif sur la croissance (voir par exemple Easterly et Rebelo,
1993). Ces investissements favorisent, en outre, le commerce intra-régional en
facilitant l’accès aux marchés régionaux, et par conséquent constituent une
politique complémentaire à la libéralisation commerciale. Enfin, d’un point de
vue plus politique, il est probablement plus facile de convaincre l’Afrique du
Sud (et d’autres pays tels que le Zimbabwe) de financer des dépenses portant
sur des infrastructures régionales que d’opérer des transferts budgétaires vers
les autres pays.
Le projet du Corridor de Maputo est un exemple de type de projet et de
structure de financement (public et privé) pour de telles initiatives
« compensatoires ». On s’attend en effet à ce qu’il ait un impact significatif sur
la croissance en Afrique du Sud comme au Mozambique et qu’il favorise le
commerce intra-régional. Il a d’ailleurs fait l’objet d’un large soutien politique
dans toute la région.
Des arguments du même ordre peuvent également être fournis dans le
cas d’une dépense régionale en éducation, en particulier technique. Une
125
Intégration régionale comparée
certaine standardisation des qualifications et des accords sur l’apprentissage
pourraient en effet améliorer la valeur de telles dépenses (voir Leape et al.
(1998) sur le rôle des politiques micro-économiques de soutien d’une zone de
libre échange).
L’ensemble de ces arguments sont utiles au regard de la part
relativement élevée de la redistribution financée par l’aide versée par les
donateurs à la région par rapport aux contributions des pays de la région ; et
ceci d’autant plus que les membres de la SADC plaident en faveur de
nouveaux fonds provenant des donateurs pour aider, pendant la période de
transition, à ce que la zone de libre-échange soit soutenable.
Quelques critiques ou précautions doivent être toutefois mentionnées.
L’apport de financements pour des projets de développement ne produit pas
nécessairement un développement. La qualité des projets, le degré
d’implication du secteur privé et l’environnement macro et micro-économique
constituent des facteurs déterminants pour la réussite des projets. De plus, les
institutions financières africaines de développement ont souvent échoué dans le
financement de projets efficients. Enfin, il s’avère nécessaire de mettre en
place des contrôles ayant pour objet de veiller à ce que les ressources soient
effectivement utilisées pour stimuler la croissance économique et non pour
satisfaire les clientèles politiques.
Ainsi, un fonds de développement pourrait être constitué des
contributions des pays membres de la SADC, proportionnelles à leur part dans
les exportations intra-régionales. Le fonds commun pourrait être complété par
l’aide des donateurs, conditionnelle aux progrès de la libéralisation
commerciale à l’intérieur de la SADC.
De plus, le financement de projets spécifiques nécessite cependant des
critères clairs. Par exemple, les pays demandant un aide financière pour un
126
Intégration économique régionale et mécanismes compensatoires dans la Communauté
de Développement d’Afrique australe (SADC) : Quelles leçons de l’expérience
européenne ?
projet pourraient (i) fournir la démonstration de bénéfices à venir en terme
d’accroissement du commerce et du revenu ; (ii) établir la preuve qu’au moins
deux pays membres de la SADC bénéficieront de la mise en oeuvre du projet ;
(iii) avoir tous suivi l’agenda de libéralisation de la SADC ; (iv) satisfaire la
présence d’un cofinancement du secteur privé et du secteur public (et cela pour
chaque pays réclamant les fonds) ; et (v) établir un budget démontrant
comment les coûts périodiques seront financés (Crefsa, 1998).
Le principe de cofinancement est en effet important. Une structure de
cofinancement impliquant à la fois un fonds commun régional, les
gouvernements des pays candidats, le secteur privé et des donateurs éventuels
apparaît particulièrement appropriée. Il est essentiel d’avoir une participation
du secteur privé, non seulement pour des raisons financières17, mais également
afin de s’assurer que les projets retenus seront économiquement viables. Même
si les financements publics continueront d’occuper une place essentielle dans
de nombreux projets d’infrastructures, il existe déjà un grand nombre
d’exemples dans la région témoignant du rôle constructif joué par le secteur
privé. La Banque de Développement d'Afrique Australe (DBSA) a, par
exemple, très souvent participé au financement d’initiatives associant secteurs
public et privé concernant des infrastructures de transport ou hydrauliques et
d’autres projets ayant une dimension régionale importante.
La co-implication d’Etats membres dans des projets d’intérêt mutuel a
plusieurs avantages. En premier lieu, cela réduit la possibilité d’achat d’une
usine ou d’un équipement incompatible avec une allocation rationnelle des
ressources dans une perspective régionale. Ensuite, cela accroît les chances
d’amélioration des liaisons physiques régionales. Enfin, cela accentue la
pression à se conformer à l’agenda de libéralisation du commerce (si le projet
est rejeté lorsqu’un participant ne respecte pas les objectifs de libéralisation).
127
Intégration régionale comparée
Enfin, l’acceptation des projets soumis sera politiquement sensible. Il
est donc nécessaire qu’elle relève d’un organe supranational disposant d’une
autonomie politique et d’un mandat clair pour prendre des décisions fondées
sur des critères transparents (comme ceux suggérés précédemment). Il serait
cependant préférable, d’un point de vue coût-efficacité, de renforcer les
institutions existantes plutôt que d’en créer une nouvelle. Ainsi, l’approbation
des projets pourrait être sous la responsabilité d’un comité composé de
représentants du Secrétariat de la SADC, de la FISCU, de membres d’autres
unités sectorielles (ceux-ci changeraient en fonction de la nature du projet
proposé) et de représentants des parties assurant le financement (l’institution
qui administre les fonds, le secteur privé, les donateurs étrangers) (Crefsa,
1998).
CONCLUSION
S’il existe des potentialités réelles et significatives d’échanges intraSADC, la présence de l'Afrique du Sud dans la région les conditionne
fortement. La persistance d’un développement de type « centre-périphérie »
entre l'Afrique du Sud et le reste de la région n’est pas à exclure (Cureau,
1998). Ainsi, le développement et la diversification de la base industrielle ainsi
que des marchés d’exportations, l’attraction des investissements directs
étrangers et la répartition équitable des profits de l’intégration des échanges
constituent sans nul doute les principaux défis auxquels font face les pays
membres de la SADC.
Il ne faut cependant pas sous estimer les difficultés de réalisation d’une
zone de libre-échange d’ici 2006. L’application insuffisante des traités et
protocoles expliquent en grande partie la faible performance des accords
d’intégration régionale à travers le monde. Il apparaît donc nécessaire pour la
128
Intégration économique régionale et mécanismes compensatoires dans la Communauté
de Développement d’Afrique australe (SADC) : Quelles leçons de l’expérience
européenne ?
SADC de développer ses capacités institutionnelles à gérer la mise en oeuvre
de ces traités, et tout particulièrement le Protocole de Commerce. Par ailleurs,
les conflits entre l'Afrique du Sud et ses voisins sont susceptibles de créer de
véritables résistances à l’établissement d’une coopération visant le bien-être de
la région.
La problématique des compensations est économiquement et
politiquement importante et sensible dans le contexte de la zone de libreéchange intra-SADC proposée, étant donné la domination de l'Afrique du Sud
dans l’économie régionale. La création d’un cadre soutenable pour le
commerce régional exige certains mécanismes afin de garantir que les gains
potentiels de la libéralisation commerciale régionale - en termes
d’accroissement des échanges et des investissements et de croissance
économique plus forte - soient largement partagés entre les pays membres.
S’appuyant en partie sur l’expérience européenne, nous avons présenté
une série de mesures pouvant aider à atteindre les objectifs de la compensation
sans supporter les « coûts » associés aux transferts budgétaires de
gouvernement à gouvernement. Elles incluent la libéralisation du contrôle des
changes, la réduction progressive et asymétrique des droits de douane et la
promotion des investissements régionaux en infrastructures et en éducation à
travers, par exemple, la création d’un fonds de développement régional
construit en partie sur le modèle européen.
Notes
1
Les pays membres de la SADCC étaient l’Angola, le Botswana, le Lesotho, le Malawi, le
Mozambique, le Swaziland, la Tanzanie, la Zambie et le Zimbabwe. L’organisation s’est
élargie en 1990 avec l’entrée de la Namibie.
2
Mesuré en terme de PIB par habitant.
3
Ces gains seront d’autant plus importants que le niveau de détournement de commerce sera
élevé.
129
Intégration régionale comparée
4
Union Douanière d’Afrique Australe (Southern African Customs Union) comprenant l'Afrique
du Sud, le Botswana, le Lesotho, la Namibie et le Swaziland.
5
Les autres pays de la région classés parmi les PMA sont l’Angola, le Lesotho, le Malawi, la
Tanzanie et la Zambie.
6
L’Union Européenne constitue le premier partenaire commercial de la région.
7
Pour l'Afrique du Sud, le ratio exportations intra-SADC/importations intra-SADC était de 5,2
en 1998.
8
Il est probable que ces parts de marché soient surestimées, compte tenu de la réexportation
vers ces pays de produits originaires de pays tiers (en particulier l'Union Européenne) mais
passant par l'Afrique du Sud.
9
Mesurée à l’aide d’un indice de complémentarité des structures de commerce (voir Michaely,
1996). L’indice prend la valeur 1 (complémentarité parfaite) lorsque la structure des
exportations (importations) d’un pays correspond exactement à celle des importations
(exportations) du pays partenaire et la valeur 0 dans le cas contraire.
10
L’indice global de complémentarité des structures commerciales était, en 1996, de 0,24 pour
la SADC contre 0,09 pour l’Afrique sub-saharienne, 0,29 pour le Mercosur, 0,56 pour
l’ALENA et 0,53 pour la CEE (6 pays fondateurs).
11
Comme par exemple des politiques visant à favoriser l’investissement direct étranger, le
développement du capital humain ou la mise en place de mécanismes compensatoires à
l’échelle de la région.
12
Les objectifs des fonds structurels ont été ramenés de sept à trois. L’objectif 1 concerne
toujours l’aide aux régions en retard de développement. L’objectif 2 est élargi à toutes les
régions qui sont en reconversion économique et sociale. L’objectif 3 est horizontal et regroupe
toutes les actions en faveur de la modernisation des marchés de l’emploi.
13
La Namibie n’a adhéré à la SACU qu’à la suite de son indépendance en 1990.
14
Un facteur « d’augmentation » de 42 % est introduit, en 1969, dans la formule de partage des
revenus afin de répondre à la demande des pays BLS de compensation des désavantages de leur
appartenance à la SACU. Le niveau du facteur d’augmentation fut déterminé afin de garantir
aux pays BLS un montant de revenu de la SACU équivalent à 20 % de la valeur de leurs
importations (y compris les importations provenant d'Afrique du Sud) et de leur production
imposable.
15
La Zone Monétaire Commune (Common Monetary Area) est une zone de taux de change
fixes à laquelle appartiennent l'Afrique du Sud, le Lesotho, la Namibie et le Swaziland.
16
L’Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine regroupe le Benin, le Burkina Faso, la
Côte d’Ivoire, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Sénégal.
17
Les ressources publiques sont bien évidemment insuffisantes par rapport aux besoins de
financement des projets d’infrastructures.
Bibliographie
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à l’Est de l’Europe : des gains à escompter à l’Est et à l’Ouest, La
Documentation Française, Paris.
Cour P. et L. Nayman (1999), « Fonds structurels et disparités régionales en
130
Intégration économique régionale et mécanismes compensatoires dans la Communauté
de Développement d’Afrique australe (SADC) : Quelles leçons de l’expérience
européenne ?
Europe », La Lettre du CEPII, n° 177, mars.
CREFSA (1998), « Policies to Support the SADC Free Trade Area : The Role of
Compensatory Mechanisms », Quarterly Review n° 4, Center for Research
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Cureau O. (1998), « L’intégration économique et commerciale en Afrique
australe : un schéma de type « centre-périphérie » dominé par l'Afrique
du Sud », dans l'Afrique du Sud, une puissance utile ? l'Afrique du Sud
entre l'Afrique australe et le continent, L’Observatoire Européen de
Géopolitique, note 1063 DEF/DAS.
Easterly W. et S. Rebelo (1993), « Fiscal Policy and Economic Growth : An
Empirical Investigation », Journal of Monetary Economics, vol. 32, pp.
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Regional Trade in Sub-Saharan Africa », in Oyejide A., Elbadawi I. et
Collier P. (Eds), Regional Integration and Trade Liberalization in SubSaharan Africa, vol. 1, Macmillan.
131
Intégration régionale comparée
L’INTEGRATION REGIONALE DANS L’UEMOA : LES
LIMITES DU MODELE EUROPEEN
Anne-Sophie Claeys (Centre d’Etude d’Afrique Noire, CEAN, Bordeaux) et
Alice Sindzingre (Centre National de la Recherche Scientifique, CNRS,
Paris, et CEAN)
INTRODUCTION
L’Union européenne (UE) fonctionne et inspire les autres formes
d’intégration régionale (1). Ce constat de Moussa Touré, président de la
Commission de l’UEMOA (Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine)
(2), pose la question de l’exportabilité du modèle européen d’intégration
régionale. En effet, si le débat est aujourd’hui ouvert, c’est en premier lieu
parce que l’Europe constitue, jusqu’à présent, le seul modèle d’une intégration
régionale allant au-delà d’un projet économique qui ait fait la preuve de son
fonctionnement et de sa viabilité. Ce processus d’intégration peut être qualifié
d’endogène, c’est-à-dire « né d’un projet politique collectif et autonome,
repérable dans le temps et non soumis à une pression extérieure déterminante »
(3). La question de l’exportabilité du modèle européen d’intégration régionale
est d’autant plus pertinente que l’une des priorités actuelles de la politique
extérieure de l’Union est le soutien à l’intégration régionale, notamment dans
les zones en développement. Ainsi, si l’on s’interroge sur la capacité du
modèle européen à être « exportable », il faut également prendre en compte le
fait qu’il est déjà « exporté » dans certaines situations, dont celle représentée
par l’UEMOA.
Une analyse comparative du modèle européen d’intégration régionale
132
L’intégration régionale dans l’UEOMA : les limites du modèle Européen
nécessite de prendre en compte plusieurs modèles sous-jacents : un modèle
institutionnalo-juridique, un modèle économique, un modèle politique. Le
niveau institutionnel et juridique évoque à la fois les institutions relatives à
l’organisation et la construction par le droit. Le niveau économique suggère
l’existence de politiques économiques communes, d’une stratégie macroéconomique, d’une surveillance multilatérale et les objectifs en sont le
développement et la croissance économique. Le modèle politique implique une
gouvernance régionale, la mise en commun d’intérêts, le partage des
ressources, la recherche de la paix et de la stabilité.
Le cas de l’UEMOA est complexe dans la mesure où l’on peut
distinguer trois niveaux de relations entre l’UE et l’UEMOA : le niveau du
transfert du modèle européen, le niveau des degrés d’intégration de la Zone
Franc et enfin, celui du nouveau lien entre l’Euro et le Franc CFA après le
passage à l’Euro, et des conséquences de ce lien sur l’intégration régionale
ouest-africaine. Ainsi, à la différence d’autres types de relations entre l’UE et
des zones en développement (comme le Mercosur par exemple), le lien entre
l’Euro et le Franc CFA crée un niveau supplémentaire dans la relation entre ces
organisations régionales. Il est communément admis que le traité de l’UEMOA
est largement inspiré des traités européens (Traité de Rome modifié par l’Acte
Unique Européen et Traité de Maastricht). Les trajectoires de ces deux unions
sont cependant différentes, voire inverses, dans la mesure où l’UE est partie
d’une intégration économique par le marché pour aboutir à une union
monétaire, alors que les pays de l’UEMOA, dotés d’une monnaie unique dès
avant leur indépendance, tentent de mettre en place un marché commun et une
union économique.
Transposer un modèle d’intégration régionale est délicat dans la mesure
où il est conçu dans un contexte précis et forgé par des conditions propres à
133
Intégration régionale comparée
l’Europe. La mondialisation et la généralisation des expériences d’intégration
régionale limitent la transposition directe, sans aménagements, de ce modèle.
L’intégration régionale fonctionne dans la mesure où les particularismes locaux
sont évalués et pris en compte dans le processus d’intégration.
Le présent article examine ainsi la viabilité du modèle européen dans le
contexte de l’Afrique de l’ouest, compte tenu des caractéristiques locales
complexes pouvant hypothéquer le futur de l’UEMOA, ainsi que les capacités
d’appropriation et d’adaptation du modèle européen par l’UEMOA. Il tente de
montrer les limites du caractère « exportable » du modèle européen, sous les
trois aspects indissociables de l’intégration régionale que sont les institutions,
l’économie et l’économie politique. Il suggère également que, trait commun à
l’UE et à l’UEMOA, l’intégration économique fonctionne difficilement sans
intégration politique.
1. Eléments d’histoire des institutions : la construction de l’Union
européenne et l’UEMOA
L’Union européenne et l’UEMOA ont emprunté des trajectoires
différentes pour se constituer. L’Europe est née d’une démarche volontariste.
L’UEMOA émerge à partir d’un héritage institutionnel colonial : la zone franc.
1. 1. De la Communauté européenne à l’Union européenne
La construction européenne a emprunté la voie de l’intégration par
l’économie. Ayant constaté l’impossibilité d’une construction par le politique,
les pères fondateurs de l’Europe adoptent une démarche à la fois pragmatique
et prudente. « L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction
d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une
solidarité de fait » (4). La mise en commun des ressources (notamment le
134
L’intégration régionale dans l’UEOMA : les limites du modèle Européen
charbon et l’acier) est considérée comme une condition de la paix. L’approche
fonctionnaliste privilégie ainsi l’unification par les domaines économiques
(Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier, Marché commun,
Euratom, puis les politiques sectorielles comme la Politique Agricole
Commune, la pêche ou les transports) et soutient que l’intégration politique
découlera de la solidarité forgée au niveau économique (5). Par un effet de
contagion (spillover), est apparue au fil des années une évolution qui a conduit
à étendre le champ d’intervention de la Communauté à des domaines connexes
(6). Les compétences communautaires se sont ainsi élargies, par exemple, aux
politiques d’aide au développement ou de concurrence.
Au delà de l’intégration par l’économie et les politiques sectorielles,
l’Europe s’est également construite par le droit. La Communauté européenne
est un véritable « phénomène de droit ». Elle est en effet à la fois une création
du droit - l’unification de l’Europe est fondée sur la puissance du droit et non
sur la force -, une source du droit - qui résulte des Traités, des principes
généraux du droit et essentiellement du droit communautaire dérivé -, et un
ordre juridique - les rapports entre les populations des Etats membres sont régis
par le droit (7). L’ordre juridique communautaire, et le système juridictionnel
placé sous l’égide de la Cour de Justice des Communautés Européennes
(CJCE), constituent l’élément de la construction européenne le plus fortement
intégré (8).
En 1992, l’adoption du Traité d’Union Européenne (TUE) constitue la
réforme la plus importante depuis l’origine. Les stratégies d’intégration et de
coopération se sont progressivement combinées dans l’optique d’une
« stratégie de l’union » (9). L’Union européenne est dotée de trois piliers : le
pilier communautaire initial, enrichi de l’Union Economique et Monétaire
(UEM) ; la Politique Etrangère et de Sécurité Commune (PESC) ; la
135
Intégration régionale comparée
coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. Les
deuxième et troisième piliers demeurent à un niveau intergouvernemental (10).
Le modèle européen, et plus récemment le volet du traité de Maastricht
consacré à l’UEM, auront un impact, direct ou indirect, non négligeable sur
certains traités et organisations d’intégration régionale dans le monde (11).
1. 2. L’UEMOA : de l’union monétaire à l’union économique
Parallèlement à la construction européenne, la Zone Franc (ZF)
expérimente progressivement des formes d’intégration régionale autour d’une
union monétaire existante. La Zone Franc est un accord entre la France et 15
pays africains, accord qui couvre deux unions monétaires (ainsi que les
Comores qui ont leur propre monnaie, le Franc comorien), géré par deux
banques centrales, la BCEAO (Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest)
pour l’UEMOA (8 pays) et la BEAC (Banque des Etats d’Afrique Centrale)
pour la CEMAC (Communauté Economique et Monétaire d’Afrique Centrale,
6 pays) (12). Le Franc CFA est géré par le Trésor français qui garantit la libre
convertibilité via le « compte d’opérations ». Le Franc CFA est resté arrimé au
Franc français à la même parité pendant 46 ans, de 1948 à 1994 (si l’on omet la
dévaluation française de 1960, après laquelle 1 Franc CFA vaut 0,02 Franc
français). L’accord a fonctionné pendant les années de prospérité qu’a connu la
France après la seconde guerre mondiale, et dans la zone CFA, pendant la
période de croissance qui a suivi les indépendances autour de 1960 jusqu’au
choc pétrolier de 1979. A partir du milieu des années 1980, période du contrechoc pétrolier et de la chute des cours internationaux des matières premières
principales sources de devises des pays de la zone, la situation économique de
l’UEMOA se dégrade. La zone est affectée à la fois par de mauvaises
politiques macro-économiques (13) et un laxisme budgétaire. Démarrés au
136
L’intégration régionale dans l’UEOMA : les limites du modèle Européen
début des années 80, les programmes d’ajustement structurel ne sont alors pas
conçus dans une perspective régionale, ni ne se sont préoccupés de leurs
éventuelles conséquences sur les pays voisins, et les dévaluations des monnaies
de ces pays placés sous programmes d’ajustement (Ghana, Nigeria) vont
fortement éroder la compétitivité des entreprises formelles des pays de
l’UEMOA. De plus, l’union monétaire n’a pas empêché l’explosion de la dette
extérieure de certains pays. Juridiquement, les pays de la Zone Franc semblent
être les acteurs principaux de leur politique monétaire. Toutefois, les
mécanismes de fonctionnement de la zone maintiennent de multiples canaux de
dépendance vis-à-vis de l’ancienne puissance coloniale (14).
La Zone Franc est fondamentalement différente du projet européen. En
effet, elle a constitué une construction empirique dans ses origines et dans son
évolution, et ses règles institutionnelles ne découlent pas d’une construction
intellectuelle élaborée a priori (15). Bien que les dynamiques d’intégration en
Afrique de l’Ouest soient anciennes, voire pré-coloniales (16), le processus
actuel d’approfondissement de l’intégration de la sous région ouest-africaine a
pu être qualifié de « suivisme collectif » (17) dans la mesure où il est
l’expression d’un soutien extérieur. De même que pour les autres réformes
économiques et institutionnelles, la France, la Banque mondiale et la
Commission européenne ont ainsi participé à la préparation du Traité de
l’UEMOA (18).
En janvier 1994, le Franc CFA fut dévalué de 50 %. Dans la foulée, les
traités créant l’UEMOA et la CEMAC furent signés, succédant respectivement
aux anciennes UMOA (Union Monétaire Ouest-Africaine) et UDEAC (Union
des Etats d’Afrique Centrale). Le schéma général existant entre le Trésor
français et les pays africains de la Zone Franc reste largement inchangé. La
perspective de l’Euro a contribué à la décision de la dévaluation, conjuguée à
137
Intégration régionale comparée
la pression des institutions de Bretton Woods, l’adoption par la France de la
doctrine dite d’Abidjan conditionnant son aide à la signature d’un accord avec
celles-ci, et à la situation économique très dégradée de certains pays,
notamment la Côte d’Ivoire (19). En termes d’intégration, d’une part les
bailleurs extérieurs, bilatéraux et multilatéraux, ont eu des difficultés à
s’accorder sur la décision de dévaluer, incohérence qui a ajouté aux problèmes
économiques (anticipations des opérateurs, chute de l’investissement, fuite des
capitaux). D’autre part, le taux unique de la dévaluation n’était pas
uniformément approprié à des pays appliquant des politiques rigoureuses ou au
contraire laxistes, aux indicateurs macroéconomiques et financiers hétérogènes,
et manifestant des niveaux d’appréciation de leurs taux de change effectif réel
très différents – allant en 1993 de 30% dans les petits pays de la Zone Franc à
60% dans les plus importants (20). Les déficits ivoiriens (21) ont été la
principale référence de la dévaluation, entraînant une certaine amertume de la
part des autres pays. Les nouveaux traités de l’UEMOA et de la CEMAC
peuvent être analysés au moins comme un signal politique de la part des
dirigeants des PAZF (Pays Africains de la Zone Franc).
La nécessité de rapprocher les économies s’est progressivement imposée,
au moins dans les opinions des bailleurs de fonds, y compris des institutions de
Bretton Woods. Celles-ci ont longtemps conçu les programmes d’ajustement à
l’intérieur des frontières nationales et n’ont soutenu que progressivement le
concept d’intégration régionale, à la mesure des avancées de la réflexion
économique sur cette question. La part de l’Afrique sub-saharienne dans les
échanges mondiaux, en diminution, devient infime : la part des exportations de
l’UEMOA dans les exportations mondiales était en 1998 de 0,1%, et en
diminution (0,2% en 1985, 0,3% en 1970), à comparer avec 35,5% en 1998
pour l’UE (22). L’union monétaire dans la Zone Franc apparaît de plus comme
138
L’intégration régionale dans l’UEOMA : les limites du modèle Européen
historiquement soutenue de l’extérieur, de même que le caractère artificiel
d’une union monétaire entre pays n’ayant pas rapproché leurs économies, et
n’ayant pas maintenu une cohérence dans leurs politiques de développement, ni
une concertation des financements (23). L’intégration économique devient une
condition de la viabilité de la Zone Franc et donc de l’UEMOA, d’autant plus
nécessaire que l’arrimage à l’Euro impose des contraintes nouvelles en termes
de politiques économiques.
2. Un transfert problématique du modèle institutionalo-juridique
La construction historique évoquée ci-dessus doit être approfondie par la
comparaison entre l’UE et l’UEMOA. Celle-ci met en effet en évidence des
similitudes nombreuses au niveau des institutions, du droit et de l’unification
économique.
2. 1. Eléments d’intégration régionale déjà « exportés » de l’UE vers
l’UEMOA
Comme dans le cas de l’Union européenne, l’UEMOA se construit par
le droit. L’intégration passe tout d’abord par les traités qui constituent le droit
communautaire originaire. Ces bases institutionnelles définissent les buts et les
organes moteurs de la Communauté et établissent un calendrier pour réaliser
ses objectifs. Des institutions ont ainsi été créées, pourvues de pouvoirs
législatifs et administratifs (24). Au niveau des institutions communautaires,
l’UEMOA a adopté dans les grandes lignes le modèle institutionnel de l’UE.
Ainsi, elle s’est dotée d’une Conférence des chefs d’Etats, d’un Conseil des
ministres, d’une Commission, d’une Cour de justice, d’un Comité
interparlementaire (qui préfigure le parlement de l’Union) (25).
139
Intégration régionale comparée
La construction de l’intégration ouest-africaine par le droit a commencé
avant l’établissement du traité de l’UEMOA, notamment par un processus de
réformes et d’harmonisation de la Zone Franc en vue d’une union économique.
Une réflexion s’est engagée sur la mise en place d’un système financier
régional qui aurait surtout vocation à mobiliser l’épargne. En avril 1991, la
Conférence de Ouagadougou posait les jalons d’une intégration économique
par l’unification du droit et l’harmonisation des normes : unification du droit
des assurances (CIMA, Conférence Interafricaine des Marchés et des
Assurances), du droit des affaires (qui deviendra l’OHADA, Organisation pour
l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique), de la prévoyance sociale
(CIPRES, Conférence Interafricaine de la Prévoyance Sociale), création de
pôles régionaux de formation économique et financière de la fonction publique,
développement des universités sur une base régionale, mise en place d’Afristat
(pour la collecte des données statistiques, selon le modèle d’Eurostat) (26).
Les objectifs inscrits dans le traité de l’UEMOA sont proches de ceux
inscrits dans le traité instituant la Communauté européenne (CE, Traité de
Rome, 1957). L’objectif premier est l’intégration économique, recherchée via
cinq objectifs : renforcer la compétitivité ; assurer la performance des
politiques par la surveillance multilatérale ; créer un marché commun dont
l’élément-clé est un tarif extérieur commun ; coordonner les politiques
sectorielles nationales ; harmoniser les législations (27). Le projet de marché
commun de l’UEMOA, comme celui de la Communauté économique
européenne, repose sur l’établissement des libertés fondamentales du marché
intérieur – libre circulation des marchandises, libre circulation des travailleurs,
liberté d’établissement, libre prestations de services, libre circulation des
capitaux et liberté des opérations de paiements. On peut rappeler qu’il aura
fallu trente cinq années aux Européens pour achever le Grand Marché (1957-
140
L’intégration régionale dans l’UEOMA : les limites du modèle Européen
1992).
A ces éléments déjà « exportés » de l’UE vers l’UEMOA - droit,
institutions, objectifs -, s’ajoute une dimension d’économie politique. Tout
accord d’intégration régionale comporte pour chaque Etat membre un aspect à
l’évidence externe (entre Etats) et simultanément des implications internes, en
ce que l’accord engage les gouvernements et par là même remodèle les
institutions et les décisions politiques intérieures : cette « diplomatie à double
bord » est présente dans l’UE comme dans l’UEMOA (28).
2. 2. Au delà du modèle d’intégration, l’Euro et ses implications
institutionnelles et juridiques
A côté des éléments exportés via un transfert de modèle, la mise en
place de l’Euro montre l’existence d’un lien de fait entre l’UE et l’UEMOA. La
France a fait valoir aux Etats membres de l’UE et à la Banque Centrale
Européenne (BCE) que le Franc CFA est un arrangement budgétaire entre les
Etats africains francophones et le Trésor français, et non un arrangement
monétaire avec la Banque de France (29). Ainsi, la création de l’UEM n’a pas
de conséquences pour l’Union européenne en termes de financement
supplémentaire potentiel de la Zone Franc.
Cependant, le Franc CFA est désormais rattaché à l’Euro, et la Zone
Franc est par nature un accord de change. L’UEMOA est donc l’objet de
contraintes institutionnelles qui illustrent l’asymétrie de la relation, et ses
devoirs envers l’Union européenne. En effet, le 23 novembre 1998, le Conseil
de l’Union européenne s’est prononcé sur les implications du passage à l’Euro
pour les monnaies rattachées à la monnaie d’un Etat membre de l’UE, question
qui n’avait même pas été mentionnée dans le Traité de Maastricht préparant
141
Intégration régionale comparée
l’UEM. Le Conseil fait de l’arrangement monétaire bilatéral franco-africain,
sous certaines conditions, une question communautaire. Il rend également les
accords antérieurs plus contraignants, ce qui vise à renforcer leur crédibilité
(30). Il stipule que la France peut maintenir ses accords monétaires, et que la
France et les pays de la Zone Franc continuent d’être les responsables de la
mise en œuvre de ces accords (31). Cependant, les autorités françaises doivent
informer la Commission, la Banque Centrale Européenne et le Comité
Economique et Financier à propos de toute modification de la parité Euro /
Franc CFA. Les modifications sur la nature et le champ de l’accord doivent
être approuvées par le Conseil sur recommandation de la Commission et après
consultation de la BCE. Cet accord n’affecte pas la politique communautaire et
ne constitue pas un précédent pour les autres pays (32). Techniquement, le
Trésor français continue de garantir la libre convertibilité, la parité fixe et la
gestion centralisée via le compte d’opérations de chaque banque centrale de la
Zone Franc. Dans la liste des obligations de l’UEMOA envers l’UE, il faut
également noter que le Conseil de l’UE oblige également l’UEMOA, et plus
généralement la Zone Franc, à lui soumettre tout projet de dévaluation.
Les contraintes imposées par la décision du Conseil de l’UE sont de
trois ordres : politique, monétaire et économique. Une des conséquences de la
décision du Conseil est l’impossibilité pour l’UEMOA de décider seule de
l’élargissement de son union monétaire. L’adhésion de nouveaux membres est
soumise à l’accord du Conseil de l’UE. Une question est précisément celle de
l’ouverture hypothétique de l’UEMOA vers le Nigeria. En raison de la densité
des échanges entre les deux entités, mus à la fois par la taille du Nigeria,
comparable à celle de l’ensemble de l’UEMOA, de sa demande intérieure, et
ses politiques de taux de change, l’UEMOA entretient une relation ambivalente
avec son grand voisin – il lui est difficile de vivre à la fois avec et sans le
142
L’intégration régionale dans l’UEOMA : les limites du modèle Européen
Nigeria. Or l’Europe peut être réticente à un rattachement du naira à l’Euro.
L’extension du mécanisme du compte d’opération au Nigeria risque de ne pas
être acceptée de la France, ni de l’Europe, et la BCE ne semble pas envisager
l’éventualité d’une création, ni d’un transfert de ces comptes en son sein.
Un rapprochement avec le Nigeria dans l’optique d’une intégration
régionale basée sur la CEDEAO (Communauté Economique des Etats
d’Afrique de l’Ouest) entraînerait la délicate question d’un décrochement du
Franc CFA vis-à-vis du Franc français, et donc de l’Euro. De plus, les deux
ensembles de l’UEMOA et de la CEDEAO, malgré les pays qui leur sont
communs, ont des relations historiquement difficiles. Cette tension est
accentuée par le clivage entre francophones et anglophones, d’autant que la
CEDEAO constitue un arrangement peu effectif en regard de celui formé par
l’UEMOA, celle-ci aidée par son lien privilégié à l’UE (33). Ceci risque
d’accroître l’instabilité des parités et donc de faire reculer le processus
d’intégration régionale, même si la CEDEAO et l’UEMOA ont décidé, en mai
2000, de renforcer leur coopération. Signal intéressant, Alpha Oumar Konaré,
alors président en exercice des deux institutions, a présenté la CEDEAO
comme l’avenir d’une UEMOA chargée de montrer le chemin de l’intégration
régionale (34).
Certains observateurs arguent néanmoins que seule une intégration
régionale endogène, soutenue par des monnaies nationales et à un rythme
compatible avec la taille des échanges régionaux peut être viable à long terme,
et non pas appuyée sur l’asymétrie d’une garantie fournie par un pays tiers
(35). La question monétaire est donc cruciale alors même que le traité de
l’UEMOA stipule que tout Etat ouest-africain peut demander à devenir
membre de l’Union (art. 103) (36).
Enfin, les contraintes sont également économiques dans la mesure où le
143
Intégration régionale comparée
rattachement à l’Euro impose aux Etats membres de l’UEMOA des politiques
macro-économiques strictes et des critères de convergence des performances.
Ainsi, dans le cas de l’UEMOA (et de la CEMAC), la question de l’exportation
du modèle européen est dédoublée par la présence d’un arrangement budgétaire
entre la France et les pays de la Zone Franc. L’enjeu en est la souveraineté
même de ces Etats, dans leurs choix de politiques économique et monétaire.
2. 3. L’UE et les failles institutionnelles du modèle
L’expérience et les difficultés rencontrées par l’UE montrent
l’existence de failles dans le système institutionnel de l’Union. L’adaptation de
son modèle institutionnel en Afrique de l’Ouest est donc complexe et risquée,
dans la mesure où les capacités institutionnelles des Etats africains sont loin
d’être de même niveau que celles des pays européens. Les Etats africains sont
plus vulnérables aux dysfonctionnements, notamment bureaucratiques.
De nombreuses composantes du modèle européen ont été « exportées »
pour construire le schéma de l’UEMOA. Pourtant, aussi fonctionnel et unique
soit-il, le modèle de l’UE n’en n’est pas moins sans failles. Les lourdeurs
administratives européennes, l’oscillation permanente entre élargissement et
approfondissement (37), le poids des intérêts nationaux et le manque
d’existence politique sur la scène internationale, l’incapacité de réformer les
institutions, l’apparition de cercles concentriques et d’une union à plusieurs
niveaux – sur les questions de l’Euro ou du volet social par exemple contribuent à donner de l’Europe une image contrastée. Les goulets
d’étranglement, les incohérences et les lenteurs bureaucratiques sont largement
stigmatisés, par exemple en matière de décaissements et d’aide (38). La CIG
(Conférence intergouvernementale) qui prépare la réforme des institutions en
144
L’intégration régionale dans l’UEOMA : les limites du modèle Européen
vue de l’élargissement de l’Union européenne avance à pas plus que lents, sans
compter que, concernant la PESC en particulier, le Traité d’Amsterdam a
renoncé à gérer les ambitions et les intérêts hétérogènes des pays membres, qui
risquent de s’accentuer avec l’élargissement (39). L’UEMOA est confrontée à
la question de l’importation d’un modèle sans en importer les défauts.
Il existe une différence institutionnelle majeure entre l’UE et
l’UEMOA, tenant aux critères de pondération en termes de représentation et de
décision. Ceux-ci sont cruciaux en matière de fonctionnement de toute
institution. Alors que l’Europe des Quinze compte 20 commissaires (deux pour
la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et la Grande-Bretagne et un pour les
autres Etats membres), l’UEMOA a fait le choix de nommer un commissaire
par Etat, quel que soit le niveau de développement économique de chacun de
ses membres.
Une autre différence majeure concerne les domaines dans lesquels
l’intégration se prépare. En effet, l’UEMOA s’est inspirée du schéma de la
Communauté européenne (type Traité de Rome) et de l’Union Economique et
Monétaire, c’est-à-dire du premier pilier de l’Union européenne. Les questions
politiques (la Politique Etrangère et de Sécurité Commune, ainsi que la
coopération dans les domaines de la police et de la justice) ne sont pas à l’ordre
du jour. L’intégration demeure au niveau de l’économie, et la force d’attraction
du modèle européen semble n’avoir concerné que son aspect économique. Il est
vrai que l’intégration politique européenne, malgré quelques transferts de
souveraineté, se cantonne pour l’instant au niveau de la coopération politique.
Ceci souligne l’importance du rythme de l’intégration régionale pour des zones
qui suivent un modèle déjà testé.
Enfin, une des tendances de l’intégration européenne est de permettre
une géométrie variable, une organisation en cercles concentriques, et une
145
Intégration régionale comparée
flexibilité dans l’appartenance à l’UE. Ainsi, certains pays ont fait le choix de
ne pas appartenir à la zone Euro ou de ne pas adhérer au volet social. Cette
possibilité est offerte pour organiser les différences au sein d’une Union
européenne de plus en plus hétérogène, mais sans entraver la dynamique de
l’intégration (40). Présentée comme une innovation, l’apparition de
l’intégration à géométrie variable reste pourtant une solution par défaut qui
traduit la défaillance de volonté politique, chez certains Etats membres en
particulier.
Une pleine exportation du modèle européen suggérerait un
développement de l’UEMOA à géométrie variable, selon les champs de
compétence considérés, avec des Etats membres n’appartenant pas à l’Union
monétaire de la Zone Franc, comme c’est le cas des pays de l’UE ne faisant pas
partie de la Zone Euro. L’article 104 du traité de l’UEMOA souligne que « tout
Etat africain peut demander de participer à une ou plusieurs politiques de
l’Union en qualité de membre associé » (41). La flexibilité offerte dans
l’adhésion est présentée comme un moyen pour l’UEMOA de « catalyser » le
processus d’intégration régionale en Afrique de l’Ouest (42). Néanmoins, bien
que l’objectif de continuer l’intégration soit louable, cette possibilité
d’adaptation, voire de dérogation à certaines politiques, peut être interprétée
comme la traduction d’une éventuelle faiblesse du modèle.
Dans le jeu institutionnel entre les deux organes communautaires
principaux de l’UEMOA - la Commission et le Conseil - quatre problèmes
familiers à l’UE concernent le futur de l’UEMOA : les transferts de
souveraineté (inégalitaires en fonction du poids des pays, mais sur une base
solidaire), le contrôle démocratique (absence de parlement), l’autonomie
financière (que devrait assurer le Tarif Extérieur Commun à partir de 2000 et
une future TVA), et la dynamique de l’intégration. Sur ce dernier point, le
146
L’intégration régionale dans l’UEOMA : les limites du modèle Européen
traité est ouvert, mais dépourvu de calendrier précis (43).
3. L’intégration économique
Au delà des aspects institutionnels et juridiques, pour les membres d’une
union régionale, les gains économiques potentiels de celle-ci constituent un
enjeu majeur.
3. 1. Les avantages et les coûts de l’intégration économique dans
l’UEMOA
Une intégration régionale comporte des avantages et des coûts
économiques, sur lesquels existe une littérature extrêmement abondante. Le
régionalisme y est le plus souvent opposé au multilatéralisme en termes de
coûts et d’avantages. Une intégration régionale change les prix domestiques et
les prix mondiaux, le volume des exportations et des importations, et
accompagné par une libéralisation, change les rentes des firmes moins
compétitives. La modification de structures du commerce s’évalue en fonction
des effets de création vs. de diversion des échanges qu’elle engendre. Le
multilatéralisme est considéré comme préférable en termes de bien-être, car le
régionalisme peut être générateur de diversion des échanges commerciaux, et
est davantage sensible à des problèmes d’économie politique, aux pressions de
groupes d’intérêts, et aux lobbies de producteurs dans certains secteurs (44).
Dans le cas de l’Afrique sub-saharienne, le régionalisme peut être considéré
comme facilitant son intégration au processus de mondialisation, et lui
permettant d’en mieux tirer les avantages (45). Face à la constitution de blocs
commerciaux dans les années 90 en Amérique du nord comme en Europe,
l’Afrique sub-saharienne s’est elle aussi retrouvée poussée vers cette tendance
147
Intégration régionale comparée
globale (46).
La notion d’intégration régionale recouvre de multiples types
d’accords : en termes d’intégration croissante, accords tarifaires, zones de libre
échange, unions douanières, marché commun - objectif par exemple de la
CEDEAO -, union économique - qui est la vocation de l’UEMOA (47).
L’intégration économique recherchée par le traité de l’UEMOA comporte trois
grands pôles : l’harmonisation des législations (fiscalités, systèmes comptables,
investissements, circulation des personnes) ; la surveillance multilatérale des
politiques macroéconomiques ; le marché commun, basé sur une union
douanière, dont l’élément essentiel est la mise en place d’un Tarif Extérieur
Commun (TEC). Celui-ci ne doit pas générer, conformément aux règles du
GATT (article XXIV), un niveau de protection tarifaire supplémentaire. Du
côté européen, le Tarif Extérieur Commun constitue l’un des éléments
principaux de la mise en place du marché intérieur européen. En effet, l’union
douanière, effective en 1968, a conduit à la réunion des territoires douaniers
des Etats membres et le tarif extérieur commun a progressivement remplacé les
droits de douane existants. Depuis 1975, l’intégralité des recettes du TEC est
versée au budget communautaire.
A l’instar du Traité de Rome décidant la création d’un marché commun,
le Traité de l’UEMOA crée un marché commun et une union douanière, ainsi
que des éléments d’accompagnement analogues à ceux figurant dans le traité
de Rome : l’harmonisation des législations, la coordination des politiques
sectorielles nationales et la convergence des politiques et des performances
économiques des Etats membres (48). Dans l’UEMOA, l’union douanière
s’appuie sur le Tarif Extérieur Commun, adopté en 1997 et ayant pris
pleinement effet en 2000. Il instaure un régime préférentiel des échanges intraUEMOA et un tarif extérieur commun envers les pays tiers (abaissant pour la
148
L’intégration régionale dans l’UEOMA : les limites du modèle Européen
plupart d’entre eux les niveaux tarifaires) en y ajoutant une taxe dégressive de
protection et une taxe conjoncturelle à l’importation. Le traité de l’UEMOA
interdit de nouvelles restrictions quantitatives, établit un démantèlement
différencié par secteur, la libre circulation des capitaux et une élimination
progressive de toute barrière douanière calée sur les progrès de l’harmonisation
des dispositions du TEC dans les Etats membres (49). Au 1er janvier 2000, les
produits industriels ont rejoint les produits agricoles, de l’élevage et de
l’artisanat sur la liste des produits originaires de la zone circulant « sans
restriction ni discrimination aucune ».
La mise en œuvre du TEC n’est cependant pas dépourvue de nombreux
problèmes découlant des disparités entre pays et de la similitude de beaucoup
de leurs produits manufacturés (alimentation, pagnes, cosmétiques, etc.). La
fiscalité des pays s’appuie fortement sur les droits de porte, et les recettes
risquent donc de diminuer. Pour les pays de réexportation, comme le Bénin, le
TEC peut au contraire représenter une élévation tarifaire sur certains produits
extérieurs à l’UEMOA (par exemple les pagnes hollandais). L’abaissement des
barrières douanières constitue un risque pour les industries peu compétitives,
car celui-ci facilite les importations concurrentes des produits locaux. Comme
pour la dévaluation du Franc CFA, la Côte d’Ivoire, « poids lourd » de la zone
car pourvue d’un tissu industriel, est le pays qui y trouvera le gain le plus
significatif, tandis que d’autres pays sont exposés à un manque à gagner
budgétaire important. Le dispositif communautaire d’accompagnement (par
exemple la mise en place d’un système communautaire d’évaluation en douane,
le renforcement des administrations douanières, la lutte contre la fraude) est
plus difficile à mettre en place, en raison de la faiblesse des administrations,
notamment douanières, et des tensions politiques locales (50).
149
Intégration régionale comparée
3. 2. Intégration monétaire et surveillance multilatérale
La construction du système monétaire européen et la création de la Zone
Franc doivent être analysés dans un contexte historique déterminé. Elles ont
entre autres constitué des réactions aux tendances à la dérégulation du système
monétaire international (51), dont la fin du système de Bretton Woods a été une
étape marquante. La démarche européenne d’intégration a abouti à la création
d’une monnaie unique, au prix de transferts de leur souveraineté monétaire par
les Etats membres à la Banque Centrale Européenne (11 d’entre eux
actuellement). Quant à la Zone Franc, malgré les constats récurrents de ses
dysfonctionnements et des coûts de l’union monétaire sur les économies des
pays - notamment la perte de l’instrument du taux de change en cas de choc
externe -, la volonté des protagonistes fut celle de sa préservation, mais
accompagnée de sa réforme. L’existence de la Zone Franc et du lien avec le
Franc français, et aujourd’hui l’ancrage à l’Euro, fournit une crédibilité accrue
aux économies de la zone et garantit une relative stabilité monétaire, qui
contribue à la stabilité politique des Etats (52).
En contraste avec l’UE, l’intégration monétaire était une donnée dès les
débuts de l’UEMOA avec le dispositif de la Zone Franc, de la BCEAO et du
rattachement des Francs CFA, en Afrique de l’Ouest et en Afrique Centrale, au
Franc français, via le compte d’opérations. Elle est en voie d’achèvement dans
la zone Euro 11 (Euroland) de l’UE.
Une différence importante entre les deux unions monétaires est que la
crédibilité de la monnaie européenne est assurée par une institution endogène
et émanant des pays membres, la Banque Centrale Européenne, alors que la
crédibilité de la monnaie de la zone UEMOA est assurée par une institution
externe, en l’occurrence la BCE, et donc par des politiques monétaires
150
L’intégration régionale dans l’UEOMA : les limites du modèle Européen
exogènes. De plus, si les objectifs des deux banques centrales respectives sont
identiques, les relations entre pouvoir monétaire et pouvoir politique diffèrent,
la BCEAO ayant un présence plus active dans l’harmonisation des politiques
économiques (53).
Le rôle de la monnaie unique européenne, l’Euro, peut être analysé sous
deux angles. Un premier angle concerne l’impact de l’Euro sur la Zone Franc
après que celui-ci ait remplacé le Franc français. Les effets économiques sont
généralement considérés comme mitigés, puisque le dispositif de gestion de la
zone par le Trésor français n’est pas modifié. L’ancrage à l’Euro peut
cependant conférer une crédibilité accrue à la coopération monétaire (54). Les
effets de l’Euro dépendent de l’évolution internationale de l’Euro lui même, de
ses éventuelles sur ou sous-évaluations par rapport aux autres grandes
monnaies, dollar et yen, et de leur impact sur le commerce extérieur des pays
de la zone (55).
Une seconde perspective concerne la validité du modèle de zone
monétaire optimale (56) pour l’UEMOA. On a pu arguer que les blocs
commerciaux et les zones monétaires ne pouvaient être optimales en Afrique
sub-saharienne, en raison de la faiblesse des échanges intra-régionaux, de la
taille réduite et de la dépendance des économies vis-à-vis du commerce
extérieur, ou du volume limité des flux de capitaux intra-zone. L’ancrage
monétaire diminue la flexibilité face aux chocs externes, et l’impossibilité
d’utiliser l’instrument du taux de change contraint à des politiques récessives.
Cependant, les nombreuses études des performances comparées des pays de la
Zone Franc et des pays africains hors Zone n’ont pas fait apparaître de
différences concluantes en termes de croissance. Les taux de croissance sont
très variables selon les périodes retenues, les performances étant meilleures en
termes d’inflation (57).
151
Intégration régionale comparée
D’autres analyses estiment également que la crédibilité et la réputation
sont les éléments décisifs d’une politique monétaire, et que la perte de
l’instrument de politique monétaire via les règles de la zone Franc, l’allouant à
une banque centrale supranationale, est un avantage pour l’UEMOA en termes
de crédibilité (58). Il est manifeste que les économies africaines sont très
différentes de celles des pays de l’UE, mais elles ont beaucoup à gagner à se
« lier les mains » volontairement et à déléguer leur politique monétaire à une
partie tierce, qui peut fonctionner comme « agence de contrainte » externe
palliant le déficit de réputation des gouvernements, et favoriser la stabilité des
indicateurs financiers (59). Le caractère optimal d’une union monétaire dépend
des coûts et gains respectifs découlant de la contrainte d’une politique
monétaire unique pour plusieurs pays, et non pas spécifique à un pays, en cas
de choc économique. Il dépend de l’arbitrage entre les gains conférés par une
faible inflation vs les coûts induits par le renoncement à l’indépendance
monétaire. Le fait que la Zone Franc soit une zone monétaire optimale ou non
dépend surtout de la façon dont les autorités monétaires conduisent leurs
politiques (60). Elle a pu néanmoins être considérée comme une « zone
monétaire praticable » (61).
L’UE a exporté ses procédures d’intégration économique et monétaire,
et notamment celles relatives à la surveillance multilatérale et à la convergence
des économies et celle des politiques économiques, qui constituent un autre
grand chantier de l’intégration économique de l’UEMOA. En Europe, les
critères de convergence ont constitué les indicateurs de la capacité d’un pays à
entrer dans l’UEM : stabilité des prix, équilibre durable des finances publiques,
stabilité des taux de change, caractère durable de la convergence et de la
participation au système monétaire européen.(62) Si dans l’UE, les critères de
convergence reposent surtout sur des indicateurs de comptabilité nationale
152
L’intégration régionale dans l’UEOMA : les limites du modèle Européen
(endettement, inflation et déficits publics), dans l’UEMOA, ils sont surtout
d’ordre budgétaire (ratios d’emplois budgétaires rapportés aux recettes
fiscales) (63). Pour l’UEMOA, la surveillance multilatérale et la convergence
s’évaluent autour d’une série d’indicateurs (64), qui ont été renforcés à la suite
de l’accélération de l’intégration économique et de l’arrimage à l’Euro. Le
choix de critères stricts s’explique par le fait que la stabilité monétaire offerte
par le Franc CFA ne peut susciter la confiance que si elle est accompagnée
d’une stabilité financière et d’une gestion saine des finances publiques (65).
Précisément, l’efficacité de cette surveillance multilatérale se heurte aux
structures politiques et institutionnelles des pays de la zone. Une limite de la
comparaison avec les pays européens tient à ce que celles-ci sont notoirement
faibles en matière de discipline fiscale (66), de « gouvernance » et de gestion
administrative, outre une politisation récurrente du recrutement et du
fonctionnement organisationnel. Elle tient aussi à la faiblesse des appareils
statistiques de l’UEMOA, pourtant nécessaires par définition à la surveillance.
Leur renforcement et leur harmonisation sont une préoccupation explicite de
l’UEMOA (67). Les règles relatives à la BCEAO, notamment la règle
prudentielle des finances publiques concernant les avances aux Etats, ont
parfois été contournées, par le biais du financement intérieur non bancaire, du
financement
extérieur
et
l’accumulation
d’arriérés
intérieurs.
Ces
contournements ont été influencés par le contexte d’économie politique de la
Zone Franc, en particulier le peu de sanctions décidées par le Trésor français
(68).
Ces déficits de crédibilité affectent aussi les institutions supraétatiques,
qui peinent à jouer leur rôle d’« agences de contrainte », de bien public
supranational et de fournisseur de crédibilité des politiques des pays, rôle
classiquement assigné par la théorie économique aux banques centrales (69).
153
Intégration régionale comparée
Le remplacement de la France par l’UE pour assurer le rôle de garant extérieur
de la monnaie n’est pas sans difficulté. Le niveau de décision impliqué est en
effet plus complexe et l’UE reste traversée de tensions dans ses choix de
politiques et ses orientations vis-à-vis des pays en développement.
3. 3. Les contraintes intrinsèques à l’UEMOA
L’un des principaux problèmes tient à ce que l’intégration monétaire de
l’UEMOA ne correspond pas à une intégration des économies formelles, même
si l’UEMOA est l’espace régional le plus intégré du continent africain en
comparaison avec d’autres ensembles régionaux. La convergence limitée des
politiques, la dépendance vis-à-vis du commerce avec les pays développés hors
zone, la faiblesse du commerce intrarégional, concourent à ne pas la considérer
comme une zone monétaire optimale (70). Les échanges entre pays ont été
souvent impulsés par les différentiels existant entre leurs politiques respectives,
notamment fiscales, plus que par une meilleure compétitivité. Ces différentiels
risquent de disparaître avec un marché commun. En particulier les échanges
des pays de l’UEMOA frontaliers avec le pays hors UEMOA qu’est le Nigeria
sont surtout déterminés par les différentiels de taux de change entre Franc CFA
et naira. C’est aussi le cas, à un moindre degré, des pays frontaliers du Ghana,
le cedi, comme le naira, ayant connu une spectaculaire dépréciation depuis la
mise en œuvre de leurs programmes d’ajustement au milieu des années 80 (71).
Le niveau de commerce intrarégional reste réduit dans la perspective de
la création d’un marché commun. Les essais de quantification sont risqués eu
égard à la faiblesse des appareils statistiques nationaux et à l’importance des
échanges informels. Le volume des échanges intrarégionaux a pu être estimé à
15 % des exportations totales (réparti à part équivalente entre commerce formel
154
L’intégration régionale dans l’UEOMA : les limites du modèle Européen
et informel) (72). D’autres sources ont estimé à 10,5% de ses exportations
totales le commerce intra-CEAO (Communauté des Etats de l’Afrique de
l’Ouest) en 1992, stable depuis 1980 (73). En valeur, ses montants sont
dérisoires : en 1998, les échanges enregistrés intra-UEMOA étaient de 719
millions de dollars (74). Ce commerce intra-zone est en outre très différent
selon les pays - en 1994, plus de 30% des importations du Burkina Faso
provenaient de la Zone Franc, en contraste avec 1,7% dans le cas de la Côte
d’Ivoire, qui y exportait 18% de son commerce total (75). On a pu arguer que
par ailleurs, eu égard à la taille des économies, à la dotation en facteurs, à la
géographie, entre autres causes, le potentiel pour le commerce intra-régional
est limité, et de très peu supérieur au niveau actuel (76). Pour l’ancienne
CEAO, sur la période 1980-84, le commerce intra-bloc officiel représentait
1,65% de ses exportations totales, et est resté stationnaire à la période
suivante : 1,25% sur la période 1985-90 (77).
La zone effectue ses échanges avant tout en dehors d’elle-même. Elle
reste marquée par l’histoire coloniale. Les échanges des pays continuent à
s’effectuer en « cylindre » vers l’Europe, et n’ont que peu varié sur un siècle,
« d’un Berlin à l’autre » (78). L’UE est le premier partenaire commercial de
l’UEMOA : elle fournit 47 % des importations et reçoit 46% des exportations
des pays de la zone. Le pays anciennement colonisateur, la France, est le
premier partenaire de la plupart des pays (79). En Côte d’Ivoire par exemple, la
France était en 1998 le premier investisseur, le premier client (17% des
exportations) et le principal fournisseur (28,5% des importations) (80). En
outre, le marché représenté par l’UEMOA demeure étroit (67 millions de
consommateurs, à comparer avec 370 millions d’européens (81)), mais les
consommateurs sont surtout caractérisés par leurs bas revenus. La zone
comporte certains pays classés parmi les plus pauvres du monde. L’UEMOA
155
Intégration régionale comparée
est confrontée à la difficulté d’atteindre une masse critique. Avec ses 200
millions de consommateurs et des ressources significatives, notamment
énergétiques, la CEDEAO offre, selon certains observateurs, un cadre
d’intégration régionale plus cohérent (82). Néanmoins, le commerce officiel
intra-CEDEAO était estimé sur la période 1981-89 à 5,5% du commerce total
des quatre pays les plus importants (83). Les exportations officielles intraCEDEAO atteignaient en 1990 le niveau infime de 6% du total, en raison
notamment du poids des exportations de pétrole nigérian vers le reste du
monde (84).
De plus, les pays de l’UEMOA manifestent des niveaux très différents
de développement, certains pays étant pétroliers, d’autres non. La structure des
économies exhibe peu de complémentarités, bien que les Etats côtiers soient
liés aux Etats sahéliens enclavés par des échanges denses, formels et informels
(main d’œuvre, bétail, produits agricoles) (85). Celles-ci sont restées enfermées
dans le modèle colonial de la production de produits primaires, malgré les
efforts de diversification, et demeurent donc affectées par les problèmes de
gestion budgétaire découlant de la dépendance et de l’instabilité des prix des
marchés internationaux.
Les pays divergent au niveau de leurs finances publiques, de leur
commerce extérieur, structurellement déficitaire pour certains pays,
excédentaire pour d’autres qui se retrouvent à les financer au sein de
l’UEMOA, de leurs niveaux de prix et de leur endettement (86). Un pays
comme la Côte d’Ivoire, avec un PIB de 10 mds de dollars en 1998, représente
la plus grande part de la richesse de la zone, les PIB des autres pays totalisant
16 mds. Elle se singularise par un niveau de revenu supérieur (700 dollars de
PNB par tête en 1998, vs 190 au Niger, 240 au Burkina Faso, 250 au Mali),
ainsi que par un tissu industriel plus développé – 23% du PIB en 1998, à
156
L’intégration régionale dans l’UEOMA : les limites du modèle Européen
comparer avec 14% au Bénin ou 17% au Mali et au Niger (87). Ceci accroît
l’intérêt pour elle d’une intégration économique : le gain en est l’augmentation
de ses exportations vers les marchés des pays de la zone où ses produits
circuleraient librement. Cependant, cette supériorité peut ne pas l’inciter à
supporter les charges éventuellement entraînées par les niveaux de pauvreté de
ces pays, par exemple leur main d’œuvre moins coûteuse et les flux migratoires
qui peuvent s’ensuivre. Ce niveau de développement plus élevé peut aussi se
traduire par un désir de leadership politique – qui fut exprimé dès les
indépendances, notamment vis-à-vis du Ghana (88). Cette tentation peut
entraîner des tensions avec les autres pays, ce qui est déjà le cas en particulier
avec ceux qui sont fournisseurs de main d’œuvre à son égard (Mali et Burkina
Faso notamment).
Les politiques économiques et monétaires des pays voisins, et notamment
du Nigeria, rendent difficiles les ajustements qui seraient confinés aux niveaux
nationaux. En particulier, les économies des pays limitrophes du Nigeria,
Bénin et Niger, sont très fortement déterminées par les politiques de taux de
change et celles de réexportation du Nigeria (89). Les critères de bonne
politique macroéconomique, et les politiques tarifaires valables pour les autres
pays de l’UEMOA leur sont plus difficilement applicables, ce qui constitue,
comme l’on a vu, une source permanente de tensions pour la mise en œuvre du
Tarif Extérieur Commun.
4. Le prosélytisme de l’UE et l’intégration régionale dans les pays en
développement : les ACP et l’UEMOA
Au delà des aspects transférables et transférés du modèle européen, ainsi
que des contraintes économiques locales face à un tel modèle, on peut
s’interroger sur la dimension de « prosélytisme » de l’Union européenne en
157
Intégration régionale comparée
matière d’intégration régionale.
4. 1. La politique européenne d’appui à l’intégration régionale
L’Union européenne appuie en effet les processus d’intégration
régionale en cours dans le monde, en référence à sa propre histoire (90). Forte
de son expérience, l’UE considère l’intégration régionale comme une chance
pour les pays en voie de développement dans le contexte de la globalisation,
dans la mesure où, en matière de coopération commerciale, l’objectif premier
de la politique de développement reste l’extension de la libéralisation des
échanges pour stimuler la croissance, en renforçant la régulation du commerce,
afin de mieux maîtriser la mondialisation et les problèmes particuliers des pays
en développement (91). Assez paradoxalement, le régionalisme est présenté à
la fois comme un palliatif et comme une étape de la mondialisation. La
Commission fait de l’intégration régionale une des priorités stratégiques de la
politique communautaire d’aide et de coopération au développement (92).
La Convention de Cotonou, adoptée en juin 2000, fixe le cadre rénové
des relations entre l’Union européenne et les pays ACP (Afrique, Caraïbes,
Pacifique). Elle donne une place prééminente à la problématique de
l’intégration régionale, à la fois dans le volet de l’aide au développement et
dans celui de la coopération commerciale. Concernant l’aide, l’action
européenne cherche à renforcer les capacités institutionnelles et économiques
des Etats ACP dans leurs efforts d’intégration régionale (93).
C’est en matière de coopération économique et commerciale que les
innovations dans le partenariat UE-ACP sont les plus nombreuses. Si
l’intégration « progressive et harmonieuse » dans l’économie mondiale (94)
des pays ACP est l’objectif principal de cette coopération économique et
158
L’intégration régionale dans l’UEOMA : les limites du modèle Européen
commerciale, la méthode retenue est celle de la conclusion d’Accords de
Partenariat Economiques Régionaux (APER). La nécessité de la mise en
conformité des relations commerciales UE-ACP avec les règles de l’OMC (95)
a motivé la création de ces APER, dont l’objectif est la mise en place de zones
de libre-échange entre l’UE et les sous-régions ACP à l’horizon 2020.
En effet, les deux principes fondamentaux – le régime préférentiel et la
non réciprocité - qui régissaient le volet commercial de la Convention de Lomé
ont été remis en cause par l’OMC. Jusqu’alors, les préférences non réciproques
accordées par l’UE aux pays ACP étaient tolérées par dérogation du GATT
(96). L’OMC ne reconnaissant les préférences que dans la mesure où elles
s’appliquent à tous (Système de Préférences Généralisé et Clause de la Nation
la plus Favorisée), au moment de la renégociation de la convention de Lomé,
l’Union européenne a dû mettre en conformité le régime commercial de Lomé
avec les règles de l’OMC. Il existe deux moyens de remédier à la nonconformité. Le premier moyen est d’accorder à tous les pays en développement
(97) les mêmes préférences commerciales qu’aux ACP (alignement des ACP
sur un SPG amélioré), c’est-à-dire supprimer les préférences. Le second moyen
est de créer, au titre de l’article XXIV du GATT, des zones de libre-échange
(ZLE) entre l’UE et les ACP, ce qui supprime la non réciprocité, à la condition
que ces zones soient créatrices d’échanges et non une manière de monter de
nouvelles barrières protectionnistes (98).
4. 2. L’application à l’UEMOA
L’UEMOA, considérée comme une sous-région relativement avancée au
niveau du processus d’intégration régionale, a été retenue dans les études
d’impact réalisées à la demande de la Commission européenne (99). Le modèle
159
Intégration régionale comparée
proposé par l’Europe et négocié avec les ACP semble surestimer la capacité
des zones d’intégration régionale africaines. Parmi les possibles scénarios de
transformation de la Convention de Lomé, le modèle négocié à Cotonou restera
confronté aux problèmes structurels : politiques protectionnistes des pays
développés, marginalisation des pays africains dans le commerce international,
faible crédibilité de leurs politiques économiques, et perception du risque élevé
de la zone (100). De plus, toutes les régions ne sont pas institutionnellement
constituées, ainsi la zone Pacifique qui n’existe que sur un plan géographique.
Certains pays n’appartiennent pas à une zone régionale intégrée, ainsi le
Nigeria ou le Ghana. On a pu montrer qu’en dépit d’effets positifs découlant de
la réciprocité, les APER risquent d’induire des phénomènes de marginalisation
et de redistribution entre pays en raison des asymétries qui les caractérisent
(« régionalisme asymétrique ») (101). Certaines organisations régionales sont
imbriquées les unes dans les autres et certains pays appartiennent à plusieurs
organisations : les Etats de l’UEMOA appartiennent à la CEDEAO, certains
appartiennent au Conseil de l’Entente, d’autres à la Mano River Union.
L’Afrique est en effet caractérisée par une multiplicité d’organisations
régionales qui se superposent, et qui sont restées souvent purement formelles et
inefficaces (102). Egalement, toutes les zones d’intégration ont en leur sein des
Etats PMA et des Etats non PMA qui ne sont pas soumis au même régime
commercial (103). Ces éléments soulignent les risques d’un régionalisme
parfois artificiel et imposé par le haut.
5. Les dimensions de l’économie politique
Les processus d’intégration régionale dépassent les objectifs purement
économiques. D’une part, l’unification économique sert également à renforcer
la stabilité politique des Etats. D’autre part, l’intégration économique
160
L’intégration régionale dans l’UEOMA : les limites du modèle Européen
fonctionne difficilement sans intégration politique - ou volonté de cohérence
politique - comme le rappelle la comparaison de l’intégration dans les unions
monétaires et dans les régions au sein des Etats (104).
5. 1. La persistance des intérêts nationaux
Dans l’UE comme dans l’UEMOA, les gouvernements sont d’abord
mus par des considérations électorales, de politique intérieure et de maintien au
pouvoir. Ils sont réticents face aux transferts de leur souveraineté, et pratiquent
le free riding si tel est leur intérêt politique. Le choix d’une gouvernance
régionale implique des attitudes politiques inédites et la mise en commun
d’intérêts nationaux. Le principe de l’intégration régionale repose sur le fait
que l’on anticipe des avantages, en termes économiques, sociaux, de stabilité et
de sécurité, à être ensemble plutôt que seul, de même qu’à la solidarité
régionale. Ainsi, si des Etats membres contribuent plus que d’autres, en
fonction de leurs moyens, au budget communautaire, c’est qu’ils en retirent
aussi des bénéfices (105). Dans le contexte africain, l’intégration régionale
peut avoir pour conséquence une certaine relégitimation des Etats postcoloniaux (106).
Néanmoins, l’histoire a montré que les intérêts nationaux entrent
aisément en conflit avec les intérêts dits communautaires et que la défense des
uns peut influencer l’orientation des politiques des autres. La Politique
Agricole Commune de la Communauté européenne fut imposée par le Général
de Gaulle dans le but de moderniser et de préserver l’agriculture française
(107). De leur côté, les Britanniques ont souvent jugé leur contribution au
budget communautaire trop élevée.
L’intégration européenne s’est faite selon la méthode des « petits pas »,
par élargissement progressif des champs de compétence de la Communauté,
161
Intégration régionale comparée
jusqu’à l’aboutissement du Grand Marché et la mise en place de l’Euro. Au
niveau politique, c’est la méthode de la coopération interétatique qui prévaut
toujours.
L’Europe a été caractérisée par une intégration économique évoluant en
tandem avec des institutions de plus en plus fortes (108). La transposition de ce
processus est problématique pour l’UEMOA. Au delà des contraintes
économiques qui hypothèquent l’intégration de l’UEMOA, apparaissent des
limites politiques telles que l’insuffisante capacité institutionnelle des Etats en
Afrique sub-saharienne, ainsi que leur caractère souvent néo-patrimonial et les
logiques redistributives qui lui sont liées (109). Les pouvoirs personnels
s’accompagnent de processus d’institutionnalisation inachevés, auxquels
s’ajoute une corruption endémique. Le pouvoir politique est souvent perçu
comme la voie d’accès aux ressources fournies par l’Etat. Les tensions
ethniques ou religieuses sont la traduction de cet accès différentiel de certains
groupes à ces ressources publiques, et se sont intensifiées durant la crise des
années 80. Les institutions et les politiques économiques sont peu crédibles, et
toujours susceptibles de renversements de politiques (110). Sur le plan
politique, elles sont marquées par des déficits de légitimité. Les programmes
d’ajustement structurel nationaux menés à partir des années 80, perçus comme
des injonctions de donateurs extérieurs, et appuyés sur les recommandations
d’un Etat minimal, ont pu contribuer à accentuer ces déficits de légitimité et de
crédibilité.
Une série de contraintes politiques pèsent sur le fonctionnement de
l’UEMOA. Les relations entre les pays sont marquées par le déséquilibre entre
leurs poids politiques, en particulier de la Côte d’Ivoire par rapport aux autres
pays, et par des allégeances politiques internationales divergentes (111).
Nombre de projets régionaux, par exemple barrages, cimenteries, transport
162
L’intégration régionale dans l’UEOMA : les limites du modèle Européen
aérien, ont été fragilisés par des antagonismes politiques toujours prééminents
par rapport aux objectifs de développement. Devant des arrangements censés
constituer des biens publics supra-étatiques, des externalités positives, les
considérations de politique intérieure et de maintien au pouvoir demeurent
prééminentes. Les Etats ont tendu à pratiquer le free riding, par exemple en
offrant aux opérateurs des avantages fiscaux ou de meilleures facilités
portuaires que leurs voisins, des zones franches, etc. (112)
Ces poids inégaux existent dans l’UE, mais les pays africains, plus
pauvres et aux institutions moins consolidées, sont plus vulnérables aux
tendances centrifuges – c’est déjà le cas à l’intérieur de leurs frontières. La
présence de la CEDEAO, politique et économique, via l’attraction exercée par
les pays hors zone franc voisins (Nigeria, Ghana) fonctionne comme un bloc
régional rival, renforcé par l’anglophonie.
Les blocages relatifs au TEC découlent en partie de ce que les pays
jouent leurs avantages nationaux en matière d’industrie et de flux de main
d’œuvre, donnant lieu à des idéologies nationalistes et identitaires (113).
Certains Etats de l’Union imposent des cartes de résident, parfois coûteuses,
permettant de contrôler la circulation sur le territoire. Pour la Côte d’Ivoire, les
enjeux sont ici politiques, en raison de la présence historique d’un tiers
d’étrangers sur son sol. La libre circulation des hommes n’a jamais été
favorisée dans l’UEMOA, de même d’ailleurs que dans la CEDEAO, alors
qu’elle constitue l’un des principes du marché commun. Les traités instituent la
liberté d’établissement, mais leur compréhension par les Etats diverge et leur
application est parfois aléatoire. Y compris pour leurs nationaux, les pays
obligent à des démarches administratives innombrables et parfois arbitraires
qui freinent les activités privées. Les transferts de fonds et les opérations de
compensation sont laborieux, et les systèmes bancaires ont été affectés de
163
Intégration régionale comparée
crises graves qui ont rendu les banques excessivement prudentes.
5. 2. Les déficits en infrastructures institutionnelles et physiques
Beaucoup d’Etats, bien que formellement démocratiques, ne constituent
pas des Etats de droit, ne disposent pas de systèmes judiciaires effectifs, et
n’ont pas été capables de construire des réputations et de s’auto-réguler à
l’instar de ceux de l’UE (114). Ceci rend délicat l’efficacité dans les faits de
dispositifs tels que l’OHADA. En outre, autre différence marquante avec l’UE,
les Etats de l’UEMOA sont caractérisés par l’importance de leurs secteurs
informels – terme certes vague car ses opérateurs sont souvent de fait
enregistrés -, du moins échappant au contrôle et à la fiscalisation. Le
phénomène est particulièrement net pour les pays frontaliers du Nigeria, Bénin
et Niger, où le secteur informel représente plus de la moitié du PIB, et les
échanges s’effectuent avec le Nigeria vis-à-vis duquel la dépendance est
écrasante (115). Les Etats de l’UEMOA sont à la fois affaiblis par
l’informalisation, qui en cercle vicieux érode leur crédibilité interne, et leur
intégration s’effectue via les activités informelles, qui plus est en relation avec
des pays extérieurs à elle.
Une intégration régionale constituée d’Etats et d’administrations
défaillants risque de demeurer fragile, ou bien de reconduire à un niveau
supranational ces mêmes défaillances, tensions politiques et déficits de
gouvernance. Le niveau décisionnel et bureaucratique communautaire de
l’UEMOA reste handicapé par ces traits des Etats membres. Les politiques
fiscales, monétaires, salariales et surtout commerciales, dimensions de ces
déficits de gouvernance, semblent avoir été souvent inappropriées en Afrique
sub-saharienne. En particulier, les barrières commerciales érigées par les Etats
ont sérieusement entravé le processus d’intégration régionale – celles-ci sont
164
L’intégration régionale dans l’UEOMA : les limites du modèle Européen
parmi les plus élevées au monde (116).
De plus, les infrastructures physiques de la Zone Franc sont déficientes,
parfois même dégradées depuis les indépendances, et assurent très peu de
liaisons régionales. Les gouvernements se sont peu intéressés à la maintenance,
ayant privilégié les investissements nouveaux et intensifs en capital mieux
aptes à générer des rentes corruptives (117). Ils n’ont pas cherché à assurer la
continuité inter-Etat, par exemple dans le cas des routes. Les colonisateurs ont
construit des infrastructures surtout axées sur l’accès à des ressources
naturelles selon un schéma liant le port à l’hinterland, ainsi les voies ferrées
(118). L’UEMOA comporte des pays côtiers et des pays enclavés. Ces derniers
sont caractérisés par des coûts de transport accrus qui diminuent le volume de
leurs échanges. On a pu montrer qu’une diminution de moitié des coûts de
transport dans un pays en développement enclavé pourrait multiplier par cinq
le volume de son commerce (119). L’Afrique dispose d’un réseau routier
comparable à celui de Taiwan après la seconde guerre mondiale (120). Les
coûts de transport, en raison du mauvais état physique des infrastructures et des
structures de coûts (fret, douanes, ports, etc.) sont parmi les plus élevés du
monde (121).
Il arrive qu’il faille passer par l’Europe pour se rendre dans un pays
voisin. La situation des télécommunications est également déficiente – en
1998, l’Afrique sub-saharienne disposait de 14 lignes téléphoniques pour mille
habitants, contre 514 dans l’UE (122). Les obstacles érigés par les
administrations, douanes, police, à la circulation des biens et des personnes,
largement analysés, induisent des surcoûts importants affectant les échanges et
diminuant le niveau de vie des individus (123). Parmi les trois obstacles
possibles aux échanges commerciaux intra-africains que sont les
infrastructures, les politiques économiques et les tensions politiques, les
165
Intégration régionale comparée
lacunes des infrastructures constituent le facteur majeur (124). En contraste,
l’UE s’est construite dans un contexte d’Etats légitimes, construits sur
plusieurs siècles, et comportant les infrastructures institutionnelles et physiques
(routes, transports) correspondant à ses objectifs d’intégration.
CONCLUSION
On a voulu montrer que le Traité instituant l’UEMOA offre une forme
achevée d’union économique et monétaire. Il reste ouvert, en particulier
concernant les adhésions de nouveaux pays Etats membres au traité ou à
certaines politiques de l’Union. Fait remarquable, il institue une solidarité
importante entre tous les Etats membres.
L’intégration régionale conçue pour l’UEMOA a reposé sur
l’expérience européenne. Ce processus est inévitablement confronté aux limites
à l’exportabilité et à l’exportation de son modèle d’intégration régionale. Parmi
les conditions de son effectivité, figurent la consolidation, la maturité des Etats
signataires. Les Etats européens sont construits institutionnellement, mais aussi
sur le plan des infrastructures physiques, qui sont déterminantes dans un projet
d’intégration. Ces limites sont de deux ordres. Les premières résident dans les
conditions de production de ce modèle : situations économique, politique et
historique propres à l’Europe. Les secondes ressortissent au terrain qui a
accueilli ce modèle : faible niveau de développement économique dans
l’UEMOA, préexistence de la Zone Franc, lien monétaire entre l’Euro et le
Franc CFA, niveau d’institutionnalisation des Etats insuffisant, infrastructures
déficientes.
Le rythme de l’intégration régionale ainsi que les contraintes propres à
la zone sont des paramètres essentiels dans le cas d’un transfert de modèle. Les
contraintes sont à la fois intrinsèques à l’UEMOA (différences de niveaux de
166
L’intégration régionale dans l’UEOMA : les limites du modèle Européen
développement entre Etats membres, coût élevé de l’intégration, problèmes
d’infrastructures, taille critique du marché, défense des intérêts nationaux) et
périphériques à l’UEMOA, dans la mesure où l’existence de la CEDEAO et la
puissance du Nigeria complexifient la viabilité de l’UEMOA. La zone
UEMOA est aussi confrontée à des difficultés économiques persistantes,
malgré le rebond de croissance qui a suivi la dévaluation du Franc CFA, car
elle reste dépendante de l’exportation de matières premières et des aléas des
cours internationaux (la chute de ceux du cacao en 1999 a ainsi sérieusement
affecté la Côte d’Ivoire, quelle que soit la qualité de ses politiques
économiques).
Enfin, pour l’UEMOA, l’intégration consiste surtout en une intégration
économique (marché commun, harmonisation des normes et des politiques).
L’article a tenté de montrer qu’une intégration qui demeure à un niveau
économique et monétaire n’offre pas une situation optimale de développement,
de croissance et de stabilité. Une intégration politique semble en être un
meilleur garant, qui peut prendre des formes variables. Dans l’Union
européenne, l’intégration politique est balbutiante et laborieuse. Dans
l’UEMOA, la question n’est pas encore soulevée. Si l’intégration par
l’économie a relativement fonctionné pour l’Europe, on peut s’interroger sur la
capacité des économies de l’UEMOA à générer une synergie en l’absence
d’une intégration politique s’effectuant en parallèle. Le biais du modèle
européen est peut-être d’avoir défini l’intégration économique comme
préalable à l’intégration politique.
Notes
(1) Moussa Touré, président de la Commission de l’UEMOA, entretien, 12 mars 1999,
Ouagadougou.
167
Intégration régionale comparée
(2) L’UEMOA regroupe le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau,
le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo.
(3) Petiteville (1997), qui définit quatre modèles types d’intégration régionale : le
modèle d’opportunité stratégique, le modèle de l’intégration réactive, le modèle du
suivisme et le modèle de l’intégration endogène.
(4) Déclaration de Robert Schumann, 9 mai 1950.
(5) Isaac (1994, p. 15-17) ; Quermonne (1998, p. 14-20) ; Borchardt (1995).
(6) Quermonne (1998, p. 75).
(7) Commission européenne (1991, p. 24-37).
(8) Quermonne (1998, p. 72). Voir également Guilhaudis (1998, p. 91).
(9) Quermonne (1998, p. 11).
(10) Isaac (1994, p. 27-28) ; Quermonne (1998, p. 28-30) ; Borchardt (1995, p. 14).
(11) Les dispositions du Traité d’Amsterdam ne sont pas abordées, dans la mesure où
celui-ci n’a rien modifié dans le domaine de l’Union économique et monétaire. Voir
Commission européenne (1997), Questions-réponses sur le traité d’Amsterdam, p. 5.
(12) L’UEMOA dispose d’une banque de développement, la Banque Ouest-Africaine
de Développement (BOAD).
(13) Fouda et Stasavage (2000).
(14) Sur la Zone Franc, voir parmi une abondante littérature Gérardin (1989) ;
Haudeville (1993) ; Godeau (1995) ; Sandretto (1994) ; Semedo et Villieu (1997).
(15) Coussy (1993, p. 177).
(16) Voir par exemple Ghymers (1994).
(17) Petiteville (1997).
(18) Lelart (1997, p. 898).
(19) Lelart (1998) ; Lelart (2000).
(20) Devarajan et Hinkle (1994, p. 139).
(21) Et à un moindre degré, du Cameroun.
(22) World Bank, World Development Indicators 2000, p. 328.
(23) Jacques Alibert : citation in Sandretto (1994).
(24) Commission européenne (1991, p. 25).
(25) Voir http://www.izf.net, L’organisation institutionnelle de l’UEMOA ; Lelart
(1998, p. 206). Sur les institutions européennes, voir par exemple Doutriaux et
Lequesne (1995).
(26) Blardone (1994, p. 226) ; Lelart (1998, p. 204-205), Lelart (1993, p. 890-893).
(27) Traité de l’UEMOA, art. 4 ; Commission Européenne (1997, p. 8).
(28) « Double-edged diplomacy », selon l’expression d’Evans et al. (1993).
(29) Guillaumont et Guillaumont (1989) ; Dearden (1999) ; Fouda et Stasavage
(2000).
(30) Gnassou (1999, p.11).
(31) A travers la décision 98/683/CE, décision du Conseil de l’UE du 23 novembre
1998 concernant les questions de change relatives au Franc CFA et au Franc Comorien
(98/683/CE). Voir aussi Fouda et Stasavage (2000, p. 223).
(32) T. Padoa Schioppa, membre du directoire de la BCE, Les effets de l’Euro sur les
pays ACP et en particulier la Zone Franc, Audition publique, Parlement Européen, 27
octobre 1998.
168
L’intégration régionale dans l’UEOMA : les limites du modèle Européen
(33) Sindzingre (2000) sur la CEDEAO.
(34) Afrique de l’Ouest : le rêve sonnant et trébuchant de la CEDEAO, Jeune Afrique
Economie, 22mai-4 juin 2000. Voir aussi Ghymers (1994, p.103) qui souligne que le
traité de l’UEMOA annonce son soutien aux buts de la CEDEAO.
(35) Monga (1997).
(36) Lelart (1997, p. 902).
(37) Voir par exemple Polacek (1999), qui considère que l’élargissement est un
impératif politique pour l’Europe. Voir aussi Derisbourg (2000).
(38) Par exemple, selon Chris Patten, Commissaire chargé de l’aide extérieure, il faut
actuellement 8 ans à l’UE pour honorer ses engagements vis-à-vis des pays
méditerranéens (cité in Le Monde, 12 septembre 2000). Voir les études critiques
d’ECDPM sur les politiques de développement de l’UE, par exemple Bossuyt et al.
(2000).
(39) Serre (1999).
(40) Serre (1999). Voir l’instauration des coopérations renforcées dans le cadre du
Traité d’Amsterdam en 1997.
(41) Lelart (1997, p. 902).
(42) Gnassou (1997, p. 155)
(43) Lelart (1997, p. 900-902).
(44) Voir parmi d’autres, la revue de Winters (1999, spec. p. 42), ou de Baldwin
(1997).
(45) François et Subramanian (1998).
(46) Un bilan des expériences d’intégration régionale économique est dans World
Bank (2000) et African Development Bank (2000).
(47) Lyakurwa et al. (1997).
(48) Lelart (1997, p. 902).
(49) Ghymers (1994, p. 115).
(50) Huit pays d’Afrique de l’Ouest instaurent un tarif extérieur commun, Le Monde,
supplément économique, 8 février 2000. Voir aussi Pouillieute (2000) sur le TEC.
(51) Sandretto (1994, p. 69).
(52) Voir par exemple l’argumentation pro-Euro de Cobham et Robson (1994).
(53) Lelart (1997, p. 909).
(54) Honohan et Lane (2000).
(55) Cohen et al. (1999) ; Hadjimichael et Galy (1997) ; Claeys et Sindzingre (2000) ;
Lelart (2000) ; Lo (2000).
(56) Au sens de Robert Mundell (1961), optimal currency area.
(57) Voir par exemple Clément et al. (1996, p. 2).
(58) Elbadawi (1997, p. 237).
(59) Agencies of restraint, au sens de Paul Collier ; voir par exemple Collier (1999) ;
Honohan et Lane (2000) ; Collier et Gunning (1999) sur l’efficacité d’agences de
contrainte telles que le GATT et les accords d’intégration régionale en Afrique subsaharienne.
(60) Fielding et Shields (2000).
(61) Corden, cité in Semedo (1997, p. 135).
(62) Weindenfels et Wessels (1997, p. 226).
169
Intégration régionale comparée
(63) Hecquet (1999).
(64) Les critères sont dits de premier ou de second rang: solde primaire de base
supérieur à 15% des recettes fiscales, inflation annuelle moyen plafonné à 3%, masse
salariale n’excédant pas 40% des recettes fiscales, l’absence de nouveaux arriérés de
paiement et la réduction progressive du stock existant, un financement des
investissements publics sur ressources internes à hauteur de 20% au moins des recettes
fiscales. Voir Hecquet (1999, p. 85).
(65) Zone Franc : de la surveillance multilatérale à la convergence, Marchés
Tropicaux et Méditerranéens, 14 janvier 2000.
(66) Gnassou (1997)
(67) Hecquet (1999).
(68) Stasavage (1997) ; Gnassou (1997).
(69) Fouda et Stasavage (2000).
(70) Ojo (1996).
(71) Ces échanges sont analysés en détail dans Sindzingre (1998b).
(72) L’UEMOA et la CEMAC : intentions et réalités, Marchés Tropicaux et
Méditerranéens, 12 mai 2000.
(73) Aryeetey (1998, p. 409), s’appuyant sur des données de la CNUCED.
(74) World Bank, World Development Indicators 2000, p. 326.
(75) Clément et al. (1996, p. 40).
(76) Foroutan et Pritchett (1993).
(77) Elbadawi et Mwega (1998, p. 373).
(78) Selon la pertinente expression de Colin et al. (1993).
(79) Source : Commission européenne (1999), Etude d’impact de la région UEMOA,
réalisée par le CERDI.
(80) Macé (2000, p. 154). Voir pour des données récentes sur la Zone franc le site web
www.izf.net.
(81) L’UEMOA et la CEMAC : intentions et réalités, 12 mai 2000, Marchés
Tropicaux et Méditerranéens ; Commission européenne (1996).
(82) La CEDEAO a été le cadre d’initiatives transétatiques diverses dont certaines ont
connu un relatif succès (Aryeetey 2001).
(83) Ariyo (1992, p. 162) ; Sindzingre (2000).
(84) Jebuni et al. (1999, p. 39).
(85) Voir les travaux sur l’intégration régionale de l’OCDE-Club du Sahel.
(86) M’bet (1999, p. 79).
(87) World Bank, African Development Indicators 2000, pp. 35 ; World Development
Indicators 2000, pp. 11 et 188.
(88) Sindzingre (1996).
(89) Sindzingre (2000).
(90) Pouillieute (2000).
(91) Commission européenne (2000), Communication de la Commission au Conseil,
au Parlement Européen, au Comité économique et social et au Comité des régions sur
le programme de travail de la Commission pour 2000, COM(2000) 155 final,
Bruxelles.
170
L’intégration régionale dans l’UEOMA : les limites du modèle Européen
(92) Document de politique générale des services de relations extérieures de la
Commission, consultation interservices, présenté au Conseil de Développement de mai
2000 : Commission Européenne (2000), Communication sur la Politique de
Développement de la Communauté Européenne, COM(2000) 212 final, Bruxelles.
(93) Voir l’Accord de Partenariat entre les Etats d’Afrique, des Caraïbes et du
Pacifique et la Communauté Européenne et ses Etats Membres, Cotonou, 23 juin
2000. Section 3 : coopération et intégration régionale, articles 28, 29 et 30.
(94) Ibid. Titre II, ch. 1, article 34.
(95) Organisation Mondiale du Commerce.
(96) General Agreement on Tariffs and Trade.
(97) A l’exception des PMA qui continuent à bénéficier d’un régime préférentiel
dérogatoire.
(98) WTO (1995, p. 522-525).
(99) Commission Européenne (1999), Synthèse des études d’impact de la proposition
de l’Union européenne de négocier des APER avec les sous-régions ACP, Document
de travail des services de la Commission pour le groupe de négociation 3
« Coopération économique et commerciale », CE/TFN/GCEC3/36-FR, Négociation
UE-ACP, Bruxelles, 14 juin 1999, étude sur l’UEMOA réalisée par le CERDI.
(100) Collier et al. (1997).
(101) Cadot, de Melo et Olarreaga (1999).
(102) Voir le schéma in Söderbaum (1996) ; et l’évaluation de la faible efficacité de
ces organisations régionales en termes d’intégration par Foroutan (1993). Voir
également L’intégration économique de l’Afrique, passage obligé vers la
mondialisation ? Marchés Tropicaux et Méditerrannéens, 15 septembre 2000.
(103) Voir ECDPM, Lomé Negociating Brief n° 5, février 1999, « The EC’s Impact
Studies on Regional Economic Partnership Agreements ».
(104) Rose et Engel (2000).
(105) Même si, au niveau de l’UEMOA, « aucun membre ne peut invoquer une
équivalence entre sa contribution financière et les avantages qu’il tire de l’Union »,
art. 49 du Traité de l’UEMOA.
(106) Ghymers (1994).
(107) Voir par exemple Moravscik (1999 et 2000).
(108) Kahler (1995, p. 82).
(109) Voir par exemple Médard (1991).
(110) Sindzingre (1998a).
(111) Comme le montre la régionalisation des conflits libériens et sierra léonais.
(112) Claeys et Sindzingre (2000).
(113) Ainsi « l’ivoirité » en Côte d’Ivoire.
(114) Collier et al. (1997, p. 302).
(115) Par exemple, au Niger, le secteur informel représenterait 70% du PIB et 50%
des échanges se feraient avec le Nigeria, Nord-Sud Export, 8 septembre 2000.
(116) Ng et Yeats (1998).
(117) Tanzi et Davoodi (1997).
171
Intégration régionale comparée
(118) Datant souvent de la période coloniale, les réseaux ferroviaires ont en outre des
caractéristiques techniques souvent incompatibles, rendant impossibles les liaisons
inter-Etats (Oshikoya et Hussain 2001).
(119) Limão et Venables (1999).
(120) Brautigam (1995).
(121) Amjadi et Yeats (1995).
(122) World Bank, World Development Indicators 2000, p. 298.
(123) Malaizé et Sindzingre (1998) sur ces obstacles administratifs et infrastructurels.
Les coûts en sont élevés, bien qu’ils soient difficiles à chiffrer : voir par exemple IRISUSAID (1996) ayant calculé l’existence de 25 barrages sur 753 km au Bénin, ajoutant
quelques 87% aux coûts de transport.
(124) Longo et Sekkat (2001).
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Intégration régionale comparée
L'Union européenne et l’intégration des pays andins :
l'accentuation des mécanismes concurrentiels.
Hubert Mazurek
Chargé de recherche à l’ IRD,
(Institut de Recherche pour le Développement) Montpellier
[email protected]
INTRODUCTION
La Communauté Andine des Nations (CAN) vient de fêter ses 30 ans.
Elle représente, avec le SICA (1) et le CARICOM, un des plus anciens
processus d'intégration de la région, mais aussi celui dont on parle le moins
dans la dynamique du continent Sud-américain. De nombreux ouvrages ont
célébré cet anniversaire dont la plupart restent enthousiastes et optimistes
(Fairlie A., 1999; Maldonado H., 1999; Moncayo E., 1999; Vieira E., 1999).
Pourtant, les cinq pays andins (Bolivie, Colombie, Equateur, Pérou et
Venezuela) n'ont pas réellement réussi à développer une synergie interne et se
trouvent aujourd'hui à des niveaux de développement très inégaux, présentant
des contrastes supérieurs à ceux des années 70. Les échanges commerciaux
intra groupe stagnent à un niveau relativement faible, et le processus avance
difficilement vers l'union douanière et le marché commun, malgré un dispositif
administratif très structuré. De fait, les pays continuent à douter de l'utilité
d'une union andine comme élément moteur de l'intégration régionale et
continentale.
Ces pays sont dans un état d'instabilité politique et économique
chronique qui, ajouté aux problèmes des inégalités sociales et territoriales, ne
182
L'Union européenne et l’intégration des pays andins :l'accentuation des
mécanismes concurrentiels.
permet pas de favoriser un climat de confiance pour les investisseurs, ni pour la
stimulation des initiatives locales.
L'engagement dans la libéralisation
économique à partir des années 80-85, au moyen des programmes d'ajustement
structurel, a conduit à une situation de dépendance et de vulnérabilité aux
importations de produits essentiels, aux capitaux étrangers, et à un
accroissement de la dette internationale (Thorp R., L. Whitehead, 1986; Botero
L. et al., 1992; Alzamora C., 1998; BID, 1998; Jiménez F. et al., 1999). Le
processus d'intégration est alors perçu comme un facteur de stimulation du
commerce par ampliation des marchés internes, et un atout pour l'intégration
des pays dans le réseau Monde. Mais de part sa situation et sa conformation
géographique, cet ensemble se polarise entre deux blocs de poids économique
bien supérieur, le MERCOSUR et l'ALENA, dont les stratégies sont bien
différentes. Le premier privilégie l'intégration à partir des voisins; le second
préfère une zone de libre échange à une échelle continentale; deux modèles
d'intégration parmi lesquels il va falloir choisir (Hinojosa et al., 1997 ; Dabène
O., 2000).
Pour ces raisons, le processus d'intégration n'a pas réussi réellement à
stimuler les échanges internes malgré un renforcement du dispositif
institutionnel et juridique communautaire. Dans un contexte de faiblesse des
marchés internes, les entreprises recherchent avant tous les marchés externes
les plus rentables. Comment en effet choisir entre la solidarité régionale et
l'intégration dans l'économie Monde ? Plusieurs pays se posent la question, et
préfèrent réorienter leur politique commerciale en direction des pays "riches".
Ceci explique la multiplicité des accords bilatéraux dans une atmosphère très
individualiste: adhésion de l'Equateur et du Pérou à l'APEC, invitation de la
183
Intégration régionale comparée
Bolivie aux réunions du MERCOSUR, attraction privilégiée du Venezuela et
de la Colombie vers les Caraïbes (CARICOM) ou l'ALENA, etc.
Dans ce contexte, il est intéressant d'analyser le rôle des mécanismes
concurrentiels dans l'approfondissement de l'intégration régionale et
particulièrement les éléments qui ont pu être transférés directement du modèle
européen. Nous aborderons ces aspects à partir de trois entrées déterminantes
dans les paramètres de la compétitivité internationale: la question de la mise en
place des institutions communautaires; la question de la convergence des
économies et particulièrement la réduction des contrastes territoriaux; la
question du commerce international et des conditions de l'émergence d'un
marché commun.
1- La question des institutions
Le transfert d'éléments du modèle européen fut effectif et explicite sur
deux composantes principales: le choix du modèle d'intégration par les
marchés et la structure des institutions communautaires.
Cependant, la mise en place du modèle est très imparfaite sur ses trois plans
principaux:
-
L’instauration d'une politique de concurrence, point fondamental de la
construction européenne, et de politiques sectorielles nécessaires à un
rééquilibrage (PAC, infrastructures, mécanismes compensatoires);
-
La convergence des politiques, particulièrement le rôle que peut jouer le
processus d'intégration comme garant de la stabilité politique et de
coopération en matière d'affaires étrangères;
-
La supranationalité des institutions ou le transfert de compétence.
184
L'Union européenne et l’intégration des pays andins :l'accentuation des
mécanismes concurrentiels.
1.1 - L'absence chronique de Politique Economique Commune.
L'histoire des institutions et des stratégies de l'intégration andine sont
loin d'être linéaires. Elles furent marquées par des phases de dynamisme et de
repli juridique (voir figure 1). Les deux courbes du nombre annuel de décisions
adoptées par la communauté, et de la participation du commerce intra-andin
dans le commerce total sont très bien corrélées. Elles sont le reflet des
nombreuses crises politiques et économiques et de la primauté du législatif
comme facteur dans la stimulation du commerce intra-andin: 480 résolutions
furent adoptées entre 1969 et 1999, essentiellement dirigées à "créer les bases
d'une concurrence saine et libre de distorsions" (Maldonado H., 1999).
1.1.a - Un démarrage difficile
Il faut rappeler que l'accord d'intégration régional (ou Pacte Andin) fut
créer en 1969 avec l'objectif de renforcer les politiques de substitution
185
Intégration régionale comparée
d'importation et d'industrialisation, préconisées par la CEPAL (Tironi E.,
1978a et b). La zone de libre commerce était alors prévue en 1980; elle incluait
une composante ambitieuse de politique industrielle visant à la planification du
financement pour l'implantation d'industrie dans certains secteurs faibles
(métallurgie, automobile, pétrochimie ). Cette politique subira cependant les
mêmes écueils que celle adoptée par l'UE dans la même période: malgré une
volonté politique forte et un bon niveau de coordination, ce sont les impulsions
du marché qui vont diriger la politique industrielle, "…une politique
industrielle commune intégrée s'appuyant sur les complémentarités des Etats
membres est apparue inadéquate…" selon les raisons que donne B. Yvars
(1997). Cet échec relatif provient aussi des contradictions internes entre
l'élaboration de règles destinées à créer un climat concurrentiel, le désir de
planification des régimes militaires et le maintien d'importantes barrières
protectionnistes.
La crise de la dette, à partir de 1981, aura pour conséquence un coup
d'arrêt du processus engagé; la plupart des gouvernements adopteront des
politiques de restrictions au commerce réciproque (Vieira E., 1999). L'urgence
était la croissance nationale, au dépend du processus d'intégration. Selon Jaime
Salazar (1988), il n'y avait aucune volonté des gouvernements pour tenter une
réforme des institutions et ainsi avancer dans le processus d'intégration. La
plupart des décisions juridiques adoptées n'avaient aucune chance de
fonctionner. D'autre part, la nécessité de négocier le problème de la dette de
façon bilatérale, et donc individuelle, avec le FMI a exclu toute possibilité de
négociation commune et fragilisé les institutions communautaires.
Le véritable démarrage de la Communauté Andine n'aura lieu qu'en
1987 avec le protocole de Quito. Il sera un tournant majeur dans la conception
de l'intégration andine. Il correspondait à la nouvelle approche de la CEPAL,
186
L'Union européenne et l’intégration des pays andins :l'accentuation des
mécanismes concurrentiels.
de la Banque Mondiale et du FMI, préconisant l'ouverture des économies et la
diminution du rôle de l'Etat, au moyen de plans d'ajustement structurel.
Le protocole de 1987 va impulser dans les années suivantes une série de
réformes portant sur l'organisation de la communauté et sur la convergence des
politiques, en adoptant explicitement la règle de la libre concurrence.
•
Volonté d'insertion dans les marchés internationaux (diminution des
contraintes sur les capitaux étrangers, programme d'ouverture douanière
jusqu'à libération complète des tarifs prévue en 1995, négociations
multilatérales, zone de libre commerce prévue à partir de 1992);
•
Renforcement du pouvoir de décision politique par l'adoption d'un conseil
présidentiel andin et par la création d'un système andin d'intégration.
•
Participation du monde des entreprises en multipliant les initiatives de
confédérations corporatives, et en adoptant des mesures de flexibilité du
régime des marques, patentes, licences, etc.
Pour les auteurs néo-classiques, les gains directs de l'association des
pays résident dans la création de trafic, d'économies d'échelles et dans
l'accroissement des situations de concurrence qui obligent les entreprises à un
effort d'adaptation et de modernisation. C'est ce principe de régulation par le
marché et la concurrence, qui assure par elle-même une restructuration
industrielle, que les pays de la CAN vont adopter, suivant ainsi le modèle
européen, en faisant explicitement référence au Traité de Rome. Une intense
activité juridique et politique va contribuer à accroître significativement les
échanges entre les pays de la communauté (voir figure1). Ils vont doubler en 5
ans, sans que l'on puisse faire la part entre le processus d'intégration et les
nouvelles politiques de libéralisation.
187
Intégration régionale comparée
1.1.b - La crise péruvienne et l'instabilité politique des années 90.
La fermeture du congrès par le président péruvien A. Fujimori, au
second semestre 1992, eut pour effet la suspension des relations diplomatiques
entre le Pérou et le Venezuela, le redémarrage du conflit Equateur - Pérou, et
une remise en question de la politique communautaire du Pérou. Au cours de la
réunion de Barahona (1992), les pays adopteront une résolution proposant la
suspension du Pérou dans les négociations pour la constitution de la zone de
libre commerce. Cette suspension devait durer un an, elle se prolongera jusqu'à
1997.
Cette crise péruvienne, dans un contexte d'ouverture complète des
marchés, a profondément bouleversé le concept même de groupe andin. De
subtiles négociations eurent lieu avec les pays voisins, principalement le
Mexique, le Chili, le CARICOM et surtout le tout jeune MERCOSUR. Elles
ont révélé l'incapacité de la communauté andine à canaliser ces accords
bilatéraux, et ont conduit à instituer une concurrence plus forte entre les pays
andins. La CAN adopta une série de décisions (322 et 323) pour protéger la
communauté de ces accords et empêcher des pratiques qui pourraient dans
certains secteurs introduire une concurrence "déloyale". Une commission fut
créée à cet effet, jamais elle ne se réunira.
Enfin d'autres décisions (notamment la 324) eurent pour conséquence
l'harmonisation des taxes douanières entre 4 des 5 pays à partir de fin 1992.
Comme nous le verrons, ces décisions eurent en réalité peu d'effet sur la
stimulation du commerce intra-andin; mais, à partir de cette date, les balances
commerciales commencèrent à se déséquilibrer. L'union douanière reste
cependant très imparfaite du fait de la profusion des taux appliqués aux pays
tiers (entre 5 et 25% sur de multiples niveaux et listes de produits), et du fait de
l’existence de nombreux régimes d'exception (par exemple, les plans Vallejo
188
L'Union européenne et l’intégration des pays andins :l'accentuation des
mécanismes concurrentiels.
en Colombie, ou les zones franches au Venezuela ou au Pérou) (Vieira E.,
1999).
Alors que sur le plan juridique les avancées sont considérables, sur le
plan politique et économique, la période post-97 se distingue par toute une
série de crises nationales et communautaires: nouvelle période de récession,
réforme constitutionnelle au Venezuela, annonce du retrait du Pérou de la
communauté andine, crise bancaire en Equateur et dollarisation de son
économie; série de troubles sociaux et politiques au Venezuela, Equateur,
Pérou et Bolivie.
Malgré les avancées du protocole de Sucre (1997) et une nouvelle
restructuration institutionnelle de la Communauté, les problèmes internes vont
miner une fois de plus les volontés d'intégration. On observe alors une
diminution sensible de la part des exportations intra-communautaires (voir
figure 1), une "reprimérisation" du commerce extérieur, la recherche de
nouveaux accords bilatéraux et l'apparition d'un américanisme peu
enthousiaste. Le sommet des présidents à Lima en 2000 redéfinit le calendrier
de réalisation du Marché Commun Andin, prévoyant la libre circulation des
services, capitaux et personnes au plus tard pour le 31 décembre 2005, se
mettant ainsi en coïncidence avec le calendrier de réalisation de la Zone de
Libre Echange des Amériques.
La transférabilité du modèle européen a, dans ce contexte, de grandes
limites. L'UE a favorisé l'instauration d'une politique de concurrence qui a
permis de légiférer sur des questions importantes de régulation des mécanismes
concurrentiels:
-
suppression des restrictions quantitatives aux échanges;
-
lutte contre les effets de concentration, les ententes ou les monopoles;
189
Intégration régionale comparée
-
Limitation des interventions de l'Etat sans négliger toutefois des politiques
industrielles ou sectorielles particulières (PAC, transports).
Dans le cas de la CAN, l'harmonisation des politiques des secteurs clefs
ou sensibles s'est effectué en dehors du processus d'intégration, que ce soit pour
le secteur énergétique (relevant de politiques strictement nationales ou
d'organismes comme l'OPEP), le secteur agricole (les réformes agraires des
années 75 n'ont jamais été suivies d'essai de politique communautaire), ou les
infrastructures (politique définie et financée par la CAF). La mise en place
d'une politique de concurrence est ainsi limitée sur les trois niveaux:
-
par la nécessité politique de maintien de certaines préférences nationales;
-
par la nature du tissu des entreprises du fait de l'accroissement d'un secteur
informel incontrôlable, et de la génération de pseudo-monopoles liés à
l'importance des investissements étrangers;
-
par l’importance du centralisme politique et économique qui favorisent
certains secteurs économiques ou certaines relations commerciales.
La stabilisation politique des Etats membres fait aussi partie des points
forts du modèle européen: convergence des politiques économiques et sociales;
politique étrangère et questions de sécurité; coopération dans le domaine de la
justice et des affaires intérieures. Malgré des intentions démocratiques et
participatives réaffirmées à chaque sommet des chefs d’Etat, les éléments
historiques montrent la difficulté de coopération entre les pays andins sur des
problèmes stratégiques majeurs comme l'éducation, la sécurité, le contrôle des
frontières, le trafic de drogue ou la violence; lesquels sont directement pris en
charge par des négociations bilatérales avec les Etats Unis (Arrieta C. et al.,
1993). La plupart de ces pays sont issus d'une "tradition" de gouvernements
militaires, caractérisés par le clientélisme, le "caudillisme" et le populisme,
toujours à la recherche d'un pouvoir économique et d'une autonomie locale ou
190
L'Union européenne et l’intégration des pays andins :l'accentuation des
mécanismes concurrentiels.
régionale (Dabéne O., 1997). L'instabilité chronique des régimes depuis 1990,
associée à la forte dépendance vis à vis du FMI, ont limité les possibilités de
politiques communes au sein du groupement.
1.2 - Le rôle des institutions
Un autre élément important de transfert du modèle européen concerne
la structure des institutions communautaires, dont la réforme fut entreprise
grâce à la participation directe de l'UE après les accords cadre de 1984 puis de
1993.
Le système d'intégration andine est constitué de:
•
Conseil présidentiel
•
Conseil andin des ministres des relations extérieures
•
Commission de la CAN
•
Secrétariat Général élu
•
Tribunal de Justice (5 magistrats représentants)
•
Parlement andin (représentants des congrès, élus à partir de 2002)
•
Conseils consultatifs sectoriels.
Mais si la CAN dispose aujourd'hui d'un tissu institutionnel
extrêmement développé qui ressemble beaucoup à celui de l'Union
Européenne, la transférabilité du modèle reste limitée, du fait du contexte des
régimes qui restent de tradition nationaliste:
-
Le dispositif législatif est orienté vers la définition des contraintes
concurrentielles directes (tarifaires) sans qu'il y ait une réelle élimination
des entraves non tarifaires (normes techniques, systèmes administratifs
douaniers, libre circulation des entreprises de service);
191
Intégration régionale comparée
-
Seuls la Bolivie, l'Equateur et la Colombie ont inscrit dans leur constitution
le principe d'intégration et de prévalence communautaire sans qu'il y ait de
doute possible. Au Pérou et au Venezuela, le droit national reste souverain.
-
Le niveau de transfert de compétence des Etats vers la CAN reste faible.
Un audit réalisé en 1998 montre que "les conditions juridicoinstitutionnelles applicables à des organisations internationales et en
particulier l'UE s'appliquent aussi à la CAN mais la jurisprudence montre
que le pouvoir supranational reste très limité", en particulier dans la
possibilité de signatures d'actes ou de traités (Moncayo J., 1999).
A la différence de l'UE et du MERCOSUR, le groupe andin a toujours
procédé à un processus d'intégration "depuis le bureau", selon l'expression de
Rebolledo S. L. (1993), sans participation effective des agents économiques, et
surtout des entreprises, et une absence totale de politique de renforcement du
secteur productif et de promotion des exportations. Il s’est surtout préoccupé
de légiférer à partir de décisions politiques sans réelle possibilité technique et
financière de mettre en place les accords. Le pouvoir politique et financier sont
en effet séparés, ce qui constitue une autre limitation importante dans la
possibilité de transfert du modèle européen. La composante politique dispose
d'un budget très limité, alors que les organismes financiers ont une politique
indépendante des objectifs de la CAN. Celle ci est en effet tributaire de trois
organismes financiers continentaux: la CAF (Corporación Andina de Fomento
créée en 1968), le FLAR (Fondo Latino de Reservas) et le BID (Banco
Interamericano de Desarrollo).
La CAF est autonome et fonctionne comme une banque multiple, c'est à
dire ayant des services similaires à ceux d'une banque de commerce, de
développement et d'investissement. Elle est composée des 5 pays andins, du
Brésil, du Chili, du Mexique, de Trinidad et Tobago, de 22 banques privées, et
192
L'Union européenne et l’intégration des pays andins :l'accentuation des
mécanismes concurrentiels.
depuis 1998, de l'Argentine et de l'Uruguay. Ses objectifs prioritaires sont la
réalisation d'infrastructures pour "donner aux entreprises des conditions
favorables à l'exportation de produits: infrastructures énergétiques, de
télécommunication, de réseau routier grâce à une conception de couloirs
d'intégration" (CAF - Rapport annuel 1997). Elle appuie aussi directement les
entreprises (particulièrement les PME) grâce à un fond d'investissement et
dispose d'un plan d'action sur les questions de développement durable
(utilisation et amélioration des ressources naturelles) et de lutte contre la
pauvreté.
Dans une certaine mesure, les actions de la CAF représentent une
alternative au manque de ressource et au désengagement de l'appareil de l'Etat,
mais aussi au manque d'attractivité de certains secteurs pour les
investissements étrangers. En Bolivie et Equateur, les financements CAF
représentent plus de la moitié du total des investissements externes, alors que
pour les autres pays, ce chiffre avoisine les 19%. La CAF a, sur ce point, un
rôle très important dans les capitalisations nationales et internationales par sa
position sur les marchés financiers internationaux, avec une disponibilité de
taux et de délais très favorables à sa consolidation (Zúñiga Q., 1999).
2 - Une géographie des contrastes
Des contraintes géographiques propres à la CAN montrent que certains
éléments du modèle européen peuvent difficilement s'appliquer dans des
contextes où les échanges sont essentiellement centrifuges et où les économies
voisines sont de plus grande compétitivité.
2.1 - Une position stratégique à l'échelle du continent
193
Intégration régionale comparée
Comme on peut le constater sur la figure 2, les pays andins, tout comme
les pays d'Amérique centrale, ont une position particulière dans le continent. Ils
se situent entre les deux grands blocs que constituent Mexique et Etats Unis
d'un côté, Brésil et Argentine de l'autre. La différence de PIB est considérable:
le PIB de l'ensemble CAN n'arrive pas à dépasser celui de l'Argentine; il
représente 37% de celui du Brésil, 62% de celui du Mexique et à peine 25% de
celui du MERCOSUR. De même, le niveau de développement (PIB par
habitant) est très nettement inférieur à celui de ses voisins, y compris le
Venezuela, malgré la rente pétrolière. Il décroît régulièrement depuis 1996: la
moyenne andine pour l'année 1999 est inférieur de 3% au chiffre de 1998 et de
17% de celui de 1997 (données officielles de la CAN - 26/01/2001).
Du point de vue peuplement, les pays andins constituent une façade
pacifico-caribéenne très significative, avec 111 millions d'habitants, soit plus
194
L'Union européenne et l’intégration des pays andins :l'accentuation des
mécanismes concurrentiels.
de la moitié de la population du Mercosur. Les taux de croissance de la
population sont parmi les plus forts du continent. Cette façade compte des
mégalopoles parmi les plus importantes au Monde comme Caracas, Santafe de
Bogotá ou Lima. Elle constitue un axe de peuplement fortement densifié et
urbanisé au Pérou tout le long du Pacifique jusqu'à l'Equateur, puis le long de
l'axe de la Cordillère jusqu'au Nord du Venezuela. Les pôles urbains sont les
seuls à disposer de l'appareil de production; laissant l'arrière pays sans
possibilité de développer des industries de transformation par manque d'une
réelle politique de décentralisation. Au Pérou, 33% des établissements
industriels sont concentrés dans la capitale et sa périphérie (64% si sont
incluses les deux principales villes côtières ; 81% sont des PME de 5 employés
ou moins, 52% génèrent des biens de consommation). En Colombie, 36% des
établissements sont à Bogotá, 78% si on ajoute les villes de Medellin, Cali et
Baranquilla. Au Venezuela, la concentration s'effectue selon l'axe de
production ou de transformation du pétrole: Maracaibo, Valencia - Caracas,
Ciudad Bolivar (Bataillon C. et al., 1991).
Une telle polarisation donne un contexte très différent de celui de
l'Europe. La construction européenne s'est effectuée en privilégiant les
relations vers l'intérieur. Le faible niveau d’ouverture des pays de l'est, la
disparition des colonies (Afrique du Nord et Commonwealth) et sa position de
force économique vis à vis de ses voisins ont favorisé ces relations centripètes
à partir d’un « noyau dur ». La chute du mur de Berlin et la consolidation du
noyau rendent aujourd’hui possible l’intégration progressive de nouveaux
partenaires.
Au contraire, la forte polarisation continentale situe la CAN à la
périphérie de deux blocs mieux structurés, ce qui a plusieurs conséquences sur
195
Intégration régionale comparée
le processus d'intégration:
(1) - Les infrastructures de transport, modelées par la double barrière des
Andes et de la forêt amazonienne, sont plus favorables à un commerce vers
l'extérieur qu'à un commerce vers l'intérieur de la zone. La double façade
maritime et les barrières naturelles engendrent une polarisation à la fois
culturelle et commerciale:
-
Attraction privilégiée du Venezuela par le CARICOM et surtout vers
l'ALENA;
-
Forte attraction de la Bolivie par le MERCOSUR avec lequel il maintient
des relations privilégiées. Ce pays a un rôle "catalytique" comme plaque
tournante du commerce entre la CAN, la Cuenca del Plata, le Pacto
Amazónico et le MERCOSUR. Il est clair, comme le signale Rebolledo L.
S. (1993) qu'une amélioration du réseau de transport en Bolivie entre
Pacifique et Atlantique, liée au développement des nouvelles régions de
cultures de Santa Cruz, aurait un impact fort sur la dépolarisation du
continent.
-
Présence dans le nord du continent de trois pays producteurs de pétrole:
l'Equateur, La Colombie et surtout le Venezuela.
(2) - Alors que l'Europe dispose d'une "réserve" de partenaires sur son flan est
et nord, la CAN est condamnée à développer des stratégies d'alliance avec des
voisins déjà intégrés dans d'autres groupes.
(3) - Le faible potentiel de communication entre les pays entraîne un
renforcement des polarisations urbaines, organisant l'espace selon un modèle
d'économie d'archipel (Veltz P., 1996). Les pays sont alors soumis à un double
type de choc asymétrique périphérique: de fortes migrations de main d'œuvre
très peu qualifiée vers ces zones urbaines; des migrations de main d'œuvre
souvent plus qualifiée vers les pays limitrophes (Argentine, Chili, Venezuela,
196
L'Union européenne et l’intégration des pays andins :l'accentuation des
mécanismes concurrentiels.
Etats Unis, etc…). La priorité donnée aux couloirs d'intégration de la CAF
(couloirs transocéaniques) au dépend des réseaux locaux de transports aura
sans doute pour effet un renforcement de cette polarisation sur les régions déjà
bien dotées en services et disposant de bonnes capacités de production.
2.2 - Des déséquilibres intra-régionaux prononcés
Les différences de développement entre les pays étaient déjà à l'origine
des problèmes d'intégration au sein de l'ALALC dans les années 60. Ces
différences persistent et même se sont accentuées. La Bolivie participait pour
4,1% du PIB de la CAN en 1970, elle ne représente plus en 1998 que 2,9%. La
Colombie et le Venezuela représentent à eux deux 66% du PIB de la
communauté. Ce gradient sud-nord de développement se retrouve dans la
distribution géographique de presque toutes les variables socio-économiques
(Gondard P., H. Mazurek, 1999) et tend à renforcer la polarisation
continentale. Ce gradient s'expliquer en partie par des différences climatiques
et par la conformation du relief. Cependant, ce sont les politiques nationales,
depuis un siècle orientées vers le centralisme politique et l'allocation spécifique
de ressources, qui expliquent surtout les déséquilibres territoriaux.
Si on se référe au modèle européen, l'adoption de mécanismes
compensatoires qui favorisent la diminution des inégalités régionales (fonds à
finalité structurelle: FEDER, FSE, FEOGA, fonds de cohésion, etc., ou
programmes incitatifs comme les PIM) est un élément de transfert
indispensable. L'intensification de la concurrence et les transformations des
structures qui en résultent (restructurations productives, sociales et
territoriales) nécessitent de tels fonds de rattrapage et une politique de cohésion
sociale dans le but de corriger, compléter ou dynamiser les effets des marchés
197
Intégration régionale comparée
intérieurs. Le modèle européen a montré que ces fonds, associés à une politique
de décentralisation pouvait agir dans trois domaines particuliers: l'aide aux
régions en retard, la reconversion économique et sociale et la modernisation
des marchés de l'emploi, grâce aux revenus de l'Union douanière (Yvars B.
1997, Faugère J.P., 1999).
Il n'existe pas de politique de ce type au sein de la CAN, et les actions
de la CAF ne représentent qu'une faible part du budget des Etats. Une charte
sociale andine fut élaborée en 1994, mais ne fut adoptée qu'à la seconde
conférence sociale andine de Quito en 1999. L'échéance de son application fut
sans cesse reculée malgré des initiatives sud américaines insistantes
(Proposition d'un sommet sur ce thème par le Brésil) et les interventions du
secrétaire général de la CAN (voir article de Alegrett S., el comercio, juin 2000
suite au sommet des Présidents à Lima), qui y voient une garantie
indispensable à la création de la ZLEA.
Il faut de ce point de vue souligner que les pays dont l'économie a le
plus progressé sont les pays ayant développé assez tôt des politiques de
décentralisation: Le Venezuela depuis les années 60, la Colombie depuis les
années 80. Les récents succès économiques de la Bolivie pourraient être liés
aux réformes de seconde génération, entre 1993 et 1997, dont le principe est la
déconcentration administrative avec participation populaire et redistribution
des ressources entre les régions.
Pour l'instant l'Equateur, et surtout le Pérou continuent à utiliser un
modèle de forte centralisation qui a pour effet un accroissement des contrastes
territoriaux, une limitation des capacités locales de développement, et des
effets induits de concurrence internationale pour certains secteurs à faibles
capacités locales d'investissement ou de qualification, comme par exemple le
secteur agricole (Dollfus O., J. Bourliaud, 1997).
198
L'Union européenne et l’intégration des pays andins :l'accentuation des
mécanismes concurrentiels.
3 - Les stratégies commerciales et territoriales
3.1 - La multiplicité des accords
La polarisation géographique peut également s'observer dans le schéma
de la conformation des blocs économiques (voir figure 3). La Communauté
andine se situe en position centrale dans les relations sud-nord, et présente le
plus fort degré de multi appartenance, reflet de la faiblesse de ses politiques de
cohésion.
Ce que l'on peut surtout observer, c'est la tendance à la fragmentation
199
Intégration régionale comparée
des processus d'intégration dans la partie centrale du continent. Beaucoup
d'accords que la plupart des analystes s'accordent à trouver désorganisés et
juxtaposés (voir tableau 1; Rosenthal G, 1991; Rebolledo S. L., 1993). Les
pays en voie de développement sont tiraillés entre un désir d'insertion
individuelle dans l'économie monde, le plus souvent en s'associant avec des
pays plus riches, et le besoin de l'intégration dans une zone de libre échange,
condition nécessaire à l'expansion des marchés mais nécessitant un
élargissement de la zone d'influence commerciale.
Erreur! Liaison incorrecte.
La multiplicité d'accords peut s'avérer contre-productive selon la
CEPAL (1991): "Si les pays qui participent aujourd'hui dans les divers sousgroupements et accords partiels décident d'aborder leurs relations de manière
individuelle avec l'objectif de libéraliser le commerce entre eux, il pourrait
surgir des difficultés d'ordre formel ou logistique, tant dans les phases de
négociations que dans les applications des accords." Elle réitéra d'ailleurs cet
avertissement en 1998: "La prolifération d'accords bilatéraux a provoqué un
dynamisme très particulier au processus d'intégration régionale, mais a aussi
induit un développement peu orthodoxe des conditions de concurrence au sein
de cette région".
Cette multiplicité des accords est avant tout le reflet de l'évolution du
processus d'intégration continentale et du partage des influences entre le Nord
et le sud. Les conférences prévues dans le traité de Montevideo en 1980, pour
la constitution de l'ALADI, ont eu beaucoup de difficultés à émerger; la
première eut lieu seulement en 1998.
Parallèlement, les Etats Unis multiplient les initiatives pour la
constitution, d'une zone de libre échange "depuis l'Alaska jusqu'à la
200
L'Union européenne et l’intégration des pays andins :l'accentuation des
mécanismes concurrentiels.
Patagonie", soutenue par les prévisions du BID (Hinojosa et al., 1997) ou de la
Banque Mondiale (Burki et al., 1998) et par la position de l'OMC sur les
compatibilités de l'intégration hémisphérique. L'échéance de l'association de
libre commerce des Amériques (ZLEA) a été fixée à l'an 2005, tout comme
celle de la constitution du marché commun andin, sans que soit prévue un
programme de convergence politique, économique ou sociale.
3.2 - L'ouverture commerciale: entre volonté d'intégration et marchés
internationaux
3.2.a - Les échanges
Les échanges intra-communautaires ont augmenté de 3 à 11 milliards
de dollars entre 1990 et 1998, alors que sur la même période, les échanges avec
le reste du Monde sont passés de 47 à 74 milliards. En valeur absolue, le
processus d'intégration a bien généré un gain des échanges entre les
partenaires. Mais la part du commerce intra-communautaire n'arrive pas à
dépasser les 12% du commerce total, et montre une très nette stagnation depuis
1995 (figure 4.a). Ce sont la Bolivie et la Colombie qui ont le mieux profité du
processus d'intégration (entre 20 et 25 % du commerce total), le premier grâce
à ses exportations de produits agro-alimentaires et le second par une
diversification des exportations de produits manufacturés. Le Pérou et
l'Equateur importent davantage des autres pays de la CAN (20% des
importations totales) qu'ils n'exportent (8% des exportations totales). Le
Venezuela équilibre sa balance commerciale avec les pays de la CAN, mais la
participation aux échanges intra-communautaires ne représente que 9% en
1998, sans grande variation depuis 1990 (5%).
201
Intégration régionale comparée
En examinant les chiffres des échanges vers le reste du Monde, on note
que les importations ont augmenté beaucoup plus rapidement que les
exportations: un rythme annuel de 14% pour les premières, de 6,4% pour les
secondes (figure 4.b). Il est important de rappeler que les pays de la CAN
participaient pour 1,5% des exportations mondiales en 1980, et pour seulement
0,8% en 1997 (World Development Indicator, World Bank, 1999; Burki S.J. et
al., 1998). Ils montrent donc une sensibilité accrue aux importations, mais aussi
une perte d'influence au niveau mondial.
L'appréciation de la contribution relative entre le processus de
libéralisation des économies et le processus d'intégration entre les pays est peu
évidente. Il est cependant certain que la diminution des taux douaniers depuis
les années 90 a eu deux conséquences:
(1) - Une "reprimérisation" de l'économie qui favorise les activités d'extraction
de ressources primaires au dépend de la restructuration et du
développement de l'industrie (figure 4.c), en particulier en aval et en amont
de cette filière d'extraction.
(2) - Un accroissement de la concurrence interne sur les produits de
consommation (manufacturés et agricoles) par des importations de produits
moins chers que ceux de la production locale, et par des exportations de
produits non traditionnels nécessitant de fort capitaux étrangers.
202
L'Union européenne et l’intégration des pays andins :l'accentuation des
mécanismes concurrentiels.
L'ouverture douanière a fait basculer la balance commerciale sur le
solde négatif dès 1991 pour la Bolivie, 1992 pour le Pérou 1993 pour la
Colombie; la balance globale de la CAN restant équilibrée grâce aux
exportations de pétrole du Venezuela et de l'Equateur. La probabilité de risque
aux chocs externes s'en trouve accrue, comme l'a montré la récession de 1997
(chute de 50% des exportations) par les effets conjugués de la crise asiatique,
de la diminution du prix des matières premières, particulièrement du pétrole et
du phénomène El Niño.
3.2.b - L'ouverture commerciale:
Sur la période allant de 1990 à 1999, le degré d'ouverture des pays,
mesuré comme le rapport des échanges au PIB (voir figure 5), a moins
progressé pour le commerce au sein de la CAN que pour le reste du Monde.
On peut faire plusieurs remarques à partir de ces graphiques:
(1) - La place de l'ALENA, des Etats Unis en particulier, est considérable.
Dans le cas de l'Equateur et du Venezuela, les échanges représentent près
du tiers de la valeur du PIB. Deux pays qui pourtant ont adopté des
stratégies monétaires opposées, le premier ayant engagé un processus de
dollarisation de son économie, le second restant sur un régime de
flottement contrôlé (Dempere P. et C. Quenan, 2000). Plus de 35% des
importations et près de 50% des exportations de la CAN se font avec les
USA.
(2) La récession de 1997 a peu affecté le degré d'ouverture avec les Etats Unis,
alors qu'une inflexion de la courbe se perçoit nettement pour les autres
blocs.
(3) Le commerce avec l'Union Européenne reste stable, voire en légère baisse
203
Intégration régionale comparée
depuis 1990 et arrive difficilement à passer la barre des 20%, mais reste le
second marché, bien loin devant les pays asiatiques.
(4) La Bolivie montre un profil relativement singulier, avec un relatif équilibre
des échanges entre les blocs, mais une très nette préférence pour le
MERCOSUR. Sa position centrale dans le continent se confirme à travers
la diversification de ses marchés.
(5)
Les pays ayant les plus faibles degrés d'ouverture sont ceux qui disposent
de nombreux régimes d'exception (Colombie) ou qui ne ce sont pas
pleinement intégrés au processus de la communauté (Pérou du fait de la
crise de 1992-1997).
204
L'Union européenne et l’intégration des pays andins :l'accentuation des
mécanismes concurrentiels.
3.3 - La faiblesse des échanges intra-branches
La spécialisation des échanges est extrêmement forte entre les pays de
205
Intégration régionale comparée
la CAN comme le montre la figure 6, où l'indice de spécialisation de Gini (2)
se situe au-dessus de la valeur 0,3. En effet, 33% des exportations intra-andines
sont représentés par seulement 22 produits dont la majorité sont des produits
agricoles ou d'origine pétrolière; dans le cas de la Bolivie, 88% des
exportations sont représentées uniquement par 3 produits (Tourte de soja,
haricot de soja et coton) (Posada E.V., 1999). Cette spécialisation a tendance à
se renforcer depuis 1995, en raison de la faible capacité d'investissement des
autres secteurs et du syndrome de la rente (génération de capitaux rapides),
situation qui préoccupe très sérieusement les techniciens de la CAN: "En
stimulant la spécialisation des facteurs disposant des meilleurs avantages
comparatifs, la logique du marché mondial est en train d'induire une espèce de
re-primairisation de certains pays en voie de développement, en impulsant des
secteurs comme la mine, générant de forts capitaux transnationaux mais avec
une faible capacité de génération d'emploi et très peu véhiculé au reste de
l'économie nationale" (Moncayo Jiménez E., 1999). A cela s’ajoute le fait que
cette spécialisation ne crée pas de pression concurrentielle de nature à susciter
des gains de productivité.
206
L'Union européenne et l’intégration des pays andins :l'accentuation des
mécanismes concurrentiels.
Les expériences d'intégration et de convergence des économies,
particulièrement en Europe, montrent qu'une exportation sur la base de produits
manufacturés et une transformation / adaptation de la structure productive sont
des conditions nécessaires au développement du processus d'intégration. Hors,
dans les pays andins, le libre commerce, les accords multilatéraux et bilatéraux
sont basés essentiellement sur les capacités productives actuelles (similaires
depuis le début du siècle), c'est à dire sur un nombre réduit de secteurs
constituants des avantages comparatifs au sens de D. Ricardo. Les échanges
commerciaux de produits traditionnels restent les plus courants, sans qu'il y ait
diversification ni échange intra-branche significatif (Posada E.V, 1999).
Erreur! Liaison incorrecte.
Les indices d'échange intrabranche ( indice de Grubel-Lloyd basé sur
163 classes de la NABANDINA - tableau 2), et leur variation sur 7 ans (en
italique) sont le reflet de cette spécialisation. Ils ne montrent des valeurs
207
Intégration régionale comparée
significatives que dans le cas de pays frontaliers, ayant en général des
structures productives plus similaires et de meilleures conditions de transport
des marchandises.
Cette spécialisation se reflète également dans la répartition des
investissements directs étrangers (IDE). Ceux ci restent à un niveau très faible:
9% du PIB en Bolivie, 4% au Venezuela et en Colombie, autour de 2,5% dans
les autres pays (chiffres de 1997). L'IDE a davantage progressé dans le secteur
de l'extraction du pétrole et du gaz, qui représente près de 75% des
investissements totaux au Venezuela et en Bolivie. Il a par contre diminué pour
le secteur tertiaire (-5% sur la période 80-94) alors qu'il a progressé pour ce
secteur de plus de 10% dans les autres pays de l'ALADI (Jedlicki C., 1999).
L'investissement intra communautaire, quant à lui, ne représente que 3% des
investissements totaux.
Problème de confiance face aux turbulences politiques, mais sans doute
aussi de position stratégique des marchés potentiels: manque d'infrastructure,
système bancaire peu fiable, personnel peu qualifié. Les programmes de
privatisation ont eu peu d'effet sur la création de nouveaux actifs dans la
mesure où ils ont entraîné d'importantes restructurations de filières
(particulièrement celles destinées au marché intérieur) coordonnées par des
multinationales. Ils ont ainsi généré des concentrations d'entreprises, voire des
monopoles, comme dans le cas de télécommunications, de l'agro-alimentaire
ou des transports.
CONCLUSION
Depuis 1990, le jeu de la concurrence s'est exacerbé en raison d'une
série de facteurs spécifiques à la région qui ont limité les volontés et la
possibilité de réalisation d'un modèle d'intégration à l'européenne:
208
L'Union européenne et l’intégration des pays andins :l'accentuation des
mécanismes concurrentiels.
•
Des programmes d'ajustements structurels particulièrement intenses et
rapides avaient pour objectif un désengagement généralisé de l'Etat et une
libéralisation de l'économie dans un ensemble où la demande interne croissait
peu et où il n'y avait pas de stabilité monétaire (Jimenez L.F., 1996; S.J. Burki
et al., 1998). Les principales conséquences furent des programmes de
privatisation avec peu de création d'actifs; un accroissement de la dépendance
aux capitaux étrangers et aux organismes internationaux; la substitution des
productions locales par des produits d'importation. La plupart des analystes
s'accordent pour insister sur l'échec de ces politiques d'ajustement (Gonzales de
Olarte E., 1997; Touraine A., 1997; Quenan C., 1998). L'accroissement de la
concurrence a favorisé surtout les importations à partir des pays tiers, plutôt
que les mouvements commerciaux entre les pays partenaires. Au lieu d'assister
à une restructuration du tissu productif stimulée par ces effets de concurrence,
on observe un recentrage sur des produits primaires à capitaux rapides
(extraction ou agricole d'exportation) mais peu générateur d'emploi. On
s'oriente alors vers un modèle de type HOS, où la spécialisation s'effectue sur
la base des ressources les plus abondantes, sans échange intra-branche
significatif mais avec maintien des différences de revenu et de faibles niveaux
de capitalisation (Faugère J.P, 1999).
•
L'accélération du processus juridique d'intégration s'est effectué sans la
création de politiques spécifiques de concurrence (Politique économique
commune, fonds de compensation, restructuration industrielle, concertations
avec le tissu productif, etc.), ni de mécanismes compensatoires entre pays ou
région. On assiste alors à une concentration spatiale des activités dans quelques
pôles urbains d'importance, phénomène renforcé par l'accroissement de la
spécialisation sectorielle, la faiblesse des échanges intra branches et la faible
209
Intégration régionale comparée
mobilité des facteurs de production entre pays de la communauté. De ce point
de vue, la CAN se trouve dans un processus de "périphérisation" au sens de
Krugman (1991) caractérisé par l'absence de génération d'économies d'échelles,
par des coûts élevés de transport, des migrations importantes vers les centres,
et par l'accroissement de la polarisation géographique.
•
Malgré l'adoption d’un dispositif administratif et législatif similaire à
celui de l'UE, la transférabilité du modèle a été limitée en raison du faible
niveau de transfert de compétences entre les Etats et la CAN, et l'absence de
cohésion politique, au niveau national comme communautaire. La réussite
d'une politique d'intégration suppose également la mise en marche d'une
démocratisation des institutions, et d'un niveau adéquat de décentralisation. Or,
les replis nationalistes ou populistes, ainsi que les crises d'autoritarisme ne
facilitent pas l'harmonisation des politiques, l'instauration d'un climat de
confiance ni le pluralisme des échanges entre les groupes sociaux. Sur ce point,
l'histoire de la CAN montre que les phases de démocratisation des institutions
ont été trop brèves pour permettre une réelle stabilité des institutions de la
communauté et garantir une avancée notable du processus d'intégration.
Bien que le modèle européen soit explicitement adopté, sa
transférabilité a des limites: contexte historico-politique d'instabilité politique,
absence de PEC. modèle géographique de périphérisation, peu de synergie
entre pôles d’activité (effet « banane bleue »).
Il est certain que l'ensemble CAN ne répond à aucun des critères de
Mundell définissant une zone monétaire optimale: niveau faible d'intégration
commerciale, des structures économiques très dissemblables, peu de mobilité
du travail et du capital et des systèmes fiscaux non intégrés. Dans ce contexte ,
le marché commun, prévu en 2005, paraît difficilement réalisable.
Il l'est d'autant moins que la CAN se trouve confrontée aujourd'hui à
210
L'Union européenne et l’intégration des pays andins :l'accentuation des
mécanismes concurrentiels.
des problèmes d'alliance nécessaire à sa croissance, car elle n'a pas la
possibilité d'accroître le nombre de partenaires sur ses marges. La
Communauté Andine se trouve dans une position géographique intermédiaire,
tiraillée entre le poids des pays du Nord et l'attraction du cône sud. La
géographie du commerce nous montre que cette polarisation est réelle et peut
conduire à la recherche de stratégies individuelles pour tenter un recentrage.
Les nouveaux accords de paix entre l'Equateur et le Pérou, les accords entre le
Pérou et le Chili (création d'une zone franche péruvienne sur territoire chilien),
ou les tentatives d'alliance entre le MERCOSUR et la Bolivie ou le Pérou, font
partie de ces tentatives de recentrage.
La mise en place du Mercosur en 1991 a ouvert une nouvelle donne
géopolitique et commerciale au niveau régional; l'ALENA (1994) et les
initiatives des Etats Unis pour la création d'une zone de libre échange des
Amériques en est une autre.
Ce sont deux stratégies possibles d'alliance, correspondant à deux
modèles distincts d'intégration, sur lesquelles les pays andins auront à se
déterminer car ce choix définira le jeu de concurrence entre pays et blocs, ainsi
que les options disponibles pour le développement des pays.
La stratégie adoptée pour la création de la ZLEA est celle de
l'élargissement de l'actuelle ALENA (O. Dabène, 2000). La CAN est plus
proche économiquement de ce modèle, et son intégration serait facilitée par ses
relations commerciales privilégiées avec les Etats Unis, ainsi que par les
expériences de dollarisation des économies. De fait, pour certains pays, la
dollarisation est une réalité si l'on considère que près de 64% des transactions
péruviennes s'effectue dans cette monnaie, 82% en Bolivie, 100% en Equateur.
Le couple ZLEA et dollarisation peut constituer alors un facteur de stabilité
211
Intégration régionale comparée
monétaire, et le démantèlement douanier ne seraient plus qu'une conséquence
naturelle de cette dollarisation (Dempere P. et C. Quenan, 2000). Par contre,
l'association à la ZLEA risque de reproduire les conditions des années 80:
nécessité de sévères programmes d'ajustement structurels et création d'une zone
de libre commerce sur la base d'économies très inégales sans mesures
compensatrices. La concurrence s'en trouverait accrue et le processus de
périphérisation sans doute aussi, si on se base sur l'expérience mexicaine (chute
de 25% du salaire minimum depuis la création de l'Alena). L'alignement sur les
normes et réglementations des Etats Unis peut constituer un nouveau choc pour
les pays de la CAN et accroître sensiblement la dépendance externe ainsi que
les effets d'inégalités et de disparités spatiales.
Le MERCOSUR privilégie une stratégie de renforcement du processus
d'intégration à partir de ses voisins, en direction principalement de la Bolivie,
du Chili, et du Venezuela. C'est également la politique qu'adopte l'Union
Européenne avec lequel le MERCOSUR a des accords privilégiés Le double
jeu entre l'ALCA et l'Union Européenne lui permet ainsi une meilleure position
dans les négociations multi-blocs (Ventura D., 1999). La CAN est plus proche
politiquement de ce modèle comme l'a souvent signalé son Secrétaire Général:
"Si nous ajoutons le Chili, le MERCOSUR et la Communauté Andine, nous
parlons alors d'un grand marché de 340 millions de personnes, ce qui nous
conduit à penser à une nouvelle dimension de l'intégration latino-américaine,
laquelle offre d'amples perspectives, pas seulement en termes commerciaux. La
convergence progressive entre les sous-régions laissera la place à un espace
harmonieux et équilibré qui favorisera notre insertion dans l'économie
mondiale par une position compétitive et un indiscutable poids politique sur la
scène internationale" (Entrevue de l'Ambassadeur S. Alegrett, Secrétaire
Général de la CAN sur la question de l'intégration CAN - MERCOSUR, 1
212
L'Union européenne et l’intégration des pays andins :l'accentuation des
mécanismes concurrentiels.
octobre 2000, journal bolivien Presencia). Cette association CAN-Mercosur
pourrait permettre un certain recentrage de la région au profit de pays comme
la Bolivie, le Pérou ou l'Equateur, mais suppose une réorientation
fondamentale des politiques commerciales de la CAN et de ses structures de
production.
L'échéance de 2005 est capitale, à la fois pour la création du marché
commun andin, pour la création de la zone de libre commerce des Amériques
et pour les négociations avec le Mercosur. Les crises politiques actuelles des
pays andins, et les déboires récents des programmes d'ajustement structurel
pourraient renforcer les initiatives individuelles, particulièrement en
provenance de la Bolivie et du Venezuela et générer une nouvelle crise des
institutions de la CAN.
Dans tous les cas, et quelque soit l’option choisie, les pays de la CAN
ne pourront faire l’économie d’une restructuration de leur appareil productif,
de l’application d’un agenda social et d’une meilleure coopération politique
entre les Etats. Sans ces éléments, le jeu de la concurrence, dans le cadre de
l’ouverture vers la ZLEA ou vers le MERCOSUR, pourrait conduire à une
périphérisation encore plus poussée de cette partie du continent.
Notes
(1) La signification des sigles est donnée au paragraphe 3.1
(2) L'indice de Gini varie entre 0,5 (spécialisation maximale) et 0 (diversification
maximale). Il est construit sur la figure 6 pour 21 classes de type de produits. Un
indice de 0,4 signifie que 50% des exportations se réalise dans un seule classe de
produits, 75% dans 3 classe. Un indice de 0,25 signifie une participation de 50% pour
4 classes de produits, 75% pour 8 classes de produits.
Bibliographie
213
Intégration régionale comparée
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L'Union européenne et le Mercosur, deux voies spécifiques d'intégration et d'insertion
dans la mondialisation des activités
L'Union européenne et le Mercosur, deux voies spécifiques
d'intégration et d'insertion dans la mondialisation des
activités
Bernard Yvars
Maître de Conférences
Université Montesquieu - Bordeaux IV,
CED-GRIEM
INTRODUCTION
Le caractère exportable du modèle européen d'intégration régionale
soulève principalement deux questions : d'abord, l'identification des éléments
transférables d'un processus intégrateur en cours d'approfondissement et
ensuite, la capacité de la zone réceptrice à adopter un tel dispositif. L'Europe
actuelle est une combinaison complexe de degrés différents d'intégration et ne
constitue donc pas un modèle univoque. Le modèle communautaire étant à
géométrie variable, il importe tout d'abord d'en déterminer la base transférable
au regard de l'état des structures politiques, économiques et sociales des États
membres de la zone d'accueil. Puis, le repérage des particularités locales et leur
prise en compte doivent permettre d'envisager dans les domaines
institutionnels, juridiques et économiques les adaptations utiles et leurs effets
attendus.
Dans les faits, l'exportation du modèle européen est entendue dans une
acception très générale qui recouvre le transfert d'un modèle économique assez
imprécis. En revanche, l'Union européenne affirme davantage à travers ce
volontarisme d'exportation la nécessité d'un développement économique dans
219
Intégration régionale comparée
un cadre respectueux de la démocratie et des droits de l'Homme. Son modèle
est donc a priori plus institutionnel et politique qu'économique. L'Union
européenne a essentiellement une composante institutionnelle et réglementaire
et se caractérise par l'octroi à des organes communs de véritables pouvoirs de
décision. Il existe une réglementation européenne directe par la voie de
règlements. La Cour de Justice des Communautés Européennes est une
instance juridique commune de nature à freiner les risques de réversibilité du
processus d'intégration de l'Union européenne (instance juridique représentant
un ordre supérieur à un organe bureaucratique composé de fonctionnaires
publics et même à une réunion politique au sommet (ou de haut niveau).
Néanmoins, il existe une spécificité du mode de développement
économique communautaire dont on peut montrer qu'il présente deux
composantes :
- une composante ancienne et transférable correspondant à la phase
d'union douanière de la CEE que l'on peut qualifier de phase élémentaire du
processus d'intégration régionale ;
- une composante récente mais non transférable correspondant à l'union
monétaire, c'est-à-dire à un degré approfondi et spécifique du processus
d'intégration régionale européen.
Des ensembles régionaux en cours de constitution comme le Mercosur
semblent se construire par référence à un modèle européen institutionnel et
réglementaire. En réalité, sur ce point, le transfert est très élémentaire et plutôt
adapté aux exigences d'un accord préférentiel. Le processus économique
d'intégration est lui-même très spécifique puisqu'il concerne des économies en
développement qui ont une tradition forte de protectionnisme. Dès lors, dès la
première étape de l'intégration, c'est-à-dire la réalisation de la libre circulation
des produits, des difficultés importantes peuvent apparaître, a fortiori s'il existe
220
L'Union européenne et le Mercosur, deux voies spécifiques d'intégration et d'insertion
dans la mondialisation des activités
une forte hétérogénéité des régimes de change des Etats membres.
I - Une forte spécificité de l'approfondissement du processus
européen d'intégration
Dans la phase initiale du processus d'intégration économique de la
Communauté européenne, certains dispositifs caractéristiques d'une zone
d'intégration régionale en cours de constitution peuvent apparaître transférables
: c'est notamment le cas du cadre réglementaire constitutif d'une zone libreéchange ou d'une union douanière. Cette phase correspond à une époque où les
États européens connaissaient des disparités économiques nationales
significatives, c'est-à-dire des chocs plutôt différenciés par nations que par
régions (1). Le gain de l'intégration économique repose principalement sur le
développement des échanges commerciaux qu'il est aisé de promouvoir par un
démantèlement d'obstacles commerciaux nettement visibles (tarifs douaniers
relativement élevés et contingents). C'est aussi à cette époque que débute la
mise en œuvre de la politique commune la plus significative : la politique
agricole commune. Cette dernière va bénéficier de l'accord des États-Unis qui
accepteront momentanément le protectionnisme agricole européen, se
contentant d'exiger le maintien de certains débouchés traditionnels sur le
marché communautaire. Dès le départ, la construction communautaire s'appuie
sur une politique générale de marché tempérée par l'affirmation de prérogatives
du Centre exprimées notamment par la politique agricole commune.
1 - Un élément majeur de transférabilité : la logique de marché de
l'Union douanière européenne
On sait que la théorie des unions douanières établit qu'une des
221
Intégration régionale comparée
conditions pour que le bien être net d'une union douanière soit positive
(création de trafic l'emportant sur le détournement de trafic) est que les
économies des États membres doivent être effectivement concurrentielles avant
l'union douanière mais potentiellement complémentaires une fois l'union
douanière réalisée. En effet, la création de trafic exige initialement une
production protégée et les structures de production des deux économies doivent
donc du fait des protections douanières réciproques, sembler à peu près
identiques avant la formation de l'union douanière : elles doivent donc
apparaître effectivement concurrentielles. Cependant, chaque membre doit
aussi être le producteur le plus efficace des biens qui sont protégés et produits
de façon inefficace par son partenaire ; cette condition garantit que dans
l’union douanière, il y aura création de trafic plutôt que détournement. Le
respect d'une telle contrainte
exige
l'existence d'échanges de produits
similaires différenciés entre nations de l'union ; par conséquent, une union
douanière a d'autant plus de chance d'engendrer des gains réciproques pour les
Etats qui la composent que leurs économies se situent à des niveaux proches de
développement économique.
La croissance de l'échange intra - branche rend compte du degré de
proximité des structures productives des Etats membres, encore faut-il pouvoir
le mesurer avec une précision suffisante ! La modification de cadre
réglementaire réalisée dans la phase de l'union douanière européenne a été
rapidement menée à son terme au 1er janvier 1968. A cette date, il existait une
union douanière pour les produits industriels et un marché unique pour les
produits agricoles (2). Bien entendu, une évolution aussi radicale des règles
régissant les échanges est supportable par des économies développées. En
222
L'Union européenne et le Mercosur, deux voies spécifiques d'intégration et d'insertion
dans la mondialisation des activités
revanche, elle l'est moins (3) pour les pays en développement et la
libéralisation progressive des échanges est sans doute la solution la plus
appropriée (libéralisation commerciale unilatérale, listes de produits
dérogatoires, clauses de sauvegarde…) (4). Quant à la principale politique
commune, la PAC, elle ne peut être aujourd'hui un modèle pour aucun des
groupements régionaux pour les raisons suivantes :
- la PAC originelle a été démantelée par la réforme européenne de 1992
et les accords de l'Uruguay round ; la phase suivante négociée dans le cadre de
l'OMC, à l'issue de l'expiration de la clause de paix, doit aboutir à ce que le
marché agricole européen soit guidé par les prix internationaux.
- les aides directes qui dans l'Agenda 2000, compensent partiellement la
baisse des prix de soutien, ne sont pas prévues pour les agriculteurs des pays de
l'Est qui vont entrer prochainement dans l'Union européenne. Le sort de ces
aides semble scellé : elles seront découplées des quantités produites sur le
modèle américain.
Par conséquent, la politique agricole commune ne peut plus servir
d'exemples aux expériences extra - européennes d'intégration économique. Les
autres politiques communes telles que la politique de la concurrence exigent un
minimum de fonctionnement intégré du marché intérieur (disparition intra zone des droits de douane et des contingents), sinon elles deviennent
inapplicables. Disons tout de suite que de nombreuses expériences régionales
n'ont pas pour objectif la construction d'une zone très intégrée avec des
politiques communes (degré d'intégration correspondant à un marché commun
ou à une union économique) mais visent à développer le commerce intra zone (logique d'intégration selon l'Alena). La réalisation de l'union monétaire
223
Intégration régionale comparée
européenne semble donc représentée a priori un processus non susceptible
d'être accueilli ailleurs. Cette construction, qui n'est d'ailleurs pas consolidée,
présente une forte spécificité qui en limite son caractère transférable.
2 - L'Union monétaire européenne : un processus tout à fait spécifique
Sur une longue période, les conditions de production ont favorisé les
régions du Nord et du Centre de l'Union européenne, les forces centripètes
engendrant un effet cumulatif de concentration géographique du secteur
industriel. La construction communautaire a ainsi abouti à une concentration
des activités à rendements croissants dans la banane bleue. Ce phénomène a
été favorisé par des coûts de transport faibles et un degré d'économies d'échelle
et une dépense en biens industriels forts. Et toute politique d'intégration
régionale ayant pour but la réduction des coûts de transport ou plus
généralement, les coûts d'interactions dans les échanges de biens industriels a
conduit à une relation Centre - Périphérie favorable à la région développée. La
réalisation de l'Union monétaire est donc de nature à accroître la divergence
régionale en renforçant l'avantage économique des zones les plus riches.
Les écarts européens de productivité entre régions riches et pauvres
vont conforter la captation de ressources au profit des centres développés de
l'Union monétaire. Cette éventualité est d'autant plus plausible que la
réalisation d'infrastructures de réseaux (parfois avec le concours des fonds
communautaires) permet de désenclaver les zones relativement moins
favorisées de l'Union européenne. Aujourd'hui, on constate aussi la possibilité
d’exploitation hors de l'Union monétaire, de différences de coûts relatifs de
facteurs de nature à favoriser l’affirmation d’une division verticale régionale
du travail (DVRT). En effet, l’existence de deux types de politiques
économiques pour les "Ins" (politique rigoureuse) et pour les "Pré-ins" ou les
224
L'Union européenne et le Mercosur, deux voies spécifiques d'intégration et d'insertion
dans la mondialisation des activités
pays de l'Est (politique plus souple d’ajustement structurel) peut favoriser les
délocalisations à la périphérie dans le second ou troisième cercle des pays
européens. Il existe alors un danger d'affaiblissement économique de la zone
comprise entre les régions riches de l'union monétaire et les territoires hors de
l'union monétaire qui, tous deux, bénéficieraient de forces économiques
centripètes.
a - Des chocs asymétriques induits par des effets d'agglomération
L'intégration et la diversification des économiques constituent des
facteurs de réduction de la vulnérabilité d'une union monétaire à des chocs
asymétriques. L'OCDE distingue trois grands vecteurs d'intégration
économique : l'interdépendance commerciale, l'intensité des échanges
intrasectoriels et les facteurs de rapprochement des revenus. Au cours des vingt
dernières années, ces trois facteurs ont favorisé une synchronisation accrue des
cycles européens de la conjoncture. La recherche de la convergence nominale
par les critères de Maastricht a aussi contribué au rapprochement macroéconomique des pays de la zone euro. P.R. Krugman a soutenu que
l'approfondissement de l'intégration pouvait conduire à une spécialisation plus
poussée et rendre les régions de l'Union monétaire plus sensibles à des chocs
asymétriques (5).
L'existence de rendements croissants permet d'expliquer l'apparition de
dynamiques de divergence régionale engendrant une agglomération des
activités économiques. L'exploitation d'économies d'échelle induites par le
décloisonnement des marchés conduit les entreprises à concentrer leur
production. L'intégration commerciale en diminuant les coûts de transaction
225
Intégration régionale comparée
entre régions facilite un tel processus. Au niveau de l'Union européenne,
l'achèvement du marché intérieur a engendré des effets de concentration : la
part de marché détenue par les quatre premiers producteurs tous secteurs
confondus est passée de 20,5% à 22,8% entre 1987 et 1993. Dans les activités
à forte intensité en recherche - développement, la progression est encore plus
nette puisque le taux de concentration passe de 32,9% à 38,9% sur la même
période. Ce processus contribue à la poursuite de la polarisation géographique
de la production.
L'existence d'un échange intra - branche vertical important et en
croissance entre les pays de l'Union monétaire révélée par les analyses récentes
de L. Fontagné, M. Freudenberg et N. Péridy (6) montre que la réalisation du
marché unique a engendré des écarts de qualité productive, source
d'ajustements socialement coûteux. L'analyse des échanges commerciaux qui
présentait l'Europe comme un ensemble d'États aux structures industrielles
diversifiées, doit être nuancée. En effet, les pays européens se caractérisent par
des structures productives diversifiées mais spécialisées selon des échelles
technologiques et de qualité. La conséquence de cette situation est que les
régions européenne seraient plus spécialisées que les nations et ceci, de façon
croissante avec l'approfondissement du processus intégrateur européen.
Même si la spécialisation entre États membres ne s'est pas approfondie,
à l'intérieur des États, les écarts régionaux se sont accentués, engendrant une
divergence que les mécanismes de marché de l'Union monétaire ne résorberont
pas, d'où une spécialisation spatiale accrue et une vulnérabilité aux chocs
asymétriques. On sait aussi que la variabilité de l'inflation a toujours été plus
importante que la variabilité de la croissance de la production dans la plupart
226
L'Union européenne et le Mercosur, deux voies spécifiques d'intégration et d'insertion
dans la mondialisation des activités
des pays européens. Avec une politique monétaire commune dans l'UEM, la
variabilité de l'inflation entre les régions devrait encore diminuer alors que les
fluctuations de la production entre régions pourraient augmenter en raison de la
perte de l'instrument du change comme moyen d'ajustement intracommunautaire. Un tel scénario serait source de difficultés pour les États
membres concernés, d'autant plus que l'accentuation de la variabilité de la
production en présence de marchés du travail insuffisamment flexibles (cas des
régions périphériques) peut engendrer des effets d'hystérèses et conduire à des
pertes de production encore plus significatives. La différenciation spatiale de
l'Union monétaire semble donc appelée à s'approfondir, ce qui engendre un
coût de fonctionnement de l'union monétaire (coût qui ne remet pas en cause la
viabilité de l'Union monétaire).
b - De nouvelles asymétries induites par la mutation de la politique
européenne de cohésion
Les insuffisances de résultats de la politique régionale européenne dans
les zones en retard de développement ainsi que la plausibilité d'un coût
relativement élevé du prochain élargissement font apparaître un décalage
important entre, d'une part, les besoins de financement de la cohésion
économique et sociale et, d'autre part, les moyens disponibles à cette fin.
Implicitement, l'Agenda 2000 définit un programme d'actions structurelles pour
la période 2000 -2006 dont la vocation semble être de façon prioritaire le
sauvetage des régions à potentialité de développement, qu'elles appartiennent à
l'Union européenne à Quinze ou aux pays actuellement candidats à l'adhésion.
De ce point de vue, la réforme actuelle des fonds structurels semble marquer
une rupture avec les politiques antérieures parce qu'elle va donner une nouvelle
227
Intégration régionale comparée
priorité au mode de croissance polarisée. En réduisant la part de la population
concernée par les dépenses structurelles au titre des objectifs 1 et 2, cette
réforme va limiter un saupoudrage des interventions que la réforme des fonds
structurels de 1988 n'avait pas éliminé : l'effort de cohésion se ralentit et se
concentre au cours de la période 2000-2006. L'Union européenne poursuit son
action traditionnelle d'aide aux zones déshéritées pour soutenir le
développement local, en particulier dans les pays du Fonds de cohésion. Les
zones urbaines de Porto ou de Barcelone, par exemple, sont des mégapoles à
orientation économique européenne et internationale. Elles bénéficient d'effets
directs (ou induits) de la politique de cohésion communautaire dans la
péninsule ibérique, ce qui favorise leur intégration à l'économie d'archipel
(nouveau mode de croissance polarisée) et réduit leur intégration locale avec
une distension progressive des liens antre la ville et son espace environnant. De
la même façon, les pays de l'Est candidats à l'adhésion, situés aux frontières de
la banane bleue, sont une composante prioritaire de ce nouveau type de
croissance. Un tel modèle de développement risque d'être porteur d'effets de
stoppage et d'accroître la divergence régionale avec l'apparition de phénomènes
identiques de polarisation urbaine et de désertification relative des espaces
environnants. De ce fait, les régions en retard de développement de l'actuelle
Union européenne et les régions déshéritées des pays de l'Est sont concernées
par une composante similaire de sous-emploi, c'est-à-dire résultant d'un
affaiblissement économique des régions périphériques au profit des grandes
agglomérations à vocation européenne et internationale. Il apparaît donc une
généralisation d'un type de chocs asymétriques induits par la métropolisation
des activités. Ce phénomènes est probablement durable parce qu'il se manifeste
dans un contexte d'effacement des politiques nationales d'aménagement du
territoire.
228
L'Union européenne et le Mercosur, deux voies spécifiques d'intégration et d'insertion
dans la mondialisation des activités
c - Réduction des écarts nationaux et accroissement des écarts régionaux
dans l'Union européenne
La lutte contre les inégalités régionales constitue aujourd'hui le
deuxième poste du budget général de l'Union européenne avec un tiers des
dépenses derrière le financement de la politique agricole commune. De 1950 à
1990, un processus de convergence s'est manifesté dans la CEE puisque les
régions à revenu initial par habitant plus bas ont connu un taux de croissance
plus rapide que les autres (réduction d'environ 2 % par an de l'écart de revenu).
Cette convergence du revenu par habitant s'est ralentie au début des années 80
et s'est établie à 1,3% par an entre 1978 et 1992. Aujourd'hui, elle se poursuit
entre États membres alors qu'elle se réduit entre régions riches et régions
pauvres d'un même pays. Il apparaît une situation où dans les pays relativement
pauvres, seules les régions riches bénéficient d'un processus de convergence
avec les pays européens les plus développés.
Toutefois, les politiques régionales tentent de freiner la divergence
spatiale : parmi les trois grands domaines d'interventions communautaires
(infrastructures, aides aux investissements, politiques de l'emploi), les
infrastructures publiques, en particulier de transport, constituent le premier
poste des dépenses régionales (30% du budget général et 60% du Fonds de
cohésion). Quel en est l'impact ? Il est positif sur l'investissement privé et la
croissance économique. Mais P. Martin et C. Rogers ont montré que les effets
des infrastructures publiques sont très différents selon qu'elles facilitent le
commerce intra-régional ou le commerce inter-régional. Ce n'est que dans le
premier cas qu'elles peuvent attirer des entreprises dans les régions pauvres en
augmentant la demande et la taille du marché local. En revanche, s'il existe
229
Intégration régionale comparée
déjà des mécanismes d'agglomération, l'amélioration de l'attraction des régions
pauvres n'aura pas d'effet sur la localisation des entreprises ; au contraire, en
cas d'infrastructures favorisant le commerce inter - régional, la délocalisation
dans les régions riches peut devenir avantageuse tout en exportant dans les
régions pauvres avec lesquelles le commerce est facilité. Les unions monétaires
abaissent les coûts de transaction et engendrent des hausses d'efficacité au
bénéfice des régions riches. La réalisation de l'Union monétaire européenne
peut contribuer à l'accentuation des inégalités régionales alors que les écarts
entre États membres poursuivront leur réduction. Même si les chocs
asymétriques peuvent être relativement insensibles à un niveau agrégé, c'est-àdire celui d'un État (Italie, Espagne ou France), en revanche, ils peuvent être
plus coûteux pour les régions périphériques en retard de convergence réelle
(Mezzogiorno, Andalousie, Languedoc - Roussillon…). Dans ce cas, avec une
zone monétaire optimale à la Mundell, il importe de savoir si respectivement
la Lombardie, la Catalogne ou l'Île de France sont en mesure de résorber les
coûts sociaux des chocs asymétriques périphériques, c'est-à-dire d'absorber
l'excédent de main-d'œuvre pour éviter la hausse durable du chômage régional.
Au début des années 90, M. Feldstein soulignait que les différents États
de l'Union européenne étaient exposés à des chocs sensiblement différents en
raison des disparités dans les gammes de produits fabriqués, dans leur
dépendance énergétique et dans les marchés étrangers vers lesquels ils
exportaient (7). Mais pour J.A. Frankel et A. K. Rose, l'intégration réelle
contribue généralement à renforcer le degré de symétrie des chocs avec une
accentuation de l'échange intra - branche, ce qui constitue un argument pour la
réalisation de l'union monétaire (la flexibilité des taux de change augmentant la
spécialisation et le risque de chocs asymétriques). Avec le passage à la
230
L'Union européenne et le Mercosur, deux voies spécifiques d'intégration et d'insertion
dans la mondialisation des activités
monnaie unique, l'échange inter - branche devrait encore régresser malgré des
effets accrus d'agglomération alors que l'échange intra - branche différencié
verticalement devrait croître plus rapidement que le commerce en
différenciation horizontale.
Une conséquence néfaste peut en résulter : l'apparition d'un risque
accru de chocs asymétriques dans les pays du Sud de l'Europe alors que
l'on ne dispose pas des instruments budgétaires pour les traiter. S. de
Nardis, A. Goglio et M. Malgaranis ont étudié le degré de symétrie des
chocs nationaux et régionaux : la dispersion de la production
industrielle est plus forte entre régions qu'entre États et, à l'inverse des
chocs nationaux en phase entre pays européens, les chocs régionaux
sont fortement asymétriques (8). Cela s'explique par le fait qu'au sein d'
États membres aux structures productives diversifiées (mais
spécialisées selon des échelles technologiques et de qualité), les
régions européennes apparaissent plus spécialisées que les nations de
façon croissante au cours du processus d'intégration. Sur une longue
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0 ,9
0 ,8
Valeur du coefficient de corrélation
0 ,7
0 ,6
0 ,5
0 ,4
0 ,3
0 ,2
0 ,1
0
A lle m a g ne (8 ré g ion s )
Ita lie (1 1 rég io n s)
N a tio n (1 9 7 6-1 9 7 9 )
F ra n c e (8 ré g io ns )
C E E à 1 2 (1 9 7 6 -1 97 9 )
231
R o ya um e -U ni (1 ré g io n )
N a tion (1 9 7 9-19 9 2 )
E n s em b le (38 ré g ion s )
C E E à 1 2 (19 7 9 -1 9 92 )
Intégration régionale comparée
période (1960- 2000), on peut relever une certaine convergence des
régions européennes (9). Mais ce processus s'est atténué dans les
années 80 avec des disparités de revenus en régression entre États
membres mais en augmentation entre régions d'un même pays. Un tel
phénomène est particulièrement perceptible en Espagne et au Portugal
avec les régions de Barcelone ou de Porto qui se développent au
détriment des régions voisines…Le graphique 1 ci-dessous atteste de
cette réalité.
L'existence des chocs asymétriques en Europe soulève la question de la
stabilisation économique des régions en difficulté en l'absence d'un budget
fédéral (10). La création de fonds nationaux de stabilisation constitue une voie
qui vient d'être empruntée par la Finlande qui a décidé de se doter d'un fonds
de stabilisation destiné à amortir les chocs économiques (novembre 1997). Cet
instrument de stabilisation présente l'avantage de contourner la contrainte du
Pacte de stabilité et de croissance parce que le fonds est indépendant du budget
des administrations publiques. Cette solution présente l'inconvénient de ne pas
être communautaire : elle traduit un recul de la solidarité inter - étatique et
représenter un frein à l'unification politique de l'Europe.
Le développement du régionalisme dans la période contemporaine
semble davantage s'inspirer de deux modèles (celui de l'Union européenne et
celui de l'ALENA) que du schéma réticulaire d'intégration régionale spécifique
à la zone asiatique. L'UEM, dernière étape de l'intégration économique
régionale européenne, va nécessiter un cadre fédéral de fonctionnement pour
être pleinement efficace. L'Alena apparaît comme un processus d'intégration
minimaliste assez proche dans son esprit des accords bilatéraux du XIXème
232
L'Union européenne et le Mercosur, deux voies spécifiques d'intégration et d'insertion
dans la mondialisation des activités
siècle : il précède le multilatéralisme, incarné par l'OMC plutôt qu'il ne le
contourne. Autrement dit, l'Alena est le vecteur de la mondialisation des
activités. La constitution de zones d'intégration régionale inspirée de ce modèle
va obéir à un objectif de développement des échanges par la suppression des
obstacles tarifaires et non tarifaires au commerce ; cette logique libre
échangiste, qui est aussi celle de l'OMC, doit permettre d'aboutir à un espace
économique décloisonné. Les pays du Mercosur, qui semblent vouloir
construire un processus d'intégration économique similaire à celui de la
Communauté européenne, sont en réalité partagés entre la tentation régionale
forte et celle de la mondialisation, incarnée par le projet américain de zone
hémisphérique de libre-échange. Par rapport à l'intégration communautaire
européenne, le Mercosur présente à la fois des convergences (relativement
faibles) et des divergences (plus nettes).
II - Convergences et divergences du Mercosur par rapport à
l'expérience européenne d'intégration
L'article premier du traité d'Asunción qui, le 26 mars 1991, crée le
Mercosur, prévoit que le nouvel ensemble reposera sur la libre circulation des
biens et facteurs, sur un tarif extérieur commun et sur l'adoption d'une politique
commerciale commune vis-à-vis des pays tiers. De plus, la coordination des
politiques macro-économiques et sectorielles est envisagée. La période
transitoire a été accélérée afin que l'ouverture du marché interne entre en
vigueur le 1er janvier 1995. En décembre 1994, à la conférence d'Ouro Preto,
le Mercosur acquiert ses traits fondamentaux actuels où l'on peut distinguer des
dispositions se rapprochant de celles en vigueur dans l'Union européenne .
233
Intégration régionale comparée
1 - L'existence de facteurs de convergence avec l'Union européenne
Il s'agit principalement de convergence institutionnelles qui rappellent
le fonctionnement de la Communauté européenne à ses débuts. Néanmoins, le
degré de contrainte qui peut s'exercer sur un État membre est relativement plus
faible.
a - Une convergence institutionnelle partielle : démocratie et règle de
l'unanimité
Dans le Mercosur, les Etats membres optent pour un modèle
intergouvernemental, les positions communes restant donc dépendantes de la
volonté de chaque nation. Si le Brésil, partenaire le plus important, souhaite
une évolution vers une forme de supranationalité, il se heurtera à une difficulté
constitutionnelle. En effet, sa constitution - tout comme celle de l'Uruguay - ne
permet la négociation d'accords de coopération que dans le cadre de l'Amérique
latine. Au contraire, le Paraguay et l'Argentine, qui ont réformé leur
Constitution respectivement en 1992 et 1994, peuvent participer à des
organismes supranationaux. Du point de vue juridique, le Mercosur fonctionne
selon les règles classiques du droit international public et privé. Des
comparaisons avec la création et la construction juridiques sui generis de la
CEE et de l'Union européennes ne peuvent être qu'approximatives (11). La
prise de décision se fait par consensus et en présence de tous les Étatsmembres. Les textes fondateurs du Mercosur définissent un régime
intergouvernemental et non pas supranational, ce qui engendre naturellement
une certaine lenteur et rigidité. Les institutions du Mercosur se rapprochent de
234
L'Union européenne et le Mercosur, deux voies spécifiques d'intégration et d'insertion
dans la mondialisation des activités
celles de la Communauté européenne mais n'ont aucun rôle supranational. Et
surtout, il n'existe pas l'équivalent de la Cour de Justice des Communautés
Européennes pour asseoir une législation régionale. La carence institutionnelle
la plus décriée est sans doute l'absence d'un mécanisme de résolution des
conflits (insuffisance du protocole de Brasilia de 1992 ou de l'annexe du
protocole d'Ouro Preto de 1994), le Brésil y étant opposé (12). Il apparaît clair
que sans institution dotés de prérogatives propres, non soumises à la règle de
l'unanimité, et sans réglementation communautaire contrôlée, le processus
intégrateur ne pourra pas s'approfondir.
De plus, si cette entité est partagée entre la volonté de resserrer les liens
entre ses seuls membres et la possibilité de s'élargir à l'ensemble du souscontinent, le Mercosur doit aussi compter avec une troisième voie : celle
prônée par les États - Unis qui souhaitent la création d'une zone de libreéchange hémisphérique de l'Alaska à la Terre de feu. Si celle-ci prévalait, les
marges d'autonomie expérimentées ces dernières années face à ce pays
s'amenuiseraient et, après le Mexique, l'ensemble de l'Amérique latine devrait
accepter une détermination économique impulsée par les États - Unis dans un
contexte de régionalisme ouvert où l'Alena est le vecteur de la mondialisation
des activités.
b - Un bilan nuancé de l'organisation inter - gouvernementale
Dans la construction du Mercosur, les États jouent un rôle double et
contradictoire. Ils mettent en place les mécanismes institutionnels et fixent
leurs contours. Ainsi, une commission du commerce est créée, accueillant
également les syndicats patronaux, mais ses décisions peuvent faire l'objet du
235
Intégration régionale comparée
veto de l'un quelconque des gouvernements. Le Forum économique et social,
où se trouvent les représentants des consommateurs, de la société civile et des
syndicats des travailleurs, dispose d'un pouvoir consultatif et ne peut émettre
que des recommandations.
On peut ajouter que dans l'architecture libérale qu'est le Mercosur, toute
intervention publique est exclue, contrairement à l'expérience de la
Communauté européenne. Les politiques communautaires de soutien aux
régions en retard de développement ou aux secteurs industriels en difficulté…
ne sont pas autorisées. Sont aussi par avance proscrits des programmes de
reconversion industrielle, de recherche technologique ou de développement
régional du type de ceux en vigueur dans l'Union européenne. Seul le marché
doit désigner les gagnants et les perdants au sein de l'union douanière en cours
de constitution. Cependant, les organisations syndicales des États membres
appuient ce projet d'intégration régionale, en réclamant simplement des
ajustements et une participation effective de leur part. Elles veulent agir pour
un Mercosur social et demandent l'augmentation des salaires, la reconnaissance
des droits sociaux et la liberté de circulation des travailleurs (13). Des
résistances à ce projet se manifestent dans certains secteurs agricoles brésiliens
ou paraguayens. Toutefois, le Mercosur a fait progresser les coopérations à
d'autres échelons : en effet, malgré une centralisation administrative poussée,
des gouverneurs provinciaux, et même des maires, ont conclu avec leurs
homologues d'autres États membres des documents officiels difficiles à
caractériser dans le droit international public traditionnel (14). En outre, des
progrès ont été réalisés dans certains domaines, comme celui de la coopération
judiciaire. Les évolutions entraînées affectent également les "petits pays" du
236
L'Union européenne et le Mercosur, deux voies spécifiques d'intégration et d'insertion
dans la mondialisation des activités
Mercosur : ainsi, le Paraguay et l'Uruguay se voient contraints d'abandonner
leur traditionnelle stratégie d'équilibre entre les deux géants régionaux que sont
l'Argentine et le Brésil. Enfin, l'intégration économique doit s'effectuer dans le
cadre des normes de la démocratie représentative. Ainsi, le Paraguay n'a pu
accéder aux négociations qu'après avoir souscrit aux règles minimales de
l'ordre institutionnel. Plus tard, après la tentative de prise de pouvoir du général
Oviedo à Asunción, en avril 1996, le Mercosur s'est doté d'une clause
démocratique prévoyant la suspension d'un membre dont le gouvernement
attenterait à l'Etat de droit. Lors de cette tentative, l'Argentine et le Brésil appuyés par les États- Unis - ont pratiqué une ingérence ouverte dans les
affaires intérieures de leur voisin et associé et ont ainsi mis en échec la
tentative de l'officier séditieux. Il s'agit là d'un rôle politique efficace exercé
par l'organisation inter- gouvernementale. Cependant, condamnée à fonctionner
avec la règle de l'unanimité, elle ne peut qu'être un frein à l'approfondissement
de l'intégration économique : l'expérience européenne le montre sans
ambiguïté.
2 - L'existence de facteurs économiques de divergence
Ils sont les plus importants. Le Mercosur est un marché relativement
étroit en cours de constitution d'une union douanière qui pour l'heure est encore
incomplète. De plus, ce marché se caractérise par le paradoxe brésilien : avec
un niveau de vie deux fois moins importants que celui de l'Argentine, le Brésil
a une capacité productive deux fois plus élevées que son voisin argentin. Enfin,
l'existence du projet américain de zone hémisphérique de libre-échange est de
nature à représenter une alternative aux difficultés internes de l'intégration du
Mercosur.
237
Intégration régionale comparée
a - Une divergence économique majeure : l'étroitesse d'un marché
intérieur insuffisamment décloisonné
A l'instar de la phase européenne d'union douanière qui a vu les
échanges intra-zone considérablement progresser, la libéralisation (certes
incomplète) du commerce intra-Mercosur a engendré une augmentation très
forte des échanges entre les États membres. Le 1er janvier 1995, l'union
douanière du Mercosur se met en place : c'est une zone imparfaite de libreéchange dans la mesure où la libre circulation interne des biens et services n'est
pas achevée et où l'application de la protection extérieure commune (plus
précisément le tarif extérieur commun) rencontre un certain nombre de
dérogations d'application. En effet, il subsiste des entraves au commerce intra zone surtout dans le cas du Mercosur où le degré de protectionnisme interne est
très présent tant en ce qui concerne les États membres que les pays tiers :
contingents, listes d’exceptions, régime d’adéquation, règles d’origine, clauses
de sauvegarde. Il existe aussi d'autres obstacles non tarifaires au commerce qui
affectent le dynamisme des échanges (normes de sécurité et de protection de
l’environnement, exigences sanitaires…) et pour lesquels existe une lent travail
d’harmonisation (15). Toutefois, dès l’entrée en vigueur du traité d’Asuncion,
les échanges intra - zone enregistrèrent une augmentation rapide et
constante qui s’explique par la diminution des tarifs douaniers ainsi que par
l’augmentation des investissements croisés entre pays. Naturellement, cette
progression est la plus rapide et la plus significative entre le Brésil et
l'Argentine. Les flux commerciaux - 2 milliards de dollars en 1990 - sont
multipliés par six en 1996. Pendant la même période, les échanges du Brésil
avec les États - Unis sont passés de 12 milliards de dollars à 21 milliards. Mais
238
L'Union européenne et le Mercosur, deux voies spécifiques d'intégration et d'insertion
dans la mondialisation des activités
depuis 1995, la balance commerciale brésilienne est en constant déficit. Du
côte argentin, la dépendance à l'égard du marché brésilien s'accroît (environ 30
% du total des exportations concernent le marché brésilien). De ce fait, la
baisse de la valeur du real peut entraîner des pertes de marché significatives
pour les exportateurs argentins. En 1999, il se produit une contraction de 25 %
des ventes de l'Argentine au Brésil, situation consécutive à la dévalorisation du
real. La même année, les exportations en direction des pays du Mercosur
baissent de 25% et les importations, elles - aussi, diminuent de 21 %.
Cependant, la balance commerciale de l'Argentine avec le Mercosur dans son
ensemble demeure positive (excédent de 750 millions de dollars en 1999 contre
un excédent de 1,485 milliard de dollars en 1998).
Depuis l'entrée en vigueur de l'accord du Mercosur, en ce qui concerne
le commerce intra-zone, la structure des exportations brésiliennes apparaît
relativement figée alors que l'on peut noter une évolution plus forte en ce qui
concerne la structure des importations de ce pays, ce qui témoigne d'une
vulnérabilité plus importante du Brésil à l'importation, comme l'atteste son
évolution défavorable du solde commercial extérieur. Malgré la croissance des
échanges, la libre circulation prévue par le traité d'Asunción n'est toujours pas
complètement en place car elle implique l'instauration d'une zone de libreéchange, préalable à une union douanière matérialisée par un tarif extérieur
commun. A Ouro Preto, en décembre 1994, fut décidée une deuxième période
transitoire protégeant jusqu'à l'an 2005 dans les secteurs sensibles, environ 300
produits par pays. La politique commerciale commune, avec un tarif extérieur
commun, rencontre quelques exceptions. Plus de 80 % des biens échangés sont
concernés par un libre-échange interne au Mercosur et par des tarifs douaniers
identiques vis - à - vis des pays tiers. De ce fait, on n'est pas en présence d'une
239
Intégration régionale comparée
union douanière complète stricto sensu. Cette situation des échanges intra zone peut inspirer deux commentaires :
- D'abord, l'élimination nécessairement progressive des obstacles aux
échanges intra - zone est un facteur de viabilité de la zone commerciale. En
effet, J. de Melo, à propos des zones d'intégration régionale de la seconde
génération concernant principalement des pays en développement d'Amérique
latine, d'Afrique ou d'Asie, considère qu'il convient de juger avec prudence ces
accords (16). En effet, les avantages risquent d'en être très limités et les coûts
s'avérer élevés si les dispositif réglementaires mis en place ne s'appuient pas
suffisamment sur des mesures de libéralisation commerciale unilatérale. Il
apparaît donc indispensable d'éviter la modification généralisée du cadre
réglementaire de la zone d'intégration régionale. Il semble que c'est cette voie
d'adaptation progressive que suivent les pays du Mercosur en mettant en
pratique un modèle d'union douanière imparfaite.
- Ensuite, l'évolution erratique (et parfois de grande ampleur) des taux
de change intra - zone est un puissant facteur de désintégration commerciale.
L'existence d'un étalon-dollar argentin et d'une dévaluation - parfois forte- du
real brésilien soulève la question de l'opportunité de construction d'un système
monétaire du cône sud. En cas de crise cambiaire importante, l'Argentine ne
pourra vraisemblablement pas maintenir son système de currency board. En
raison de leur degré d'endettement et des conditions très évolutives de leurs
Graphique 2 - Evolution de la dette externe globale dans le Mercosur
En millions de dollars
emprunts extérieurs, ces deux pays peuvent
1990 - 1999 rencontrer de sévères crises de
400000
change (graphique 2). L'endettement des deux principaux pays du Mercosur
350000
s'est élevé considérablement au cours de la dernière décennie. Le seuil
300000
d'endettement supportable mesuré par le ratio dettes / exportations se détériore
250000
pour le Brésil et l'Argentine sur la période 1990 - 1999.
200000
150000
100000
50000
0
1
2
3
Argentine
240
Brésil
4
Mercosur
5
L'Union européenne et le Mercosur, deux voies spécifiques d'intégration et d'insertion
dans la mondialisation des activités
Le Mercosur ne pourra donc pas poursuivre son intégration
commerciale sans mécanisme de stabilisation des taux de change. De ce point
de vue, l'expérience européenne est riche d'enseignements avec la mise en
place du SME à la suite de l'échec du serpent monétaire. Ce dispositif minimal
a permis de sauvegarder l'intégration commerciale malgré quelques distorsions
en ce qui concerne les activités agricoles (effets pervers des montants
compensatoires monétaires).
b - Des écarts de convergence économique
Le Mercosur doit gérer les asymétries internes entre les différents États
membres. En 1995, le Brésil et l'Argentine représentent 97,2% du PIB sous régional (Brésil : 65,7% ; Argentine : 31,5% ; Uruguay : 1,5 % et Paraguay :
1,3 %). L'Argentine et le Brésil contribuent à concurrence de 98% à la
Graphique 3 - Evolution du PIB PPA des deux grands pays
le Brésil
et l'Argentine
production industrielle du
et Mercosur
de 93 %: au
commerce
total du Mercosur. Un écart
1000000
productif important existe aussi entre le Brésil et l'Argentine (graphique 3 ci900000
après).
800000
Em millions de dollars
700000
600000
Brésil
Argentine
500000
400000
300000
200000
100000
0
1967
1970
1975
1978
1982
1985
1988
1989
1990
Années
241
1991
1992
1993
1994
1995
1996
1997
Intégration régionale comparée
G ra p h iq u e 4 - E vo lu tio n d u P N B p a r h a b itan t d u B ré s il
et de l'Argen tin e (1990 -1996)
En dollars constants 1990
7000
6000
5000
4000
3000
2000
1000
0
1990
1991
1992
A rgentine
1993
1994
B résil
1995
1996
An n ées
M erc osur
De plus, il est possible de distinguer une "banane bleue" au sein du
Mercosur. En effet, entre Sao Paulo, Rio de Janeiro et Buenos Aires se trouve
concentrer 60 % du pouvoir d'achat de toute l'Amérique latine. Un
phénomène de polarisation de la richesse régionale (Brésil, Uruguay et
Argentine) existe dans le Mercosur. En croisant la taille du marché (200
millions d'habitants dans le Mercosur) et le niveau de vie mesuré par le PIB
par habitant, on peut mettre en évidence un segment significatif de marché à
haut niveau de pouvoir d'achat. Au Brésil, environ 30 millions de personnes
ont un pouvoir d'achat supérieur à 10 000 dollars (seuil de revenus à partir
duquel les ménages sont acheteurs de biens durables). En Argentine, ce
nombre s'élève à 6-8 millions. Le Mercosur contient donc un segment de
consommation développée d'une taille comparable au marché espagnol (17).
Une situation spécifique apparaît : le Brésil enregistre un PNB/habitant
sensiblement inférieur à celui de l'Argentine (période 1990 - 1996). Le
graphique 4 ci-dessous montre clairement cette disparité.
De plus, l'évolution de cet indicateur de niveau de vie est en
progression légère pour l'Argentine alors qu'elle est en quasi - stagnation pour
242
L'Union européenne et le Mercosur, deux voies spécifiques d'intégration et d'insertion
dans la mondialisation des activités
le Brésil. L'Argentine se caractérise par un pouvoir d'achat relativement plus
élevé que le Brésil mais la faiblesse de la population concernée limite la
capacité d'absorption du marché du Mercosur, en particulier pour le Brésil.
En effet, en dépit de la relative faiblesse de son niveau de vie moyen, le
Brésil présente un appareil productif dont les capacités sont supérieurs à
celles de l'Argentine, son principal partenaire économique au sein du
Mercosur.
La valeur ajoutée par l'agriculture, l'industrie et les services sur la
période 1990 -1996 est au Brésil presque le double de celle réalisée par
l'Argentine (graphique 5).
En millions de dollars 1990
Graphique 5 - Evolution argentine et brésilienne de la valeur ajoutée
par activités (1990 -1996)
250000
200000
150000
100000
50000
0
1990
1991
1992
1993
1994
1995
Argentine VA par l'Agriculture
Argentine VA par l'Industrie
Argentine VA par les Services
Brésil VA par l'Agriculture
Brésil VA par l'Industrie
Brésil VA par les Services
1996 Années
Au total, il n'apparaît pas surprenant de constater que le Brésil ne
réalise que 15 % de ses exportations à l'intérieur du Mercosur (18).
243
Intégration régionale comparée
c - Le choix d'un régionalisme ouvert : modèle européen versus modèle
américain
Le Chili et la Bolivie ne font pas partie du Mercosur, mais un accordcadre a été signé avec ces deux pays respectivement en janvier 1995 et en
décembre 1996. Il est notamment prévu une libéralisation progressive des
échanges, l'octroi de préférences tarifaires, la réglementation des
investissements... Par ailleurs, le Mercosur a signé un accord-cadre avec
l'Union européenne en décembre 1995. Ces deux unions douanières sont
décidées à coopérer formellement, ce qui soulève l'inquiétude des États-Unis.
Le constat que les échanges effectués au sein du Mercosur progressent
beaucoup plus vite que ceux réalisés avec le reste du monde engendre des
critiques aux États-Unis et à la Banque mondiale où A. Yeats a mis en
évidence d'importants détournements de trafic, ce qui contreviendrait de ce fait
aux règles de l'Organisation mondiale du commerce (19).
En fait, l'opposition des États - Unis s'appuie sur des considérations
autant politiques que commerciales. En effet, ceux-ci veulent réaliser une zone
de libre-échange hémisphérique à l'horizon 2005 (20), la date limite pour la
création de l'Association de libre-échange des Amériques (ALCA). Cela
impliquera l'élimination des tarifs douaniers protégeant les secteurs productifs
latino-américains (il demeurera en place l'ensemble des obstacles non tarifaires
aux échanges !). Le Brésil, dont l'industrie est jeune et encore fragile, possède
un important marché intérieur. L'intégration à l'ALCA risque de conduire à une
concurrence qui ne pourrait pas être supportée par de vastes secteurs de
l'économie nationale. Les responsables brésiliens semblent donc plutôt
244
L'Union européenne et le Mercosur, deux voies spécifiques d'intégration et d'insertion
dans la mondialisation des activités
intéressés par un ensemble régional relativement fermé à court terme tel que le
Mercosur. Ainsi, leurs intérêts nationaux seraient mieux préservés dans le
Mercosur, où le poids de leur économie représente environ 70 % de l'ensemble
du bloc alors que dans la future ALCA, celui-ci ne dépasserait pas 10 %.
Cependant, le Mercosur, en dépit de la progression très forte des échanges
commerciaux intra - zone, ne concerne qu'une faible part des échanges du
Brésil. D'où une nouvelle manifestation du paradoxe brésilien : bien qu'il se
pose comme son plus ardent défenseur, le Brésil est le pays le moins dépendant
du Mercosur !!! Le problème d'un accès facilité à des marchés plus vastes est
donc posé pour ce pays.
Allié traditionnel des États - Unis depuis le milieu du XIXe siècle, le
Brésil, qui affirme des ambitions régionales, manifeste des velléités
d'indépendance économique peu appréciées par la superpuissance du nord du
continent qui a proposé à l'Argentine le statut exceptionnel d'allié hors OTAN.
Les réactions négatives à l'octroi d'un tel statut de la part du Brésil et du Chili avec lequel l'Argentine a un litige frontalier dans les Andes- montrent que le
Mercosur est un ensemble régional fragile sur un plan politique. De surcroît, la
faiblesse de ses institutions inter - étatiques n'est pas de nature à faciliter
l'endiguement des tentatives de déstabilisation dont il peut être l'objet. Enfin,
la position commerciale des Etats-unis dans le Mercosur tant en ce qui
concerne les échanges que les investissements directs révèlent une compétition
de plus en plus ouverte entre les Etats-Unis et l'Union européenne (graphiques
6 et 7).
245
Intégration régionale comparée
G r a p h i q u e 7 - A v o i r s d ' I D E d e l ' U n i o n e u r o p é e n n e e t d e s E t a t s - U n is
v i s - à - v i s d e s p a y s l a t i n o - a m é r ic a i n s - A n n é e 1 9 9 6
80000
1 8 0 0 0
B r é s il
En
m il
li a
rd 7 0 0 0 0
s
d'
Ec
us
60000
1 6 0 0 0
En millions de dollars
G r a p h iq u e 6 - C o m e r c e e x t é r ie u r d e l'A r g e n t in e e t d u
a v e c le s E t a t s - U n is e t l'U n io n e u r o p é e n n e
A n n é e s 1 9 9 5 e t 1 9 9 7
1 4 0 0 0
50000
1 2 0 0 0
40000
1 0 0 0 0
30000
8 0 0 0
20000
6 0 0 0
10000
4 0 0 0
0
B r é s il
A r g e n t in e
T o t a l A m é r i q u e l a t in e
2 0 0 0
U n io n e u r o p é e n n e
E t a t s - U n is
0
Im
p o r tU S A
E x p o rtU S A
A r g e n t in e
-
1 9 9 5
Im
A r g e n t in e
-
1 9 9 7
B r é s il -
1 9 9 5
p o r tU E
B r é s il -
E x p o rt
1 9 9 7
L'Union européenne a une implantation plus forte que les Etats-Unis sur
les marchés du Mercosur alors que la situation inverse prévaut pour les
investissements directs. En effet, l'Amérique latine (et le Brésil en particulier)
représentent un lieu d'implantation privilégiée du capital nord-américain.
Compte tenu des projets de coopération inter - régionale exprimés par l'Union
européenne et l'Alena, il n'est pas absurde d'envisager à terme un grand marché
unique regroupant l'ALCA et l'Union européenne. Un tel résultat consacrerait
l'implantation du modèle américain d'intégration régionale (zone de libreéchange), beaucoup moins contraignant à mettre en place qu'un modèle
européen multidimensionnel.
Pour conclure, J. Pelkmans indique qu'il existe une condition
246
U E
L'Union européenne et le Mercosur, deux voies spécifiques d'intégration et d'insertion
dans la mondialisation des activités
dynamique de stabilité de l'intégration régionale qui réside dans la capacité de
composer les trois fondements du dynamisme d'une construction
communautaire:le
renforcement
des
pouvoirs
communautaires
;
l'approfondissement du degré d'intégration et l'élargissement du nombre de
participants à l'expérience régionale (21). La Communauté s'est toujours
consacrée à la poursuite d'un ou deux de ces objectifs mais jamais les trois
n'ont été poursuivis simultanément. Il est possible qu'agir simultanément dans
les trois directions excède la capacité de tout accord d'intégration régionale La
plupart des expériences d'intégration régionale dans le monde ne s'inscrivent
pas dans une telle démarche. Dans le cas du Mercosur, la question du
renforcement des pouvoirs communautaires ne se pose pas dans l'immédiat
puisque cet ensemble régional requiert l'accord inter- gouvernemental. La
construction de l'union douanière soulève de nombreuses difficultés, en
particulier la suppression des protections des activités sensibles et les
redoutables effets anti - commerciaux imputables à l'instabilité des taux de
change. A court terme, un mécanisme de stabilisation des taux de change
semble indispensable à la poursuite de l'expérience du Mercosur. Dans le cas
contraire, le projet de zone hémisphérique de libre-échange pourrait constituer
une alternative crédible, moyennant la négociation et l'obtention des clauses de
sauvegarde appropriées (concessions dont l'obtention est relativement aisée).
Notes :
(1) Ces économies européennes sont néanmoins développées et ont débuté leur
processus intégrateur dans un contexte international très favorable de croissance
économique. L'existence de chocs nationaux correspond aussi à une situation que l'on
peut rencontrer dans des économies en développement se regroupant en zone
d'intégration régionale.
247
Intégration régionale comparée
(2) Les marchés n'étaient pourtant pas complètement décloisonnés puisqu'ils
persistaient de nombreuses entraves non tarifaires aux échanges.
(3) Les expériences passées de zones d'intégration régionale regroupant des pays en
développement le montrent sans ambiguïté.
(4) C'est une voie que semble suivre le Mercosur.
(5) P. R. Krugman, Lessons from Massachusetts for EMU, in F. Torres et F. Giavazzi
Ed., Adjustment and Growth in the European Economic Union, Cambridge University
Press, 1993.
(6) L. Fontagné, M. Freudenberg, N. Péridy, Intra-industry trade and the single market
: quality matters, CEPR Discussion paper, N° 1953, 1998.
(7) M. Feldstein, UEM : un point de vue critique in Problèmes économiques, N° 2290,
septembre 1992.
(8) S. de Nardis, A. Goglio et M. Malgaranis, Regional Specialization and Shocks in
Europe : Some Evidence from Regional Data, Weltwirtschaftliches Archiv, 132,
(2),1996.
(9) M. Sala-i-Martin, Regional Cohesion : Evidence and Theories of Regional Growth
and Convergence, European Economic Review, vol. 46, N° 6, 1996).
(10) Il existe aussi une thèse selon laquelle la règle de 3% de déficit public autorisé
laisserait aux stabilisateurs automatiques une latitude suffisante pour fonctionner dans
le sens contra - cyclique attendu (FMI, Commission européenne, OFCE).
(11) R. Seitenfus, Acquis et dilemmes du Mercosur in Cahiers des Amériques latines,
N° 27, 1998.
(12) Informe Especial de IRELA, Las perspectivas de un acuerdo de libre comercio
UE - Mercosur y las opciones para la politica de EU, IRELA, noviembre de 1999.
(13) De ce point de vue, la demande d'un Mercosur social est de même nature que
celle qui s'exprime dans l'Union européenne.
(14) R. Seitenfus, déjà cité.
(15) B. Yvars, Les relations commerciales Brésil - Argentine dans l'union douanière
imparfaite du Mercosur, Document de travail du CED, N°43, 1999.
(16) J. de Melo et alii, L'intégration régionale hier et aujourd'hui, Revue d'Economie
du Développement, N°2, 1993.
(17) O. de Boysson et ali, Le Mercosur : un moteur d'intégration régionale,
Conjoncture, janvier 1998.
(18 Le Mercosur est un marché de taille beaucoup plus petit que l'Alena (PNB de 833
milliards de dollars et 203 millions d'habitants contre un PNB de 7674 milliards de
dollars et 381 millions d'habitants).
(19) A. Yeats, Does Mercosur's trade performance raise concerns about the effects of
regional trade arrangements?, The World Bank Economic Review, Vol. 12, N°1, 1998.
(20) L'Europe s'est fixée un objectif similaire avec le Mercosur mais à l'horizon 2015.
(21) J. Pelkmans, Comparando las integraciones economicas : prerequisitos,
opciones e implicaciones, Centro de Formacion para la Integracion Regional,
Montevideo, 1998.
248
L'Union européenne et le Mercosur, deux voies spécifiques d'intégration et d'insertion
dans la mondialisation des activités
Éléments bibliographiques
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regional trade arrangements?, The World Bank Economic Review, Vol. 12,
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L. Fontagné, M. Freudenberg, N. Péridy, Intra-industry trade and the single market :
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Développement, N°2, 1993.
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Europe : Some Evidence from Regional Data, Weltwirtschaftliches Archiv, 132,
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F. Perroux, Note sur la notion de pôle de croissance, Économie appliquée, 1995.
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249
Intégration régionale comparée
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B. Yvars, Les relations commerciales Brésil - Argentine dans l'union douanière
imparfaite du Mercosur, Document de travail du CED, N°43, 1999.
B. Yvars et J. Trotignon, Economie monétaire européenne - Chocs et politique en
UEM -, Hachette - Coll. Les Fondamentaux -, A paraître octobre 2001.
250
Intégration régionale comparée
TROISIEME PARTIE : LES EXPERIENCES
EUROPEENNES D’UNIFICATION MONETAIRE ET DE
COORDINATION DES POLITIQUES ECONOMIQUES.
251
Intégration régionale comparée
Les critères de commerce extérieur de la théorie des ZMO :
risques comparés de la formation d’unions monétaires
(UEM, Argentine-Brésil, Argentine-Etats-Unis)
Jérôme TROTIGNON,
Maître de conférences en sciences économiques
Université Jean Moulin Lyon 3, GATE - Unité n° 5824 du CNRS
INTRODUCTION
La mise en œuvre de l’UEM (Union économique et monétaire) s’est
accompagnée d’une réflexion sur l’optimalité de la zone monétaire que
constituent ses membres. En adoptant la monnaie unique, chacun d’eux perd un
double moyen d’ajustement à un choc asymétrique, que ce dernier soit
d’origine national, ou qu’il soit commun à tous les partenaires avec un effet
différencié. L’ajustement vis-à-vis des autres membres ne peut plus s’effectuer
ni par une action de politique monétaire - celle-ci devient commune, ni par une
modification des parités ou une sortie du SME (Système monétaire européen).
Sans autre moyen d’ajustement aux chocs ou de prévention de ces chocs, les
participants à une union monétaire ne constituent pas une ZMO (zone
monétaire optimale). R. Mundell (1961), le père de la théorie des ZMO,
considérait que la mobilité des facteurs de production était le moyen par lequel
une économie subissant un choc de demande transférait ses ressources
excédentaires vers ses partenaires. De nombreux auteurs lui ont succédé en
définissant d’autres critères d’optimalité que la mobilité des facteurs (voir Y.
Ishiyama, 1975 et Ph. Narassiguin, 1993).
L’optimalité de la zone euro est souvent considérée comme précaire (J.
P. Pollin, 2000). Le risque pour l’un de ses membres sous choc asymétrique est
252
Les critères de commerce extérieur de la théorie des ZMO :risques comparés de la
formation d’unions monétaires (UEM, Argentine-Brésil, Argentine-Etats-Unis)
une élévation insoutenable du chômage. Le risque maximal est la sortie de
l’union monétaire : l’économie touchée retrouve alors l’autonomie de sa
politique monétaire et de sa politique de change. Sans décliner tous les critères
d’optimalité pour chacun des participants, nous nous proposons d’extraire
quelques cas particuliers qui représentent une menace pour la cohésion de
l’UEM.
A partir de ces cas, nous nous demanderons si l’Argentine serait
soumise à un risque similaire si elle participait à une union monétaire. A
l’heure où son currency board donne des signes tangibles d’essoufflement,
deux options, en dehors de la flexibilité du change, s’offrent à elle : la
dollarisation, qui aboutirait à une union monétaire informelle avec les EtatsUnis, et la constitution d’une union monétaire avec le Brésil (puis avec ses
partenaires du Mercosur). Nous chercherons à savoir quelle est la meilleure de
ces deux options. En d’autres termes, nous évaluerons si l’optimalité de la zone
constituée de l’Argentine et des Etats-Unis est supérieure ou inférieure à celle
qu’elle forme avec le Brésil.
Cette étude est partielle : elle ne concerne que trois critères d’optimalité
se rapportant au commerce extérieur. Celui de R. MacKinnon se réfère au taux
d’ouverture commerciale d’un pays membre vis-à-vis de ses partenaires. Celui
de P. Kenen a trait à la diversification de la production et des exportations. Le
troisième concerne la diversité géographique des pays clients extérieurs à
l’union. Les indicateurs choisis pour évaluer le degré de réalisation de ces
critères portent sur les années 1986 et 1998, afin de connaître leur évolution
depuis les signatures de l’Acte unique européen (février 1986) et de l’Acte
d’intégration économique argentino-brésilien (juillet 1986).
I- Le critère de MacKinnon : analyse comparée des degrés
d’ouverture commerciale
253
Intégration régionale comparée
I-1. La faible ouverture commerciale de la Grèce vis-à-vis de la zone
euro
En s’inspirant de R. MacKinnon (1963), on peut considérer qu’un pays
participe à une zone monétaire optimale lorsque la part de ses biens
échangeables prédomine sur celle de ses biens non échangeables. Les premiers
sont assimilés aux importations et aux exportations. Le degré d’optimalité sera
d’autant plus important que le taux d’ouverture intrazone (somme des
importations et des exportations vers les partenaires rapportée au PIB) sera
élevé.
Une ouverture prononcée permettra, en cas de choc asymétrique à
l’origine d’un déficit extérieur avec les partenaires, de mener une politique de
réduction de l’absorption domestique rétablissant l’équilibre, sans pour autant
perturber la stabilité des prix et le plein emploi. A l’inverse, une dévaluation
visant à rétablir l’équilibre extérieur aurait des effets inflationnistes telles que
l’obtention de ce triple équilibre macroéconomique serait compromis.
Les économies de la zone euro ont généralement des taux d’ouverture
intrazones élevés, voire très élevés pour des pays comme la Belgique, le
Luxembourg ou les Pays-Bas. Mais la Grèce constitue une exception à cet
égard. D’après le raisonnement de R. MacKinnon, si elle menait une politique
de réduction de l’absorption domestique suite à un choc différencié par rapport
au reste de l’UEM, celle-ci aurait des effets pervers. L’intensité de cette
réduction devrait être d’autant plus forte pour résorber le déséquilibre extérieur
qu’elle agirait sur un secteur des biens échangeables peu développé. L’effet
négatif sur l’emploi serait alors d’autant plus important. L’ajustement du taux
de change aurait constitué la politique appropriée.
254
Les critères de commerce extérieur de la théorie des ZMO :risques comparés de la
formation d’unions monétaires (UEM, Argentine-Brésil, Argentine-Etats-Unis)
I-2 L’économie argentine s’ouvre d’avantage au Brésil qu’aux EtatsUnis
L’ouverture commerciale de l’Argentine est beaucoup moins marquée
que celle de la Grèce (1), même si celle-ci représente déjà un minimum pour
les pays de la Communauté. Les stratégies de substitution aux importations
menées en Amérique latine durant les dernières décennies étaient peu propices
à l’élévation du taux d’ouverture. Ce dernier ne progresse que dans les années
récentes. Depuis la fin de la décennie 80, la progression résulte bien plus du
processus d’intégration commerciale entamé à partir de 1986 avec le Brésil que
des réformes multilatérales entreprises dans le cadre du plan d’ajustement
structurel. C’est donc le commerce argentino-brésilien qui, rapporté au PIB,
s’élève très sensiblement jusqu’en 1998, alors que le taux relatif au commerce
entre l’Argentine et les Etats-Unis connaît une augmentation moindre (cf.
tableau 1).
Si la faiblesse de ces deux indicateurs empêche de conclure à
l’optimalité des zones Argentine-USA et Argentine-Brésil au regard du seul
critère de MacKinnon, un moindre mal consisterait à former une union
monétaire avec le Brésil. Les perspectives d’évolution du commerce argentin
semble également plaider dans ce sens.
Tableau 1 L’évolution des taux d’ouverture intrazones
(importations + exportations) / PIB, en %
1986
20,3
1,2
1,4
Grèce / UEM (1)
Argentine / Brésil
Argentine / Etats-Unis
1998
17,8
4,4
2,3
Source : calculs effectués à partir des données de CHELEM (CEPII).
(1) Chaque ligne indique le rapport entre les flux commerciaux des deux pays désignés
et le PIB du premier.
255
Intégration régionale comparée
Au début de la décennie 90, le Brésil redevient le premier partenaire
commercial de l’Argentine devant les Etats-Unis. Malgré la crise du real de
1999 et la récession brésilienne qui l’accompagne, la chute du commerce
bilatéral est rapidement suivie d’une reprise dès l’année 2000. Cela contribue à
l’apaisement des tensions commerciales qui n’ont pas manqué de se produire
sur les secteurs sensibles. Les fédérations professionnelles concluent des
accords d’autolimitation des exportations brésiliennes (chaussures, papier et
cellulose, …), parfois associés à un prix minimum (acier laminé à chaud). Les
discussions concernant le nouveau régime automobile, qui achoppaient
notamment sur les subventions des Etats brésiliens aux nouveaux
investissements étrangers et sur la question du contenu régional des véhicules,
finissent par aboutir lors de la 19ème réunion du Conseil du Marché commun
(14-15 décembre 2000). A partir du 1er février 2006, l’accord prévoit
l’application complète du libre-échange (suppression de la condition
d’équilibre commercial bilatéral) et la mise en œuvre de l’union douanière
(application d’un TEC).
La perspective d’aboutissement de la ZLEA (Zone de libre-échange des
Amériques), qui pourrait intensifier le commerce entre l’Argentine et les EtatsUnis, est lointaine. Le programme d’abaissement des droits de douane au sein
de cette vaste zone de libre-échange ne devrait débuter qu’à partir de 2005. De
plus, parmi les grands partenaires argentins, l’Union européenne, avec qui les
membres du Mercosur ont aussi un projet de zone de libre-échange, figure en
bien meilleure position que les Etats-Unis. D’un point de vue strictement
commercial, la récente décision de D. Cavallo relative à la double
convertibilité euro/dollar du peso s’avère donc justifiée. Lorsque l’euro
retrouvera la parité avec le dollar, il est prévu de transformer l’ancrage-dollar
en un ancrage-panier où les deux monnaies compteront chacune pour 50 %.
256
Les critères de commerce extérieur de la théorie des ZMO :risques comparés de la
formation d’unions monétaires (UEM, Argentine-Brésil, Argentine-Etats-Unis)
II- Des structures de production et d’exportation similaires ?
P. Kenen (1969) considère la diversification de la production et des
exportations comme le critère pertinent pour juger de l’optimalité d’une zone
monétaire. Elle constitue un moyen de prévenir les chocs asymétriques, car elle
minimise la probabilité de survenance d’un choc majeur et la nécessité de
l'ajustement correspondant. Les chocs de demande ou les chocs technologiques
ne provoquent que des effets macroéconomiques mineurs. De plus, la présence
d’un grand nombre de secteurs fait qu’en moyenne les chocs positifs
compensent les chocs négatifs. Ce raisonnement comporte néanmoins une
insuffisance : un indicateur de diversification (2)
similaire pour deux
postulants à une union monétaire ne préjuge pas de la similitude des contenus
de la production et des exportations. Cela n’est valable que dans le cas où
l’indicateur reflète une diversification maximale. Nous utiliserons donc, pour
vérifier le critère de Kenen, d’une part un ratio des échanges intrabranches
bilatéraux et d’autre part un indicateur de symétrie des branches exportatrices.
II-1 Convergence des structures productives et commerce intrabranche
L’augmentation de la part du commerce intrabranche dans le commerce
bilatéral total de deux pays ou entités économiques reflète le rapprochement de
leur structure de production. Plus les échanges croisés de produits similaires
progressent relativement aux échanges interbranches, et plus les spécialisations
bilatérales font appel à des structures d’offre convergentes, ce qui rend moins
probable les chocs asymétriques. Lorsque les échanges interbranches
prédominent, le risque de choc sectoriel différencié est important (3) . Un tel
risque concerne particulièrement la Finlande et la Grèce, qui sont les deux pays
membres de l’UEM à plus forte proportion de commerce interbranche avec la
257
Intégration régionale comparée
zone euro.
L’Argentine connaît-elle un risque similaire avec le Brésil ou les EtatsUnis ? Les résultats du tableau 2 différencient clairement les deux situations.
L’indicateur de H. Grubel et P. Lloyd (1975) donne la part du commerce
intrabranche dans les échanges totaux. En 1986, il est légèrement inférieur pour
les flux argentino-brésiliens. Son évolution est telle qu’il atteint en 1998 le
triple de l’indicateur relatif au commerce avec les Etats-Unis. Il correspond
cette année à une proportion majoritaire des échanges bilatéraux, mais avec
une nomenclature très agrégée de 71 branches (par construction, l’indicateur
est inversement proportionnel au nombre de branches)
Tableau 2 Part des échanges intrabranches dans les échanges totaux (1)
- Indicateur de Grubel-Loyd (1), en %1986
38,1
33,6
17,8
19,8
Grèce / UEM
Finlande / UEM
Argentine / Brésil
Argentine / Etats-Unis
1998
33,8
39,5
52,6
17,5
Source : calculs effectués à partir des données de CHELEM (CEPII).
(1) Le mode de calcul de la part des échanges intrabranches dans les échanges
totaux figure en annexe 1.
Les transformations structurelles observées dans le commerce entre
l’Argentine et le Brésil sont conformes au schéma général d’évolution du
commerce intra-communautaire au cours du processus d’intégration
commerciale. La formation de l’union douanière de la CEE s’effectue entre
économies à structures d’offre et de demande relativement comparables. Dans
ce cadre, l’élargissement du marché permet aux consommateurs d’exercer une
demande différenciée pour un même produit et aux producteurs d’y répondre
par la réalisation d’économies d’échelle. Le même phénomène s’observe lors
de la formation de l’union douanière du Mercosur pour ses deux principaux
membres, et en particulier pour les filières véhicules, chimie, et produits
258
Les critères de commerce extérieur de la théorie des ZMO :risques comparés de la
formation d’unions monétaires (UEM, Argentine-Brésil, Argentine-Etats-Unis)
alimentaires. Le « protocole automobile » (1988) et les « programmes de
complémentarité industrielle » (1990-94), en organisant la production des
firmes multinationales sur une base régionale avec une contrainte d’équilibre
commercial bilatéral, contribuent largement à l’essor du commerce
intrabranche (J. Trotignon, 2001-b).
II-2 Les structures d’exportation par branche sont-elles symétriques ?
Outre le rapprochement des structures de production, il convient
d’examiner la similitude des structures d’exportation. L’analyse de la symétrie
de la composition des exportations de deux postulants à une union monétaire,
ou d’un candidat et du groupe de ses partenaires pour la zone euro, permet de
détecter les risques de chocs sectoriels externes différenciés. Pour la mesurer,
nous utilisons un indicateur dont le mode de calcul figure en annexe 2-A. Par
construction, il varie de 0 (symétrie parfaite et absence de choc différencié) à 1
(dissymétrie parfaite et forte exposition à ces chocs).
Les membres de l’UEM qui enregistrent la plus forte dissymétrie sont
la Finlande, l’Irlande et la Grèce (cf. tableau 3). Respectivement, les deux
premiers pays enregistrent une forte concentration de leurs ventes externes sur
les branches des papiers-cartons et du matériel informatique. La Grèce connaît
le même phénomène avec les vêtements et les produits bruts agricoles.
Tableau 3
Indicateur de symétrie des branches exportatrices
1986
0,61
0,46
0,46
0,44
0,67
Grèce / UEM
Finlande / UEM
Irlande / UEM
Argentine / Brésil
Argentine / Etats-Unis
Source : calculs effectués à partir des données de CHELEM (CEPII).
259
1998
0,50
0,47
0,55
0,46
0,60
Intégration régionale comparée
Le couple Argentine-Brésil présente un risque légèrement inférieur à
celui des trois pays européens vis-à-vis de la zone euro, et un risque moindre
que celui de l’Argentine vis-à-vis des Etats-Unis. Les dissymétries avec ce
dernier pays concernent principalement les produits bruts agricoles et les corps
gras alimentaires largement exportés par l’Argentine, et l’informatique,
l’électronique et l’aéronautique qui constituent des domaines privilégiés de la
spécialisation américaine. Notons que l’ampleur d’un choc externe de
différenciation sectorielle est lié au taux d’exportation des économies
considérées. La Finlande, et surtout l’Irlande, ont de ce point de vue plus de
chances de connaître un choc à fort impact macroéconomique (4).
Qu’il s’agisse du commerce intrabranche ou de la symétrie des
branches exportatrices, la situation des membres de la zone euro est moins
confortable que celle de l’Argentine vis-à-vis du Brésil, et la solution d’une
union monétaire avec ce dernier pays apparaît plus appropriée que la
dollarisation.
III-La diversité géographique des exportations à l’origine de chocs
différenciés ?
III-1. La forte exposition de l’Irlande à une récession britannique
Le critère de diversification des branches exportatrices de Kenen peut
être transposé à la diversification des pays clients. Cette dernière minimise la
probabilité de chocs majeurs induits par une récession survenant chez un
partenaire commercial. Plus le nombre de partenaires significatifs est
important, et plus les chocs négatifs ont de chances d’être compensés par des
chocs positifs.
La présence d’un client majeur élève le degré de concentration
géographique des exportations. L’Irlande en constitue un bon exemple. Elle
260
Les critères de commerce extérieur de la théorie des ZMO :risques comparés de la
formation d’unions monétaires (UEM, Argentine-Brésil, Argentine-Etats-Unis)
concentre un volume important de ses ventes extérieures sur le Royaume-Uni.
Sur la période 1995-98, elle y destine un quart de ses exportations totales,
contre 8,5 % pour ses onze partenaires de l’UEM. La Finlande, qui connaissait
encore au milieu de la décennie 80 une dépendance vis-à-vis de l’ex-URSS, a
depuis nettement réduit la part de ses ventes vers cette zone.
Un problème méthodologique que nous avons déjà rencontré survient.
Un même indicateur de diversification géographique des exportations (5) pour
deux postulants à une union monétaire est compatible avec une liste distincte
de partenaires et/ou des poids différenciés de commerce les affectant. Pour
détecter les risques de chocs asymétriques provenant d’une chute de la
demande d’un partenaire, il convient donc de calculer un indicateur de
symétrie géographique des ventes extérieures. Sa construction (voir l’annexe 2B) obéit au même principe que celui de l’indicateur de symétrie des branches
exportatrices.
III-2 Les structures d’exportation par destination sont-elles symétriques ?
La symétrie de répartition des ventes par destination apparaît plus
importante pour l’Argentine et le Brésil que dans les autres cas recensés dans le
tableau 4. Rappelons de surcroît que l’impact macroéconomique d’un choc
externe est lié au taux d’exportation, ce qui désavantage surtout l’Irlande parmi
les économies européennes.
Tableau 4
Indicateur de symétrie géographique des exportations
1986
0,33
0,44
0,27
0,28
0,49
Irlande / UEM
Finlande / UEM
Portugal / UEM
Argentine / Brésil
Argentine / Etats-Unis
261
1998
0,39
0,31
0,30
0,25
0,59
Intégration régionale comparée
Source : calculs effectués à partir des données de CHELEM (CEPII).
Les dissymétries entre l’Argentine et les Etats-Unis sont nombreuses :
les orientations privilégiées de la première (Amérique du Sud, Espagne)
diffèrent souvent de celles des seconds (Canada, Mexique, Japon, RoyaumeUni). Mais il y a peu de risque de choc asymétrique géographique entre les
deux partenaires du Mercosur. Un choc différencié de faible impact pourrait
néanmoins toucher le Brésil lors d’une récession américaine et l’Argentine en
cas de crise chilienne.
Comme dans le cas précédent, la prévention des chocs asymétriques au
sein de l’ensemble Argentine-Brésil est plus favorable que celle des membres
recensés de la zone euro, et elle dépasse nettement celle du couple ArgentineEtats-Unis. L’intégration commerciale des deux partenaires du Mercosur et la
convergence plus prononcée de leurs structures de production et d’exportation
favorisent une meilleure synchronisation de leurs conjonctures.
CONCLUSION
Au vu des critères de commerce extérieur de la théorie des ZMO,
l’optimalité de l’ensemble formé par l’Argentine et le Brésil s’avère bien
supérieure à celle du couple Argentine-Etats-Unis. La comparaison avec les cas
critiques de la zone euro tourne aussi à l’avantage du premier groupe. Seul le
critère de MacKinnon n’est pas réalisé, avec une ouverture moins marquée que
la plus faible des ouvertures de la zone euro. Paradoxalement, le non-respect
du critère de MacKinnon favorise la satisfaction des deux autres, en limitant
l’impact macroéconomique des chocs asymétriques externes.
Si cette analyse comparative permet de conclure qu’une union
monétaire avec le Brésil serait plus cohérente qu’une union informelle avec les
Etats-Unis, elle ne porte que sur un petit nombre de conditions d’optimalité. Se
262
Les critères de commerce extérieur de la théorie des ZMO :risques comparés de la
formation d’unions monétaires (UEM, Argentine-Brésil, Argentine-Etats-Unis)
pose alors la question de la réalisation comparée des autres critères. Certains
d’entre eux mettraient les deux options sur un même pied d’égalité. Celui
d’intégration fiscale, de H. G. Johnson (1970), n’est pas respecté du fait de
l’inexistence de structures fédérales bilatérales. Celui d’intégration financière,
de J. C. Ingram (1969), ne les départagerait pas plus : les progrès en matière
d’ouverture financière intrarégionale découlent en règle générale des progrès
des politiques nationales d’ouverture au reste du monde (Macedo Cintra M. A.,
1999).
En dehors de considérations proprement économique, un facteur
politique intervient : les Etats-Unis n’étant pas disposés à un partage de leur
pouvoir monétaire, la dollarisation se traduirait par un total abandon par
l’Argentine de sa souveraineté monétaire. Par contre, une Banque centrale du
Mercosur impliquerait un partage des responsabilités dans la conduite de la
politique monétaire. La politique de change ferait aussi l’objet d’une action
concertée. Elle nécessiterait une attention particulière au moment de la mise en
œuvre de l’union, compte tenu des lourds passifs argentins accumulés en
dollar.
L’Argentine est une économie dont le degré de dollarisation partielle
est l’un des plus élevés d’Amérique latine (P. Dempère et C. Quenan, 2000).
Sa dette extérieure, dont la composante des émissions obligataires progresse
sensiblement au cours des années 90, est très largement libellée en dollar. La
réalisation du projet de monnaie unique devrait donc ménager un système de
transition pour le peso argentin. Ce système passerait vraisemblablement par la
mise en place d’une forme d’ancrage de la monnaie unique sur le dollar, ou sur
un panier euro/dollar. Ce scénario cadre bien avec l’horizon de long terme du
projet, dont l’échéancier ne peut être fixé qu’une fois enregistrés des progrès
dans la coordination des politiques économiques (6).
263
Intégration régionale comparée
Or, l’économie argentine connaît une crise depuis la période de la sortie
du real brésilien de son système de change (janvier 1999). Si celle-ci se
précipitait, la parité fixe peso-dollar deviendrait insoutenable. Le currency
board serait abandonné (7). Il serait alors impossible d’adopter une monnaie
unique dans l’urgence. Ce scénario pourrait ouvrir la voie de la dollarisation
complète. Si toutefois une reprise temporaire se manifestait, et afin d’éviter les
inconvénients de ce choix, les autorités du Mercosur devraient saisir cette
opportunité pour accélérer le processus d’intégration monétaire. La monnaie
unique pourrait alors être perçue comme une voie de sortie crédible du
currency board.
NOTES
(1) Notons cependant que plus le nombre de partenaires effectifs ou présumés d’une union
monétaire est important, et plus le taux d’ouverture intrarégional est susceptible d’être élevé.
(2) Comme par exemple l’indicateur de diversification des exportations de Hirschman, qui
varie de 0 (diversification totale) à 1 (mono-exportation). Il est égal à la racine carrée de la
somme des carrés de la part des exportations totales imputable à chaque produit.
(3) L. Fontagné et M. Freundenberg (1999) ont cependant mis en évidence un risque de choc
asymétrique intervenant même pour des économies à commerce intrabranche prédominant :
lorsque le commerce de produits similaires porte sur des gammes de qualité différentes, des
chocs dus à la différenciation verticale peuvent survenir. Pour les échanges entre la Grèce et
l’Union européenne, le commerce intrabranche différencié verticalement représente plus du
double du commerce intrabranche différencié horizontalement
(4) Pour des calculs par branche d’exportation des expositions finlandaise, irlandaise, et
argentine aux chocs asymétriques , voir J. Trotignon (2001-a).
(5) On peut là aussi utiliser la méthode de Hirschman. L’indice de diversification géographique
des exportations sera égal à la racine carrée de la somme des carrés de la part des exportations
imputable à chaque destinataire.
(6) Un programme de convergence nominale portant sur l’inflation, le déficit public et la dette
publique est adopté en l’an 2000. Il débutera à partir de l’année 2002. En plus des quatre
membres du Mercosur, il associe la Bolivie et le Chili.
(7) Des signes tangibles de fragilité du currency board se manifestent en 2001. D. Cavallo,
l’instigateur de la loi de convertibilité de 1991, introduit lui-même une entorse au principe de
264
Les critères de commerce extérieur de la théorie des ZMO :risques comparés de la
formation d’unions monétaires (UEM, Argentine-Brésil, Argentine-Etats-Unis)
caisse d’émission : un système de compensation sur le dollar est mis en place en faveur des
exportateurs pour faire face à la surévaluation du taux de change du peso.
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ANNEXES
ANNEXE 1
L’INDICATEUR DU COMMERCE INTRABRANCHE
Pour chaque branche, la part des échanges intrabranches dans les
échanges totaux de deux pays ou entités économiques peut être mesurée par
l’indicateur de H. Grubel et P. Lloyd (1975), où Xi et Mi sont les exportations
et les importations de la branche i :
I1 = 1
-
∑ |Xi - Mi|
∑ (Xi + Mi)
266
Les critères de commerce extérieur de la théorie des ZMO :risques comparés de la
formation d’unions monétaires (UEM, Argentine-Brésil, Argentine-Etats-Unis)
L’indicateur I1, comme celui présenté ci-dessous, varie entre 0 (tous
les échanges sont interbranches) et 1 (tous les échanges sont intrabranches).
Pour calculer un indicateur global donnant la part du commerce
intrabranche dans le commerce bilatéral total, il convient de pondérer chaque
branche par son poids dans le commerce bilatéral (ai représente les flux
réciproques de la branche i rapportés au commerce bilatéral total) :
n
I2 = 1 - [ ∑ ( [ |Xi - Mi| : (Xi + Mi) ] x ai ) ]
i=1
Cette formule s’écrit plus simplement, pour i variant de 1 à n (n=71
dans la base CHELEM) :
I2 = 1
-
∑ |Xi - Mi|
∑ (Xi + Mi)
Pour l’Argentine avec chacun de ses partenaires américain et brésilien,
le calcul de I2 se fait sur une base bilatérale. Pour un pays membre de la zone
euro, il s’effectue également en bilatéral mais en considérant le reste de la zone
comme une seule entité. Cela tend à surestimer le résultat trouvé, les
exportations d’une branche vers un partenaire étant souvent compensées par
des importations de la même branche mais en provenance d’un autre
partenaire.
ANNEXE 2
LES INDICATEURS DE SYMETRIE DES EXPORTATIONS
A- L’indicateur de symétrie des branches exportatrices
L’indicateur S1 de symétrie des branches exportatrices de deux pays A
267
Intégration régionale comparée
et B, ou d’un pays A vis-à-vis du groupe de ses partenaires B, est calculé
comme suit.
Soit Ai = Xai / Xa. , les ventes du pays A en produits de la branche i sur
ses exportations totales.
Soit Bi = Xbi / Xb. , les ventes du pays ou de la zone B en produits de
la branche i sur ses exportations totales.
n
S1 = ½ x ∑ |Ai - Bi|
i=1
Si A et B exportaient la même part (Ai = Bi quel que soit i) pour chaque
branche, la somme des valeurs absolues et donc S1 seraient égaux à 0
(symétrie parfaite et absence de chocs asymétriques de branche). Si les
exportations de A (ou B) étaient systématiquement issues d’une branche qui
ne compterait aucun produit exporté par B (ou A), la somme des valeurs
absolues serait égale à 2 et S1 à 1 (dissymétrie parfaite et forte exposition aux
chocs).
B- L’indicateur de symétrie géographique des exportations
L’indicateur S2 de symétrie géographique des exportations de deux pays A et
B, ou d’un pays A vis-à-vis du groupe de ses partenaires B, est calculé selon la
même méthode que l’indicateur S1 de symétrie des branches exportatrices.
Soit Aj = Xaj / Xa. , les exportations du pays A au pays J sur ses
exportations totales (hors exportations vers le ou les partenaires).
Soit Bj = Xbj / Xb. , les exportations du pays ou de la zone B au pays J
sur ses exportations totales (hors exportations vers le partenaire).
268
Les critères de commerce extérieur de la théorie des ZMO :risques comparés de la
formation d’unions monétaires (UEM, Argentine-Brésil, Argentine-Etats-Unis)
n
S2 = ½ x ∑ |Aj– Bj|
j=1
Si A et B exportaient la même part (Aj = Bj quel que soit j) vers chaque
destinataire du reste du monde, la somme des valeurs absolues et donc S2
seraient égaux à 0 (symétrie parfaite et absence de chocs asymétriques
géographiques). Si A (ou B) exportait systématiquement vers une destination
vers laquelle B (ou A) n’exportait pas, la somme des valeurs absolues serait
égale à 2 et S2 à 1 (dissymétrie parfaite et forte exposition aux chocs).
269
Intégration régionale comparée
LA QUESTION DU REGIME DE CHANGE DANS LE
MERCOSUR AU REGARD DE L'EXPERIENCE
EUROPEENNE
Pascal Kauffmann,
Professeur de Sciences economiques
Université Montesquieu-Bordeaux 4
INTRODUCTION
Lorsque, dans la deuxième moitié des années quatre-vingt, les membres
de ce que l’on appelait alors la Communauté économique européenne – et
certains représentants de la communauté des économistes – examinèrent
concrètement la possibilité d’une union monétaire, cette dernière apparut
comme un projet techniquement complexe et politiquement sensible, pour ne
pas dire irréaliste. Même la signature du Traité de Maastricht – au delà des
vicissitudes de sa ratification par le Danemark ou le Royaume-Uni - ne parvint
pas à avoir raison de tous les scepticismes, y compris aux plus hauts niveaux de
responsabilités. Comment comprendre autrement le fait que l’Allemagne ne se
soit réellement souciée du nom de la future monnaie unique (celui d’écu, qui
figure dans le Traité, ne lui convenant guère notamment pour des raisons
euphoniques ) qu’au milieu des années quatre-vingt dix ?
Or force est de constater qu’actuellement, non seulement l’Union
économique et monétaire européenne (UEM ) est une réalité tangible, mais
encore des perspectives d’intégration monétaire dans d’autres parties du monde
se sont fait jour (Bayoumi et Eichengreen [1996] ; Eichengreen [1998]).
Certaines ont même pris corps, à l’instar de la récente dollarisation complète de
l’Equateur, qui place ce pays en régime d’union monétaire avec les Etats-Unis.
270
La question du régime de change dans le MERCOSUR au regard de l’expérience
Euopéenne
Comme le montre l’exemple équatorien, tous les projets ou procédures
existants d’unification monétaire ne sont pas nécessairement bâtis sur le même
schéma que celui qui conduisit à l’UEM. Ce dernier a cependant vocation à
servir, sinon de modèle, du moins de référence dans un certain nombre de cas
de figure. On songe ici, en particulier, à ces blocs régionaux dont le nombre et
l’importance n’ont cessé de croître depuis une décennie, et qui suivent déjà,
peu ou prou, les traces de l’Union européenne (UE) sur la voie de l’intégration
économique.
L’objet du présent travail consistera, à cet égard, à tenter de tirer de
premiers enseignements de l’expérience européenne d’unification monétaire, à
destination des pays du Mercosur. Ceux-ci forment – UE mise à part – l’entité
régionale la plus fortement intégrée sur le plan économique. Le Mercosur est le
seul bloc régional d’une certaine importance à avoir mis en place un tarif
extérieur commun, ce qui en fait une union douanière – par opposition à la
simple zone de libre échange qu’est le grand rival nord-américain, l’ALENA.
La constitution d’un authentique marché intérieur fait partie de ses ambitions à
terme et, pour prématurée qu’elle ait été alors, l’éventualité d’une monnaie
unique a été soulevée par l’Argentine en 1997.
Nous montrons, dans un premier temps, en quoi l’exemple européen
éclaire la question de l’opportunité d’un régime d’union monétaire entre les
pays membres du Mercosur. Dans un deuxième temps, nous examinons les
enseignements de l’expérience européenne quant aux modalités de transition
vers un régime d’union monétaire. La (longue) période de convergence que se
sont imposés les membres de l’UE et les choix techniques effectués pour le
passage à l’euro le 1er janvier 1999 permettent d’identifier tant les facteurs de
succès que les erreurs à éviter. Enfin, malgré le peu de recul dont on dispose
encore sur cette question, nous tentons, dans une troisième partie, de procéder à
271
Intégration régionale comparée
un examen critique du fonctionnement de l’UEM, en nous interrogeant
notamment sur la pertinence du cadre institutionnel mis en place pour assurer
la gestion macro-économique d’une entité telle que la zone euro.
I- L’OPPORTUNITE D’UNE UNION MONETAIRE AU SEIN DU
MERCOSUR
Le moins que l’on soit en droit de dire des dix premières années
d’existence du Mercosur est qu’elles n’auront pas été empreintes d’une grande
stabilité monétaire. La région a connu, successivement, le plan de stabilisation
argentin de 1991 – qui s’est traduit par la création du directoire d’émission (
currency board ) liant le peso au dollar américain -, le plan real de 1994 – qui a
vu le Brésil procéder à une réforme monétaire -, enfin, la crise du real en 1999,
débouchant sur de graves distorsions en matière de taux de change entre les
quatre membres. Simultanément, le Mercosur a été vivement affecté par l’onde
de choc de la crise mexicaine en 1994 et dans les années qui suivirent.
Comme tous les pays émergents, ceux du cône sud-américain doivent
aujourd’hui s’interroger sur le choix d’un régime de change approprié et
viable. A l’instar des pays de l’UE dans les années quatre-vingt, ils sont
poussés vers les « solutions en coin » que sont le flottement pur et simple ou
l’union monétaire (§ 1.1). Tandis que la théorie des zones monétaires optimales
est d’un secours limité pour départager ces deux options (§ 1.2), l’exemple
européen suggère clairement qu’un approfondissement de l’intégration
régionale rendrait le flottement des monnaies de moins en moins attractif (§
1.3).
272
La question du régime de change dans le MERCOSUR au regard de l’expérience
Euopéenne
I-1 Vers des « solutions en coin ».
L’une des pièces maîtresses du dossier monétaire européen, dans les
années quatre-vingt, fut le fameux « triangle d’incompatibilités » issu des
travaux de R. Mundell, et mis en exergue par le rapport Padoa-Schioppa
[1987]. Le triangle énonce qu’il est impossible, pour un groupe de pays donné,
de connaître simultanément :
1. une totale liberté de circulation des capitaux,
2. l’autonomie des politiques monétaires nationales,
3. des taux de change stables.
Seules deux quelconques des trois caractéristiques précédentes sont
compatibles, la troisième devant alors, en quelque sorte, leur être sacrifiée.
Dans le cas des pays de l’UE, l’objectif du grand marché intérieur,
assurant la libre circulation des biens, des services et des facteurs de
production, et entériné par l’Acte Unique en 1987, faisait de la libéralisation
des opérations financières entre les membres un point de passage obligé. Il en
est résulté, en vertu du triangle, un véritable dilemme, qu’au demeurant les
douze (à l’époque) ont refusé de prendre immédiatement à bras le corps : la
stabilité des taux de change intra-européens, assurée jusque là par les
mécanismes du Système monétaire européen (SME), devenait incompatible
avec des politiques monétaires nationales souveraines et conduites de façon
indépendantes. On eut d’ailleurs une illustration saisissante de la véracité des
enseignements du triangle lorsqu’en 1992-1993, certaines banques centrales
tentèrent de s’écarter des orientations de la Bundesbank en matière de taux
d’intérêt. Il en résulta les crises de change que l’on sait, dénouées seulement
par l’élargissement des marges officielles dans le SME de ± 2,25 % à ± 15 %.
Ce dernier cessait alors, de facto, d’être un régime de change contraignant et
stabilisant, ce dont il fallut s’accommoder durant la transition vers l’UEM.
273
Intégration régionale comparée
Les évolutions observées, au niveau mondial, en matière de libéralisation
des mouvements internationaux de capitaux, placent actuellement l’ensemble
des pays à monnaie convertible dans une situation analogue à celle de l’Europe
des années 80. On doit à Eichengreen [1994] d’avoir très tôt souligné en quoi
la mondialisation financière, et plus précisément le démantèlement du contrôle
des changes et des obstacles à la circulation internationale des capitaux, ont
radicalisé les choix possibles en matière de régime de change.
L’éventail, en l’occurrence, va traditionnellement du libre flottement des
monnaies à un régime de monnaie unique, en passant par les zones-cibles
implicites, les parités glissantes (crawling pegs), les changes fixes mais
ajustables et les currency boards. Schématiquement, seules les options
extrêmes restent viables, telles des « solutions en coin » (Frankel [1999]),
tandis que les régimes intermédiaires sont à la merci de mouvements de
capitaux spéculatifs incontrôlables et potentiellement déstabilisants.
Les crises qui ont frappé, tour à tour, le Mexique (en 1994), les pays du
sud-est asiatique (en 1997 et 1998) puis le Brésil (en 1999) – autant de
situations où les changes étaient fixes mais ajustables – doivent être lues
à l’aune du triangle d’incompatibilités, appliqué aux pays émergents ayant
libéralisé leur compte de capital. Les changes fixes n’auraient été viables que si
l’autonomie des politiques monétaires nationales avait été pleinement et
clairement dévolue au soutien des parités en vigueur. Tel est précisément le cas
dans les pays ayant opté pour un directoire d’émission.
Au demeurant, le récent regain d’intérêt pour ce régime monétaire, né au
siècle dernier au sein des grands empires coloniaux, est lui aussi le fruit du jeu
combiné du triangle d’incompatibilité et de la libéralisation financière. La base
monétaire étant en principe, dans un currency board, intégralement gagée sur
des réserves de change libellées dans la monnaie d’ancrage (qui est en pratique,
274
La question du régime de change dans le MERCOSUR au regard de l’expérience
Euopéenne
dans la plupart des cas, le dollar américain), les crises spéculatives sont, sinon
impossibles, du moins peu probables. En outre, l’offre de monnaie domestique
est mécaniquement assujettie aux entrées et sorties de devises, ce qui conduit
préventivement à exclure tout laxisme en matière de création monétaire.
Actuellement, au-delà des cités-états de Hong-Kong ou de Singapour, des
directoires d’émission sont en vigueur notamment en Lituanie, en Bulgarie et
en Argentine. Le choix de la dollarisation complète, que vient d’effectuer
l’Equateur et qui est activement débattu en Argentine (Hanke et Schuler
[1999]), peut lui-même s’interpréter comme une forme extrême de currency
board, dans laquelle le « détour » par la monnaie nationale est supprimé.
Les régimes de change fixes moins contraignants - dont l’ancien SME,
avec ses cours-pivots ajustables et ses marges étroites de fluctuation, était
l’archétype - ne sont plus praticables dans l’actuel environnement financier
international. Chacun en est alors réduit à un choix binaire entre le flottement plus ou moins pur, mais on sait le peu d’efficacité des interventions de change
officielles des banques centrales – et une forme ou une autre d’union
monétaire.
I-2Les limites de la théorie des zones monétaires optimales.
C’est, en principe, la théorie des zones monétaires optimales qui est
l’outil approprié pour évaluer la pertinence d’un projet d’union monétaire entre
un groupe de pays donné. Cette théorie connut ses premiers développements
dans les années soixante avec les travaux fondateurs de Mundell [1961],
McKinnon [1963] et Kenen [1969]. Ses principales conclusions énonçaient
qu’une union monétaire était d’autant plus opportune que :
-
les facteurs de production sont mobiles entre les pays
concernés ;
275
Intégration régionale comparée
-
ceux-ci sont ouverts commercialement les uns envers les
autres ;
-
leurs tissus productifs sont diversifiés et similaires ;
-
leurs « préférences » (ou leur aversion) en matière d’inflation et
de chômage sont analogues.
Outre que certains de ces critères d’optimalité sont peu opérationnels
(c’est, en particulier, le cas du dernier, dû à Corden [1972]), leur mise en œuvre
conduit rarement à des conclusions éclairantes. A titre d’illustration, la très
faible mobilité du travail entre les membres de l’UE pourrait être considérée
comme rédhibitoire, et conduirait à écarter même une union monétaire entre
l’Allemagne et les Pays-Bas. A l’extrême, on en viendrait à préconiser, au
regard de ce critère, la scission de l’Italie entre une zone monétaire nord et une
zone monétaire sud. A l’inverse, si l’on admet que l’UEM est un projet fondé
au regard de la théorie, on doit considérer la survivance de monnaies telles que
le franc suisse ou la couronne suédoise comme aberrante.
La délimitation d’une véritable zone monétaire optimale en Europe, sur la
base des critères traditionnels, s’est ainsi avérée un exercice stérile. On peut,
sans craindre l’excès, affirmer qu’il en va de même dans le cône sud-américain.
Sous l’impulsion des projets d’unification monétaire en Europe, la théorie
a connu, dans les années quatre-vingt et quatre-vingt dix, des avancées
notables. Celle qui consiste à raisonner, non plus directement sur la base de
critères isolés, mais en termes de bilan coûts-avantages de l’union monétaire,
n’est pas, en pratique, la plus opératoire. Elle attire néanmoins l’attention sur le
fait que les avantages d’une union monétaire sont fonction croissante (et les
inconvénients fonction décroissante) du degré d’ouverture des participants
potentiels. Cette variable est donc très instructive quant à la pertinence du
projet d’intégration. Au regard des données disponibles pour les pays du
276
La question du régime de change dans le MERCOSUR au regard de l’expérience
Euopéenne
Mercosur
(tableau 1), on peut estimer que l’opportunité d’une union
monétaire est sensiblement, moins forte qu’en Europe- et (ce qui est usuel) plus
marquée pour les petits pays que pour les grands. Pour autant, il est difficile de
conclure quant à l’intérêt intrinsèque du projet.
TABLEAU 1 : DEGRE D’OUVERTURE DES PAYS DU
MERCOSUR
( en pourcentage du PIB )
ARGENTINE
Année
1991
1992
1993
1994
1995
1996
1997
1998
1999
Exportations
6,3%
5,3%
5,5%
6,3%
8,3%
9,3%
9,5%
9,1%
8,3%
Importations
4,4%
6,5%
7,1%
8,6%
8,3%
9,2%
11%
11%
9,1%
BRESIL
Année
1991
1992
1993
1994
1995
1996
1997
1998
1999
Exportations
7,8%
9,2%
8,8%
8%
6,6%
6,2%
6,6%
6,7%
6,3%
Importations
4,6%
5,3%
5,8%
6,1%
7%
6,9%
7,6%
7,6%
6,5%
PARAGUAY
Année
1992
1993
1994
1995
1996
1997
1998
1999
Exportations
10%
10,5%
10,4%
10,2%
10,9%
13,9%
12,9%
8,8%
Importations
22,1%
24,6%
31%
34,9%
32,4%
36,4%
32,6%
22,9%
URUGUAY
277
Intégration régionale comparée
Année
1992
1993
1994
1995
1996
1997
1998
1999
Exportations
3,7%
11,6%
11,8%
11,7%
12,5%
13,8%
13,7%
11,2%
Importations
17%
16,9%
16,7%
15,9%
17,4%
18,8%
18,9%
16,7%
Les travaux visant à mesurer le degré d’asymétrie des chocs
macroéconomiques frappant les pays candidats nous paraissent plus
féconds. Bayoumi et Eichengreen [1993] montrent ainsi que l’on peut
identifier, dans le cas européen, un « cœur » (composé de l’Allemagne, du
Bénélux, de la France et de l’Autriche) et une « périphérie ». Les pays du
« cœur » sont caractérisés par des chocs macroéconomiques fortement corrélés,
ces corrélations étant nettement plus lâches entre le cœur et les pays
périphériques. Pour ces derniers, l’entrée dans une union monétaire serait donc
plus coûteuse en termes d’ajustement.
La méthodologie de Bayoumi et Eichengreen est susceptible d’éclairer
le problème du choix du régime de change pour les pays du cône sudaméricain. L’une de ses limites doit cependant être soulignée : elle tient au fait
que les chocs macroéconomiques sur lesquels se fonde le diagnostic sont –
comme dans tout travail économétrique – ceux du passé. Or c’est ce que
réserve l’avenir qui importe pour la viabilité d’une union monétaire. La
formation de cette dernière est précisément de nature à modifier sensiblement
la structure des économies concernées. En outre, elle conduit à faire
disparaître, par nature, tout choc de demande trouvant son origine dans les
divergences entre politiques monétaires nationales.
I-3 Les inconvénients du flottement des monnaies.
Comme l’a clairement montré l’expérience européenne des années
quatre-vingt-dix, il existe une autre ligne d’argumentation plaidant – à terme –
pour une union monétaire entre les membres du Mercosur. Elle consiste à
278
La question du régime de change dans le MERCOSUR au regard de l’expérience
Euopéenne
souligner en quoi la seule autre option viable qu’est le flottement des monnaies
pose problème, à mesure que s’accroît le degré d’intégration entre les pays
concernés. Au demeurant, même si le souvenir s’en est quelque peu estompé,
l’expérience de l’Entre-Deux-Guerres avait déjà pointé les difficultés à faire
coexister le libre-échange et des taux de changes fluctuant de façon erratique.
En premier lieu, la forte variabilité des taux de change qui caractérise,
d’une façon générale, les régimes de flottement constitue un handicap pour les
agents engagés dans des opérations internationales. Tant le calcul économique
lui-même (à commencer par la comparaison des prix) que l’acte d’importation,
d’exportation ou d’investissement direct à l’étranger (IDE) s’en trouvent
compliqués. Le risque de change est à son paroxysme, et si la couverture de ce
risque est souvent possible techniquement – quoiqu’elle fasse problème à des
horizons dépassant l’année – elle est toujours coûteuse. Les travaux empiriques
les plus récents (Holly [1995]) suggèrent qu’il existe bien une liaison négative,
faible mais statistiquement significative, entre commerce international et
variabilité des taux de change.
En second lieu, dans un environnement de forte mobilité des capitaux, les
taux de change sont susceptibles d’exhiber des fluctuations de grande
amplitude, créant des distorsions considérables en matière de compétitivitéprix. Celles-ci sont d’autant plus durement ressenties par les producteurs des
pays dont la monnaie s’apprécie que le degré d’ouverture vis-à-vis des
partenaires est élevé. L’existence d’un processus d’intégration plus avancé que
la seule union douanière – tel que celui devant conduire à un marché unique -,
en vertu duquel, par nature, les obstacles réglementaires, administratifs ou
autres au commerce international sont censés disparaître, renforce le caractère
intolérable des dépréciations (ou dévaluations) compétitives. L’exemple
européen des années 1992-93 est encore dans toutes les mémoires : les
279
Intégration régionale comparée
évolutions de la livre sterling, de la lire italienne ou encore de la peseta
espagnole conférèrent aux pays émetteurs de ces monnaies des avantages
compétitifs brutaux et largement inclus. A tout le moins dans certains secteurs
d’activité, les entreprises des pays à « monnaies fortes » (l’Allemagne, la
France et les petits Etats de la zone mark) perdirent rapidement des parts de
marchés.
Outre que ces troubles monétaires coïncidaient avec la récession la plus
sévère de l’Après-guerre en Europe, créant une impression désagréable de
« chacun pour soi » peu conforme à l’esprit de l’Union, ils frappèrent de plein
fouet des agents économiques par ailleurs engagés dans le processus
d’achèvement du marché unique. Comment admettre que celui-ci, par essence
inscrit dans le moyen-long terme, imposant à chacun de tenter d’aligner ses
coûts sur ceux des concurrents les plus efficaces, soit perturbé, pour ainsi dire
du jour au lendemain, par des modifications « à deux chiffres » des taux de
change ? On vit poindre, au demeurant, de nombreuses demandes de mesures
compensatoires dans telle ou telle branche, elles-aussi peu conformes à la
logique de la construction européenne.
L’agriculture offre un exemple typique du conflit pouvant surgir, de
façon récurrente, entre volonté d’unification des marchés et flottement des
monnaies. L’Europe verte a longtemps vécu au rythme des réalignements au
sein du SME et, avant lui, du Serpent. Les fameux montants compensatoires
monétaires (les MCM) furent imaginés précisément pour contrebalancer l’effet
des variations des taux de change sur les mécanismes de la politique agricole
commune. Les problèmes que soulevèrent, par la suite, ces MCM et leur
démantèlement parachèvent ce que l'on peut considérer comme une
démonstration : il n’est pas de véritable marché unique sans monnaie unique.
Que les autorités européennes aient fait de ce constat un slogan ne doit
280
La question du régime de change dans le MERCOSUR au regard de l’expérience
Euopéenne
pas, à notre sens, conduire à galvauder l’enseignement qui précède. Celui-ci
s’appliquera mécaniquement aux pays membres du Mercosur lorsque
s’approfondira leur propre marché commun. La crise du real a d’ores et déjà
montré comment l’union douanière existante pouvait être contrariée par une
dévaluation de grande ampleur. Avant elle, les fortes variations du taux de
change réel entre le Brésil et l’Argentine conduisirent, à plusieurs reprises, à
des tensions commerciales graves. En 1992, sous l’effet de son plan de
stabilisation, l’Argentine vit le peso s’apprécier considérablement, et réagit au
déficit bilatéral avec son grand voisin en prenant des « mesures de
sauvegarde » et en décidant de droits anti-dumping à l’encontre de certaines
exportations brésiliennes. En 1994-95, c’est le plan real qui, inversant les rôles,
mit les producteurs brésiliens en difficulté, notamment dans le secteur de
l’automobile. Le conflit qui s’ensuivit se traduisit par l’augmentation de
certains droits de douane, l’instauration de quotas et des restrictions sur l’octroi
de crédits commerciaux.
Que la tendance – marquée – à l’intensification des échanges intrarégionaux au sein du Mercosur n’ait pas été durablement affectée par ces
tensions récurrentes mérite d’être souligné (tableau 2). On est cependant en
droit de douter qu’une tentative d’intégration plus poussée, qui serait censée
conduire à un véritable marché intérieur dans le cône sud-américain, puisse
s’accommoder de taux de change flottants.
L’union monétaire s’imposerait alors. Dans cette perspective,
l’expérience européenne peut être mobilisée pour éclairer la question de la
transition d’un régime de flottement vers un régime de changes irrévocables.
TABLEAU 2 : LE COMMERCE EXTERIEUR DES PAYS DU
MERCOSUR
EXPORTATIONS ( millions de dollars )
281
Intégration régionale comparée
Destination
Exportations
intraMercosur
Exportations
extraMercosur
1990
1991
1992
1993
1994
1995
1996
1997
1998
1999
4 127
5 103
7 214
10 065
12 049
14 441
17 033
20 767
20 500
15 379
42 308
40 808
43 272
43 981
50 078
56 054
57 913
62 709
60 953
58 936
IMPORTATIONS ( millions de dollars )
Destination
Importations
intraMercosur
Importations
extraMercosur
1990
1991
1992
1993
1994
1995
1996
1997
1998
1999
4 103
5 097
7 282
9 059
11 708
13 972
17 151
20 699
20 905
16 015
23
263
27
231
31
575
37
119
48
092
61
736
66
329
78
293
74
808
64
024
II- LA TRANSITION VERS L’UNION MONETAIRE
Si l’on s’en tient strictement aux faits, on peut dire que l’entrée dans un
régime d’union monétaire, historiquement sans équivalent, qu’a connu
l’Europe en janvier 1999 est une réussite. D’une part, la liste des onze pays
destinés à former l’UEM peut être considérée comme économiquement et
politiquement cohérente – au sens où aucune candidature viable n’a été
écartée, tandis que le choix d’une abstention délibérée par certains Etats a été
respecté. D’autre part, le passage à des taux de change parfaitement fixes s’est
effectué sans heurt, alors même que les marchés internationaux de capitaux et
les marchés des changes étaient vivement perturbés par les crises financières
asiatique et russe, qui ont marqué l’année 1998.
Toutefois, un examen critique des dispositions adoptées par l’UE, tant
en matière de convergence macroéconomique préalable (§2.1) que de
basculement technique à l’euro (§2.2) permet de distinguer les choix judicieux
des erreurs ou omissions. On peut en outre s’interroger, s’agissant de la
convergence, sur les enseignements que la théorie des zones monétaires
282
La question du régime de change dans le MERCOSUR au regard de l’expérience
Euopéenne
optimales est susceptible de fournir. Celle-ci, pour lacunaire qu’elle puisse être,
a été étonnamment peu mobilisée par les rédacteurs du Traité de Maastricht
( §2.3).
2.1 La convergence macroéconomique en Europe : examen critique
Les fameux critères de convergence censés départager « bons » et
« mauvais » candidats à l’entrée dans l’UEM ont été l’un des aspects les plus
controversés de la démarche européenne dans les années 90. Nous négligerons
ici le fait que la mise en œuvre de ces critères est intervenue dans une période
difficile de récession, puis de « croissance molle », pour nous interroger
seulement sur leur pertinence au regard du projet qu’ils étaient supposés servir.
Le critère le plus clairement en rapport avec la viabilité de ce qui allait
devenir la zone euro est, sans conteste, celui qui a trait aux taux d’inflation
nationaux. Il est, à l’évidence, souhaitable que les candidats à l’entrée dans une
union monétaire connaissent, le moment venu, des rythmes de hausse des prix
comparables. Leur imposer des taux d’inflation ne s’écartant pas de plus de 1,5
% de la moyenne des trois meilleurs d’entre eux, comme le faisait le Traité de
Maastricht, paraît donc opportun. Le seuil de 1,5 %, quoiqu’en partie arbitraire,
est comparable à la dispersion des taux d’inflation régionaux observée dans les
unions monétaires existantes, comme les Etats-Unis (Banque centrale
européenne [1999]).
Il a parfois été reproché à ce critère d’être purement « relatif », en ce
sens qu’il ne dit rien du niveau absolu de l’inflation moyenne devant être
atteint avant l’entrée en union monétaire. Or, parallèlement, les statuts de la
future Banque centrale européenne prévoyaient que l’objectif prioritaire de
cette institution serait la stabilité des prix. Sa tâche aurait donc été
singulièrement compliquée si les pays qualifiés pour l’UEM avaient enregistré,
283
Intégration régionale comparée
en 1998, une inflation forte.
Si – comme on peut le penser – il est jugé sain de faire de la stabilité
des prix à l’échelle de l’union l’une des priorités de la nouvelle banque
centrale, c’est, à notre sens, non pas au niveau d’un critère de convergence,
mais au niveau des autorités monétaires nationales qu’il faut en tirer les
conséquences. Un pays désireux d’intégrer une union monétaire ayant comme
objectif affiché une inflation faible devrait faire sien cet objectif avant l’entrée
dans l’union, par exemple en le faisant figurer explicitement dans les statuts de
sa propre banque centrale. Pour sa part, le critère d’inflation doit demeurer
relatif – de sorte que, si la hausse des prix était anormalement élevée à la veille
de l’union monétaire, pour des raisons totalement exogènes, le projet ne soit
pas différé pour autant.
Au demeurant, le raisonnement qui précède nous conduit à réfuter
l’idée selon laquelle le changement de régime que constitue le passage à
l’union monétaire pourrait être mis à profit par un pays, pour rompre avec des
habitudes inflationnistes (De Grauwe [1994] ). Compte tenu de leur passé,
certains membres du Mercosur pourraient, le moment venu, être tentés de faire
un tel calcul. Il nous semble dangereux, en ce qu’il fait porter sur la nouvelle
entité – sur ses autorités monétaires en particulier – une charge qui n’est pas de
sa responsabilité. Le pilotage macroéconomique d’une union monétaire, surtout
à ses débuts, pose suffisament de problèmes en soi ( sur lesquels nous revenons
infra, section 3 ) pour qu’on ne le complique pas davantage.
Le critère relatif à la convergence des taux d’intérêt à long terme
figurant dans le Traité de Maastricht a également sa raison d’être. Il impose à
un pays candidat des taux longs ne dépassant pas de plus de 2 % la moyenne de
ceux enregistrés dans les trois pays ayant les meilleures performances en
matière d’inflation. En d’autres termes, par delà les taux d’intérêt, ce qui est ici
284
La question du régime de change dans le MERCOSUR au regard de l’expérience
Euopéenne
visé est la convergence des politiques monétaires nationales et des
anticipations d’inflation.
Les taux longs peuvent en effet, en premier lieu, se décomposer
classiquement en un taux d’intérêt réel et un taux d’inflation anticipé. Si l’on
admet que les pays engagés dans la démarche d’unification monétaire sont, au
préalable, très intégrés en termes de mobilité des biens et des facteurs de
production, les taux réels devraient y être comparables. Tout écart entre les
taux d’intérêt nominaux traduit alors des écarts d’inflation anticipée, qui ne
sont pas de bon augure dans la perspective d’une union monétaire.
Remarquons, en second lieu, que les taux longs peuvent également
s’analyser – à d’éventuelles primes de liquidité ou d’habitat près – comme une
moyenne de taux courts contemporains et anticipés. A leurs tour, ces taux
courts, très largement sous le contrôle des autorités monétaires nationales,
mesurent l’orientation des politiques monétaires dans les pays candidats. La
convergence des taux longs peut donc s’analyser comme une convergence des
orientations monétaires nationales présentes et futures.
Cependant, il paraît nécessaire de compléter ce critère relatif aux taux
longs par un critère similaire portant, précisément, sur les taux courts. En effet,
l’entrée concrète en régime d’union monétaire signifie que les économies
concernées vont se trouver placées, sous l’autorité de la nouvelle banque
centrale, dans des conditions identiques d’accès à la liquidité. Il est donc
souhaitable que ces conditions, directement liées au niveau des taux d’intérêt à
court terme, convergent à l’approche du changement de régime.
Bien que formellement absente des textes en vigueur dans le cas
européen, la convergence des taux courts eut bel et bien lieu, sous l’influence
de la coopération entre les banques centrales nationales des onze pays
concernés dans le courant de l’année 1998. De futurs projets d’unification
285
Intégration régionale comparée
monétaire gagneraient à formaliser cette convergence comme condition
d’entrée dans l’union monétaire. Ce critère permettrait d’écarter, serait-ce
provisoirement, un candidat dont la position dans le cycle économique est très
déphasée par rapport à celle de ses partenaires.
Venons-en aux critères relatifs aux finances publiques – sans conteste
les plus discutés. Ils stipulent que le ratio dette publique/PIB ne doit pas
dépasser 60 %, tandis que le ratio déficit/PIB ne doit pas excéder 3 %. Nous
n’entrerons pas dans les multiples détails afférant tant à la mesure exacte de la
dette et du déficit public qu’à l’ interprétation (plus ou moins tendancielle, plus
ou moins stricte) de ces critères. On peut en effet affirmer que les liens unissant
unification monétaire d’une part, finances publiques d’autre part, sont
extrêmement ténus. En particulier, il n’existe à notre connaissance aucun
argument fondé pour considérer qu’un pays ayant tel ou tel niveau de déficit
public ne puisse participer à une union monétaire.
On peut être un peu plus nuancé s’agissant de la dette publique. En
régime de taux de change irrévocables, les pays participants perdent un
instrument potentiellement important1 d’ajustement macroéconomique. Il
convient donc qu’ils disposent d’instruments alternatifs, au rang desquels les
politiques budgétaires nationales. On peut alors estimer nécessaire que ces
dernières jouissent d’une certaine marge de manœuvre, et ne soient pas trop
obérées par le poids d’une dette publique excessive. Remarquons, au passage,
que ce raisonnement ne dit rien du niveau à partir duquel le ratio dette/PIB
devient prohibitif.
Parallèlement, il est vrai qu’un excès d’endettement public pourrait
déboucher, à l’extrême, sur une crise financière, mettant dans l’embarras les
autorités monétaires au niveau de l’union. Toutefois, c’est plus au moyen d’une
286
La question du régime de change dans le MERCOSUR au regard de l’expérience
Euopéenne
clause explicite interdisant à la banque centrale « fédérale » tout financement –
normal ou d’urgence – des déficits publics, plutôt qu’au moyen d’un critère de
convergence afférant au ratio dette/PIB que ce risque peut être prévenu. Une
telle clause figure d’ailleurs dans le traité de Maastricht.
Qu’on nous comprenne bien : notre propos ne vise pas à minimiser les
risques inhérents à l’existence d’une dette publique insoutenable ou d’un
déficit public inapproprié au regard de la position du pays concerné dans le
cycle économique. L’expérience européenne suggère simplement qu’à vouloir
conditionner un projet supposé souhaitable (l’union monétaire) à des critères
sans rapport direct avec sa viabilité, on court un risque considérable. Car on
peut penser que, si une évolution conjoncturelle favorable n’était venue, en
1997-98, au secours des finances publiques de certains grands pays européens,
l’UEM eût été différée, et sans doute pour longtemps.
Le passage à l’euro était – et demeure – conditionné par un dernier
critère de convergence, relatif aux taux de change. Tout pays candidat à l’UEM
doit préalablement participer au SME à marges normales2, et sa monnaie ne
pas subir de dévaluation dans les deux années précédant l’union monétaire.
Fort heureusement pour cette dernière, les crises spéculatives de 1992-93
conduisirent à un élargissement des marges dans le SME, qui ôtent à celui-ci
tout caractère réellement contraignant. Dans le cas contraire, le Traité de
Maastricht eût recelé tous les ingrédients d’une « mission impossible », de
nature à rendre l’UEM inaccessible. Comment peut-on, en effet, demander à
des pays conservant encore l’autonomie de leurs politiques monétaires, de
libéraliser totalement les mouvements internationaux de capitaux – objectif
affiché de la phase 1 de l’UEM – et de s’engager simultanément dans la
287
Intégration régionale comparée
défense d’un régime de changes fixes à marges étroites ? C’est totalement
méconnaître les enseignements du triangle d’incompatibilités, erreur que les
pays du Mercosur devront avoir garde de ne pas répéter.
Pour autant, il n’en est pas moins vrai que la transition entre un régime
de change très lâche – tel le SME à marges élargies – et un régime d’union
monétaire soulève de sérieux problèmes. Nous allons nous intéresser à la
manière dont ils ont été traités dans le cas européen .
II.2 Le basculement dans l’union monétaire
A notre sens, l’une des mesures à la fois les plus importantes et les plus
judicieuses qu’aient prises les autorités communautaires en matière de gestion
de la transition vers l’union monétaire réside dans la pré-annonce des parités
bilatérales devant prévaloir le 1er janvier 1999. Ces parités ont été déterminées
et publiées plusieurs mois à l’avance (en l’occurrence, en mai 1998) – bien que
les textes officiels ne prévoyaient pas explicitement qu’il doive en aller ainsi.
Le principal avantage de cette pré-annonce tient à son effet sur les
anticipations en matière de taux de change. Dès lors que les parités choisies
sont jugées viables, et que les gouvernements qui les annoncent sont
résolument engagés dans le processus d’union monétaire, les cours observés
convergent vers les cours annoncés, à l’approche de la date d’entrée dans
l’union monétaire. L’effet stabilisant de cette disposition sur les marchés des
changes est spectaculaire, comme l’illustre le comportement des monnaies
européennes au deuxième semestre de l’année 1998, alors même que la crise
russe battait son plein, et que les effets de la crise asiatique étaient encore
vivaces. On a pu dire à l’époque, à juste titre, que les onze pays qualifiés pour
l’UEM se comportaient, en pleines turbulences financières internationales,
comme une union monétaire « avant l’heure ».
288
La question du régime de change dans le MERCOSUR au regard de l’expérience
Euopéenne
Deux ingrédients expliquent le succès de la pré-annonce des parités
bilatérales. Le premier tient au fait que celles-ci n’étaient autres que les courspivots dans le SME. Ces derniers étaient, pour la plupart, en vigueur de longue
date. Les taux de change ne s’étant pas écartés durablement et
significativement de ces niveaux de référence, pendant plusieurs années,
chacun pouvait considérer ces parités comme fondamentalement appropriées.
En second lieu, les banques centrales des onze pays concernés auraient pu, au
besoin, défendre les taux pré-annoncés si les taux cotés par le marché ne s’en
étaient
pas
approchés
suffisamment.
Des
interventions
massives,
potentiellement illimitées, auraient pu être entreprises : il eût suffi de les
financer par des crédits croisés entre autorités monétaires nationales, en fixant
l’échéance de ces crédits – de l’ordre de quelques mois – à une date
postérieure à l’entrée dans l’UEM. De ce fait, le dénouement de ces opérations
se serait effectué en régime d’union monétaire, et aurait consisté en de simples
jeux d’écritures entre membres du Système européen de banque centrale
(SEBC). En d’autres termes, les interventions entreprises n’auraient eu, in fine,
aucune influence sur les politiques monétaires des pays concernés –
contrairement à ce qu’il en est habituellement. Que de telles interventions
n’aient pas été nécessaires peut signifier que les marchés avaient conscience de
l’aptitude des banques centrales compétentes à faire prévaloir leur point de vue
en ces circonstances.
Le principe même de la pré-annonce des parités bilatérales devant
prévaloir dans une union monétaire est, en soi, aisément reproductible. Plus
délicat serait en revanche, dans le cas des pays du Mercosur, le choix de ces
parités. Il importe en effet – moins pour la transition elle-même (les banques
centrales pourraient techniquement défendre toute valeur des taux bilatéraux)
que pour la viabilité de la future union – que les niveaux choisis correspondent
289
Intégration régionale comparée
à des taux de change d’équilibre fondamental. Or le Mercosur ne pourrait, le
moment venu, s’appuyer sur l’équivalent du SME et de ses cours-pivots pour
identifier « empiriquement » de tels taux de change d’équilibre, parce qu’un
régime de change de ce type n’est pas soutenable dans l’actuel environnement
financier international.
Il conviendrait alors de mobiliser les concepts de « taux de change de
référence », tels que le Natrex (dû à Stein [1995] ou le FEER (Fundamental
Equilibrium Exchange Rate, dû à Williamson [1985] et [1994] ), pour estimer
des parités adéquates. Bien que ces outils soient infiniment supérieurs à une
simple règle de parité des pouvoirs d’achat pour déterminer des taux de change
d’équilibre, leur mise en œuvre demeure sujette à controverses (Williamson
(ed) [1994]). Les résultats qu’ils délivrent ne peuvent, en outre, prétendre à une
précision supérieure à celle d’une fourchette large de 10 à 15 %. A quelque
chose, cependant, malheur pourrait être bon sur ce point, comme nous le
verrons ci-après.
Une autre des dispositions judicieusement inscrites dans le traité de
Maastricht et qui soit aisément reproductible réside dans la création de
l’Institut monétaire européen (IME). Celui-ci, entré en fonctions quelques
années avant l’UEM, peut être tenu pour le véritable embryon de la future
BCE. Sans pouvoir réel, il fut néanmoins le lieu où furent préparés les outils
statistiques et techniques (agrégats, procédures de refinancement, etc.)
indispensables à la conduite opérationnelle de la politique monétaire unique en
phase III. De surcroît, c’est au sein de l’IME que furent menées les réflexions
relatives à la stratégie monétaire la plus appropriée au pilotage d’une entité
telle que la zone euro.
A contrario, l’expérience européenne en matière de basculement dans
une union monétaire montre deux erreurs à éviter. La première consiste à ne
290
La question du régime de change dans le MERCOSUR au regard de l’expérience
Euopéenne
pas différer à l’excès la mise en circulation de nouveaux billets et pièces. Que
cette mise en circulation n’intervienne que dans un deuxième temps – le
premier se traduisant par la fixation irrévocable des taux de change – présente,
en soi, des avantages. L’un d’eux est d’éviter un « big bang » faisant coïncider
changement de régime monétaire, fermeture de certains compartiments du
marché des changes, basculement de la comptabilité de tous les agents
économiques et changement de monnaie manuelle. Un autre avantage, lié au
précédent, est d’offrir une période d’adaptation et « d’amortissement » du
passage à la nouvelle unité monétaire. Inversement, les trois années séparant,
dans le cas européen, l’entrée dans l’UEM de l’introduction des billets et
pièces en euro est contre-productif. Une année de décalage eut suffi, évitant
que l’intérêt du public pour la monnaie unique, réel à la fin de l’année 1998, ne
retombe brutalement au premier semestre de l’année 1999.
Une seconde erreur nous paraît résider dans la création de l’écu – ou,
plus exactement, dans l’établissement d’un lien strict entre l’écu et l’euro. Que
l’écu ait pu être utile à l’Europe, notamment au sein du SME des années 80, ne
sera pas discuté ici. Que, dans le cadre d’un projet d’unification monétaire, une
préfiguration, sous forme de panier, d’une future monnaie unique, soit
souhaitable semble en revanche contestable. Faut-il insister, tout d’abord, sur le
fait qu’un panier – tel que l’écu – et une monnaie à part entière – telle que
l’euro – sont fondamentalement différents ? Le premier n’est, somme toute,
qu’un portefeuille – quelque peu arbitraire dans sa composition – de monnaies
nationales, n’ayant pas d’existence propre indépendamment de ces dernières.
Compte tenu de l’usage, resté très marginal, de l’écu privé comme moyen de
paiement3, compte tenu des inévitables fluctuations de son taux de change visà-vis de ses composantes, on peut dire qu’il n’a pas réellement contribué à
291
Intégration régionale comparée
faciliter la circulation ultérieure de l’euro.
En revanche, la « règle de continuité » liant l’écu à l’euro, en vertu de
laquelle un euro devait valoir exactement un écu le 1er janvier 1999, s’est
révélée très contraignante. Elle a, en effet, interdit que l’on puisse connaître à
l’avance les taux de conversion en euro des monnaies nationales qualifiées
pour l’UEM. La raison fondamentale en est que le panier définissant l’écu
contenait des monnaies dites « out », telle que la livre sterling. Arrêter à
l’avance (et annoncer) des parités bilatérales entre les monnaies dites « in »,
telles que le franc et le mark, était alors possible, mais ne conduisait pas, ipso
facto, à déterminer pleinement la valeur de l’écu – donc de l’euro. Or, à
l’évidence, le fait de connaître, quelques mois à l’avance, les taux de
conversion franc-euro ou mark-euro eût grandement simplifié le basculement à
entreprendre en fin d’année 1999 .
Ne pas avoir les mains liées par un artifice tel que l’écu présenterait,
pour des pays comme ceux du Mercosur, un autre avantage non négligeable :
pouvoir arrêter des taux de conversion qui soient relativement simples, et non
quelconques comme dans le cas européen. Dans un premier temps, ce sont les
parités bilatérales qui devraient, autant que faire se peut, être choisies comme
étant des « chiffres ronds ». C’est ici que pourrait être avantageusement
exploitée l’imprécision dont sont affectées les estimations de taux de change de
référence fondées sur le Natrex ou sur le FEER (cf. supra page 21). Les
autorités compétentes auraient à sélectionner, dans la fourchette de 10 à 15 %
fournies par ces concepts, des valeurs aussi simples que possible. C’est ainsi
qu’en lieu et place de l’actuel taux de conversion de 1 DM pour 3,35386 F (qui
correspond à l’ancien cours-pivot dans le SME ), on pourrait disposer d’une
valeur de 3,40 ou encore de 3,3333 … (soit 10/3).
292
La question du régime de change dans le MERCOSUR au regard de l’expérience
Euopéenne
Dans un second temps, les taux de conversion entre les monnaies
nationales et la nouvelle unité monétaire pourraient être choisis de façon
parfaitement arbitraire, donc simple – moyennant, bien sûr, le respect des taux
bilatéraux prédéterminés. Ainsi, l’euro pourrait-il valoir aujourd’hui
exactement 2 DM (plutôt que 1,955 83), et donc 20/3 de franc (plutôt que
6,55957). Ce procédé aurait pu être généralisé à toutes les monnaies « in »
(Delfaud et Kauffmann [1998]) et rendre la transition vers l’euro un peu moins
malcommode pour le grand public.
II-3. Convergence et zones monétaires optimales.
Le délai séparant la rédaction du Traité de Maastricht et l’entrée en
vigueur de l’UEM – soit quasiment une décennie – a pu paraître bien long aux
avocats du projet. Ce sentiment s’est nourri des craintes que l’éclatement du
SME a suscitées en 1993, mais aussi de l’effort de convergence inopportun que
se sont imposés les pays signataires.
Nous avons procédé précédemment (cf. § 2.1) à un examen critique des
critères de convergence, dont il ressort que ceux portant sur l’inflation et les
taux d’intérêt étaient pertinents. Nous voudrions à présent nous interroger sur
l’opportunité d’imposer d’autres critères de convergence à des pays candidats
à une union monétaire, la durée de la période transitoire devant leur être
adaptée. La théorie des zones monétaires optimales a permis d’identifier de
nombreux facteurs influençant la viabilité d’une union monétaire – à défaut de
permettre d’en tracer finement les contours. C’est donc elle que nous tentons
de mobiliser ici.
Le plus classique des critères d’optimalité est celui qui a trait à la
mobilité des facteurs de production. Plus celle-ci est élevée, plus les
déséquilibres macroéconomiques affectant, de façon différente, deux pays de la
293
Intégration régionale comparée
zone considérée sont censés se résorber aisément. On pourrait en conclure que
la période transitoire devrait être mise à profit pour faciliter les mouvements de
facteurs entre les pays concernés. Remarquons, en premier lieu, que certains de
ces facteurs sont intrinsèquement immobiles – comme la terre ou les ressources
naturelles. En deuxième lieu, l’ouverture aux flux internationaux de capitaux,
lorsqu’elle n’est pas déjà acquise, fait en principe partie intégrante d’un projet
d’union monétaire. On conçoit mal, en effet, que toute opération de banque ou
sur titres ne puisse se faire librement et dans des conditions similaires en tout
point d’une zone monétairement unifiée. Reste alors, en troisième lieu, la
mobilité du travail, qui appelle deux remarques. D’une part, sa faiblesse
ressortit souvent de facteurs socio-culturels sur lesquels les gouvernements ont
peu de prise – ce qui ne leur interdit pas de supprimer des obstacles d’ordre
administratif, tels que l’absence de reconnaissance mutuelle des diplômes ou
des qualifications des travailleurs. D’autre part, les mouvements migratoires
peuvent difficilement apparaître comme une réponse appropriée à des chocs
macroéconomiques transitoires et relativement fréquents, tels que ceux que
sont censés absorber des taux de change flexibles.
Un deuxième critère d’optimalité a trait au degré d’ouverture, les unes
vis-à-vis des autres, des économies engagées dans le processus d’unification
monétaire. Celui-ci devrait être relativement élevé dès l’origine, notamment
lorsque les partenaires sont membres d’une union douanière, comme c’est le
cas au sein du Mercosur. Il n’est cependant guère loisible d’accroître
artificiellement ce degré d’ouverture, dès lors que tous les obstacles aux
échanges de biens et de services entre les membres ont été supprimés. Cette
suppression correspond au programme de réalisation d’un authentique marché
commun, plus qu’à un programme de transition précédant l’union monétaire.
Le degré de diversification et de similarité des appareils productifs –
294
La question du régime de change dans le MERCOSUR au regard de l’expérience
Euopéenne
troisième critère d’optimalité traditionnel – échappe encore davantage au
contrôle des pouvoirs publics. Aucune politique structurelle, si volontariste
soit-elle, ne peut substantiellement modifier, en l’espace de quelques années,
l’éventail des biens et services produits au sein d’un Etat. On peut faire un
constat similaire pour ce qui est des préférences en matière d’inflation ou de
chômage, celles-ci étant souvent ancrées dans l’histoire même des peuples,
comme l’exemple allemand l’illustre si bien.
Au total, la phase transitoire précédant l’entrée dans un régime d’union
monétaire peut donc difficilement être mise à profit pour améliorer le « degré
d’optimalité » de la zone concernée. Au vu des développements qui précèdent,
sa principale vocation serait de permettre la convergence préalable des taux
d’intérêt et d’inflation des pays candidats. A l’évidence, point n’est besoin
d’une décennie complète pour atteindre de tels objectifs. Cette phase transitoire
peut également être mise à profit pour préparer la gestion macroéconomique de
la nouvelle entité. Celle-ci soulève, en effet, des problèmes originaux, que les
premiers mois d’existence de l’UEM ont contribué à éclairer.
III- LA GESTION MACROECONOMIQUE D’ UNE UNION
MONETAIRE
A l’évidence, la brièveté de l’expérience européenne, en tant qu’union
monétaire dûment constituée, prive l’observateur du recul nécessaire pour tirer
des leçons fiables relatives à son pilotage macroéconomique. Néanmoins, les
deux premières années de fonctionnement de l’UEM sont d’ores et déjà
révélatrices de certaines difficultés, inhérentes à ce type de situation. Elles
pointent également quelques lacunes au sein du dispositif institutionnel dessiné
par le Traité de Maastricht. Nous examinons tour à tour les problèmes relevant
de la politique monétaire (§ 3.1 ), de la politique de change (§ 3.2) puis de la
politique budgétaire.
295
Intégration régionale comparée
III-1 Succès et limites du fédéralisme monétaire.
S’il est un domaine où l’Europe est d’ores et déjà fédérale, c’est
incontestablement celui de la politique monétaire. Cette dernière relève d’un
unique centre de décision – la BCE – mais son exécution est relayée par les
banques centrales nationales (BCN), dont la survivance, dans le cadre du
Système européen de banque centrale (SEBC), est plus que symbolique.
Certes, les BCN ont perdu, depuis le premier janvier 1999 , tout
pouvoir réel et toute marge de manœuvre en matière d’offre de monnaie ou de
fixation des taux d’intérêt. Cependant, elles sont activement impliquées dans la
mise en œuvre des décisions prises par la BCE – auxquelles elles participent
directement, au demeurant, via le Conseil des gouverneurs. Ce sont les BCN
qui, dans chaque Etat membre, sont en contact avec le système bancaire et
financier. Elles assurent, localement, le refinancement des établissements de
crédit et la collecte des réserves obligatoires.
Le fédéralisme monétaire européen a ainsi fait la preuve qu’une
politique monétaire unifiée pouvait procéder de pratiques nationales
hétérogènes, par exemple en matière de créances éligibles au refinancement.
Une certaine harmonisation est, bien sur, nécessaire (comme l’illustrent les
normes Lamfalussy et la création de TARGET dans le cas des systèmes de
paiements ) mais elle n’est pas synonyme d’uniformisation.
Peut-être même l’Europe monétaire est–elle excessivement fédérale
s’agissant de l’importante question du contrôle prudentiel. Celui-ci reste du
ressort exclusif des Etats membres, aucune compétence en la matière n’ayant
été dévolue à la BCE par le Traité. Or la juxtaposition, à terme plus ou moins
rapproché, d’un véritable système bancaire européen (dont l’édification est en
cours, comme l’atteste le mouvement de concentration dans ce secteur ) et
296
La question du régime de change dans le MERCOSUR au regard de l’expérience
Euopéenne
d’une pluralité d’instances nationales de supervision est sous-optimale. La
mise en place d’un véritable organe européen de contrôle prudentiel paraît
indispensable.
Quant au problème de la stratégie monétaire à adopter dans les premiers
mois de fonctionnement d’une entité telle que la zone euro, l’expérience
européenne confirme qu’il est bien réel, sans pouvoir ( pour l’instant ?)
apporter de réponse convaincante. Il est très vraisemblable que l’entrée dans
une union monétaire est un changement de régime de nature à perturber les
comportements d’encaisses ( un recul de plusieurs années permettra de tester
économétriquement cette hypothèse ). Pour cette raison, une stratégie « à
l’allemande », reposant principalement sur le ciblage d’un agrégat monétaire
de type M3, n’était sans doute pas souhaitable.
Pour autant, les actuels « deux piliers » invoqués par la BCE ( qui suit,
d’une part, l’agrégat européen M3 sans en faire un objectif intermédiaire à part
entière, d’autre part, une batterie d’indicateurs anticipés d’inflation ) n’ont pas
rendu intelligibles toutes ses décisions. On s’interroge sur le fait de savoir
pourquoi la BCE n’annonce pas, à l’instar de ses homologues britannique ou
néo-zélandaise, une cible directe d’inflation. Ce type de stratégie a fait les
preuves de son efficacité dans de nombreux pays et présente, dans le cas
particulier européen, l’avantage d’être une stratégie connue des observateurs,
donc en principe facile à interpréter.
III-2 La politique de change
Autant le fédéralisme monétaire « à l’européenne » peut être considéré
comme une réussite, autant le dispositif institutionnel prévu pour gérer la
politique de change de la zone euro est manifestement déficient. Ce n’est pas,
en soi, la faiblesse persistante de la monnaie unique, depuis sa mise en
297
Intégration régionale comparée
circulation, qui fait problème4 : c’est l’absence d’une chaîne de
commandement bien définie.
Dans tous les grands pays développés – l’Allemagne d’avant 1999 ne
déroge pas elle-même à cette règle – la politique de change est clairement du
ressort du gouvernement. C’est lui qui, le cas échéant, décide de la
participation de la monnaie nationale à un régime de change contraignant.
C’est lui qui prend l’initiative d’éventuelles interventions sur le marché des
changes. C’est lui qui, officiellement, gère la communication autour de la
valeur externe de sa monnaie. On ne saurait sous-estimer l’importance de cette
dernière sur des marchés hautement spéculatifs.
Ces considérations n’interdisent pas à la banque centrale de se
préoccuper de l’évolution du taux de change – qui, à l’évidence, retentit sur
l’inflation importée. Elle peut même, à l’extrême, émettre publiquement un
avis sur cette question – comme le fit la Bundesbank au moment de l’union
monétaire inter-allemande. Mais chacun sait que le gouvernement est, en
dernier ressort, dépositaire du pouvoir de décision. La banque centrale,
gestionnaire des réserves de change, n’est pas pour autant maîtresse de leur
utilisation.
Il est vrai qu’il peut y avoir – par delà le cas particulier européen – un
réel conflit entre la mission généralement confiée à une autorité monétaire
indépendante (assurer la stabilité des prix) et l’obligation qui lui serait faite
d’intervenir sur le marché des changes avec pour conséquence de créer de la
monnaie centrale. Le Traité de Maastricht cependant, loin de contribuer à
clarifier les responsabilités, conduit à les obscurcir.
Ainsi l’article 109(1) confie-t-il au Conseil européen (donc aux
gouvernements des pays membres) le pouvoir de conclure des accords de
298
La question du régime de change dans le MERCOSUR au regard de l’expérience
Euopéenne
change formels avec les pays tiers. Cependant, il ne peut en prendre l’initiative,
puisqu’il doit statuer sur proposition de la Commission ou de la BCE. De
surcroît, cette dernière doit être obligatoirement consultée « en vue de parvenir
à un consensus compatible avec l’objectif de stabilité des prix ». Les autorités
monétaires européennes se voient donc ici conférer, à la fois un droit
d’initiative, mais aussi un droit de veto.
L’article 109(2), qui a trait aux orientations de la politique de change en
l’absence de régime formel (comme c’est le cas actuellement, notamment pour
les relations euro-dollar ou euro-yen), est d'une teneur similaire. Si bien que la
BCE, qui gère les réserves de change officielles des Etats membres et doit
« conduire les opérations de change conformément à l’article 109 » (Art.
105(2)), peut s’opposer à une action si elle la considère comme incompatible
avec « l’objectif principal du SEBC, à savoir le maintien de la stabilité des
prix » (art. 109 (2)).
Au demeurant, le fait que le périmètre de l’UEM ne coïncide pas avec
celui de l’UE rend la situation encore plus complexe. Le Conseil rassemble
aujourd’hui – et sans doute pour longtemps, comme le suggèrent les récents
résultats du référendum danois sur l’UEM – des Etats dont les monnaies ne
participent pas à l’union monétaire, et dont on imagine mal, de ce fait, qu’ils
puissent peser sur la politique de change de la zone euro. C’est pour cette
raison, faut-il le rappeler, que fut créé à l’initiative de la France, l’euro-11.
Cette instance, non prévue par le Traité - dont c’est, à notre sens, l’une des
principales lacunes - réunit (selon les cas) les chefs d’Etats ou de
gouvernement, ou les ministres, des seuls membres de l’UEM. Elle pourrait
incarner le pouvoir politique au sein de cette dernière, mais ne jouit d’aucun
pouvoir réel puisqu’elle n’a aucune existence formelle. Utile en tant que lieu de
concertation, l’euro-11 est impuissant, notamment en matière de change.
299
Intégration régionale comparée
La Banque centrale européenne s’est, en conséquence, arrogée la
prérogative singulière, puisque sans équivalent dans les grands pays
développés, d’être le porte-voix de la politique de change5. Les discordances –
pour employer une litote – qui ont pu en résulter entre le discours de certains
ministres des finances et celui du gouverneur de la BCE ne sont sans doute pas
étrangères à certains accès de faiblesse de l’euro sur les marchés. En cas de
crise grave, la monnaie européenne pourrait pâtir de l’absence de réponse
claire à la question de la dévolution des responsabilités sur ce sujet.
III-3. La gouvernance macroéconomique de l’UEM.
C’est en matière de politique budgétaire que le recul manque le plus
pour tirer de l’expérience européenne quelque enseignement pour des pays
tiers. Néanmoins, les déficiences, potentielles ou avérées, sont telles en
l’espèce que l’on peut dès à présent les souligner.
La plus patente réside dans le pacte de stabilité et de croissance. Celuici a pour vocation de prolonger, en régime d’union monétaire, le critère de
convergence faisant référence au ratio déficit public/PIB. On pourra
commencer par rappeler que ce dernier est sans rapport direct avec la viabilité
d’une union monétaire (cf supra, §2.2). Mais il y a, en l’occurrence, plus
grave : les politiques budgétaires nationales, que le Pacte est censé encadrer en
prévenant tout déficit excessif, sont l’un des seuls instruments restant à la
disposition des gouvernements pour assurer la régulation conjoncturelle de leur
économie. Brider celui-ci en interdisant – sous peine d’amendes – au solde
budgétaire de dépasser 3 % du PIB est absurde lorsque, dans le même temps, le
passage à l’union monétaire prive les Etats membres de l’instrument
300
La question du régime de change dans le MERCOSUR au regard de l’expérience
Euopéenne
d’ajustement qu’est le taux de change6
Des deux critères de convergence portant sur les finances publiques,
c’est donc le moins pertinent qui se trouve érigé en contrainte permanente pour
le pilotage macroéconomique de l’UEM. Il eût été moins infondé de s’inquiéter
de l’autre (qui concerne le ratio dette/PIB) dans la mesure où, une fois l’union
monétaire en vigueur, des politiques budgétaires obérées par une charge de la
dette excessive seront fatalement moins réactives en cas de choc conjoncturel.
Loin de se lier ainsi les mains inutilement, l’Europe aurait, en toute
rigueur, dû s’inquiéter, avant même le changement de régime de changes, de
l’un des aspects décisifs de la gouvernance macroéconomique de la zone euro :
celui de la réaction des pays membres face à des chocs asymétriques.
La perspective de perdre un instrument d’ajustement – même si les taux
de change intra-européens étaient, de longue date, régis par un régime de
change assez contraignant – aurait dû inviter à réfléchir à des substituts. Au
rang de ceux-ci figurent notamment différentes formes de fédéralisme
budgétaire.
Faute d’avoir su prendre ici les devants, l’UEM risque de se voir
confrontée a ces questions par le truchement d’un incident macroéconomique
grave. Par chance, elle est, depuis son origine, frappée surtout par des chocs
symétriques ( tant la faiblesse de l’euro que la hausse des prix des produits
pétroliers peuvent s’analyser en ces termes ). Mais qu’adviendra-t-il lorsque –
tôt ou tard – la dimension idiosyncrasique des chocs l’emportera ? On sait que
ce n’est généralement pas au pied du mur et dans l’urgence que se prennent les
meilleurs décisions.
D’autant que la matière est complexe et qu’aucune solution ne s’impose
d’évidence. La plus simple, d’un point de vue conceptuel, consisterait à doter
301
Intégration régionale comparée
la zone euro d’un authentique budget fédéral – à l’instar de ce que l’on observe
dans toutes les autres unions monétaires, même les moins centralisées (Zumer
[1998]). Est-il besoin de dire que, pour des raisons politiques, cette voie est, au
moins momentanément, impraticable ? Même un budget européen « limité » au
regard de ceux des grandes fédérations existantes ( de l’ordre de 5 à 7% du
PIB, comme le proposait le rapport McDougall [1977], à comparer aux 15 à
20% observés aux Etats unis ou au Canada ) n’a aucune chance de voir
prochainement le jour. Le déroulement des récentes négociations autour de
l’agenda 2000 a clairement montré à quel point les gouvernements étaient
étroitement attachés à limiter l’ampleur du budget de l’UE. Plus encore, le
souci de « juste retour dans ses fonds » à la britannique semble faire école,
alors qu’il se situe aux antipode de toute démarche d’inspiration fédérale.
D’autres solutions, plus originales et induisant moins d’abandons de
souveraineté qu’un budget « central », sont envisageable ( Melitz et Vori
[1993), Von Hagen et Hammond [1997] ). L’une d’elles verrait l’UEM se doter
d’un fonds de stabilisation macroéconomique, suivant en cela l’exemple
finlandais. Schématiquement – car de multiples variantes peuvent s’imaginer –
ce fonds serait abondé par les pays participant dont la croissance est
particulièrement vive ( i.e. les « bénéficiaires » de chocs asymétriques ), au
profit de ceux dont l’activité est anormalement faible ( i.e. les « victimes » de
ces mêmes chocs ). Quelles qu’en soient les modalités opératoires exactes, la
formule a cependant ses inconvénients. Moins coûteuse politiquement qu’un
budget fédéral classique, elle est techniquement plus complexe à organiser, dès
lors que l’on veut un fonds à la fois efficace ( en termes de capacité
d’amortissement des chocs ) et de taille limitée ( en pourcentage du PIB ).
Dans la mesure où une solution de ce type revêt une dimension assurantielle (
le risque macroéconomique n’étant pas le même dans tout les pays membres, ni
302
La question du régime de change dans le MERCOSUR au regard de l’expérience
Euopéenne
surtout les corrélations parfaites entre les chocs « nationaux » ), il existe un
problème potentiel d’aléa de moralité.
Pour autant, nous sommes convaincu que l’actuel statu quo est sousoptimal. Si l’union monétaire n’entraîne pas obligatoirement le fédéralisme
budgétaire, elle suppose qu’on pose explicitement le problème de son pilotage
macroéconomique, et qu’une forme ou une autre de gouvernance s’instaure à
l’échelle de l’ensemble de l’union.
CONCLUSION
Sur l’échelle traditionnelle de l’intégration économique, l’Europe – et
plus exactement l’UEM – occupe une position très avancée. Celle-ci est
d’autant plus intéressante et instructive qu’elle est originale, et même
exceptionnelle : si l’on dénombre, de par le monde, de nombreuses zones de
libre échange et quelques unions douanières, les unions monétaires ne
coïncidant pas avec une union politique – fut-elle de type fédéral – sont très
rares.
Les pays du Mercosur sont, pour leur part, au rang de ceux qui
paraissent le plus désireux d’intensifier les liens économiques régionaux et de
s’engager sur une voie analogue à celle empruntée par l’UE. Si ces pays
progressent effectivement dans la direction d’un authentique marché intérieur,
ils seront amenés à privilégier un régime de changes stables. Dans l’actuel
environnement financier international, le seul qui soit réellement viable est une
union monétaire.
La procédure adoptée par les pays membres de l’UEM pour entrer dans
un tel régime a montré une réelle efficacité, mais aussi des zones d’ombre.
Tout bloc régional désireux de prendre une orientation analogue pourra
directement s’en inspirer. Cette procédure n’est pas la seule qui puisse
303
Intégration régionale comparée
s’envisager. A l’extrême, si tous les membres de l’actuel Mercosur acceptaient
de « dollariser » leur économie, à l’instar de ce qui vient de se faire en
Equateur (et que certains préconisent pour l’Argentine), la zone deviendrait
une union monétaire. Est –il besoin de préciser que ce scénario paraît peu
plausible ? Outre ses évidents inconvénients politiques, il lierait les pays du
cône sud-américain aux Etats-Unis, alors que l’opportunité macro-économique
d’un tel lien semble peu évidente. L’expérience européenne n’en apparaît que
comme une référence d’autant plus précieuse.
Compte tenu du délai qui, vraisemblablement, sépare encore le
Mercosur de l’unification monétaire, l’UEM est amenée à livrer, comme tout
pionnier, bien d’autres enseignements dans les années à venir. C’est vrai, en
particulier, dans le domaine du pilotage macro-économique. Manifestement, il
manque à la zone euro une véritable instance de gouvernance, qui serait
notamment responsable de la politique de change. Elle serait saisie du
problème de l’ajustement à des chocs asymétriques. Du bon déroulement de
celui-ci dépend, à terme, la cohésion même d’une union monétaire.
NOTES
1
L’efficacité de l’ajustement par le change est toutefois sérieusement mise en doute
par certains travaux récents (par exemple Canzoneri et alii [1996] ).
2
L’ancien SME connaît, depuis 1999, un prolongement, baptisé SME-bis, en tout
point analogue au précédant. Y participent, outre l’euro, la couronne danoise et la
drachme grecque.
3
L’écu privé a rarement représenté plus de 2 à 3 % de la facturation du commerce
extérieur des pays de l’UE – et souvent bien moins de 1 %. Voir par exemple Cazals et
Kauffmann [1992].
4
Certains observateurs considèrent même cette faiblesse comme structurelle ( Artus
[2000] ). Elle découlerait des sorties de capitaux consécutives à la diversification
croissante des portefeuilles européens, tandis qu’aucun phénomène analogue
n’engendre de flux entrants en provenance de la zone dollar ou de la zone yen.
5
Son gouverneur, W. Duisenberg, s’est ainsi auto-proclamé « M. Euro ».
6
Des auteurs aussi peu suspects de complaisance envers un quelconque laxisme
budgétaire qu’Obstfeld et Peri [1998] ont proposé – sans grand espoir – qu’on
304
La question du régime de change dans le MERCOSUR au regard de l’expérience
Euopéenne
renégocie le Pacte de Stabilité.
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307
Intégration régionale comparée
LA COORDINATION DES POLITIQUES MONETAIRES
AU SEIN DU MERCOSUR : LES ENSEIGNEMENTS DU
MODELE EUROPEEN D’INTEGRATION REGIONALE
Ernesto Raul Seselovsky
Professeur de Macro-économie et d'Economie Internationale
Ecole de Sciences economiques etr Statistiques
Université nationale de Rosario (Argentine)
Remerciements
Je voudrais remercier le Professeur Bernard Yvars, Organisateur de la Journée
Internationale d'Etude Jean Monnet , le Professeur J.P. Lachaud, Directeur du
Centre d'Economie du Développement et le Président de l'Université
Montesquieu-Bordeaux IV, M. Jean du Bois de Gaudusson pour leur aimable
invitation à participer à cette Journée d'etude.
INTRODUCTION
La vive croissance du commerce entre les pays signataires du Traité
d’Asuncion, sur la période 1991-1997, traduit la volonté de progrès des Etats
concernés en matière d’intégration économique. Cette volonté devrait
également s’exercer dans le domaine des politiques économiques, afin
notamment de sortir du passage difficile que connaît aujourd’hui le Mercosur.
A l’heure actuelle, en effet, deux des principaux protagonistes, l’Argentine et
le Brésil, font face à de nombreuses difficultés économiques et
institutionnelles, qui ont été accentuées par des chocs macroéconomiques
d’origine externe. En fait, ces problèmes macroéconomiques nés de
perturbations exogènes ont entravé l’approfondissement du processus
d’intégration régionale durant ces trois dernières années (1).
L’harmonisation
des
politiques
macroéconomiques
-
tout
particulièrement les politiques monétaires et les politiques de change – entre
308
La coordination des politiques monétaires au sein du Mercosur : les enseignements du
modèle Européen d’intégration régionale
les membres de ce qui n’est encore qu’une union douanière imparfaite, fait
partie intégrante du processus d’intégration, et ne doit en aucun cas être
négligée.
L’absence d’instance supranationale au sein du Mercosur conduit à
débattre, non d’une quelconque uniformisation, mais d’une harmonisation et
d’une coordination des politiques économiques, et à tout le moins d’une
coopération active et effective. L’Union européenne est, concrètement,
l’exemple le plus abouti lorsque de telles perspectives sont évoquées. Et l’on
peut tirer de l’expérience européenne de nombreux éléments d’analyse.
L’illustration la plus notoire en est fournie par la mise en place de la Banque
centrale européenne (BCE), en tant qu’autorité monétaire unique au sein de la
zone, et par l’introduction de l’euro en tant que monnaie unique.
McKinnon (1993), Goodhart (1995), Yvars (1997), Krugman et Obstfeld
(1999), Gonzalez Iban et Ahijado Quintillon (1999), Tugores Ques (1999),
parmi d’autres, ont proposé d’excellents examens de l’évolution du Système
monétaire européen depuis sa création en 1979, ainsi que de la mise en place
de la BCE et de l’euro depuis l’entrée en vigueur du Traité de Maastricht.
Seselovsky (1998) offre une analyse du débat sur l’opportunité d’une monnaie
unique comme objectif à moyen terme pour la Communauté européenne dans
les années 70. Le même auteur montre comment les pays concernés ont
surmonté les effets induits par le respect des critères de convergence du Traité
de Maastricht – notamment en matière de croissance et d’emploi -, puis les
effets liés à la mise en place des opérations nécessaires à l’introduction de
l’euro.
Pour ce qui est du Mercosur, rares sont les travaux qui s’intéressent en
profondeur à la coordination des politiques économiques. En fait, même si la
littérature traitant des problèmes macroéconomiques est substantielle, elle ne
309
Intégration régionale comparée
s’est pas attachée à la question de la coordination. Arnaudo (1993) constitue un
précurseur à cet égard, même si Heymann et Navajas (1992) proposent une
intéressante contribution. Fanelli (2000), à la tête d’un groupe de recherche sur
le projet de « coordination des politiques macroéconomiques dans le
Mercosur », a produit le rapport le plus approfondi qui soit en la matière,
particulièrement en ce qui concerne les régimes de change.
La coordination des politiques économiques est un sujet de première
importance, dans la mesure où les quatre membres à part entière du Mercosur
ont choisi des régimes de change différents, tout en privilégiant des plans de
développement et/ou de stabilisation hétérogènes.
Bien que l’intégration régionale soit une préoccupation de longue date, il
n’existe aucun schéma opérationnel traitant cette question dans son ensemble, à
l’exception de celui offert par l’UE. Le présent travail, consacré au Mercosur,
s’interroge
sur
la
faisabilité
d’une
coordination
des
politiques
macroéconomiques. Il s’intéresse plus particulièrement à l’élaboration des
politiques monétaires, ainsi qu’à leur cohérence temporelle et à leur crédibilité.
I- LE MERCOSUR, NEUF ANS APRES LE TRAITE D’ASUNCION :
PLANS DE STABILISATION ET REGIMES DE CHANGE
Neuf années après la création du Mercosur, il est intéressant d’examiner
le parcours des deux principales puissances régionales en matière de régimes
de change, ceux-ci ayant servi de base à leurs programmes de stabilisation.
En 1991, l’Argentine a adopté un régime de changes fixes avec ancrage
sur le dollar américain, qui est resté en vigueur depuis lors. C’est ce qu’on a
appelé le « plan de convertibilité ». Avec la mise en place du « plan Real », en
1994, le Brésil a également opté pour les changes fixes et, malgré un dispositif
de crawling peg, s’est efforcé de maintenir une faible variabilité des cours
jusqu’en 1998.
310
La coordination des politiques monétaires au sein du Mercosur : les enseignements du
modèle Européen d’intégration régionale
Il faut souligner que, dès l’origine, les politiques économiques de ces
deux pays ont fait du régime de change une pièce maîtresse du dispositif de
lutte contre l’inflation, et non un moyen de favoriser l’accroissement des
exportations vers le reste du monde.
L’Argentine, depuis 1991, et le Brésil, depuis 1994, se sont donc efforcés
de mettre en place des règles pour guider leur politique de change. Cependant,
à partir du 13 janvier 1999 et de la dévaluation de la monnaie brésilienne de
quasiment 100 %, les attitudes des deux pays sont devenues très différentes,
pour être aujourd’hui presque opposées. L’Argentine a conservé son ancrage
sur le dollar alors que le Brésil a adopté un régime de changes flexibles. Le
Brésil a, par conséquent, renoncé à une certaine stabilité pour tolérer davantage
de volatilité de son taux de change. Ceci s'explique par le fait qu’à la suite des
chocs externes qui l’affectèrent, ce pays a privilégié sa politique industrielle,
dans le but de soutenir l’emploi, mais acceptant par là même un recul en
matière de coordination des politiques économiques. Remarquons en outre que
les prix internes n’ont pas encore subi le plein effet de la dévaluation.
Dans le même temps, le régime de convertibilité adopté par l’Argentine,
liant sa monnaie au dollar, a vu la monnaie américaine s’apprécier par rapport
au yen et à l’euro. L’appréciation concomitante du peso a conduit à l’éviction
des produits argentins sur les marchés d’exportations extérieurs à la zone
dollar. Ce scénario se poursuivra tant que l’évolution de la productivité dans le
secteur manufacturier en Argentine ne sera pas compatible avec l’appréciation
de la monnaie nationale. Concrètement, cela implique de lourds sacrifices –
notamment en termes d’emplois perdus – et un besoin urgent d’amélioration de
la productivité dans l’industrie argentine. Ce pays n’a guère de prise sur sa
situation, et continue d’une certaine façon à supporter les conséquences de
l’hyper-inflation des années 1989 et 1990.
311
Intégration régionale comparée
Les plans de stabilisation ont eu à la fois des effets positifs et des effets
négatifs. Un succès qui mérite d’être souligné réside dans une réelle stabilité
des prix, consécutive à des années d’inflation et d’hyper-inflation. Au rang des
effets négatifs et significatifs, on doit mentionner la mise à l’écart du système
productif de plus du quart de la population (en incluant le chômage et le sousemploi). Signalons également une concentration croissante de la richesse, la
centralisation accrue du processus de décision économique, un niveau élevé
d’endettement externe et la dénationalisation d’une fraction importante du
secteur productif.
III- INTEGRATION ECONOMIQUE ET HARMONISATION DES
POLITIQUES MACRO-ECONOMIQUES
Immédiatement après la signature du Traité d’Asuncion (1991), un
groupe de travail fut constitué au sein du Marché Commun. Celui-ci était
spécifiquement consacré à la coordination des politiques macro-économiques.
Après la rencontre d’ Ouro Preto en 1994, ce groupe de travail fut dissout dans
une nouvelle structure ayant un objet plus large.
Ces vicissitudes conduisirent à ce que l’on appelle le « nouveau
démarrage » du Mercosur, qui eut lieu à Buenos Aires en juin 2000. Les
principes censés présider à la coordination des politiques économiques y furent
énoncés. Une équipe de pilotage macroéconomique fut également constituée
par la suite. Sa tâche principale était de s’assurer de la cohérence d’un
ensemble d’indicateurs, qui devaient être élaborés à la suite d’un travail
d’harmonisation statistique basé sur une méthodologie commune. Il s’agissait
dans un premier temps, de compulser des données relatives aux agrégats
macro-économiques suivants :
. position budgétaire nominale du gouvernement fédéral
. position budgétaire primaire du gouvernement fédéral
312
La coordination des politiques monétaires au sein du Mercosur : les enseignements du
modèle Européen d’intégration régionale
. endettement net du gouvernement fédéral
. endettement net du secteur public consolidé
. variation de l’endettement net du secteur public consolidé
. niveaux internes des prix.
Un nouvel indicateur, de position budgétaire structurelle, devait en
outre être créé.
L’idée était de définir, à l’horizon de mars 2001, des objectifs
consensuels en matière de positions budgétaires, de dette publique et de prix,
ainsi qu’un processus de convergence inspiré du Traité de Maastricht.
Effectivement, deux mois après la tenue de la Journée Internationale d’Etude
Jean Monnet qui fait l’objet de cet ouvrage, un dispositif de ce type fut adopté,
suite à la rencontre des chefs d’Etat des pays membres du Mercosur à Floriano
Polis (Brésil), en décembre 2000.
III-1 Les objectifs.
La coordination des politiques monétaires (même de portée limitée), et
l’harmonisation des différents régimes de change dans le cadre d’un processus
d’intégration régionale, doivent viser trois objectifs :
1. faciliter les flux commerciaux entre partenaires, tout en
maintenant des taux de change stables dans le temps ;
2. orienter l’affectation des ressources productives et les choix
d’investissement, dans chaque pays membre et plus largement
dans la zone affectée par le processus d’intégration ;
3. envoyer des signaux aux décideurs pour orienter leurs
anticipations.
Par rapport aux trois objectifs mentionnés précédemment, précisons la
situation en termes de politiques économiques. Les politiques monétaires et
313
Intégration régionale comparée
budgétaires doivent tenir compte des flux commerciaux. Non pas qu’ils soient
le facteur le plus significatif, mais en raison de leur lisibilité par le reste du
monde, et parce qu’il s’agit d’un élément quantifiable dans le cadre d’un
processus d’intégration. C’est pourquoi, à tout le moins, la coordination des
politiques monétaires et budgétaires ne devrait pas faire obstacle au bon
fonctionnement de l’économie réelle (2).
Durant la période de transition qui suivit la signature du Traité
d’Asuncion, de 1991 à 1995, la question du soutien éventuel à apporter aux
opérations commerciales fut controversée. Le point qui souleva les plus grands
désaccords avait trait aux asymétries entre économies. Celles-ci se traduisent
par des différentiels de coûts de production, pour une même firme d’un pays à
l’autre. Ces écarts de coûts peuvent faire obstacle au commerce intra-zone. Le
tableau 1 se propose de donner un aperçu clair de ce phénomène. Le
comportement des économies nationales pendant cette période transitoire 19911995 – i.e. avant que le Traité ne soit pleinement en vigueur – aurait pu être un
enjeu majeur de la convergence de politiques nationales visant, d’une part à
renforcer les gains de productivité dans les secteurs les moins performants,
d’autre part, à utiliser à bon escient les clauses de sauvegarde. Une seconde
période transitoire s’écoulera jusqu’à la pleine entrée en vigueur du tarif
extérieur commun, en 2006.
La persistance et, dans certains cas, l’aggravation des asymétries entre le
Brésil et l’Argentine, après la forte dévaluation du Réal en 1999, fut l’objet des
plus vifs débats et controverses dans la période récente, toujours dans la
perspective de parvenir à des mesures concrètes de coordination des politiques
économiques.
TABLEAU N° 1
314
La coordination des politiques monétaires au sein du Mercosur : les enseignements du
modèle Européen d’intégration régionale
ASYMETRIES ET COORDINATION DES POLITIQUES
ECONOMIQUES
A. ORIGINE DES ASYMETRIES ECONOMIQUES :
DOTATIONS INEGALES EN FACTEURS DE PRODUCTION
NIVEAUX DE PRODUCTIVITE DIFFERENTS DES FACTEURS DE PRODUCTION
MESURES DE POLITIQUES COMMERCIALES
(barrières tarifaires et non tarifaires, subventions, politique de protection
sectorielle ou régionale, politique de crédit, régime de change)
B. TYPES D’ASYMETRIES :
1. Résultant de l’action globale du gouvernement et affectant la production en général
(exemple : effets de la politique de change)
2. Affectant les activités industrielles (exemple : résultat des lois sur le travail et/ou
d’incitations fiscales)
3. Impact sur certains secteurs en particulier (exemple : réglementation spécifique pour la
construction automobile, la papeterie, etc.)
C. SOLUTIONS :
Harmonisation des politiques économiques, élaborées par les pays membres conformément aux
préceptes suivants :
- cohérence intertemporelle
- crédibilité
D. FINALITE :
PERFORMANCES DES ECONOMIES NATIONALES PENDANT LA PERIODE DE
TRANSITION
Source : Cicaré, A. (1994) et Seselovsky, E.R. (1995)
II-2 Les principaux enjeux.
L’harmonisation des politiques monétaires entre membres du Mercosur
se heurte à deux difficultés : la première tient aux séquelles de l’instabilité
315
Intégration régionale comparée
politique et/ou économique qu’ont connu ces pays depuis 70 ans ; la seconde
réside dans une certaine hétérogénéité des structures productives, sociales et
politiques.
Il y a trois enjeux ou questions à débattre :
1. choisir un régime de changes (fixes ou flexibles) établissant des
relations entre les différentes monnaies nationales
2. déterminer des taux de change appropriés (en les quantifiant
explicitement)
3. établir des critères de convergence des politiques monétaires et
budgétaires nationales.
D’un point de vue théorique, on sait qu’il n’est pas possible d’avoir
simultanément :
a. un régime de changes fixes,
b. une grande liberté des mouvements de capitaux, et
c. l’autonomie des politiques monétaires nationales.
Seuls deux de ces attributs peuvent être obtenus, au détriment du
troisième.
C’est pourquoi le choix d’un système monétaire régional dépend
étroitement de la mobilité internationale des facteurs de production et des
échanges internationaux de capitaux, de biens et services des pays membres.
Un régime de changes fixes apparaît comme le plus approprié au sein
d’une union douanière, vu l’intensité attendue des flux commerciaux. Cet a
priori n’interdit pas, cependant, d’essayer d’estimer les performances d’un
régime de changes flexibles, même si la coordination s’en trouverait
vraisemblablement compliquée (3). Pour les décideurs, à l’échelle microéconomique, un taux de change stable est attractif et cohérent avec les enjeux
commerciaux du processus d’intégration. Les entreprises parviennent toutefois
316
La coordination des politiques monétaires au sein du Mercosur : les enseignements du
modèle Européen d’intégration régionale
à s’accommoder de la volatilité des taux de change.
Historiquement, l’étalon-or, régime de changes fixes par excellence,
conduisait à harmoniser directement les politiques monétaires au niveau
international. Les différents pays pouvaient décider, individuellement,
d’adopter ou non ce régime. Mais s’ils y adhéraient, ils s’alignaient de facto sur
le comportement décidé par la Banque d’Angleterre. Le carcan était si rigide
qu’en période de crise, il devait être abandonné, les pays devant régulièrement
déclarer leur monnaie inconvertible. C’est pourquoi le système n’a pas
véritablement fonctionné comme le prévoyait la théorie. Les schémas
contemporains de dollarisation nous paraissent encourir les mêmes risques.
Tous les régimes de changes fixes souffrent, quoiqu’à un degré moindre,
des mêmes inconvénients que l’étalon-or. La politique monétaire transmettant
ses impulsions à l’économie réelle, les régimes de change dans lesquels les
parités sont inappropriées peuvent être nocifs en termes d’emploi et
d’affectation des ressources. Il en va de même lorsque la sphère réelle souffre
de rigidité et/ou d’imperfections des marchés. Au demeurant, les changes fixes
se traduisent par une perte d’autonomie de la politique monétaire, si bien que
des flux entrants de capitaux non stérilisés peuvent provoquer une expansion
indésirable du crédit interne, avec le risque d’un dérapage inflationniste. La
présence de montants importants de « capitaux flottants » au niveau
international accroît ce danger.
En dépit de ce dernier, cependant, on a assisté ces dernières années à une
sorte de meilleure prédisposition des Etats vis-à-vis des changes fixes. L’UE,
par exemple, avant l’existence de l’euro, possédait un système de changes fixes
mais ajustables centré sur l’écu. Dans le cadre de ce dernier, plusieurs
réalignements sont intervenus.
Tant la faisabilité que les bénéfices attendus d’un régime de changes
317
Intégration régionale comparée
stables, au sein d’un bloc régional, s’accroissent avec le degré d’ouverture des
économies, le degré de diversification des structures productives et
l’importance du commerce intra-branches (Fanelli [2000]).
La coordination serait particulièrement simple au sein d’une zone
monétaire optimale. Le tableau 2 montre que tel n’est pas le cas du Mercosur.
Il ne serait donc pas réaliste de songer à une monnaie unique dans cette zone
dans un futur proche.
TABLEAU N°2
LE MERCOSUR EST-IL UNE ZONE MONETAIRE OPTIMALE ?
Les zones monétaires optimales sont caractérisées par les critères suivants :
A. Fort degré d’ouverture de l’économie (critère de McKinnon)
B. Forte mobilité des facteurs, permettant une réponse flexible aux chocs macroéconomiques
asymétriques (critère de Mundell)
C. Forte diversification de la production (critère de Kenen)
D. Fort degré d’intégration économique des pays membres (critère de Krugman)
E. Existence d’une autorité de coordination budgétaire – supranationale par définition – avec
une logique fédérale d’ensemble, ainsi que d’une cour de justice possédant les mêmes
caractéristiques.
EN CONSIDERANT LE CADRE LEGAL EXISTANT, EST-IL POSSIBLE DE CREER
UN ORGANISME SUPRANATIONAL AU SEIN DU MERCOSUR AYANT DES
CARACTERISTIQUES SIMILAIRES A LA COUR DE LUXEMBOURG ?
ARGENTINE : OUI. L'Amendement de la Constitution de 1994 permet l'existence d'une
cautorité supérieure à la Cour Suprême, c'est-à-dire une cour supranationale (art. 75, cl. 24 de la
Constitution Nationale)
PARAGUAY : OUI. Cela est autorisé par l'article 145 de la Constitution Nationale.
BRESIL : NON. Selon les juristes brésiliens, la Constitution devrait être amendée.
URUGUAY : NON. Selon les experts constitutionnels uruguayens, la Constitution devrait être
amendée.
Il a fallu 42 ans à l’UE pour donner naissance à l’euro. En dépit de tous
les avantages qu’offre ce dernier, un rapport de la Communauté européenne
318
La coordination des politiques monétaires au sein du Mercosur : les enseignements du
modèle Européen d’intégration régionale
(« one money, one market », cf. tableau 3) qui fait autorité en la matière montre
bien que ce dispositif n’est pas facilement transposable. L’une des raisons en
est qu’à un horizon rapproché, il y aura trois grandes monnaies dans le monde :
le dollar, l’euro et le yen. Il restera donc peu de place pour des monnaies
régionales. En outre, il est nécessaire d’évaluer la tenue de l’euro par rapport
aux autres monnaies sur une période plus longue que ses premiers 22 mois
d’existence.
TABLEAU N°3
DEBAT SUR LA MONNNAIE UNIQUE
(Rapport de la Communauté Economique Européenne : "Un marché, une monnaie")
avantages :
a) Elimination des coûts de transaction au sein de l'UE (environ : 0,5% du PNB total de
l'UE)
b) Moins d'incertitude (absence de fluctuation des taux de change intra-européens)
c) Elimination des coûts informationnels connexes (pour les consommateurs)
d) Réduction des réserves des Banques Centrales nécessaire à défendre les taux de change
au sein de l'UE
e) Une monnaie européenne pouvant devenir monnaie de référence internationale
INCONVENIENTS :
Perte de seigneuriage (impossibilité du financement monétaire du budget de l’Etat)
Perte du taux de change comme instrument d’ajustement macroéconomique
CONCLUSION PRINCIPALE DU RAPPORT :
Les avantages liés au potentiel d'un Marché commun peuvent être concrétisés uniquement
grâce à une monnaie unique.
Il faut en outre être attentif aux interrelations entre l'intégration monétaire et l’intégration
budgétaire.
319
Intégration régionale comparée
III-3 Le processus d’harmonisation des politiques économiques
La stabilité macroéconomique de chacune des économies concernées est
une condition nécessaire à l’amorce d’un processus d’harmonisation, mais non
suffisante.
Une question-clef consiste à savoir si l’Argentine continuera à suivre son
plan de convertibilité – et si oui, jusqu’à quand. Il est envisageable qu’à un
moment ou à un autre, ce plan soit modifié. Ceci ne devrait toutefois se
produire qu’en l’absence de tout choc affectant la structure productive ou
financière du pays. Dans certaines circonstances, l’harmonisation des
politiques économiques pourrait contribuer à la stabilité interne.
Les priorités sont déterminées en fonction des schémas de stabilisation
adoptés par chaque pays membre. Tant l’Argentine avec son plan de
convertibilité, que le Brésil avec son plan Real, ont adopté un régime de
changes fixes avec ancrage nominal de leur monnaie. Toutefois, le Brésil a
ultérieurement abandonné cette politique.
III-4 Cohérence temporelle et crédibilité des politiques économiques.
Ce sont des aspects majeurs d’un processus d’harmonisation, dans la
mesure où chaque pays membre doit, au préalable, être crédible quant aux
objectifs qu’il se fixe. Les politiques économiques doivent ensuite être
cohérentes et viables dans le temps.
La cohérence temporelle signifie que ces politiques ne devraient pas
devenir contre-indiquées au fur et à mesure que le temps passe. Une politique
devient crédible lorsqu’existe une volonté politique forte pour la porter, et
lorsque l’économie réelle bénéficie de certaines conditions objectives. Il est
320
La coordination des politiques monétaires au sein du Mercosur : les enseignements du
modèle Européen d’intégration régionale
également essentiel que l’opposition – en l’occurrence, les partis susceptibles
d’être portés aux affaires lors de prochaines élections – soit associée à
l’élaboration de ces politiques.
Bien que ces dernières doivent être cohérentes et crédibles, elles doivent
également faire montre d'un minimum de flexibilité, pour faire face à des
événements comme l'effet tequila ou la crise du sud-est asiatique.
Enfin, il est nécessaire que les pays concernés s’engagent fermement sur
les objectifs poursuivis. Il devrait même exister un mécanisme ou une autorité
de supervision, qui puisse sanctionner un pays déviant. En somme, si une
autorité supranationale n’est pas envisageable à court ou moyen terme, il faut
disposer d’une entité inter-gouvernementale qui puisse faire respecter les
décisions prises par ailleurs. Le tableau 3 souligne les difficultés de mise en
œuvre d’un tel dispositif. Remarquons également que l’Organisation mondiale
du commerce a pris récemment un certain nombre de décisions, à la suite de
débats où les pays du Mercosur ont brillé par leur absence, alors qu’ils étaient
directement concernés.
IV- LES LECONS DU SME ET DU TRAITE DE MAASTRICHT
Les tableaux 4 à 6 font le point sur l’Europe monétaire depuis le Système
monétaire européen (1979) jusqu’au Traité de Maastricht.
Le tableau 4 rappelle les différentes positions à l’égard de la coordination
des politiques monétaires dans le cadre du SME lui-même, et les changements
profonds qui résultèrent de la réunification allemande.
TABLEAU N°4
A. LE SYSTEME MONETAIRE EUROPEEN (SME) : 1979 – 91
321
Intégration régionale comparée
L'ESPRIT DU MECANISME DE CHANGE
1. Il s’agit d’un régime de taux de change fixes entre chaque monnaie
européenne et l'écu (European Currency Unit). L'écu est une unité de compte
construite comme un panier des monnaies européennes, fonction de la taille des
économies. L’existence de parités centrales en écu agissait comme une force de
rappel sur chaque pays, l’incitant à ramener sa monnaie vers son niveau
d’équilibre (un taux de conversion en écu était établi quotidiennement pour
chaque monnaie). Des marges de fluctuation de +/- 2,25% étaient prévues.
2. Dans le cas d'une dépréciation de la monnaie nationale jusqu’à son niveau
plancher, la Banque centrale du pays dont la monnaie s'est le plus appréciée
doit coopérer avec la Banque centrale du pays concerné, afin de défendre les
parités. C’est le principe du Mécanisme de change du SME.
3. Dans le cas où ces parités ne pourraient être maintenues, les pays membres
s'accordent sur une nouvelle grille de taux de change, tenant compte
notamment des évolutions des niveaux de prix domestiques afin de les rendre
viables. Suite aux crises monétaires de 1992 et 1993, les bandes de fluctuation
originelle de 2,25% ont été élargies à +/- 15%.
4. Le système a contribué (quoique de façon asymétrique) à la convergence des
politiques macroéconomiques nationales.
5. La libre convertibilité des monnaies pour les paiements en compte courant
était assurée, et une tendance à la libéralisation des marchés monétaires et
financiers prévalait.
6. Les réserves de change étaient constituées autant que faire se peut en écu,
avec une volonté de limiter les avoirs en dollar. Un Fonds Européen de
Coopération Monétaire (FECOM) (permettant des prêts à court terme entre
pays membres, un peu sur le modèle du FMI) fut créé.
7. En 1994, l'Institut Monétaire Européen a été établi afin de coordonner les
politiques monétaires d'aider les Etats membres pendant la période de
transition vers l’euro et servir d’embryon à la future Banque centrale
européenne.
LES OBJECTIFS DU SME
322
La coordination des politiques monétaires au sein du Mercosur : les enseignements du
modèle Européen d’intégration régionale
a) Réduction de la "marge de manœuvre" des autorités nationales
b) Restriction du pouvoir discrétionnaire des Etats en matière de politiques
monétaires et de change
OPINIONS
RELATIVES
A
LA
COORDINATION
DES
POLITIQUES
MONETAIRES AU SEIN DU SME
a) les
"économistes"
b) les "monétaristes"
c) les "instrumentalistes"
B. LE SME ET LE DEUTSCHMARK : 1979 – 92
POUR CHAQUE PAYS MEMBRE, LA REPUBLIQUE FEDERALE
D'ALLEMAGNE EXCEPTEE
1. Interventions destinées à maintenir les parités bilatérales entre les différentes
monnaies.
Efforts de stabilisation des taux de change vis-à-vis du mark.
Utilisation fréquente du DM dans les interventions de change.
2. Gestion active des réserves de changes, détenues sous forme d’instruments
de marché rémunérés en DM, tels les dépôts en euro-mark, ou de bons du
Trésor libellés en dollar.
3. Ajustement de la croissance de la masse monétaire nationale à court
terme (et/ou les taux d'intérêt à court terme) en fonction des interventions
sur le marché des changes.
4. Ajustement de la croissance de la masse monétaire à long terme de telle
manière que l’inflation interne converge vers le niveau de l'inflation
allemande.
5. Libéralisation progressive de toute sorte de contrôle des changes.
323
Intégration régionale comparée
POUR LA REPUBLIQUE FEDERALE D'ALLEMAGNE
1. Assurer l’accès aux marchés des capitaux allemands pour les emprunteurs et
les déposants, qu'il s'agisse de gouvernements étrangers ou de résidents privés.
2. Stériliser les interventions de la Bundesbank ou des autres banques centrales
sur les marchés des changes.
3. Ancrer le niveau des prix des biens échangeables en DM à l'intérieur du
SME , par une politique monétaire élaborée en toute indépendance.
Source : Elaboration personnelle de l'auteur basée sur McKinnon (1993) pp. 1-44; Yvars,
Bernard (1997) pp. 303-330; Tugores Ques, Juan (1999) chap. 7 et De Lotto, Pietro (1995)
Tugores Ques (1999) a souligné qu’au sein de la Communauté
européenne, trois points de vue divergents émergèrent à propos de la
coordination des politiques économiques, qui subsistent aujourd’hui encore
dans une certaine mesure :
1. les « économistes », qui considèrent comme nécessaire de
coordonner les politiques économiques avant l’Union monétaire ;
2. les « monétaristes », qui pensent que l’intégration monétaire
créera des incitations à se coordonner ;
3. les « institutionnalistes », qui privilégient l’émergence préalable
d’instances capables de décider et de mettre en œuvre des projets communs.
Le même auteur défend également l’idée selon laquelle les performances
du SME peuvent donner lieu à trois types d’interprétations :
1. une
interprétation
« instrumentaliste »,
en
termes
de
coordination face à des chocs d’origine externe au système ;
2. une interprétation en termes de crédibilité acquise par les
gouvernements au vu des performances de leurs politiques ;
3. une interprétation en termes de discipline, de moindre latitude à
adopter des politiques inflationnistes.
324
La coordination des politiques monétaires au sein du Mercosur : les enseignements du
modèle Européen d’intégration régionale
Les tableaux 5 et 6 montrent les objectifs du Traité Maastricht et les
critères de convergence. Certains aspects méritent que l’on s’y attarde. Les
critères de convergence furent élaborés avant la crise de 1992-93. On estime
que leur existence conduisit à des politiques économiques très restrictives, très
coûteuses en emplois. Le Traité est entré en vigueur le 1er janvier 1993, après
avoir été ratifié par la plupart des parlements nationaux. Il faut se remémorer
que la France procéda à un référendum national (1992) lors duquel le « oui »
l’emporta de très peu. Finalement, il est révélateur de constater que, en dépit
des contraintes et inconvénients de la période transitoire, l’euro a bel et bien
été mis en place le 1er janvier 1999.
L’ensemble de ces considérations est important et significatif, et mérite
d’être pris en compte dans la perspective d’une coordination des politiques
monétaires dans le Mercosur.
TABLEAU N°5
LE TRAITE DE MAASTRICHT
(décembre 1991 – février 1992)
OBJECTIFS RELATIFS AUX POLITIQUES MACRO-ECONOMIQUES :
1. Introduction de l'EURO en tant que monnaie unique au sein de l'UE, établissement des taux
de conversion irrévocables pour chaque monnaie avant le 1er janvier 1999. Par la suite, 11 pays
(et dix monnaies différentes) intégreront l’Union monétaire. Suède, Danemark, Royaume-Uni
et Grèce ne font pas à l’origine partie de l’UEM. La réalisation des différentes étapes de
l'établissement de l'EURO conduira à une monnaie unique pleinement effective le 1er juillet
2002 au plus tard.
2. Création du Système Européen de Banque Centrale (SEBC) et de la Banque Centrale
Européenne (BCE). L'Institut Monétaire Européen a aussi été crée et ses activités débuteront en
325
Intégration régionale comparée
1994 afin de coordonner les politiques monétaires pendant la période de transition.
3. Définir, concevoir et gérer une politique monétaire et une politique de change unique par
rapport au reste du monde. Cela permettra de maintenir la stabilité des prix au sein de l'Union
Economique et Monétaire Européenne (UEME).
TABLEAU N°6
LES CRITERES DE CONVERGENCE DE MAASTRICHT
STABILITE DES PRIX ET CONVERGENCE A LONG TERME
Taux d'inflation ne dépassant pas de plus de 1,5 point le taux moyen des trois pays membres de
l'UE ayant les plus faibles taux d'inflation
Taux d'intérêt à long terme n'excédant pas de plus de 2 points le taux moyen des trois pays
membres ayant les plus faibles taux d’inflation
PRINCIPE DE STABILITE DU TAUX DE CHANGE
Deux années de participation au SME à marges normales, sans tensions ni réalignement
CONTAINTES PORTANT SUR LES FINANCES PUBLIQUES
Déficit public inférieur à 3% du PIB
Endettement public inférieur à 60% du PIB
CONCLUSION : LA VIABILITE DE L’HARMONISATION DES
POLITIQUES ECONOMIQUES DANS LE MERCOSUR
Compte tenu des limites auxquelles se heurtent actuellement les pays du
Mercosur, il paraît pertinent d’envisager pour eux un dispositif similaire à celui
326
La coordination des politiques monétaires au sein du Mercosur : les enseignements du
modèle Européen d’intégration régionale
constitué du SME et du Traité de Maastricht. Toutefois, les objectifs de
monnaie unique et de banque centrale commune en seraient pour l’instant
écartés. En outre, le processus d’harmonisation des politiques devrait être
intensifié, afin d’éviter que chaque pays, ne considérant que ses propres
intérêts à court terme, ne puisse mettre en péril la cohésion, chèrement acquise,
de la région.
Différentes options peuvent être envisagées. Au préalable, il faut
s’assurer que chaque pays sera à même de promouvoir une politique
temporellement cohérente et crédible en termes d’anticipations. Tant que tel
n’est pas effectivement le cas pendant un certain temps, peu de progrès peuvent
être envisagés en matière d’harmonisation.
Chacun des pays membre du Mercosur devrait étudier les différentes
possibilités suivantes :
a. l’adoption, en premier lieu, d’un régime de changes fixes, qui
serait ancré, non sur le dollar, mais sur un panier de monnaies, représentatif du
commerce extérieur de chaque pays. Ce système n’a rien d’optimal et possède
ses
propres inconvénients, mais il constitue un type d’engagement
relativement acceptable (une sorte d’optimum de second rang). Il aurait
vocation à être en vigueur pendant une période exploratoire limitée, jusqu’à ce
que d’autres critères de convergence puissent être adoptés.
b. L’adoption de critères de convergence (inspirés du Traité de
Maastricht), afin de disposer de lignes de conduites claires. Sur ces bases, une
modification du régime de change pourrait être envisagée. Le moment
opportun doit en être arrêté de façon consensuelle, surtout si les parités en
vigueur doivent s’en trouver substantiellement modifiées.
c. L’extension du champ de compétences du groupe de pilotage
macro-économique, récemment institué. De nouvelles tâches et davantage de
327
Intégration régionale comparée
pouvoirs devraient lui être confiés, afin qu’il devienne une instance permanente
de consultations inter-gouvernementales. Il pourrait permettre de progresser sur
la question du régime de change (l’ancrage sur un panier de monnaies) et sur le
suivi de certaines variables-clefs (déficit budgétaire, dette extérieure, taux
d’intérêt) appelées à devenir des critères de convergence, à l’instar de ceux
prévus par le Traité de Maastricht. A terme devrait être créée une instance
ayant le pouvoir de sanctionner les pays au comportement déviant.
Si les conditions précédentes étaient remplies, il serait nettement plus
aisé de parvenir à une coordination des politiques monétaires. Pour parvenir à
ce stade, l’Europe communautaire a connu de nombreux débats, tant théoriques
que pratiques, principalement entre 1979 et 1991 (cf. tableau 4). Au vu de son
évolution ultérieure, et sans nier certaines difficultés, l’UE offre une
contribution majeure en vue d’une mise en œuvre effective de politiques
monétaires coordonnées dans le Mercosur.
NOTES
1
De 1991 à 1997, le commerce extérieur total en volume (exportations et importations) a cru
au taux annuel de 14,5 %, atteignant 179,93 millions de dollars, tandis que le taux de croissance
du commerce interne au Mercosur atteignait 26,2 %. Celui-ci a atteint un sommet en 1997, à
41,4 millions de dollars – soit 23 % du commerce extérieur global en volume. Ces chiffres ont
fait du Mercosur une des régions les plus actives en termes d’évolution du commerce extérieur.
Depuis 1997, les flux ont légèrement décru, en raison des crises asiatique et russe.
L’impact de ces crises successives a conduit certains pays membres, en particulier le Brésil, à
s’écarter de l’esprit du Traité d’Asuncion.
2 S’agissant de la coordination des politiques budgétaires, il faut tenir compte :
a. de l’existence de problèmes structurels au sein des pays membres ;
b. du fait que les systèmes fiscaux sont relativement inefficaces ;
c. des conflits de juridiction au sein des Etats fédéraux. Ceux-ci se produisent d’ordinaire
entre les provinces (ou Etats fédérés) et le pouvoir central ;
d. la nécessité d’assurer la solvabilité du secteur public (point fréquemment pris en compte
par le FMI ) en vue de limiter le risque-pays.
e. La nécessité de compenser les dépenses du secteur public. Ce secteur a tendance à se
comporter de façon pro-cyclique dans le Mercosur.
3 Il faut également envisager un régime apparenté aux changes fixes : le crawling peg. Obstfeld
et Rogoff ([1995] et [1998]) invitent à ne pas surestimer les mérites des changes fixes.
328
La coordination des politiques monétaires au sein du Mercosur : les enseignements du
modèle Européen d’intégration régionale
BIBLIOGRAPHIE
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330
Instabilité, commerce et coordination des politiques macro-économiques dans le
Mercosur : quel rôle pour l'Union européenne?
Instabilité, commerce et coordination des politiques macroéconomiques dans le Mercosur : quel rôle pour l'Union
européenne?
Paolo Giordano ∗
Chaire Mercosur et Groupe d'Economie Mondiale
Institut d'Etudes Politiques de Paris
[email protected]
∗ Economiste, Coordinateur du Groupe de Suivi des négociations UEMercosur de la Chaire Mercosur. L’auteur tient à remercier Robert Devlin,
Antoni Estevadeordal et particulièrement Josefina Monteagudo pour les
nombreuses conversations sur le sujet. Les points de vue exprimés ici
n’engagent cependant que l’Auteur.
INTRODUCTION
Le processus d'intégration dans le Mercosur naît des programmes de
coopération sectorielle bilatéraux établis entre l'Argentine et le Brésil à partir
de 1985. Le projet s'étend et acquiert une dimension proprement régionale
avec la signature du Traité d'Asunción qui institue le Mercosur en 1991. En
signant ce Traité programmatique, les gouvernements entendent construire
dans le long terme un Marché Commun assorti d'instruments pour la
coordination des politiques macroéconomiques (Tratado de Asunción, 1991 :
Article 1). Entre 1991 et 1995, le commerce intra-régional est libéralisé en vue
de la formation de la Zone de Libre-Echange, en réalisant ainsi le premier pas
vers le Marché Commun. En décembre 1994, avec le Protocole d'Ouro Preto,
331
Intégration régionale comparée
les gouvernements de la région concluent les négociations sur l'instrument du
Tarif Extérieur Commun (TEC) : le deuxième pas en direction du Marché
Commun. A cette occasion, ils instituent un « Régime d’adéquation finale à
l’union douanière », mais aucune disposition en matière macroéconomique
n'est adoptée (1). En 1999, le régime d’adéquation arrive à son terme et le
Mercosur est secoué par la dévaluation du real brésilien. Le thème de la
coordination des politiques macroéconomiques réapparaît donc soudainement
dans l’agenda des décideurs.
Ce chapitre a pour objectif d’analyser les raisons qui ont conduit les
pays du Mercosur à replacer l’instrument de la coordination des politiques
macroéconomiques au sommet de l’agenda pour l’approfondissement du
processus d’intégration régionale. Il examine en particulier les stratégies
d’intégration adoptées par les pays de la région pour expliquer les raisons de
l’abandon de ce thème au cours des ans (Section 1). Puisque la crise du
Mercosur a coïncidé avec la crise financière internationale, il s’interroge sur la
relation qui existe entre intégration régionale et flux financiers internationaux
(Section 2). Il analyse ensuite le rôle du développement du commerce dans
l’approfondissement du processus d’intégration dans le Mercosur (Section 3) et
étudie l’impact de l’instabilité macroéconomique sur le commerce et
l’intégration régionale (Section 4). En conclusion le chapitre souligne comment
l’Union Européenne pourrait soutenir l’approfondissement du processus
d’intégration régionale dans le Mercosur en ce qui concerne la coordination des
politiques macro-économiques.
I- Stratégies d’intégration régionale dans le Mercosur
332
Instabilité, commerce et coordination des politiques macro-économiques dans le
Mercosur : quel rôle pour l'Union européenne?
Pour cerner les termes du débat sur la coordination des politiques
macroéconomiques, il convient de relire l'histoire de la négociation du
Mercosur et d’analyser les instruments des politiques d’intégration. En
distinguant trois phases, il est possible d’interpréter la logique qui a animé les
décideurs et les diplomates responsables des négociations ; pragmatique, puis
ambitieuse et enfin optimiste l’approche de l’intégration régionale a
sensiblement évolué depuis le lancement du Mercosur (Tableau 1).
Pendant la première phase argentino-brésilienne des années quatrevingt, les négociations ont été animées par une logique pragmatique. A partir
de la Déclaration d’Iguazú de 1985, l'intégration régionale a été fondée sur des
protocoles sectoriels qui avaient le double objectif de développer un commerce
intra-sectoriel équilibré et de corriger la structure de la spécialisation
internationale en soutenant les secteurs à haute intensité de valeur ajoutée, en
particulier l’énergie, les biens de capitaux et l’automobile. Il s’agissait pour les
nouveaux gouvernements démocratiques des présidents Sarney et Alfonsín de
renforcer le climat de paix et de coexistence pacifique dans la région et de
soutenir le processus d’ouverture commerciale, tout en gérant les effets
d’ajustement structurel provoqués par l’ouverture.
Pendant la seconde phase, inaugurée en 1991, c'est par contre une
logique ambitieuse qui anime les négociateurs qui agissent sous le mandat
politique des quatre gouvernements de la région. L'objectif de long terme de la
politique d'intégration est la création du Marché Commun, à construire
progressivement par le biais de la libéralisation du commerce intra-régional
linéaire, automatique et irréversible de tout l’univers tarifaire (zone de libreéchange), l'adoption du TEC (union douanière), et la coordination des
politiques sectorielles et macroéconomiques (marché commun). D’une
approche sectorielle on passe ainsi à une approche globale (Dabène, 1995).
333
Intégration régionale comparée
Dans les premières réunions du Conseil et du Groupe Marché Commun (2), le
thème de la coordination des politiques macroéconomiques avait une place
aussi importante que les autres thèmes liés à l’accès au marché. Ainsi dans la
réunion de Las Leñas, en juin 1992, le Sous-groupe No.10 est chargé de
produire une « étude et des propositions pour éviter les répercussions
commerciales de l’instabilité monétaire » (Consejo Mercado Comun, 1992).
Cependant, dans les réunions successives qui préparent la signature du
Protocole de Ouro Preto, ce sont les aspects commerciaux qui dominent les
négociations. Car le but établi par les Présidents était celui de mettre en marche
à temps l’union douanière, qui voit ainsi le jour le 1er janvier 1995.
Dans la phase conclue par la dévaluation du real brésilien de 1999, c'est
par contre une logique optimiste qui a animé les négociateurs. Sur la base des
succès commerciaux du début des années quatre-vingt-dix, l'attention a été
centrée sur les instruments de politique commerciale, en particulier sur le
perfectionnement de l'union douanière. Pendant cette période, il s’agissait en
effet de consolider le Mercosur en le mettant à l’abri des pratiques nationales
qui menaçaient la libre circulation interne des marchandises et la gestion
commune de la politique commerciale face aux pays tiers. Les exceptions au
tarif extérieur commun et la négociation des régimes sectoriels spéciaux ont
donc été les thèmes dominants de l’agenda pour l’intégration. Par contre,
l’impact des politiques macroéconomiques sur la compétitivité prix ne
représentait pas une préoccupation pour les décideurs, car les politiques de
stabilisation ancrées sur le taux de change, adoptées en Argentine et au Brésil,
garantissaient la stabilité des prix relatifs.
Progressivement, à partir de 1991, et très clairement après 1995, les
dirigeants ont adopté une politique d'intégration qui a rendu le Mercosur
vulnérable aux chocs macroéconomiques exogènes. Les failles du projet
334
Instabilité, commerce et coordination des politiques macro-économiques dans le
Mercosur : quel rôle pour l'Union européenne?
d'intégration ont cependant été occultées par une conjoncture interne et
internationale favorable et par le développement sans précédent du commerce
intra-régional. Quand, en 1999, l'Argentine et le Brésil ont réagi de manière
asymétrique à la crise financière internationale, les faiblesses du Mercosur sont
apparues évidentes, et le processus d'intégration est entré en crise.
335
Pragmatique
Ambitieuse
Optimiste
Réaliste
1986 - 1991
1991 - 1995
1995 - 1999
2000 -
Source: Evaluation de l'Auteur
Logique
de
l'intégratio
n
Période
Instable
Abondante
Abondante
Peu abondante
Contrainte
macroéconomiqu
e
(liquidité
internationale)
Convergente
Divergente
Divergente
Aléatoire
Cycle
macroéconomiqu
e
336
Intégration
profonde
Intégration de
surface
Intégration
profonde
(libérale)
Intégration
profonde
(structuraliste)
Objectif
stratégique
Coordination
macroéconomi
que
Union
douanière
Union
douanière
Marché
commun
Protocoles
sectoriels
Négociations
Mercosur
Tableau 1 - Mercosur: Contrainte macroéconomique, logiques et objectifs de
l’intégration régionale
Intégration régionale comparée
Intégration régionale comparée
II- Stratégies d’intégration régionale et liquidité financière
internationale
Puisque l’élément détonateur de la crise du Mercosur a été la crise
financière internationale, il est nécessaire de s'interroger sur la relation qui existe
entre disponibilité internationale de flux financiers et dynamique d'intégration.
Bien que l'histoire économique de l'Amérique latine puisse être écrite en
analysant l’interaction entre la contrainte extérieure et les politiques de
développement (Bulmer Thomas, 1994), cette question n'a été abordée ni par la
littérature théorique sur l’intégration régionale, ni par celle empirique disponible
sur le Mercosur. Les seules remarquables exceptions étant les travaux de
Lavagna (2000).
Dans les années quatre-vingt, sous l'effet de la crise de la dette, les pays
latino-américains devaient affronter une situation de faible liquidité sur les
marchés financiers internationaux. Les gouvernements étaient forcés d'adopter
des politiques commerciales orientées vers l'accumulation de réserves en
monnaies fortes qu'ils destinaient aux pays créanciers. Dans tous les pays de la
région, le service de la dette (Graphique 1) imposait ainsi la réduction des
importations et le développement des exportations (Tableau 2) en vue
d’accumuler des surplus commerciaux. La recherche simultanée dans plusieurs
pays de surplus commerciaux est certainement un obstacle à la conclusion d'un
accord d'intégration régionale.
Intégration régionale comparée
Graphique 1 – Service de la dette total (en % des exportations de biens et
services, médianes régionales)
45
40
35
30
25
20
15
10
5
1980
1981
1982
1983
1984
1985
1986
1987
T ig e rs
1988
1989
1990
1991
1992
R e s t o f La t in A me ric a
1993
1994
1995
1996
1997
M e rc o s u r
Source : World Bank, World Development Indicator, 2000
Tableau 2 : Commerce et Produit Intérieur Brut (Taux de
croissance annuel moyen)
Importations de biens et
services
198589
2.9
6.9
6.8
Produit Intérieur Brut
199094
199598
198084
198589
199094
1995-98
198084
198589
199094
199598
3.6
8.6
3.6
5.1
4.9
8.8
2.0
3.6
1.7
2.7
11.6
14.3
4.8
7.8
12.3
13.4
11.3
6.8
8.1
8.6
5.6
-2.9
5.6
13.3
10.6
5.4
5.2
7.0
9.4
1.3
2.5
3.3
3.0
5.1
5.1
7.2
11.2
5.3
7.4
10.4
9.4
5.7
6.0
4.9
6.0
0.4
-0.6
2.1
6.6
-0.5
3.5
2.7
5.7
2.3
2.1
0.6
3.6
-1.3
-1.9
36.0
10.6
0.8
5.6
6.6
12.9
-0.1
-1.4
6.8
3.7
Brésil
-7.6
6.7
11.4
16.4
14.2
6.8
6.0
1.7
1.4
4.5
1.5
2.6
Paraguay
7.3
7.0
43.1
4.0
-3.9
17.2
10.0
10.9
3.9
4.1
2.9
2.0
Uruguay
-7.9
9.1
16.2
8.3
2.6
5.7
9.6
6.0
-2.8
3.9
4.3
3.3
Pays OCDE
(haut
revenu)
Asie de
l'Est &
Pacifique
Amérique
Latine &
Caraïbes
Asie du
Sud
Afrique
SubSaharienne
Argentine
1980-84
Exportations de biens et services
Source: World Bank, World Development Indicators, 2000
Les pays du Mercosur ont cependant adopté la logique d’intégration
338
1998
Instabilité, commerce et coordination des politiques macro-économiques dans le
Mercosur : quel rôle pour l'Union européenne?
définie comme pragmatique. Celle-ci permettait aux nouveaux gouvernements
démocratiques de maintenir le cap de la politique commerciale sur l'ouverture
tout en respectant la contrainte extérieure imposée par le service de la dette.
L'environnement caractérisé par la faible disponibilité de liquidité internationale
a ainsi incité les gouvernements de la région à structurer un nouveau paradigme
d'intégration régionale caractérisé par la mise en œuvre de politiques
d’intégration sectorielles.
La logique était effectivement pragmatique. Du coté des importations, les
préférences tarifaires octroyées aux partenaires régionaux permettaient
d'économiser des devises fortes par le biais de l'effet de détournement de
commerce qui stimule les importations régionales (payées en devises faibles) au
détriment de celles en provenance des pays développés (payées en devises
fortes). Du coté des exportations, l'objectif était celui de la modernisation des
structures de production pour s'insérer dans les marchés internationaux avec des
marchandises à haut contenu de valeur ajoutée. Les accords d'intégration
régionale associés à des politiques industrielles actives imposaient certes un coût
d'efficience, mais permettaient aussi la reconversion industrielle et la
modernisation. De surcroît, ils créaient un environnement attractif pour les
investisseurs étrangers, grâce à l'élargissement du marché (économies d'échelle)
et grâce à la rationalisation des structures productives (économies de
spécialisation transnationale).
Dans les années quatre-vingt-dix, les programmes de stabilisation
macroéconomique ont permis à l'Argentine et au Brésil de retrouver la crédibilité
sur les marchés internationaux de capitaux. Les conditions de financement
extérieur se sont améliorées grâce aux massifs investissements directs étrangers,
mais aussi grâce à une nouvelle vague d'investissements de portefeuille (CEPAL,
339
Intégration régionale comparée
1999). La disponibilité de liquidité internationale a contribué à la transformation
de la stratégie d'intégration régionale.
L'entrée de capitaux a provoqué l'appréciation du taux de change réel, qui
a rendu les exportations locales peu compétitives sur les marchés internationaux,
a stimulé les importations depuis les pays occidentaux et a déterminé des
déséquilibres croissants de la balance commerciale. La possibilité de financer les
déficits commerciaux à bas coût a aussi réduit les incitations à adopter des
politiques d’intégration régionale impliquant le détournement de commerce.
La disponibilité de liquidité internationale a en particulier rendu
politiquement acceptables les déficits commerciaux entre partenaires du
Mercosur. Le déficit de l'Argentine envers le Brésil, apparu après le lancement
du Plan de Convertibilité, n'aurait sans doute pas été accepté en l'absence de
conditions financières extérieures favorables et d'une phase de croissance de
l'économie. La même situation s'est vérifiée en 1994-1995 quand le Brésil
stabilise l'économie avec le Plan réal et renoue avec la croissance alors que les
prix relatifs deviennent favorables pour l'Argentine, qui entre en récession à la
suite de la contagion de la crise financière mexicaine. C'est alors le Brésil qui
subit le déficit commercial bilatéral et qui soutient l'augmentation de l'intensité
du commerce régional (Giordano, 1999).
La mutation des conditions de financement sur les marchés
internationaux de capitaux a donc modifié les stratégies et les instruments des
politiques d’intégration. Dans un contexte de disponibilité de liquidité
internationale, l’objectif principal de ces politiques devient l’expansion du
commerce multilatéral et régional. L’accroissement des flux commerciaux intrarégionaux permettant de surcroît un approfondissement dynamique du processus
d’intégration, au fur et à mesure qu’augmente la concurrence entre partenaires
340
Instabilité, commerce et coordination des politiques macro-économiques dans le
Mercosur : quel rôle pour l'Union européenne?
régionaux.
III- Nouveau régionalisme, concurrence et interdépendance commerciale
Le changement des politiques d’intégration s’inscrit dans le cadre de
l’adoption du paradigme du régionalisme ouvert (CEPAL, 1994) qui rompt avec
les tentatives intégrationnistes du passé (Giordano, 2000). Ce nouveau
régionalisme est intimement lié aux processus de réformes structurelles : il a
entre autres aidé les pays à ouvrir leurs économies, à verrouiller les réformes, à
moderniser les institutions, à attirer les investissements directs étrangers et à
préparer les pays membres à affronter la concurrence internationale et la
mondialisation (Ethier, 1998 ; Fernandez et Portes, 1998 ; Devlin et
Estevadeordal, 2000).
Malgré certaines exceptions sectorielles et nationales, les pays de la
région ont sensiblement libéralisé le commerce intra-régional et multilatéral. Le
tarif moyen appliqué aux pays tiers est passé de 41% en 1986 à 12%. La réponse
en terme d’expansion des flux commerciaux a été remarquable : entre 1990 et
1997, les exportations et les importations ont crû respectivement de 9% et de
19% par an, et le commerce intra-régional a connu des taux de croissance
supérieurs à la moyenne (25%). Comme résultat de ce dynamisme commercial,
le niveau de l'interdépendance régionale, mesuré par le rapport entre commerce
intra-régional et commerce total, est passé de 9% en 1990 à 25% en 1998 (IDB,
1999).
La formation du Mercosur a été jugée positivement par les investisseurs
étrangers qui ont dirigé des flux croissants d'investissements directs vers la
région. Entre 1990 et 1998, l'Argentine et le Brésil ont reçu des flux nets
d'investissements directs étrangers pour une valeur d'environ 60 et 110 milliards
341
Intégration régionale comparée
de dollars, respectivement. L’intérêt renouvelé des investisseurs pour la région
doit certainement être mis en relation avec la stabilisation macroéconomique,
atteinte en Argentine en 1991 et au Brésil en 1994, et avec les privatisations de
l'appareil productif public construit pendant la période de substitution des
importations. Mais des recherches spécifiques sur la stratégie des investisseurs
indiquent que la formation de l’espace économique régional intégré est l'une des
motivations principales qui les ont conduits à investir dans les pays du Mercosur
(Giordano et Santiso, 1999).
Cette extraordinaire période de succès s'essouffle seulement en 1998.
Pour la première fois depuis la création du Mercosur, le commerce régional
fléchit à cause du ralentissement de la croissance argentine et brésilienne et les
exportations intra-régionales diminuent de 2% par rapport à l'année précédente.
Dans un premier temps, ce retournement de conjoncture n'a pas été remarqué car
les exportations vers le reste du monde ont diminué encore plus rapidement (3%) et le niveau d'interdépendance entre les pays du bloc a continué à croître en
passant de 24,8% en 1997 à 25,1% en 1998. De plus, l'inversion de tendance
commerciale n'a pas eu d'effets négatifs sur les investissements directs étrangers
(IDE). En 1999, les IDE ont été multipliés pas trois par rapport à l'année
précédente en Argentine (21 milliards de dollars) et ils sont restés stables au
niveau record de 30 milliards de dollars au Brésil (CEPAL, 1999).
Ces extraordinaires succès commerciaux du Mercosur ont permis
l’approfondissement endogène du processus d’intégration, mais ils en ont aussi
masqué les faiblesses. En effet, l’augmentation de la concurrence régionale et de
l’interdépendance
commerciale
ont
contribué
dynamiquement
à
l’approfondissement du Mercosur : la libéralisation du commerce intra-régional a
engendré la demande pour l’harmonisation de la politique commerciale face aux
342
Instabilité, commerce et coordination des politiques macro-économiques dans le
Mercosur : quel rôle pour l'Union européenne?
pays tiers, alors que la consolidation du marché régional intégré a engendré la
demande pour la création d’un mécanisme de solution des différends efficace
(Devlin et al., 2000). Mais ce rôle catalytique du commerce a été surestimé du
fait de n’avoir pas considéré l’environnement macroéconomique dans lequel le
commerce se développait.
Dans un marché régional qui s’intègre progressivement grâce à
l’élimination des barrières tarifaires et non tarifaires, les exportations nationales
dépendent de plus en plus du cycle macroéconomique des pays partenaires
(Heyman et Navajas, 1998). Si les partenaires régionaux ont un cycle
asynchronisé, le commerce est anticyclique, fonctionne comme un stabilisateur
automatique de la conjoncture et devient désirable du point de vue politique.
Alors que, si les cycles sont synchronisés, le commerce est pro-cyclique et les
gouvernements tentent de minimiser cet effet en adoptant des politiques
commerciales restrictives. Dans les grands pays du Mercosur, le cycle
macroéconomique a été faiblement corrélé pendant la phase pragmatique, très
fortement a-synchronisé pendant la phase ambitieuse et très fortement
synchronisé pendant la phase optimiste (Tableau 3) ; la synchronisation de 19911995 étant due principalement au décalage temporel de l’adoption des plans de
stabilisation en Argentine et au Brésil. L’expansion du commerce et
l’approfondissement dynamique du processus d’intégration dans le Mercosur
s’explique donc en partie par cette configuration exogène des cycles
macroéconomiques.
Tableau 3 – Coefficient de corrélation entre les taux de croissance du PIB
entre partenaires régionaux selectionnés
343
Intégration régionale comparée
1980-98
1980-85
1986-90
1991-95
1996-98
0.5
-0.5
0.2
0.6
1.0
-0.1
-0.1
-0.4
-0.3
1.0
Communauté Andine
(Colombie – Vénezuela)
0.2
0.1
0.6
-0.9
0.8
Mercosur
(Argentine – Brésil)
0.1
0.1
0.6
-0.7
0.9
Union européenne
(France – Allemagne) 1
ALENA
(Etats Unis – Méxique)
Note: 1 Pour éliminer l'effet distorsif de la réunification allemande, l'année 1991 a été éliminée.
Source: World Bank, World Development Indicators, 2000; Calculs de l'Auteur
En synthétisant, pendant les années quatre-vingt-dix, la disponibilité de
liquidité financière, associée à l’asynchronisme des cycles macroéconomiques et
à l’expansion du commerce intra-régional, a conduit les pays du Mercosur à
changer la stratégie d’intégration, à concentrer les efforts sur la libéralisation
commerciale et à laisser de côté les thèmes de la coordination des politiques
macroéconomiques. Ce glissement dans les objectifs stratégiques du Mercosur a
rendu le bloc vulnérable face aux chocs externes. La vulnérabilité est cependant
restée latente jusqu'à ce que le régime transitoire d'adéquation qui protégeait les
secteurs sensibles soit encore en vigueur, les cycles économiques restaient
asynchrones
et
les
forts
déficits
commerciaux
étaient
soutenables
économiquement et politiquement. Les faiblesses du projet d’intégration sont
apparues en 1999 quand l'Argentine et le Brésil ont répondu de manière
asymétrique à la crise de liquidité internationale. La dévaluation nominale de la
monnaie brésilienne a fait monter des fortes pressions protectionnistes en
Argentine et a inauguré une saison de conflits diplomatiques au sein du
Mercosur (IDB-INTAL, 2000).
IV-Instabilité macroéconomique, commerce et intégration régionale
La question de la coordination des politiques macroéconomiques est donc
344
Instabilité, commerce et coordination des politiques macro-économiques dans le
Mercosur : quel rôle pour l'Union européenne?
devenue un thème prioritaire de l'agenda pour la relance du Mercosur. Les
Présidents de la région réunis lors du Conseil du Marché Commun ont décidé
que “les Ministres de l’Economie et les Présidents des Banques centrales […]
avancent [ …] dans l’identification et l’établissement des instruments nécessaires
pour l’accomplissement de l’Article 1 du Traité d’Asunción en ce qui concerne
le coordination des politiques macroéconomiques” (Consejo Mercado Común,
1999). Plusieurs travaux ont déjà traité la question de la convergence
macroéconomique dans le Mercosur en l’abordant depuis plusieurs points de vue
(Lavagna et Giambiagi, 1998 ; Eichengreen, 1998 ; Giambiagi, 1999 ; Fanelli,
2000 et Zahler, 2000), y compris celui de la dollarisation (Calvo, 2000a et
2000b).
L’exposé qui suit propose une contribution empirique à cette littérature
en étudiant l’impact de l’instabilité macroéconomique sur le commerce. Cette
approche se justifie par le constat que l’augmentation du niveau de concurrence
dans un marché intégré engendre la demande pour la coopération régionale dans
le contrôle d’un nombre croissant de facteurs qui affectent la compétitivité.
Puisque le Mercosur est aujourd’hui menacé par des altérations erratiques de la
compétitivité prix liées à l’instabilité macroéconomique, la question se pose de
savoir si les pays de la région sont des candidats souhaitables pour une union
monétaire (3). Or, l’optimalité de l’adoption d’un tel instrument d’intégration
peut être endogène : au fur et à mesure que l’interdépendance commerciale
augmente, la coordination des politiques macroéconomiques peut devenir un
choix optimal.
La considérable littérature sur les Zones Monétaires Optimales (ZMO)
résumée par Tavlas (1994), a traité la question de l’opportunité pour un pays de
participer à une union monétaire. Les contributions théoriques et empiriques sur
345
Intégration régionale comparée
le sujet ont souligné quatre types d’interdépendance entre partenaires régionaux
pour en évaluer l’optimalité : le niveau du commerce, la symétrie des chocs et
des cycles, le degré de mobilité du facteur travail, et l’éventuelle existence de
systèmes de transferts fiscaux. La désidérabilité d’une union monétaire augmente
70
60
50
40
30
20
10
0
European Unio n
NAFT A
1 980
Lat in Am erican
Int egrat ion
Associat ion
Andean Com m unit y
1 985
19 90
Cent ral Am erican
Com m on Market
M ercosur
19 95
Asean
1998
Source: World Bank, World Development Indicators,
avec le niveau de l’interdépendance entre les pays candidats. En étudiant les
deux premiers critères, Frankel et Rose (1996) ont récemment argumenté que les
critères pour une ZMO sont endogènes. Ceci implique qu’une zone monétaire
qui n’est pas optimale ex ante pourrait le devenir ex post, puisque l’augmentation
de l’interdépendance commerciale peut favoriser la croissance de la corrélation
des cycles entre pays partenaires. Cependant, il n’y a pas de consensus à ce sujet.
Par exemple, Eichengreen (1992) et Krugman (1993) ont argumenté que
l’intégration régionale détermine une spécialisation internationale selon les
avantages comparatifs. Donc, les chocs spécifiques à une industrie et à un pays
déterminé conduisent à la réduction de la corrélation du cycle économique.
Puisque la théorie est ambiguë, il s’agit d’une question empirique qui doit
346
Instabilité, commerce et coordination des politiques macro-économiques dans le
Mercosur : quel rôle pour l'Union européenne?
être résolue au cas par cas. L’impact de l’intégration commerciale sur la symétrie
du cycle macroéconomique dépend principalement du type de commerce que les
partenaires entretiennent entre eux (inter- ou intra-industriel) et du type de chocs
qui affectent les économies (choc d’offre ou de demande) (4). Certaines études
empiriques suggèrent que, dans les pays du Mercosur, le cycle macroéconomique
sera de plus en plus corrélé dans le futur. En effet, d’une part, le commerce intraindustriel à une place croissante dans le commerce intra-régional, d’autre part,
les économies du Mercosur sont de plus en plus sujettes à des chocs symétriques,
comme ceux dérivant de l’instabilité financière internationale (Fanelli, 2000).
Il est donc probable que l’augmentation de l’interdépendance
commerciale rende endogènement optimale la convergence des politiques
macroéconomiques et l’union monétaire. Un programme de coordination des
politiques macroéconomiques orienté vers l’approfondissement du processus
d’intégration devrait donc minimiser l’impact de l’instabilité sur le commerce. Il
s’agit donc de déterminer quelle est la relation entre instabilité
macroéconomique, commerce et intégration régionale dans le Mercosur.
IV-1 Instabilité macroéconomique dans le Mercosur : faits stylisés
A première vue, l’expérience latino-américaine montre que, au début des années
1980, la crise de la dette et l’instabilité qu’elle a engendrée a eu un effet dépressif sur le
commerce intra-régional (Graphique 2). Bien qu’intuitivement justifiable, la relation
négative entre instabilité macroéconomique et commerce est toutefois sujette à une
controverse théorique et empirique résumée par Mc Kenzie (1999). Cependant,
l’estimation économétrique conduite avec un modèle de gravité sur un vaste échantillon
de pays développés et en développement confirme que l’instabilité a un impact négatif
sur le commerce bilatéral, en particulier sur celui entre pays en développement
347
Intégration régionale comparée
(Estevadeordal et al, 2000). Il convient dès lors d’analyser systématiquement les sources
de l’instabilité dans les pays du Mercosur et d’en évaluer empiriquement l’impact sur le
commerce. Graphique 2 – Exportations intra-régionales (% des exportations of totales)
L’instabilité macroéconomique qui affecte le commerce peut être de
nature externe quand elle est déterminée par les fluctuations des marchés
internationaux de biens et de capitaux ou de nature interne quand elle est
déterminée par la conduite erratique des politiques macroéconomiques.
Les perturbations de l’économie réelle transmises par les marchés
internationaux de marchandises peuvent être analysées par le biais de la volatilité
des termes de l’échange. La vulnérabilité des économies à la volatilité des termes
de l’échange dépend principalement de la composition par produits du commerce
et du degré d’ouverture. En effet, si le commerce est concentré sur un nombre
réduit de biens primaires, la volatilité des prix internationaux des marchandises
se traduit par la volatilité des termes de l’échange des pays. La comparaison de la
composition des exportations dans le Mercosur et dans d’autres régions du
Monde montre que les pays du Cône Sud sont encore dépendants de
l’exportation de produits à faible teneur de valeur ajoutée, ce qui les expose à
cette source de volatilité (Graphique 3). La formation du Mercosur a cependant
permis de réduire la part des produits primaires dans les exportations totales et
de réduire cette vulnérabilité.
Graphique 3 - Composition par produit des exportations (% des exportations totales de
biens)
348
Asie de l'Este et Pacifique
100%
80%
60%
40%
20%
0%
Instabilité, commerce
et coordination
des politiques
macro-économiques dans le
1980
1985
1990
1995
1997
Mercosur : quel rôle pour l'Union européenne?
Argentine
Brésil
100%
100%
80%
80%
60%
60%
40%
40%
20%
20%
0%
0%
1980
1985
1990
1995
1997
1980
1985
1990
1995
1997
1995
1997
Uruguay
Paraguay
100%
100%
80%
60%
80%
60%
40%
20%
40%
20%
0%
0%
1980
1985
1990
1995
1980
1997
Matières premières agricoles
Pétrole
1985
Or et métaux
100%
Aliments
0%
1980
1985
1990
Produits manufacturés
Source: World Bank. World Development Indicators (2000).
349
1995
1997
1990
Intégration régionale comparée
Mais l’impact de la volatilité des termes de l’échange dépend du degré
d’ouverture des économies au commerce international. L’effet combiné de la
volatilité des termes de l’échange et de l’ouverture est résumé par une variable
appelée volatilité des chocs des termes de l’échange (5). Le Graphique 4 indique
que dans les pays du Mercosur cette source d’instabilité a été réduite depuis la
formation du marché régional intégré. Cependant, au fur et à mesure que la
libéralisation commerciale continuera à faire augmenter le niveau du coefficient
d’ouverture, les perturbations sur les marchés de biens auront un impact de plus
en plus important, à moins qu’elles ne soient compensées par un degré suffisant
de diversification des exportations.
Graphique 4 – Volatilité des termes de l'échange
4 .5
4
3 .5
3
2 .5
2
1 .5
1
0 .5
0
D e v e lo p e d C o u n t r ie s
T ig e r s
L a t in A m e r ic a
1 9 7 0 s
1 9 8 0 s
M erco s u r
1 9 9 0 s
Source: World Bank World Development Indicators 2000;
350
Instabilité, commerce et coordination des politiques macro-économiques dans le
Mercosur : quel rôle pour l'Union européenne?
Graphique 5 – Flux de capital privé bruts (% du PIB)
3 0 .0 0
2 5 .0 0
2 0 .0 0
1 5 .0 0
1 0 .0 0
5 .0 0
0 .0 0
1980
1981
1982
1983
1984
1985
1986
D ev elo p e d co u n t ries
1987
1988
T iger s
1989
1990
1991
1992
1993
R es t o f L at in A m erica
1994
1995
1996
1997
1998
M er co s u r
Source: World Bank, World Development Indicators, 2000.
Comme il a été souligné dans les sections précédentes, les chocs
financiers provenant des marchés internationaux de capitaux ont un fort impact
sur les économies émergentes. L’instabilité des conditions de financement peut
être résumée par des indicateurs qui rendent compte du volume et du coût du
financement externe. Le Graphique 5 montre que le volume de flux de capitaux
privés vers le Mercosur a atteint un pic juste avant la crise de la dette (7% du
Pib) et a chuté pendant la « décennie perdue ». Il a cependant augmenté à
nouveau depuis une décennie après que les investisseurs étrangers aient récupéré
la confiance à la suite de l’adoption des programmes de stabilisation argentin
(1991) et brésilien (1994) qui ont sensiblement réduit le risque pays.
Cependant, depuis quelques années, le prix des capitaux étrangers a
351
Intégration régionale comparée
augmenté sensiblement, en particulier depuis que les pays du Mercosur ont été
atteints par la contagion de la crise du Tequila après 1995 (Graphique 6). Ces
simples indicateurs suffisent à montrer à quel point les pays de la région sont
aujourd’hui exposés aux fluctuations des marchés internationaux de capitaux.
D’autant plus que, du fait des programmes de libéralisation commerciale et
financière, ils ont sensiblement augmenté le déficit de compte courant des
balances des paiements (Graphique 7).
Graphique 6 – Taux d'intérêt moyen (%)
12
10
8
6
4
1980
1981
1982
1983
1984
1985
1986
1987
T igers
1988
1989
1990
1991
1992
1993
R es t o f L at in A m erica
1994
1995
1996
1997
1998
M erco s u r
Source: World Bank, Global Development Finance, 2000
Graphique 7 – Balance du compte courant (%)
15.00
10.00
Le Mercosur a aussi été exposé à l’instabilité dérivant de la gestion des
5.00
0.00
-5.00
-10.00
1980
198 1
19 82
1 983
1984
198 5
D ev elop ed C ount ries
19 86
1 987
198 9
352
1988
T igers
19 90
1 991
1992
1993
R es t o f Lat in A m erica
Source: World Bank, World Development Indicators, 2000.
19 94
1 995
1996
M ercos ur
1997
1998
Instabilité, commerce et coordination des politiques macro-économiques dans le
Mercosur : quel rôle pour l'Union européenne?
politiques monétaires et fiscales internes, qui bien évidemment ne sont pas
indépendantes des événements macroéconomiques extérieurs. Le Tableau 4
reporte des indicateurs de la volatilité (mesurée par la déviation standard) du
taux de croissance du déficit public, du taux de croissance de la base monétaire
et du taux d’inflation. Ces données montrent que le Mercosur a connu une
volatilité supérieure à celle constatée dans d’autres régions du monde.
Cependant, dans les dernières années considérées, celle-ci a été remarquablement
réduite, en particulier en ce qui concerne la politique monétaire.
Tableau 4 – Volatilité des politiques macroéconomiques (Déviation
standard)
Médiane régionale
1980-84
1985-89
1990-94
Moyenne régionale non pondérée
1995-98
1980-84
1985-89
1990-94
1995-98
Taux de croissance du déficit public
Pays développées
36.8
50.8
69.2
37.7
144.6
107.6
182.9
117.6
Tigres
84.8
176.1
109.2
112.4
99.0
178.3
122.1
199.5
Reste de l'Amérique Latine
75.9
86.6
181.7
70.1
226.7
3629.9
817.6
183.2
190.0
70.7
339.2
187.8
726.4
251.3
536.8
187.8
Mercosur
Taux de croissance de la base monétaire
Pays développées
Tigres
Reste de l'Amérique Latine
Mercosur
5.1
6.7
5.5
4.5
5.7
7.1
9.4
4.6
11.5
8.1
7.2
6.6
11.2
8.5
7.2
7.8
9.9
16.5
12.3
9.7
19.2
638.3
453.9
16.1
17.5
239.4
228.8
7.4
45.4
559.5
325.9
8.5
Taux d'inflation
Pays développées
2.8
1.4
1.2
0.6
3.6
1.8
1.8
0.8
Tigres
5.5
1.6
1.0
1.4
7.5
2.9
1.7
5.2
Reste de l'Amérique Latine
Mercosur
5.5
1.6
1.0
1.4
51.8
847.6
510.8
5.3
30.3
272.2
509.2
8.0
72.6
452.2
510.2
11.7
Note: Pays développés inclut Australie, Autriche, Belgique, Canada, Danemark, Finlande, France, Allemagne, Grece, Islande, Irlande, Italie, Japon, Luxembourg,
Pays Bas, Nouvelle Zélande, Norvège, Portugal, Espagne, Suède, Suisse, Royaume Uni et Etats Unis; Tigres inclut Indonesie, Korée, Malaisie, Philippines,
Singapour et Thaïlande; Reste de l'Amérique Latine inclut Bolivie, Chili, Colombie, Costa Rica, Equateur, El Salvador, Guatemala, Honduras, Mexique, Nicaragua,
Panama, Peru et Venezuela; Mercosur inclut Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay
Source: World Bank, World Development Indicators, 2000 et International Monetary Fund, International Financial Statistics,
2000; Calculs de l'Auteur
353
Intégration régionale comparée
Grand nombre de ces indicateurs sont résumés par l’évolution de la
volatilité du taux de change réel vis-à-vis du dollar américain. Cette variable
reflète la volatilité de la compétitivité prix internationale et elle est utilisée dans
de nombreux travaux pour évaluer l’impact de l’instabilité macroéconomique sur
le commerce. Le Graphique 8 indique que les pays du Mercosur ont dû affronter
des conditions de compétitivité prix particulièrement instables et donc
imprévisibles, alors que les pays asiatiques et les pays développés de l’OCDE
ont bénéficié d’un environnement plus stable et prévisible. Toutefois, depuis
quelques années, les pays du Mercosur avaient réduit la volatilité du taux de
change réel, mais la dévaluation du real brésilien (non reportée sur le graphique)
a sensiblement modifié la situation.
354
Instabilité, commerce et coordination des politiques macro-économiques dans le
Mercosur : quel rôle pour l'Union européenne?
Graphique 8 - Volatilité du Taux de change réel bilatéral contre le Dollar
(Déviation standard, Moyenne régionale pondérée par le PIB)
8
7
6
5
4
3
2
1
0
D ev elo p ed Co un t ries
1980-84
T igers
1985-89
L at in A m erica
1990-94
M erco sur
1995-98
Source: International Monetary Fund, International Financial Statistics, 2000;
Calculs de l'Auteur
Il est enfin intéressant de remarquer que dans les différentes régions du
monde l’instabilité du taux de change réel a été associée à une structure très
variée de la volatilité du taux de change nominal (Graphique 9). Tout
particulièrement en Asie, mais aussi dans les pays industrialisés, le taux de
change nominal a été beaucoup plus volatile qu’en Amérique latine et dans le
Mercosur. Ce qui suggère que les premiers ont utilisé le taux de change nominal
pour préserver la stabilité du taux de change réel et de la compétitivité. Alors
que, dans les pays du Mercosur, l’association de taux de change nominaux
relativement stables et d’une forte volatilité du taux d’inflation ont déterminé une
355
Intégration régionale comparée
forte volatilité du taux de change réel.
Graphique 9 – Volatilité du Taux de change nominal et réel bilatéral
contre le Dollar (Déviation standard)
Tigers
15.0
15.0
10.0
10.0
NER
NER
Developed Countries
5.0
0.0
5.0
0.0
0.0
5.0
10.0
15.0
20.0
0.0
5.0
10.0
RER
Latin America
20.0
15.0
20.0
Mercosur
15.0
15.0
10.0
10.0
NER
NER
15.0
RER
5.0
0.0
5.0
0.0
0.0
5.0
10.0
15.0
20.0
0.0
5.0
RER
10.0
RER
Note: Latin America inclut les pays du Mercosur
Source: International Monetary Fund, International Financial Statistics, 2000, Calculs de l'Auteur
Ces faits stylisés montrent comment l’Amérique latine, et le Mercosur
plus particulièrement, ont été caractérisés par une importante instabilité
macroéconomique. Pour évaluer l’impact de l’instabilité sur la performance
exportatrice des pays du Mercosur, une équation d’exportation a été estimée
économétriquement, en considérant l’impact de l’instabilité sur les exportations
totales et intra-régionales.
IV-2 Estimation de l’impact de l’instabilité sur la performance
exportatrice (6)
356
Instabilité, commerce et coordination des politiques macro-économiques dans le
Mercosur : quel rôle pour l'Union européenne?
L’impact de l’instabilité macroéconomique sur le comportement
exportateur des pays du Mercosur a été estimé en utilisant une fonction
d’exportation standard, dans laquelle ont été introduits plusieurs indicateurs
d’instabilité. Les déterminants fondamentaux du commerce sont la demande
réelle des pays partenaires, une mesure de la capacité productive domestique
(approchée par le niveau du PIB réel) et le niveau du taux de change réel, qui
reflète le niveau de la compétitivité prix. Le modèle a été estimé avec une
technique MCO sur une base de données contenant les données nationales
empilées (pooled)
Le modèle estimé pour les quatre pays du Mercosur est le suivant :
X it = δ 0 + δ 1Yitp + δ 2 Yith + δ 3 Pit + δ 4 S it + δ 5 D R + ε it
où : X = log des exportations réelles du pays i ;
it
Yitp
= log de la demande réelle des
pays partenaires du pays i approchée par le niveau du PIB ;
domestique ;
Pit
Yith
= log du PIB
= log du taux de change réel ; S = variables d’instabilité
it
macroéconomique, introduites une par une pour éviter les problèmes de
multicolinéarité ;
DR
= variables muettes qui appréhendent notamment
l’appartenance au Mercosur ;
ε it
= terme d’erreur. Le modèle est estimé pour les
exportations totales et intra-régionales. Les données sont annuelles et couvrent la
période 1971-1998. Les indicateurs de l’instabilité macroéconomique sont le
niveau et la volatilité du taux d’inflation, la volatilité du taux de change réel et
nominal vis-à-vis du dollar américain et la volatilité du taux de change réel
effectif régional vis-à-vis des partenaires du Mercosur (Giordano et Monteagudo,
2000).
L’analyse du comportement exportateur des pays du Mercosur a été
357
Intégration régionale comparée
concentrée sur la spécification des déterminants des exportations totales et intrarégionales pendant les années quatre-vingt-dix. Le Tableau 5 présente les
principaux résultats de l’estimation économétrique de l’équation basique. Il
montre que, tant au niveau du commerce total qu’à celui du commerce intrarégional, les réformes macroéconomiques et structurelles du début de la
décennie, appréhendées par le niveau du PIB réel domestique, ont été des
déterminants importants de la performance exportatrice.
Tableau 5 - Déterminants de la performance exportatrice des pays du
Mercosur (Estimations des élasticités de la régression MCO basique)
1971-98
Exportations
réelles totales
Taux de change réel effectif
multilatéral1
Capacité d'offre domestique
Demande du partenaire2
Taux de change réel effectif régional
3
Exportations
réelles
intra-régionales
Capacité d'offre domestique
Demande du partenaire4
Variable muette Mercosur
1970s
- 0.55
(-7.992)
0.81
(56.290)
0.78
(9.038)
**
- 0.25
(-
**
**
0.84
(40.53
***
**
0.60
(3.381)
***
- 0.20
(-2.028)
0.78
(26.577)
1.07
(10.393)
0.34
(3.576)
**
0.21
(1.229)
0.79
(17.54
**
**
**
0.75
(4.517)
..
***
***
1980s
1990s
- 0.83
(-6.478)
0.76
(21.166)
0.47
(1.577)
**
- 0.25
(-
*
**
0.83
(46.15
**
- 0.59
(-4.324)
0.48
(8.868)
0.49
(3.184)
..
**
**
(**
0.86
(28.23
**
**
1.50
(11.24
**
Notes: *** indique un niveau de significativité de 99%, ** de 95% and * de 90%.
Statistiques t entre parenthèses.
1 – Inclut tous les principaux partenaires commerciaux.
2 – PIB réel des pays OCDE et des autres pays du Mercosur.
3 – Inclut seulement les partenaires régionaux.
4 – PIB réel des autres pays du Mercosur.
Source: Giordano and Monteagudo (2000)
Dans le cas des exportations intra-régionales, le taux de change réel visà-vis des partenaires régionaux, et surtout la demande des partenaires, sont les
principaux déterminants du commerce. En effet, pendant les années quatre-vingt-
358
0.34
(0.496
- 0.54)
..
Instabilité, commerce et coordination des politiques macro-économiques dans le
Mercosur : quel rôle pour l'Union européenne?
dix, l’élasticité des exportations intra-régionales au taux de change réel est
supérieure à celle des exportations totales et l’élasticité à la demande des
partenaires est même supérieure à l’unité. Ces résultats indiquent que la gestion
du niveau du taux de change réel est l’une des variables cible les plus
importantes pour un éventuel système de coordination des politiques
macroéconomiques qui entende contribuer au développement du commerce
intra-régional. D’autre part, ils suggèrent aussi que le commerce intra-régional
est
en
train
de
devenir
un
vecteur
endogène
d’interdépendance
macroéconomique entre les pays de la région. La coopération dans la gestion des
politiques macroéconomiques pourrait donc aider à renforcer la croissance des
flux de commerce intra-régionaux.
L’analyse économétrique a ensuite abordé la question de l’impact de
l’instabilité macroéconomique sur le commerce. Le Tableau 6 reporte les
coefficients estimés après l’introduction des indicateurs de l’instabilité dans le
modèle. Il est important de souligner que les déterminants fondamentaux du
commerce restent stables après l’introduction des indicateurs d’instabilité, ce qui
confirme que les résultats sont robustes. Le premier indicateur utilisé est la
volatilité du taux de change réel effectif vis-à-vis des partenaires régionaux
(Giordano, 1999) (7). Cette variable a un effet négatif statistiquement significatif
sur le commerce intra-régional. Ceci suggère que, au fur et à mesure que le
marché régional s’intègre, le développement du commerce intra-régional peut
être soutenu par la réduction de l’incertitude dérivant de l’instabilité du taux de
change réel régional.
359
Intégration régionale comparée
Tableau 6 – Effet de l'instabilité macroéconomique sur la performance
commerciale intra-régionale des pays du Mercosur (Coefficients de
regression MCO)
1990's
Exportations réelles intra-régionales
Taux de change réel effectif régional1
- 0.54
(-4.356)
Capacité d'offre domestique
0.86
(28.238)
Demande du partenaire 2
1.50
(11.249)
Inflation
*
*
*
*
*
*
*
*
*
- 0.55
(-4.716)
0.85
(29.496
)
1.40
(10.438
)
-0.011
(-2.078)
*
*
*
*
*
*
*
*
*
*
*
- 0.49
(-4.693)
0.85
(32.798
)
1.35
(11.172
)
-0.331
(-3.670)
Volatilité de l'inflation
Volatilité du Taux de change réel effectif
régional3
*
*
*
*
*
*
*
*
*
- 0.50
(-4.268)
**
*
0.84
(27.793
)
1.40
(10.323
)
**
*
- 1.34
(-2.190)
**
**
*
- 0.43
(3.948)
0.82
(29.95
1)
1.24
(9.195
)
**
*
**
*
- 0.53
(5.239)
0.86
(34.41
0)
1.39
(12.27
8)
**
*
**
*
**
*
-1.674
(4.090)
Volatilité du Taux de change nominal contre le
US$ 3
Note: *** indique un niveau de significativité de 99%, ** de 95% and * de 90%.
Statistiques t entre parenthèses.
1 - Inclut seulement les partenaires commerciaux régionaux.
2 - PIB réel des autres pays du Mercosur.
3 – La volatilité est calculée comme la déviation standard de la différence première du logarithme naturel des
observations trimestrielles.
Source: Giordano and Monteagudo (2000).
Les exportations intra-régionales ont aussi été négativement affectées par
d’autres indicateurs d’instabilité. La raison pour l’inclusion d’indicateurs
alternatifs (bien que non indépendants) est que les agents économiques peuvent
réagir de façon différente à l’instabilité qui affecte différents indicateurs. Le
niveau d’inflation, ainsi que sa volatilité, et la volatilité du taux de change
nominal et réel vis-à-vis du dollar américain affectent négativement le commerce
intra-régional. Ces résultats montrent la nécessité de la stabilisation des
politiques macroéconomiques domestiques. En effet, l’incertitude liée au niveau
des prix domestiques affecte négativement le commerce intra-régional. Les
360
**
*
*
*
*
-3.881
(3.587)
Volatilité du Taux de change réel contre le US$3
**
*
**
*
Instabilité, commerce et coordination des politiques macro-économiques dans le
Mercosur : quel rôle pour l'Union européenne?
résultats concernant la volatilité du taux de change avec le dollar montrent que
l’incertitude sur la valeur de la monnaie nationale vis-à-vis d’une monnaie forte
de référence est un signal d’instabilité qui est aussi considéré comme négatif par
les exportateurs, y compris ceux orientés vers le marché.
CONCLUSION : Quel rôle pour l’Union Européenne ?
Il est donc possible de conclure que, puisque dans le contexte du
Nouveau régionalisme le commerce est un vecteur pour l’approfondissement
dynamique du processus d’intégration et que l’instabilité macroéconomique a un
impact négatif sur le commerce intra-régional, un programme de coordination
des politiques macroéconomiques dans le Mercosur pourrait contribuer à la
relance et à l’approfondissement du projet d’intégration.
Le Mercosur est actuellement engagé dans un processus de négociation
commerciale avec l’Union Européenne. Or, l’Union Européenne vient de réaliser
le passage à l’Euro, qui représente un fait inédit dans l’histoire moderne de
l’intégration régionale. La question se pose donc de savoir quel est le rôle que
peut jouer l’Union Européenne dans le processus de coordination des politiques
macro-économiques entre les pays du Mercosur. Bien entendu, il ne s’agit de
suggérer que des éventuels apports indirects, puisque toute décision sur
l’approfondissement du Mercosur ne relève que de la volonté souveraine des
Etats membres.
L’Accord d’Association que négocient depuis 1999 les pays du Mercosur
et de l’Union Européenne comprend trois volets : dialogue politique, coopération
commerciale et coopération technique (Chaire Mercosur, 2000a et 2000b). La
coopération entre les pays de l’Union Européenne et ceux du Mercosur sur
chaque un de ces trois volets pourrait indirectement favoriser la coordination des
361
Intégration régionale comparée
politiques macro-économiques entre pays du Mercosur et l’approfondissement
du projet d’intégration lui-même. Or, il est de l’intérêt de l’Union Européenne
que les pays du Mercosur approfondissent le processus d’intégration.
Les pays de l’Union Européenne et du Mercosur ont plusieurs points de
convergence en matière de politique intérieure et internationale qui pourraient
être développés au niveau du dialogue politique inter-régional, tels l’adoption de
systèmes démocratiques fondés sur le respect des droits de l’homme, l’aspiration
à la mise en place d’un système de gouvernance mondiale multipolaire et
l’adoption de systèmes d’intégration régionale. Les deux blocs d’intégration ont
un intérêt convergent dans la promotion de modèles d’intégration profonde qui
aillent au-delà d’une simple zone de libre-échange. L’ouverture des négociations
entre l’Union et le Mercosur est d’ailleurs un fait historique, puisque c’est la
première fois que deux Unions Douanières négocient un accord de libre-échange.
La coordination des politiques macroéconomiques est une étape fondamentale de
l’approfondissement de l’intégration régionale dans le Mercosur. Par le soutien
du processus de coordination des politiques macroéconomiques entre pays du
Mercosur, l’Union Européenne pourrait renforcer l’alliance entre les deux unions
douanières. Ceci lui permettrait de promouvoir un modèle de coopération
réciproque qui pourrait être répliqué avec d’autres pays en voie de
développement, eux-mêmes aujourd’hui en phase de redéfinir leurs rapports avec
l’Union.
Plusieurs incertitudes pèsent encore sur les négociations commerciales de
l’Accord d’Association, même si il a été argumenté que la libéralisation du
commerce entre les deux régions est une source de gains de bien-être réciproques
(Giordano, 2000). Au-delà des gains par l’échange, la conclusion d’un accord
commercial entre les deux régions pourrait aussi aider les pays du Mercosur à
362
Instabilité, commerce et coordination des politiques macro-économiques dans le
Mercosur : quel rôle pour l'Union européenne?
réduire l’instabilité macro-économique et donc à approfondir le processus
d’intégration. Il a été en effet remarqué que la diversification des exportations est
un moyen pour réduire la vulnérabilité aux chocs provenant des marchés
internationaux de marchandises. La réduction de l’escalade tarifaire qui
caractérise le système de protection de l’Union Européenne contribuerait au
développement des exportations de produits à haut contenu de valeur ajoutée et
réduirait la vulnérabilité des pays du Mercosur aux chocs sur les termes de
l’échange. Enfin, la libéralisation du commerce entre les deux régions
permettrait au Mercosur de résorber une partie de son déficit de balance
commerciale, ce qui réduirait aussi sa vulnérabilité aux chocs provenant des
marchés financiers internationaux. La conclusion des négociations commerciales
entre les deux régions pourrait donc contribuer indirectement à la stabilisation
macroéconomique des pays du Mercosur.
Enfin comme le démontre l’expérience européenne, le passage vers des
étapes supérieures du niveau d’intégration requiert une intense activité de
préparation du secteur public, du secteur privé et de la société civile. Une
coopération technique renouvelée entre pays de l’Union Européenne et du
Mercosur pourrait favoriser le transfert d’expertise d’une région à l’autre, en
matière d’approfondissement du processus d’intégration régionale en général et
en matière de coordination des politiques macroéconomiques en particulier. Il a
été argumenté que le Mercosur n’a pas l’histoire de l’Union Européenne et que
de ce fait le passage à des formes d’intégration plus complexes d’intégration
serait prématuré. Or, s’il n’y a pas de doute que certaines séquences dans la mise
en œuvre des politiques d’intégration doivent être obligatoirement respectées, il
est aussi vrai que le fait de disposer d’un exemple duquel s’inspirer peut
remarquablement servir pour accélérer un processus d’intégration (Giordano,
363
Intégration régionale comparée
Durand et Valladão, 2001).
Un engagement ferme et déterminé de la part de l’Union Europénne pour
faire avancer rapidement et sans entraves les négociations sur les trois volets de
l’Accord d’Association interrégional serait donc un moyen pour favoriser la
stabilité macro-économique et l’approfondissement de l’intégration régionale
dans le Mercosur.
NOTES
(1) Il convient de rappeler que la zone de libre-échange et l’union douanière sont encore
imparfaites puisque certains secteurs et certains pays jouissent encore aujourd’hui d’un
régime dérogatoire spécial.
(2) Le Conseil du Marché Commun est l’organe qui conduit la politique du processus
d’intégration, alors que le Groupe Marché Commun est l’organe exécutif. Celui-ci
travaille en sous-groupes qui à l’époque étaient : 1) Questions commerciales ; 2)
Questions douanières ; 3) Normes techniques ; 4) Politique fiscale et monétaire en
rapport avec le commerce ; 5) Transports terrestres ; 6) Transports maritimes ; 7)
Politique industrielle et technologique ; 8) Politique agricole ; 9) Politique de l'énergie ;
10) Coordination des politiques macroéconomiques.
(3) La coopération régionale en matière de coordination des politiques
macroéconomiques peut en effet être considérée du point de vue théorique comme une
étape intermédiaire avant l’adoption des instruments propres de l’union monétaire.
(4) Par exemple, si les chocs sont des chocs d’offre et si le commerce est intra-industriel,
les cycles sont alors corrélés.
(5) Celle-ci s’obtient en multipliant la déviation standard d’un index des termes de
l’échange par le coefficient d’ouverture de l’économie (Importations + Exportations /
PIB).
(6) Cette section reprend les résultats de la recherche conduite par Giordano et
Monteagudo (2000) tels que présentés par Devlin et al. (2000).
(7) La mesure de la volatilité est la différence première de la déviation standard du
logarithme naturel, calculée sur les observations trimestrielles du taux de change réel
effectif régional. Le schéma de pondération du taux de change réel effectif régional
considère la moyenne mobile sur quatre ans du rapport entre exportations intrarégionales et exportations totales.
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