INTEGRATION DE L’UNION EUROPEENNE ET EXPERIENCES DE REGIONALISME DANS LES PAYS EN DEVELOPPEMENT Actes des Ières Journées Internationales d’Etudes Jean Monnet Avril 2003 Sous la direction de Pascal Kauffmann, Professeur de Sciences Economiques et Bernard Yvars, Chaire Jean Monnet en Intégration régionale comparée, Maître de Conférences de Sciences Economiques à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV Intégration régionale comparée AVANT – PROPOS Jean-Pierre Lachaud, Professeur à l’Université Montesquieu-Bordeaux 4, Directeur du CED…………………………………………………… 5 INTRODUCTION Pascal Kauffmann et Bernard Yvars …………………………….......7 PREMIERE PARTIE : LES APPORTS JURIDIQUES ET INSTITUTIONNELS DE LA CONSTRUCTION EUROPEENNE…... 16 Le modèle européen de production du droit matériel, C. Horrut, Maître de conférences à l’Université Montesquieu-Bordeaux4 ………………………………………………………………………… 17 Les mécanismes juridiques d’intégration régionale en Afrique noire : une application originale du modèle européen, G. Fouda, Docteur en Droit, CERDRADI, Université Montesquieu-Bordeaux4 …………………………………………………………………………… 29 Le régionalisme transfrontalier : l’expérience de l’Union européenne pour l’Afrique postcoloniale à travers l’expérience de Borgu A. I. Asiwaju, Professeur à l’ Université de Lagos…………………59 2 Table des matières DEUXIEME PARTIE : LES LECONS DE L’INTEGRATION DES PROCESSUS PRODUCTIFS EUROPEENS…………………………….. 92 Intégration économique régionale et mécanismes compensatoires dans la Communauté de développement d’Afrique australe : quelles leçons de l’expérience européenne ? O. Cureau, CERSEI, Université Panthéon-Assas………………….93 L’intégration régionale dans l’UEMOA : les limites du modèle européen A. S. Claeys, CEAN, Bordeaux et A. Sindzingre , CEAN et CNRS, Paris…………………………………………………………………………………119 L’Union européenne et l’intégration des pays andins : l’accentuation des mécanismes concurrentiels H. Mazurek, chargé de recherche à l’ IRD, Lima………………163 L’Union européenne et le Mercosur : deux voies spécifiques d’intégration et d’insertion dans la mondialisation des activités B. Yvars, Maître de conférences à l’Université Montesquieu-Bordeaux 4 ………………………………………………………………………….. TROISIEME MONETAIRE PARTIE : LES EXPERIENCES ET DE EUROPEENNES D’UNIFICATION COORDINATION ECONOMIQUES………………………………………. 194 DES POLITIQUES 222 Les critères de commerce extérieur de la théorie des ZMO : risques comparés de la formation 3 Intégration régionale comparée d’unions monétaires (UEM, Argentine-Brésil, Argentine-Etats-Unis) J. Trotignon, Maître de conférences à l'Université Lyon III…… 223 La question du régime de change dans le Mercosur au regard de l’expérience européenne P. Kauffmann, Professeur à l’Université Montesquieu-Bordeaux …………………………………………………………………………………….. 4 239 La coordination des politiques monétaires au sein du Mercosur : les enseignements du modèle européen d’intégration régionale E. Seselovsky, Professeur à l’Université nationale de Rosario… 272 Instabilité, commerce et coordination des politiques macro-économiques dans le Mercosur : quel rôle pour l'Union européenne ? P. Giordano, Professeur à l’IEP de Paris (chaire Mercosur)…... 293 4 Avant-propos Avant-propos Professeur Jean-Pierre Lachaud, Directeur du Centre d'économie du développement La transition du monde actuel met en évidence la coexistence de progrès humains considérables et l'étendue croissante de la pauvreté. Ce contraste entre la globalisation de la prospérité et la globalisation de la pauvreté conduit à affirmer qu'il n'est pas, pour l'espèce humaine, de défi à relever aussi important que celui du développement. Sans aucun doute, la recherche de nouveaux paradigmes en la matière, exigeant une approche globale du développement qui accorde une plus grande importance aux aspects institutionnels et culturels, implique, en même temps, la prise en compte de l'évolution spécifique du contexte économique international, marquée par deux forces étroitement liées. D'une part, la globalisation de l'économie accentue l'interdépendance internationale, le rythme de l'intégration économique mondiale - intensification et élargissement des liens internationaux aux niveaux commercial et financier - s'étant accéléré au cours des deux dernières décennies. D'autre part, la résurgence du régionalisme, apparu il y a de nombreuses années en Europe de l'Ouest, est susceptible de conduire à une évolution quelque peu différente. En vérité, le régionalisme a probablement un rôle de catalyseur dans le processus de libéralisation globale, dans la mesure où il accroît l'ouverture vers l'extérieur et ébranle le protectionnisme national, et, de ce fait, représente plus un tremplin vers l'intégration mondiale qu'un obstacle. 5 Intégration régionale comparée Cette question constitue une dimension importante du programme de recherche 1999-2002 du Centre d'économie du développement -CED- de l'Université Montesquieu - Bordeaux IV, exécutée par le Groupe de recherche sur l'intégration économique et monétaire -GRIEM- dirigé par M. Bernard Yvars. Le présent ouvrage contribue à la mise en oeuvre de ce programme et rassemble plusieurs études - issues d'un colloque sur ce thème en octobre 2000 -, visant à expliciter les relations entre l'intégration européenne et le régionalisme dans les pays en développement. En précisant les apports juridiques et institutionnels de la construction européenne, en explicitant les leçons de l'intégration des processus productifs européens, et en examinant les expériences européennes d'unification monétaire et de coordination des politiques économiques, cet ouvrage souhaite contribuer, à travers les diagnostics établis, à mieux éclairer les gouvernements, les décideurs publics et privés, et les partenaires du développement dans l'élaboration des politiques. En même temps, l'ambition des analyses et des conclusions développées dans cette étude est de promouvoir les discussions et d'approfondir la recherche au sein de la communauté scientifique. Nous remercions M. Bernard Yvars, Maître de conférences, pour avoir suscité, organisé et participé à cette recherche. Nous témoignons également notre gratitude à l'égard des Professeurs Pascal Kauffmann et Jean-Claude Gautron pour leur coopération et leur contribution au succès de cette Journée d'Etude. 6 Intégration régionale comparée Introduction générale Pascal Kauffmann Bernard Yvars Université Montesquieu-Bordeaux IV La deuxième moitié du vingtième siècle apparaîtra sans doute, avec le recul du temps, comme ayant été « l’ère de l’intégration régionale » (pour reprendre l’expression d’Haberler [1964]). Ce processus, par lequel on désigne un rapprochement commercial, économique et institutionnel entre Etats, aura connu deux phases successives assez clairement identifiées. La première coïncide approximativement avec les années soixante, et voit en particulier la naissance de la Communauté économique européenne. La seconde trouve son origine dans l’accord de libre échange américano-canadien, ultérieurement étendu au Mexique pour former l’ALENA, et s’étend sur la décennie quatrevingt dix. Quel que soit le devenir – et nous l’imaginons volontiers très actif – de ce phénomène, sa genèse et ses fondements seront à rechercher dans le demi-siècle qui nous sépare de la fin de la seconde guerre mondiale. Au rang des multiples entités régionales ayant vu le jour au cours de cette période, la construction européenne occupe une place éminemment originale. Il n’est pas excessif d’affirmer qu’elle a engendré, tant dans le domaine strictement économique qu’en matière juridique et institutionnelle, une référence unique, et parfois même un modèle. Dès la première vague d’intégration régionale, au demeurant, le « marché commun » européen est source d’inspiration pour les pays en développement. Ces derniers chercheront, à travers des entreprises telles que l’Union des Etats de l’Afrique de l’Est, le Marché commun centre-américain, l’East African Community ou encore le Pacte Andin (pour s’en tenir à ces quelques exemples), à reproduire Intégration régionale comparée l’expérience communautaire de rapprochement entre voisins et – dans une certaine mesure - entre égaux. S’agissant de la dimension économique des processus de régionalisation, on ne peut s’empêcher de mettre en parallèle les avancées de l’analyse théorique, dans le sillage des travaux fondateurs de Viner [1950], et les progrès de l’intégration européenne. Les seconds ont régulièrement constitué le mobile empirique profond à l’origine des premières. Pour offrir deux illustrations de ces interactions qui soient à la fois récentes et significatives, il n’est que de se tourner vers deux étapes décisives franchies par l’Europe communautaire durant les dix dernières années. La première concerne la concrétisation du « grand marché intérieur » des biens, services et facteurs de production. Celle-ci stimula vivement, à partir du milieu des années quatre-vingt, les réflexions relatives, par exemple, aux effets de l’intensification de la concurrence ou de la taille des marchés sur les échanges entre pays partenaires. La coïncidence des travaux novateurs d’auteurs comme Krugman sur les « nouvelles théories » du commerce international, caractérisées par la prévalence de formes imparfaites de concurrence, et de l’approfondissement du marché unique européen, conduisirent à un véritable renouvellement de la théorie de l’intégration économique. Une deuxième illustration notoire de l’influence motrice de l’expérience européenne sur l’analyse économique concerne la théorie des zones monétaires optimales. Celle-ci naquit au début des années soixante, à partir des contributions fondatrices de Mundell [1961], McKinnon [1963] et ultérieurement Kenen [1969]. Nourrie de la controverse de l’époque entre partisans des changes fixes et avocats des changes flexibles, elle connut une 8 Introduction longue période de désuétude après l’effondrement du système de Bretton Woods, qui paraissait consacrer pour longtemps, dans les faits sinon sur le papier, la victoire des « flexibilistes » sur les « fixistes ». Ce furent bel et bien les velléités d’unification monétaire en Europe qui, à compter de la fin des années quatre-vingt, donnèrent à la théorie des zones monétaires optimales son second souffle. En particulier, les termes de l’analyse coûts-avantages des unions monétaires s’en sont trouvés profondément approfondis et enrichis, tandis que la problématique de la transition vers un régime de taux de change irrévocables se faisait jour. La construction européenne offre, par ailleurs, un édifice juridique et institutionnel sans aucun équivalent dans le monde. Le corpus théorique qu’est le droit communautaire constitue une illustration saisissante de cette singularité, qui s’écarte à la fois du droit international dans son acception usuelle, et du droit qu’ont pu produire les espaces véritablement fédéraux. Le processus intégrateur a été influencé par plusieurs courants théoriques et doctrinaux, notamment le fédéralisme, l’approche confédérale et une passerelle pragmatique entre ces deux formes d’organisation politico-sociale, le fonctionnalisme. Au regard des faits, cette voie intermédiaire a constitué un compromis efficace et opératoire entre la résistance confédérale des Etats et la volonté fédéraliste des traités européens. L'épineuse question de la supranationalité reste néanmoins posée de façon récurrente : doit-on s'appuyer sur des organismes de coopération, avec décision finale à une instance intergouvernementale, ou sur des organes indépendants des Etats membres, ou intergouvernementaux, prenant des décisions à la majorité simple ou qualifiée ? Le statut de référence incontournable acquis peu à peu par l’Union européenne tient également au fait que, sous des appellations diverses, cette 9 Intégration régionale comparée entité a gravi en moins de cinquante ans les principaux niveaux de l’échelle de l’intégration régionale. Tout d’abord zone de libre échange puis, très rapidement, union douanière dotée d’une politique commerciale commune, l’ancienne CEE s’est efforcée d’édifier un véritable marché intérieur unifié pour les biens, les services et les facteurs de production. Parvenue à ses fins au tournant des années quatre-vingt dix, elle aura ensuite marqué la dernière décennie du vingtième siècle à travers son projet d’unification monétaire, qui se concrétise sous nos yeux. L’UE en arrive alors, pour ainsi dire naturellement, à s’interroger à voix haute sur la teneur exacte des futurs stades de son édification qui, à un titre ou à un autre, seront fédéraux ou ne seront pas. Les mondes en développement ont donc eu – et ont plus encore aujourd’hui - toutes les raisons de s’inspirer du « modèle » européen d’intégration régionale. En effet, au delà des enseignements sans équivalent que livre l’expérience européenne, la constitution de blocs régionaux solides et cohérents apparaît comme une nécessité prégnante pour les pays émergents. Il est devenu un lieu commun d’affirmer que la mondialisation - avérée – des marchés, des processus productifs, voire des normes sociales elles-mêmes appelle, pour ceux qui souhaitent ne pas la subir passivement, un rapprochement sur une base régionale. Celui-ci est d’ores et déjà à l’œuvre. La question que soulève le présent ouvrage consiste à savoir dans quelle mesure la référence européenne peut éclairer utilement son avenir. Pour tenter d’offrir quelques éléments de réponse à cette interrogation, les contributions qui suivent sont organisées en trois grandes parties. La première s’intéresse aux apports juridiques et institutionnels de la construction européenne. C. Horrut examine ainsi le modèle européen de production du droit matériel. Soulignant sa portée en comparaison des traités 10 Introduction internationaux ordinaires, il insiste sur le fait qu’une telle édification n’a été possible – et ne serait imaginable ailleurs – que moyennant une culture juridique commune préalable sur l’espace concerné. G. Fouda propose, pour sa part, de mettre en parallèle les mécanismes juridiques d’intégration régionale en Europe et en Afrique noire. Il cherche en particulier à savoir dans quelle mesure les différences séparant les seconds des premiers – par exemple en termes de prédominance de l’inter-étatique sur le supranational - peuvent expliquer les difficultés inhérentes, sur le plan institutionnel, aux essais de rapprochements régionaux sur le continent africain. En s'appuyant sur une analyse historique, A.I. Asiwaju montre que la formation de territoires nationaux en Europe au XXe siècle et dans l'Afrique post-coloniale fait parfois apparaître des similitudes. Cependant, les solutions aux problèmes soulevés par l'existence de territoires aux frontières artificielles sont spécifiques. Les dispositions européennes telles que par exemple les accords de Schengen, ne sont pas applicables à une Afrique qui doit élaborer son propre dispositif régulateur, avec l'aide des organismes internationaux et de l'Union européenne. La deuxième partie du présent ouvrage fait de l’intégration des processus productifs son point focal. Les deux premières contributions qui le composent ont pour objet des entités régionales africaines, les deux suivantes étant consacrées au continent sud-américain. O. Cureau se penche, en premier lieu, sur le cas de la Communauté de développement d’Afrique australe (la SADC). Il s’attache, en particulier, aux mécanismes de redistribution des gains liés à l’intégration régionale entre pays partenaires, en s’appuyant notamment sur l’expérience des fonds structurels européens. En second lieu, A.S.Claeys et A.Sindzingre mettent en parallèle l’Union européenne et l’Union économique et monétaire ouest-africaine 11 Intégration régionale comparée (UEMOA). Tant l’histoire des deux entités que les schémas institutionnels et jusqu’à l’expérience d’intégration monétaire font l’objet de leurs investigations, dont il ressort clairement que le niveau de l’intégration productive (« réelle ») fait par trop défaut aux membres de l’UEMOA. Le Pacte Andin et le Mercosur sont sans conteste les deux blocs régionaux sud-américains les plus significatifs. S’agissant du premier, H. Mazurek n’hésite pas à stigmatiser la distance qui sépare encore la coupe des lèvres – les ambitions, pourtant trentenaires puisqu’elles datent de la « première vague » d’intégration régionale, n’ayant que trop fragmentairement été suivies d’effet. L’auteur considère notamment qu’un renforcement des mécanismes concurrentiels au sein même des pays membres du Pacte est un point de passage obligé sur la voie de l’approfondissement des relations économiques entre ces derniers. Le Mercosur, quoique plus récent que son voisin andin, n’en a pas moins vivement progressé sur la voie de l’intégration régionale depuis la signature du Traité d’Asuncion en 1990. Malgré les inquiétudes que fait nécessairement surgir la tournure récemment prise par la crise argentine, l’édification d’une véritable union douanière est en bonne voie, si bien que la mise en parallèle avec l’Union européenne est sans doute plus féconde encore ici qu’ailleurs. B.Yvars s’attache alors à faire la part du « transférable » et du « spécifique » dans l’expérience communautaire, et montre que, si le Mercosur peut continuer de s’inspirer substantiellement de la référence européenne en matière institutionnelle, les divergences et spécificités l’emportent assez nettement en matière d’intégration des processus productifs, et ce tant au sein de chaque entité que vis-à-vis du reste du monde. C’est précisément parce que le Mercosur occupe, d’ores et déjà, une position avancée sur l’échelle de l’intégration régionale, qu’on le retrouve tout 12 Introduction au long de la troisième et dernière partie de cet ouvrage. Celle-ci est consacrée aux enseignements de l’expérience européenne aux plans de l’unification monétaire et de la coordination des politiques économiques. Le caractère unique de l’UE atteint, en l’espèce, son point culminant, si bien que rares sont les espaces sur lesquels ces enseignements peuvent être dès aujourd’hui utilement projetés. Le Mercosur s’inscrit au rang de ces derniers, et ce avec d’autant plus d’acuité que ses dix premières années d’existence auront été empreintes d’instabilité macroéconomique et monétaire. La récente rupture du lien entre le peso argentin et le dollar ne fait, en effet, que s’ajouter aux perturbations dues à la dévaluation du real brésilien de 1999, elles-mêmes précédées par les ondes de choc des crises de change asiatique de 1997 (« l’effet saké ») et mexicaine de 1994 (« l’effet Tequila »). J.Trotignon s’intéresse, en premier lieu, aux deux principaux membres du Mercosur que sont le Brésil et l’Argentine, à la lueur de la théorie des zones monétaires optimales. Il montre en particulier qu’à l’aune des critères traditionnels d’optimalité, une éventuelle monnaie unique argentino-brésilienne serait plus pertinente que l’union monétaire de fait qui a longtemps uni l’Argentine et les Etats-Unis, à travers un régime de currency board. A cet égard, l’abandon de ce régime et de la convertibilité au taux de un pour un entre le peso et le dollar, par delà son caractère critique, est susceptible d’ouvrir des perspectives au plan de l’intégration monétaire régionale. Prolongeant ce type de réflexions, P.Kauffmann insiste sur le fait que l’intensification des liens « réels » entre partenaires d’un accord commercial rend de moins en moins opportun un régime de changes flexibles entre eux. Il tente alors de tirer, à destination des pays du Mercosur, les leçons des années quatre-vingt dix en Europe, caractérisées tout à la fois par les crises du système de change fixes 13 Intégration régionale comparée mais ajustables qu’était le SME, et par la transition conditionnelle vers un régime de parités irrévocables. Les deux dernières contributions de l’ouvrage sont plus spécifiquement dédiées à la question de la coordination des politiques économiques. Celle-ci occupe actuellement une place privilégiée dans l’agenda des pays membres du Mercosur, et ces derniers font très clairement de l’expérience européenne leur principale source d’inspiration. Comme le montre E. Seselovsky, ce sont en particulier les mécanismes de « l’ancien » SME d’une part, et le volet macroéconomique du Traité de Maastricht (notamment les critères de convergence), d’autre part, qui peuvent être utilement mobilisés pour tenter de bâtir un schéma pertinent de coordination des politiques monétaires et budgétaires au sein de cette zone. P. Giordano, enfin, examine, à la lueur des dix premières années de fonctionnement du Mercosur, les effets de l’instabilité macroéconomique sur l’intensification de l’intégration régionale. Il s’interroge sur la manière dont l’Union européenne pourrait contribuer à davantage de stabilité dans cette région du monde, ce qui pourrait passer par les termes judicieusement choisis de l’accord d’association dont discutent les deux entités depuis 1999. Bibliographie HABERLER,G. [1964], “Integration and growth in the world economy in historical perspectives “, American Economic Rewiew, vol. 54. KENEN, P. [1969], “ The Theory of optimal currency areas : an eclectic view”, in Mundell, R.A. et Swoboda, A.K. (eds), Monetary Problems of the International Economy, University of Chicago Press. McKINNON, R.I. [1963], “ Optimum currency areas”, American Economic Rewiew, vol. 53. MUNDELL, R.A. [1961], “ A Theory of optimum currency areas”, American Economic Rewiew, vol. 51. 14 Introduction VINER, J. [1950], The Customs Union Issue, Stevens & Sons. 15 Intégration régionale comparée PREMIERE PARTIE : LES APPORTS JURIDIQUES ET INSTITUTIONNELS DE LA CONSTRUCTION EUROPEENNE 16 Le modèle européen de production du Droit matériel Le modèle européen de production du Droit matériel Claude HORRUT Maître de conférences de Science politique à l'Université Montesqieu-Bordeaux IV INTRODUCTION On oublie souvent que dans le processus européen d'intégration régionale le Droit a eu un rôle d'accompagnement de tout premier ordre. Qu'eût été l'intégration sans une juridiction audacieuse et inventive pour fixer, dans les premières années d'application des Traités, le principe d'autonomie de l'ordre juridique communautaire, sa primauté sur les droits nationaux, son effet direct ? En termes non équivoques, la Cour de justice des Communautés européennes a rapidement précisé la portée du Droit produit par le processus d'intégration "à la différence des Traités internationaux ordinaires, le Traité a institué un ordre juridique propre intégré au système juridique des Etats membres lors de l'entrée en vigueur du Traité, et qui s'impose à leurs juridictions" (cf CJCE 15.07.64 Costa c/Enel 6/64 Rec p.1141). "Intégré et qui s'impose", ce sont les caractéristiques que le juge européen a fait prévaloir dans de nombreuses décisions (1). Si bien que la zone d'intégration régionale européenne a aujourd'hui un système juridique assez proche de celui d'un Etat fédéral. Cette situation ne s'explique que si on prend en compte trois facteurs (2). Le premier provient de la jurisprudence des Juges nationaux qui s'est alignée sur celle du Juge européen. Seul le Conseil d'Etat, en France, est resté longtemps réservé à l'égard de la primauté du Droit européen. Mais dans un arrêt de 1969, il finit par se ranger (CE Ass 20.10.89 Nicolon ; jurisprudence confirmée par CE 14.09.90 Boisdet). Le second facteur 17 Intégration régionale comparée est politique et vise le comportement des Etats membres. Il s'est rapidement établi, que lorsqu'un Etat adhère à l'Union européenne et aux Communautés, il s'aligne sur "l'égal respect par les Etats membres, de l'ordre juridique européen". L'intégration juridique européenne n'aurait pu être sans ce respect partagé du droit institué. Le troisième se trouve au niveau des peuples européens. L'ensemble des consultations qui sont intervenues dans la vie européenne-(cf D. J. Seiler, La vie politique des Européens, Economica, 1998)- a eu pour effet de légitimer un système juridique qui n'aurait pu être, sans cette onction du suffrage universel ; et la ratification du Traité de Maastricht, obtenue de justesse en France, a été un temps fort de l'intégration juridique Aujourd'hui, l'efficacité du système juridique européen est établie. Tout sujet de droit de l'Union, tout individu ou personne morale (entreprise, association, syndicat, collectivité publique) peut demander l'application des règles découlant du droit européen. La démarche juridique est double. La plus simple est de saisir le Juge national qui a compétence pour faire prévaloir le Droit européen sur le droit national. Un peu plus complexe est l'itinéraire européen. Le justiciable peut en effet faire valoir ses droits en saisissant les instances de l'Union. Il peut porter sa plainte devant la Commission européenne. Si le bien fondé est établi, la Commission contacte l'Etat membre concerné. Au vu des explications fournies, elle peut demander que soit mis fin au non-respect du droit. Si elle n'obtient pas satisfaction, la Commission peut engager un recours devant la Cour de Justice. Aux voies juridictionnelles, tant nationale qu'européenne, s'ajoutent des procédures non -juridictionnelles chargées de résoudre rapidement les litiges : la saisine du médiateur européen ou d'un député européen et enfin le droit que 18 Le modèle européen de production du Droit matériel tout un chacun a d'introduire une pétition devant le Parlement européen (3). Quand on s'interroge sur ce qui fait la force du droit européen, aujourd'hui (au sens où c'est un droit qui assure son effectivité) intervient en premier lieu la panoplie des recours qui donnent au justiciable tous moyens d'agir et de faire consacrer la primauté de l'état de Droit européen. Il est sûr de trouver, et c'est le second élément, une Cour de Justice compréhensive ; à interprétation téléologique disent les juristes. Mais n'est-ce pas, parce que les peuples sont unis par une même culture de respect du droit que le miracle de l'intégration juridique s'est produit ? A la question: "le modèle d'intégration juridique façonné par cinquante ans de construction européenne est-il exportable ?", nous serions alors tenté de répondre, que le préalable est, peut-être, l'existence d'une culture juridique, sur l'espace concerné, ce qui est une façon de se ranger sur l'adage qui fait des moeurs le préalable à l'effectivité du Droit (4). I- La panoplie des recours juridictionnels En vertu de l'article 164 du Traité CEE, la CJCE, Cour commune aux trois Communautés, doit assurer "le respect du droit dans l'interprétation et l'application du Traité". Sur le plan des compétences, la Cour est à la fois "juge constitutionnel" (dans un rapport aux Traités que l'on peut considérer comme une ébauche de constitution fédérale), juge international (dans le rapport au contentieux entre les Etats membres), juge administratif (puisque chargée du contentieux en annulation pour illégalité) et enfin juge de droit commun (dans son rapport aux particuliers) (5). Correspondent à cette vaste compétence une panoplie de recours, dont la lenteur est le seul défaut et l'aboutissement, des arrêts obligatoires et exécutoires - l'exécution ne posant pas de problèmes majeurs, contrairement à 19 Intégration régionale comparée d'autres ordres juridiques où elle en est la pierre d'achoppement. A - Le recours en annulation (art.173 CEE ; 146 CEEA ; 33 CECA) Dans un court délai (deux mois), il permet d'attaquer les actes décisoires du Conseil, de la Commission, du Parlement pour incompétence, vice de forme, violation de toute règle de droit relative à son application. Le recours en annulation est la transposition en contentieux européen du recours pour excès de pouvoir inventé par les juristes français pour s'assurer que les autorités politiques et administratives prennent leurs décisions et réglementent dans le respect du droit. B - Le recours en carence (art.175 CEE ; 148 CEEA ; 35 CECA) Il s'agit ici de la sanction de l'inaction du Conseil ou de la Commission. L'institution incriminée doit être "mise en demeure". Au terme d'une période de deux mois, si l'autorité concernée a gardé le silence, la Cour de Justice peut être saisie. Du point de vue du droit à agir, il est fait distinction entre : - les requérants privilégiés : Conseil, Commission, Etats membres, Parlements qui agissent sans condition d'intérêt ; - les requérants ordinaires : personnes physiques et personnes morales, qui ont à prouver leur intérêt à agir ; Sur le fond, l'objectif est le même : sanctionner la carence à édicter un acte, dès lors qu'une obligation du droit européen en commande l'édiction. C - Le recours en constatation de manquement (art.169 et 170 CERE ; 141 et 142 CEEA ; 88 CECA) Les conditions procédurières de ce recours sont différentes selon les 20 Le modèle européen de production du Droit matériel traités. Pour s'en tenir au traité CEE, il y a une phase précontentieuse, permettant de régler le litige sans être obligé de saisir la Cour. Cette phase comporte une mise en demeure et un avis motivé de la Commission. Dans la phase contentieuse, la saisine appartient aux seuls Etats membres. Il y a le préalable de l'avis de la Commission mais si celle si n'a pas rendu d'avis dans les trois mois de sa saisine, la Cour en toutes hypothèses est à son tour saisie. L'objectif de ce recours est de faire constater qu'un Etat membre a manqué à une obligation qui lui incombe en vertu des Traités. L'exécution de l'arrêt rendu est, dans le contexte, fragile puisqu'il s'agit de le faire exécuter par l'Etat même dont la Cour constate le manquement (6). D - Le contentieux de l'interprétation On est dans le cas du Juge national saisi d'un litige dans lequel il a à appliquer le droit européen. On distingue ici la question préjudicielle d'interprétation et la question préjudicielle d'appréciation de validité. Dans la question préjudicielle d'interprétation, les Juridictions des Etats membres, mais aussi le Conseil, la Commission, les Etats membres eux-mêmes ont la faculté de saisir la CJCE. Les autorités habilitées à saisir sont tenues par l'arrêt d'interprétation. La Cour, dans un arrêt de référence, précise la portée de cette obligation :"il en résulte que la règle ainsi interprétée doit être appliquée par tous les Juges de la Communauté, même à des rapports juridiques nés et constitués avant eux" (CJCE 27 mars 1980 Salumi 66/127 et 128/71 Rec. p.1252). Dans la question préjudicielle d'appréciation de validité, la CJCE est saisie par la juridiction nationale de la validité d'une disposition du Droit européen. La Cour considère que le recours en appréciation de validité constitue une modalité de contrôle des actes communautaires analogue au 21 Intégration régionale comparée recours en annulation. Comme en matière d'appréciation, l'arrêt de la Cour a une portée générale. E - Les recours en responsabilité contractuelle et extracontractuelle (art.215 CEE ; 188 CEEA ; 40 CECA) L'article 215 du Traité CEE précise : "en matière de responsabilité extracontractuelle, la Communauté doit réparer conformément aux principes généraux communs aux droits des Etats membres les dommages causés par ses institutions de par ses agents dans l'exercice de leurs fonctions". Il s’agit d’un recours en indemnité distinct des autres recours que nous avons décrits. La jurisprudence de la Cour dans ce domaine reste quelque peu restrictive. Sur le terrain de la faute créant le préjudice et ouvrant droit à réparation, elle exige, en pratique, une faute lourde. La responsabilité sans faute n'est pas exclue mais la simple existence d'une illégalité n'est pas constitutive de faute. La portée du recours en indemnité s'en trouve réduite (7). Comme on a pu s'en rendre compte, la panoplie des recours dans l'ordre juridique européen est une pièce maîtresse dans la consolidation de l'Etat de Droit Européen. Mais les voies de droit auraient pu rester lettre morte sans un juge pour leur donner vie. On rencontre alors toute l'importance de la jurisprudence de la CJCE. II- Le rôle déterminant de la jurisprudence de la CJCE Pour saisir la place centrale du Juge dans la construction de l'ordre juridique intégré, il faut tout d'abord partir de ce que les Traités institutifs, juridiquement parlant, sont des normes du type "loi-cadre", "dispositions programmatrices", "orientations", "objectifs" - "soft law", en quelque sorte. Le droit dérivé des Traités est lui même souvent de cette nature. Si bien que sans 22 Le modèle européen de production du Droit matériel un juge, pour donner sens à ces normes, il aurait été difficile aux pays membres d'avancer dans la voie de l'intégration régionale. Les solutions apportées par le Juge à la question des compétences transférées sont devenues alors essentielles. S'écartant du principe traditionnel d'interprétation "restrictive", la CJCE a préféré faire prévaloir une interprétation "extensive", piégeant en quelque sorte les Etats membres dans le nécessaire transfert de compétences lié à leur projet tout en évitant d'apparaître comme le Juge qui décide là où le politique hésite. C'est ce que les juristes soulignent en parlant d'interprétation téléologique, autrement dit une interprétation prenant comme repère l'objectif d'intégration. Dans ce cadre, quarante années de Jurisprudence européenne ont permis d'arrêter trois principes qui président à l'interprétation : l'effet utile, l'effet nécessaire et la sauvegarde des Traités (8). A - Le principe de l'effet utile : l'arrêt Franz Grad L'arrêt Franz Grad est un grand arrêt de la jurisprudence européenne. La cour fait, en cette espèce, incontestablement oeuvre prétorienne (CJCE Franz Grad 9/70 Rec p.825). Le gouvernement allemand entendait, à l'époque, établir une distinction entre le "règlement communautaire" directement applicable et la "décision" qui ne l'aurait pas été. C'eût été, si cette position avait été consacrée, vider le droit communautaire d'une part importante de son efficacité. Pour la Cour, les dispositions du Traité (article 189) donnent aussi bien au règlement qu'à la décision force obligatoire car "la décision perdrait tout effet utile si les Juridictions nationales étaient empêchées de la prendre en considération en tant qu'élément du Droit communautaire". La double nature, à la fois normative et intégrative de cette décision est bien mise en valeur par les 23 Intégration régionale comparée commentateurs de l'époque (cf. J.Boulouis, «A propos de la valeur normative de la Jurisprudence de la CJCE » Mélanges Waline 1974 I. p.149 ; et J. Mertens de Wilmars, «La Jurisprudence de la CJCE comme instrument de l'intégration communautaire », Cahier de Droit Européen, 1976, p.135). B - Le principe de l'effet nécessaire : l'arrêt AETR L'arrêt AETR met le Juge européen dans la position à avoir à trancher entre la Commission Européenne et le Conseil des Ministres. Ces deux institutions sont en conflit sur la portée des compétences transférées. A l'origine du conflit, l'Accord Européen sur les Transports Routiers (AETR) conçu dans le cadre de la Commission Economique pour l'Europe relevant de l'Organisation des Nations Unies. La Commission estime que la Communauté Economique Européenne est compétente pour conclure cet accord ; le Conseil des Ministres s'y oppose en raison de "l'absence d'une disposition expresse du Traité" sur ce point. Le principe de "l'effet nécessaire" permet alors à la CJCE de donner raison à la Commission. L'argumentation juridique qu'elle produit se fonde sur l'article 75 du Traité CEE qui donne compétence largement définie à la Communauté pour mettre en place une politique commune des transports. La cour reconnaît, ensuite, qu'aucune disposition du Traité CEE ne prévoit expressément compétence en matière de conclusion d'accords internationaux. Nonobstant, le Juge se prononce néanmoins pour la compétence de la Communauté. D'abord, parce que l'article 210 du Traité CEE donne à la CEE la personnalité juridique, ce qui établit qu'elle a capacité à conclure des conventions avec les Etats - tiers ; ensuite, parce que le Traité CEE donne comme mission à la CEE l'établissement d'une politique des transports; enfin, parce que l'article 75 verrait son effet compromis si "les dispositions utiles" 24 Le modèle européen de production du Droit matériel que peut prendre le Conseil à cette fin "ne devaient pas s' étendre à la conclusion d'Accords avec les Etats - tiers". La portée de l'accord AETR est également fondamentale. La raison en est qu'en se fondant sur "l'effet utile" en l'espèce, la Cour pose un principe d'interprétation qu'elle appliquera à l'ensemble des Traités. Non seulement la Communauté se voit reconnue comme sujet autonome du Droit International, mais ses compétences externes sont largement étendues par la référence à l'effet utile. C - La sauvegarde des traités : l'arrêt dit des Pêcheries L'article 155 du traité CEE fait de la Commission la gardienne des Traités. "Elle veille à l'application du présent Traité ainsi que des dispositions, prises par les institutions, en vertu de celui-ci", alinéa premier. Dans l'affaire dite des Pêcheries, l'acte d'adhésion du Royaume Uni à la CEE (1972) prévoyait qu'à l'issue d'une période transitoire, les mesures à prendre pour la conservation des ressources naturelles maritimes relèveraient de la compétence communautaire dans le cadre de la politique commune de la pêche. Le Conseil des Ministres de la Communauté n'ayant pas, dans les délais souhaitables, pris les mesures de conservation, le gouvernement britannique en tira argument pour se soustraire à la compétence communautaire et retrouver sa compétence unilatérale et nationale. L'inaction de la Communauté reconnue, le Juge n'en conclut pas moins que "le transfert de compétence en la matière étant total et définitif au profit de la Communauté, une telle carence n'a pu, en aucun cas, restituer aux Etats membres, la compétence et la liberté d'agir en ce domaine" (CJCE, 5 mai 1981, Commission c/Royaume - Uni 804/79 Rec., pp 1045 ; 1072 ; 1076). C'est le principe dit de la sauvegarde des Traités. 25 Intégration régionale comparée A travers ces trois principes, la jurisprudence européenne a trouvé les régulations juridiques globales nécessaires à la cohérence du programme européen d'intégration régionale. Les quarante années de jurisprudence de la CJCE et des Juridictions nationales ont été déterminantes dans la construction de l'Europe, structurée autour de politiques communes décidée par les gouvernements, mais aussi façonnées par les décisions des juges qui leur ont donné un champ de développement conforme à l'objectif global d'intégration. C'est ainsi que le Droit européen s'est progressivement constitué, non pas dans le cadre d'une "superstructure" mais d'une "commune structure" (9). III- Le droit de la commune structure Le Droit européen ne se superpose pas. Il s'impose dans un espace juridique en voie de développement, chaque phase décisive du chantier Europe apportant sa contribution à une construction dont la problématique est fédérale. Il convient de distinguer le droit primaire, ou originaire, du droit dérivé. A - Le droit originaire Il est constitué par les trois traités de départ : le Traité CECA du 18 avril 1951, entré en vigueur le 23 juillet 1952 ; le Traité CEE du 25 mars 1957 entré en vigueur le 1er janvier 1958 ; et le Traité Euratom CEEA, même date. Ces textes fondateurs sont complétés par une série de protocoles qui ont "une force impérative" égale à celle des trois Traités. Le droit primaire ou originaire est enrichi aujourd'hui par de nombreux traités qui jalonnent l'histoire de l'intégration européenne, en particulier, le Traité du 8 avril 1965, instituant une logique d'unification institutionnelle, avec un Conseil des ministres et une Commission unique ; la décision du 20 septembre 1976 sur l'élection au 26 Le modèle européen de production du Droit matériel suffrage universel direct des représentants au Parlement européen entré en vigueur le 17 juillet 1979 ; les Traités d'adhésion qui concernent aujourd'hui neuf pays ; l'Acte Unique européen des 17 et 28 février 1986 entré en vigueur le 1er juillet 1987 ; le Traité de Maastricht du 7 février 1992 entré en vigueur le 19 janvier 1993 et dernièrement, le Traité d'Amsterdam signé le 2 octobre 1997 et entré en vigueur le 1er avril 1998. B- Le droit dérivé La qualification des actes qui entrent dans le droit dérivé se trouve dans l'article 189 amendé du Traité CEE. On y distingue les actes dérivés obligatoires des actes non obligatoires. Mais la CJCE n'accorde qu'une importance relative à la qualification formelle, sa jurisprudence s'appliquant à déterminer l'objet de l'acte, son contenu et procédant parfois, dans le contexte, à une requalification. Au titre des actes dérivés obligatoires, on compte le règlement communautaire qui est de base (en application directe d'une disposition du Traité) ou d'exécution. Pour le règlement d'exécution, interviennent le Conseil (art.145 Traité CEE) ou la Commission (art.155 Traité CEE). La pièce la plus originale, mais aussi la plus performante, est la directive. Elle est prévue à l'article 189 du Traité CEE et se trouve ainsi définie : "norme liant tout Etat membre destinataire quant au résultat à atteindre tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens". C'est grâce aux directives datant de la période où J. Delors présidait la Commission, que les pays membres ont pu être prêts, ensemble, pour l'Europe sans frontières (1er janvier 1993) ou, aujourd'hui, pour l'abandon des monnaies nationales au profit de la monnaie unique (1er janvier 2002). La décision et les actes issus de la pratique des institutions complètent 27 Intégration régionale comparée la catégorie des actes dérivés obligatoires. La décision a pour but d'appliquer à un sujet de droit le droit européen ; elle est d'effet direct et ne se réclame pas de norme nationale la transposant. Les actes issus de la pratique des institutions sont assimilables aux actes internes ; leur effet juridique est ici intrainstitutionnel ou Au Dans le droit dérivé non obligatoire, on trouve les avis et recommandations (cf. C.A.Morand, «les recommandations, les résolutions et les avis en droit communautaire », Cahier de Droit Européen 1970, p.263 et suivantes). Au droit produit par la commune structure, il faut ajouter le droit issu des Accords externes, les sources complémentaires que sont les Accords entre les Etats membres, sans oublier la Jurisprudence et les principes généraux du droit. Dans son arrêt International Handelsgeselfschaft et Köster, la Cour rappelle avec justesse` "que le respect des droits fondamentaux fait partie intégrante des principes généraux dont la Cour de Justice assure le respect ; que la sauvegarde de ces droits doit être assurée dans le cadre de la structure et des objectifs de la communauté" (CJCE International Handelgeselfschaft Köster 11/70 et 25/70 Rec p.1123 ; 1133 ; 1161 et 1176). Dans cette dimension, l'intégration juridique européenne n'est pas exportable partout car elle s'est construite sur une forte exigence, à la fois sur le niveau de la pratique démocratique et de l'effectivité des Droits. Il est symptomatique de constater qu'aujourd'hui, dès lors qu'un de ces deux objectifs est ébranlé, c'est la structure commune qui vacille. "Constituée d'Etats de Droit, la Communauté européenne est nécessairement une Communauté de Droit. Sa création, comme son fonctionnement, autrement dit, le pacte communautaire repose sur l'égal respect, par les Etats membres de l'ordre juridique communautaire" (11). La 28 Le modèle européen de production du Droit matériel logique de cette Communauté de Droit est peut-être plus d'avoir à s'imposer plutôt qu'à composer démocratie et Droits de l'Homme, surtout lorsque l'on regarde vers l'Est européen et le Sud balkanique ou méditerranéen (12). Notes (1) Sur le Droit européen, les ouvrages sont nombreux ; voir J.C. Gautron, Droit européen, Dalloz 8ème éd.,1998. (2) Cf. P.Manin, Les Communautés européennes, Pédone, 4ème éd., 1998. (3) Cf. J.Boulouis Droit institutionnel de l'Union européenne Montchrétien, 6ème éd., 1997. (4) Le "Quid leges sine moribus ?" des Latins. (5) Cf. M.C. Bergerès, Contentieux communautaire, PUF, 1994. (6) En 1990, la Commission, préoccupée par la non-exécution des arrêts a publié un Rapport qui dénombre 86 cas de non-exécution ou d'inexécution partielle sur les arrêts antérieurs à 1989. (7) Cf. F. Fines, Etude sur la responsabilité extracontractuelle de la CEE, Thèse Bordeaux, 1989 (8) Cf. P. Manin, Les Communautés européennes, précité. (9) Nous avançons ce concept de "commune structure" dans le contexte d'une Europe qui s'interroge toujours sur ses institutions, cf. P. Moreau Desfarges, Les Institutions européennes, Armand Colin 1995, et J. L. Quermonne, Le système politique de l'Union européenne, Montchrétien, 1998. (10) Les Traités de Rome, Maastricht et Amsterdam. Textes comparés, La Documentation française, Ed. 1998. (11) Cf. M.Darmon, Conclusions dans l'affaire Johnson, 15 mai 1986, 222/84 Rec., p.1656. (12) La logique "impériale" est bien mise en valeur dans l'ouvrage de Lester Thurow. La maison Europe: superpuissance du XXI siècle, Préface de Jacques Delors, Traduit de l'américain par J. Fontaine, Calmann Levy, 1992. 29 Intégration régionale comparée Les mécanismes juridiques d’intégration régionale en Afrique noire : une application originale du modèle européen Guillaume FOUDA, Docteur en droit, CERDRADI, Université Montesquieu-Bordeaux-IV. INTRODUCTION La prétention est sans doute exagérée de vouloir parler de l’originalité des mécanismes juridiques d’intégration régionale en Afrique si l’on s’en tient au cadre strictement conventionnel des accords et traités qui sont l’instrumentum juridique incontournable de tout processus juridique d’intégration régionale (1). Sur ce point, il ne souffre d’aucun doute que l’Afrique n’offre aucune singularité. Toutefois, la littérature relative au droit international en Afrique d’une manière générale, et plus particulièrement en ce qui concerne le droit de l’intégration régionale, présente quelques fois des traits qui lui revendiquent une certaine originalité (2), tant au niveau des préoccupations (développement, lutte contre la pauvreté, maintien de la paix, protection des droits de l’homme, environnement) qu’au niveau de ses fondements historiques (3). Les éléments qui se dégagent de ces différentes analyses nous conduisent à mieux appréhender les mécanismes juridiques d’intégration régionale en Afrique. 30 Les mécanismes juridiques d’intégration régionale en Afrique noire : une application originale du modèle européen La structuration des Organisations internationales (4) du continent appelle dès lors une lecture plus attentive; tout comme les difficultés recensées dans les différents processus d’intégration ne sont pas étrangères à ce particularisme (5). En outre, il n’est pas tout aussi aisé d’aborder la question de l’intégration régionale en Afrique dans une approche comparée au modèle européen. Non seulement les différences sont énormes d’un point de vue historique, économique, politique et culturel, mais plus encore, la pratique et l’effectivité du droit de l’intégration sont loin de présenter quelques similitudes. En essayant d’y réfléchir, nous trouvons néanmoins quelques réponses à notre préoccupation. D’abord, la réalisation et les évolutions actuelles de l’intégration européenne peuvent, à juste titre, être regardées comme un archétype d’un point de vue de la technique juridique. L’Union européenne se caractérise comme «un ordre juridique spécifique…un nouvel ordre juridique qui s’écarte à la fois du droit international de type classique et des modèles connus de droit fédéral, tout en empruntant cumulativement aux deux» (6). Elle constitue un système institutionnel et normatif fondé sur une «communauté de durée illimitée, dotée d’attributions propres, de la personnalité, de la capacité juridique, d’une capacité de représentation internationale et plus précisément de pouvoirs réels issus d’une limitation de compétence ou d’un transfert d’attributions des Etats à la Communauté» (7). Ensuite, l’Union européenne entretient avec les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique un ensemble de relations privilégiées qui encouragent l’intégration régionale des Etats partenaires (8). Par conséquent, à partir du 31 Intégration régionale comparée modèle européen, le regard que nous portons sur l’intégration régionale en Afrique nous permet d’en ressortir les limites, les embûches sociopolitiques. Nous pouvons ainsi faire le point, tant que le continent est loin d’atteindre une certaine perfectibilité du modèle, sur les textes juridiques, la pratique, la doctrine et les principes juridiques qui accompagnent le droit de l’intégration régionale en Afrique noire. Au niveau des textes, nous pouvons relever leur prolifération qui est le reflet conséquent de la multitude d’organisations régionales ou sous-régionales que compte le continent (9). Au niveau de la pratique, l’effectivité de la mise en oeuvre du droit de l’intégration se trouve largement compromise à cause des multiples obstacles que l’on rencontre en Afrique pour ce qui est de l’application du droit, non seulement au niveau sous-régional, régional ou continental, mais d’abord au niveau de chaque Etat dont dépend largement l’effectivité du droit de l’intégration (10). Au niveau de la doctrine et des principes juridiques (11), nous pouvons retenir leur rapprochement progressif au besoin d’effectivité, de juridisation, de spécialisation, d’une part, de démocratisation et du respect des droits de l’homme (12), d’autre part. Même si dans l’ensemble prévaut encore des relations interétatiques qui sont le gage du respect de la souveraineté de chaque Etat, certaines avancés ne cachent pas leur vocation supranational, par le biais d’harmonisation ou d’uniformisation des législations nationales dans certains secteurs ainsi que la création d’institutions supranationales (13) ayant en 32 Les mécanismes juridiques d’intégration régionale en Afrique noire : une application originale du modèle européen principe vocation à se substituer aux organes étatiques. Les mécanismes juridiques d’intégration régionale en Afrique noire tels que nous les abordons aujourd’hui, ne saurait donc afficher un aspect définitif et achevé. Ils sont pour l’essentiel en formation et connaissent de nombreuses mutations qui dissimulent mal leur caractère expérimental. Aussi se présentent ils comme des moyens d’institutionnalisation d’une certaine idée de l’unité africaine qui s’oppose à un Etat africain lui même en formation. 33 Intégration régionale comparée I - La difficile institutionnalisation d’une mystique d’unité sans cesse fuyante L’idée de l’unité africaine correspond à un projet très ancien et d’une particulière ambition. Non seulement nous pouvons juridiquement la lire dans les premières constitutions des Etats nouvellement indépendants (14), mais encore, elle est l’expression de la conscience d’une solidarité régionale. Les gouvernants des Etats africains ont souvent affirmé la personnalité originale de l’Afrique, considérée dans son ensemble et par rapport aux autres parties du monde. Dans cette particularisation, il est aussi question de surmonter des oppositions tenant à l’histoire, à la langue, à la civilisation, aux caractéristiques même des peuples d’un continent très diversifié. Le contexte constitutionnel actuel (15) ne manque pas de ressortir cette préoccupation que démontrent respectivement l’affirmation péremptoire de l’attachement des Etats à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples qui parfois, «fait partie intégrante» de la Constitution et a «une valeur supérieure à la loi interne» (16) d’une part, et la proclamation d’un attachement à la cause de l’unité africaine et l’engagement constitutionnel de «tout mettre en oeuvre pour réaliser l’intégration sous-régionale et régionale» (17), d’autre part. L’Organisation de l’unité africaine et l’Union africaine qui est appelée à la remplacer sont l’émanation de ces différentes préoccupations. Mais, il faut bien admettre que la construction d’une Organisation continentale capable d’être le reflet de la réalisation d’un degré appréciable d’intégration ne peut se faire sans s’appuyer sur des fondements théoriques et stratégiques de la 34 Les mécanismes juridiques d’intégration régionale en Afrique noire : une application originale du modèle européen «construction communautaire» (18) où, le type d’institutions à mettre en place, les mesures concrètes à promouvoir et les échéances à fixer dépendent directement de la nature et des éléments à intégrer. Il faut donc pouvoir tenir compte du contexte, de la nature des acteurs en présence et des enjeux qui les réunissent ou qui sont susceptibles de les réunir à savoir : une convergence des stratégies nationales, une démarche progressive et flexible, le rôle de l’Etat et des Organisations non gouvernementales, l’approfondissement des connaissances du phénomène et des mécanismes d’intégration. L’intérêt d’une Union africaine, ultime étape d’un difficile processus d’intégration régionale, devra se mesurer à sa capacité à transcender la survivance des stratégies qui tiennent comptent des affinités géographiques, historiques, linguistiques, économiques et monétaires et qui sont la marque d’une intégration sous-régionale et d’une intégration sectorielle plus effective. A - De L’O.U.A à l’Union africaine, à la recherche de l’Organisation continentale Le traité constitutif de l’Union africaine a été adopté lors du XXXVIe sommet de l’O.U.A à Lomé le 12 juillet 2000. La nouvelle organisation fixe, aux termes de l’article 3 du traité, une litanie d’objectifs dont les plus récurrents comme «réaliser une plus grande unité et solidarité entre les pays africains et entre les peuples d’Afrique ; défendre la souveraineté, l’intégrité territoriale et l’indépendance de ses Etats membres ; accélérer l’intégration politique et socio-économique du continent ; promouvoir et défendre les positions africaines communes sur les questions d’intérêt pour le continent et ses peuples ; favoriser la coopération internationale, en tenant dûment compte 35 Intégration régionale comparée de la Charte des Nations unies et de la Déclaration universelle des droits de l’homme ; promouvoir la paix, la sécurité et la stabilité sur continent» côtoient ceux d’une nouvelle génération: «promouvoir les principes et les institutions démocratiques, par la participation populaire et la bonne gouvernance ; promouvoir et protéger les droits de l’homme et des peuples conformément à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et autres instruments pertinents relatifs aux droits de l’homme ; coordonner et harmoniser les politiques entre les Communautés économiques existantes et futures en vue de la réalisation graduelle des objectifs de l’Union». Aussi, retrouve- t- on dans les principes dont se dote l’Union une catégorie qui s’attache à en présenter le caractère innovateur: «respect des principes démocratiques, des droits de l’homme, de l’Etat de droit et de la bonne gouvernance ;...condamnation et rejet des changements anticonstitutionnels de gouvernement ». Sur le plan institutionnel, la création d’un «Parlement panafricain» (art.17), d’une «Cour de justice de l’Union» (art.18) et d’un «Comité des représentants permanents» (art.1) participe du même projet. Toutefois, pour mieux saisir les actuelles préoccupations africaines de construire une Organisation d’intégration à l’échelle continentale, on ne saurait faire l’impasse des étapes qui ont marqué l’histoire du processus postulé. L’évolution de l’idée de l’unité africaine peut dès lors être théorisée comme étant un compromis permanent entre les tenants d’une intégration fédéraliste de l’Afrique post-coloniale, les tenants d’une coopération étroite entre les Etats indépendants et également souverains et aussi, le scepticisme de la critique qui dénie aux Etats toutes capacité de pouvoir transcender le poids des différences et de se soustraire d’une partie de leur souveraineté. Ce bref schéma théorique explique parfaitement ce qu’ont été les «années O.U.A.». L’Organisation de 36 Les mécanismes juridiques d’intégration régionale en Afrique noire : une application originale du modèle européen l’unité africaine s’est imposée, tant en Afrique que dans la vie internationale, comme une organisation régionale aux termes du chapitre VIII de la Charte des Nations Unies. Cette qualité lui a valu son rôle dans les rapports macrodiplomatiques des Etats africains entre eux et avec le reste du monde. Ainsi, l’Organisation a t- elle représenté un «cadre de concertation, un forum où les Africains apprennent à mieux se connaître et à développer le sentiment de la solidarité de leur destin»(19). Dans une étude qui décrit les débuts du processus de regroupement des Etats africains au lendemain des indépendances, P.Lampué (20) remarquait déjà que si l’idée de l’unité africaine a été abordée d’une manière confuse et qu’on s’est référé tantôt à l’Afrique des ethnologues tantôt à l’Afrique géographique, le sentiment de l’appartenance à un seul ensemble a fourni le cadre à l’appui de l’unité et a donné à l’O.U.A., au-delà des tendances qu’elles recoupe, un espace numériquement important (une cinquantaine d’Etats) pour débattre des problèmes communs. Cette vocation à regrouper de façon très large des tendances diverses qui se dégagent dès les fondations de l’Organisation avec les groupes dits de Monrovia et de Casablanca représentant respectivement une conception de l’unité respectueuse de la souveraineté de chaque Etat et une vue fédéraliste de l’Afrique. Les principes régissant l’Organisation et les organes institués s’attacheront à tenir un équilibre davantage fragilisé par le développement d’un phénomène de groupe très marqué (21). Au bout du compte, la Charte d’Addis-Abeba (25 mai 1963) fonde l’Organisation de l’unité africaine sur les principes de «l’égalité souveraine de 37 Intégration régionale comparée tous les Etats membres, la non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats, le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de chaque Etat et de son droit inaliénable à une existence indépendante...»(art. 3). Ces principes tendent à la réalisation des objectifs énoncés à l’article 2 de la Charte et principalement, à «renforcer l’unité et la solidarité des Etats africains et malgache». Mais, on retiendra que l’action de l’organisation est exclusivement menée dans un ensemble de mécanismes qui s’inscrivent dans le domaine du droit international classique (droit des traité, droit des relations diplomatiques et consulaires, règlement pacifique des différends). Au regard de la récurrence de cet objectif d’unité, on ne peut que dégager une infime différence entre la démarche de l’O.U.A et l’Union africaine dont la réalisation n’échappera certainement pas à un processus d’intégration continentale en perpétuelle perspective. L’O.U.A. s’est sans doute employée à développer entre les Etats une coopération économique et technique par le biais de la création d’un «marché commun» ou d’une «Communauté économique». La fin des années soixantedix est marquée à ce sujet d’une étroite collaboration entre l’O.U.A et la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique dont la stratégie tient, pour l’essentiel, à la résolution des problèmes de développement et à l’intégration régionale en Afrique (22). Le plan d’action de Lagos issu de la Conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement du 28 et 29 avril 1980 dans la capitale nigériane poursuivra dans la même lancé. Il est entre autres questions, dans la perspective d’un nouvel ordre économique mondial, de promouvoir le développement économique et social et de favoriser l’intégration des économies en vue d’accroître l’auto 38 Les mécanismes juridiques d’intégration régionale en Afrique noire : une application originale du modèle européen dépendance, amorcer un développement endogène et autoentretenu. La perspective de cette étroite coopération économique tendant, selon les résolutions prises, à instaurer au niveau sous régional, régional et continental un marché commun africain prélude à une Communauté économique africaine (23) tout aussi ambitieuse. Elle se donne pour but de promouvoir la coopération et le développement dans tous les domaines de l’activité humaine, de maintenir et de promouvoir la stabilité économique, d’instaurer des relations étroites et pacifiques entre les Etats membres et de contribuer au progrès, au développement et à l’intégration économique du continent. La démarche envisagée se veut elle même plus réaliste, la Communauté étant appelée a être progressivement mise en place au cours d’une période de transition de trente-quatre ans maximum subdivisée en six étapes de durée variable dont la dernière verra l'intégration de tous les secteurs économiques, la création d’un marché intérieur unique ainsi qu’une union économique et monétaire panafricaine, le parachèvement du processus d’harmonisation et de coordination des activités des communautés économiques régionales, le parachèvement de la création d’un Fonds monétaire africain, la création d’une banque centrale unique ainsi qu’une monnaie africaine unique. Un excès d’optimisme amènera même d’aucun à parler de la Communauté économique africaine comme une «étape décisive pour l’application d’une norme du droit international africain du développement» (24). Paradoxalement, la création récente de l’Union africaine ne conduit - elle pas a dire que l’Afrique apparaît toujours comme en quête d’une organisation d’intégration à l’échelle du continent; le fonctionnement de la C.E.A. restant à voir et l’O.U.A se défendant d’un bilan à l’image des difficultés recensées 39 Intégration régionale comparée (faiblesses des relations inter africaines, multiplication des conflits armés, instabilité politique, pauvreté économique...) ? L’action politique et diplomatique des essais d’intégration à l’échelle continentale se limiterait ainsi aux déclarations et à l’affirmation d’une Afrique dans la vie internationale en marge de tout processus d'intégration associant la technique juridique à la perspective envisagée. La détermination des Etats africains à mettre en place une intégration régionale et sous-régionale plus audacieuse, au sens de l’institutionnalisation progressive d’instance à compétence supranationale, précise davantage le caractère prospectif du phénomène juridique de l’intégration régionale en Afrique. Il n’est même pas exagéré de voir dans la démarche institutionnelle, une imitation du modèle européen, mimétisme qui se dégage d’emblée de la sémantique (Union européenne – Union africaine ; Communauté économique africaine – Communauté économique européenne) même si n’y a pas de grandes similitudes dans les principes, l’effectivité et la diffusion des mécanismes juridiques d’intégration. B - Les solidarités géographiques et l’expérience du processus d’intégration sous-régionale Autant il peut être facile de présenter le phénomène d’intégration régionale à l’échelle sous-régionale en Afrique comme l’émanation d’une démarche méthodique permettant de contourner les obstacles d’une intégration continentale très large, autant il est vrai que les solidarités géographiques et les liens historiques post coloniaux ont marqué une première étape du regroupement des Etats au sein d’Organisations de coopération à dimensions 40 Les mécanismes juridiques d’intégration régionale en Afrique noire : une application originale du modèle européen variables (25). En effet, le maintien des divisions territoriales nées de l’histoire ne s’opposait en rien au regroupement des Etats accédant à l’indépendance. Cette tendance s’est manifestée essentiellement dans l’Afrique d’expression française (26). Le premier but que s’assignent les gouvernements de ces Etats est très modeste ; il s’agit pour l’essentiel de reconstituer, sous une forme nouvelle, les unions formées au cours de la période antérieure. Aujourd’hui, les développements du mouvement d’intégration dans ces deux régions d’Afrique impliquent, sans doute, d’une part, «la recherche d’un patrimoine historique perdu qui elle même s’inscrit dans une mystique d’unité, d’une identité culturelle et sociale dont les racines et la légitimité historiques sont plus fortes que celles proposées par les Etats actuels» (27). D’autre part, ils sont la conséquence d’un regain d’intérêt que suscite le phénomène au niveau mondial et dont le succès de l’expérience européenne peut être regardée comme l’une des matrices qui mettent en exergue les avantages de l’unité et de la coopération régionale pour braver les défis d’un marché mondial de plus en plus concurrentiel. Ici, si les préoccupations économiques et monétaires priment sur les aspects politiques, le droit apparaît comme une équation efficace pour rapprocher les entités étatiques par le biais d’une dilution progressive des souverainetés étatiques, la mise en commun de procédures et d’institutions adéquates. Dans ce schéma, l’Afrique de l’ouest se présente comme la partie du continent où les initiatives en faveur des regroupements à vocation régionale sont les plus nombreuses et les plus audacieuses. Depuis 1952, date de la constitution de la Mission d’aménagement du fleuve Sénégal, on dénombre une 41 Intégration régionale comparée quarantaine d’organisations de coopération régionale. Mais de ces multiples organisations, quelques unes seulement ont été particulièrement bien structurées (28), la Communauté économique et de développement des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) et l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA) traduisant objectivement le choix de notre analyse. La première Organisation issue du Traité de Lagos du 28 mai 1975 marque la réalisation d’un projet d’intégration assez important. Elle compte seize Etats qui s’engagent à construire une Marché commun dont les étapes successives tiennent compte du niveau de développement économique de chaque Etat membre. Elle prévoit de ce fait, la libre circulation des biens des services et des personnes, l’harmonisation progressive des tarifs douaniers ainsi que le projet d’une monnaie unique (initialement fixée à 1994, elle a été reportée à l’horizon 2000). Paradoxalement, le fonctionnement de la CEDEAO dénote clairement que les Etats membres n’ont pas accepté avec suffisamment de conviction leurs obligations respectives (29). Les modifications et les nouvelles perspectives apportées par la révision du Traité (30) s’entendent dès lors comme une volonté de redynamisation du processus d’intégration. Elles définissent, à terme, la CEDEAO comme la seule Communauté économique de la région et essaie un aménagement plus précis des relations entre ladite communauté et les autres organisations intergouvernementales ouest africaines. Ce changement d’orientation se manifeste aussi dans le statut supranational de la Communauté par rapport à l’action entreprise en vue de mettre en commun les souverainetés nationales, à renforcer les institutions communes et rendre 42 Les mécanismes juridiques d’intégration régionale en Afrique noire : une application originale du modèle européen leurs décisions directement exécutoires dans les Etats membres (31). L’UEMOA créée par le Traité de Dakar du 10 janvier 1994 et dont les fondements remontent à l’ancienne UMOA de 1962 a, elle aussi, vocation à approfondir l’intégration économique de ses membres en complétant l’union monétaire initiale par une union économique comportant un marché commun basé sur la libre circulation des personnes, des biens, des capitaux et des services, le droit d’établissement, un tarif douanier commun et une politique commerciale commune. Il est, en outre, envisagé l’harmonisation des législations des Etats membres dans la mesure nécessaire au bon fonctionnement de l’Union. Sur le plan institutionnel, on retiendra à côté des organes comme la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement, le Conseil des ministres, l’émergence d’une Commission comme organe exécutif de l’Union et dont les actes d’application (règlements) des décisions du Conseil ont vocation à être directement applicables dans les Etats membres. L’existence d’une Cour de justice de l’Union ayant compétence à connaître en manquement le non respect par les Etats de leurs obligations communautaires participe sans doute du même projet. Le processus d’intégration dans la région Afrique centrale répond quasiment au même schéma par le biais d’une Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (CEMAC) issue du 63e et dernier sommet de l’UDEAC du 5 février 1995 à Libreville où il est aussi question pour les Etats membres d’approfondir et de redynamiser leur processus d’intégration par l’établissement «d’une union de plus en plus étroite entre les peuples des Etats membres en vue de raffermir leur solidarité géographique et humaine et... de participer à la création d’un véritable marché commun africain et consolider 43 Intégration régionale comparée l’unité africaine»(32). Cette intégration est sous-tendue par deux piliers: une Union économique (U.E.A.C) ayant pour mission d’assurer la convergence des performances et politiques économiques, de promouvoir un environnement favorable au droit des affaires et finalement de créer un marché unique et, une Union monétaire (U.M.A.C.) appelée à consolider les liens de coopération monétaire qui existent depuis plusieurs décennies entre les Etats membres. L’existence de la Communauté économique des Etats d’Afrique centrale (CEEAC) (33) qui regroupe les Etats membres de la CEMAC plus l’ex-Zaïre, le Rwanda, le Burundi, l’Angola et Sao-Tomé et Principes pourrait bien être présentée en parallèle à la CEDEAO (34). Mais le fait que depuis sa création la CEEAC n’ait pas connu un «fonctionnement harmonieux» (35) et qu’elle apparaît systématiquement comme absente dans l’actuelle dynamique juridique d’intégration nous amène à lui accorder peu d’intérêt et à observer une certaine réserve quant à la cohérence du processus d’intégration en Afrique. Admettre que les observations empiriques présentent l’intégration régionale en Afrique comme ne procédant pas d’une «philosophie endogène» (36) mais plutôt comme une démarche mimétique où l’Europe serait la principale source d’inspiration (37), explique certainement l’essai d’une approche sectorielle et fonctionnelle supranationale par le biais de l’uniformisation et de l’harmonisation de certaines branches des droits nationaux. 44 Les mécanismes juridiques d’intégration régionale en Afrique noire : une application originale du modèle européen C - L’intégration sectorielle, essai d’une approche fonctionnelle : l’exemple de l’O.H.A.D.A. (38) L’intégration sectorielle entraîne en Afrique une démarche différente du processus d’intégration. En privilégiant une approche fonctionnelle, l’intégration juridique du droit des affaires en Afrique offre un champ expérimental non négligeable. D’abord, elle transcende la seule proximité géographique (39) et se fonde sur des atouts et des réalités en termes de «situation favorable» à l’intégration: l’usage de la langue, une monnaie commune, des pays ayant partagé un droit commun issu de la législation française de l’époque coloniale et post coloniale. Ensuite, l’O.H.A.D.A. met en exergue le phénomène juridique d’intégration par le biais de l’«harmonisation» et l’«uniformisation» des droits nationaux. Par cette méthode, les Etats sont progressivement amenés à établir «un environnement juridique commun» (40) où les distorsions, parfois très grandes entre les systèmes juridiques sont atténuées, la méthode présentant entre autres avantages une sécurité juridique puisque la connaissance de la législation d’un Etat donné garantit qu’il s’agit de la même dans les autres Etats faisant parties de l’espace juridique intégré (41). Le Traité O.H.A.D.A. dont les commentaires et analyses (42) démontrent du caractère innovateur amène pour la première fois le juge constitutionnel (43) africain à se prononcer sur la question du transfert des compétences 45 Intégration régionale comparée souveraines de l’Etat à une Organisation internationale et à admettre explicitement le principe de la supranationalité du droit qui en émane car il faut le souligner, le débat constitutionnel dans les Etats africains doit s’inscrire dans la logique d’un «constitutionnalisme sur lequel repose la société de droit et l’intégration régionale» (44). De manière générale, l’OHADA a pour objet «l’harmonisation du droit des affaires dans les Etats parties par l’élaboration de règles simples, modernes et adaptées à la situation de leurs économies, par la mise en oeuvre de procédures judiciaires appropriées et par l’encouragement du recours à l’arbitrage» (article 1). L’Organisation structure son fonctionnement autour des organes suivants: le Conseil des ministres de la Justice et des Finances, la Cour commune de justice et d’arbitrage, le Secrétariat permanent et une Ecole régionale de la magistrature (article 3). Mais, c’est davantage la procédure de décision portant acte d’harmonisation qui suscite un regain d’intérêt. suivant les articles 5 à 14 du Traité, l’harmonisation du droit des affaires (45) est préparée par le secrétariat permanent en concertation avec les gouvernements des Etats membres qui disposent d’un délai de 90 jours pour faire leurs observations écrites. Elle est ensuite délibérée et adoptée à l’unanimité par le Conseil des ministres après avis de la Cour commune de justice et d’arbitrage dans un délai de 30 jours. La décision d’harmonisation entre en vigueur 90 jours après son adoption et est directement applicable et obligatoire dans le droit interne des Etats. Cette dernière précision comportant la marque suffisante du caractère objectivement opposable et supranational des normes d’harmonisation. On n’est pas loin de se rappeler le Traité CECA comme fondement de la construction communautaire en Europe et de voir dans la 46 Les mécanismes juridiques d’intégration régionale en Afrique noire : une application originale du modèle européen technique d’harmonisation et d’uniformisation du droit dans un secteur particulier (le droit des affaires) de l’OHADA, une perspective nouvelle de l’intégration régionale en Afrique (46). Au demeurant, le mouvement renouvelé du processus d’intégration régionale suscite toujours une certaine perplexité. Depuis les indépendances africaines, les initiatives d’intégration sont nombreuses mais le plus souvent décevantes (47). Sur le plan politique, les instabilités ne sont pas résorbées et sur le plan économique, les échanges inter-régionaux sont relativement faibles (5% dans la CEMAC, 10% dans l’UEMOA) (48). Comment peut-on justifier ce constat d’un point de vue juridique et institutionnel ? N’est-ce pas là l’Etat africain face à la problématique de l’effectivité du droit de l’intégration? II - L’Etat africain face à la problématique de l’effectivité du droit de l’intégration, la difficile application d’un droit supranational Un commentaire (49) peut être assez sévère du projet de constitution de l’Union africaine parle d’une «illusion dangereuse» et le justifie en référence au modèle européen. Il nous est donc opportunément rappelé que l’intégration européenne fonctionne parce qu’elle trouve un terrain favorable. L’Union européenne est d’abord une création fondée sur des valeurs, l’économie et la politique sont inextricablement liées dans l’histoire de l’Europe récente. Ainsi parle t-on objectivement à son sujet de libéralisation des échanges commerciaux, du démantèlement des obstacles douaniers du marché, d’union économique et monétaire, de politique étrangère commune, de défense 47 Intégration régionale comparée commune. Ces différentes perspectives sont le prolongement objectif (50) du plan Monnet – Schuman de 1950 qui consistait à mettre en commun (51) le charbon et l’acier de la France et de l’Allemagne et de qui voulait s’associer à ces deux Etats. A l’opposé, les références africaines sont d’une autre nature (colonisation, néo-colonialisme, Traité de Berlin, F.M.I., multinationales...) et définissent très peu ou pas du tout une africanité comme postulat d’intégration. Une trop large projection du processus d’intégration occulterait donc les obstacles réels qui se posent aux mécanismes juridiques de l’intégration et qui placent l’Etat africain à l’avant-garde dudit processus. Si on peut d’une certaine manière noter aujourd’hui une tendance où l’Etat africain consentirait à céder un peu de sa souveraineté pour favoriser l’intégration régionale, l’interétatisme comme moyen de coopération et d’échange inter africain reste la règle, autant que les structures de l’Etat africain apparaissent insuffisamment prêts pour soutenir une intégration durable et juridiquement fiable qui ellemême nous interpelle sur la perspective à envisager. A - La dominance de l’interétatisme dans le processus juridique d’intégration Le voisinage géographique est certainement un élément nécessaire de l’intégration régionale mais, il n’est guère suffisant pour donner au processus d’intégration une quelconque réalité dans l’espace international ou dans l’Etat sujet d’intégration. Il s’agit donc de voir jusqu’à quel point les Etats acceptent de répondre à une intégration qu’on entend dans une acception juridique comme «un 48 Les mécanismes juridiques d’intégration régionale en Afrique noire : une application originale du modèle européen processus et une situation qui, à partir d’une société internationale morcelée en entités indépendantes (Etats) les unes des autres tendent à leur substituer de nouvelles entités plus ou moins vastes dotées au minimum du pouvoir de décision, soit dans un ou plusieurs domaines déterminés, soit dans l’ensemble des domaines relevant de la compétence des entités intégrées, à susciter au niveau des consciences individuelles, une adhésion ou une allégeance et, à réaliser au niveau des structures, une participation de tous au maintien et au développement de la nouvelle entité» (52). Des trois éléments qui se dégagent de cette définition, à savoir : la naissance d’une entité juridique nouvelle, un faisceau de compétences et une adhésion socio-politique palpable, il faut reconnaître qu’à ce jour, l’Afrique n’offre pas une structure régionale qui réponde parfaitement à cette définition. Ce peu de succès est manifeste parce qu’il faut non seulement tenir compte du facteur temps, mais surtout les Etats africains paraissent particulièrement «jaloux» de leur souveraineté et il en résulte que les relations entre ces Etats même sous le vocable d’intégration sont essentiellement des relations de coopération intergouvernementale entendue comme «la nécessité de tenir compte des rapports de force concrets et des intérêts particuliers respectifs» (53) et par là même, justifie l’importance des mécanismes de conciliation et de consensus au sein des organisations ayant vocation à regrouper les Etats. La quasi totalité des Organisations africaines à vocation d’intégration traduit cette philosophie politique qui laisse intactes les souverainetés dont on rappelle à chaque occasion le caractère primordial dans des formulations variées mais répondant au même but. «Union d’Etats indépendants et souverains», «égalité souveraine des Etats membres, «non ingérence dans les 49 Intégration régionale comparée affaires intérieures des Etats», «mise en oeuvre au plan régional d’une politique active de coopération», «coopération étroite»... En plus, la préférence des dirigeants africains va vers des organisations dont le domaine d’intervention est limité aux problèmes d’ordre technique, l’idée étant qu’il serait plus facile de «coopérer» dans ces domaines (54). Plus schématiquement, les décisions émanant des Organisations d’intégration ne comportent pas toujours un caractère contraignant. D’où l’importance de distinguer entre les mesures, en quelque sorte d’ordre intérieur, qui n’ont d’application qu’à l’intérieur de l’Organisation d’une part, et les délibérations qui concernent le comportement des Etats à l’extérieur de l’Organisation d’autre part. Si les premières ont sans aucun doute force obligatoire car, elles obligent tous les organes de l’Organisation (règlement intérieur, statut du personnel...), les secondes n’ont pas toujours l’effet juridique escompté, tout dépendant de l’attitude de l’Etat destinataire (55). Ainsi donc, il apparaît justifié de qualifier de manière générale avec le Pr. Gonidec, l’ensemble des Organisations internationales africaines comme des Organisations de « simple coopération entre Etats qui ont conservé tout entière leur souveraineté, le seul moyen pour ces Etats de créer des règles de droit par définition obligatoire étant de recourir au procédé classique du droit des traités» (56). A cela, s’ajoutent les précisions de l’analyse du processus décisionnel (57) des Organisations internationales à vocation d’intégration d’où se dégage d’emblée une approche juridique basée sur la souveraineté des Etats et conditionnée par l’emprise quasi absolue des Etats membres sur le 50 Les mécanismes juridiques d’intégration régionale en Afrique noire : une application originale du modèle européen fonctionnement des institutions régionales elle-même caractérisée par la prégnance des gouvernements nationaux au niveau des organes de décision. Nous parlerons volontiers d’«intergouvernementalisme». On notera encore que la procédure d’élaboration des actes «communautaires» donne une large place au consensus, ce qui entraîne la faible portée des décisions qui s’en écarteraient d’où un manque d’autonomie décisionnelle en comparaison au schéma de l’article 189 du traité instituant la Communauté européenne. Il est aussi à relever, l’inadaptation des structures permanentes de fonctionnement des organisations internationales régionales c’est-à-dire, des secrétariats à vocation d’intégration sujets à une tutelle très marquée des Etats et enfin, une approche du contrôle juridictionnel très timide qui ne s’émancipe pas du poids de la diplomatie et du politique et qui se situe en fin de compte à l’échelle du droit international classique (58). L’analyse du contrôle juridictionnel tant des actes des Etats que de l’Organisation d’intégrante apparaît aussi comme révélateur du degré d’intégration réalisable. Ici encore, l’exemple européen démontre, avec une particulière pertinence tant par le nombre que par la qualité des décisions rendues que, le juge joue un rôle de premier plan dans le processus d’intégration où la Cour de justice de la Communauté européenne se présente comme une institution incontournable (59). G. Isaac parle dans ce sens de l’existence d’un «véritable pouvoir judiciaire» (60), la C.J.C.E. bénéficiant à travers l’ensemble de ses fonctions et de ses moyens d’une indépendance organique qui insinue un pouvoir autonome. En Afrique, on est loin de connaître une dynamique jurisprudentielle similaire, non seulement au niveau 51 Intégration régionale comparée régional parce que les instances juridictionnelles régionales sont toutes récentes, mais aussi au niveau des juridictions nationales pour lesquelles les normes internationales sont d’un horizon lointain (61). Les mécanismes de recours contentieux ouverts aux particuliers pour l’application des droits de l’homme illustrent parfaitement cette situation. Alors que la Convention européenne des droits de l’homme a prévu dans son article 25 un droit de recours individuel juridictionalisé par le Protocole n°11 du 11 mai 1994, que le droit de recours individuel existe de plein droit (après épuisement des voies de recours internes) devant la Commission inter américaine des droits de l’homme où les Etats n’ont à exprimer aucun consentement à la compétence de ladite Commission, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples du 28 juin 1981 n’a pas initialement prévu une juridiction. Elle a cependant institué une Commission compétente pour recevoir les communications étatiques (art.47 et 49) et celles des autres O.N.G. et particuliers. En outre, cette Commission n’a aucun pouvoir de décision. Elle enquête sur les faits, tente un arrangement amiable et adresse son rapport à la Conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement qui décide de le publier. La création d’une Cour africaine des droits de l’homme et des peuples adoptée par le Protocole n°1 de juin 1998 n’apporte pas de changement fondamental à cette situation puisque, aux terme de l’article 34 dudit Protocole, les particuliers et les O.N.G. ne sont admis à saisir la Cour qu’à condition que l’Etat mis en cause ait au préalable accepté la compétence de la juridiction. L’Etat africain reste de ce fait susceptible de s’extraire de la compétence d’une juridiction ne présentant aucune originalité du point de vue du droit international classique. 52 Les mécanismes juridiques d’intégration régionale en Afrique noire : une application originale du modèle européen B - Les limites et les insuffisances des structures étatiques Les Organisations internationales ne valent-elles pas ce que valent les Etats qui les composent? Cette question simple d’apparence souligne la relation directe qui existe entre les difficultés du processus d’intégration régionale et la radioscopie de l’Etat africain tant dans l’ensemble de ses structures que dans celui très particulier de l’effectivité du droit, y compris celui relatif à l’intégration régionale. Sans avoir à nous étendre sur ces aspects qui revêtent par ailleurs un champ d’analyse riche et actualisé, nous pouvons néanmoins relever quelques aspects. D’un point de vue identitaire, «les bases sociologiques de l’Etat africain sont génératrices de contradictions multiples et expliquent en partie leurs difficultés à maîtriser les problèmes auxquels ils sont confrontés» (62). D’un point de vue management, «l’incapacité croissante des Etats africains à faire face à leurs obligations et à leur responsabilité internationales, leur impuissance à gérer et à diriger leurs propres sociétés, sans même parler de la banqueroute financière et de la faillite économique et sociale de nombreux d’entre-eux conduit à reposer la question de la pertinence du modèle de l’Etat-nation en Afrique et à reformuler les thèses ayant écumées du régionalisme» (63). Sur le plan institutionnel (64), les Etats africains ne bénéficient pas encore d’une tradition juridique bien établie et de ce fait, les services de l’Etat, «de moins en moins dotés et de plus en plus incapables» (65) ont perdu 53 Intégration régionale comparée jusqu’aux apparences de légitimité. Au total, une crise du modèle étatique africain (66) dont les capacités et les atouts sont très faibles pour susciter une réelle dynamique d’intégration régionale. Même en fondant cette dynamique sur des facteurs culturels (67), on n’est pas à l’abri des tissus sociaux qui se désagrègent à l’intérieur des Etats dont les conflits successifs nous éloignent de l’intégration postulée tout en nous interpellant pour une perspective mais, laquelle? C - Quelle perspective ? Nous ne saurons être portés à décrire la perspective juridique des mécanismes d’intégration régionale en Afrique en ignorant le cadre dans lequel elle est abordée, à savoir sa référence au modèle européen. Il apparaît dès lors opportun de souligner de nouveau la grande influence (68) présente dans le cadre des rapports de coopération entre l’Union européenne et les pays A.C.P. dont l’accord du 4 novembre 1995 portant modification de la IVe Convention de Lomé prévoit expressément un article 5 énonçant des orientations essentielles à la coopération. Ainsi peut on lire que «la coopération vise au développement qui, centré sur l’homme, son acteur et bénéficiaire principal, postule le respect et la promotion des droits de celui-ci». Les actions de coopération et partant celles d’intégration s’inscrivent dans cette perspective positive, où le respect des droits de l’homme est reconnu comme un facteur fondamental d’un véritable développement et où la coopération elle-même est conçue comme une contribution à la promotion de ces droits. Dans une telle perspective, poursuit l’énoncé de l’article précité, la politique de 54 Les mécanismes juridiques d’intégration régionale en Afrique noire : une application originale du modèle européen développement et la coopération sont étroitement liées non seulement au respect des droits de l’homme, mais aussi à la reconnaissance et à l’application effective des principes démocratiques, à la consolidation de l’Etat de droit et à la bonne gestion des affaires publiques. L’article 136 de la Convention ajoute à ces orientations une série de mesures susceptibles d’accompagner et de faciliter le processus d’intégration régionale en Afrique. On retiendra principalement, à côté de la définition de politiques macro-économiques nécessaires au développement du commerce, la mise en place et la réforme des cadres législatifs et réglementaires appropriés ainsi que celle des procédures administratives, l’appui au Etats A.C.P. pour développer leurs «capacités internes» et leurs systèmes d’information. L’article 243 quant à lui insiste sur la nécessité d’une interaction permanente entre les actions entreprises au niveau de chaque Etat et celles des Organisations d’intégration régionale. On citera à ce titre, des ajustements structurels intégrant dès leur début des mesures propres à favoriser l’intégration régionale, l’harmonisation et la coordination des politiques macro-économiques et sectorielles y compris dans le domaine douanier et fiscal en vue d’atteindre le double objectif d’intégration régionale et de réforme structurelle au niveau national, la libéralisation des échanges et paiements transfrontaliers. Quoique, ces différentes orientations s’inscrivent strictement dans le cadre conventionnel de coopération entre les pays A.C.P. et l’Union européenne, elles ont aussi pour vocation d’avoir un impact réel sur le processus d’intégration régionale en Afrique (69). Il en est de même du principe de «normalité» (70) dont la formulation comme concept théorique, objectif et politique de résolution des crises en Afrique peut constituer une base méthodologique pour accompagner le 55 Intégration régionale comparée processus d’intégration. Si la normalité ne peut en aucun cas signifier pour l’Afrique le maintien du statu quo, elle est présentée comme un vecteur fiable du développement durable en Afrique et de son intégration dans l’économie mondiale. Sa mise en oeuvre revient à ce qu’on doit coller à la réalité, aux chances concrètes et aux obstacles actuels et non pas partir de pures abstractions. Aussi, les acteurs appelés à donner effet au processus d’intégration en Afrique doivent ils bénéficier d’une parfaite connaissance du terrain. Le Plan d’action du Caire (71) affirme par la même occasion, l’importance d’inclure davantage la société civile dans tous les domaines et souligne la nécessité d’une participation accrue des citoyens au processus de décision par l’aménagement des divers rôles de l’Etat, des pouvoirs publics décentralisés par rapport à ceux qui peuvent concerner les autres acteurs, Organisations non gouvernementales et société civile notamment. En somme, l’originalité des mécanismes juridiques d’intégration régionales en Afrique se présente comme une multitude d’approches susceptibles de faciliter le regroupement des Etats en entités supranationales viables et effectives, que ce soit dans un espace global (l’ensemble du continent) ou dans un espace plus réduit (sous-région, secteur d’activités). Mais il se dégage des différentes analyses une pléthore de difficultés qui réduisent sensiblement l’optimisme que suscitent certaines des Organisations ayant vocation à faire l’intégration. Pour une intégration efficiente et efficace, ne s’agit-il pas de façon prioritaire de prévoir le principe de la primauté du droit, de moderniser et d’harmoniser les institutions et les législations nationales ? 56 Les mécanismes juridiques d’intégration régionale en Afrique noire : une application originale du modèle européen Notes (1) Charte des Nations Unies, Chapitre VIII ; R.Yakemtchouk, L’Afrique en droit international, L.G.D.J, Paris 1971. (2) F. Borella, « Le régionalisme africain en 1964, A.F.D.I. 1964, p.21-64 ; P. Guillaume et J. Lagroye, « L’Afrique dans le monde, Les relations inter-étatiques », Année africaine, 1966, p.3-19 ; J.C. Gautron, « Le régionalisme africain et le modèle interaméricain », Annales africaines, 1966, p.49 ; J.M Bipoun-Woum, Le droit international africain. Problèmes généraux et règlement des conflits, L.G.D.J. Paris, 1970 ; P.F. Gonidec, Les relations internationales africaines, L.G.D.J., Paris 1996. (3) P. Lampué, « Les groupements d’Etats africains », R.J.P.I.C., 1964, p.21-64. (4) P.F. Gonidec, Les Organisations internationales africaines. Etude comparative, L’Harmattan, Paris 1987 ; M. Glélé-Ahanhanzo, Introduction à l’O.U.A. et aux Organisations régionales africaines, L.G.D.J. 1986. (5) D. Darbon, « Crise du territoire étatique et communautarisme : les nouveaux enjeux de l’intégration en Afrique noire », in Régionalisation, mondialisation et fragmentation en Afrique subsaharienne, Karthala, 1998, p.61. (6) J.C. Gautron, Droit européen, Dalloz, 9e éd. 1999, p.110. (7) C.J.C.E, 15 juillet 1964, Costa c/ENEL, aff. 6/64, Rec.1141. (8) J.J. Gabas, « L’Europe et les pays ACP : comment envisager une nouvelle convention de Lomé ? », in La convention de Lomé en questions, Karthala, 1998, p.25 ; B. Conte, » L’aide de l’Union européenne dans le domaine de l’intégration régionale. L’exemple de l’Afrique de l’ouest, in La convention de Lomé en questions, p.287 ; A. Pouillieute, « Bilan et perspectives de l’intégration sous-régionale en Afrique », Afrique contemporaine, n°193, 2000, p.67. (9) Une soixantaine suivant l’estimation de Azzouz Kerdoun, « Régionalisme et intégration en Afrique. Vers un nouveau groupement des pays sahélo-sahariens », R.J.P.I.C. 1998, p.48-80 ; Organisation de l’unité africaine (O.U.A.), Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (C.E.D.E.A.O.), Union économique et monétaire ouest africaine (U.E.M.O.A.), Communauté économique des Etats d’Afrique centrale (C.E.E.A.C.), Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (CEMAC), Common market for Eastern and Southern Africa (COMESA), Southern African Developpment Community (S.A.D.C.) ;Communauté économique des pays des Grands lacs (C.E.PG.L), Conseil de l’Entente, Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (O.M.V.S.), Organisation internationale de lutte contre le criquet migrateur africain (O.I.C.M.A.), Autorité permanente intergouvernementale contre la sécheresse et pour le développement en Afrique de l’Est (I.G.A.A.D.), Comité inter Etats de lutte contre la sécheresse au sahel (C.I.L.S.S.), Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires en afrique (O.H.A.D.A). (10) G. Fouda, L’application des normes internationales dans les ordres juridiques étatiques africains, thèse de doctorat en droit, Bordeaux IV, 1999. 57 Intégration régionale comparée (11) J. Issa-Sayegh, « L’intégration juridique des Etats africains dans la zone franc », Penant, 1997, pp.5-31 et 125-163. (12) V. Eteka Yemet, La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Etude comparative L’Harmattan, 1996. (13) G. Kenfack Douanji, « L’abandon de souveraineté dans le traité O.H.A.D.A. », Penant, 1999, p.125 ; J.J.Raynal, « Intégration et souveraineté: le problème de la constitutionnalité du traité O.H.A.D.A.»,Penant 2000, p.5-22. (14) La Constitution sénégalaise du 4 janvier 1959 entrevoit «l’unité africaine dans le cadre d’une fédération démocratique». Celle du 7 mars 1963 parlera, quant à elle, de «l’unité politique, culturelle, économique et sociale indispensable à l’affirmation de l’unité africaine». La constitution camerounaise du 4 mars 1960 envisagera de façon prudente la question en projetant l’unité africaine au moyen «d’une coopération étroite entre les Etats africains». La Constitution togolaise du 14 avril 1961 se prononcera dans l’optique de «préparer la voie de l’unité africaine», par une «étroite et totale coopération» entre les Etats «dans le respect mutuel de leur souveraineté». (15) J. du Bois de GAUDUSSON, G. CONAC et Ch. DESOUCHES, Les Constitutions africaines publiées en langue française, Bruylant Bruxelles et La Documentation française, Paris 1997, (2 tomes). (16) Constitution de la République du Bénin du 11 décembre 1990 (Préambule). (17) Idem. (18) Naceur Bourenane, «Des fondements théoriques et stratégiques de la construction communautaire», in Intégration et coopération régionales en Afrique de l’Ouest, Karthala et C.R.D.I., Paris 1996, p.63-80. (19) M. Glélé-Ahanhanzo, Introduction à l’O.U.A. et aux Organisations régionales africaines, L.G.D.J. 1986, p.19. (20) Pierre Lampué, «Les groupements d’Etats africains», R.J.P.I.C. (21) Laurent Zang et David Sinou, «Dynamique des groupes au sein de l’O.U.A et unité africaine », in L’O.U.A. rétrospective et perspectives africaines, Economica, Paris, 1990, p.135-181. (22) Quelle Afrique en l’An 2000: O.U.A. 1979, Institut international d’études sociales, Genève 1979. (23) On peut objectivement voir dans le renforcement des Organisations d’intégrations régionales actuelles l’esquisse d’une mise en oeuvre du plan d’action de Lagos même si la Communauté économique africaine instituée par le traité d’Abuja du 3 juin 1993 et en instance de création depuis 1994 n’est toujours pas effective. (24) Michel-Cyr Djiena Wembou, L’O.U.A. à l’aube du XXIe siècle: Bilan diagnostic et perspectives, L.G.D.J. Paris 1995, p.115. (25) Jonh O. Igue, Le territoire et l’Etat en Afrique, Les dimensions spatiales du développement, Karthala, Paris 1995, p.153 et s ; l’auteur parle de «legs colonial» comme la création d’activités complémentaires entre pays côtiers et pays sahéliens, les infrastructures de transport à caractère régional, la création d’une monnaie unique. (26) L’ancienne Afrique équatoriale française (A.E.F.) regroupant la Centrafrique, le Congo, le Gabon et le Tchad se transformera dès juin 1959 en Union douanière équatoriale (U.D.E), puis le 8 décembre 1964 avec l’adhésion du Cameroun, en Union 58 Les mécanismes juridiques d’intégration régionale en Afrique noire : une application originale du modèle européen douanière et économique d’Afrique centrale (U.D.E.A.C.). L’Afrique occidentale française (A.O.F.) quant à elle facilitera la formation de l’Union monétaire ouest africaine (U.M.O.A.) dès le 12 mai 1962 dont les membres manifestent leur volonté de coopérer, à la fois entre eux et avec la France au sein de la zone franc qui comprend aussi les pays membres de l’U.D.E.A.C. (27) Réal Levergne, «Champ d’action pour l’intégration régionale en Afrique de l’Ouest», in Intégration et coopération régionales en Afrique de l’ouest, KarthaleCRDI, Paris 1996, p.11-37. (28) D.C. Bach, « L’Afrique de l’ouest: organisations régionales, espaces nationaux et régionalisme, les leçons d’un mythe », L’Afrique politique,1994, p.93-118. (29) Luaba Lumu Ntumba, «Ressemblances et dissemblances institutionnelles entre la C.E.D.E.A.O., La C.E.E.A.C et la Z.E.P » (COMESA) depuis 1994), in Intégration et coopération régionales en Afrique de l’Ouest, Karthala et CRDI, 1996, p.349-369. (30) Sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEDEAO, Cotonou juillet 1999. (31) Luaba Lumu Ntumba, «La faiblesse du cadre institutionnel décisionnel comme frein à l’intégration régionale » in Mél. à F. Borella, P.U. de Nancy, 1999, p.335-364. (32) Préambule du Traité instituant la C.E.M.A.C. Dans sa forme actuelle, la CEMAC est l’association de l’Union économique d’Afrique centrale et de l’Union monétaire d’Afrique centrale doublées d’une Cour commune de justice et d’arbitrage et d’un Parlement communautaire. (33) Traité de Libreville du 18 octobre 1983. (34) Luaba Lumu Ntumba, op.cit. note n°29. (35) M.L. Ropivia, «institutions déliquescentes et espace éclaté: quelle intégration régionale en Afrique centrale», in Régionalisation, mondialisation et fragmentation en Afrique subsaharienne, Karthala, Paris 1998, p.175-184. (36) M.L. Ropivia, op. cit. p.178. (37) N Bourenane, «Des fondements théoriques et stratégiques de la construction communautaire», in Intégration et coopération régionales en Afrique de l’ouest, p.70. (38) Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires en Afrique, Traité de Port-Louis du 19 octobre 1993. (39) L’organisation comprend seize membres (Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Centrafrique, Comores, Congo, Côte d’Ivoire, Guinée Bissau, Guinée Conakry, Guinée équatoriale, Mali, Niger, Sénégal, Tchad,Togo. (40) J. Issa Sayegh, «L’intégration juridique des pays de la zone franc», op.cit. (41) L’article 4 du Traité UEMOA fait explicitement référence au procédé d’harmonisation comme condition du bon fonctionnement du marché commun. (42) M. Bolmin, g. Bouillet-Cordonnier et Karim Medjad, «harmonisation du droit des affaires dans la zone franc», J.D.I. 1994, p.377 ; Tristan G. Lafond, «Le Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique», Gaz. Pal. 20-21 septembre 1996 ; J.R. Gomez, « Réflexions d’un commercialiste sur le projet d’harmonisation du droit des affaires dans la zone franc», Penant, 1994, p.3; Le Directoire de l’OHADA, «L’harmonisation du droit des affaires en Afrique, outil technique de l’intégration économique», Juriscopie, lettre d’information trimestrielle, janvier 1996, p.3. 59 Intégration régionale comparée (43) C.C. Sénégal, Décision n° 3/C/93 du 16 décembre 1993 portant sur la conformité à la Constitution du Traité OHADA ; C.C. Bénin , DCC-19-94 du 30 juin 1994. (44) O. Moniyi Adewoye, «Constitutionnalisme et intégration économique», in Intégration et coopération régionale en Afrique de l’ouest, op. cit. p.371-384. (45) «Entrent dans le domaine du droit des affaires, l’ensemble des règles relatives au droit des sociétés et au statut juridique du commerçant, au recouvrement des créances, aux sûretés et aux voies d’exécution, au régime de redressement des entreprises et de la liquidation judiciaire, au droit de l’arbitrage, au droit du travail , au droit comptable, au droit de la vente et à toute matière que le Conseil des ministres décide à l’unanimité d’y inclure» (article 11). (46) G. Fouda, L’application des normes internationales dans les ordres juridiques étatiques africains. Approche théorique et prospective pour une meilleure application des normes internationales, Thèse de doctorat en droit, Bordeaux IV 1999, p.145-176. (47) A. Pouillieute, «Bilan et perspectives de l’intégration sous-régionale en Afrique», Afrique contemporaine, n°193, 2000, p.67-101. (48) Idem. (49) Fouad Laroui, Jeune Afrique L’intelligent, n°2049, du 18 au 24 avril 2000. (50) Le texte initial du Traité C.E.E s’était limité à instituer trois politiques communes s’accompagnant d’un transfert en bloc de compétences des Etats membres au profit de la Communauté (politique agricole, politique des transports et politique commerciale envers les Etats tiers). L’Acte unique européen de février 1986 y a ajouté cinq autres (politique monétaire, politique de l’environnement, politique de cohésion économique et sociale, politique de la recherche et du développement) alors que le Traité de Maastrich viendra, quant à lui, renforcer les procédures de décision des institutions communautaires. (51) Le concept communautaire de politique commune renvoie à trois éléments de base: 1° le transfert des compétences des Etats au profit de la Communauté, 2° des mécanismes de décision propres aux institutions communautaires, 3° des mécanismes de financement entièrement communautaires ou «ressources propres». (52) P.F. Gonidec, Les Organisations internationales africaines, p.60. (53) Nguyen Quoc Dinh, droit international public, (caractères généraux du droit de la coopération internationale), L.G.D.J. Paris 1999, 6e ed. P.1004 et s. (54) P. Barbier, «L’intégration régionale en Afrique du centre et de l’ouest», A.C. 1993, p.27 ; Les Organisations internationales régionales, La Documentation française, Paris, 1995. (55) A titre de comparaison, les articles 5 et 6 de la CEDEAO indiquent que les organes délibérant adoptent des décisions et des directives. Dans la mesure où l’expérience européenne utilise la formules sémantique identique, on pourrait penser que la directive CEDEAO ne lie les Etats que pour les résultats à atteindre et que la décision CEDEAO serait obligatoire dans tous ses éléments. Mais en réalité, ces différentes normes de la CEDEAO n’imposent aucune obligation juridique aux Etats. Les directives et les décisions de la Conférence des Chefs d’Etat (art.5§3) «engagent toutes les institutions de la communauté». Il en va de même pour les décisions et 60 Les mécanismes juridiques d’intégration régionale en Afrique noire : une application originale du modèle européen directives du Conseil qui n’engagent que les institutions relevant de son autorité (art.6§1). (56) P.F. Gonidec, op. cit. p. 181. (57) Luaba Lumu Ntumba, « La faiblesse du cadre institutionnel décisionnel comme frein à l’intégration», précité. (58) Article 32 §1 et du Statut de la C.I.J. (59) M. Bettati, «Le law making power de la Cour», Pouvoirs, n°48 1989, p.57 ; J. Boulouis, «A propos de la fonction normative de la jurisprudence : remarques sur l’oeuvre jurisprudentielle de la C.J.C.E. », Mél. Waline, L.G.D.J. 1974, p.148. (60) G. Isaac, Droit communautaire général, A. Colin, Paris 1999, 7e éd. P.231. (61) Notre thèse, op.cit. (62) P.F. Gonidec, Relations internationales africaines, L.G.D.J. Paris 1996, p.11 et s. (63) D. Darbon, «Crise du territoire et communautarisme; les nouveaux enjeux idéologiques de l’intégration en Afrique », in Régionalisme, mondialisation et fragmentation en Afrique susaharienne, p.61. (64) J. du Bois de Gaudusson, «Le statut de la justice dans les Etats d’Afrique noire francophone», A.C.La Doc. Française, 1990, p.6; G. Conac, « Le juge de l’Etat en Afrique francophone», A.C. 1990, p.13; P. Nkou Mvondo, «La crise de la justice de l’Etat en Afrique noire francophone: éléments des causes du divorce entre la justice et les justiciables », Penant, 1997, p.208-228. (65) J.P. Olivier Sadran, « Dramatique déliquescence des Etats en Afrique », Le Monde diplomatique, février 2000, p.12-13. (66) Mwayila Tsiyembe, «L’Etat en Afrique, crise du modèle importé et retour au réalités, essai sur la théorie de l’Etat multinational », in Mél ; F. Borella, P.U. de Nancy 1999, p.485-520. (67) Stanislas Odotevi, «Les facteurs culturels de l’intégration économique et politique en Afrique », in Intégration et coopération régionales en Afrique de l’ouest, p.81-94. (68) A. Pouillieute, op.cit. Il n’est d’ailleurs pas surprenant que l’analyse s’inscrive dans le cadre des mutations de la Convention de coopération entre l’union et européenne et les pays A.C.P. (69) L’option est entérinée par la Déclaration et le Plan d’action du Caire, Sommet Afrique –Europe sous l’égide de l’O.U.A et de l’Union européenne des 3 et 4 avril 2000. (70) Ruddy Doom, «Vers la «normalité», analyse du concept et moyens d’action»in, Conflits en Afrique, analyses des crises et pistes pour la prévention, éd. Complexe, Bruxelles, 1997, p.237-293. (71) Op. cit. note n°69. Bibliographie Régionalisme et droit international (Problèmes généraux et éléments de droit comparé) 61 Intégration régionale comparée - O.Y. 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Kenfack Douanji, « L’abandon de souveraineté dans le traité O.H.A.D.A.», Penant, 1999, p.125. 64 Le régionalisme transfrontalier : l’expérience de l’union Européenne pour l’Afrique post coloniale à travers l’expérience de BORGU LE REGIONALISME TRANSFRONTALIER : L'EXPERIENCE DE l'UNION EUROPEENNE POUR L'AFRIQUE POST - COLONIALE A TRAVERS L'EXPERIENCE DE BORGU A. I. ASIWAJU Professeur d'Histoire, Université de Lagos, Nigeria * L'auteur remercie l'Institut Français de Recherche en Afrique (IFRA) d'Ibadan pour le soutien apporté au développement de la recherche présentée dans cette communication. I - INTRODUCTION Le "régionalisme transfrontalier" fait référence à une catégorie nouvelle de coopération internationale fondée sur l'existence d'Etats souverains aux territoires adjacents. De tels Etats sont obligés de collaborer pour des raisons non seulement d'intérêts communs à l'accès aux ressources naturelles et humaines concernées par une frontière internationale partagée, mais encore pour des problèmes identiques d'impacts écologiques transfrontaliers liés aux activités humaines et/ou aux désastres naturels. Bien que la caractéristique d'une région transfrontalière dans notre communication soit de concerner des ethnies artificiellement divisées, ce qui donne une importance particulière au phénomène général des populations de cultures et de langues identiques, il est essentiel d'avoir présent à l'esprit une autre caractéristique des régions transfrontalières : le large spectre de ressources transfrontalières naturelles allant de la terre, de l'eau (en surface et souterraine) et de l'air aux minéraux solides et liquides ainsi qu'à la flore, la faune, l'environnement fondamentalement indivisible et l'écosystème. 65 Intégration régionale comparée Dépendant de la politique mise en place par l'un ou l'autre Etat vis-à-vis de son voisin géographiquement contigu, les interactions internationales générées par de telles ressources transfrontalières naturelles et humaines peuvent être une source de conflit, de guerre ou de coopération et de paix. Alors que le conflit a été l'issue dominante, l'option de coopération est toujours restée ouverte d'un point de vue conceptuel et de recevabilité. En Europe, depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, l'accent politique a considérablement évolué d'une disposition à la guerre vers un engagement toujours croissant à l'exploration et à l'utilisation systématique de la paix et de la coopération pour la définition des limites internationales et le partage des territoires frontaliers. A un début non coordonné d'initiatives locales basées sur l'attitude spontanée de la population transfrontalière et concernant différents groupes ethniques en Europe de l'Ouest, l'organisation des régions européennes ou Eurorégions (c'est-à-dire "les régions qui bien que parcourues par des frontières internationales présentent néanmoins une unité'') (l) a évolué du statut d'impuissance à celui de très bonne coordination dans la "solide maison de l'intégration européenne"(2). De leurs situations originales définies comme informelles, les Eurorégions opèrent maintenant comme des institutions formelles reconnues par les deux lois supranationale et domestique. Elles sont aussi devenues efficacement coordonnées à la fois aux niveaux régional et infra - régional. La pratique de la coopération transfrontalière a été fructueuse et nette dans sa contribution à l'accomplissement spectaculaire de l'intégration européenne au point d'influencer les décideurs politiques à l'extérieur du centre initial de diffusion de l'Europe de l'Ouest. Non seulement cette coopération devient la pratique ordinaire dans l'Europe du Nord, notamment dans les pays scandinaves, mais le développement d'après-guerre en Europe de l'Ouest a été 66 Le régionalisme transfrontalier : l’expérience de l’union Européenne pour l’Afrique post coloniale à travers l’expérience de BORGU adopté comme modèle par l'Europe centrale et de l'Est depuis la chute du mur de Berlin et l'effondrement des régimes communistes. Elle est aussi expérimentée activement et reproduite en dehors de l'Europe, notamment en Amérique latine et du Nord ainsi qu'en Asie (3). Le centenaire du partage anglo-français de Borgu, une des régions africaines potentielles ou afrorégions, créé à la suite du partage de la colonisation européenne et de l'émergence induite d'Etats africains dépendants, fournit l'occasion pour une réflexion renouvelée sur la panoplie des potentialités africaines utiles pour la définition et l'application politiques (4). Notre communication est structurée en cinq sections. La section I (ou Introduction) est suivie par la section II intitulée Le modèle européen, basé sur l'expérience historique européenne et la pratique actuelle. La section III, Comparabilité africaine, mesure la pertinence de l'Histoire dans l'élaboration de l'Europe et l'applicabilité à l'Afrique. Dans la section IV, l'étude de Borgu sera présentée pour illustrer le cas des régions transfrontalières africaines avec une référence spéciale aux rôles déterminants des aires culturelles découpées et des populations transfrontalières africaines. Dans la section V conclusive, intitulée Les recommandations et les réflexions politiques, une tentative est faite d'identification des conditions de réussite à remplir pour que les potentialités africaines de régionalisme transfrontalier puissent conduire à des réalisations concrètes. La section conclut avec des indications sur les développements et les initiatives politiques récentes allant dans le sens d'un engouement croissant de refondation des efforts africains d'intégration régionale sur des bases de coopération transfrontalière entre Etats géographiquement adjacents et donc, sur la réalité des liens transfrontaliers écologiques, socio-économiques et historiques. L'exemple du Nigeria et du Bénin, avec une référence spéciale à la participation active du Borgawa 67 Intégration régionale comparée s'étendant de part et d'autre de la frontière partagée, est alors utilisé à titre d'illustration. Cette section conclusive met un accent particulier sur le rôle de la politique, surtout au niveau de l'Organisation de l'Unité Africaine, et la nécessité d'un soutien adéquat à la recherche. II - LE MODELE EUROPEEN En Europe, le régionalisme transfrontalier est connu pour avoir commencé et s'être développé comme un mouvement d'accompagnement de l'évolution de l'intégration européenne. Certes, l'objectif du régionalisme transfrontalier est l'accomplissement d'une micro - intégration transfrontalière qui concorderait à la macro - intégration européenne. A l'origine promu par le Conseil de l'Europe (fondé en 1949), alors le premier aménageur, le régionalisme transfrontalier s'était exceptionnellement développé pendant les années 80 par l'adoption d'une approche régionale de la planification et du développement. Celui-ci s'appuyait sur l'exemple de la Communauté économique européenne (meilleure allocataire de ressources), aujourd'hui Union européenne, et la promotion systématique du concept d'une nouvelle Europe des régions en opposition à la vieille Europe de l'Etat - nation. Les propos, plutôt instructifs de Giuseppe Vedovato, un expert Italien, indiquent : Le point de départ pour le développement des régions transfrontalières peut être situé dans le contrecoup immédiat de la Deuxième Guerre mondiale, quand les insurmontables barrières politiques et idéologiques qui s'étaient établies en Europe et les problèmes sérieux de reconstruction rendaient nécessaires de regarder de nouvelles ouvertures et de nouveaux modèles de coopération territoriale. Il a existé un temps qui a vu 68 Le régionalisme transfrontalier : l’expérience de l’union Européenne pour l’Afrique post coloniale à travers l’expérience de BORGU l'établissement presque spontané de contacts entre les communautés locales qui devaient rendre les frontières plus perméables et développer une variété de différentes formes organisationnelles (5). En 1986, quand l'Acte unique européen prévoyait la primauté des régions comme unités de planification et de développement dans l'Europe communautaire, les Eurorégions et les initiatives associées de coopération transfrontalière sont devenues des caractéristiques permanentes de la vie européenne avec une référence particulière aux Etats-membres du Conseil de l'Europe et de la Communauté économique européenne. La Charte européenne des Régions frontalières et transfrontalières, adoptée par l'Association des Régions frontalières européennes avec son siège à Bonn, contient une liste de 46 régions et associations situées partout en Europe de l'Ouest et du Nord mais concentrées sur le Rhin (le Waal, prononcé Vaal, aux Pays-Bas), fleuve principal d'Europe continentale, qui sert de limites internationales, d'une part, entre l'Allemagne et la France et, d'autre part, entre l'Allemagne et les PaysBas. Parmi les exemples typiques d'Eurorégions organisées apparaissent la région de Basiliensi créée définitivement en 1963 autour de la "trinationale" (Suisse - France - Allemagne) ville de Bâle, noyau d'une plus grande région transfrontalière couvrant le Jura suisse, la Forêt Noire allemande et les Vosges françaises ; région de près de 2 millions d'habitants parlant communément un dialecte allemand local. Puis, il y a l'Eurorégion Rhin - Waal, lancée en 1970, pour promouvoir la coopération allemano - hollandaise dans l'aire située le long et de part et d'autre de la frontière binationale. L'"Arge Alp", l'"Alpe Adria" et le "Cotrao" - organisations régionales respectivement des régions du 69 Intégration régionale comparée Centre, de l'Est et de l'Ouest des Alpes - relient l'Italie avec les régions avoisinantes, notamment alpines, incluant la Yougoslavie antérieurement communiste du temps du Rideau de fer dans le cas de l'"Alp Adria" . Dans l'Europe du Nord, où les pays Scandinaves (Danemark, Finlande, Norvège et Suède) ont développé une série d'accords multilatéraux et bilatéraux pour restreindre les activités pouvant conduire à la pollution de l'air, de la terre, de l'eau et de la mer, les régions les plus avancées dans le développement de la coopération transfrontalière concernent le "North Calotte Area", le "West Nordic region", l'"Archipelago", l'"Arko", l'"Ostiold-Bohus", l'"Orsund Canal" et le "Bornholm Southeastern Skane". Les organisations des régions transfrontalières tirent une force considérable de leur nature multifonctionnelle, chacune combinant le social, l'économique, l'écologique et divers autres aspects, ce qui concerne de ce fait un grand nombre de groupes d'intérêt. Mais aussi la force de ces organisations tient à leur capacité à se fédérer en plus grandes et fortes formations régionales telles que le Comité pour la Promotion de la Région alpine avec son siège à Turin (Italie) et la Conférence des Planificateurs de la vallée du Rhin supérieur. L'autre modèle de coopération transfrontalière, qui développe des fonctions spécialisées, concerne l'"Eurorégion des Villes", par exemple celle impliquant plusieurs municipalités dans l'Eurorégion Meuse - Rhin, l'Eurorégion des Chambres de Commerce, l'accord de coopération entre les Vice-Chanceliers des Universités de Liège (Belgique), Maastricht (Pays-Bas) et Aix-la-Chapelle (Allemagne) et l'imaginative Faculté internationale de Scheldt combinant un haut niveau de formation et la recherche appliquée dans le Zeeland et les Flandres. Pendant des années, surtout depuis 1970, le régionalisme transfrontalier en Europe a considérablement progressé en étant soutenu par les pouvoirs 70 Le régionalisme transfrontalier : l’expérience de l’union Européenne pour l’Afrique post coloniale à travers l’expérience de BORGU politiques. Cette croissance significative a été réalisée par une capacité d'autoadministration exprimée par les régions frontières européennes qui ont exploité pleinement les avantages d'un environnement politique plus favorable, caractérisé par 1'apprentissage d'après-guerre de la démocratie et l'engagement à respecter les droits fondamentaux de l'homme. Cette capacité s'est concrétisée par l'émergence de certaines institutions stratégiques de soutien et de reconnaissance, gagnées au régionalisme transfrontalier national et surtout international en Europe. En premier lieu, cela s'est traduit par l'établissement dans le début des années 1980 de l'"Association of European Border Regions (AEBR), basée à Bonn, qui a depuis fonctionné comme une structure commune au niveau continental. Puis est apparu le Bureau de liaison des Organisations régionales européennes, ancré sur l'AEBR et stratégiquement situé à Strasbourg, siège aussi du Conseil de l'Europe et du Parlement européen, qui constituent évidemment des institutions européennes majeures. L'adoption non seulement de la Convention européenne sur la coopération transfrontalière des Communautés et Autorités Territoriales mais encore de Protocoles supplémentaires à la Convention par le Conseil de l'Europe, respectivement en 1980 et 1993, la création en 1984, avec le secrétariat du Conseil, d'un Bureau spécialisé sur les pouvoirs régionaux et locaux et l' institutionnalisation de la Conférence des Ministres responsables de la Planification régionale fournissent des exemples d'une très grande influence que le régionalisme transfrontalier a exercé sur les institutions européennes de Strasbourg. A l'égard de la Communauté économique européenne et de la Commission européenne de Bruxelles, la preuve d'une pénétration également efficace par le régionalisme transfrontalier est fournie par l'entrée en vigueur de l'Acte unique européen et la prise en compte des régions comme unités 71 Intégration régionale comparée élémentaires de planification et de développement dans l'Europe de la Communauté. Les régions de frontière, qui constituent le coeur et la majorité de la catégorie d'espace dénommée "transrégionale" (c'est-à-dire les régions dans des Etats différents, surtout celles situées des deux côtés de la frontière entre les Etats membres), reconnue dans l'Acte unique, ont été les principales bénéficiaires du Fonds Européen de Développement Régional créé par le Conseil européen et finançant les programmes INTERREG. Avec l'effondrement des régimes communistes au début des années 1990 et l'établissement, en résultant, du pluralisme économique, politique et démocratique en Europe Centrale et de l'Est ; événements ouvrant des perspectives nouvelles pour l'admission ultime de l'ancienne Europe Communiste à l'Union européenne, le régionalisme transfrontalier a diffusé son influence en Europe Centrale et de l'Est (6). Des preuves nombreuses et diversifiées montrent une large gamme de projets significatifs de la coopération transfrontalière aussi bien à travers les frontières entre Europe de l'Ouest et de l'Est qu' entre ces économies elles-mêmes. Dans un premier sous-ensemble apparaît l’"Eurorégion Egrensis", concernant les autorités locales de la République tchèque et le Landër allemand de la Franconie de l'Est supérieur, le Palatinat du Nord supérieur et le Vogtland saxon. Une observation similaire vaut pour l'Eurorégion de Poméranie à cheval sur l'Oder-Neisse, frontière entre la Pologne et l'Allemagne. Une illustration plus directe du lien entre l'initiative de coopération transfrontalière de l'Europe Centrale et de l'Est avec l'Europe ouest-européenne apparaît dans la ratification polonaise de la Convention européenne sur la coopération transfrontalière des Communautés et des Pouvoirs territoriaux de 1993 et la citation fréquente de ses clauses comme précédent pour plusieurs accords de coopération transfrontalière de la Pologne avec ses voisins, pays de l'Ouest européen ou de l' Europe Centrale et de l'Est. 72 Le régionalisme transfrontalier : l’expérience de l’union Européenne pour l’Afrique post coloniale à travers l’expérience de BORGU Un autre sous-ensemble actif d'organisation des régions transfrontalières en Europe Centrale et de l'Est, liant les Etats communistes entre eux, peut être illustré par le projet d'Eurorégion des Carpathes, démarré en 1992 et établi formellement au début de 1993. Le projet couvre approximativement une superficie de 118000 km2 et près de 12.5 millions de personnes, et est composé des régions frontalières contiguës de Pologne, de Hongrie, de Slovaquie et d'Ukraine, avec la Roumanie qui y participe en tant qu' observateur du fait de deux provinces limitrophes du nord de la Transylvanie. Ce projet est assisté par l'Institut pour les Etudes Est - Ouest d'Atlanta (Etats-Unis), et bénéficie de soutiens financiers d'une Fondation américaine et de la Fondation de la paix Sasakawa du Japon. Les contributions extérieures sont faites à une Fondation spécialement créée pour le développement de l'Eurorégion des Carpathes. De la même façon qu'avec les projets régionaux transfrontaliers de développement à l'Ouest, les nouvelles initiatives régionales transfrontalières de développement dans l'Europe Centrale et de l'Est sont aussi soutenues par le Fonds Européen de Développement Régional de l'Union européenne, tout particulièrement avec le programme PHARE. III - COMPARABILITÉ AFRICAINE (i) Vue d'ensemble Cette question ne gagne guère à de nouvelles études détaillées comme cela a été indiqué dans plusieurs de nos travaux antérieurs (7) : contrairement à la croyance populaire, les territoires des Etats et les frontières en Afrique post-coloniale ne sont pas structurellement et fonctionnellement différents de ceux rencontrés ailleurs dans le monde, notamment dans les autres Etats nations créés lors de siècles d'expansion impérialiste et de domination coloniale par les pouvoirs métropolitains d'autrefois, aujourd’hui Etats 73 Intégration régionale comparée membres fondateurs du Conseil de l'Europe et de l'Union européenne. Sans sous-estimer les différences importantes liées à des faits historiques et géographiques, des ressemblances significatives ont été identifiées entre l'Afrique et l'Europe avec une attention particulière accordée à la perception par les peuples locaux de l'arbitraire de processus, en général artificiels, liés aux effets de partition territoriale. Les études comparatives des impacts localisés des frontières en Afrique et en Europe tendent à montrer plus de ressemblances que de différences. Les récriminations traditionnelles de l'Afrique ignorent souvent ces ressemblances cruciales et négligent les leçons essentielles que l'Afrique pourrait tirer de l’histoire de l'expérience européenne. Il est généralement admis, par exemple, que l'Afrique a été dramatiquement divisée ; ces frontières sont artificielles, souvent arbitrairement tracées avec peu ou pas de respect pour la préexistence de modèles socio-économiques et des réseaux de terrain ; les frontières ont irrégulièrement séparé des zones unifiées de culture et ont sans considération aucune fragmenté des régions et des écosystèmes de création naturelle ; beaucoup de problèmes économiques contemporains de l'Afrique proviennent de cette division territoriale en un très grand nombre d’économies nationales davantage concurrentielles que complémentaires ; et, finalement, beaucoup de problèmes politiques actuels du continent sont originaires "de la nature arbitraire des frontières coloniales qui (entre autres choses) aboutissent...à une juxtaposition artificielle de groupes incompatibles ou antagoniques". Cependant, aucune des considérations présentant l'Afrique comme unique n'a été confirmée par les comparaisons avec l'Europe. Celles-ci, basées sur des études de cas détaillées, ont démontré une reproduction de l'expérience européenne en Afrique. En Europe, comme en Afrique, des zones frontières voisines pratiquent plusieurs langues officielles, des cultures nationales ainsi 74 Le régionalisme transfrontalier : l’expérience de l’union Européenne pour l’Afrique post coloniale à travers l’expérience de BORGU que des systèmes économiques différents, des régimes légaux antagoniques et des traditions administratives parallèles, tout en recouvrant des cultures locales indigènes distinctes et ignorées par les frontières entre Etats. Ainsi, de fortes ressemblances ont été trouvées en Europe, dans le cas des Catalans, "un groupe ethnique ni français, ni espagnol" de la vallée de Cerdanya des Pyrénées Orientales, traversée par la frontière franco-espagnole. Une situation similaire se rencontre en Afrique, dans l’Yoruba Occidental et l'Hausa, composés de groupes ethniques n’étant ni français ni britanniques, séparés par des espaces officiellement contrôlés par les Français et les Anglais, puis par les frontières du Bénin - Nigeria et du Niger - Nigeria aujourd'hui. Les Catalans en Europe et les habitants de l'Yoruba et de l’Hausa en Afrique ne sont que quelques-uns parmi les nombreux groupes ethniques écartelés ou parmi les peuples transfrontaliers séparés par des frontières artificielles d'Etat dans les deux continents. L'Europe et l'Afrique ont été divisées par plus ou moins les mêmes processus ; ce sont des continents de multiplicité excessive de territoires d'Etat et de frontières d’Etat, l'Europe d'une façon même plus évidente que l'Afrique. Sans considérer le plus grand nombre d'Etats, mais en tenant compte de la taille territoriale relativement plus petite de l'Europe par rapport à l'Afrique, il apparaît une instabilité plus grande de la structure territoriale de l’Etat - nation européen. Ce contraste explique bien, d’une part, l'effet paradoxal que l'Afrique post-coloniale a engendré, en particulier les crises politiques croissantes provoquées par les territoires d'Etat et les frontières du continent et, d'autre part, les révisions cartographiques fondamentales qui ont eu lieu en Europe à la suite des crises contemporaines européennes. Il a été estimé, par exemple, que "plus de 60 pour cent des frontières présentes [de l'Europe] [ont été] tracées pendant le XXe siècle" et que près de "13000 kilomètres de nouvelles lignes 75 Intégration régionale comparée politiques" ont été nécessaires pour dresser les contours des pays actuels de l'Europe Centrale et de l'Est, à la suite des crises qui ont touché l'Europe, c'està-dire l'écroulement des régimes communistes à la fin des années 1980 et au début des années 1990 et la dissolution en résultant de certains Etats avec l'apparition de nouveaux (8). En Europe, comme dans l'Afrique défigurée par l'Europe, les territoires des Etats et les frontières ont été dessinés pour séparer arbitrairement des caractéristiques semblables, cela étant localement ressenti comme artificiel. Ainsi les processus de formation des Etats modernes ont résulté dans les deux continents de formes semblables d'absurdités territoriales, non seulement en ce qui concerne les contours géographiques et les tailles des territoires d'Etat mais aussi en ce qui concerne les entités dépendantes (Etats sans littoral et enclaves). Il y a eu aussi des situations semblables avec des régions naturelles, artificiellement divisées (mers, lacs, rivières, montagnes, vallées, forêts, déserts, etc) et, plus gravement, avec des partitions de groupes ethniques et de zones culturelles. Un dernier sous-ensemble d'effets s'est avéré être extrêmement productif de minorités nationales ethniques avec des manifestations d'irrédentisme et la pratique plus épouvantable de "purification ethnique". En Europe et dans l'Afrique post-coloniale, certaines frontières d'Etat sont de triste notoriété de par leur rôle déclencheur de revendications et de conflits dans, et plus particulièrement, entre les Etats. Ces ressemblances de structures et de problèmes des territoires et des frontières en Europe et en Afrique ne constituent pas une réelle surprise dans la mesure où les frontières en vigueur dans le continent africain sont restées celles plus ou moins créées par les "impérialistes" européens qui les ont tracées et les ont gérées comme les frontières de leurs propres pays respectifs. Nous avons indiqué de façon détaillée qu'en Europe comme en Afrique, les processus de 76 Le régionalisme transfrontalier : l’expérience de l’union Européenne pour l’Afrique post coloniale à travers l’expérience de BORGU réalisation des frontières ainsi que les structures et les fonctions des frontières des Etats sont plus semblables que dissemblables. La même observation est valable pour les types d'instruments légaux et l'ingénierie politique conçus pour leur gestion : on trouve les mêmes sortes de protocoles, de traités et d’échange de notes, le même modèle de diplomatie. Le point positif est alors qu'étant donné ces ressemblances essentielles, les leçons de l'expérience d’un continent ne peuvent pas et ne doivent pas être perdues pour l'autre. (ii) Les pressions régionales transfrontalières en Afrique En Afrique apparaissent les mêmes pressions résultant de l'histoire locale et de la géopolitique pour la coopération transfrontalière et l'intégration régionale, comme cela a été le cas et comme cela fonctionne toujours dans l'Europe de l'après-guerre. En ce qui concerne la coopération transfrontalière, notamment celle visée dans cette présentation, il est pertinent d'attirer l'attention sur l'attitude de régions transfrontalières dynamiques pratiquant des politiques appropriées pour s'intégrer à des organisations transfrontalières régionales, capables de regrouper les diverses organisations sous continentales et de les transformer en une organisation africaine régionale, prévue dans le Traité de la Communauté Economique Africaine, initié en 1991 sur le modèle du Traité de 1957 de la Communauté Economique Européenne. Tout comme en Europe, les perspectives du régionalisme transfrontalier en Afrique apparaissent irrésistiblement conduites par quatre forces créatrices : les populations locales, l’économie de frontière, les ressources naturelles et l'environnement et la nécessité largement reconnue de fonder l'intégration régionale/sous-régionale africaine sur l’histoire locale et la culture. En fait, comme nous en avons discuté ailleurs, la manifestation continue de ces facteurs a mené à des formes diverses de micro - intégration à travers les frontières 77 Intégration régionale comparée internationales de l'Afrique, chaque projet d’intégration participant ensuite à des projets régionaux plus vastes d'intégration (processus poursuivis au niveau étatique dans les diverses sous - régions du continent). La première et la plus fondamentale des quatre forces contraignant le régionalisme transfrontalier en Afrique est la présence importante de groupes ethniques éparpillés et de zones divisées de culture. A l’échelle continentale, cette situation très sensible a entraîné une difficulté systématique et la destruction de toute séparation normale ou des fonctions de barrières et des effets de frontières étatiques. Cet impact d'effacement transfrontalier des peuples de l'Afrique est produit par des actions transfrontalières de puissants réseaux culturels, socio-économiques et par les interactions politiques entre régions frontalières à cheval sur des zones spécifiques de chaque frontière, parlant des langues indigènes identiques et partageant des identités culturelles comme la religion traditionnelle, les mémoires communes d'origine ancestrale, des institutions socio-économiques et politiques identiques ainsi que, dans beaucoup de cas, des liens de parenté très proches. Dans des situations comme celles du Shona à travers le secteur de Monica de la frontière du Mozambique-Zimbabwe, le Ketu-Yoruba, situé de part et d’autre de la frontière du Bénin et du Nigeria, ou, comme nous le verrons bientôt, le Baatonu du royaume Nikki de Borgu, partagé par la frontière du Bénin et du Nigeria, la mémoire d'allégeance commune au même Etat précolonial est souvent conservée pour renforcer le sentiment de solidarité qui lie des communautés territoriales des deux côtés des frontières africaines. La signification de cette dimension ethnique de la solidarité transfrontalière en Afrique est soulignée par une omniprésence qui a été solidement documentée dans notre livre, Partitioned Africans : Ethnic Relations Across Africa's International Boundaries, 1884-1984, publié simultanément en 1984/1985 par 78 Le régionalisme transfrontalier : l’expérience de l’union Européenne pour l’Afrique post coloniale à travers l’expérience de BORGU les Presses universitaires de Lagos, Lagos, C. Hurst and Co. (Editeurs) à Londres et St. Martin's Press à New York. Le deuxième facteur, corrélé au précédent, favorisant l’attraction régionale, est le commerce transfrontalier. C'est une bonne mesure de sa signification qu'après des décennies d'ignorance, il soit devenu un centre d'intérêt pour des chercheurs et des consultants travaillant surtout pour le développement international et pour les organismes donateurs incluant la Banque mondiale, l'Agence pour le Développement International des EtatsUnis (USAID), le Club basé à Paris pour le développement du Sahel de l'Organisation pour la Coopération Economique et le Développement (OCDE). Les nombreuses études et publications sur ce sujet et les efforts qui en ont résulté ne laissent personne dans le doute sur la prééminence des formes officieuses de transactions d'affaires interafricaines par rapport aux données officielles de ce même commerce. La large diffusion de ce phénomène au niveau continental est indiquée par des publications telles que celles de Janet MacGaffee se concentrant sur l'ancien Zaïre, comme un cas typique de l’Afrique centrale, de Chris Ackello-Ogutu et P.N. Echessah sur l'Afrique orientale, travail financé par l’USAID, et de Johnny Egg et John Igue sur la sous - région de l'Afrique occidentale, recherche financée séparément par le Ministère français de la Coopération et le Club du Sahel de l'OCDE à Paris (9). La réalisation de l'ampleur du flux international commercial transfrontalier et le caractère vraiment régional de sa dynamique opérationnelle ont conduit les experts des études de l'Afrique occidentale à apprécier et à suggérer le besoin d'une réorientation radicale de l'approche actuelle de l'intégration régionale en faveur d'une nouvelle stratégie qu'ils ont appelée "l'intégration guidée de marché" (10). La signification de cette suggestion est 79 Intégration régionale comparée qu'au lieu de suivre le modèle des organisations internationales traditionnelles, l'intégration régionale en Afrique doit être enracinée dans les interactions transnationales, comme le suggère la manifestation forte du commerce transfrontalier interrégional. La zone d'intégration régionale de l'Afrique de l'Ouest, ECOWAS, a été réorganisée en trois sous-groupes séparés, basés sur le degré d'intensité des interactions économiques à travers les frontières des Etats ainsi regroupés. La restructuration du sous-continent de l'Afrique occidentale a abouti à l'identification de trois unités se chevauchant : (ll) l’Ouest, comprenant la région plus large de Sénégambie avec la Gambie, le Sénégal, la Mauritanie, le Mali, les deux Guinées (Conakry et Bissau) et le Cap Vert ; le Centre Ouest, incluant la Côte-d'Ivoire, le Ghana, le Burkina Faso, le Liberia et la Sierra Leone ; et l’Est de l'Ouest dont fait partie le Nigeria et les Etats voisins du Bénin avec le Togo, le Niger, le Tchad, le Cameroun et la Guinée Equatoriale. Une démarche semblable est possible pour l'identification de la Tanzanie et des pays voisins, la République sud-africaine et les pays territorialement adjacents et la République démocratique du Congo (l'ancien Zaïre) et ses voisins immédiats. Le troisième facteur d'attraction interrégionale en Afrique est le poids des ressources naturelles transfrontalières incluant les habitats naturels et les entités «écosystémiques». L'importance de ce facteur est particulièrement soulignée, non seulement par la haute fréquence de l'utilisation faite des rivières (comme le Zambèze, le Limpopo et le Mano), des lacs (comme le lac Tchad, le lac Victoria et le lac Malawi) et des montagnes, (le Cameroun, l’Adamawa et le Kilimandjaro) en tant que frontières, mais aussi par les caractéristiques banales de rivières transnationales comme le Nil, le Niger, le Sénégal et l'Orange, rivières d'unité de l'Afrique. 80 Le régionalisme transfrontalier : l’expérience de l’union Européenne pour l’Afrique post coloniale à travers l’expérience de BORGU Les possibilités de stimulation de la coopération transfrontalière par la planification, le développement et la gestion commune sont aussi démontrés, paradoxalement, par le rôle des ressources transfrontalières stratégiques comme déclencheurs de conflits internationaux : par exemple l'hydrocarbure offshore situé dans le Golfe de Guinée, qui a provoqué un différend prolongé sur une question de frontières et récemment les conflits armés, notamment entre le Nigeria et le Cameroun, entre la Libye et le Tchad, le Mali et le Burkina Faso. Ce sont des conflits et des litiges internationaux sur des bouts de frontières partagés et supposés riches en minéraux solides, par exemple la bande d'Aouzur et le couloir Agacher. La flore et la faune internationale, très importante pour tous, les industries touristiques, activités significatives des pays africains les plus Orientaux et du Sud, se sont avérées être de valeur comparable en tant que facteurs de conflit et de solidarité transfrontalière régionale. La quatrième et dernière indication concernant les perspectives pour le régionalisme transfrontalier en Afrique repose sur un nombre croissant de discours. Aux arguments d'une réorientation de projets régionaux d'intégration sur des fondations plus solides de cultures locales africaines, prenant en compte les spécificités de l'Histoire et les traditions des habitants (12), s'est ajouté le plaidoyer pour une perspective de politique de marché, basée sur la collecte de données scientifiques et l'analyse du commerce, des relations d’affaires transfrontalières avec leur dynamique régionale et leurs réseaux. Ajoutez à ces arguments l'appui spontané de la population pour que la politique de coopération transfrontalière s'incarne dans des réunions de travail telles que celles tenues en 1988-1992 entre le Nigeria et ses voisins (l3) et au Zimbabwe en 1995 et 1996 dans un contexte de recherches sur le Développement de Zones frontalières en Afrique Orientale et du Sud, amorcées à Nairobi (Kenya) 81 Intégration régionale comparée par le Bureau du Centre des Nations Unies du Développement Régional en Afrique (14). Il y a des indicateurs fiables sur l'existence dans la plupart des zones de frontière africaines "de(s) groupe (s) régional (aux) potentiel(s) composé(s) de politiciens locaux, d’experts dans les affaires économiques et sociales et de scientifiques pour étudier la plupart des scénarios appropriés" du type de ceux qui ont joué un rôle sensible dans les organisations transfrontalières régionalistes européennes. Il y a des chances pour que les groupes régionaux africains se transforment en groupes de pression de coopération transfrontalière, si la tendance actuelle pour la démocratisation en Afrique est maintenue. Nous nous attarderons plus longuement sur ce point dans la cinquième et dernière section de cette communication. IV- L'ÉTUDE DU CAS DE BORGU Borgu illustre de manière flagrante le problème africain des régions transfrontalières caractérisées par une population indigène transfrontalière de composition ethnique et linguistique identique. Borgu s’est particulièrement distingué par l’extraordinaire sentiment d'allégeance de la part de ses diverses communautés, connues dans leur histoire pour avoir jalousement gardé et collectivement défendu son intégrité territoriale. Situé sur la rive droite du fleuve Niger, compris entre les neuvièmes et douzièmes parallèles et les premiers et quatrièmes méridiens de longitude est, (15) le Borgu historique couvre un territoire d'approximativement 70000 kilomètres carrés pour environ 2 millions d'habitants (16). Cela sera clairement établi dans cette communication, la caractéristique historique étant ici l'unité dans la diversité ethnique, culturelle et politique. Depuis la division franco-anglaise de 1898 et les différents 82 Le régionalisme transfrontalier : l’expérience de l’union Européenne pour l’Afrique post coloniale à travers l’expérience de BORGU gouvernements coloniaux qui se sont succédés jusqu'en août et octobre 1960, respectivement dans les parties française et britannique, Borgu est composé de deux parties distinctes. D'une part, les communautés à l'Ouest de la frontière, incorporées dans l'ancienne colonie française du Dahomey (la République actuelle du Bénin), comprenant les principaux villages de Nikki, Parakou, Djougou, Kouande, Kandi et Bembereke. D'autre part, à l'Est, le Borgu nigérian, autrefois administré par le Protectorat britannique du Nigeria du Nord et comprenant les villages et chefferies de Bussa, Illo, Kaoje, Koenji, Agwara, Rofia et Aliyara (Babana), Wawa au nord et Kaima, Kenu, Okuta, Ilesha, Gwanara et Yashkikera au sud. Aujourd'hui, le Borgu est composé des deux blocs officiels du Bénin francophone et du Nigeria anglophone. Mais chacune des différentes parties de cette terre historique a été dispersée en raison de découpages territoriaux par les pays gouvernants des ères coloniale et post-coloniale. Sur le côté nigérian de la frontière (l7), par exemple, la sensibilité précoloniale de Borgu a été d'abord complètement ignorée par une restructuration en deux Emirats rivaux de Kaima au sud et de Bussa au nord. Puis il y eut une série de découpages territoriaux et de restitutions particulièrement importantes dans le nord de Borgu. En 1905, par exemple, Illo, Kaoje, Lefaru, Gendenni dans le Nord-Est ont été fusionnés avec l'Emirat du Gwandu pour indemniser Sokoto Caliphate pour les parties de son territoire que les Anglais avaient concédées à la France. Bien qu'Agwara et Rofia aient été finalement restitués à Borgu, Illo, Kaoje et Koenji sont restés dans l'Emirat du Gwandu, et aujourd’hui dans la partie de l’Etat du Birnin Kebbi créé en 1991. Dans la période coloniale, l'identité de Borgu a été perturbée à plusieurs reprises par des rattachements à d’autres grandes provinces comme Yauri, Kontagora et, finalement Ilorin. Le Borgu nigérian a en définitive été découpé en quatre secteurs d'administration locale 83 Intégration régionale comparée distincts, "dispersés" à travers les frontières des trois Etats adjacents de Kwara, du Niger et de Birnin Kebbi. Une expérience semblable de démembrement territorial interne a été enregistrée pour la partie française de Borgu. Si l'on excepte la division en unités territoriales plus petites, pour des raisons administratives et ne reposant sur aucune raison historique, on peut noter la fusion maladroite du Barba, c'està-dire la population de Borgu, avec des non - Barba dans des nouvelles unités administratives comme Gourma et le Niger Moyen, deux des quatre Cercles dans lesquels les Français ont au début de la colonisation organisé leur installation au Borgu ; les deux autres, principalement de population Barba, étaient les Cercles de Borgou et Djougou-Kouande. Finalement, le Borgu français a été organisé dans deux Cercles principaux : d'une part, Parakou, comprenant les subdivisions de Parakou, Bembereke et, d'autre part, Nikki et Kandi, composés des subdivisions de Kandi, Malanville (principalement de population Dendi) et Kouande. L'emplacement du quartier général du Cercle de Kandi dans Natitingou dans le pays Somba, extérieur au Borgu historique, était aussi culturellement irritant pour les Barbas de la partie française que le rattachement d'Illo à Gwandu l’a été pour leurs parents dans la partie nigériane de Borgu. Aujourd'hui, au Bénin, le Borgu historique est constitué des Départements (les équivalents des Etats au Nigeria) de Borgou et Atacora et de leurs sous-préfectures (les équivalents des Administrations locales au Nigeria). Ces dispositions territoriales coloniales et post-coloniales et les pratiques administratives les accompagnant ont été ressenties comme inacceptables par l’énorme majorité du Borgawa (référence collective aux peuples de Borgu par leurs voisins Hausa), qui a vécu ces événements comme un camouflet impardonnable à leur perception séculaire, à la fois de leur zone d’implantation 84 Le régionalisme transfrontalier : l’expérience de l’union Européenne pour l’Afrique post coloniale à travers l’expérience de BORGU culturelle et des territoires considérés comme sacrés et inviolables. Ce point est essentiel pour une compréhension des réactions systématiques de rejet de la division impérialiste européenne et de la domination coloniale différenciée qui s’y est exercée, réactions qui ont persisté, même subtilement, dans l'ère postcoloniale. Maintenant que ces détails historiques sont bien connus, il suffira de souligner que le thème le plus central dans l'histoire et la culture de Borgu reste l'unité dans la diversité d'appartenance ethnique, linguistique, religieuse, politique et économique. Cette qualité unique a permis non seulement la propre perception des peuples d’eux-mêmes généralement comme "Barba", mais il a aussi justifié l'identification objective de Borgu comme une aire de culture bien définie. Il est remarquable que, malgré la différenciation interne en plusieurs groupes ethniques et linguistiques distincts et en sous-groupes dans lesquels les plus dominants sont le Baatonu et le Boko, respectivement l'élite majoritaire et l’élite dirigeante, le Borgawa se soit vu lui-même comme "un peuple unique" et se soit référé à Borgu comme "à notre pays", c'est-à-dire un patrimoine commun indivisible malgré l'organisation traditionnelle en de nombreux royaumes, souvent concurrentiels avec trois blocs de pouvoir principaux centrés sur Bussa, Nikki et Illo. L'observation d'Anene est particulièrement instructive, et malgré l'accent particulier que son étude place sur l'éclatement plutôt que sur la fusion des aires de culture dans le tracé des frontières du Nigeria, il a dû reconnaître à contrecœur que "Borgu était dès sa naissance, ancienne et non précisément déterminée, un territoire politique distinct dont le Borgawa (Baatonu ou Boko, Bussa, Nikki ou Illo) était déterminé à défendre l'intégrité par le sang" (18). Ce sens extraordinaire d'allégeance collective à Borgu comme la "patrie" de tout le Borgawa a été démontré partout dans leur histoire connue. Des 85 Intégration régionale comparée réponses patriotiques de tous au devoir de défense de leur terre sont devenues particulièrement vivaces, chaque fois que l'on a menacé l'intégrité territoriale de Borgu en des temps, par exemple, où chacun des Etats constitutifs ou un groupe de ces Etats était engagé dans des actions menaçant l'équilibre délicat entre tous les Etats ou, plus souvent quand des pouvoirs extérieurs au Borgu ont menacé la quiétude et la sécurité de cette zone culturelle. Comme l’a reconnu Anene, le Borgawa prétend fièrement que "jusqu'à la division du pays par les Européens, il n'avait jamais cédé à la domination étrangère" 19). Le peuple Borgawa s'est battu et a repoussé avec succès les invasions de Songhai sous les Askias aux XVIe et XVIIe siècle, des Etats d'Hausa et d'Habe au XVIIe et du djihad de Fulani à la première moitié du XIXe siècle. C'était probablement l’ensemble de ces actions de défense collective qui ont mené Kenneth Lupton à catégoriser le système politique du Borgawa comme celui "d'une alliance permanente". Excepté la revendication collective du Borgawa sur le Borgu au nom d'un patrimoine commun, il y a d'autres évidences historiques permettant de définir cette zone comme une région cohérente. Une telle situation, découlant de l’allégeance collective et de l'histoire de cette zone de culture comme "une zone défendue" est la preuve indubitable de la conception commune du territoire et de la frontière pour ce peuple. Cependant, comme ailleurs dans l'Afrique précoloniale, et surtout dans les sociétés les plus indigènes, le concept de frontières (tel que compris aussi par le Borgawa) ne repose pas sur des lignes intangibles de démarcation que les Européens sont venus établir pour partitionner des zones en juridictions territoriales spécifiques. Qu'il s'agisse des Etats de Borgu ou de Borgu et des pays contigus, comme ceux de l'Yoruba (Oyo et Sabe) au sud et au sud-est, le Nupe à l'est, l'Hausa au nord et le Somba à l'est, la notion de frontière considérée par le Borgawa était significativement 86 Le régionalisme transfrontalier : l’expérience de l’union Européenne pour l’Afrique post coloniale à travers l’expérience de BORGU celle d'une inclusion mutuelle et non pas d'une exclusion. En effet, comme Obare Bagodo l’a expliqué, des frontières telles celles du Baatonu, la langue du plus grand groupe ethnique de Borgu, sont des références "de zones de contact et de convergence d'intérêts", des points de réunion et d'interaction plutôt que de séparation, "tem yina yeru" plutôt que "tem bonu yeru" (20). Politiquement par exemple, Borgu a été différemment décrit comme une sorte de confédération ou, comme nous l’avons déjà noté, comme "une alliance permanente". Alors que chacun des Etats constitutifs a maintenu sa propre autonomie, Bussa, Nikki, Illo, Wawa, Kaima (le nombre réel d'Etats variant au gré des fortunes diverses des centres de pouvoir) étaient reliés entre eux par plusieurs facteurs établissant des bases communes sur des strates identitaires de cultures autochtones : le respect de règles dynastiques du même culte du héros, Kisra ; l’échange de cadeaux entre les dirigeants, notamment à l'occasion de leur nomination ; la participation de chacun à des festivals traditionnels comme le gani et l’usage de rites et d'instruments de cérémonie identiques tels le kakaki ou les trompettes.... L'accent mis sur les frontières comme points de contact et d'interaction mutuelle a contribué à participer largement à l'évolution de Borgu comme une région significativement intégrée et comme constitutive d’un dispositif pour la formation d'alliances avec des Etats et des sociétés extérieures au Borgu. On sait aussi que la notion de frontière culturelle harmonieuse, établie par le Borgawa, a consolidé la tradition d'un rapport symbiotique entre des groupes ethniques et linguistiques différents et des sous-groupes comme ceux du Baatonu et du Boko et a favorisé le processus de fusion continue de cultures et de sous -cultures distinctes. Alors que la conservation de l'intégrité de Borgu est restée le souci constant de tout le Borgawa, des alliances militaires comme celles des royaumes de Borgu avec l'ancien Etat 87 Intégration régionale comparée Yoruba d'Oyo pour contrôler l'avance du djihad de Fulani, montraient dans quelle mesure le Borgawa était préparé à permettre la perméabilité de sa frontière externe avec un tel accord qui augmentait la sécurité de son territoire. Bien que la Guerre d’Eleduwe de 1835, où le Borgawa et l'Yoruba se sont collectivement battus contre le Fulani, ait apporté la défaite plutôt que la victoire des pays alliés et a été en particulier désastreuse pour les Etats du Borgawa de Nikki et de Wawa dont les dirigeants et de courageux soldats ont péri dans la bataille, l'existence de Borgu a pu être préservée. Le développement d'activités politiques, en particulier les mouvements de masse des partisans des princes nigérians en lutte (notamment Yashikera et Aliyara) à Nikki, découlant des luttes de succession au cours de l'ère coloniale (21), rappelle de façon constante que les habitants n’ont pas accepté la division anglo-française résultant de l'action coloniale et créant une séparation et des frontières entre Etats. D'autres facteurs ont caractérisé la séparation et les effets de la frontière : les séries de migrations de protestation qui ont parfois eu lieu quand des problèmes politico - administratifs de chaque côté de la frontière ont surgi ; le commerce frontalier avec une mention particulière à la contrebande ; le caractère essentiellement indéterminé de la frontière, résultant de sa délimitation controversée et la démarcation totalement insatisfaisante de la partie de la frontière Bénin - Nigeria dans le secteur de Borgu. Ce dernier facteur a mené à une situation où les fermiers de l'un ou l'autre côté ont défriché le pays avec peu ou aucun respect pour la position de la frontière. Finalement, Borgu est resté une région distincte malgré la frontière internationale (autrefois inter- coloniale) qui le traverse. La colonisation française et anglaise a eu un impact indélébile ; il y a eu des processus parallèles de socialisation par lesquels les langues évidemment différentes et les cultures des deux pouvoirs de colonisation ont été adoptées (telles les 88 Le régionalisme transfrontalier : l’expérience de l’union Européenne pour l’Afrique post coloniale à travers l’expérience de BORGU langues officielles) par les cultures des futurs Etats indépendants. Mais les effets ont été plus profondément ressentis chez les élites instruites par les Occidentaux de chaque côté de la frontière que par la majorité non lettrée des populations locales qui est restée plus attachée à la culture indigène et à ses traditions, définissant Borgu comme une entité indivisible. La preuve de la persistance de la tradition de Borgu comme terre et communauté culturelle composées de peuples divers est apportée par la continuité des relations et des interactions transfrontalières de groupes de parenté, y compris avec les élites traditionnelles dirigeantes du Wassangari. Tout cela constitue des indicateurs fiables sur un Borgu apparaissant comme une des régions transfrontalière les plus manifestes de l'Afrique. V- RÉFLEXIONS DE POLITIQUE ET RECOMMANDATIONS Si comme nous avons essayé de le montrer, il y a en Afrique postcoloniale tant de potentialités et même de pressions pour le régionalisme transfrontalier comme dans Europe de l'après-guerre, pourquoi l'actualisation de ce processus en Afrique a-t-elle tant tardé par rapport à l'Europe ? Quels sont les obstacles en Afrique et quels espoirs peut-on nourrir pour l'avenir ? Ces interrogations, comme l'argument précédent lui-même, ne sont pas nouvelles. Cependant, le centenaire de la division anglo-française de Borgu, acte qui a concrétisé la délimitation problématique de la frontière actuelle du Bénin - Nigeria, fournit une occasion remarquable pour une discussion renouvelée et la mise à jour nécessaire de la politique de coopération transfrontalière (en tant que pierre angulaire des efforts d'intégration régionale en Afrique). Avec à peine vingt-quatre mois pour quitter le XXe siècle et entrer dans le XXIe siècle et un nouveau millénaire, trouver des réponses satisfaisantes à ces questions essentielles de politique doit attirer l'attention, en 89 Intégration régionale comparée vue de la réalisation pertinente d'un avenir perçu pour ne pas être celui de l'Etat - Nation en Afrique mais celui des régions et des peuples sur le modèle de l'Union européenne. En ce qui concerne la question des obstacles au régionalisme transfrontalier, le point le plus crucial est la réduction de la structure de l’Etat Nation et l’adoption de principes et de pratiques démocratiques. Tout d'abord, ce recul concerne le culte de l’Etat - Nation et de ses manifestations négatives telles les affirmations exacerbées de souveraineté territoriale ou encore ce qui a été appelé "le nationalisme d'Etat". Le renoncement à ces comportements par les élites instruites à “l’occidentale”, qui ont fourni les dirigeants des nouveaux Etats souverains de l'Afrique post-coloniale, a été le plus difficile à réaliser. Mais cela est très important, notamment au niveau des régions frontalières des nouveaux Etats. Dans le cas particulier des nouvelles élites des zones frontières, qui doivent maintenant être converties à l'adhésion active à "de groupements régionaux", l'assimilation de cultures européennes contrastées a provoqué une mentalité produisant un comportement de type "renvoi dos-à-dos" plutôt que des rapports coopératifs plus souhaitables de part et d'autre des frontières. Les effets ont été particulièrement dramatiques dans plusieurs cas en Afrique où, dans la plupart des régions frontières, les élites des différents côtés ont été aussi les produits des mêmes cultures indigènes (22). Alors que leurs parents non lettrés traversent les frontières en maintenant leur lien de parenté et d'autres liens socioculturels ou l'exploitation d'activités commerciales de frontière, peu d’élites instruites parmi "les africains divisés" se sont manifestées pour développer des rapports à travers les frontières, de la même façon qu'ils le font avec leurs pairs à l'intérieur des Etats et même, comme c'est souvent le cas, avec des pairs appartenant à d'autres cultures indigènes. 90 Le régionalisme transfrontalier : l’expérience de l’union Européenne pour l’Afrique post coloniale à travers l’expérience de BORGU Une ironie de l'histoire de l'Afrique post-coloniale vis-à-vis de l'histoire de l'Europe contemporaine est à noter : c’est précisément quand les Européens, à la suite de la dernière et de la plus tragique des guerres favorisées par "le nationalisme d'Etat" des trois siècles précédents, se sont lancés dans une conversion systématique d'une idéologie nationaliste à une idéologie régionaliste que les Etats - nations d'Afrique se sont manifestés. Ainsi, alors qu'en Europe, la tendance depuis 1945 a été d'accomplir " une intégration trans puis supranationale" et d’éliminer les “frontières nationales”, en Afrique et dans les anciennes colonies européennes, les frontières tracées par les pouvoirs d'autrefois (coloniaux européens) "sont devenues" tout à fait sacrées et un des principaux soucis politiques a été de les délimiter, de les aiguiser, de les renforcer et de les durcir " (23). En Europe, finalement, alors que l'on entend et lit fréquemment des critiques populaires "sur l’Etat -nation comme un mode désuet d'organisation sociale et le besoin d’orienter l'intégration vers des niveaux plus hauts (l'Union européenne) et plus bas (communautés locales et régionales)... et vers des communautés de régions limitrophes comme nouveaux modèles réduits de l'Europe Unie" (24), en Afrique, les Etats - nations contemporains restent fermement fondés sur la doctrine et la pratique de la souveraineté territoriale et les projets régionaux d'intégration sont poursuivis sur le modèle d'organisations classiques internationales. En Afrique, les frontières internationales et les régions limitrophes sont tenues et traitées davantage comme des points de discontinuité que de continuité et comme des barrières plutôt que des ponts entre les Etats - nations ou des pierres angulaires pour une intégration régionale plus large. Dans la Communauté européenne, l'accent est mis sur la décentralisation de l'administration territoriale et le processus décisionnel ; en Afrique post-coloniale, la tendance est à l’augmentation de la centralisation du 91 Intégration régionale comparée contrôle. Les élites dirigeantes de l'Afrique post-coloniale sont préparées pour continuer à prendre leurs inspirations dans une Europe d'avant-guerre, que les Européens contemporains eux-mêmes sont déterminés à oublier ; mais, malheureusement, ils semblent d’accord pour tourner le dos à leur propre passé caractérisé, comme Basil Davidson l’a bien indiqué et comme nous l’avons amplement montré dans l'étude du cas de Borgu, par "un génie... pour l’intégration... par la conquête... et aussi par un mélange fécond et des migrations" et une impatience manifeste pour des frontières exclusives (24). Le contraste aigu dans les deux histoires, celle de l'Afrique et de l'Europe depuis 1945, va au-delà de la question de l'idéologie du nationalisme dans l’une et du régionalisme dans l'autre. Alors que l'Europe de l'après-guerre représente une conversion non seulement du nationalisme à l'idéologie régionaliste, mais aussi du militarisme et du totalitarisme à la démocratie véritable et à l'obligation totale de la défense et du maintien des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'Afrique contemporaine montre une déliquescence progressive dans une ère de direction non démocratique, la popularisation des régimes militaires, les violations des droits de l'homme, la corruption massive officielle, un manque total de transparence et de responsabilité dans la gestion de la plupart des Etats, et l'augmentation des crises politiques. Cela a conduit l'Afrique à être un continent devant tous les autres pour le nombre de guerres civiles et de guerres entre Etats depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. En somme, la différence entre l'Afrique et l'Europe doit être vue comme la "jauge" pour mesurer le vide à combler si, aujourd'hui, les développements en Afrique de l’Etat - nation doivent être faits pour réaliser dans l’avenir l'Afrique des régions et des peuples sur le modèle de l'Union européenne, 92 Le régionalisme transfrontalier : l’expérience de l’union Européenne pour l’Afrique post coloniale à travers l’expérience de BORGU fermement fondé sur la pratique active et systématique du régionalisme transfrontalier et nourri par un large nombre de régions s'appuyant sur les principes et une pratique de gestion démocratique, la décentralisation administrative et la responsabilité avec une obligation totale du respect des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. C’était sans doute le ressentiments profond que les Européens de l'après-guerre éprouvaient contre le nationalisme d'Etat, le militarisme et l'autoritarisme et leur engagement pour la démocratie, la transparence, la responsabilité et le respect des droits fondamentaux de l'homme et des libertés qui ont donné aux communautés de frontière, jusqu'alors ignorées et opprimées dans des Etats- nations de l'Europe, la chance pour organiser dans la prospérité transfrontalière, des communautés territoriales et des autorités qui sont devenues les pierres angulaires de la réalisation de la Communauté européenne. De semblables conditions socio - politiques doivent être créées et favorisées si l'Afrique veut ressembler à l'Europe d’aujourd’hui qui depuis longtemps, a remplacé celle qui a créé ces Etats coloniaux et néo-coloniaux. En ne doutant pas que "l'expérience européenne pour surmonter le nationalisme d'Etat et soulager les problèmes des peuples de frontières peut avoir quelque application...ailleurs", notamment en Afrique, Raimondo Strassoldo, dont les travaux sur l'Europe ont été si complémentaires aux nôtres sur l'Afrique, a exprimé l'espoir que "des unions transnationales dans d'autres continents soient fondées sur d'autres bases que les tas immenses de décombres et de cadavres que nous avons eus en Europe" (25). Il a aussi exprimé le désir "que les horreurs européennes ne soient pas reproduites" ailleurs (26). Les faits en Afrique n'ont pas correspondu aux espoirs et aux vœux de Strassoldo. Les enseignements n'ont pas été et ne peuvent pas être les mêmes en Afrique et en Europe ; mais les horreurs produites par les défaillances des 93 Intégration régionale comparée Etats post-coloniaux de l'Afrique n'ont pas été moins terrifiantes que celles de l’Europe d’avant 1945. Les tristes records de l'Afrique concernant les crises socio - politiques montrent de façon équivalente aux Africains "les tas de décombres et de cadavres" de l'histoire européenne. Pour preuve, par exemple, les génocides, les meurtres massifs et les fosses communes aussi bien que les destructions gratuites et délibérés de propriétés et d'infrastructures qui ont accompagné plusieurs conflits armés dans le Congo / Kinshasa, le Nigeria, l'Angola, le Mozambique, le Zimbabwe, l'Afrique du Sud, la Namibie, l'Ouganda, le Rwanda, le Burundi, le Congo/Brazzaville, la Somalie, le Soudan , le Libéria, la Sierra Leone et l'Algérie, et, entre le Maroc et la Somalie et ses voisins, la Libye et le Tchad, le Mali et le Burkina Faso, le Sénégal et la Mauritanie, le Nigeria et le Cameroun, l'Ethiopie et l'Erythrée. Aux crises politiques doivent être ajoutés les nombreux cas de désastres naturels, notamment les sécheresses et les famines dans la zone du Sahel, du Sénégal à l'ouest et à Djibouti à l'est au milieu des années 1970 et 1980. Encore une fois, dans toute leur variété, ce que les crises africaines ont montré est l'inefficacité patente des Etats individuels agissant dans l'isolement les uns des autres et donc l'impératif de coopération transfrontalière et d'intégration régionale comme stratégie efficace pour la résolution des crises. C'est tout à fait instructif, par exemple, qu'un des grands enseignements que les crises de la région des Grands Lacs ont provoqué, réside dans la suggestion innovatrice de transformer la zone en un espace d'une nouvelle organisation sous-régionale. Lorsque cela arrive, l'initiative peut prendre son inspiration principale sur des structures existantes comme la Commission des Etats pour la Campagne contre la Sécheresse dans le Sahel, basée à Ouagadougou, et comme l'Autorité Intergouvernementale pour le Développement, basé à Djibouti et créé en réponse au désastre environnemental consécutif aux sécheresses et aux 94 Le régionalisme transfrontalier : l’expérience de l’union Européenne pour l’Afrique post coloniale à travers l’expérience de BORGU famines du Sahel dans les années l 970 et l 980. Il n'y a aucun doute qu’en Afrique, nous avons toujours une longue route à parcourir au regard des écarts qui doivent être comblés pour atteindre les niveaux de développements de l’Europe. Mais l'avenir est tourné de façon prévisible vers une affirmation croissante de la coopération transfrontalière institutionnalisée comme pierre angulaire indispensable à la réalisation de projets d'intégration transfrontaliers régionaux durables. La preuve en est double : premièrement, le renouvellement significatif des efforts de création de nouvelles organisations sous-régionales, une "reconceptualisation" radicale et une réorientation des institutions existantes ; deuxièmement, la promotion d'initiatives de politique de coopération transfrontalière, particulièrement dans le Maghreb, l'Afrique occidentale et l’Afrique orientale et du sud (27). Dans la première catégorie, de nouveaux développements sont apparus, ceux qui ont mené à la modernisation de la Communauté Economique d’Etats de l'Afrique Occidentale (ECOWAS) dans une organisation supranationale pour la région, basée sur l'adoption d'un Traité ECOWAS, révisé en 1993 ; la réorientation du Conseil de Coordination et de Développement de l'Afrique du Sud (SADCC) de l’ère de l'Apartheid vers une nouvelle organisation postapartheid, la Communauté de Développement du Sud de l’Afrique (SADC) et l'Union du Maghreb Arabe (UMA), enracinée dans la pratique de la coopération transfrontalière, particulièrement le co-développement de zones frontières entre les Etats membres du Maroc, de la Mauritanie, de la Libye, de l'Algérie et de la Tunisie. En ce qui concerne la deuxième catégorie de développements, se référant plus spécifiquement à l'avenir du régionalisme transfrontalier, mention a déjà été faite de la série d'initiatives parmi les Etats membres de l'UMA. D'autres illustrations pertinentes incluent l'initiative très médiatisée mais pas 95 Intégration régionale comparée suffisamment soutenue du Nigeria vis-à-vis de ses voisins immédiats, qui ont élaboré une série d'ateliers bilatéraux, le premier avec la République de Bénin, à Topo Badagry, en mai 1988, qui a connu un succès retentissant avec la participation active des autorités territoriales et des communautés locales nigérianes et béninoises de Borgu. Finalement, il y a les recherches en cours sur le développement de zones frontières en Afrique Orientale et du Sud, amorcées en 1992 par le Bureau de Nairobi (Kenya) du Centre des Nations Unies pour le Développement régional en Afrique. Ce projet louable a permis de créer deux ateliers fortement couronnés de succès internationaux, l’un dans le Kariba au Zimbabwe, à la frontière avec la Zambie, en août 1995, et l’autre, dans le Mutare, également au Zimbabwe, à la frontière avec le Mozambique. Parmi les succès que ce projet peut revendiquer, apparaissent toute une gamme d'événements concrets dans la coopération internationale ou des initiatives incluant le lancement en 1996 d'un périodique local, le Rapprochement des Frontières : le Bulletin de Kariba Siavonga, publié deux fois par an à l'origine et très bien reçu des deux côtés de la frontière Zambie- Zimbabwe. De la même façon, sur le secteur frontalier de Kariba - Siavonga, un Comité bilatéral de Direction a été établi afin d’accélérer la réorientation générale d'une coopération “dos-à-dos” vers des rapports “face à face”, plus souhaitables entre les élites locales et les autorités locales des deux côtés de la frontière. Quelques recommandations de politique : Pour promouvoir ces développements au demeurant modestes et assurer leur extension, il y a un besoin évident d'une réorientation radicale de la mentalité coloniale de la prétendue "élite de succession". Cela appelle trois recommandations fortement liées : 96 Le régionalisme transfrontalier : l’expérience de l’union Européenne pour l’Afrique post coloniale à travers l’expérience de BORGU (i) Une action urgente planifiée de la part des décideurs politiques en Afrique ; (ii) Un appui fort de la part d’Africains et des communautés de chercheurs sur l’Afrique, à l’intérieur et à l'extérieur de l'Afrique ; (iii) Une aide appropriée par des communautés de donateurs, particulièrement les amis de l'Afrique dans l'Union européenne et l’ALENA. En ce qui concerne les décisions de politique appropriées, l'Organisation de l'Unité Africaine (l'OUA) doit être particulièrement concernée. Ayant sagement résolu par sa Charte de 1963 et la Déclaration du Caire de 1964 de légitimer les frontières coloniales passées dans l'intérêt de la paix continentale et de la stabilité, l'OUA ne doit pas se permettre d'entrer dans le XXIe siècle sans prendre le tournant logique qu’elle aurait déjà dû prendre : celui d'assurer la conversion des frontières passées, érigées en barrières officielles, vers de nouveaux dispositifs permettant une meilleure communication entre les Etats membres. En faisant cela, l'Organisation va pouvoir profiter de l'expérience de l'Europe, le colonisateur d'autrefois de l'Afrique, où les problèmes de frontière semblables à ceux de l'Afrique post-coloniale ont été abordés et résolus avec succès. Est particulièrement recommandée l'adoption d’instruments applicables à l’échelle du continent sur le modèle de la Convention européenne sur la Coopération transfrontalière entre les Autorités territoriales et les Communautés, qui est entrée en vigueur en 1984 et qui, depuis lors, a été ratifiée et adoptée par un nombre croissant d'Etats européens incluant des Etats comme la Pologne, appartenant aux régions récemment libérées d'Europe Centrale et d'Europe de l'Est. L'OUA, en s'appuyant sur la Banque de Développement Africaine, doit créer un Fonds de Développement Africain Régional sur le modèle du FEDER pour des buts semblables au programme INTERREG de la Communauté européenne. Deuxièmement, les chercheurs africains travaillant sur l’Afrique doivent 97 Intégration régionale comparée changer des thématiques traditionnelles (c'est-à-dire principalement avec une perspective conflictuelle) et se focaliser à nouveau sur les projets plus proches de la paix, des potentialités d'intégration coopérative et régionale des frontières africaines. Des établissements de recherche africains à l'extérieur du continent, avec l'exemple du Programme de Coopération Internationale en Afrique centré sur la frontière artificielle - PICA -, conclu en 1989 avec l'Université du NordOuest d'Evanston (Illinois, Etats-Unis), doivent collaborer activement avec des centres équivalents africains ; ainsi, le Centre d'Etudes des Régions et des Frontières Africaines, actuellement en coopération avec l'Université de Lagos (Nigeria), pour étudier de manière permanente le rôle des frontières dans l'intégration régionale, notamment en Afrique. La troisième et dernière recommandation de politique a trait au rôle attendu de la communauté internationale, particulièrement de la Communauté Economique Européenne (devenue Union européenne), en raison des anciens pouvoirs impériaux et coloniaux qui ont divisé l'Afrique y compris le Borgu au cours du siècle dernier. "Borgu 98" offre une occasion rare pour l'Europe de l'après-guerre d'être particulièrement sensibilisée, non seulement aux maux et aux dettes dues à l’Afrique colonisée mais aussi au devoir moral nécessaire de dédommagement par des programmes d'aide appropriés. C’est à cet égard que nous voulons maintenant faire les recommandations spécifiques suivantes : (i) Une réorientation radicale de la pratique actuelle du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale qui soutiennent aujourd'hui encore seulement des projets nationaux. La politique de prêt, qui a eu tendance à accorder l'attention à la structure territoriale des Etats - nations, doit être complétée par un appui accru aux initiatives internationales de développement régional ; (ii) Un appui actif des pays développés, particulièrement ceux de l'Union 98 Le régionalisme transfrontalier : l’expérience de l’union Européenne pour l’Afrique post coloniale à travers l’expérience de BORGU européenne et de l’ALENA, pour le rapatriement de richesses mal acquises, investies par les leaders africains corrompus et les fonctionnaires qui gouvernent leurs économies, notamment sur les marchés de capitaux et dans les secteurs immobiliers. Cela accroîtra la transparence, composante principale d'une gestion démocratique et exigence forte pour la réalisation du régionalisme transfrontalier en Afrique ; (iii) L'extension en Afrique de la part de l'Union européenne, en particulier de la Commission européenne, de l'appui financier qu'elle a octroyé à l'Europe Centrale et Orientale par l’intermédiaire de programmes de développement transfrontaliers régionaux; et, finalement, (iv) Le jumelage exemplaire d’”Eurorégions” (par exemple la région Baschensi) avec de futures régions transfrontalière africaines comme le Borgu. Concluons cette communication sur ce dernier aspect en demandant aux gouvernements et aux peuples de Grande-Bretagne, de France et d'Allemagne, Etats - nations européens dont les ressortissants ont été responsables complètement ou en partie de la partition arbitraire de Borgu, d'apporter de telles contributions qui accéléreraient son évolution pour en faire une exemplaire "Afrorégion" sur le modèle des "Eurorégions" qui, depuis les années 1950, ont été minutieusement construites à travers les frontières des Etats métropolitains européens d'autrefois, particulièrement ceux de France et d’Allemagne permettant l'apparition de la "Framagne" de l'Union européenne. NOTES 1. Vedovato, G. (1995): Transfrontier Cooperation and the Europe of Tomorrow (Strasbourg : Council of Europe), p. 2. 2. Ibid., p.3. 3. Pour des travaux similaires sur l’Amérique Latine et du Nord, voir L Lambi, L. (1989): "The Venezuela-Colombia Borderlands : A Regional and Historical Perspective", Journal of Borderland Studies (hereafter J.B.S), Vol. 4, No. 1: 1-38; P. Ganster, "The Andean Border Integration: Report on a Seminar à Lima, Perou, 3-6 99 Intégration régionale comparée juillet 1989", J.B.S., Vol. 5, No. l, 1990 : 95-10 and Niles Hansen (1983): "European Transboundary Cooperation and its Relevance to the United States - Mexico Border", Journal of the American Institute of Planners, Vol. 49, No. 3, 336-343. Pour une référence au régionalisme transfrontalier en Asie, voir Gooneratne, W. and E. Mosselman (1996): "Planning Across the Borders: Border Regions in Eastern and Southern Africa", en particulier la section intitulée "Lessons from Asian and European Experiences", Regional Development Dialogue, Vol. 17, No. 2, pp. 136-155, particulèrement pp. 148-149. 4. Pour des travaux antérieurs de l’auteur sur les potentiels africains pour le régionalisme transfrontalier, voir Asiwaju, A I. (1984): Artificial Boundaries (Lagos : University of Lagos press, Asiwaju, A.I. Ed. (1985), Partitioned Africans: Ethnic Relations Across Africa's International Boundaries, 1884-1984, (London: C. Hurst and Co.) and A.I. Asiwaju (1992): "Borders and Borderlands as Linchpins for Regional Integration in Africa: Lessons of the European Experience", Africa Development (CODESRIA, Dakar), xvii, 2, 345-363. 5. Vedovato, op. cit., p.3. 6. Ibid., pp. 9- 13. 7.Voir particulièrement Asiwaju, A.I. (1996): "Borderlands in Africa: A Comparative Research Perspective with Particular Reference to Western Europe" in Paul Nugent and A.I. Asiwaju, Eds., African Boundaries: Barriers, Conduits and Opportunities (London : Frances Pinter). 8. Foucher, M. (1998): "The Geopolitics of European Frontiers" in Anderson, M. and E. Bort (eds.), The Frontiers of Europe (London: Frances Pinter), 235. 9.Pour les références détaillées, voir : MacGaffee, Janet et al (1991): The Real Economy of Zaire: The Contributions of Smuggling and other Unofficial Activities to National Wealth (Philadelphia: University of Pensylvania Press); C. Ackello-Ogutu and P.N. Echessah (1997): Unrecorded Cross-Border Trade Between Tanzania and Her Neighbours: Implications for Food Security (Nairobi: USAID Regional Economic Development Support Office - Draft Report); and J. Egg and J. Igue (1993): MarketDriven Integration in the Fastern Sub-Region: Nigeria's Impact on its Immediate Neighbours (Paris: Club du Sahel/OECD). 10. Egg and Igue, op cit. 11. Ibid. 12. Voir Asiwaju, 1985, and 1995 op. cit. and Stanislas Adotevi (1997): "Cultural Dimensions of Economic and Political Integration in Africa" in Real Laverge, ed. Regional Integration and Cooperation in West Africa (Trenton, New Jersey: Africa World Press and Ottawa: International Development Research Centre - IDRC). 13. La série bilatérale de colloques consultatifs entre le Nigeria et chacun de ses voisins a été documentée par les publications suivantes (Voir A.I. Asiwaju and B.M. Barkindo, Eds. The Nigeria-Niger Transborder Cooperation, Lagos: Malthouse Press, 1993 ; A.I. Asiwaju and O.J. Igue, Eds. The Nigeria-Benin Transborder Cooperation, Lagos: University of Lagos Press, 1994; A.I. Asiwaju, B.M. Barkindo and Mabale, Eds. The Nigeria-Equatorial Guinea Transborder Cooperation, Lagos: National Boundary Commission, 1996). 14. Pour l'initiative U.N.C.R.D. pour l’Afrique orientale et du sud, voir le numéro 100 Le régionalisme transfrontalier : l’expérience de l’union Européenne pour l’Afrique post coloniale à travers l’expérience de BORGU spécial de Regional Development Dialogue (Vol. 17, No. 2, 1996), particulièrement la sous-section intitulée "Regional Development Beyond Borders", pp. 136-215; and A.I. Asiwaju and Marlies de Leeuw, Eds. Border Region Development in Africa: Focus on the Eastern and Southern Sub-Regions (Nagoya, Japan: United Nations Centre for Regional Development, Forthcoming). 15. Anene, J. C. (1970): The International Boundaries of Nigeria The Framework of an Emergent African Nation (London: Longman), p. 194. 16 On doit cette estimation, au moins en partie, à Obare Bagodo (1994): "Liens ethniques et systèmes de chefferie traditionnelle comme élément de coopération transfrontalière: exemple des "Bariba" in Asiwaju and Igue, op cit., p. 63. 17. Pour une étude récente sur le Borgu au Nigéria, voir O.D. Akinwunmi (1995): "The Nigerian Borgu, 1898-1989: A History of Inter-Group Relations", Ph.D. Thesis, Department of History, University of Ilorin, Ilorin, Nigeria. 18. Anene, op. cit., p. 198. 19. Ibid. 20. Bagodo, op. cit., p. 67. 21. Cette migration massive a eu lieu en 1907. 22. Pour une étude de cas détaillée, voir A.I. Asiwaju (1975): "Formal Education in Western Yorubaland, 1889-1960: A Comparison of the French and British Colonial Systems", Comparative Education : Review, Vol. 19, No. 3, pp. 434-450. Voir aussi le chapitre 9 'Educating the Hausa" in W.F.S. Miles (1995): Hausaland Divided: Colonialism and Independence in Nigeria and Niger (Ittaca: Cornell Univ. Press), pp. 227-247. 23. Strassoldo, R. (1989): "Border Studies: The State of the Arts in Europe" in Asiwaju, A.I. and P.O. Adeniyi, Eds. Borderlands in Africa: A Multidisciplinary and Comparative Focus on Nigeria and West Africa (Lagos: University of Lagos Press), p. 392: Pour une comparaison plus systématique de l’Afrique et de l’Europe, voir Asiwaju, A.I. (1996): "Public Policy for Overcoming Marginalisation: Borderlands in Africa, North America and Western Europe" in Sam Nolutshungu, Ed. Merging of Insecurity: Minorities and International Security (New York: Rochester Univ. Press.) 24. Basil Davidson, quoted by Anene, op. cit., p. 2. 25. Strassoldo, op. cit., 392. 26. Ibid. 27. Pour une publication précédente, voir A.I. Asiwaju (1998) : "Fragmentation or Integration : What Future for African Boundaries?", Papier présenté au Colloque International intitulé "Nigeria and the Future of Africa: Setting the Agenda for the 21st Century", Lincoln University, Pennsylvania, 29 avril-2 mai. 101 Intégration régionale comparée DEUXIEME PARTIE : LES LECONS DE L’INTEGRATION DES PROCESSUS PRODUCTIFS EUROPEENS. 102 Intégration économique régionale et mécanismes compensatoires dans la Communauté de Développement d’Afrique australe (SADC) : Quelles leçons de l’expérience européenne ? Intégration économique régionale et mécanismes compensatoires dans la Communauté de Développement d’Afrique australe (SADC) : Quelles leçons de l’expérience européenne ? OLIVIER CUREAU CERSEI, Université Panthéon-Assas (Paris II) INTRODUCTION La SADC (Southern African Development Community) a remplacé la SADCC (Southern African Development Coordination Conference) en 1992. Cette dernière, créée en 1980, avait pour principal objectif de réduire la dépendance économique des pays de la « ligne de front », en particulier à l’égard de l'Afrique du Sud1. Cette transformation reflète les changements profonds intervenus dans la région, telle que la démocratisation de l'Afrique du Sud. La SADCC fonctionnait sur la base d’une coopération sectorielle financée en grande partie par l’aide internationale. La SADC s’est fixée comme objectif de créer une véritable communauté fondée sur la coopération et l’intégration économique régionale. L'Afrique du Sud intègre la SADC en 1994, suivie de Maurice en 1995. La communauté s’élargit à nouveau en septembre 1997 avec l’admission des Seychelles, pays le plus riche d’Afrique, et de la République Démocratique du Congo (ex-Zaïre), pays parmi les plus pauvres du continent2. La SADC a décidé d’approfondir son processus d’intégration économique régionale à travers la libéralisation des échanges, des projets d’infrastructures, le développement des complémentarités industrielles. Les 103 Intégration régionale comparée effets des accords d’intégration régionale sont largement discutés dans la littérature économique. Les impacts traditionnels à attendre de tels accords sont les effets de création et de détournement de commerce, les effets de taille (rendements croissants, accentuation de la concurrence) et l’attraction des investissements directs étrangers à travers la réduction des distorsions et l’élargissement de la taille du marché potentiel. Les bénéfices non traditionnels concernent la crédibilité des politiques gouvernementales sur le plan intérieur et extérieur, la coordination des politiques économiques, les effets de signal auprès des agents économiques, le pouvoir de négociation ou l’existence de mécanismes de sanction plus efficaces que ceux de l’OMC. Le Protocole de Commerce signé en 1996 propose la réduction et l’élimination graduelle des barrières tarifaires et non-tarifaires sur les échanges intra-régionaux avec à terme (2006) l’établissement d’une zone de libreéchange entre partenaires de la SADC. A ce jour, seuls l’Ile Maurice, la Tanzanie, le Zimbabwe, le Botswana et la Namibie ont ratifié le Protocole. Cela souligne les réticences et les craintes de nombreux pays de la région quant aux effets à attendre d’une telle zone en termes de recettes fiscales ou de développement industriel. L'Afrique du Sud, de part son poids économique dans la région, ne risque-t-elle pas d’être le principal bénéficiaire de la zone de libre-échange ? L’intégration régionale ne risque-t-elle pas d’accroître les inégalités entre pays ? Nous nous attachons ici à étudier les mécanismes de compensation potentiels dans le cadre d’une zone de libre-échange. Ces mécanismes sont utilisés afin de transférer une partie des gains de la libéralisation commerciale régionale vers les pays qui en bénéficient le moins. La question des compensations peut devenir politiquement importante dans la négociation d’accords de commerce régionaux, en particulier lorsqu’une économie est 104 Intégration économique régionale et mécanismes compensatoires dans la Communauté de Développement d’Afrique australe (SADC) : Quelles leçons de l’expérience européenne ? dominante, comme c’est le cas en Afrique australe (section 1). Le rôle potentiel des compensations est de s’assurer que la coopération régionale est bénéfique à l’ensemble des pays participants, en dépit des asymétries pouvant caractériser les bénéfices directs provenant des échanges et de l’investissement. Les mécanismes qui atténuent ces asymétries, en augmentant les flux de capitaux des pays du «centre» vers la périphérie, peuvent accroître les bénéfices et la soutenabilité d’une zone de libre-échange. L’expérience internationale suggère cependant que de tels mécanismes ne sont pas toujours essentiels dans la création d’accords commerciaux soutenables. De plus, une compensation n’implique pas nécessairement un transfert budgétaire de gouvernement à gouvernement. En effet, les propositions alternatives considérées ici, et qui s’appuient en partie sur l’expérience européenne (section 2), suggèrent que d’autres méthodes peuvent davantage contribuer à accroître les échanges et l’investissement en Afrique australe (section 3). 1. Le besoin de mécanismes compensatoires au sein de la SADC L’objectif de l’intégration économique régionale est d’améliorer l’allocation des ressources, et par ce biais, d’accroître les revenus de tous les pays participants. Cependant, l’expérience internationale suggère que les bénéfices de l’intégration commerciale régionale (en termes d’échanges intrarégionaux et de nouveaux investissements) tendent à être plus importants pour les plus grands pays participants. Les revenus relatifs de certains partenaires peuvent donc diverger - même si leur croissance est plus rapide qu’auparavant. Etant donné que certains pays croissent plus vite que les autres, on peut s’attendre à l’émergence de pôles d’industrialisation. C’est notamment pour 105 Intégration régionale comparée cette raison que l’introduction de mécanismes compensatoires revêt une importance toute particulière, notamment en Afrique australe. 1.1. La compensation La création de mécanismes compensatoires (sous la forme de transferts budgétaires de gouvernement à gouvernement) se pose en général dans un contexte d’unions douanières et non de zones de libre-échange. Rappelons que les unions douanières sont caractérisées par un libre-échange entre les pays membres et un tarif extérieur commun (TEC) appliqué à l’égard du reste du monde. Dans le cas d’une zone de libre-échange, les droits de douanes sont supprimés sur les échanges intra-régionaux mais les pays membres restent libres de choisir leurs tarifs extra-régionaux. Une des justifications théoriques à l’établissement d’un mécanisme compensatoire dans le cas d’une union douanière repose sur le fait que les pays exportateurs nets vis-à-vis des autres pays membres de l’union bénéficient de gains supérieurs ; les pays importateurs nets pouvant même subir des pertes. En effet, la présence d’un TEC ne permet plus aux pays d’ajuster le prix des importations via un ajustement des tarifs. Etant donné que le TEC accroît le prix des biens importables au-dessus du prix mondial - qu’ils soient produits ou non dans l’union douanière -, les consommateurs des pays membres de l’union paient une taxe sur ces biens. Les pertes associées à ces « taxes » sur les consommateurs sont compensées en partie par les paiements aux gouvernements membres provenant du fonds commun des recettes douanières (dans la mesure où les biens sont importés en dehors de l’union) et en partie par les gains des producteurs de l’union provenant de l’accroissement du prix dû au TEC. Par conséquent, les pays exportateurs nets vis-à-vis des autres pays 106 Intégration économique régionale et mécanismes compensatoires dans la Communauté de Développement d’Afrique australe (SADC) : Quelles leçons de l’expérience européenne ? de l’union bénéficient de gains supérieurs3. Pour cette raison, une compensation payée par les pays membres exportateurs nets à leurs partenaires peut être instaurée, de sorte que les gains liés à l’appartenance à l’union soient partagés équitablement. Afin de mieux comprendre ce problème, considérons l’exemple d’un pays important des vêtements (le pays A), membre d’une union douanière comportant un pays producteur de vêtements (le pays B), et où l’industrie est protégée par un TEC de la concurrence étrangère (pays K produisant plus efficacement que B les vêtements). Du fait de l’existence du TEC, les consommateurs de vêtements du pays A doivent payer plus cher l’achat de vêtements, qu’ils soient produits par le pays B ou par le pays K. Si le gouvernement du pays A pouvait réduire le tarif, ses citoyens auraient accès à des vêtements meilleur marché. Le différentiel de prix que les consommateurs supportent va soit au fonds commun de recettes douanières (s’ils importent de K), soit directement aux producteurs de B (s’ils importent de B). Dans ce dernier cas, où B est exportateur net, la présence du TEC transfère des revenus de A vers B. Le rôle de la compensation (ici de B vers A) est alors de compenser ces transferts de revenus. Deux autres éléments arguent en faveur d’un mécanisme compensatoire au sein d’une union douanière : la possible polarisation de l’industrie dans les économies les plus grandes de l’union et, dans le cas d’accords comme celui de la SACU4, le manque de marge discrétionnaire budgétaire pour les pays membres plus petits lorsque le TEC est déterminé unilatéralement par le pays membre le plus grand. La SADC ne visant à être qu’une zone de libre échange et non une union douanière, la question de la détermination unilatérale des tarifs par l’Afrique du Sud ou de l’effet d’accroissement des prix du fait du TEC est hors 107 Intégration régionale comparée de propos pour l’instant. Dans le cadre d’une zone de libre échange, il n’y a pas de perte de souveraineté et chaque pays peut réduire le prix de ses importations potentielles en modifiant ses propres tarifs. Néanmoins, une polarisation de l’investissement vers les économies les plus grandes et les plus diversifiées de la zone est possible. Pour cette raison, l’argument de compensations dans le cadre de la zone de libre-échange intra-SADC est tout à fait pertinent. En effet, l’Afrique du Sud dispose d’une position dominante dans le commerce régional et le déséquilibre commercial élevé en sa faveur est susceptible de s’accentuer, voire de perdurer encore longtemps. De plus, l’Afrique du Sud pourrait attirer l’investissement direct étranger au détriment de ses voisins plus petits. Cependant, d’après l’observation des accords régionaux existants dans le monde, l’instauration de transferts budgétaires à l’intérieur d’une zone de libre-échange n’est pas systématique. Le Mercosur, par exemple, a négocié un TEC sans compensation. L’ALENA (zone de libre-échange asymétrique) ne prévoit pas de transferts de ressources compensatoires entre les Etats-Unis et le Mexique. De plus, lorsque des transferts sont réalisés, l’apport de ceux-ci ne produit pas nécessairement un développement des zones périphériques. En effet, le paiement de compensations résulte généralement de la volonté des contributeurs nets de réaliser de tels transferts. Plus le nombre de pays pauvres est élevé dans l’union, plus la charge du (ou des) pays riche(s) de l’union liée aux paiements compensatoires sera élevée. Or, dans la mesure où l’efficacité des transferts en terme de développement n’est pas uniforme, l’incitation des pays plus riches de continuer à payer uniquement pour maintenir les pays plus petits dans l’union douanière est réduite. Il peut alors arriver que l’on se trouve à un point tel que la situation ne soit plus tenable : les pays membres les plus riches peuvent refuser le paiement ou exiger des changements quant à la 108 Intégration économique régionale et mécanismes compensatoires dans la Communauté de Développement d’Afrique australe (SADC) : Quelles leçons de l’expérience européenne ? définition des paiements si d’autres transferts budgétaires doivent être faits. Ainsi, les pays les plus grands et les plus riches peuvent se détourner de leurs engagements liés au versement des compensations, en particulier si les unions douanières intègrent de nouveaux membres plus pauvres, comme cela peut être le cas dans l’Union Européenne avec la question de l’adhésion de PECO. Les pays membres d’accords régionaux recherchent alors de plus en plus des méthodes alternatives de financement du développement des pays plus pauvres, ceci afin d’améliorer la répartition des bénéfices de l’intégration économique. 1.2. Des déséquilibres régionaux profonds susceptibles de s’accentuer dans le cadre de la zone de libre-échange intra-SADC L'Afrique australe est une région très hétérogène et marquée par de profonds déséquilibres économiques susceptibles de s’accentuer dans la période à venir. L'Afrique du Sud est sans conteste le pays le plus développé du continent et constitue le centre névralgique des relations économiques intra et extra-régionales. Son PIB représente près de 75 % du PIB de la région australe et plus de 40 % du PIB de l'Afrique sub-saharienne alors que sa population ne représente que 7,5 % du total de l'Afrique sub-saharienne. L'Afrique du Sud, le Botswana, la Namibie et l’Ile Maurice figurent parmi les cinq pays les plus riches d’Afrique. Ce sont les seuls pays africains - avec le Gabon - à être classés dans la catégorie des Pays à Revenu Intermédiaire par l’OCDE. Le PIB par habitant de l'Afrique du Sud, du Botswana et de l’Ile Maurice est ainsi proche de celui du Mexique (3320 $ US). Il est un peu inférieur à celui de la Malaisie (3890 $ US) et supérieur à celui de la Pologne (2790 $ US) ou de la Thaïlande (2740 $ US). A contrario, avec un PIB par habitant de 122 $ US, le 109 Intégration régionale comparée Mozambique constitue le pays le plus pauvre de la région5. Si ce dernier a le PIB par tête le plus faible de la région, le Lesotho a la plus petite économie avec les Seychelles. Le Zimbabwe, quant à lui, constitue la seconde économie la plus industrialisée après l'Afrique du Sud. Les économies de la région sont passées, en quelques années, d’un modèle de croissance introvertie et protectionniste à une croissance par l’exportation. Parallèlement, ces pays ont transformé des économies très étatisées en des économies davantage axées sur le marché. La libéralisation rapide de ces économies s’est souvent effectuée dans le cadre des Plans d’Ajustement Structurel (PAS) appuyés par les Institutions de Bretton Woods. La libéralisation externe s’est traduite par une convertibilité croissante des monnaies, par la suppression des doubles systèmes de taux de change, par la réduction générale des droits de douane et par le lancement de politiques de promotion des investissements étrangers (créations de zones franches, mise en place d’incitations fiscales, etc.). La libéralisation interne a entraîné en particulier la suppression des monopoles et le lancement de programmes massifs de privatisations ; ceux-ci sont largement engagés en Afrique du Sud, au Mozambique et en Zambie. Le développement industriel et la diversification sont des impératifs pour la région. Seuls la Zambie, le Zimbabwe, l’Ile Maurice et l'Afrique du Sud disposent d’un secteur manufacturier significatif, représentant près du quart de leur PIB. Le manque de diversification des pays de la région se caractérise par une forte concentration de la production industrielle dans des secteurs d’activité à forte consommation en ressources (produits alimentaires, boissons, tabac et textiles) et qui fournissent, à l’échelon régional, la moitié de la valeur ajoutée générée par le secteur manufacturier. A l’exclusion du pétrole et des métaux non-ferreux, la production régionale ne satisfait que la moitié de la 110 Intégration économique régionale et mécanismes compensatoires dans la Communauté de Développement d’Afrique australe (SADC) : Quelles leçons de l’expérience européenne ? consommation. Là encore, l'Afrique du Sud domine la production industrielle régionale. Mesurée en terme de valeur ajoutée, son secteur manufacturier est cinq fois plus important que celui de la SADC, et quinze fois supérieur à celui du Zimbabwe (second producteur manufacturier de la région). La domination de l'Afrique du Sud s’exerce aussi sur les marchés financiers. L’Afrique du Sud est globalement le seul pays de la région disposant d’institutions financières spécialisées indépendantes et fonctionnelles, telles que des banques, des assurances, des fonds de pension privés, des mutuelles ou des institutions de financement industrielles et minières. Avec une capitalisation boursière de 280 milliards de dollars US et des flux financiers journaliers de près de 7 milliards de dollars US, la Bourse de Johannesburg domine les marchés de capitaux de la région et constitue un lieu important des transactions de changes et de financement pour un grand nombre de pays de la région. La structure du commerce extérieur de la région correspond à la structure classique des pays en développement d’exportation de produits primaires vers les pays industrialisés et d’importations de biens manufacturés en provenance de ceux-ci. Compte tenu de sa structure de production, l’Afrique australe est fortement dépendante des marchés internationaux6 pour ses importations de biens intensifs en capital et technologies, qui n’ont généralement pas (hormis pour l'Afrique du Sud) de substituts intra-régionaux concurrents. La part des produits primaires avoisine, en moyenne et pour l’ensemble de la SADC, 82 % du total des exportations. Les produits manufacturés ne constituent que 10 % du total des exportations de la SADC et ne sont bien souvent que des biens de consommation à faible valeur ajoutée. Compte tenu de la richesse de la région en ressources minières, les avantages comparatifs des pays d'Afrique australe sont, comme de nombreux 111 Intégration régionale comparée pays en développement, particulièrement centrés sur les filières d’approvisionnement (énergie, agroalimentaire, non-ferreux), produits peu dynamiques dans le commerce mondial. Hormis l'Afrique du Sud, l’Ile Maurice (textiles) et le Zimbabwe (sidérurgique), les pays de la région ne parviennent pas à construire des avantages comparatifs dans d’autres filières. De par son poids économique et son niveau de développement, l'Afrique du Sud contribue à l’essentiel des avantages et désavantages comparatifs de la SADC. Les principaux désavantages comparatifs des pays d'Afrique australe portent sur des biens d’équipement et sur du matériel de transport, ainsi que sur quelques biens intermédiaires (fils et tissus, pétrole dans le cas de l'Afrique du Sud) et alimentaires (céréales). L’intégration des échanges en Afrique australe est à la fois asymétrique et polarisée autour de l'Afrique du Sud, pays dominant largement les échanges intra et extra-régionaux. Les échanges entre l'Afrique du Sud et ses voisins correspondent au schéma traditionnel d’exportations de produits manufacturés (produits chimiques, biens d’équipement, matériel de transport) en échange d’achat de matières premières nécessaires au fonctionnement de l’économie sud-africaine (tabac brut, minerais, textiles, etc.). L’accroissement des échanges intra-régionaux observé depuis 1980 s’explique principalement par la croissance des exportations sud-africaines, particulièrement marquée durant les années 90, en direction des pays de la région. La fin de l’embargo sur l'Afrique du Sud et le désarmement douanier rapide engagé par ses voisins dans le cadre des plans d’ajustement structurel ont constitué les principaux facteurs de cette croissance des exportations sudafricaines, et en particulier de produits manufacturés. Cette situation a fortement accru les déséquilibres commerciaux en faveur de l'Afrique du Sud7. Aucun pays d'Afrique australe n’a été épargné par cette poussée des 112 Intégration économique régionale et mécanismes compensatoires dans la Communauté de Développement d’Afrique australe (SADC) : Quelles leçons de l’expérience européenne ? exportations sud-africaines vers la région, qui a permis à l'Afrique du Sud de devenir le premier fournisseur de la totalité des pays de la SADC, à l’exception de l’Angola. Le classement des pays selon l’importance des parts de marché sud-africaines fait apparaître trois groupes bien distincts. Les pays membres de la SACU sont ceux qui entretiennent les relations économiques les plus étroites avec l'Afrique du Sud. Dans ce « premier cercle », la part de marché sudafricaine est de l’ordre de 80-90 %8. Dans les pays limitrophes ou très proches qui ne sont pas membres de la SACU (Mozambique, Zambie, Zimbabwe, Malawi), les parts de marché sud-africaines sont un peu moins élevées mais restent tout de même très importantes (30-40 %). Elles y ont progressé très rapidement au cours des dernières années, ce qui a correspondu en partie à un effet de rattrapage par l'Afrique du Sud des positions perdues pendant les décennies précédentes, au cours desquelles ses voisins avaient cherché à réduire leur dépendance à l’égard de celle-ci. Enfin, les parts de marché sudafricaines sont un peu plus réduites (entre 10 et 20 % dans les autres pays de la zone (Angola, Rép. Dém. du Congo, Ile Maurice, Seychelles, Tanzanie), l'Afrique du Sud étant tout de même le premier fournisseur de ces trois derniers pays. De manière peu surprenante, c’est vers ces pays que les exportations sudafricaines ont le plus progressé au cours des dernières années. Les pays de la SADC présentent par ailleurs une certaine complémentarité de leurs échanges commerciaux9, supérieure à celle observée pour l’ensemble de l’Afrique sub-saharienne10. Cela souligne l’existence d’opportunités que présente le développement du commerce entre ces pays. Cependant, cette complémentarité relative est à la fois profondément asymétrique et bipolaire. En effet, si la structure des exportations de l'Afrique du Sud est complémentaire de celle des importations des pays de la région, la structure d’offre de ceux-ci est généralement éloignée de la demande sud- 113 Intégration régionale comparée africaine. De plus, les pays de la SADC (hors Afrique du Sud) présentent des structures d’échanges (de production) davantage concurrentes que complémentaires. Par conséquent, le potentiel de développement des échanges intra-SADC se traduit principalement par un potentiel de croissance des exportations sud-africaines vers les autres pays de la région. On peut donc, suivant cette prédiction, s’attendre à un creusement des déséquilibres commerciaux en faveur de l'Afrique du Sud et à une accentuation de la polarisation de l’activité économique dans cette dernière si des politiques appropriées11, en particulier dans le cadre de la zone de libre-échange intraSADC, ne sont pas rapidement mises en œuvre. Ces prédictions sont, par ailleurs, confirmées par les résultats obtenus par Evans (1999). Ce dernier, estimant l’impact d’une zone de libre-échange sur l’ensemble des pays membres de la SADC, montre en particulier que l'Afrique du Sud pourrait accroître son excédent commercial avec la région de l’ordre de 70 millions de dollars US. Eu égard au déséquilibre initial important, il faudrait, toutes choses étant égales par ailleurs, près de douze années, compte tenu des estimations des taux de croissance des exportations et des importations, pour obtenir un équilibre commercial entre l'Afrique du Sud et ses partenaires régionaux. Cette situation ne contribuerait en fin de compte qu’à accroître les écarts de niveaux de développement à l’intérieur de la SADC. 2. L’expérience de l’Union Européenne et de la SACU Les expériences de l’Union Européenne et de l’Union douanière d’Afrique australe quant à la mise en place de mécanismes compensatoires peuvent constituer des éclairages utiles pour la définition d’un schéma de compensations au sein de la SADC. 114 Intégration économique régionale et mécanismes compensatoires dans la Communauté de Développement d’Afrique australe (SADC) : Quelles leçons de l’expérience européenne ? 2.1. L’expérience des fonds structurels et de développement de l’Union Européenne Afin de satisfaire aux objectifs de réduction de « l’écart entre les niveaux de développement des diverses régions » et de réduction du « retard de développement des régions les moins favorisées », la Communauté dispose de plusieurs fonds à finalité structurelle, auxquels s’ajoutent les interventions propres de la Commission sous la forme des Programmes d’initiative communautaire. Tous ces instruments s’appuient sur les concours de la Banque européenne d’investissement (BEI) et constituent des points de repère utiles pour la SADC. Les fonds structurels, qui représentent près de 36 % du budget communautaire en 1999 (soit 0,45 % du PNB des Quinze), visent à indemniser les victimes des restructurations économiques, que les cibles soient définies en terme de zone (zone en retard, zone en reconversion) ou en termes de catégories sociales (chômeurs de longue durée, jeunes en phase d’insertion). Ils reposent sur plusieurs principes d’intervention : la concentration des actions sur des objectifs ; la programmation sur plusieurs années ; le partenariat avec les Etats membres, les collectivités locales et les acteurs du développement local ; et l’additionnalité (les fonds viennent en complément et non en substitution aux aides nationale, régionale ou locale). Au regard des pratiques de financement en Afrique australe, ces principes peuvent servir de points de repère utiles dans la définition d’un cadre de financement régional au sein de la SADC. Les fonds structurels sont au nombre de quatre. Le Fonds européen de développement économique régional (FEDER), créé en 1975, est le pivot de la politique régionale communautaire en faveur des régions en retard de 115 Intégration régionale comparée développement. Il contribue au soutien d’investissements productifs, d’infrastructures locales, de développement des PME, d’actions pour l’éducation, la santé, la recherche, dans les régions les plus défavorisées. Le Fonds social européen (FSE), créé par le Traité de Rome, a pour mission le cofinancement d’actions de formation professionnelle et d’aides à l’emploi. Le Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA) favorise le soutien aux structures agricoles (modernisation de la production et de la commercialisation) et aux actions de développement rural. Le Fonds de cohésion, créé par le Traité de Maastricht en 1993, est destiné à soutenir l’effort de cohérence économique et sociale des Etats membres. Il est réservé aux Etats membres dont le PIB par habitant est inférieur à 90 % de la moyenne communautaire, soit l’Espagne, la Grèce, l’Irlande et le Portugal. L’attribution des crédits se fait sur le principe de conditionnalité macroéconomique : effort de convergence pour la Grèce afin qu’elle intègre la zone euro, respect du Pacte de stabilité et de croissance pour l’Espagne, l’Irlande et le Portugal. Ce fonds finance des projets qui ne concernent que les secteurs des infrastructures de transport et de l’environnement. Quel est l’impact des fonds structurels sur le rattrapage des pays/régions riches par les pays/régions pauvres ? L’évaluation de l’impact des actions structurelles montre qu’au niveau national les économies convergent mais qu’au niveau régional les disparités ne se réduisent nullement. En effet, on observe une réduction des écarts des revenus nationaux lorsque l’on prend en compte les effets des transferts. Ces derniers expliqueraient ainsi la moitié de la convergence observée sur la période 1989-1993 (Cour et Nayman, 1999). Cependant, les disparités de revenu par habitant entre régions ont eu tendance à se maintenir, voire à s’accentuer, tant à l’intérieur de chaque Etat qu’au sein de la Communauté. Cet accroissement des inégalités est particulièrement notable 116 Intégration économique régionale et mécanismes compensatoires dans la Communauté de Développement d’Afrique australe (SADC) : Quelles leçons de l’expérience européenne ? dans les pays, tels que l’Espagne et le Portugal, qui ont largement bénéficié des fonds structurels (Commissariat Général du Plan, 1999). Face aux critiques formulées à l’encontre des fonds structurels, la Commission a proposé, dans le cadre de l’Agenda 2000, une réforme autour de trois axes : la concentration des aides12, la simplification et la décentralisation de la mise en œuvre des fonds, le renforcement de l’efficacité et du contrôle. L’expérience européenne des fonds structurels peut certes constituer un éclairage utile pour la région SADC, mais elle ne peut pas être suivie en l’état par les pays de la région. La nature et le montant des fonds pour l’Afrique australe doit, d’une part, prendre en compte les différences de niveaux de développement entre les pays et, d’autre part, établir le lien entre leurs capacités de financement de ces fonds et leur besoins prioritaires, tels que les infrastructures et l’éducation. En effet, les pays de la région ne peuvent bien évidemment pas contribuer (en % de leur PIB) au financement des fonds au même niveau que les pays européens. Le financement de ces besoins prioritaires passera donc également par une participation des bailleurs de fonds et du secteur privé. Enfin, de manière beaucoup plus marquée que pour l’Union Européenne, l’existence de ces fonds peut servir de support à la crédibilité interne de l’Union en Afrique australe et envoyer un signal aux pays les moins développés de la région de rester dans l’Union. 2.2. La SACU : point de référence pour la SADC ? Plusieurs membres de la SADC considèrent que les accords liés au partage du revenu au sein de la SACU peuvent servir de point de référence quant à la forme que devraient prendre les paiements compensatoires dans la 117 Intégration régionale comparée future zone de libre-échange. La SACU est une des plus anciennes union douanière et son mécanisme de compensation est considéré comme fonctionnant avec un relatif succès (O’Connell, 1997). L’Accord actuel de la SACU a été signé en 1969 avec l’objectif d’encourager le développement économique de l’union douanière dans son ensemble, de promouvoir le développement et la diversification (industrialisation) des économies les moins avancées et de partager équitablement les gains du libre-échange13. Cependant, suite aux nombreuses plaintes émises par le Botswana, le Lesotho et le Swaziland (pays BLS), la formule de partage des revenus de l’union douanière - principal mécanisme de compensation - a été modifiée en leur faveur14. En effet, les pays BLS mettaient en avant les effets défavorables de leur appartenance à une union douanière avec un pays plus développé. On peut, parmi ceux-ci, citer la croissance des prix issue de la structure tarifaire sud-africaine de protection de ses industries, la croissance des prix issue des restrictions quantitatives de l'Afrique du Sud sur les importations, la perte d’autonomie budgétaire et la polarisation du développement économique en Afrique du Sud. L’accord de la SACU est, depuis 1994, en renégociation. Le principal point d’achoppement des négociations semble être, sans surprise, la formule de partage du revenu. Alors que l'Afrique du Sud attribue le déclin de sa part dans le revenu de la SACU aux transferts « généreux » aux pays BLNS, ces derniers considèrent que les revenus reçus n’ont pas compensé les effets néfastes de leur appartenance à une union douanière incluant un pays plus grand et plus développé économiquement. Bien que la nouvelle formule du partage du revenu n’ait pas été rendue publique, plusieurs caractéristiques semblent se dessiner. Cette nouvelle formule assurerait que le revenu des pays BLNS (Botswana, Lesotho, Namibie, Swaziland) ne soit pas brutalement déstabilisé et 118 Intégration économique régionale et mécanismes compensatoires dans la Communauté de Développement d’Afrique australe (SADC) : Quelles leçons de l’expérience européenne ? permettrait une compensation envers les pays BLNS pour les effets liés à l'accroissement des prix dû au TEC sur les importations totales. Il y aurait donc un « facteur d’augmentation implicite » en ce qui concerne la polarisation et la perte de discrétion budgétaire. Le fait que la part de l’Afrique du Sud soit le résidu après calcul des parts des autres pays devrait disparaître. La part de chaque pays serait désormais calculée de façon spécifique. Avec cette nouvelle formule, les pays BLNS seraient responsables de la fixation et de la collecte des droits d’accise mais les droits de douanes continueraient d’être collectés par le Fonds Commun avant d’être redistribués. Ainsi, les pays BNLS recevraient environ 60% du nouveau fonds (constitué uniquement de droits de douane). Néanmoins, cette part jointe aux droits d’accise qu’ils perçoivent devrait décliner du fait de la libéralisation tarifaire. En effet, les accords signés entre l'Afrique du Sud et le GATT en 1994 exercent une pression importante sur les négociations actuelles en termes de baisse des droits de douane et d’élimination des restrictions quantitatives. La seconde source majeure de désaccord porte sur la nature des institutions chargées de gouverner l’accord révisé. Les pays BLNS souhaitent un Secrétariat qui soit également une institution supranationale établissant les tarifs. L’Afrique du Sud se montre opposée à céder un tel pouvoir décisionnel à une institution supranationale tant qu’il n’existe pas d’accord entre tous les pays membres de la SACU sur les politiques industrielles. L’Afrique du Sud pense vraisemblablement que la SACU a fonctionné efficacement et de façon moins coûteuse sous son contrôle, contrairement aux autres organisations régionales en Afrique. L’Afrique du Sud a cependant proposé un siège à chaque pays BLNS au Board of Tariffs and Trade, afin d’avoir un processus décisionnel plus démocratique. Ainsi, ces négociations sont un enjeu important pour l’avenir de la 119 Intégration régionale comparée SACU, et plus largement pour l’ensemble de la SADC. Malgré la domination économique écrasante de l'Afrique du Sud dans la région, une stratégie de développement équilibré pour l’ensemble de la région est cruciale pour le succès du développement économique futur de tous les membres de la SACU. La persistance des inégalités existantes et l’inattention portée à un développement intégré en Afrique australe aura des répercussions défavorables sur l'Afrique du Sud en termes de flux migratoires et de réduction de la taille des marchés d’exportations des biens sud-africains. Enfin, l’issue des renégociations actuelles de l’accord de la SACU servira, par ailleurs, de point de repère pour la définition de stratégies d’intégration à l’échelle de la SADC. Il est donc essentiel qu’un accord sur le système de compensation soit atteint entre les pays de la SACU. Un échec enverrait un signal négatif aux autres membres de la SADC quant à un éventuel système de compensations intra-SADC. Or, même si les cinq pays de la SACU parviennent à un accord, cela ne signifie pas qu’ils souhaitent étendre cet accord aux autres membres de la SADC. En particulier, l’Afrique du Sud est peu susceptible d’accepter de payer des compensations selon le même dispositif dans le cadre d’une union à quatorze membres. En effet, ses contraintes politiques, économiques et sociales internes (réduction des inégalités entre les populations) ne favorisent pas la prise de responsabilité incombant au pays « centre » envers les pays « périphériques » de la région. Ainsi, pour que les pays plus pauvres puissent recevoir des compensations pour les effets de détournement de commerce provenant de la zone de libre-échange, il faudra vraisemblablement trouver des alternatives aux compensations fondées sur les transferts budgétaires de gouvernement à gouvernement. 120 Intégration économique régionale et mécanismes compensatoires dans la Communauté de Développement d’Afrique australe (SADC) : Quelles leçons de l’expérience européenne ? 3. Les mécanismes alternatifs aux transferts budgétaires La libéralisation commerciale est une source de risques pour les gouvernements. Le premier danger est que les coûts de court terme (en termes de chômage, de réduction des profits des secteurs auparavant protégés, d’éventuels déficits commerciaux et de pertes de recettes douanières) soulève l’opposition des producteurs nationaux avant que les bénéfices de long terme (croissance économique, création d’emplois) n’aient pu se faire sentir. A cela s’ajoute la forte pression politique des gouvernements des pays les plus enclins à voir leur déficit commercial régional accru au sein de la zone de libreéchange. La soutenabilité politique d’un regroupement régional dépend donc de la perception que chaque pays a des gains à attendre d’un tel accord. Cet argument politique met en évidence l’importance des flux financiers (y compris l’aide et les investissements étrangers) pour compenser les déséquilibres commerciaux et permettre une distribution équitable des bénéfices entre les pays participants. En effet, la redistribution des gains du libre-échange intra-régional constitue une raison politique et économique majeure à l’accroissement des flux financiers intra-régionaux des économies du « centre » vers les économies de la périphérie. Ces flux apparaissent d’autant plus nécessaires si les économies du « centre » attirent la plupart des investissements directs étrangers. Plusieurs mécanismes peuvent alors être utilisés pour encourager les flux financiers intra-régionaux. 3.1. La suppression du contrôle des changes sur les flux intra-régionaux de capitaux 121 Intégration régionale comparée La suppression du contrôle des changes sur les flux intra-régionaux de capitaux constitue un premier moyen de faciliter ces flux. Cela permet en particulier au capital privé des économies du « centre » de rechercher des opportunités d’investissement profitable dans les pays voisins, et éventuellement de bénéficier d’une main d’oeuvre meilleur marché et de dotations différentes en matières premières pour la production destinée à de vastes marchés. Dans le cadre de la SADC, cette mesure constitue un complément important à la mise en place de la zone de libre-échange. La suppression des contrôles sur les investissements directs étrangers pourrait constituer une première étape. En ce sens, l'Afrique du Sud a fortement libéralisé son régime de contrôle des changes sur les investissements en direction des pays de la SADC (hors pays de la CMA15 où il existe déjà une libre circulation des capitaux). Pour l'Afrique du Sud, un déficit du compte financier de sa balance des paiements vis-à-vis de la SADC permettrait de compenser son large excédent du solde des transactions courantes avec celle-ci. 3.2. La libre circulation des travailleurs La libre circulation des travailleurs constitue un second moyen de redistribution des bénéfices d’une zone de libre-échange entre les pays membres. En théorie, lorsque le travail peut circuler librement des industries ou des zones en déclin vers celles en croissance, les flux de revenus et les envois de fonds des travailleurs permettent une redistribution des gains réalisés dans les nouvelles zones de croissance industrielle. En pratique, du fait de l’existence d’un taux élevé de chômage des travailleurs non qualifiés dans la plupart des pays d’Afrique australe (et du manque de travailleurs qualifiés), la libre circulation des travailleurs entre les économies de la région est peu 122 Intégration économique régionale et mécanismes compensatoires dans la Communauté de Développement d’Afrique australe (SADC) : Quelles leçons de l’expérience européenne ? probable. Il n’est donc a priori pas souhaitable d’instaurer une libre circulation des travailleurs avant que les marchés du travail nationaux ne fonctionnent plus efficacement. Cependant, à plus long terme, la libre circulation des travailleurs permettrait de réduire les disparités régionales. 3.3. L’introduction progressive et asymétrique de baisses tarifaires L’introduction progressive et asymétrique de baisses tarifaires constitue une troisième voie à envisager. L’introduction progressive et asymétrique d’une baisse tarifaire au sein de la zone de libre-échange a déjà été acceptée par les Etats membres. En effet, elle constitue un mécanisme redistributif dans la mesure où elle offre, pendant une période donnée, un accès non réciproque au marché du plus grand pays, à savoir l'Afrique du Sud. La proposition est, qu’à la signature du traité de la zone de libre-échange, les pays membres de la SACU réduisent ou suppriment immédiatement leurs droits de douane sur environ les trois quarts de leurs produits en provenance de la SADC. Après cinq années, ces suppressions de tarifs devront concerner 90% des importations en provenance de la SADC. Les pays non membres de la SACU auront quant à eux huit ans pour harmoniser leurs tarifs à ceux des pays de la SACU. Une telle stratégie permettra aux investissements nationaux et étrangers de la région (en particulier sud-africains) de s’établir avant la suppression progressive des barrières protectionnistes. Bien que cela puisse prolonger certaines distorsions économiques, ce principe est vraisemblablement nécessaire à la construction d’une capacité industrielle dans les économies les moins diversifiées. Il limitera en particulier l’affaiblissement - voire la destruction - des industries existantes du fait d’une libéralisation trop rapide. Parallèlement, la mise en place d’un agenda concernant la suppression des 123 Intégration régionale comparée protections devrait encourager les entreprises à prendre des mesures afin de devenir plus efficaces. On peut ainsi espérer que le développement d’une capacité industrielle améliore non seulement les échanges intra-régionaux mais encourage également la main d’oeuvre à rester sur son territoire d’origine. L’Afrique du Sud n’a d’ailleurs pas attendu la mise en place de la zone de libre-échange pour commencer, unilatéralement, à réduire ses tarifs sur ses importations régionales. En mars 1998, elle a annoncé une suppression de droits de douane sur 60% de ses lignes tarifaires. Etant donné que la période de 8 ans de libéralisation asymétrique prévue par le Protocole de Commerce ne commence qu’à la signature de celui-ci, la décision sud-africaine offre donc un délai supplémentaire aux autres pays membres. Notons que l’impact de cette décision sur les petits pays de la SACU reste encore incertain. 3.4. Les incitations à l’investissement régional et au développement Les incitations à l’investissement régional et au développement constituent une dernière alternative possible. Le modèle proposé par l’UEMOA16, de transferts compensatoires durant la période de transition vers l’établissement d’un TEC est particulièrement intéressant pour la SADC, car il intègre des pays en développement relativement pauvres. Cependant, les pays exportateurs nets ont signifié qu’ils ne souhaitaient pas poursuivre le paiement de transferts compensatoires après la période d’ajustement des autres pays membres. Une suggestion apparaît cependant intéressante : les donateurs pourraient contribuer au financement des fonds structurels et de développement au sein de l’UEMOA. Cette mesure pourrait conduire à une redéfinition des priorités de l’aide, plutôt qu’à une augmentation du volume d’aide reçue par les pays participants. 124 Intégration économique régionale et mécanismes compensatoires dans la Communauté de Développement d’Afrique australe (SADC) : Quelles leçons de l’expérience européenne ? L’idée d’un programme d’investissements en infrastructures régionales, pouvant impliquer la création d’un fonds de développement en Afrique Australe, n’est pas nouvelle. La question de l’investissement régional en infrastructures a, au contraire, historiquement constitué un centre d’attention tout particulier de la SADC. S’appuyant sur l’expérience européenne, la création d’un fonds de soutien au développement de la région est actuellement étudiée par la FISCU (Finance and Investment Sector Cordinating Unit) de la SADC. Il existe en effet plusieurs avantages à disposer d’un mécanisme de redistribution centré sur l’investissement en infrastructures, en particulier sur les transports et les télécommunications. En effet, de telles dépenses ont un impact significatif sur la croissance (voir par exemple Easterly et Rebelo, 1993). Ces investissements favorisent, en outre, le commerce intra-régional en facilitant l’accès aux marchés régionaux, et par conséquent constituent une politique complémentaire à la libéralisation commerciale. Enfin, d’un point de vue plus politique, il est probablement plus facile de convaincre l’Afrique du Sud (et d’autres pays tels que le Zimbabwe) de financer des dépenses portant sur des infrastructures régionales que d’opérer des transferts budgétaires vers les autres pays. Le projet du Corridor de Maputo est un exemple de type de projet et de structure de financement (public et privé) pour de telles initiatives « compensatoires ». On s’attend en effet à ce qu’il ait un impact significatif sur la croissance en Afrique du Sud comme au Mozambique et qu’il favorise le commerce intra-régional. Il a d’ailleurs fait l’objet d’un large soutien politique dans toute la région. Des arguments du même ordre peuvent également être fournis dans le cas d’une dépense régionale en éducation, en particulier technique. Une 125 Intégration régionale comparée certaine standardisation des qualifications et des accords sur l’apprentissage pourraient en effet améliorer la valeur de telles dépenses (voir Leape et al. (1998) sur le rôle des politiques micro-économiques de soutien d’une zone de libre échange). L’ensemble de ces arguments sont utiles au regard de la part relativement élevée de la redistribution financée par l’aide versée par les donateurs à la région par rapport aux contributions des pays de la région ; et ceci d’autant plus que les membres de la SADC plaident en faveur de nouveaux fonds provenant des donateurs pour aider, pendant la période de transition, à ce que la zone de libre-échange soit soutenable. Quelques critiques ou précautions doivent être toutefois mentionnées. L’apport de financements pour des projets de développement ne produit pas nécessairement un développement. La qualité des projets, le degré d’implication du secteur privé et l’environnement macro et micro-économique constituent des facteurs déterminants pour la réussite des projets. De plus, les institutions financières africaines de développement ont souvent échoué dans le financement de projets efficients. Enfin, il s’avère nécessaire de mettre en place des contrôles ayant pour objet de veiller à ce que les ressources soient effectivement utilisées pour stimuler la croissance économique et non pour satisfaire les clientèles politiques. Ainsi, un fonds de développement pourrait être constitué des contributions des pays membres de la SADC, proportionnelles à leur part dans les exportations intra-régionales. Le fonds commun pourrait être complété par l’aide des donateurs, conditionnelle aux progrès de la libéralisation commerciale à l’intérieur de la SADC. De plus, le financement de projets spécifiques nécessite cependant des critères clairs. Par exemple, les pays demandant un aide financière pour un 126 Intégration économique régionale et mécanismes compensatoires dans la Communauté de Développement d’Afrique australe (SADC) : Quelles leçons de l’expérience européenne ? projet pourraient (i) fournir la démonstration de bénéfices à venir en terme d’accroissement du commerce et du revenu ; (ii) établir la preuve qu’au moins deux pays membres de la SADC bénéficieront de la mise en oeuvre du projet ; (iii) avoir tous suivi l’agenda de libéralisation de la SADC ; (iv) satisfaire la présence d’un cofinancement du secteur privé et du secteur public (et cela pour chaque pays réclamant les fonds) ; et (v) établir un budget démontrant comment les coûts périodiques seront financés (Crefsa, 1998). Le principe de cofinancement est en effet important. Une structure de cofinancement impliquant à la fois un fonds commun régional, les gouvernements des pays candidats, le secteur privé et des donateurs éventuels apparaît particulièrement appropriée. Il est essentiel d’avoir une participation du secteur privé, non seulement pour des raisons financières17, mais également afin de s’assurer que les projets retenus seront économiquement viables. Même si les financements publics continueront d’occuper une place essentielle dans de nombreux projets d’infrastructures, il existe déjà un grand nombre d’exemples dans la région témoignant du rôle constructif joué par le secteur privé. La Banque de Développement d'Afrique Australe (DBSA) a, par exemple, très souvent participé au financement d’initiatives associant secteurs public et privé concernant des infrastructures de transport ou hydrauliques et d’autres projets ayant une dimension régionale importante. La co-implication d’Etats membres dans des projets d’intérêt mutuel a plusieurs avantages. En premier lieu, cela réduit la possibilité d’achat d’une usine ou d’un équipement incompatible avec une allocation rationnelle des ressources dans une perspective régionale. Ensuite, cela accroît les chances d’amélioration des liaisons physiques régionales. Enfin, cela accentue la pression à se conformer à l’agenda de libéralisation du commerce (si le projet est rejeté lorsqu’un participant ne respecte pas les objectifs de libéralisation). 127 Intégration régionale comparée Enfin, l’acceptation des projets soumis sera politiquement sensible. Il est donc nécessaire qu’elle relève d’un organe supranational disposant d’une autonomie politique et d’un mandat clair pour prendre des décisions fondées sur des critères transparents (comme ceux suggérés précédemment). Il serait cependant préférable, d’un point de vue coût-efficacité, de renforcer les institutions existantes plutôt que d’en créer une nouvelle. Ainsi, l’approbation des projets pourrait être sous la responsabilité d’un comité composé de représentants du Secrétariat de la SADC, de la FISCU, de membres d’autres unités sectorielles (ceux-ci changeraient en fonction de la nature du projet proposé) et de représentants des parties assurant le financement (l’institution qui administre les fonds, le secteur privé, les donateurs étrangers) (Crefsa, 1998). CONCLUSION S’il existe des potentialités réelles et significatives d’échanges intraSADC, la présence de l'Afrique du Sud dans la région les conditionne fortement. La persistance d’un développement de type « centre-périphérie » entre l'Afrique du Sud et le reste de la région n’est pas à exclure (Cureau, 1998). Ainsi, le développement et la diversification de la base industrielle ainsi que des marchés d’exportations, l’attraction des investissements directs étrangers et la répartition équitable des profits de l’intégration des échanges constituent sans nul doute les principaux défis auxquels font face les pays membres de la SADC. Il ne faut cependant pas sous estimer les difficultés de réalisation d’une zone de libre-échange d’ici 2006. L’application insuffisante des traités et protocoles expliquent en grande partie la faible performance des accords d’intégration régionale à travers le monde. Il apparaît donc nécessaire pour la 128 Intégration économique régionale et mécanismes compensatoires dans la Communauté de Développement d’Afrique australe (SADC) : Quelles leçons de l’expérience européenne ? SADC de développer ses capacités institutionnelles à gérer la mise en oeuvre de ces traités, et tout particulièrement le Protocole de Commerce. Par ailleurs, les conflits entre l'Afrique du Sud et ses voisins sont susceptibles de créer de véritables résistances à l’établissement d’une coopération visant le bien-être de la région. La problématique des compensations est économiquement et politiquement importante et sensible dans le contexte de la zone de libreéchange intra-SADC proposée, étant donné la domination de l'Afrique du Sud dans l’économie régionale. La création d’un cadre soutenable pour le commerce régional exige certains mécanismes afin de garantir que les gains potentiels de la libéralisation commerciale régionale - en termes d’accroissement des échanges et des investissements et de croissance économique plus forte - soient largement partagés entre les pays membres. S’appuyant en partie sur l’expérience européenne, nous avons présenté une série de mesures pouvant aider à atteindre les objectifs de la compensation sans supporter les « coûts » associés aux transferts budgétaires de gouvernement à gouvernement. Elles incluent la libéralisation du contrôle des changes, la réduction progressive et asymétrique des droits de douane et la promotion des investissements régionaux en infrastructures et en éducation à travers, par exemple, la création d’un fonds de développement régional construit en partie sur le modèle européen. Notes 1 Les pays membres de la SADCC étaient l’Angola, le Botswana, le Lesotho, le Malawi, le Mozambique, le Swaziland, la Tanzanie, la Zambie et le Zimbabwe. L’organisation s’est élargie en 1990 avec l’entrée de la Namibie. 2 Mesuré en terme de PIB par habitant. 3 Ces gains seront d’autant plus importants que le niveau de détournement de commerce sera élevé. 129 Intégration régionale comparée 4 Union Douanière d’Afrique Australe (Southern African Customs Union) comprenant l'Afrique du Sud, le Botswana, le Lesotho, la Namibie et le Swaziland. 5 Les autres pays de la région classés parmi les PMA sont l’Angola, le Lesotho, le Malawi, la Tanzanie et la Zambie. 6 L’Union Européenne constitue le premier partenaire commercial de la région. 7 Pour l'Afrique du Sud, le ratio exportations intra-SADC/importations intra-SADC était de 5,2 en 1998. 8 Il est probable que ces parts de marché soient surestimées, compte tenu de la réexportation vers ces pays de produits originaires de pays tiers (en particulier l'Union Européenne) mais passant par l'Afrique du Sud. 9 Mesurée à l’aide d’un indice de complémentarité des structures de commerce (voir Michaely, 1996). L’indice prend la valeur 1 (complémentarité parfaite) lorsque la structure des exportations (importations) d’un pays correspond exactement à celle des importations (exportations) du pays partenaire et la valeur 0 dans le cas contraire. 10 L’indice global de complémentarité des structures commerciales était, en 1996, de 0,24 pour la SADC contre 0,09 pour l’Afrique sub-saharienne, 0,29 pour le Mercosur, 0,56 pour l’ALENA et 0,53 pour la CEE (6 pays fondateurs). 11 Comme par exemple des politiques visant à favoriser l’investissement direct étranger, le développement du capital humain ou la mise en place de mécanismes compensatoires à l’échelle de la région. 12 Les objectifs des fonds structurels ont été ramenés de sept à trois. L’objectif 1 concerne toujours l’aide aux régions en retard de développement. L’objectif 2 est élargi à toutes les régions qui sont en reconversion économique et sociale. L’objectif 3 est horizontal et regroupe toutes les actions en faveur de la modernisation des marchés de l’emploi. 13 La Namibie n’a adhéré à la SACU qu’à la suite de son indépendance en 1990. 14 Un facteur « d’augmentation » de 42 % est introduit, en 1969, dans la formule de partage des revenus afin de répondre à la demande des pays BLS de compensation des désavantages de leur appartenance à la SACU. Le niveau du facteur d’augmentation fut déterminé afin de garantir aux pays BLS un montant de revenu de la SACU équivalent à 20 % de la valeur de leurs importations (y compris les importations provenant d'Afrique du Sud) et de leur production imposable. 15 La Zone Monétaire Commune (Common Monetary Area) est une zone de taux de change fixes à laquelle appartiennent l'Afrique du Sud, le Lesotho, la Namibie et le Swaziland. 16 L’Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine regroupe le Benin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Sénégal. 17 Les ressources publiques sont bien évidemment insuffisantes par rapport aux besoins de financement des projets d’infrastructures. Bibliographie Commissariat Général du Plan (1999), L’élargissement de l’Union européenne à l’Est de l’Europe : des gains à escompter à l’Est et à l’Ouest, La Documentation Française, Paris. Cour P. et L. Nayman (1999), « Fonds structurels et disparités régionales en 130 Intégration économique régionale et mécanismes compensatoires dans la Communauté de Développement d’Afrique australe (SADC) : Quelles leçons de l’expérience européenne ? Europe », La Lettre du CEPII, n° 177, mars. CREFSA (1998), « Policies to Support the SADC Free Trade Area : The Role of Compensatory Mechanisms », Quarterly Review n° 4, Center for Research into Economics & Finance in Southern Africa, pp 2-11. Cureau O. (1998), « L’intégration économique et commerciale en Afrique australe : un schéma de type « centre-périphérie » dominé par l'Afrique du Sud », dans l'Afrique du Sud, une puissance utile ? l'Afrique du Sud entre l'Afrique australe et le continent, L’Observatoire Européen de Géopolitique, note 1063 DEF/DAS. Easterly W. et S. Rebelo (1993), « Fiscal Policy and Economic Growth : An Empirical Investigation », Journal of Monetary Economics, vol. 32, pp. 417-58. Evans D. (1999) , « Deindustrialisation in Southern Africa ? A General Equilibrium Analysis », IDS Working Paper, n° 88. Leape J. et al. (1998), « Complementary Policies to Underpin the SADC Free Trade Area », Report for the Commonwealth Secretariat. Michaely M. (1996), « Trade Preferential Agreements in Latine America : An Ex-Ante Assessment », World Bank Policy Research Working Paper n° 1583. O’Connell C. (1997), « Macroeconomic Harmonization, Trade Reform, and Regional Trade in Sub-Saharan Africa », in Oyejide A., Elbadawi I. et Collier P. (Eds), Regional Integration and Trade Liberalization in SubSaharan Africa, vol. 1, Macmillan. 131 Intégration régionale comparée L’INTEGRATION REGIONALE DANS L’UEMOA : LES LIMITES DU MODELE EUROPEEN Anne-Sophie Claeys (Centre d’Etude d’Afrique Noire, CEAN, Bordeaux) et Alice Sindzingre (Centre National de la Recherche Scientifique, CNRS, Paris, et CEAN) INTRODUCTION L’Union européenne (UE) fonctionne et inspire les autres formes d’intégration régionale (1). Ce constat de Moussa Touré, président de la Commission de l’UEMOA (Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine) (2), pose la question de l’exportabilité du modèle européen d’intégration régionale. En effet, si le débat est aujourd’hui ouvert, c’est en premier lieu parce que l’Europe constitue, jusqu’à présent, le seul modèle d’une intégration régionale allant au-delà d’un projet économique qui ait fait la preuve de son fonctionnement et de sa viabilité. Ce processus d’intégration peut être qualifié d’endogène, c’est-à-dire « né d’un projet politique collectif et autonome, repérable dans le temps et non soumis à une pression extérieure déterminante » (3). La question de l’exportabilité du modèle européen d’intégration régionale est d’autant plus pertinente que l’une des priorités actuelles de la politique extérieure de l’Union est le soutien à l’intégration régionale, notamment dans les zones en développement. Ainsi, si l’on s’interroge sur la capacité du modèle européen à être « exportable », il faut également prendre en compte le fait qu’il est déjà « exporté » dans certaines situations, dont celle représentée par l’UEMOA. Une analyse comparative du modèle européen d’intégration régionale 132 L’intégration régionale dans l’UEOMA : les limites du modèle Européen nécessite de prendre en compte plusieurs modèles sous-jacents : un modèle institutionnalo-juridique, un modèle économique, un modèle politique. Le niveau institutionnel et juridique évoque à la fois les institutions relatives à l’organisation et la construction par le droit. Le niveau économique suggère l’existence de politiques économiques communes, d’une stratégie macroéconomique, d’une surveillance multilatérale et les objectifs en sont le développement et la croissance économique. Le modèle politique implique une gouvernance régionale, la mise en commun d’intérêts, le partage des ressources, la recherche de la paix et de la stabilité. Le cas de l’UEMOA est complexe dans la mesure où l’on peut distinguer trois niveaux de relations entre l’UE et l’UEMOA : le niveau du transfert du modèle européen, le niveau des degrés d’intégration de la Zone Franc et enfin, celui du nouveau lien entre l’Euro et le Franc CFA après le passage à l’Euro, et des conséquences de ce lien sur l’intégration régionale ouest-africaine. Ainsi, à la différence d’autres types de relations entre l’UE et des zones en développement (comme le Mercosur par exemple), le lien entre l’Euro et le Franc CFA crée un niveau supplémentaire dans la relation entre ces organisations régionales. Il est communément admis que le traité de l’UEMOA est largement inspiré des traités européens (Traité de Rome modifié par l’Acte Unique Européen et Traité de Maastricht). Les trajectoires de ces deux unions sont cependant différentes, voire inverses, dans la mesure où l’UE est partie d’une intégration économique par le marché pour aboutir à une union monétaire, alors que les pays de l’UEMOA, dotés d’une monnaie unique dès avant leur indépendance, tentent de mettre en place un marché commun et une union économique. Transposer un modèle d’intégration régionale est délicat dans la mesure où il est conçu dans un contexte précis et forgé par des conditions propres à 133 Intégration régionale comparée l’Europe. La mondialisation et la généralisation des expériences d’intégration régionale limitent la transposition directe, sans aménagements, de ce modèle. L’intégration régionale fonctionne dans la mesure où les particularismes locaux sont évalués et pris en compte dans le processus d’intégration. Le présent article examine ainsi la viabilité du modèle européen dans le contexte de l’Afrique de l’ouest, compte tenu des caractéristiques locales complexes pouvant hypothéquer le futur de l’UEMOA, ainsi que les capacités d’appropriation et d’adaptation du modèle européen par l’UEMOA. Il tente de montrer les limites du caractère « exportable » du modèle européen, sous les trois aspects indissociables de l’intégration régionale que sont les institutions, l’économie et l’économie politique. Il suggère également que, trait commun à l’UE et à l’UEMOA, l’intégration économique fonctionne difficilement sans intégration politique. 1. Eléments d’histoire des institutions : la construction de l’Union européenne et l’UEMOA L’Union européenne et l’UEMOA ont emprunté des trajectoires différentes pour se constituer. L’Europe est née d’une démarche volontariste. L’UEMOA émerge à partir d’un héritage institutionnel colonial : la zone franc. 1. 1. De la Communauté européenne à l’Union européenne La construction européenne a emprunté la voie de l’intégration par l’économie. Ayant constaté l’impossibilité d’une construction par le politique, les pères fondateurs de l’Europe adoptent une démarche à la fois pragmatique et prudente. « L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait » (4). La mise en commun des ressources (notamment le 134 L’intégration régionale dans l’UEOMA : les limites du modèle Européen charbon et l’acier) est considérée comme une condition de la paix. L’approche fonctionnaliste privilégie ainsi l’unification par les domaines économiques (Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier, Marché commun, Euratom, puis les politiques sectorielles comme la Politique Agricole Commune, la pêche ou les transports) et soutient que l’intégration politique découlera de la solidarité forgée au niveau économique (5). Par un effet de contagion (spillover), est apparue au fil des années une évolution qui a conduit à étendre le champ d’intervention de la Communauté à des domaines connexes (6). Les compétences communautaires se sont ainsi élargies, par exemple, aux politiques d’aide au développement ou de concurrence. Au delà de l’intégration par l’économie et les politiques sectorielles, l’Europe s’est également construite par le droit. La Communauté européenne est un véritable « phénomène de droit ». Elle est en effet à la fois une création du droit - l’unification de l’Europe est fondée sur la puissance du droit et non sur la force -, une source du droit - qui résulte des Traités, des principes généraux du droit et essentiellement du droit communautaire dérivé -, et un ordre juridique - les rapports entre les populations des Etats membres sont régis par le droit (7). L’ordre juridique communautaire, et le système juridictionnel placé sous l’égide de la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE), constituent l’élément de la construction européenne le plus fortement intégré (8). En 1992, l’adoption du Traité d’Union Européenne (TUE) constitue la réforme la plus importante depuis l’origine. Les stratégies d’intégration et de coopération se sont progressivement combinées dans l’optique d’une « stratégie de l’union » (9). L’Union européenne est dotée de trois piliers : le pilier communautaire initial, enrichi de l’Union Economique et Monétaire (UEM) ; la Politique Etrangère et de Sécurité Commune (PESC) ; la 135 Intégration régionale comparée coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. Les deuxième et troisième piliers demeurent à un niveau intergouvernemental (10). Le modèle européen, et plus récemment le volet du traité de Maastricht consacré à l’UEM, auront un impact, direct ou indirect, non négligeable sur certains traités et organisations d’intégration régionale dans le monde (11). 1. 2. L’UEMOA : de l’union monétaire à l’union économique Parallèlement à la construction européenne, la Zone Franc (ZF) expérimente progressivement des formes d’intégration régionale autour d’une union monétaire existante. La Zone Franc est un accord entre la France et 15 pays africains, accord qui couvre deux unions monétaires (ainsi que les Comores qui ont leur propre monnaie, le Franc comorien), géré par deux banques centrales, la BCEAO (Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest) pour l’UEMOA (8 pays) et la BEAC (Banque des Etats d’Afrique Centrale) pour la CEMAC (Communauté Economique et Monétaire d’Afrique Centrale, 6 pays) (12). Le Franc CFA est géré par le Trésor français qui garantit la libre convertibilité via le « compte d’opérations ». Le Franc CFA est resté arrimé au Franc français à la même parité pendant 46 ans, de 1948 à 1994 (si l’on omet la dévaluation française de 1960, après laquelle 1 Franc CFA vaut 0,02 Franc français). L’accord a fonctionné pendant les années de prospérité qu’a connu la France après la seconde guerre mondiale, et dans la zone CFA, pendant la période de croissance qui a suivi les indépendances autour de 1960 jusqu’au choc pétrolier de 1979. A partir du milieu des années 1980, période du contrechoc pétrolier et de la chute des cours internationaux des matières premières principales sources de devises des pays de la zone, la situation économique de l’UEMOA se dégrade. La zone est affectée à la fois par de mauvaises politiques macro-économiques (13) et un laxisme budgétaire. Démarrés au 136 L’intégration régionale dans l’UEOMA : les limites du modèle Européen début des années 80, les programmes d’ajustement structurel ne sont alors pas conçus dans une perspective régionale, ni ne se sont préoccupés de leurs éventuelles conséquences sur les pays voisins, et les dévaluations des monnaies de ces pays placés sous programmes d’ajustement (Ghana, Nigeria) vont fortement éroder la compétitivité des entreprises formelles des pays de l’UEMOA. De plus, l’union monétaire n’a pas empêché l’explosion de la dette extérieure de certains pays. Juridiquement, les pays de la Zone Franc semblent être les acteurs principaux de leur politique monétaire. Toutefois, les mécanismes de fonctionnement de la zone maintiennent de multiples canaux de dépendance vis-à-vis de l’ancienne puissance coloniale (14). La Zone Franc est fondamentalement différente du projet européen. En effet, elle a constitué une construction empirique dans ses origines et dans son évolution, et ses règles institutionnelles ne découlent pas d’une construction intellectuelle élaborée a priori (15). Bien que les dynamiques d’intégration en Afrique de l’Ouest soient anciennes, voire pré-coloniales (16), le processus actuel d’approfondissement de l’intégration de la sous région ouest-africaine a pu être qualifié de « suivisme collectif » (17) dans la mesure où il est l’expression d’un soutien extérieur. De même que pour les autres réformes économiques et institutionnelles, la France, la Banque mondiale et la Commission européenne ont ainsi participé à la préparation du Traité de l’UEMOA (18). En janvier 1994, le Franc CFA fut dévalué de 50 %. Dans la foulée, les traités créant l’UEMOA et la CEMAC furent signés, succédant respectivement aux anciennes UMOA (Union Monétaire Ouest-Africaine) et UDEAC (Union des Etats d’Afrique Centrale). Le schéma général existant entre le Trésor français et les pays africains de la Zone Franc reste largement inchangé. La perspective de l’Euro a contribué à la décision de la dévaluation, conjuguée à 137 Intégration régionale comparée la pression des institutions de Bretton Woods, l’adoption par la France de la doctrine dite d’Abidjan conditionnant son aide à la signature d’un accord avec celles-ci, et à la situation économique très dégradée de certains pays, notamment la Côte d’Ivoire (19). En termes d’intégration, d’une part les bailleurs extérieurs, bilatéraux et multilatéraux, ont eu des difficultés à s’accorder sur la décision de dévaluer, incohérence qui a ajouté aux problèmes économiques (anticipations des opérateurs, chute de l’investissement, fuite des capitaux). D’autre part, le taux unique de la dévaluation n’était pas uniformément approprié à des pays appliquant des politiques rigoureuses ou au contraire laxistes, aux indicateurs macroéconomiques et financiers hétérogènes, et manifestant des niveaux d’appréciation de leurs taux de change effectif réel très différents – allant en 1993 de 30% dans les petits pays de la Zone Franc à 60% dans les plus importants (20). Les déficits ivoiriens (21) ont été la principale référence de la dévaluation, entraînant une certaine amertume de la part des autres pays. Les nouveaux traités de l’UEMOA et de la CEMAC peuvent être analysés au moins comme un signal politique de la part des dirigeants des PAZF (Pays Africains de la Zone Franc). La nécessité de rapprocher les économies s’est progressivement imposée, au moins dans les opinions des bailleurs de fonds, y compris des institutions de Bretton Woods. Celles-ci ont longtemps conçu les programmes d’ajustement à l’intérieur des frontières nationales et n’ont soutenu que progressivement le concept d’intégration régionale, à la mesure des avancées de la réflexion économique sur cette question. La part de l’Afrique sub-saharienne dans les échanges mondiaux, en diminution, devient infime : la part des exportations de l’UEMOA dans les exportations mondiales était en 1998 de 0,1%, et en diminution (0,2% en 1985, 0,3% en 1970), à comparer avec 35,5% en 1998 pour l’UE (22). L’union monétaire dans la Zone Franc apparaît de plus comme 138 L’intégration régionale dans l’UEOMA : les limites du modèle Européen historiquement soutenue de l’extérieur, de même que le caractère artificiel d’une union monétaire entre pays n’ayant pas rapproché leurs économies, et n’ayant pas maintenu une cohérence dans leurs politiques de développement, ni une concertation des financements (23). L’intégration économique devient une condition de la viabilité de la Zone Franc et donc de l’UEMOA, d’autant plus nécessaire que l’arrimage à l’Euro impose des contraintes nouvelles en termes de politiques économiques. 2. Un transfert problématique du modèle institutionalo-juridique La construction historique évoquée ci-dessus doit être approfondie par la comparaison entre l’UE et l’UEMOA. Celle-ci met en effet en évidence des similitudes nombreuses au niveau des institutions, du droit et de l’unification économique. 2. 1. Eléments d’intégration régionale déjà « exportés » de l’UE vers l’UEMOA Comme dans le cas de l’Union européenne, l’UEMOA se construit par le droit. L’intégration passe tout d’abord par les traités qui constituent le droit communautaire originaire. Ces bases institutionnelles définissent les buts et les organes moteurs de la Communauté et établissent un calendrier pour réaliser ses objectifs. Des institutions ont ainsi été créées, pourvues de pouvoirs législatifs et administratifs (24). Au niveau des institutions communautaires, l’UEMOA a adopté dans les grandes lignes le modèle institutionnel de l’UE. Ainsi, elle s’est dotée d’une Conférence des chefs d’Etats, d’un Conseil des ministres, d’une Commission, d’une Cour de justice, d’un Comité interparlementaire (qui préfigure le parlement de l’Union) (25). 139 Intégration régionale comparée La construction de l’intégration ouest-africaine par le droit a commencé avant l’établissement du traité de l’UEMOA, notamment par un processus de réformes et d’harmonisation de la Zone Franc en vue d’une union économique. Une réflexion s’est engagée sur la mise en place d’un système financier régional qui aurait surtout vocation à mobiliser l’épargne. En avril 1991, la Conférence de Ouagadougou posait les jalons d’une intégration économique par l’unification du droit et l’harmonisation des normes : unification du droit des assurances (CIMA, Conférence Interafricaine des Marchés et des Assurances), du droit des affaires (qui deviendra l’OHADA, Organisation pour l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique), de la prévoyance sociale (CIPRES, Conférence Interafricaine de la Prévoyance Sociale), création de pôles régionaux de formation économique et financière de la fonction publique, développement des universités sur une base régionale, mise en place d’Afristat (pour la collecte des données statistiques, selon le modèle d’Eurostat) (26). Les objectifs inscrits dans le traité de l’UEMOA sont proches de ceux inscrits dans le traité instituant la Communauté européenne (CE, Traité de Rome, 1957). L’objectif premier est l’intégration économique, recherchée via cinq objectifs : renforcer la compétitivité ; assurer la performance des politiques par la surveillance multilatérale ; créer un marché commun dont l’élément-clé est un tarif extérieur commun ; coordonner les politiques sectorielles nationales ; harmoniser les législations (27). Le projet de marché commun de l’UEMOA, comme celui de la Communauté économique européenne, repose sur l’établissement des libertés fondamentales du marché intérieur – libre circulation des marchandises, libre circulation des travailleurs, liberté d’établissement, libre prestations de services, libre circulation des capitaux et liberté des opérations de paiements. On peut rappeler qu’il aura fallu trente cinq années aux Européens pour achever le Grand Marché (1957- 140 L’intégration régionale dans l’UEOMA : les limites du modèle Européen 1992). A ces éléments déjà « exportés » de l’UE vers l’UEMOA - droit, institutions, objectifs -, s’ajoute une dimension d’économie politique. Tout accord d’intégration régionale comporte pour chaque Etat membre un aspect à l’évidence externe (entre Etats) et simultanément des implications internes, en ce que l’accord engage les gouvernements et par là même remodèle les institutions et les décisions politiques intérieures : cette « diplomatie à double bord » est présente dans l’UE comme dans l’UEMOA (28). 2. 2. Au delà du modèle d’intégration, l’Euro et ses implications institutionnelles et juridiques A côté des éléments exportés via un transfert de modèle, la mise en place de l’Euro montre l’existence d’un lien de fait entre l’UE et l’UEMOA. La France a fait valoir aux Etats membres de l’UE et à la Banque Centrale Européenne (BCE) que le Franc CFA est un arrangement budgétaire entre les Etats africains francophones et le Trésor français, et non un arrangement monétaire avec la Banque de France (29). Ainsi, la création de l’UEM n’a pas de conséquences pour l’Union européenne en termes de financement supplémentaire potentiel de la Zone Franc. Cependant, le Franc CFA est désormais rattaché à l’Euro, et la Zone Franc est par nature un accord de change. L’UEMOA est donc l’objet de contraintes institutionnelles qui illustrent l’asymétrie de la relation, et ses devoirs envers l’Union européenne. En effet, le 23 novembre 1998, le Conseil de l’Union européenne s’est prononcé sur les implications du passage à l’Euro pour les monnaies rattachées à la monnaie d’un Etat membre de l’UE, question qui n’avait même pas été mentionnée dans le Traité de Maastricht préparant 141 Intégration régionale comparée l’UEM. Le Conseil fait de l’arrangement monétaire bilatéral franco-africain, sous certaines conditions, une question communautaire. Il rend également les accords antérieurs plus contraignants, ce qui vise à renforcer leur crédibilité (30). Il stipule que la France peut maintenir ses accords monétaires, et que la France et les pays de la Zone Franc continuent d’être les responsables de la mise en œuvre de ces accords (31). Cependant, les autorités françaises doivent informer la Commission, la Banque Centrale Européenne et le Comité Economique et Financier à propos de toute modification de la parité Euro / Franc CFA. Les modifications sur la nature et le champ de l’accord doivent être approuvées par le Conseil sur recommandation de la Commission et après consultation de la BCE. Cet accord n’affecte pas la politique communautaire et ne constitue pas un précédent pour les autres pays (32). Techniquement, le Trésor français continue de garantir la libre convertibilité, la parité fixe et la gestion centralisée via le compte d’opérations de chaque banque centrale de la Zone Franc. Dans la liste des obligations de l’UEMOA envers l’UE, il faut également noter que le Conseil de l’UE oblige également l’UEMOA, et plus généralement la Zone Franc, à lui soumettre tout projet de dévaluation. Les contraintes imposées par la décision du Conseil de l’UE sont de trois ordres : politique, monétaire et économique. Une des conséquences de la décision du Conseil est l’impossibilité pour l’UEMOA de décider seule de l’élargissement de son union monétaire. L’adhésion de nouveaux membres est soumise à l’accord du Conseil de l’UE. Une question est précisément celle de l’ouverture hypothétique de l’UEMOA vers le Nigeria. En raison de la densité des échanges entre les deux entités, mus à la fois par la taille du Nigeria, comparable à celle de l’ensemble de l’UEMOA, de sa demande intérieure, et ses politiques de taux de change, l’UEMOA entretient une relation ambivalente avec son grand voisin – il lui est difficile de vivre à la fois avec et sans le 142 L’intégration régionale dans l’UEOMA : les limites du modèle Européen Nigeria. Or l’Europe peut être réticente à un rattachement du naira à l’Euro. L’extension du mécanisme du compte d’opération au Nigeria risque de ne pas être acceptée de la France, ni de l’Europe, et la BCE ne semble pas envisager l’éventualité d’une création, ni d’un transfert de ces comptes en son sein. Un rapprochement avec le Nigeria dans l’optique d’une intégration régionale basée sur la CEDEAO (Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest) entraînerait la délicate question d’un décrochement du Franc CFA vis-à-vis du Franc français, et donc de l’Euro. De plus, les deux ensembles de l’UEMOA et de la CEDEAO, malgré les pays qui leur sont communs, ont des relations historiquement difficiles. Cette tension est accentuée par le clivage entre francophones et anglophones, d’autant que la CEDEAO constitue un arrangement peu effectif en regard de celui formé par l’UEMOA, celle-ci aidée par son lien privilégié à l’UE (33). Ceci risque d’accroître l’instabilité des parités et donc de faire reculer le processus d’intégration régionale, même si la CEDEAO et l’UEMOA ont décidé, en mai 2000, de renforcer leur coopération. Signal intéressant, Alpha Oumar Konaré, alors président en exercice des deux institutions, a présenté la CEDEAO comme l’avenir d’une UEMOA chargée de montrer le chemin de l’intégration régionale (34). Certains observateurs arguent néanmoins que seule une intégration régionale endogène, soutenue par des monnaies nationales et à un rythme compatible avec la taille des échanges régionaux peut être viable à long terme, et non pas appuyée sur l’asymétrie d’une garantie fournie par un pays tiers (35). La question monétaire est donc cruciale alors même que le traité de l’UEMOA stipule que tout Etat ouest-africain peut demander à devenir membre de l’Union (art. 103) (36). Enfin, les contraintes sont également économiques dans la mesure où le 143 Intégration régionale comparée rattachement à l’Euro impose aux Etats membres de l’UEMOA des politiques macro-économiques strictes et des critères de convergence des performances. Ainsi, dans le cas de l’UEMOA (et de la CEMAC), la question de l’exportation du modèle européen est dédoublée par la présence d’un arrangement budgétaire entre la France et les pays de la Zone Franc. L’enjeu en est la souveraineté même de ces Etats, dans leurs choix de politiques économique et monétaire. 2. 3. L’UE et les failles institutionnelles du modèle L’expérience et les difficultés rencontrées par l’UE montrent l’existence de failles dans le système institutionnel de l’Union. L’adaptation de son modèle institutionnel en Afrique de l’Ouest est donc complexe et risquée, dans la mesure où les capacités institutionnelles des Etats africains sont loin d’être de même niveau que celles des pays européens. Les Etats africains sont plus vulnérables aux dysfonctionnements, notamment bureaucratiques. De nombreuses composantes du modèle européen ont été « exportées » pour construire le schéma de l’UEMOA. Pourtant, aussi fonctionnel et unique soit-il, le modèle de l’UE n’en n’est pas moins sans failles. Les lourdeurs administratives européennes, l’oscillation permanente entre élargissement et approfondissement (37), le poids des intérêts nationaux et le manque d’existence politique sur la scène internationale, l’incapacité de réformer les institutions, l’apparition de cercles concentriques et d’une union à plusieurs niveaux – sur les questions de l’Euro ou du volet social par exemple contribuent à donner de l’Europe une image contrastée. Les goulets d’étranglement, les incohérences et les lenteurs bureaucratiques sont largement stigmatisés, par exemple en matière de décaissements et d’aide (38). La CIG (Conférence intergouvernementale) qui prépare la réforme des institutions en 144 L’intégration régionale dans l’UEOMA : les limites du modèle Européen vue de l’élargissement de l’Union européenne avance à pas plus que lents, sans compter que, concernant la PESC en particulier, le Traité d’Amsterdam a renoncé à gérer les ambitions et les intérêts hétérogènes des pays membres, qui risquent de s’accentuer avec l’élargissement (39). L’UEMOA est confrontée à la question de l’importation d’un modèle sans en importer les défauts. Il existe une différence institutionnelle majeure entre l’UE et l’UEMOA, tenant aux critères de pondération en termes de représentation et de décision. Ceux-ci sont cruciaux en matière de fonctionnement de toute institution. Alors que l’Europe des Quinze compte 20 commissaires (deux pour la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et la Grande-Bretagne et un pour les autres Etats membres), l’UEMOA a fait le choix de nommer un commissaire par Etat, quel que soit le niveau de développement économique de chacun de ses membres. Une autre différence majeure concerne les domaines dans lesquels l’intégration se prépare. En effet, l’UEMOA s’est inspirée du schéma de la Communauté européenne (type Traité de Rome) et de l’Union Economique et Monétaire, c’est-à-dire du premier pilier de l’Union européenne. Les questions politiques (la Politique Etrangère et de Sécurité Commune, ainsi que la coopération dans les domaines de la police et de la justice) ne sont pas à l’ordre du jour. L’intégration demeure au niveau de l’économie, et la force d’attraction du modèle européen semble n’avoir concerné que son aspect économique. Il est vrai que l’intégration politique européenne, malgré quelques transferts de souveraineté, se cantonne pour l’instant au niveau de la coopération politique. Ceci souligne l’importance du rythme de l’intégration régionale pour des zones qui suivent un modèle déjà testé. Enfin, une des tendances de l’intégration européenne est de permettre une géométrie variable, une organisation en cercles concentriques, et une 145 Intégration régionale comparée flexibilité dans l’appartenance à l’UE. Ainsi, certains pays ont fait le choix de ne pas appartenir à la zone Euro ou de ne pas adhérer au volet social. Cette possibilité est offerte pour organiser les différences au sein d’une Union européenne de plus en plus hétérogène, mais sans entraver la dynamique de l’intégration (40). Présentée comme une innovation, l’apparition de l’intégration à géométrie variable reste pourtant une solution par défaut qui traduit la défaillance de volonté politique, chez certains Etats membres en particulier. Une pleine exportation du modèle européen suggérerait un développement de l’UEMOA à géométrie variable, selon les champs de compétence considérés, avec des Etats membres n’appartenant pas à l’Union monétaire de la Zone Franc, comme c’est le cas des pays de l’UE ne faisant pas partie de la Zone Euro. L’article 104 du traité de l’UEMOA souligne que « tout Etat africain peut demander de participer à une ou plusieurs politiques de l’Union en qualité de membre associé » (41). La flexibilité offerte dans l’adhésion est présentée comme un moyen pour l’UEMOA de « catalyser » le processus d’intégration régionale en Afrique de l’Ouest (42). Néanmoins, bien que l’objectif de continuer l’intégration soit louable, cette possibilité d’adaptation, voire de dérogation à certaines politiques, peut être interprétée comme la traduction d’une éventuelle faiblesse du modèle. Dans le jeu institutionnel entre les deux organes communautaires principaux de l’UEMOA - la Commission et le Conseil - quatre problèmes familiers à l’UE concernent le futur de l’UEMOA : les transferts de souveraineté (inégalitaires en fonction du poids des pays, mais sur une base solidaire), le contrôle démocratique (absence de parlement), l’autonomie financière (que devrait assurer le Tarif Extérieur Commun à partir de 2000 et une future TVA), et la dynamique de l’intégration. Sur ce dernier point, le 146 L’intégration régionale dans l’UEOMA : les limites du modèle Européen traité est ouvert, mais dépourvu de calendrier précis (43). 3. L’intégration économique Au delà des aspects institutionnels et juridiques, pour les membres d’une union régionale, les gains économiques potentiels de celle-ci constituent un enjeu majeur. 3. 1. Les avantages et les coûts de l’intégration économique dans l’UEMOA Une intégration régionale comporte des avantages et des coûts économiques, sur lesquels existe une littérature extrêmement abondante. Le régionalisme y est le plus souvent opposé au multilatéralisme en termes de coûts et d’avantages. Une intégration régionale change les prix domestiques et les prix mondiaux, le volume des exportations et des importations, et accompagné par une libéralisation, change les rentes des firmes moins compétitives. La modification de structures du commerce s’évalue en fonction des effets de création vs. de diversion des échanges qu’elle engendre. Le multilatéralisme est considéré comme préférable en termes de bien-être, car le régionalisme peut être générateur de diversion des échanges commerciaux, et est davantage sensible à des problèmes d’économie politique, aux pressions de groupes d’intérêts, et aux lobbies de producteurs dans certains secteurs (44). Dans le cas de l’Afrique sub-saharienne, le régionalisme peut être considéré comme facilitant son intégration au processus de mondialisation, et lui permettant d’en mieux tirer les avantages (45). Face à la constitution de blocs commerciaux dans les années 90 en Amérique du nord comme en Europe, l’Afrique sub-saharienne s’est elle aussi retrouvée poussée vers cette tendance 147 Intégration régionale comparée globale (46). La notion d’intégration régionale recouvre de multiples types d’accords : en termes d’intégration croissante, accords tarifaires, zones de libre échange, unions douanières, marché commun - objectif par exemple de la CEDEAO -, union économique - qui est la vocation de l’UEMOA (47). L’intégration économique recherchée par le traité de l’UEMOA comporte trois grands pôles : l’harmonisation des législations (fiscalités, systèmes comptables, investissements, circulation des personnes) ; la surveillance multilatérale des politiques macroéconomiques ; le marché commun, basé sur une union douanière, dont l’élément essentiel est la mise en place d’un Tarif Extérieur Commun (TEC). Celui-ci ne doit pas générer, conformément aux règles du GATT (article XXIV), un niveau de protection tarifaire supplémentaire. Du côté européen, le Tarif Extérieur Commun constitue l’un des éléments principaux de la mise en place du marché intérieur européen. En effet, l’union douanière, effective en 1968, a conduit à la réunion des territoires douaniers des Etats membres et le tarif extérieur commun a progressivement remplacé les droits de douane existants. Depuis 1975, l’intégralité des recettes du TEC est versée au budget communautaire. A l’instar du Traité de Rome décidant la création d’un marché commun, le Traité de l’UEMOA crée un marché commun et une union douanière, ainsi que des éléments d’accompagnement analogues à ceux figurant dans le traité de Rome : l’harmonisation des législations, la coordination des politiques sectorielles nationales et la convergence des politiques et des performances économiques des Etats membres (48). Dans l’UEMOA, l’union douanière s’appuie sur le Tarif Extérieur Commun, adopté en 1997 et ayant pris pleinement effet en 2000. Il instaure un régime préférentiel des échanges intraUEMOA et un tarif extérieur commun envers les pays tiers (abaissant pour la 148 L’intégration régionale dans l’UEOMA : les limites du modèle Européen plupart d’entre eux les niveaux tarifaires) en y ajoutant une taxe dégressive de protection et une taxe conjoncturelle à l’importation. Le traité de l’UEMOA interdit de nouvelles restrictions quantitatives, établit un démantèlement différencié par secteur, la libre circulation des capitaux et une élimination progressive de toute barrière douanière calée sur les progrès de l’harmonisation des dispositions du TEC dans les Etats membres (49). Au 1er janvier 2000, les produits industriels ont rejoint les produits agricoles, de l’élevage et de l’artisanat sur la liste des produits originaires de la zone circulant « sans restriction ni discrimination aucune ». La mise en œuvre du TEC n’est cependant pas dépourvue de nombreux problèmes découlant des disparités entre pays et de la similitude de beaucoup de leurs produits manufacturés (alimentation, pagnes, cosmétiques, etc.). La fiscalité des pays s’appuie fortement sur les droits de porte, et les recettes risquent donc de diminuer. Pour les pays de réexportation, comme le Bénin, le TEC peut au contraire représenter une élévation tarifaire sur certains produits extérieurs à l’UEMOA (par exemple les pagnes hollandais). L’abaissement des barrières douanières constitue un risque pour les industries peu compétitives, car celui-ci facilite les importations concurrentes des produits locaux. Comme pour la dévaluation du Franc CFA, la Côte d’Ivoire, « poids lourd » de la zone car pourvue d’un tissu industriel, est le pays qui y trouvera le gain le plus significatif, tandis que d’autres pays sont exposés à un manque à gagner budgétaire important. Le dispositif communautaire d’accompagnement (par exemple la mise en place d’un système communautaire d’évaluation en douane, le renforcement des administrations douanières, la lutte contre la fraude) est plus difficile à mettre en place, en raison de la faiblesse des administrations, notamment douanières, et des tensions politiques locales (50). 149 Intégration régionale comparée 3. 2. Intégration monétaire et surveillance multilatérale La construction du système monétaire européen et la création de la Zone Franc doivent être analysés dans un contexte historique déterminé. Elles ont entre autres constitué des réactions aux tendances à la dérégulation du système monétaire international (51), dont la fin du système de Bretton Woods a été une étape marquante. La démarche européenne d’intégration a abouti à la création d’une monnaie unique, au prix de transferts de leur souveraineté monétaire par les Etats membres à la Banque Centrale Européenne (11 d’entre eux actuellement). Quant à la Zone Franc, malgré les constats récurrents de ses dysfonctionnements et des coûts de l’union monétaire sur les économies des pays - notamment la perte de l’instrument du taux de change en cas de choc externe -, la volonté des protagonistes fut celle de sa préservation, mais accompagnée de sa réforme. L’existence de la Zone Franc et du lien avec le Franc français, et aujourd’hui l’ancrage à l’Euro, fournit une crédibilité accrue aux économies de la zone et garantit une relative stabilité monétaire, qui contribue à la stabilité politique des Etats (52). En contraste avec l’UE, l’intégration monétaire était une donnée dès les débuts de l’UEMOA avec le dispositif de la Zone Franc, de la BCEAO et du rattachement des Francs CFA, en Afrique de l’Ouest et en Afrique Centrale, au Franc français, via le compte d’opérations. Elle est en voie d’achèvement dans la zone Euro 11 (Euroland) de l’UE. Une différence importante entre les deux unions monétaires est que la crédibilité de la monnaie européenne est assurée par une institution endogène et émanant des pays membres, la Banque Centrale Européenne, alors que la crédibilité de la monnaie de la zone UEMOA est assurée par une institution externe, en l’occurrence la BCE, et donc par des politiques monétaires 150 L’intégration régionale dans l’UEOMA : les limites du modèle Européen exogènes. De plus, si les objectifs des deux banques centrales respectives sont identiques, les relations entre pouvoir monétaire et pouvoir politique diffèrent, la BCEAO ayant un présence plus active dans l’harmonisation des politiques économiques (53). Le rôle de la monnaie unique européenne, l’Euro, peut être analysé sous deux angles. Un premier angle concerne l’impact de l’Euro sur la Zone Franc après que celui-ci ait remplacé le Franc français. Les effets économiques sont généralement considérés comme mitigés, puisque le dispositif de gestion de la zone par le Trésor français n’est pas modifié. L’ancrage à l’Euro peut cependant conférer une crédibilité accrue à la coopération monétaire (54). Les effets de l’Euro dépendent de l’évolution internationale de l’Euro lui même, de ses éventuelles sur ou sous-évaluations par rapport aux autres grandes monnaies, dollar et yen, et de leur impact sur le commerce extérieur des pays de la zone (55). Une seconde perspective concerne la validité du modèle de zone monétaire optimale (56) pour l’UEMOA. On a pu arguer que les blocs commerciaux et les zones monétaires ne pouvaient être optimales en Afrique sub-saharienne, en raison de la faiblesse des échanges intra-régionaux, de la taille réduite et de la dépendance des économies vis-à-vis du commerce extérieur, ou du volume limité des flux de capitaux intra-zone. L’ancrage monétaire diminue la flexibilité face aux chocs externes, et l’impossibilité d’utiliser l’instrument du taux de change contraint à des politiques récessives. Cependant, les nombreuses études des performances comparées des pays de la Zone Franc et des pays africains hors Zone n’ont pas fait apparaître de différences concluantes en termes de croissance. Les taux de croissance sont très variables selon les périodes retenues, les performances étant meilleures en termes d’inflation (57). 151 Intégration régionale comparée D’autres analyses estiment également que la crédibilité et la réputation sont les éléments décisifs d’une politique monétaire, et que la perte de l’instrument de politique monétaire via les règles de la zone Franc, l’allouant à une banque centrale supranationale, est un avantage pour l’UEMOA en termes de crédibilité (58). Il est manifeste que les économies africaines sont très différentes de celles des pays de l’UE, mais elles ont beaucoup à gagner à se « lier les mains » volontairement et à déléguer leur politique monétaire à une partie tierce, qui peut fonctionner comme « agence de contrainte » externe palliant le déficit de réputation des gouvernements, et favoriser la stabilité des indicateurs financiers (59). Le caractère optimal d’une union monétaire dépend des coûts et gains respectifs découlant de la contrainte d’une politique monétaire unique pour plusieurs pays, et non pas spécifique à un pays, en cas de choc économique. Il dépend de l’arbitrage entre les gains conférés par une faible inflation vs les coûts induits par le renoncement à l’indépendance monétaire. Le fait que la Zone Franc soit une zone monétaire optimale ou non dépend surtout de la façon dont les autorités monétaires conduisent leurs politiques (60). Elle a pu néanmoins être considérée comme une « zone monétaire praticable » (61). L’UE a exporté ses procédures d’intégration économique et monétaire, et notamment celles relatives à la surveillance multilatérale et à la convergence des économies et celle des politiques économiques, qui constituent un autre grand chantier de l’intégration économique de l’UEMOA. En Europe, les critères de convergence ont constitué les indicateurs de la capacité d’un pays à entrer dans l’UEM : stabilité des prix, équilibre durable des finances publiques, stabilité des taux de change, caractère durable de la convergence et de la participation au système monétaire européen.(62) Si dans l’UE, les critères de convergence reposent surtout sur des indicateurs de comptabilité nationale 152 L’intégration régionale dans l’UEOMA : les limites du modèle Européen (endettement, inflation et déficits publics), dans l’UEMOA, ils sont surtout d’ordre budgétaire (ratios d’emplois budgétaires rapportés aux recettes fiscales) (63). Pour l’UEMOA, la surveillance multilatérale et la convergence s’évaluent autour d’une série d’indicateurs (64), qui ont été renforcés à la suite de l’accélération de l’intégration économique et de l’arrimage à l’Euro. Le choix de critères stricts s’explique par le fait que la stabilité monétaire offerte par le Franc CFA ne peut susciter la confiance que si elle est accompagnée d’une stabilité financière et d’une gestion saine des finances publiques (65). Précisément, l’efficacité de cette surveillance multilatérale se heurte aux structures politiques et institutionnelles des pays de la zone. Une limite de la comparaison avec les pays européens tient à ce que celles-ci sont notoirement faibles en matière de discipline fiscale (66), de « gouvernance » et de gestion administrative, outre une politisation récurrente du recrutement et du fonctionnement organisationnel. Elle tient aussi à la faiblesse des appareils statistiques de l’UEMOA, pourtant nécessaires par définition à la surveillance. Leur renforcement et leur harmonisation sont une préoccupation explicite de l’UEMOA (67). Les règles relatives à la BCEAO, notamment la règle prudentielle des finances publiques concernant les avances aux Etats, ont parfois été contournées, par le biais du financement intérieur non bancaire, du financement extérieur et l’accumulation d’arriérés intérieurs. Ces contournements ont été influencés par le contexte d’économie politique de la Zone Franc, en particulier le peu de sanctions décidées par le Trésor français (68). Ces déficits de crédibilité affectent aussi les institutions supraétatiques, qui peinent à jouer leur rôle d’« agences de contrainte », de bien public supranational et de fournisseur de crédibilité des politiques des pays, rôle classiquement assigné par la théorie économique aux banques centrales (69). 153 Intégration régionale comparée Le remplacement de la France par l’UE pour assurer le rôle de garant extérieur de la monnaie n’est pas sans difficulté. Le niveau de décision impliqué est en effet plus complexe et l’UE reste traversée de tensions dans ses choix de politiques et ses orientations vis-à-vis des pays en développement. 3. 3. Les contraintes intrinsèques à l’UEMOA L’un des principaux problèmes tient à ce que l’intégration monétaire de l’UEMOA ne correspond pas à une intégration des économies formelles, même si l’UEMOA est l’espace régional le plus intégré du continent africain en comparaison avec d’autres ensembles régionaux. La convergence limitée des politiques, la dépendance vis-à-vis du commerce avec les pays développés hors zone, la faiblesse du commerce intrarégional, concourent à ne pas la considérer comme une zone monétaire optimale (70). Les échanges entre pays ont été souvent impulsés par les différentiels existant entre leurs politiques respectives, notamment fiscales, plus que par une meilleure compétitivité. Ces différentiels risquent de disparaître avec un marché commun. En particulier les échanges des pays de l’UEMOA frontaliers avec le pays hors UEMOA qu’est le Nigeria sont surtout déterminés par les différentiels de taux de change entre Franc CFA et naira. C’est aussi le cas, à un moindre degré, des pays frontaliers du Ghana, le cedi, comme le naira, ayant connu une spectaculaire dépréciation depuis la mise en œuvre de leurs programmes d’ajustement au milieu des années 80 (71). Le niveau de commerce intrarégional reste réduit dans la perspective de la création d’un marché commun. Les essais de quantification sont risqués eu égard à la faiblesse des appareils statistiques nationaux et à l’importance des échanges informels. Le volume des échanges intrarégionaux a pu être estimé à 15 % des exportations totales (réparti à part équivalente entre commerce formel 154 L’intégration régionale dans l’UEOMA : les limites du modèle Européen et informel) (72). D’autres sources ont estimé à 10,5% de ses exportations totales le commerce intra-CEAO (Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest) en 1992, stable depuis 1980 (73). En valeur, ses montants sont dérisoires : en 1998, les échanges enregistrés intra-UEMOA étaient de 719 millions de dollars (74). Ce commerce intra-zone est en outre très différent selon les pays - en 1994, plus de 30% des importations du Burkina Faso provenaient de la Zone Franc, en contraste avec 1,7% dans le cas de la Côte d’Ivoire, qui y exportait 18% de son commerce total (75). On a pu arguer que par ailleurs, eu égard à la taille des économies, à la dotation en facteurs, à la géographie, entre autres causes, le potentiel pour le commerce intra-régional est limité, et de très peu supérieur au niveau actuel (76). Pour l’ancienne CEAO, sur la période 1980-84, le commerce intra-bloc officiel représentait 1,65% de ses exportations totales, et est resté stationnaire à la période suivante : 1,25% sur la période 1985-90 (77). La zone effectue ses échanges avant tout en dehors d’elle-même. Elle reste marquée par l’histoire coloniale. Les échanges des pays continuent à s’effectuer en « cylindre » vers l’Europe, et n’ont que peu varié sur un siècle, « d’un Berlin à l’autre » (78). L’UE est le premier partenaire commercial de l’UEMOA : elle fournit 47 % des importations et reçoit 46% des exportations des pays de la zone. Le pays anciennement colonisateur, la France, est le premier partenaire de la plupart des pays (79). En Côte d’Ivoire par exemple, la France était en 1998 le premier investisseur, le premier client (17% des exportations) et le principal fournisseur (28,5% des importations) (80). En outre, le marché représenté par l’UEMOA demeure étroit (67 millions de consommateurs, à comparer avec 370 millions d’européens (81)), mais les consommateurs sont surtout caractérisés par leurs bas revenus. La zone comporte certains pays classés parmi les plus pauvres du monde. L’UEMOA 155 Intégration régionale comparée est confrontée à la difficulté d’atteindre une masse critique. Avec ses 200 millions de consommateurs et des ressources significatives, notamment énergétiques, la CEDEAO offre, selon certains observateurs, un cadre d’intégration régionale plus cohérent (82). Néanmoins, le commerce officiel intra-CEDEAO était estimé sur la période 1981-89 à 5,5% du commerce total des quatre pays les plus importants (83). Les exportations officielles intraCEDEAO atteignaient en 1990 le niveau infime de 6% du total, en raison notamment du poids des exportations de pétrole nigérian vers le reste du monde (84). De plus, les pays de l’UEMOA manifestent des niveaux très différents de développement, certains pays étant pétroliers, d’autres non. La structure des économies exhibe peu de complémentarités, bien que les Etats côtiers soient liés aux Etats sahéliens enclavés par des échanges denses, formels et informels (main d’œuvre, bétail, produits agricoles) (85). Celles-ci sont restées enfermées dans le modèle colonial de la production de produits primaires, malgré les efforts de diversification, et demeurent donc affectées par les problèmes de gestion budgétaire découlant de la dépendance et de l’instabilité des prix des marchés internationaux. Les pays divergent au niveau de leurs finances publiques, de leur commerce extérieur, structurellement déficitaire pour certains pays, excédentaire pour d’autres qui se retrouvent à les financer au sein de l’UEMOA, de leurs niveaux de prix et de leur endettement (86). Un pays comme la Côte d’Ivoire, avec un PIB de 10 mds de dollars en 1998, représente la plus grande part de la richesse de la zone, les PIB des autres pays totalisant 16 mds. Elle se singularise par un niveau de revenu supérieur (700 dollars de PNB par tête en 1998, vs 190 au Niger, 240 au Burkina Faso, 250 au Mali), ainsi que par un tissu industriel plus développé – 23% du PIB en 1998, à 156 L’intégration régionale dans l’UEOMA : les limites du modèle Européen comparer avec 14% au Bénin ou 17% au Mali et au Niger (87). Ceci accroît l’intérêt pour elle d’une intégration économique : le gain en est l’augmentation de ses exportations vers les marchés des pays de la zone où ses produits circuleraient librement. Cependant, cette supériorité peut ne pas l’inciter à supporter les charges éventuellement entraînées par les niveaux de pauvreté de ces pays, par exemple leur main d’œuvre moins coûteuse et les flux migratoires qui peuvent s’ensuivre. Ce niveau de développement plus élevé peut aussi se traduire par un désir de leadership politique – qui fut exprimé dès les indépendances, notamment vis-à-vis du Ghana (88). Cette tentation peut entraîner des tensions avec les autres pays, ce qui est déjà le cas en particulier avec ceux qui sont fournisseurs de main d’œuvre à son égard (Mali et Burkina Faso notamment). Les politiques économiques et monétaires des pays voisins, et notamment du Nigeria, rendent difficiles les ajustements qui seraient confinés aux niveaux nationaux. En particulier, les économies des pays limitrophes du Nigeria, Bénin et Niger, sont très fortement déterminées par les politiques de taux de change et celles de réexportation du Nigeria (89). Les critères de bonne politique macroéconomique, et les politiques tarifaires valables pour les autres pays de l’UEMOA leur sont plus difficilement applicables, ce qui constitue, comme l’on a vu, une source permanente de tensions pour la mise en œuvre du Tarif Extérieur Commun. 4. Le prosélytisme de l’UE et l’intégration régionale dans les pays en développement : les ACP et l’UEMOA Au delà des aspects transférables et transférés du modèle européen, ainsi que des contraintes économiques locales face à un tel modèle, on peut s’interroger sur la dimension de « prosélytisme » de l’Union européenne en 157 Intégration régionale comparée matière d’intégration régionale. 4. 1. La politique européenne d’appui à l’intégration régionale L’Union européenne appuie en effet les processus d’intégration régionale en cours dans le monde, en référence à sa propre histoire (90). Forte de son expérience, l’UE considère l’intégration régionale comme une chance pour les pays en voie de développement dans le contexte de la globalisation, dans la mesure où, en matière de coopération commerciale, l’objectif premier de la politique de développement reste l’extension de la libéralisation des échanges pour stimuler la croissance, en renforçant la régulation du commerce, afin de mieux maîtriser la mondialisation et les problèmes particuliers des pays en développement (91). Assez paradoxalement, le régionalisme est présenté à la fois comme un palliatif et comme une étape de la mondialisation. La Commission fait de l’intégration régionale une des priorités stratégiques de la politique communautaire d’aide et de coopération au développement (92). La Convention de Cotonou, adoptée en juin 2000, fixe le cadre rénové des relations entre l’Union européenne et les pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique). Elle donne une place prééminente à la problématique de l’intégration régionale, à la fois dans le volet de l’aide au développement et dans celui de la coopération commerciale. Concernant l’aide, l’action européenne cherche à renforcer les capacités institutionnelles et économiques des Etats ACP dans leurs efforts d’intégration régionale (93). C’est en matière de coopération économique et commerciale que les innovations dans le partenariat UE-ACP sont les plus nombreuses. Si l’intégration « progressive et harmonieuse » dans l’économie mondiale (94) des pays ACP est l’objectif principal de cette coopération économique et 158 L’intégration régionale dans l’UEOMA : les limites du modèle Européen commerciale, la méthode retenue est celle de la conclusion d’Accords de Partenariat Economiques Régionaux (APER). La nécessité de la mise en conformité des relations commerciales UE-ACP avec les règles de l’OMC (95) a motivé la création de ces APER, dont l’objectif est la mise en place de zones de libre-échange entre l’UE et les sous-régions ACP à l’horizon 2020. En effet, les deux principes fondamentaux – le régime préférentiel et la non réciprocité - qui régissaient le volet commercial de la Convention de Lomé ont été remis en cause par l’OMC. Jusqu’alors, les préférences non réciproques accordées par l’UE aux pays ACP étaient tolérées par dérogation du GATT (96). L’OMC ne reconnaissant les préférences que dans la mesure où elles s’appliquent à tous (Système de Préférences Généralisé et Clause de la Nation la plus Favorisée), au moment de la renégociation de la convention de Lomé, l’Union européenne a dû mettre en conformité le régime commercial de Lomé avec les règles de l’OMC. Il existe deux moyens de remédier à la nonconformité. Le premier moyen est d’accorder à tous les pays en développement (97) les mêmes préférences commerciales qu’aux ACP (alignement des ACP sur un SPG amélioré), c’est-à-dire supprimer les préférences. Le second moyen est de créer, au titre de l’article XXIV du GATT, des zones de libre-échange (ZLE) entre l’UE et les ACP, ce qui supprime la non réciprocité, à la condition que ces zones soient créatrices d’échanges et non une manière de monter de nouvelles barrières protectionnistes (98). 4. 2. L’application à l’UEMOA L’UEMOA, considérée comme une sous-région relativement avancée au niveau du processus d’intégration régionale, a été retenue dans les études d’impact réalisées à la demande de la Commission européenne (99). Le modèle 159 Intégration régionale comparée proposé par l’Europe et négocié avec les ACP semble surestimer la capacité des zones d’intégration régionale africaines. Parmi les possibles scénarios de transformation de la Convention de Lomé, le modèle négocié à Cotonou restera confronté aux problèmes structurels : politiques protectionnistes des pays développés, marginalisation des pays africains dans le commerce international, faible crédibilité de leurs politiques économiques, et perception du risque élevé de la zone (100). De plus, toutes les régions ne sont pas institutionnellement constituées, ainsi la zone Pacifique qui n’existe que sur un plan géographique. Certains pays n’appartiennent pas à une zone régionale intégrée, ainsi le Nigeria ou le Ghana. On a pu montrer qu’en dépit d’effets positifs découlant de la réciprocité, les APER risquent d’induire des phénomènes de marginalisation et de redistribution entre pays en raison des asymétries qui les caractérisent (« régionalisme asymétrique ») (101). Certaines organisations régionales sont imbriquées les unes dans les autres et certains pays appartiennent à plusieurs organisations : les Etats de l’UEMOA appartiennent à la CEDEAO, certains appartiennent au Conseil de l’Entente, d’autres à la Mano River Union. L’Afrique est en effet caractérisée par une multiplicité d’organisations régionales qui se superposent, et qui sont restées souvent purement formelles et inefficaces (102). Egalement, toutes les zones d’intégration ont en leur sein des Etats PMA et des Etats non PMA qui ne sont pas soumis au même régime commercial (103). Ces éléments soulignent les risques d’un régionalisme parfois artificiel et imposé par le haut. 5. Les dimensions de l’économie politique Les processus d’intégration régionale dépassent les objectifs purement économiques. D’une part, l’unification économique sert également à renforcer la stabilité politique des Etats. D’autre part, l’intégration économique 160 L’intégration régionale dans l’UEOMA : les limites du modèle Européen fonctionne difficilement sans intégration politique - ou volonté de cohérence politique - comme le rappelle la comparaison de l’intégration dans les unions monétaires et dans les régions au sein des Etats (104). 5. 1. La persistance des intérêts nationaux Dans l’UE comme dans l’UEMOA, les gouvernements sont d’abord mus par des considérations électorales, de politique intérieure et de maintien au pouvoir. Ils sont réticents face aux transferts de leur souveraineté, et pratiquent le free riding si tel est leur intérêt politique. Le choix d’une gouvernance régionale implique des attitudes politiques inédites et la mise en commun d’intérêts nationaux. Le principe de l’intégration régionale repose sur le fait que l’on anticipe des avantages, en termes économiques, sociaux, de stabilité et de sécurité, à être ensemble plutôt que seul, de même qu’à la solidarité régionale. Ainsi, si des Etats membres contribuent plus que d’autres, en fonction de leurs moyens, au budget communautaire, c’est qu’ils en retirent aussi des bénéfices (105). Dans le contexte africain, l’intégration régionale peut avoir pour conséquence une certaine relégitimation des Etats postcoloniaux (106). Néanmoins, l’histoire a montré que les intérêts nationaux entrent aisément en conflit avec les intérêts dits communautaires et que la défense des uns peut influencer l’orientation des politiques des autres. La Politique Agricole Commune de la Communauté européenne fut imposée par le Général de Gaulle dans le but de moderniser et de préserver l’agriculture française (107). De leur côté, les Britanniques ont souvent jugé leur contribution au budget communautaire trop élevée. L’intégration européenne s’est faite selon la méthode des « petits pas », par élargissement progressif des champs de compétence de la Communauté, 161 Intégration régionale comparée jusqu’à l’aboutissement du Grand Marché et la mise en place de l’Euro. Au niveau politique, c’est la méthode de la coopération interétatique qui prévaut toujours. L’Europe a été caractérisée par une intégration économique évoluant en tandem avec des institutions de plus en plus fortes (108). La transposition de ce processus est problématique pour l’UEMOA. Au delà des contraintes économiques qui hypothèquent l’intégration de l’UEMOA, apparaissent des limites politiques telles que l’insuffisante capacité institutionnelle des Etats en Afrique sub-saharienne, ainsi que leur caractère souvent néo-patrimonial et les logiques redistributives qui lui sont liées (109). Les pouvoirs personnels s’accompagnent de processus d’institutionnalisation inachevés, auxquels s’ajoute une corruption endémique. Le pouvoir politique est souvent perçu comme la voie d’accès aux ressources fournies par l’Etat. Les tensions ethniques ou religieuses sont la traduction de cet accès différentiel de certains groupes à ces ressources publiques, et se sont intensifiées durant la crise des années 80. Les institutions et les politiques économiques sont peu crédibles, et toujours susceptibles de renversements de politiques (110). Sur le plan politique, elles sont marquées par des déficits de légitimité. Les programmes d’ajustement structurel nationaux menés à partir des années 80, perçus comme des injonctions de donateurs extérieurs, et appuyés sur les recommandations d’un Etat minimal, ont pu contribuer à accentuer ces déficits de légitimité et de crédibilité. Une série de contraintes politiques pèsent sur le fonctionnement de l’UEMOA. Les relations entre les pays sont marquées par le déséquilibre entre leurs poids politiques, en particulier de la Côte d’Ivoire par rapport aux autres pays, et par des allégeances politiques internationales divergentes (111). Nombre de projets régionaux, par exemple barrages, cimenteries, transport 162 L’intégration régionale dans l’UEOMA : les limites du modèle Européen aérien, ont été fragilisés par des antagonismes politiques toujours prééminents par rapport aux objectifs de développement. Devant des arrangements censés constituer des biens publics supra-étatiques, des externalités positives, les considérations de politique intérieure et de maintien au pouvoir demeurent prééminentes. Les Etats ont tendu à pratiquer le free riding, par exemple en offrant aux opérateurs des avantages fiscaux ou de meilleures facilités portuaires que leurs voisins, des zones franches, etc. (112) Ces poids inégaux existent dans l’UE, mais les pays africains, plus pauvres et aux institutions moins consolidées, sont plus vulnérables aux tendances centrifuges – c’est déjà le cas à l’intérieur de leurs frontières. La présence de la CEDEAO, politique et économique, via l’attraction exercée par les pays hors zone franc voisins (Nigeria, Ghana) fonctionne comme un bloc régional rival, renforcé par l’anglophonie. Les blocages relatifs au TEC découlent en partie de ce que les pays jouent leurs avantages nationaux en matière d’industrie et de flux de main d’œuvre, donnant lieu à des idéologies nationalistes et identitaires (113). Certains Etats de l’Union imposent des cartes de résident, parfois coûteuses, permettant de contrôler la circulation sur le territoire. Pour la Côte d’Ivoire, les enjeux sont ici politiques, en raison de la présence historique d’un tiers d’étrangers sur son sol. La libre circulation des hommes n’a jamais été favorisée dans l’UEMOA, de même d’ailleurs que dans la CEDEAO, alors qu’elle constitue l’un des principes du marché commun. Les traités instituent la liberté d’établissement, mais leur compréhension par les Etats diverge et leur application est parfois aléatoire. Y compris pour leurs nationaux, les pays obligent à des démarches administratives innombrables et parfois arbitraires qui freinent les activités privées. Les transferts de fonds et les opérations de compensation sont laborieux, et les systèmes bancaires ont été affectés de 163 Intégration régionale comparée crises graves qui ont rendu les banques excessivement prudentes. 5. 2. Les déficits en infrastructures institutionnelles et physiques Beaucoup d’Etats, bien que formellement démocratiques, ne constituent pas des Etats de droit, ne disposent pas de systèmes judiciaires effectifs, et n’ont pas été capables de construire des réputations et de s’auto-réguler à l’instar de ceux de l’UE (114). Ceci rend délicat l’efficacité dans les faits de dispositifs tels que l’OHADA. En outre, autre différence marquante avec l’UE, les Etats de l’UEMOA sont caractérisés par l’importance de leurs secteurs informels – terme certes vague car ses opérateurs sont souvent de fait enregistrés -, du moins échappant au contrôle et à la fiscalisation. Le phénomène est particulièrement net pour les pays frontaliers du Nigeria, Bénin et Niger, où le secteur informel représente plus de la moitié du PIB, et les échanges s’effectuent avec le Nigeria vis-à-vis duquel la dépendance est écrasante (115). Les Etats de l’UEMOA sont à la fois affaiblis par l’informalisation, qui en cercle vicieux érode leur crédibilité interne, et leur intégration s’effectue via les activités informelles, qui plus est en relation avec des pays extérieurs à elle. Une intégration régionale constituée d’Etats et d’administrations défaillants risque de demeurer fragile, ou bien de reconduire à un niveau supranational ces mêmes défaillances, tensions politiques et déficits de gouvernance. Le niveau décisionnel et bureaucratique communautaire de l’UEMOA reste handicapé par ces traits des Etats membres. Les politiques fiscales, monétaires, salariales et surtout commerciales, dimensions de ces déficits de gouvernance, semblent avoir été souvent inappropriées en Afrique sub-saharienne. En particulier, les barrières commerciales érigées par les Etats ont sérieusement entravé le processus d’intégration régionale – celles-ci sont 164 L’intégration régionale dans l’UEOMA : les limites du modèle Européen parmi les plus élevées au monde (116). De plus, les infrastructures physiques de la Zone Franc sont déficientes, parfois même dégradées depuis les indépendances, et assurent très peu de liaisons régionales. Les gouvernements se sont peu intéressés à la maintenance, ayant privilégié les investissements nouveaux et intensifs en capital mieux aptes à générer des rentes corruptives (117). Ils n’ont pas cherché à assurer la continuité inter-Etat, par exemple dans le cas des routes. Les colonisateurs ont construit des infrastructures surtout axées sur l’accès à des ressources naturelles selon un schéma liant le port à l’hinterland, ainsi les voies ferrées (118). L’UEMOA comporte des pays côtiers et des pays enclavés. Ces derniers sont caractérisés par des coûts de transport accrus qui diminuent le volume de leurs échanges. On a pu montrer qu’une diminution de moitié des coûts de transport dans un pays en développement enclavé pourrait multiplier par cinq le volume de son commerce (119). L’Afrique dispose d’un réseau routier comparable à celui de Taiwan après la seconde guerre mondiale (120). Les coûts de transport, en raison du mauvais état physique des infrastructures et des structures de coûts (fret, douanes, ports, etc.) sont parmi les plus élevés du monde (121). Il arrive qu’il faille passer par l’Europe pour se rendre dans un pays voisin. La situation des télécommunications est également déficiente – en 1998, l’Afrique sub-saharienne disposait de 14 lignes téléphoniques pour mille habitants, contre 514 dans l’UE (122). Les obstacles érigés par les administrations, douanes, police, à la circulation des biens et des personnes, largement analysés, induisent des surcoûts importants affectant les échanges et diminuant le niveau de vie des individus (123). Parmi les trois obstacles possibles aux échanges commerciaux intra-africains que sont les infrastructures, les politiques économiques et les tensions politiques, les 165 Intégration régionale comparée lacunes des infrastructures constituent le facteur majeur (124). En contraste, l’UE s’est construite dans un contexte d’Etats légitimes, construits sur plusieurs siècles, et comportant les infrastructures institutionnelles et physiques (routes, transports) correspondant à ses objectifs d’intégration. CONCLUSION On a voulu montrer que le Traité instituant l’UEMOA offre une forme achevée d’union économique et monétaire. Il reste ouvert, en particulier concernant les adhésions de nouveaux pays Etats membres au traité ou à certaines politiques de l’Union. Fait remarquable, il institue une solidarité importante entre tous les Etats membres. L’intégration régionale conçue pour l’UEMOA a reposé sur l’expérience européenne. Ce processus est inévitablement confronté aux limites à l’exportabilité et à l’exportation de son modèle d’intégration régionale. Parmi les conditions de son effectivité, figurent la consolidation, la maturité des Etats signataires. Les Etats européens sont construits institutionnellement, mais aussi sur le plan des infrastructures physiques, qui sont déterminantes dans un projet d’intégration. Ces limites sont de deux ordres. Les premières résident dans les conditions de production de ce modèle : situations économique, politique et historique propres à l’Europe. Les secondes ressortissent au terrain qui a accueilli ce modèle : faible niveau de développement économique dans l’UEMOA, préexistence de la Zone Franc, lien monétaire entre l’Euro et le Franc CFA, niveau d’institutionnalisation des Etats insuffisant, infrastructures déficientes. Le rythme de l’intégration régionale ainsi que les contraintes propres à la zone sont des paramètres essentiels dans le cas d’un transfert de modèle. Les contraintes sont à la fois intrinsèques à l’UEMOA (différences de niveaux de 166 L’intégration régionale dans l’UEOMA : les limites du modèle Européen développement entre Etats membres, coût élevé de l’intégration, problèmes d’infrastructures, taille critique du marché, défense des intérêts nationaux) et périphériques à l’UEMOA, dans la mesure où l’existence de la CEDEAO et la puissance du Nigeria complexifient la viabilité de l’UEMOA. La zone UEMOA est aussi confrontée à des difficultés économiques persistantes, malgré le rebond de croissance qui a suivi la dévaluation du Franc CFA, car elle reste dépendante de l’exportation de matières premières et des aléas des cours internationaux (la chute de ceux du cacao en 1999 a ainsi sérieusement affecté la Côte d’Ivoire, quelle que soit la qualité de ses politiques économiques). Enfin, pour l’UEMOA, l’intégration consiste surtout en une intégration économique (marché commun, harmonisation des normes et des politiques). L’article a tenté de montrer qu’une intégration qui demeure à un niveau économique et monétaire n’offre pas une situation optimale de développement, de croissance et de stabilité. Une intégration politique semble en être un meilleur garant, qui peut prendre des formes variables. Dans l’Union européenne, l’intégration politique est balbutiante et laborieuse. Dans l’UEMOA, la question n’est pas encore soulevée. Si l’intégration par l’économie a relativement fonctionné pour l’Europe, on peut s’interroger sur la capacité des économies de l’UEMOA à générer une synergie en l’absence d’une intégration politique s’effectuant en parallèle. Le biais du modèle européen est peut-être d’avoir défini l’intégration économique comme préalable à l’intégration politique. Notes (1) Moussa Touré, président de la Commission de l’UEMOA, entretien, 12 mars 1999, Ouagadougou. 167 Intégration régionale comparée (2) L’UEMOA regroupe le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo. (3) Petiteville (1997), qui définit quatre modèles types d’intégration régionale : le modèle d’opportunité stratégique, le modèle de l’intégration réactive, le modèle du suivisme et le modèle de l’intégration endogène. (4) Déclaration de Robert Schumann, 9 mai 1950. (5) Isaac (1994, p. 15-17) ; Quermonne (1998, p. 14-20) ; Borchardt (1995). (6) Quermonne (1998, p. 75). (7) Commission européenne (1991, p. 24-37). (8) Quermonne (1998, p. 72). Voir également Guilhaudis (1998, p. 91). (9) Quermonne (1998, p. 11). (10) Isaac (1994, p. 27-28) ; Quermonne (1998, p. 28-30) ; Borchardt (1995, p. 14). (11) Les dispositions du Traité d’Amsterdam ne sont pas abordées, dans la mesure où celui-ci n’a rien modifié dans le domaine de l’Union économique et monétaire. Voir Commission européenne (1997), Questions-réponses sur le traité d’Amsterdam, p. 5. (12) L’UEMOA dispose d’une banque de développement, la Banque Ouest-Africaine de Développement (BOAD). (13) Fouda et Stasavage (2000). (14) Sur la Zone Franc, voir parmi une abondante littérature Gérardin (1989) ; Haudeville (1993) ; Godeau (1995) ; Sandretto (1994) ; Semedo et Villieu (1997). (15) Coussy (1993, p. 177). (16) Voir par exemple Ghymers (1994). (17) Petiteville (1997). (18) Lelart (1997, p. 898). (19) Lelart (1998) ; Lelart (2000). (20) Devarajan et Hinkle (1994, p. 139). (21) Et à un moindre degré, du Cameroun. (22) World Bank, World Development Indicators 2000, p. 328. (23) Jacques Alibert : citation in Sandretto (1994). (24) Commission européenne (1991, p. 25). (25) Voir http://www.izf.net, L’organisation institutionnelle de l’UEMOA ; Lelart (1998, p. 206). Sur les institutions européennes, voir par exemple Doutriaux et Lequesne (1995). (26) Blardone (1994, p. 226) ; Lelart (1998, p. 204-205), Lelart (1993, p. 890-893). (27) Traité de l’UEMOA, art. 4 ; Commission Européenne (1997, p. 8). (28) « Double-edged diplomacy », selon l’expression d’Evans et al. (1993). (29) Guillaumont et Guillaumont (1989) ; Dearden (1999) ; Fouda et Stasavage (2000). (30) Gnassou (1999, p.11). (31) A travers la décision 98/683/CE, décision du Conseil de l’UE du 23 novembre 1998 concernant les questions de change relatives au Franc CFA et au Franc Comorien (98/683/CE). Voir aussi Fouda et Stasavage (2000, p. 223). (32) T. Padoa Schioppa, membre du directoire de la BCE, Les effets de l’Euro sur les pays ACP et en particulier la Zone Franc, Audition publique, Parlement Européen, 27 octobre 1998. 168 L’intégration régionale dans l’UEOMA : les limites du modèle Européen (33) Sindzingre (2000) sur la CEDEAO. (34) Afrique de l’Ouest : le rêve sonnant et trébuchant de la CEDEAO, Jeune Afrique Economie, 22mai-4 juin 2000. Voir aussi Ghymers (1994, p.103) qui souligne que le traité de l’UEMOA annonce son soutien aux buts de la CEDEAO. (35) Monga (1997). (36) Lelart (1997, p. 902). (37) Voir par exemple Polacek (1999), qui considère que l’élargissement est un impératif politique pour l’Europe. Voir aussi Derisbourg (2000). (38) Par exemple, selon Chris Patten, Commissaire chargé de l’aide extérieure, il faut actuellement 8 ans à l’UE pour honorer ses engagements vis-à-vis des pays méditerranéens (cité in Le Monde, 12 septembre 2000). Voir les études critiques d’ECDPM sur les politiques de développement de l’UE, par exemple Bossuyt et al. (2000). (39) Serre (1999). (40) Serre (1999). Voir l’instauration des coopérations renforcées dans le cadre du Traité d’Amsterdam en 1997. (41) Lelart (1997, p. 902). (42) Gnassou (1997, p. 155) (43) Lelart (1997, p. 900-902). (44) Voir parmi d’autres, la revue de Winters (1999, spec. p. 42), ou de Baldwin (1997). (45) François et Subramanian (1998). (46) Un bilan des expériences d’intégration régionale économique est dans World Bank (2000) et African Development Bank (2000). (47) Lyakurwa et al. (1997). (48) Lelart (1997, p. 902). (49) Ghymers (1994, p. 115). (50) Huit pays d’Afrique de l’Ouest instaurent un tarif extérieur commun, Le Monde, supplément économique, 8 février 2000. Voir aussi Pouillieute (2000) sur le TEC. (51) Sandretto (1994, p. 69). (52) Voir par exemple l’argumentation pro-Euro de Cobham et Robson (1994). (53) Lelart (1997, p. 909). (54) Honohan et Lane (2000). (55) Cohen et al. (1999) ; Hadjimichael et Galy (1997) ; Claeys et Sindzingre (2000) ; Lelart (2000) ; Lo (2000). (56) Au sens de Robert Mundell (1961), optimal currency area. (57) Voir par exemple Clément et al. (1996, p. 2). (58) Elbadawi (1997, p. 237). (59) Agencies of restraint, au sens de Paul Collier ; voir par exemple Collier (1999) ; Honohan et Lane (2000) ; Collier et Gunning (1999) sur l’efficacité d’agences de contrainte telles que le GATT et les accords d’intégration régionale en Afrique subsaharienne. (60) Fielding et Shields (2000). (61) Corden, cité in Semedo (1997, p. 135). (62) Weindenfels et Wessels (1997, p. 226). 169 Intégration régionale comparée (63) Hecquet (1999). (64) Les critères sont dits de premier ou de second rang: solde primaire de base supérieur à 15% des recettes fiscales, inflation annuelle moyen plafonné à 3%, masse salariale n’excédant pas 40% des recettes fiscales, l’absence de nouveaux arriérés de paiement et la réduction progressive du stock existant, un financement des investissements publics sur ressources internes à hauteur de 20% au moins des recettes fiscales. Voir Hecquet (1999, p. 85). (65) Zone Franc : de la surveillance multilatérale à la convergence, Marchés Tropicaux et Méditerranéens, 14 janvier 2000. (66) Gnassou (1997) (67) Hecquet (1999). (68) Stasavage (1997) ; Gnassou (1997). (69) Fouda et Stasavage (2000). (70) Ojo (1996). (71) Ces échanges sont analysés en détail dans Sindzingre (1998b). (72) L’UEMOA et la CEMAC : intentions et réalités, Marchés Tropicaux et Méditerranéens, 12 mai 2000. (73) Aryeetey (1998, p. 409), s’appuyant sur des données de la CNUCED. (74) World Bank, World Development Indicators 2000, p. 326. (75) Clément et al. (1996, p. 40). (76) Foroutan et Pritchett (1993). (77) Elbadawi et Mwega (1998, p. 373). (78) Selon la pertinente expression de Colin et al. (1993). (79) Source : Commission européenne (1999), Etude d’impact de la région UEMOA, réalisée par le CERDI. (80) Macé (2000, p. 154). Voir pour des données récentes sur la Zone franc le site web www.izf.net. (81) L’UEMOA et la CEMAC : intentions et réalités, 12 mai 2000, Marchés Tropicaux et Méditerranéens ; Commission européenne (1996). (82) La CEDEAO a été le cadre d’initiatives transétatiques diverses dont certaines ont connu un relatif succès (Aryeetey 2001). (83) Ariyo (1992, p. 162) ; Sindzingre (2000). (84) Jebuni et al. (1999, p. 39). (85) Voir les travaux sur l’intégration régionale de l’OCDE-Club du Sahel. (86) M’bet (1999, p. 79). (87) World Bank, African Development Indicators 2000, pp. 35 ; World Development Indicators 2000, pp. 11 et 188. (88) Sindzingre (1996). (89) Sindzingre (2000). (90) Pouillieute (2000). (91) Commission européenne (2000), Communication de la Commission au Conseil, au Parlement Européen, au Comité économique et social et au Comité des régions sur le programme de travail de la Commission pour 2000, COM(2000) 155 final, Bruxelles. 170 L’intégration régionale dans l’UEOMA : les limites du modèle Européen (92) Document de politique générale des services de relations extérieures de la Commission, consultation interservices, présenté au Conseil de Développement de mai 2000 : Commission Européenne (2000), Communication sur la Politique de Développement de la Communauté Européenne, COM(2000) 212 final, Bruxelles. (93) Voir l’Accord de Partenariat entre les Etats d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique et la Communauté Européenne et ses Etats Membres, Cotonou, 23 juin 2000. Section 3 : coopération et intégration régionale, articles 28, 29 et 30. (94) Ibid. Titre II, ch. 1, article 34. (95) Organisation Mondiale du Commerce. (96) General Agreement on Tariffs and Trade. (97) A l’exception des PMA qui continuent à bénéficier d’un régime préférentiel dérogatoire. (98) WTO (1995, p. 522-525). (99) Commission Européenne (1999), Synthèse des études d’impact de la proposition de l’Union européenne de négocier des APER avec les sous-régions ACP, Document de travail des services de la Commission pour le groupe de négociation 3 « Coopération économique et commerciale », CE/TFN/GCEC3/36-FR, Négociation UE-ACP, Bruxelles, 14 juin 1999, étude sur l’UEMOA réalisée par le CERDI. (100) Collier et al. (1997). (101) Cadot, de Melo et Olarreaga (1999). (102) Voir le schéma in Söderbaum (1996) ; et l’évaluation de la faible efficacité de ces organisations régionales en termes d’intégration par Foroutan (1993). Voir également L’intégration économique de l’Afrique, passage obligé vers la mondialisation ? Marchés Tropicaux et Méditerrannéens, 15 septembre 2000. (103) Voir ECDPM, Lomé Negociating Brief n° 5, février 1999, « The EC’s Impact Studies on Regional Economic Partnership Agreements ». (104) Rose et Engel (2000). (105) Même si, au niveau de l’UEMOA, « aucun membre ne peut invoquer une équivalence entre sa contribution financière et les avantages qu’il tire de l’Union », art. 49 du Traité de l’UEMOA. (106) Ghymers (1994). (107) Voir par exemple Moravscik (1999 et 2000). (108) Kahler (1995, p. 82). (109) Voir par exemple Médard (1991). (110) Sindzingre (1998a). (111) Comme le montre la régionalisation des conflits libériens et sierra léonais. (112) Claeys et Sindzingre (2000). (113) Ainsi « l’ivoirité » en Côte d’Ivoire. (114) Collier et al. (1997, p. 302). (115) Par exemple, au Niger, le secteur informel représenterait 70% du PIB et 50% des échanges se feraient avec le Nigeria, Nord-Sud Export, 8 septembre 2000. (116) Ng et Yeats (1998). (117) Tanzi et Davoodi (1997). 171 Intégration régionale comparée (118) Datant souvent de la période coloniale, les réseaux ferroviaires ont en outre des caractéristiques techniques souvent incompatibles, rendant impossibles les liaisons inter-Etats (Oshikoya et Hussain 2001). (119) Limão et Venables (1999). (120) Brautigam (1995). (121) Amjadi et Yeats (1995). (122) World Bank, World Development Indicators 2000, p. 298. (123) Malaizé et Sindzingre (1998) sur ces obstacles administratifs et infrastructurels. Les coûts en sont élevés, bien qu’ils soient difficiles à chiffrer : voir par exemple IRISUSAID (1996) ayant calculé l’existence de 25 barrages sur 753 km au Bénin, ajoutant quelques 87% aux coûts de transport. (124) Longo et Sekkat (2001). Bibliographie African Development Bank (2000), African Development Report 2000 : Regional Integration in Africa, Oxford, Oxford University Press for the African Development Bank. 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Pourtant, les cinq pays andins (Bolivie, Colombie, Equateur, Pérou et Venezuela) n'ont pas réellement réussi à développer une synergie interne et se trouvent aujourd'hui à des niveaux de développement très inégaux, présentant des contrastes supérieurs à ceux des années 70. Les échanges commerciaux intra groupe stagnent à un niveau relativement faible, et le processus avance difficilement vers l'union douanière et le marché commun, malgré un dispositif administratif très structuré. De fait, les pays continuent à douter de l'utilité d'une union andine comme élément moteur de l'intégration régionale et continentale. Ces pays sont dans un état d'instabilité politique et économique chronique qui, ajouté aux problèmes des inégalités sociales et territoriales, ne 182 L'Union européenne et l’intégration des pays andins :l'accentuation des mécanismes concurrentiels. permet pas de favoriser un climat de confiance pour les investisseurs, ni pour la stimulation des initiatives locales. L'engagement dans la libéralisation économique à partir des années 80-85, au moyen des programmes d'ajustement structurel, a conduit à une situation de dépendance et de vulnérabilité aux importations de produits essentiels, aux capitaux étrangers, et à un accroissement de la dette internationale (Thorp R., L. Whitehead, 1986; Botero L. et al., 1992; Alzamora C., 1998; BID, 1998; Jiménez F. et al., 1999). Le processus d'intégration est alors perçu comme un facteur de stimulation du commerce par ampliation des marchés internes, et un atout pour l'intégration des pays dans le réseau Monde. Mais de part sa situation et sa conformation géographique, cet ensemble se polarise entre deux blocs de poids économique bien supérieur, le MERCOSUR et l'ALENA, dont les stratégies sont bien différentes. Le premier privilégie l'intégration à partir des voisins; le second préfère une zone de libre échange à une échelle continentale; deux modèles d'intégration parmi lesquels il va falloir choisir (Hinojosa et al., 1997 ; Dabène O., 2000). Pour ces raisons, le processus d'intégration n'a pas réussi réellement à stimuler les échanges internes malgré un renforcement du dispositif institutionnel et juridique communautaire. Dans un contexte de faiblesse des marchés internes, les entreprises recherchent avant tous les marchés externes les plus rentables. Comment en effet choisir entre la solidarité régionale et l'intégration dans l'économie Monde ? Plusieurs pays se posent la question, et préfèrent réorienter leur politique commerciale en direction des pays "riches". Ceci explique la multiplicité des accords bilatéraux dans une atmosphère très individualiste: adhésion de l'Equateur et du Pérou à l'APEC, invitation de la 183 Intégration régionale comparée Bolivie aux réunions du MERCOSUR, attraction privilégiée du Venezuela et de la Colombie vers les Caraïbes (CARICOM) ou l'ALENA, etc. Dans ce contexte, il est intéressant d'analyser le rôle des mécanismes concurrentiels dans l'approfondissement de l'intégration régionale et particulièrement les éléments qui ont pu être transférés directement du modèle européen. Nous aborderons ces aspects à partir de trois entrées déterminantes dans les paramètres de la compétitivité internationale: la question de la mise en place des institutions communautaires; la question de la convergence des économies et particulièrement la réduction des contrastes territoriaux; la question du commerce international et des conditions de l'émergence d'un marché commun. 1- La question des institutions Le transfert d'éléments du modèle européen fut effectif et explicite sur deux composantes principales: le choix du modèle d'intégration par les marchés et la structure des institutions communautaires. Cependant, la mise en place du modèle est très imparfaite sur ses trois plans principaux: - L’instauration d'une politique de concurrence, point fondamental de la construction européenne, et de politiques sectorielles nécessaires à un rééquilibrage (PAC, infrastructures, mécanismes compensatoires); - La convergence des politiques, particulièrement le rôle que peut jouer le processus d'intégration comme garant de la stabilité politique et de coopération en matière d'affaires étrangères; - La supranationalité des institutions ou le transfert de compétence. 184 L'Union européenne et l’intégration des pays andins :l'accentuation des mécanismes concurrentiels. 1.1 - L'absence chronique de Politique Economique Commune. L'histoire des institutions et des stratégies de l'intégration andine sont loin d'être linéaires. Elles furent marquées par des phases de dynamisme et de repli juridique (voir figure 1). Les deux courbes du nombre annuel de décisions adoptées par la communauté, et de la participation du commerce intra-andin dans le commerce total sont très bien corrélées. Elles sont le reflet des nombreuses crises politiques et économiques et de la primauté du législatif comme facteur dans la stimulation du commerce intra-andin: 480 résolutions furent adoptées entre 1969 et 1999, essentiellement dirigées à "créer les bases d'une concurrence saine et libre de distorsions" (Maldonado H., 1999). 1.1.a - Un démarrage difficile Il faut rappeler que l'accord d'intégration régional (ou Pacte Andin) fut créer en 1969 avec l'objectif de renforcer les politiques de substitution 185 Intégration régionale comparée d'importation et d'industrialisation, préconisées par la CEPAL (Tironi E., 1978a et b). La zone de libre commerce était alors prévue en 1980; elle incluait une composante ambitieuse de politique industrielle visant à la planification du financement pour l'implantation d'industrie dans certains secteurs faibles (métallurgie, automobile, pétrochimie ). Cette politique subira cependant les mêmes écueils que celle adoptée par l'UE dans la même période: malgré une volonté politique forte et un bon niveau de coordination, ce sont les impulsions du marché qui vont diriger la politique industrielle, "…une politique industrielle commune intégrée s'appuyant sur les complémentarités des Etats membres est apparue inadéquate…" selon les raisons que donne B. Yvars (1997). Cet échec relatif provient aussi des contradictions internes entre l'élaboration de règles destinées à créer un climat concurrentiel, le désir de planification des régimes militaires et le maintien d'importantes barrières protectionnistes. La crise de la dette, à partir de 1981, aura pour conséquence un coup d'arrêt du processus engagé; la plupart des gouvernements adopteront des politiques de restrictions au commerce réciproque (Vieira E., 1999). L'urgence était la croissance nationale, au dépend du processus d'intégration. Selon Jaime Salazar (1988), il n'y avait aucune volonté des gouvernements pour tenter une réforme des institutions et ainsi avancer dans le processus d'intégration. La plupart des décisions juridiques adoptées n'avaient aucune chance de fonctionner. D'autre part, la nécessité de négocier le problème de la dette de façon bilatérale, et donc individuelle, avec le FMI a exclu toute possibilité de négociation commune et fragilisé les institutions communautaires. Le véritable démarrage de la Communauté Andine n'aura lieu qu'en 1987 avec le protocole de Quito. Il sera un tournant majeur dans la conception de l'intégration andine. Il correspondait à la nouvelle approche de la CEPAL, 186 L'Union européenne et l’intégration des pays andins :l'accentuation des mécanismes concurrentiels. de la Banque Mondiale et du FMI, préconisant l'ouverture des économies et la diminution du rôle de l'Etat, au moyen de plans d'ajustement structurel. Le protocole de 1987 va impulser dans les années suivantes une série de réformes portant sur l'organisation de la communauté et sur la convergence des politiques, en adoptant explicitement la règle de la libre concurrence. • Volonté d'insertion dans les marchés internationaux (diminution des contraintes sur les capitaux étrangers, programme d'ouverture douanière jusqu'à libération complète des tarifs prévue en 1995, négociations multilatérales, zone de libre commerce prévue à partir de 1992); • Renforcement du pouvoir de décision politique par l'adoption d'un conseil présidentiel andin et par la création d'un système andin d'intégration. • Participation du monde des entreprises en multipliant les initiatives de confédérations corporatives, et en adoptant des mesures de flexibilité du régime des marques, patentes, licences, etc. Pour les auteurs néo-classiques, les gains directs de l'association des pays résident dans la création de trafic, d'économies d'échelles et dans l'accroissement des situations de concurrence qui obligent les entreprises à un effort d'adaptation et de modernisation. C'est ce principe de régulation par le marché et la concurrence, qui assure par elle-même une restructuration industrielle, que les pays de la CAN vont adopter, suivant ainsi le modèle européen, en faisant explicitement référence au Traité de Rome. Une intense activité juridique et politique va contribuer à accroître significativement les échanges entre les pays de la communauté (voir figure1). Ils vont doubler en 5 ans, sans que l'on puisse faire la part entre le processus d'intégration et les nouvelles politiques de libéralisation. 187 Intégration régionale comparée 1.1.b - La crise péruvienne et l'instabilité politique des années 90. La fermeture du congrès par le président péruvien A. Fujimori, au second semestre 1992, eut pour effet la suspension des relations diplomatiques entre le Pérou et le Venezuela, le redémarrage du conflit Equateur - Pérou, et une remise en question de la politique communautaire du Pérou. Au cours de la réunion de Barahona (1992), les pays adopteront une résolution proposant la suspension du Pérou dans les négociations pour la constitution de la zone de libre commerce. Cette suspension devait durer un an, elle se prolongera jusqu'à 1997. Cette crise péruvienne, dans un contexte d'ouverture complète des marchés, a profondément bouleversé le concept même de groupe andin. De subtiles négociations eurent lieu avec les pays voisins, principalement le Mexique, le Chili, le CARICOM et surtout le tout jeune MERCOSUR. Elles ont révélé l'incapacité de la communauté andine à canaliser ces accords bilatéraux, et ont conduit à instituer une concurrence plus forte entre les pays andins. La CAN adopta une série de décisions (322 et 323) pour protéger la communauté de ces accords et empêcher des pratiques qui pourraient dans certains secteurs introduire une concurrence "déloyale". Une commission fut créée à cet effet, jamais elle ne se réunira. Enfin d'autres décisions (notamment la 324) eurent pour conséquence l'harmonisation des taxes douanières entre 4 des 5 pays à partir de fin 1992. Comme nous le verrons, ces décisions eurent en réalité peu d'effet sur la stimulation du commerce intra-andin; mais, à partir de cette date, les balances commerciales commencèrent à se déséquilibrer. L'union douanière reste cependant très imparfaite du fait de la profusion des taux appliqués aux pays tiers (entre 5 et 25% sur de multiples niveaux et listes de produits), et du fait de l’existence de nombreux régimes d'exception (par exemple, les plans Vallejo 188 L'Union européenne et l’intégration des pays andins :l'accentuation des mécanismes concurrentiels. en Colombie, ou les zones franches au Venezuela ou au Pérou) (Vieira E., 1999). Alors que sur le plan juridique les avancées sont considérables, sur le plan politique et économique, la période post-97 se distingue par toute une série de crises nationales et communautaires: nouvelle période de récession, réforme constitutionnelle au Venezuela, annonce du retrait du Pérou de la communauté andine, crise bancaire en Equateur et dollarisation de son économie; série de troubles sociaux et politiques au Venezuela, Equateur, Pérou et Bolivie. Malgré les avancées du protocole de Sucre (1997) et une nouvelle restructuration institutionnelle de la Communauté, les problèmes internes vont miner une fois de plus les volontés d'intégration. On observe alors une diminution sensible de la part des exportations intra-communautaires (voir figure 1), une "reprimérisation" du commerce extérieur, la recherche de nouveaux accords bilatéraux et l'apparition d'un américanisme peu enthousiaste. Le sommet des présidents à Lima en 2000 redéfinit le calendrier de réalisation du Marché Commun Andin, prévoyant la libre circulation des services, capitaux et personnes au plus tard pour le 31 décembre 2005, se mettant ainsi en coïncidence avec le calendrier de réalisation de la Zone de Libre Echange des Amériques. La transférabilité du modèle européen a, dans ce contexte, de grandes limites. L'UE a favorisé l'instauration d'une politique de concurrence qui a permis de légiférer sur des questions importantes de régulation des mécanismes concurrentiels: - suppression des restrictions quantitatives aux échanges; - lutte contre les effets de concentration, les ententes ou les monopoles; 189 Intégration régionale comparée - Limitation des interventions de l'Etat sans négliger toutefois des politiques industrielles ou sectorielles particulières (PAC, transports). Dans le cas de la CAN, l'harmonisation des politiques des secteurs clefs ou sensibles s'est effectué en dehors du processus d'intégration, que ce soit pour le secteur énergétique (relevant de politiques strictement nationales ou d'organismes comme l'OPEP), le secteur agricole (les réformes agraires des années 75 n'ont jamais été suivies d'essai de politique communautaire), ou les infrastructures (politique définie et financée par la CAF). La mise en place d'une politique de concurrence est ainsi limitée sur les trois niveaux: - par la nécessité politique de maintien de certaines préférences nationales; - par la nature du tissu des entreprises du fait de l'accroissement d'un secteur informel incontrôlable, et de la génération de pseudo-monopoles liés à l'importance des investissements étrangers; - par l’importance du centralisme politique et économique qui favorisent certains secteurs économiques ou certaines relations commerciales. La stabilisation politique des Etats membres fait aussi partie des points forts du modèle européen: convergence des politiques économiques et sociales; politique étrangère et questions de sécurité; coopération dans le domaine de la justice et des affaires intérieures. Malgré des intentions démocratiques et participatives réaffirmées à chaque sommet des chefs d’Etat, les éléments historiques montrent la difficulté de coopération entre les pays andins sur des problèmes stratégiques majeurs comme l'éducation, la sécurité, le contrôle des frontières, le trafic de drogue ou la violence; lesquels sont directement pris en charge par des négociations bilatérales avec les Etats Unis (Arrieta C. et al., 1993). La plupart de ces pays sont issus d'une "tradition" de gouvernements militaires, caractérisés par le clientélisme, le "caudillisme" et le populisme, toujours à la recherche d'un pouvoir économique et d'une autonomie locale ou 190 L'Union européenne et l’intégration des pays andins :l'accentuation des mécanismes concurrentiels. régionale (Dabéne O., 1997). L'instabilité chronique des régimes depuis 1990, associée à la forte dépendance vis à vis du FMI, ont limité les possibilités de politiques communes au sein du groupement. 1.2 - Le rôle des institutions Un autre élément important de transfert du modèle européen concerne la structure des institutions communautaires, dont la réforme fut entreprise grâce à la participation directe de l'UE après les accords cadre de 1984 puis de 1993. Le système d'intégration andine est constitué de: • Conseil présidentiel • Conseil andin des ministres des relations extérieures • Commission de la CAN • Secrétariat Général élu • Tribunal de Justice (5 magistrats représentants) • Parlement andin (représentants des congrès, élus à partir de 2002) • Conseils consultatifs sectoriels. Mais si la CAN dispose aujourd'hui d'un tissu institutionnel extrêmement développé qui ressemble beaucoup à celui de l'Union Européenne, la transférabilité du modèle reste limitée, du fait du contexte des régimes qui restent de tradition nationaliste: - Le dispositif législatif est orienté vers la définition des contraintes concurrentielles directes (tarifaires) sans qu'il y ait une réelle élimination des entraves non tarifaires (normes techniques, systèmes administratifs douaniers, libre circulation des entreprises de service); 191 Intégration régionale comparée - Seuls la Bolivie, l'Equateur et la Colombie ont inscrit dans leur constitution le principe d'intégration et de prévalence communautaire sans qu'il y ait de doute possible. Au Pérou et au Venezuela, le droit national reste souverain. - Le niveau de transfert de compétence des Etats vers la CAN reste faible. Un audit réalisé en 1998 montre que "les conditions juridicoinstitutionnelles applicables à des organisations internationales et en particulier l'UE s'appliquent aussi à la CAN mais la jurisprudence montre que le pouvoir supranational reste très limité", en particulier dans la possibilité de signatures d'actes ou de traités (Moncayo J., 1999). A la différence de l'UE et du MERCOSUR, le groupe andin a toujours procédé à un processus d'intégration "depuis le bureau", selon l'expression de Rebolledo S. L. (1993), sans participation effective des agents économiques, et surtout des entreprises, et une absence totale de politique de renforcement du secteur productif et de promotion des exportations. Il s’est surtout préoccupé de légiférer à partir de décisions politiques sans réelle possibilité technique et financière de mettre en place les accords. Le pouvoir politique et financier sont en effet séparés, ce qui constitue une autre limitation importante dans la possibilité de transfert du modèle européen. La composante politique dispose d'un budget très limité, alors que les organismes financiers ont une politique indépendante des objectifs de la CAN. Celle ci est en effet tributaire de trois organismes financiers continentaux: la CAF (Corporación Andina de Fomento créée en 1968), le FLAR (Fondo Latino de Reservas) et le BID (Banco Interamericano de Desarrollo). La CAF est autonome et fonctionne comme une banque multiple, c'est à dire ayant des services similaires à ceux d'une banque de commerce, de développement et d'investissement. Elle est composée des 5 pays andins, du Brésil, du Chili, du Mexique, de Trinidad et Tobago, de 22 banques privées, et 192 L'Union européenne et l’intégration des pays andins :l'accentuation des mécanismes concurrentiels. depuis 1998, de l'Argentine et de l'Uruguay. Ses objectifs prioritaires sont la réalisation d'infrastructures pour "donner aux entreprises des conditions favorables à l'exportation de produits: infrastructures énergétiques, de télécommunication, de réseau routier grâce à une conception de couloirs d'intégration" (CAF - Rapport annuel 1997). Elle appuie aussi directement les entreprises (particulièrement les PME) grâce à un fond d'investissement et dispose d'un plan d'action sur les questions de développement durable (utilisation et amélioration des ressources naturelles) et de lutte contre la pauvreté. Dans une certaine mesure, les actions de la CAF représentent une alternative au manque de ressource et au désengagement de l'appareil de l'Etat, mais aussi au manque d'attractivité de certains secteurs pour les investissements étrangers. En Bolivie et Equateur, les financements CAF représentent plus de la moitié du total des investissements externes, alors que pour les autres pays, ce chiffre avoisine les 19%. La CAF a, sur ce point, un rôle très important dans les capitalisations nationales et internationales par sa position sur les marchés financiers internationaux, avec une disponibilité de taux et de délais très favorables à sa consolidation (Zúñiga Q., 1999). 2 - Une géographie des contrastes Des contraintes géographiques propres à la CAN montrent que certains éléments du modèle européen peuvent difficilement s'appliquer dans des contextes où les échanges sont essentiellement centrifuges et où les économies voisines sont de plus grande compétitivité. 2.1 - Une position stratégique à l'échelle du continent 193 Intégration régionale comparée Comme on peut le constater sur la figure 2, les pays andins, tout comme les pays d'Amérique centrale, ont une position particulière dans le continent. Ils se situent entre les deux grands blocs que constituent Mexique et Etats Unis d'un côté, Brésil et Argentine de l'autre. La différence de PIB est considérable: le PIB de l'ensemble CAN n'arrive pas à dépasser celui de l'Argentine; il représente 37% de celui du Brésil, 62% de celui du Mexique et à peine 25% de celui du MERCOSUR. De même, le niveau de développement (PIB par habitant) est très nettement inférieur à celui de ses voisins, y compris le Venezuela, malgré la rente pétrolière. Il décroît régulièrement depuis 1996: la moyenne andine pour l'année 1999 est inférieur de 3% au chiffre de 1998 et de 17% de celui de 1997 (données officielles de la CAN - 26/01/2001). Du point de vue peuplement, les pays andins constituent une façade pacifico-caribéenne très significative, avec 111 millions d'habitants, soit plus 194 L'Union européenne et l’intégration des pays andins :l'accentuation des mécanismes concurrentiels. de la moitié de la population du Mercosur. Les taux de croissance de la population sont parmi les plus forts du continent. Cette façade compte des mégalopoles parmi les plus importantes au Monde comme Caracas, Santafe de Bogotá ou Lima. Elle constitue un axe de peuplement fortement densifié et urbanisé au Pérou tout le long du Pacifique jusqu'à l'Equateur, puis le long de l'axe de la Cordillère jusqu'au Nord du Venezuela. Les pôles urbains sont les seuls à disposer de l'appareil de production; laissant l'arrière pays sans possibilité de développer des industries de transformation par manque d'une réelle politique de décentralisation. Au Pérou, 33% des établissements industriels sont concentrés dans la capitale et sa périphérie (64% si sont incluses les deux principales villes côtières ; 81% sont des PME de 5 employés ou moins, 52% génèrent des biens de consommation). En Colombie, 36% des établissements sont à Bogotá, 78% si on ajoute les villes de Medellin, Cali et Baranquilla. Au Venezuela, la concentration s'effectue selon l'axe de production ou de transformation du pétrole: Maracaibo, Valencia - Caracas, Ciudad Bolivar (Bataillon C. et al., 1991). Une telle polarisation donne un contexte très différent de celui de l'Europe. La construction européenne s'est effectuée en privilégiant les relations vers l'intérieur. Le faible niveau d’ouverture des pays de l'est, la disparition des colonies (Afrique du Nord et Commonwealth) et sa position de force économique vis à vis de ses voisins ont favorisé ces relations centripètes à partir d’un « noyau dur ». La chute du mur de Berlin et la consolidation du noyau rendent aujourd’hui possible l’intégration progressive de nouveaux partenaires. Au contraire, la forte polarisation continentale situe la CAN à la périphérie de deux blocs mieux structurés, ce qui a plusieurs conséquences sur 195 Intégration régionale comparée le processus d'intégration: (1) - Les infrastructures de transport, modelées par la double barrière des Andes et de la forêt amazonienne, sont plus favorables à un commerce vers l'extérieur qu'à un commerce vers l'intérieur de la zone. La double façade maritime et les barrières naturelles engendrent une polarisation à la fois culturelle et commerciale: - Attraction privilégiée du Venezuela par le CARICOM et surtout vers l'ALENA; - Forte attraction de la Bolivie par le MERCOSUR avec lequel il maintient des relations privilégiées. Ce pays a un rôle "catalytique" comme plaque tournante du commerce entre la CAN, la Cuenca del Plata, le Pacto Amazónico et le MERCOSUR. Il est clair, comme le signale Rebolledo L. S. (1993) qu'une amélioration du réseau de transport en Bolivie entre Pacifique et Atlantique, liée au développement des nouvelles régions de cultures de Santa Cruz, aurait un impact fort sur la dépolarisation du continent. - Présence dans le nord du continent de trois pays producteurs de pétrole: l'Equateur, La Colombie et surtout le Venezuela. (2) - Alors que l'Europe dispose d'une "réserve" de partenaires sur son flan est et nord, la CAN est condamnée à développer des stratégies d'alliance avec des voisins déjà intégrés dans d'autres groupes. (3) - Le faible potentiel de communication entre les pays entraîne un renforcement des polarisations urbaines, organisant l'espace selon un modèle d'économie d'archipel (Veltz P., 1996). Les pays sont alors soumis à un double type de choc asymétrique périphérique: de fortes migrations de main d'œuvre très peu qualifiée vers ces zones urbaines; des migrations de main d'œuvre souvent plus qualifiée vers les pays limitrophes (Argentine, Chili, Venezuela, 196 L'Union européenne et l’intégration des pays andins :l'accentuation des mécanismes concurrentiels. Etats Unis, etc…). La priorité donnée aux couloirs d'intégration de la CAF (couloirs transocéaniques) au dépend des réseaux locaux de transports aura sans doute pour effet un renforcement de cette polarisation sur les régions déjà bien dotées en services et disposant de bonnes capacités de production. 2.2 - Des déséquilibres intra-régionaux prononcés Les différences de développement entre les pays étaient déjà à l'origine des problèmes d'intégration au sein de l'ALALC dans les années 60. Ces différences persistent et même se sont accentuées. La Bolivie participait pour 4,1% du PIB de la CAN en 1970, elle ne représente plus en 1998 que 2,9%. La Colombie et le Venezuela représentent à eux deux 66% du PIB de la communauté. Ce gradient sud-nord de développement se retrouve dans la distribution géographique de presque toutes les variables socio-économiques (Gondard P., H. Mazurek, 1999) et tend à renforcer la polarisation continentale. Ce gradient s'expliquer en partie par des différences climatiques et par la conformation du relief. Cependant, ce sont les politiques nationales, depuis un siècle orientées vers le centralisme politique et l'allocation spécifique de ressources, qui expliquent surtout les déséquilibres territoriaux. Si on se référe au modèle européen, l'adoption de mécanismes compensatoires qui favorisent la diminution des inégalités régionales (fonds à finalité structurelle: FEDER, FSE, FEOGA, fonds de cohésion, etc., ou programmes incitatifs comme les PIM) est un élément de transfert indispensable. L'intensification de la concurrence et les transformations des structures qui en résultent (restructurations productives, sociales et territoriales) nécessitent de tels fonds de rattrapage et une politique de cohésion sociale dans le but de corriger, compléter ou dynamiser les effets des marchés 197 Intégration régionale comparée intérieurs. Le modèle européen a montré que ces fonds, associés à une politique de décentralisation pouvait agir dans trois domaines particuliers: l'aide aux régions en retard, la reconversion économique et sociale et la modernisation des marchés de l'emploi, grâce aux revenus de l'Union douanière (Yvars B. 1997, Faugère J.P., 1999). Il n'existe pas de politique de ce type au sein de la CAN, et les actions de la CAF ne représentent qu'une faible part du budget des Etats. Une charte sociale andine fut élaborée en 1994, mais ne fut adoptée qu'à la seconde conférence sociale andine de Quito en 1999. L'échéance de son application fut sans cesse reculée malgré des initiatives sud américaines insistantes (Proposition d'un sommet sur ce thème par le Brésil) et les interventions du secrétaire général de la CAN (voir article de Alegrett S., el comercio, juin 2000 suite au sommet des Présidents à Lima), qui y voient une garantie indispensable à la création de la ZLEA. Il faut de ce point de vue souligner que les pays dont l'économie a le plus progressé sont les pays ayant développé assez tôt des politiques de décentralisation: Le Venezuela depuis les années 60, la Colombie depuis les années 80. Les récents succès économiques de la Bolivie pourraient être liés aux réformes de seconde génération, entre 1993 et 1997, dont le principe est la déconcentration administrative avec participation populaire et redistribution des ressources entre les régions. Pour l'instant l'Equateur, et surtout le Pérou continuent à utiliser un modèle de forte centralisation qui a pour effet un accroissement des contrastes territoriaux, une limitation des capacités locales de développement, et des effets induits de concurrence internationale pour certains secteurs à faibles capacités locales d'investissement ou de qualification, comme par exemple le secteur agricole (Dollfus O., J. Bourliaud, 1997). 198 L'Union européenne et l’intégration des pays andins :l'accentuation des mécanismes concurrentiels. 3 - Les stratégies commerciales et territoriales 3.1 - La multiplicité des accords La polarisation géographique peut également s'observer dans le schéma de la conformation des blocs économiques (voir figure 3). La Communauté andine se situe en position centrale dans les relations sud-nord, et présente le plus fort degré de multi appartenance, reflet de la faiblesse de ses politiques de cohésion. Ce que l'on peut surtout observer, c'est la tendance à la fragmentation 199 Intégration régionale comparée des processus d'intégration dans la partie centrale du continent. Beaucoup d'accords que la plupart des analystes s'accordent à trouver désorganisés et juxtaposés (voir tableau 1; Rosenthal G, 1991; Rebolledo S. L., 1993). Les pays en voie de développement sont tiraillés entre un désir d'insertion individuelle dans l'économie monde, le plus souvent en s'associant avec des pays plus riches, et le besoin de l'intégration dans une zone de libre échange, condition nécessaire à l'expansion des marchés mais nécessitant un élargissement de la zone d'influence commerciale. Erreur! Liaison incorrecte. La multiplicité d'accords peut s'avérer contre-productive selon la CEPAL (1991): "Si les pays qui participent aujourd'hui dans les divers sousgroupements et accords partiels décident d'aborder leurs relations de manière individuelle avec l'objectif de libéraliser le commerce entre eux, il pourrait surgir des difficultés d'ordre formel ou logistique, tant dans les phases de négociations que dans les applications des accords." Elle réitéra d'ailleurs cet avertissement en 1998: "La prolifération d'accords bilatéraux a provoqué un dynamisme très particulier au processus d'intégration régionale, mais a aussi induit un développement peu orthodoxe des conditions de concurrence au sein de cette région". Cette multiplicité des accords est avant tout le reflet de l'évolution du processus d'intégration continentale et du partage des influences entre le Nord et le sud. Les conférences prévues dans le traité de Montevideo en 1980, pour la constitution de l'ALADI, ont eu beaucoup de difficultés à émerger; la première eut lieu seulement en 1998. Parallèlement, les Etats Unis multiplient les initiatives pour la constitution, d'une zone de libre échange "depuis l'Alaska jusqu'à la 200 L'Union européenne et l’intégration des pays andins :l'accentuation des mécanismes concurrentiels. Patagonie", soutenue par les prévisions du BID (Hinojosa et al., 1997) ou de la Banque Mondiale (Burki et al., 1998) et par la position de l'OMC sur les compatibilités de l'intégration hémisphérique. L'échéance de l'association de libre commerce des Amériques (ZLEA) a été fixée à l'an 2005, tout comme celle de la constitution du marché commun andin, sans que soit prévue un programme de convergence politique, économique ou sociale. 3.2 - L'ouverture commerciale: entre volonté d'intégration et marchés internationaux 3.2.a - Les échanges Les échanges intra-communautaires ont augmenté de 3 à 11 milliards de dollars entre 1990 et 1998, alors que sur la même période, les échanges avec le reste du Monde sont passés de 47 à 74 milliards. En valeur absolue, le processus d'intégration a bien généré un gain des échanges entre les partenaires. Mais la part du commerce intra-communautaire n'arrive pas à dépasser les 12% du commerce total, et montre une très nette stagnation depuis 1995 (figure 4.a). Ce sont la Bolivie et la Colombie qui ont le mieux profité du processus d'intégration (entre 20 et 25 % du commerce total), le premier grâce à ses exportations de produits agro-alimentaires et le second par une diversification des exportations de produits manufacturés. Le Pérou et l'Equateur importent davantage des autres pays de la CAN (20% des importations totales) qu'ils n'exportent (8% des exportations totales). Le Venezuela équilibre sa balance commerciale avec les pays de la CAN, mais la participation aux échanges intra-communautaires ne représente que 9% en 1998, sans grande variation depuis 1990 (5%). 201 Intégration régionale comparée En examinant les chiffres des échanges vers le reste du Monde, on note que les importations ont augmenté beaucoup plus rapidement que les exportations: un rythme annuel de 14% pour les premières, de 6,4% pour les secondes (figure 4.b). Il est important de rappeler que les pays de la CAN participaient pour 1,5% des exportations mondiales en 1980, et pour seulement 0,8% en 1997 (World Development Indicator, World Bank, 1999; Burki S.J. et al., 1998). Ils montrent donc une sensibilité accrue aux importations, mais aussi une perte d'influence au niveau mondial. L'appréciation de la contribution relative entre le processus de libéralisation des économies et le processus d'intégration entre les pays est peu évidente. Il est cependant certain que la diminution des taux douaniers depuis les années 90 a eu deux conséquences: (1) - Une "reprimérisation" de l'économie qui favorise les activités d'extraction de ressources primaires au dépend de la restructuration et du développement de l'industrie (figure 4.c), en particulier en aval et en amont de cette filière d'extraction. (2) - Un accroissement de la concurrence interne sur les produits de consommation (manufacturés et agricoles) par des importations de produits moins chers que ceux de la production locale, et par des exportations de produits non traditionnels nécessitant de fort capitaux étrangers. 202 L'Union européenne et l’intégration des pays andins :l'accentuation des mécanismes concurrentiels. L'ouverture douanière a fait basculer la balance commerciale sur le solde négatif dès 1991 pour la Bolivie, 1992 pour le Pérou 1993 pour la Colombie; la balance globale de la CAN restant équilibrée grâce aux exportations de pétrole du Venezuela et de l'Equateur. La probabilité de risque aux chocs externes s'en trouve accrue, comme l'a montré la récession de 1997 (chute de 50% des exportations) par les effets conjugués de la crise asiatique, de la diminution du prix des matières premières, particulièrement du pétrole et du phénomène El Niño. 3.2.b - L'ouverture commerciale: Sur la période allant de 1990 à 1999, le degré d'ouverture des pays, mesuré comme le rapport des échanges au PIB (voir figure 5), a moins progressé pour le commerce au sein de la CAN que pour le reste du Monde. On peut faire plusieurs remarques à partir de ces graphiques: (1) - La place de l'ALENA, des Etats Unis en particulier, est considérable. Dans le cas de l'Equateur et du Venezuela, les échanges représentent près du tiers de la valeur du PIB. Deux pays qui pourtant ont adopté des stratégies monétaires opposées, le premier ayant engagé un processus de dollarisation de son économie, le second restant sur un régime de flottement contrôlé (Dempere P. et C. Quenan, 2000). Plus de 35% des importations et près de 50% des exportations de la CAN se font avec les USA. (2) La récession de 1997 a peu affecté le degré d'ouverture avec les Etats Unis, alors qu'une inflexion de la courbe se perçoit nettement pour les autres blocs. (3) Le commerce avec l'Union Européenne reste stable, voire en légère baisse 203 Intégration régionale comparée depuis 1990 et arrive difficilement à passer la barre des 20%, mais reste le second marché, bien loin devant les pays asiatiques. (4) La Bolivie montre un profil relativement singulier, avec un relatif équilibre des échanges entre les blocs, mais une très nette préférence pour le MERCOSUR. Sa position centrale dans le continent se confirme à travers la diversification de ses marchés. (5) Les pays ayant les plus faibles degrés d'ouverture sont ceux qui disposent de nombreux régimes d'exception (Colombie) ou qui ne ce sont pas pleinement intégrés au processus de la communauté (Pérou du fait de la crise de 1992-1997). 204 L'Union européenne et l’intégration des pays andins :l'accentuation des mécanismes concurrentiels. 3.3 - La faiblesse des échanges intra-branches La spécialisation des échanges est extrêmement forte entre les pays de 205 Intégration régionale comparée la CAN comme le montre la figure 6, où l'indice de spécialisation de Gini (2) se situe au-dessus de la valeur 0,3. En effet, 33% des exportations intra-andines sont représentés par seulement 22 produits dont la majorité sont des produits agricoles ou d'origine pétrolière; dans le cas de la Bolivie, 88% des exportations sont représentées uniquement par 3 produits (Tourte de soja, haricot de soja et coton) (Posada E.V., 1999). Cette spécialisation a tendance à se renforcer depuis 1995, en raison de la faible capacité d'investissement des autres secteurs et du syndrome de la rente (génération de capitaux rapides), situation qui préoccupe très sérieusement les techniciens de la CAN: "En stimulant la spécialisation des facteurs disposant des meilleurs avantages comparatifs, la logique du marché mondial est en train d'induire une espèce de re-primairisation de certains pays en voie de développement, en impulsant des secteurs comme la mine, générant de forts capitaux transnationaux mais avec une faible capacité de génération d'emploi et très peu véhiculé au reste de l'économie nationale" (Moncayo Jiménez E., 1999). A cela s’ajoute le fait que cette spécialisation ne crée pas de pression concurrentielle de nature à susciter des gains de productivité. 206 L'Union européenne et l’intégration des pays andins :l'accentuation des mécanismes concurrentiels. Les expériences d'intégration et de convergence des économies, particulièrement en Europe, montrent qu'une exportation sur la base de produits manufacturés et une transformation / adaptation de la structure productive sont des conditions nécessaires au développement du processus d'intégration. Hors, dans les pays andins, le libre commerce, les accords multilatéraux et bilatéraux sont basés essentiellement sur les capacités productives actuelles (similaires depuis le début du siècle), c'est à dire sur un nombre réduit de secteurs constituants des avantages comparatifs au sens de D. Ricardo. Les échanges commerciaux de produits traditionnels restent les plus courants, sans qu'il y ait diversification ni échange intra-branche significatif (Posada E.V, 1999). Erreur! Liaison incorrecte. Les indices d'échange intrabranche ( indice de Grubel-Lloyd basé sur 163 classes de la NABANDINA - tableau 2), et leur variation sur 7 ans (en italique) sont le reflet de cette spécialisation. Ils ne montrent des valeurs 207 Intégration régionale comparée significatives que dans le cas de pays frontaliers, ayant en général des structures productives plus similaires et de meilleures conditions de transport des marchandises. Cette spécialisation se reflète également dans la répartition des investissements directs étrangers (IDE). Ceux ci restent à un niveau très faible: 9% du PIB en Bolivie, 4% au Venezuela et en Colombie, autour de 2,5% dans les autres pays (chiffres de 1997). L'IDE a davantage progressé dans le secteur de l'extraction du pétrole et du gaz, qui représente près de 75% des investissements totaux au Venezuela et en Bolivie. Il a par contre diminué pour le secteur tertiaire (-5% sur la période 80-94) alors qu'il a progressé pour ce secteur de plus de 10% dans les autres pays de l'ALADI (Jedlicki C., 1999). L'investissement intra communautaire, quant à lui, ne représente que 3% des investissements totaux. Problème de confiance face aux turbulences politiques, mais sans doute aussi de position stratégique des marchés potentiels: manque d'infrastructure, système bancaire peu fiable, personnel peu qualifié. Les programmes de privatisation ont eu peu d'effet sur la création de nouveaux actifs dans la mesure où ils ont entraîné d'importantes restructurations de filières (particulièrement celles destinées au marché intérieur) coordonnées par des multinationales. Ils ont ainsi généré des concentrations d'entreprises, voire des monopoles, comme dans le cas de télécommunications, de l'agro-alimentaire ou des transports. CONCLUSION Depuis 1990, le jeu de la concurrence s'est exacerbé en raison d'une série de facteurs spécifiques à la région qui ont limité les volontés et la possibilité de réalisation d'un modèle d'intégration à l'européenne: 208 L'Union européenne et l’intégration des pays andins :l'accentuation des mécanismes concurrentiels. • Des programmes d'ajustements structurels particulièrement intenses et rapides avaient pour objectif un désengagement généralisé de l'Etat et une libéralisation de l'économie dans un ensemble où la demande interne croissait peu et où il n'y avait pas de stabilité monétaire (Jimenez L.F., 1996; S.J. Burki et al., 1998). Les principales conséquences furent des programmes de privatisation avec peu de création d'actifs; un accroissement de la dépendance aux capitaux étrangers et aux organismes internationaux; la substitution des productions locales par des produits d'importation. La plupart des analystes s'accordent pour insister sur l'échec de ces politiques d'ajustement (Gonzales de Olarte E., 1997; Touraine A., 1997; Quenan C., 1998). L'accroissement de la concurrence a favorisé surtout les importations à partir des pays tiers, plutôt que les mouvements commerciaux entre les pays partenaires. Au lieu d'assister à une restructuration du tissu productif stimulée par ces effets de concurrence, on observe un recentrage sur des produits primaires à capitaux rapides (extraction ou agricole d'exportation) mais peu générateur d'emploi. On s'oriente alors vers un modèle de type HOS, où la spécialisation s'effectue sur la base des ressources les plus abondantes, sans échange intra-branche significatif mais avec maintien des différences de revenu et de faibles niveaux de capitalisation (Faugère J.P, 1999). • L'accélération du processus juridique d'intégration s'est effectué sans la création de politiques spécifiques de concurrence (Politique économique commune, fonds de compensation, restructuration industrielle, concertations avec le tissu productif, etc.), ni de mécanismes compensatoires entre pays ou région. On assiste alors à une concentration spatiale des activités dans quelques pôles urbains d'importance, phénomène renforcé par l'accroissement de la spécialisation sectorielle, la faiblesse des échanges intra branches et la faible 209 Intégration régionale comparée mobilité des facteurs de production entre pays de la communauté. De ce point de vue, la CAN se trouve dans un processus de "périphérisation" au sens de Krugman (1991) caractérisé par l'absence de génération d'économies d'échelles, par des coûts élevés de transport, des migrations importantes vers les centres, et par l'accroissement de la polarisation géographique. • Malgré l'adoption d’un dispositif administratif et législatif similaire à celui de l'UE, la transférabilité du modèle a été limitée en raison du faible niveau de transfert de compétences entre les Etats et la CAN, et l'absence de cohésion politique, au niveau national comme communautaire. La réussite d'une politique d'intégration suppose également la mise en marche d'une démocratisation des institutions, et d'un niveau adéquat de décentralisation. Or, les replis nationalistes ou populistes, ainsi que les crises d'autoritarisme ne facilitent pas l'harmonisation des politiques, l'instauration d'un climat de confiance ni le pluralisme des échanges entre les groupes sociaux. Sur ce point, l'histoire de la CAN montre que les phases de démocratisation des institutions ont été trop brèves pour permettre une réelle stabilité des institutions de la communauté et garantir une avancée notable du processus d'intégration. Bien que le modèle européen soit explicitement adopté, sa transférabilité a des limites: contexte historico-politique d'instabilité politique, absence de PEC. modèle géographique de périphérisation, peu de synergie entre pôles d’activité (effet « banane bleue »). Il est certain que l'ensemble CAN ne répond à aucun des critères de Mundell définissant une zone monétaire optimale: niveau faible d'intégration commerciale, des structures économiques très dissemblables, peu de mobilité du travail et du capital et des systèmes fiscaux non intégrés. Dans ce contexte , le marché commun, prévu en 2005, paraît difficilement réalisable. Il l'est d'autant moins que la CAN se trouve confrontée aujourd'hui à 210 L'Union européenne et l’intégration des pays andins :l'accentuation des mécanismes concurrentiels. des problèmes d'alliance nécessaire à sa croissance, car elle n'a pas la possibilité d'accroître le nombre de partenaires sur ses marges. La Communauté Andine se trouve dans une position géographique intermédiaire, tiraillée entre le poids des pays du Nord et l'attraction du cône sud. La géographie du commerce nous montre que cette polarisation est réelle et peut conduire à la recherche de stratégies individuelles pour tenter un recentrage. Les nouveaux accords de paix entre l'Equateur et le Pérou, les accords entre le Pérou et le Chili (création d'une zone franche péruvienne sur territoire chilien), ou les tentatives d'alliance entre le MERCOSUR et la Bolivie ou le Pérou, font partie de ces tentatives de recentrage. La mise en place du Mercosur en 1991 a ouvert une nouvelle donne géopolitique et commerciale au niveau régional; l'ALENA (1994) et les initiatives des Etats Unis pour la création d'une zone de libre échange des Amériques en est une autre. Ce sont deux stratégies possibles d'alliance, correspondant à deux modèles distincts d'intégration, sur lesquelles les pays andins auront à se déterminer car ce choix définira le jeu de concurrence entre pays et blocs, ainsi que les options disponibles pour le développement des pays. La stratégie adoptée pour la création de la ZLEA est celle de l'élargissement de l'actuelle ALENA (O. Dabène, 2000). La CAN est plus proche économiquement de ce modèle, et son intégration serait facilitée par ses relations commerciales privilégiées avec les Etats Unis, ainsi que par les expériences de dollarisation des économies. De fait, pour certains pays, la dollarisation est une réalité si l'on considère que près de 64% des transactions péruviennes s'effectue dans cette monnaie, 82% en Bolivie, 100% en Equateur. Le couple ZLEA et dollarisation peut constituer alors un facteur de stabilité 211 Intégration régionale comparée monétaire, et le démantèlement douanier ne seraient plus qu'une conséquence naturelle de cette dollarisation (Dempere P. et C. Quenan, 2000). Par contre, l'association à la ZLEA risque de reproduire les conditions des années 80: nécessité de sévères programmes d'ajustement structurels et création d'une zone de libre commerce sur la base d'économies très inégales sans mesures compensatrices. La concurrence s'en trouverait accrue et le processus de périphérisation sans doute aussi, si on se base sur l'expérience mexicaine (chute de 25% du salaire minimum depuis la création de l'Alena). L'alignement sur les normes et réglementations des Etats Unis peut constituer un nouveau choc pour les pays de la CAN et accroître sensiblement la dépendance externe ainsi que les effets d'inégalités et de disparités spatiales. Le MERCOSUR privilégie une stratégie de renforcement du processus d'intégration à partir de ses voisins, en direction principalement de la Bolivie, du Chili, et du Venezuela. C'est également la politique qu'adopte l'Union Européenne avec lequel le MERCOSUR a des accords privilégiés Le double jeu entre l'ALCA et l'Union Européenne lui permet ainsi une meilleure position dans les négociations multi-blocs (Ventura D., 1999). La CAN est plus proche politiquement de ce modèle comme l'a souvent signalé son Secrétaire Général: "Si nous ajoutons le Chili, le MERCOSUR et la Communauté Andine, nous parlons alors d'un grand marché de 340 millions de personnes, ce qui nous conduit à penser à une nouvelle dimension de l'intégration latino-américaine, laquelle offre d'amples perspectives, pas seulement en termes commerciaux. La convergence progressive entre les sous-régions laissera la place à un espace harmonieux et équilibré qui favorisera notre insertion dans l'économie mondiale par une position compétitive et un indiscutable poids politique sur la scène internationale" (Entrevue de l'Ambassadeur S. Alegrett, Secrétaire Général de la CAN sur la question de l'intégration CAN - MERCOSUR, 1 212 L'Union européenne et l’intégration des pays andins :l'accentuation des mécanismes concurrentiels. octobre 2000, journal bolivien Presencia). Cette association CAN-Mercosur pourrait permettre un certain recentrage de la région au profit de pays comme la Bolivie, le Pérou ou l'Equateur, mais suppose une réorientation fondamentale des politiques commerciales de la CAN et de ses structures de production. L'échéance de 2005 est capitale, à la fois pour la création du marché commun andin, pour la création de la zone de libre commerce des Amériques et pour les négociations avec le Mercosur. Les crises politiques actuelles des pays andins, et les déboires récents des programmes d'ajustement structurel pourraient renforcer les initiatives individuelles, particulièrement en provenance de la Bolivie et du Venezuela et générer une nouvelle crise des institutions de la CAN. Dans tous les cas, et quelque soit l’option choisie, les pays de la CAN ne pourront faire l’économie d’une restructuration de leur appareil productif, de l’application d’un agenda social et d’une meilleure coopération politique entre les Etats. Sans ces éléments, le jeu de la concurrence, dans le cadre de l’ouverture vers la ZLEA ou vers le MERCOSUR, pourrait conduire à une périphérisation encore plus poussée de cette partie du continent. Notes (1) La signification des sigles est donnée au paragraphe 3.1 (2) L'indice de Gini varie entre 0,5 (spécialisation maximale) et 0 (diversification maximale). Il est construit sur la figure 6 pour 21 classes de type de produits. Un indice de 0,4 signifie que 50% des exportations se réalise dans un seule classe de produits, 75% dans 3 classe. Un indice de 0,25 signifie une participation de 50% pour 4 classes de produits, 75% pour 8 classes de produits. Bibliographie 213 Intégration régionale comparée Alzamora Carlos - 1998 - La Capitulación de América Latina. El Drama de la Deuda Latinoamericana: sus origenes, sus costos, sus consecuencias. Fondo Editorial de Cultura Económica S.A., Lima. 253p. 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Universidad de Lima. 218 L'Union européenne et le Mercosur, deux voies spécifiques d'intégration et d'insertion dans la mondialisation des activités L'Union européenne et le Mercosur, deux voies spécifiques d'intégration et d'insertion dans la mondialisation des activités Bernard Yvars Maître de Conférences Université Montesquieu - Bordeaux IV, CED-GRIEM INTRODUCTION Le caractère exportable du modèle européen d'intégration régionale soulève principalement deux questions : d'abord, l'identification des éléments transférables d'un processus intégrateur en cours d'approfondissement et ensuite, la capacité de la zone réceptrice à adopter un tel dispositif. L'Europe actuelle est une combinaison complexe de degrés différents d'intégration et ne constitue donc pas un modèle univoque. Le modèle communautaire étant à géométrie variable, il importe tout d'abord d'en déterminer la base transférable au regard de l'état des structures politiques, économiques et sociales des États membres de la zone d'accueil. Puis, le repérage des particularités locales et leur prise en compte doivent permettre d'envisager dans les domaines institutionnels, juridiques et économiques les adaptations utiles et leurs effets attendus. Dans les faits, l'exportation du modèle européen est entendue dans une acception très générale qui recouvre le transfert d'un modèle économique assez imprécis. En revanche, l'Union européenne affirme davantage à travers ce volontarisme d'exportation la nécessité d'un développement économique dans 219 Intégration régionale comparée un cadre respectueux de la démocratie et des droits de l'Homme. Son modèle est donc a priori plus institutionnel et politique qu'économique. L'Union européenne a essentiellement une composante institutionnelle et réglementaire et se caractérise par l'octroi à des organes communs de véritables pouvoirs de décision. Il existe une réglementation européenne directe par la voie de règlements. La Cour de Justice des Communautés Européennes est une instance juridique commune de nature à freiner les risques de réversibilité du processus d'intégration de l'Union européenne (instance juridique représentant un ordre supérieur à un organe bureaucratique composé de fonctionnaires publics et même à une réunion politique au sommet (ou de haut niveau). Néanmoins, il existe une spécificité du mode de développement économique communautaire dont on peut montrer qu'il présente deux composantes : - une composante ancienne et transférable correspondant à la phase d'union douanière de la CEE que l'on peut qualifier de phase élémentaire du processus d'intégration régionale ; - une composante récente mais non transférable correspondant à l'union monétaire, c'est-à-dire à un degré approfondi et spécifique du processus d'intégration régionale européen. Des ensembles régionaux en cours de constitution comme le Mercosur semblent se construire par référence à un modèle européen institutionnel et réglementaire. En réalité, sur ce point, le transfert est très élémentaire et plutôt adapté aux exigences d'un accord préférentiel. Le processus économique d'intégration est lui-même très spécifique puisqu'il concerne des économies en développement qui ont une tradition forte de protectionnisme. Dès lors, dès la première étape de l'intégration, c'est-à-dire la réalisation de la libre circulation des produits, des difficultés importantes peuvent apparaître, a fortiori s'il existe 220 L'Union européenne et le Mercosur, deux voies spécifiques d'intégration et d'insertion dans la mondialisation des activités une forte hétérogénéité des régimes de change des Etats membres. I - Une forte spécificité de l'approfondissement du processus européen d'intégration Dans la phase initiale du processus d'intégration économique de la Communauté européenne, certains dispositifs caractéristiques d'une zone d'intégration régionale en cours de constitution peuvent apparaître transférables : c'est notamment le cas du cadre réglementaire constitutif d'une zone libreéchange ou d'une union douanière. Cette phase correspond à une époque où les États européens connaissaient des disparités économiques nationales significatives, c'est-à-dire des chocs plutôt différenciés par nations que par régions (1). Le gain de l'intégration économique repose principalement sur le développement des échanges commerciaux qu'il est aisé de promouvoir par un démantèlement d'obstacles commerciaux nettement visibles (tarifs douaniers relativement élevés et contingents). C'est aussi à cette époque que débute la mise en œuvre de la politique commune la plus significative : la politique agricole commune. Cette dernière va bénéficier de l'accord des États-Unis qui accepteront momentanément le protectionnisme agricole européen, se contentant d'exiger le maintien de certains débouchés traditionnels sur le marché communautaire. Dès le départ, la construction communautaire s'appuie sur une politique générale de marché tempérée par l'affirmation de prérogatives du Centre exprimées notamment par la politique agricole commune. 1 - Un élément majeur de transférabilité : la logique de marché de l'Union douanière européenne On sait que la théorie des unions douanières établit qu'une des 221 Intégration régionale comparée conditions pour que le bien être net d'une union douanière soit positive (création de trafic l'emportant sur le détournement de trafic) est que les économies des États membres doivent être effectivement concurrentielles avant l'union douanière mais potentiellement complémentaires une fois l'union douanière réalisée. En effet, la création de trafic exige initialement une production protégée et les structures de production des deux économies doivent donc du fait des protections douanières réciproques, sembler à peu près identiques avant la formation de l'union douanière : elles doivent donc apparaître effectivement concurrentielles. Cependant, chaque membre doit aussi être le producteur le plus efficace des biens qui sont protégés et produits de façon inefficace par son partenaire ; cette condition garantit que dans l’union douanière, il y aura création de trafic plutôt que détournement. Le respect d'une telle contrainte exige l'existence d'échanges de produits similaires différenciés entre nations de l'union ; par conséquent, une union douanière a d'autant plus de chance d'engendrer des gains réciproques pour les Etats qui la composent que leurs économies se situent à des niveaux proches de développement économique. La croissance de l'échange intra - branche rend compte du degré de proximité des structures productives des Etats membres, encore faut-il pouvoir le mesurer avec une précision suffisante ! La modification de cadre réglementaire réalisée dans la phase de l'union douanière européenne a été rapidement menée à son terme au 1er janvier 1968. A cette date, il existait une union douanière pour les produits industriels et un marché unique pour les produits agricoles (2). Bien entendu, une évolution aussi radicale des règles régissant les échanges est supportable par des économies développées. En 222 L'Union européenne et le Mercosur, deux voies spécifiques d'intégration et d'insertion dans la mondialisation des activités revanche, elle l'est moins (3) pour les pays en développement et la libéralisation progressive des échanges est sans doute la solution la plus appropriée (libéralisation commerciale unilatérale, listes de produits dérogatoires, clauses de sauvegarde…) (4). Quant à la principale politique commune, la PAC, elle ne peut être aujourd'hui un modèle pour aucun des groupements régionaux pour les raisons suivantes : - la PAC originelle a été démantelée par la réforme européenne de 1992 et les accords de l'Uruguay round ; la phase suivante négociée dans le cadre de l'OMC, à l'issue de l'expiration de la clause de paix, doit aboutir à ce que le marché agricole européen soit guidé par les prix internationaux. - les aides directes qui dans l'Agenda 2000, compensent partiellement la baisse des prix de soutien, ne sont pas prévues pour les agriculteurs des pays de l'Est qui vont entrer prochainement dans l'Union européenne. Le sort de ces aides semble scellé : elles seront découplées des quantités produites sur le modèle américain. Par conséquent, la politique agricole commune ne peut plus servir d'exemples aux expériences extra - européennes d'intégration économique. Les autres politiques communes telles que la politique de la concurrence exigent un minimum de fonctionnement intégré du marché intérieur (disparition intra zone des droits de douane et des contingents), sinon elles deviennent inapplicables. Disons tout de suite que de nombreuses expériences régionales n'ont pas pour objectif la construction d'une zone très intégrée avec des politiques communes (degré d'intégration correspondant à un marché commun ou à une union économique) mais visent à développer le commerce intra zone (logique d'intégration selon l'Alena). La réalisation de l'union monétaire 223 Intégration régionale comparée européenne semble donc représentée a priori un processus non susceptible d'être accueilli ailleurs. Cette construction, qui n'est d'ailleurs pas consolidée, présente une forte spécificité qui en limite son caractère transférable. 2 - L'Union monétaire européenne : un processus tout à fait spécifique Sur une longue période, les conditions de production ont favorisé les régions du Nord et du Centre de l'Union européenne, les forces centripètes engendrant un effet cumulatif de concentration géographique du secteur industriel. La construction communautaire a ainsi abouti à une concentration des activités à rendements croissants dans la banane bleue. Ce phénomène a été favorisé par des coûts de transport faibles et un degré d'économies d'échelle et une dépense en biens industriels forts. Et toute politique d'intégration régionale ayant pour but la réduction des coûts de transport ou plus généralement, les coûts d'interactions dans les échanges de biens industriels a conduit à une relation Centre - Périphérie favorable à la région développée. La réalisation de l'Union monétaire est donc de nature à accroître la divergence régionale en renforçant l'avantage économique des zones les plus riches. Les écarts européens de productivité entre régions riches et pauvres vont conforter la captation de ressources au profit des centres développés de l'Union monétaire. Cette éventualité est d'autant plus plausible que la réalisation d'infrastructures de réseaux (parfois avec le concours des fonds communautaires) permet de désenclaver les zones relativement moins favorisées de l'Union européenne. Aujourd'hui, on constate aussi la possibilité d’exploitation hors de l'Union monétaire, de différences de coûts relatifs de facteurs de nature à favoriser l’affirmation d’une division verticale régionale du travail (DVRT). En effet, l’existence de deux types de politiques économiques pour les "Ins" (politique rigoureuse) et pour les "Pré-ins" ou les 224 L'Union européenne et le Mercosur, deux voies spécifiques d'intégration et d'insertion dans la mondialisation des activités pays de l'Est (politique plus souple d’ajustement structurel) peut favoriser les délocalisations à la périphérie dans le second ou troisième cercle des pays européens. Il existe alors un danger d'affaiblissement économique de la zone comprise entre les régions riches de l'union monétaire et les territoires hors de l'union monétaire qui, tous deux, bénéficieraient de forces économiques centripètes. a - Des chocs asymétriques induits par des effets d'agglomération L'intégration et la diversification des économiques constituent des facteurs de réduction de la vulnérabilité d'une union monétaire à des chocs asymétriques. L'OCDE distingue trois grands vecteurs d'intégration économique : l'interdépendance commerciale, l'intensité des échanges intrasectoriels et les facteurs de rapprochement des revenus. Au cours des vingt dernières années, ces trois facteurs ont favorisé une synchronisation accrue des cycles européens de la conjoncture. La recherche de la convergence nominale par les critères de Maastricht a aussi contribué au rapprochement macroéconomique des pays de la zone euro. P.R. Krugman a soutenu que l'approfondissement de l'intégration pouvait conduire à une spécialisation plus poussée et rendre les régions de l'Union monétaire plus sensibles à des chocs asymétriques (5). L'existence de rendements croissants permet d'expliquer l'apparition de dynamiques de divergence régionale engendrant une agglomération des activités économiques. L'exploitation d'économies d'échelle induites par le décloisonnement des marchés conduit les entreprises à concentrer leur production. L'intégration commerciale en diminuant les coûts de transaction 225 Intégration régionale comparée entre régions facilite un tel processus. Au niveau de l'Union européenne, l'achèvement du marché intérieur a engendré des effets de concentration : la part de marché détenue par les quatre premiers producteurs tous secteurs confondus est passée de 20,5% à 22,8% entre 1987 et 1993. Dans les activités à forte intensité en recherche - développement, la progression est encore plus nette puisque le taux de concentration passe de 32,9% à 38,9% sur la même période. Ce processus contribue à la poursuite de la polarisation géographique de la production. L'existence d'un échange intra - branche vertical important et en croissance entre les pays de l'Union monétaire révélée par les analyses récentes de L. Fontagné, M. Freudenberg et N. Péridy (6) montre que la réalisation du marché unique a engendré des écarts de qualité productive, source d'ajustements socialement coûteux. L'analyse des échanges commerciaux qui présentait l'Europe comme un ensemble d'États aux structures industrielles diversifiées, doit être nuancée. En effet, les pays européens se caractérisent par des structures productives diversifiées mais spécialisées selon des échelles technologiques et de qualité. La conséquence de cette situation est que les régions européenne seraient plus spécialisées que les nations et ceci, de façon croissante avec l'approfondissement du processus intégrateur européen. Même si la spécialisation entre États membres ne s'est pas approfondie, à l'intérieur des États, les écarts régionaux se sont accentués, engendrant une divergence que les mécanismes de marché de l'Union monétaire ne résorberont pas, d'où une spécialisation spatiale accrue et une vulnérabilité aux chocs asymétriques. On sait aussi que la variabilité de l'inflation a toujours été plus importante que la variabilité de la croissance de la production dans la plupart 226 L'Union européenne et le Mercosur, deux voies spécifiques d'intégration et d'insertion dans la mondialisation des activités des pays européens. Avec une politique monétaire commune dans l'UEM, la variabilité de l'inflation entre les régions devrait encore diminuer alors que les fluctuations de la production entre régions pourraient augmenter en raison de la perte de l'instrument du change comme moyen d'ajustement intracommunautaire. Un tel scénario serait source de difficultés pour les États membres concernés, d'autant plus que l'accentuation de la variabilité de la production en présence de marchés du travail insuffisamment flexibles (cas des régions périphériques) peut engendrer des effets d'hystérèses et conduire à des pertes de production encore plus significatives. La différenciation spatiale de l'Union monétaire semble donc appelée à s'approfondir, ce qui engendre un coût de fonctionnement de l'union monétaire (coût qui ne remet pas en cause la viabilité de l'Union monétaire). b - De nouvelles asymétries induites par la mutation de la politique européenne de cohésion Les insuffisances de résultats de la politique régionale européenne dans les zones en retard de développement ainsi que la plausibilité d'un coût relativement élevé du prochain élargissement font apparaître un décalage important entre, d'une part, les besoins de financement de la cohésion économique et sociale et, d'autre part, les moyens disponibles à cette fin. Implicitement, l'Agenda 2000 définit un programme d'actions structurelles pour la période 2000 -2006 dont la vocation semble être de façon prioritaire le sauvetage des régions à potentialité de développement, qu'elles appartiennent à l'Union européenne à Quinze ou aux pays actuellement candidats à l'adhésion. De ce point de vue, la réforme actuelle des fonds structurels semble marquer une rupture avec les politiques antérieures parce qu'elle va donner une nouvelle 227 Intégration régionale comparée priorité au mode de croissance polarisée. En réduisant la part de la population concernée par les dépenses structurelles au titre des objectifs 1 et 2, cette réforme va limiter un saupoudrage des interventions que la réforme des fonds structurels de 1988 n'avait pas éliminé : l'effort de cohésion se ralentit et se concentre au cours de la période 2000-2006. L'Union européenne poursuit son action traditionnelle d'aide aux zones déshéritées pour soutenir le développement local, en particulier dans les pays du Fonds de cohésion. Les zones urbaines de Porto ou de Barcelone, par exemple, sont des mégapoles à orientation économique européenne et internationale. Elles bénéficient d'effets directs (ou induits) de la politique de cohésion communautaire dans la péninsule ibérique, ce qui favorise leur intégration à l'économie d'archipel (nouveau mode de croissance polarisée) et réduit leur intégration locale avec une distension progressive des liens antre la ville et son espace environnant. De la même façon, les pays de l'Est candidats à l'adhésion, situés aux frontières de la banane bleue, sont une composante prioritaire de ce nouveau type de croissance. Un tel modèle de développement risque d'être porteur d'effets de stoppage et d'accroître la divergence régionale avec l'apparition de phénomènes identiques de polarisation urbaine et de désertification relative des espaces environnants. De ce fait, les régions en retard de développement de l'actuelle Union européenne et les régions déshéritées des pays de l'Est sont concernées par une composante similaire de sous-emploi, c'est-à-dire résultant d'un affaiblissement économique des régions périphériques au profit des grandes agglomérations à vocation européenne et internationale. Il apparaît donc une généralisation d'un type de chocs asymétriques induits par la métropolisation des activités. Ce phénomènes est probablement durable parce qu'il se manifeste dans un contexte d'effacement des politiques nationales d'aménagement du territoire. 228 L'Union européenne et le Mercosur, deux voies spécifiques d'intégration et d'insertion dans la mondialisation des activités c - Réduction des écarts nationaux et accroissement des écarts régionaux dans l'Union européenne La lutte contre les inégalités régionales constitue aujourd'hui le deuxième poste du budget général de l'Union européenne avec un tiers des dépenses derrière le financement de la politique agricole commune. De 1950 à 1990, un processus de convergence s'est manifesté dans la CEE puisque les régions à revenu initial par habitant plus bas ont connu un taux de croissance plus rapide que les autres (réduction d'environ 2 % par an de l'écart de revenu). Cette convergence du revenu par habitant s'est ralentie au début des années 80 et s'est établie à 1,3% par an entre 1978 et 1992. Aujourd'hui, elle se poursuit entre États membres alors qu'elle se réduit entre régions riches et régions pauvres d'un même pays. Il apparaît une situation où dans les pays relativement pauvres, seules les régions riches bénéficient d'un processus de convergence avec les pays européens les plus développés. Toutefois, les politiques régionales tentent de freiner la divergence spatiale : parmi les trois grands domaines d'interventions communautaires (infrastructures, aides aux investissements, politiques de l'emploi), les infrastructures publiques, en particulier de transport, constituent le premier poste des dépenses régionales (30% du budget général et 60% du Fonds de cohésion). Quel en est l'impact ? Il est positif sur l'investissement privé et la croissance économique. Mais P. Martin et C. Rogers ont montré que les effets des infrastructures publiques sont très différents selon qu'elles facilitent le commerce intra-régional ou le commerce inter-régional. Ce n'est que dans le premier cas qu'elles peuvent attirer des entreprises dans les régions pauvres en augmentant la demande et la taille du marché local. En revanche, s'il existe 229 Intégration régionale comparée déjà des mécanismes d'agglomération, l'amélioration de l'attraction des régions pauvres n'aura pas d'effet sur la localisation des entreprises ; au contraire, en cas d'infrastructures favorisant le commerce inter - régional, la délocalisation dans les régions riches peut devenir avantageuse tout en exportant dans les régions pauvres avec lesquelles le commerce est facilité. Les unions monétaires abaissent les coûts de transaction et engendrent des hausses d'efficacité au bénéfice des régions riches. La réalisation de l'Union monétaire européenne peut contribuer à l'accentuation des inégalités régionales alors que les écarts entre États membres poursuivront leur réduction. Même si les chocs asymétriques peuvent être relativement insensibles à un niveau agrégé, c'est-àdire celui d'un État (Italie, Espagne ou France), en revanche, ils peuvent être plus coûteux pour les régions périphériques en retard de convergence réelle (Mezzogiorno, Andalousie, Languedoc - Roussillon…). Dans ce cas, avec une zone monétaire optimale à la Mundell, il importe de savoir si respectivement la Lombardie, la Catalogne ou l'Île de France sont en mesure de résorber les coûts sociaux des chocs asymétriques périphériques, c'est-à-dire d'absorber l'excédent de main-d'œuvre pour éviter la hausse durable du chômage régional. Au début des années 90, M. Feldstein soulignait que les différents États de l'Union européenne étaient exposés à des chocs sensiblement différents en raison des disparités dans les gammes de produits fabriqués, dans leur dépendance énergétique et dans les marchés étrangers vers lesquels ils exportaient (7). Mais pour J.A. Frankel et A. K. Rose, l'intégration réelle contribue généralement à renforcer le degré de symétrie des chocs avec une accentuation de l'échange intra - branche, ce qui constitue un argument pour la réalisation de l'union monétaire (la flexibilité des taux de change augmentant la spécialisation et le risque de chocs asymétriques). Avec le passage à la 230 L'Union européenne et le Mercosur, deux voies spécifiques d'intégration et d'insertion dans la mondialisation des activités monnaie unique, l'échange inter - branche devrait encore régresser malgré des effets accrus d'agglomération alors que l'échange intra - branche différencié verticalement devrait croître plus rapidement que le commerce en différenciation horizontale. Une conséquence néfaste peut en résulter : l'apparition d'un risque accru de chocs asymétriques dans les pays du Sud de l'Europe alors que l'on ne dispose pas des instruments budgétaires pour les traiter. S. de Nardis, A. Goglio et M. Malgaranis ont étudié le degré de symétrie des chocs nationaux et régionaux : la dispersion de la production industrielle est plus forte entre régions qu'entre États et, à l'inverse des chocs nationaux en phase entre pays européens, les chocs régionaux sont fortement asymétriques (8). Cela s'explique par le fait qu'au sein d' États membres aux structures productives diversifiées (mais spécialisées selon des échelles technologiques et de qualité), les régions européennes apparaissent plus spécialisées que les nations de façon croissante au cours du processus d'intégration. Sur une longue G ra p h iq u e 1 - C o rré la tio n d 'a c tivité s e n tre le s ré g io n s e u ro p é e n n e s 1 9 7 6 1992 0 ,9 0 ,8 Valeur du coefficient de corrélation 0 ,7 0 ,6 0 ,5 0 ,4 0 ,3 0 ,2 0 ,1 0 A lle m a g ne (8 ré g ion s ) Ita lie (1 1 rég io n s) N a tio n (1 9 7 6-1 9 7 9 ) F ra n c e (8 ré g io ns ) C E E à 1 2 (1 9 7 6 -1 97 9 ) 231 R o ya um e -U ni (1 ré g io n ) N a tion (1 9 7 9-19 9 2 ) E n s em b le (38 ré g ion s ) C E E à 1 2 (19 7 9 -1 9 92 ) Intégration régionale comparée période (1960- 2000), on peut relever une certaine convergence des régions européennes (9). Mais ce processus s'est atténué dans les années 80 avec des disparités de revenus en régression entre États membres mais en augmentation entre régions d'un même pays. Un tel phénomène est particulièrement perceptible en Espagne et au Portugal avec les régions de Barcelone ou de Porto qui se développent au détriment des régions voisines…Le graphique 1 ci-dessous atteste de cette réalité. L'existence des chocs asymétriques en Europe soulève la question de la stabilisation économique des régions en difficulté en l'absence d'un budget fédéral (10). La création de fonds nationaux de stabilisation constitue une voie qui vient d'être empruntée par la Finlande qui a décidé de se doter d'un fonds de stabilisation destiné à amortir les chocs économiques (novembre 1997). Cet instrument de stabilisation présente l'avantage de contourner la contrainte du Pacte de stabilité et de croissance parce que le fonds est indépendant du budget des administrations publiques. Cette solution présente l'inconvénient de ne pas être communautaire : elle traduit un recul de la solidarité inter - étatique et représenter un frein à l'unification politique de l'Europe. Le développement du régionalisme dans la période contemporaine semble davantage s'inspirer de deux modèles (celui de l'Union européenne et celui de l'ALENA) que du schéma réticulaire d'intégration régionale spécifique à la zone asiatique. L'UEM, dernière étape de l'intégration économique régionale européenne, va nécessiter un cadre fédéral de fonctionnement pour être pleinement efficace. L'Alena apparaît comme un processus d'intégration minimaliste assez proche dans son esprit des accords bilatéraux du XIXème 232 L'Union européenne et le Mercosur, deux voies spécifiques d'intégration et d'insertion dans la mondialisation des activités siècle : il précède le multilatéralisme, incarné par l'OMC plutôt qu'il ne le contourne. Autrement dit, l'Alena est le vecteur de la mondialisation des activités. La constitution de zones d'intégration régionale inspirée de ce modèle va obéir à un objectif de développement des échanges par la suppression des obstacles tarifaires et non tarifaires au commerce ; cette logique libre échangiste, qui est aussi celle de l'OMC, doit permettre d'aboutir à un espace économique décloisonné. Les pays du Mercosur, qui semblent vouloir construire un processus d'intégration économique similaire à celui de la Communauté européenne, sont en réalité partagés entre la tentation régionale forte et celle de la mondialisation, incarnée par le projet américain de zone hémisphérique de libre-échange. Par rapport à l'intégration communautaire européenne, le Mercosur présente à la fois des convergences (relativement faibles) et des divergences (plus nettes). II - Convergences et divergences du Mercosur par rapport à l'expérience européenne d'intégration L'article premier du traité d'Asunción qui, le 26 mars 1991, crée le Mercosur, prévoit que le nouvel ensemble reposera sur la libre circulation des biens et facteurs, sur un tarif extérieur commun et sur l'adoption d'une politique commerciale commune vis-à-vis des pays tiers. De plus, la coordination des politiques macro-économiques et sectorielles est envisagée. La période transitoire a été accélérée afin que l'ouverture du marché interne entre en vigueur le 1er janvier 1995. En décembre 1994, à la conférence d'Ouro Preto, le Mercosur acquiert ses traits fondamentaux actuels où l'on peut distinguer des dispositions se rapprochant de celles en vigueur dans l'Union européenne . 233 Intégration régionale comparée 1 - L'existence de facteurs de convergence avec l'Union européenne Il s'agit principalement de convergence institutionnelles qui rappellent le fonctionnement de la Communauté européenne à ses débuts. Néanmoins, le degré de contrainte qui peut s'exercer sur un État membre est relativement plus faible. a - Une convergence institutionnelle partielle : démocratie et règle de l'unanimité Dans le Mercosur, les Etats membres optent pour un modèle intergouvernemental, les positions communes restant donc dépendantes de la volonté de chaque nation. Si le Brésil, partenaire le plus important, souhaite une évolution vers une forme de supranationalité, il se heurtera à une difficulté constitutionnelle. En effet, sa constitution - tout comme celle de l'Uruguay - ne permet la négociation d'accords de coopération que dans le cadre de l'Amérique latine. Au contraire, le Paraguay et l'Argentine, qui ont réformé leur Constitution respectivement en 1992 et 1994, peuvent participer à des organismes supranationaux. Du point de vue juridique, le Mercosur fonctionne selon les règles classiques du droit international public et privé. Des comparaisons avec la création et la construction juridiques sui generis de la CEE et de l'Union européennes ne peuvent être qu'approximatives (11). La prise de décision se fait par consensus et en présence de tous les Étatsmembres. Les textes fondateurs du Mercosur définissent un régime intergouvernemental et non pas supranational, ce qui engendre naturellement une certaine lenteur et rigidité. Les institutions du Mercosur se rapprochent de 234 L'Union européenne et le Mercosur, deux voies spécifiques d'intégration et d'insertion dans la mondialisation des activités celles de la Communauté européenne mais n'ont aucun rôle supranational. Et surtout, il n'existe pas l'équivalent de la Cour de Justice des Communautés Européennes pour asseoir une législation régionale. La carence institutionnelle la plus décriée est sans doute l'absence d'un mécanisme de résolution des conflits (insuffisance du protocole de Brasilia de 1992 ou de l'annexe du protocole d'Ouro Preto de 1994), le Brésil y étant opposé (12). Il apparaît clair que sans institution dotés de prérogatives propres, non soumises à la règle de l'unanimité, et sans réglementation communautaire contrôlée, le processus intégrateur ne pourra pas s'approfondir. De plus, si cette entité est partagée entre la volonté de resserrer les liens entre ses seuls membres et la possibilité de s'élargir à l'ensemble du souscontinent, le Mercosur doit aussi compter avec une troisième voie : celle prônée par les États - Unis qui souhaitent la création d'une zone de libreéchange hémisphérique de l'Alaska à la Terre de feu. Si celle-ci prévalait, les marges d'autonomie expérimentées ces dernières années face à ce pays s'amenuiseraient et, après le Mexique, l'ensemble de l'Amérique latine devrait accepter une détermination économique impulsée par les États - Unis dans un contexte de régionalisme ouvert où l'Alena est le vecteur de la mondialisation des activités. b - Un bilan nuancé de l'organisation inter - gouvernementale Dans la construction du Mercosur, les États jouent un rôle double et contradictoire. Ils mettent en place les mécanismes institutionnels et fixent leurs contours. Ainsi, une commission du commerce est créée, accueillant également les syndicats patronaux, mais ses décisions peuvent faire l'objet du 235 Intégration régionale comparée veto de l'un quelconque des gouvernements. Le Forum économique et social, où se trouvent les représentants des consommateurs, de la société civile et des syndicats des travailleurs, dispose d'un pouvoir consultatif et ne peut émettre que des recommandations. On peut ajouter que dans l'architecture libérale qu'est le Mercosur, toute intervention publique est exclue, contrairement à l'expérience de la Communauté européenne. Les politiques communautaires de soutien aux régions en retard de développement ou aux secteurs industriels en difficulté… ne sont pas autorisées. Sont aussi par avance proscrits des programmes de reconversion industrielle, de recherche technologique ou de développement régional du type de ceux en vigueur dans l'Union européenne. Seul le marché doit désigner les gagnants et les perdants au sein de l'union douanière en cours de constitution. Cependant, les organisations syndicales des États membres appuient ce projet d'intégration régionale, en réclamant simplement des ajustements et une participation effective de leur part. Elles veulent agir pour un Mercosur social et demandent l'augmentation des salaires, la reconnaissance des droits sociaux et la liberté de circulation des travailleurs (13). Des résistances à ce projet se manifestent dans certains secteurs agricoles brésiliens ou paraguayens. Toutefois, le Mercosur a fait progresser les coopérations à d'autres échelons : en effet, malgré une centralisation administrative poussée, des gouverneurs provinciaux, et même des maires, ont conclu avec leurs homologues d'autres États membres des documents officiels difficiles à caractériser dans le droit international public traditionnel (14). En outre, des progrès ont été réalisés dans certains domaines, comme celui de la coopération judiciaire. Les évolutions entraînées affectent également les "petits pays" du 236 L'Union européenne et le Mercosur, deux voies spécifiques d'intégration et d'insertion dans la mondialisation des activités Mercosur : ainsi, le Paraguay et l'Uruguay se voient contraints d'abandonner leur traditionnelle stratégie d'équilibre entre les deux géants régionaux que sont l'Argentine et le Brésil. Enfin, l'intégration économique doit s'effectuer dans le cadre des normes de la démocratie représentative. Ainsi, le Paraguay n'a pu accéder aux négociations qu'après avoir souscrit aux règles minimales de l'ordre institutionnel. Plus tard, après la tentative de prise de pouvoir du général Oviedo à Asunción, en avril 1996, le Mercosur s'est doté d'une clause démocratique prévoyant la suspension d'un membre dont le gouvernement attenterait à l'Etat de droit. Lors de cette tentative, l'Argentine et le Brésil appuyés par les États- Unis - ont pratiqué une ingérence ouverte dans les affaires intérieures de leur voisin et associé et ont ainsi mis en échec la tentative de l'officier séditieux. Il s'agit là d'un rôle politique efficace exercé par l'organisation inter- gouvernementale. Cependant, condamnée à fonctionner avec la règle de l'unanimité, elle ne peut qu'être un frein à l'approfondissement de l'intégration économique : l'expérience européenne le montre sans ambiguïté. 2 - L'existence de facteurs économiques de divergence Ils sont les plus importants. Le Mercosur est un marché relativement étroit en cours de constitution d'une union douanière qui pour l'heure est encore incomplète. De plus, ce marché se caractérise par le paradoxe brésilien : avec un niveau de vie deux fois moins importants que celui de l'Argentine, le Brésil a une capacité productive deux fois plus élevées que son voisin argentin. Enfin, l'existence du projet américain de zone hémisphérique de libre-échange est de nature à représenter une alternative aux difficultés internes de l'intégration du Mercosur. 237 Intégration régionale comparée a - Une divergence économique majeure : l'étroitesse d'un marché intérieur insuffisamment décloisonné A l'instar de la phase européenne d'union douanière qui a vu les échanges intra-zone considérablement progresser, la libéralisation (certes incomplète) du commerce intra-Mercosur a engendré une augmentation très forte des échanges entre les États membres. Le 1er janvier 1995, l'union douanière du Mercosur se met en place : c'est une zone imparfaite de libreéchange dans la mesure où la libre circulation interne des biens et services n'est pas achevée et où l'application de la protection extérieure commune (plus précisément le tarif extérieur commun) rencontre un certain nombre de dérogations d'application. En effet, il subsiste des entraves au commerce intra zone surtout dans le cas du Mercosur où le degré de protectionnisme interne est très présent tant en ce qui concerne les États membres que les pays tiers : contingents, listes d’exceptions, régime d’adéquation, règles d’origine, clauses de sauvegarde. Il existe aussi d'autres obstacles non tarifaires au commerce qui affectent le dynamisme des échanges (normes de sécurité et de protection de l’environnement, exigences sanitaires…) et pour lesquels existe une lent travail d’harmonisation (15). Toutefois, dès l’entrée en vigueur du traité d’Asuncion, les échanges intra - zone enregistrèrent une augmentation rapide et constante qui s’explique par la diminution des tarifs douaniers ainsi que par l’augmentation des investissements croisés entre pays. Naturellement, cette progression est la plus rapide et la plus significative entre le Brésil et l'Argentine. Les flux commerciaux - 2 milliards de dollars en 1990 - sont multipliés par six en 1996. Pendant la même période, les échanges du Brésil avec les États - Unis sont passés de 12 milliards de dollars à 21 milliards. Mais 238 L'Union européenne et le Mercosur, deux voies spécifiques d'intégration et d'insertion dans la mondialisation des activités depuis 1995, la balance commerciale brésilienne est en constant déficit. Du côte argentin, la dépendance à l'égard du marché brésilien s'accroît (environ 30 % du total des exportations concernent le marché brésilien). De ce fait, la baisse de la valeur du real peut entraîner des pertes de marché significatives pour les exportateurs argentins. En 1999, il se produit une contraction de 25 % des ventes de l'Argentine au Brésil, situation consécutive à la dévalorisation du real. La même année, les exportations en direction des pays du Mercosur baissent de 25% et les importations, elles - aussi, diminuent de 21 %. Cependant, la balance commerciale de l'Argentine avec le Mercosur dans son ensemble demeure positive (excédent de 750 millions de dollars en 1999 contre un excédent de 1,485 milliard de dollars en 1998). Depuis l'entrée en vigueur de l'accord du Mercosur, en ce qui concerne le commerce intra-zone, la structure des exportations brésiliennes apparaît relativement figée alors que l'on peut noter une évolution plus forte en ce qui concerne la structure des importations de ce pays, ce qui témoigne d'une vulnérabilité plus importante du Brésil à l'importation, comme l'atteste son évolution défavorable du solde commercial extérieur. Malgré la croissance des échanges, la libre circulation prévue par le traité d'Asunción n'est toujours pas complètement en place car elle implique l'instauration d'une zone de libreéchange, préalable à une union douanière matérialisée par un tarif extérieur commun. A Ouro Preto, en décembre 1994, fut décidée une deuxième période transitoire protégeant jusqu'à l'an 2005 dans les secteurs sensibles, environ 300 produits par pays. La politique commerciale commune, avec un tarif extérieur commun, rencontre quelques exceptions. Plus de 80 % des biens échangés sont concernés par un libre-échange interne au Mercosur et par des tarifs douaniers identiques vis - à - vis des pays tiers. De ce fait, on n'est pas en présence d'une 239 Intégration régionale comparée union douanière complète stricto sensu. Cette situation des échanges intra zone peut inspirer deux commentaires : - D'abord, l'élimination nécessairement progressive des obstacles aux échanges intra - zone est un facteur de viabilité de la zone commerciale. En effet, J. de Melo, à propos des zones d'intégration régionale de la seconde génération concernant principalement des pays en développement d'Amérique latine, d'Afrique ou d'Asie, considère qu'il convient de juger avec prudence ces accords (16). En effet, les avantages risquent d'en être très limités et les coûts s'avérer élevés si les dispositif réglementaires mis en place ne s'appuient pas suffisamment sur des mesures de libéralisation commerciale unilatérale. Il apparaît donc indispensable d'éviter la modification généralisée du cadre réglementaire de la zone d'intégration régionale. Il semble que c'est cette voie d'adaptation progressive que suivent les pays du Mercosur en mettant en pratique un modèle d'union douanière imparfaite. - Ensuite, l'évolution erratique (et parfois de grande ampleur) des taux de change intra - zone est un puissant facteur de désintégration commerciale. L'existence d'un étalon-dollar argentin et d'une dévaluation - parfois forte- du real brésilien soulève la question de l'opportunité de construction d'un système monétaire du cône sud. En cas de crise cambiaire importante, l'Argentine ne pourra vraisemblablement pas maintenir son système de currency board. En raison de leur degré d'endettement et des conditions très évolutives de leurs Graphique 2 - Evolution de la dette externe globale dans le Mercosur En millions de dollars emprunts extérieurs, ces deux pays peuvent 1990 - 1999 rencontrer de sévères crises de 400000 change (graphique 2). L'endettement des deux principaux pays du Mercosur 350000 s'est élevé considérablement au cours de la dernière décennie. Le seuil 300000 d'endettement supportable mesuré par le ratio dettes / exportations se détériore 250000 pour le Brésil et l'Argentine sur la période 1990 - 1999. 200000 150000 100000 50000 0 1 2 3 Argentine 240 Brésil 4 Mercosur 5 L'Union européenne et le Mercosur, deux voies spécifiques d'intégration et d'insertion dans la mondialisation des activités Le Mercosur ne pourra donc pas poursuivre son intégration commerciale sans mécanisme de stabilisation des taux de change. De ce point de vue, l'expérience européenne est riche d'enseignements avec la mise en place du SME à la suite de l'échec du serpent monétaire. Ce dispositif minimal a permis de sauvegarder l'intégration commerciale malgré quelques distorsions en ce qui concerne les activités agricoles (effets pervers des montants compensatoires monétaires). b - Des écarts de convergence économique Le Mercosur doit gérer les asymétries internes entre les différents États membres. En 1995, le Brésil et l'Argentine représentent 97,2% du PIB sous régional (Brésil : 65,7% ; Argentine : 31,5% ; Uruguay : 1,5 % et Paraguay : 1,3 %). L'Argentine et le Brésil contribuent à concurrence de 98% à la Graphique 3 - Evolution du PIB PPA des deux grands pays le Brésil et l'Argentine production industrielle du et Mercosur de 93 %: au commerce total du Mercosur. Un écart 1000000 productif important existe aussi entre le Brésil et l'Argentine (graphique 3 ci900000 après). 800000 Em millions de dollars 700000 600000 Brésil Argentine 500000 400000 300000 200000 100000 0 1967 1970 1975 1978 1982 1985 1988 1989 1990 Années 241 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 Intégration régionale comparée G ra p h iq u e 4 - E vo lu tio n d u P N B p a r h a b itan t d u B ré s il et de l'Argen tin e (1990 -1996) En dollars constants 1990 7000 6000 5000 4000 3000 2000 1000 0 1990 1991 1992 A rgentine 1993 1994 B résil 1995 1996 An n ées M erc osur De plus, il est possible de distinguer une "banane bleue" au sein du Mercosur. En effet, entre Sao Paulo, Rio de Janeiro et Buenos Aires se trouve concentrer 60 % du pouvoir d'achat de toute l'Amérique latine. Un phénomène de polarisation de la richesse régionale (Brésil, Uruguay et Argentine) existe dans le Mercosur. En croisant la taille du marché (200 millions d'habitants dans le Mercosur) et le niveau de vie mesuré par le PIB par habitant, on peut mettre en évidence un segment significatif de marché à haut niveau de pouvoir d'achat. Au Brésil, environ 30 millions de personnes ont un pouvoir d'achat supérieur à 10 000 dollars (seuil de revenus à partir duquel les ménages sont acheteurs de biens durables). En Argentine, ce nombre s'élève à 6-8 millions. Le Mercosur contient donc un segment de consommation développée d'une taille comparable au marché espagnol (17). Une situation spécifique apparaît : le Brésil enregistre un PNB/habitant sensiblement inférieur à celui de l'Argentine (période 1990 - 1996). Le graphique 4 ci-dessous montre clairement cette disparité. De plus, l'évolution de cet indicateur de niveau de vie est en progression légère pour l'Argentine alors qu'elle est en quasi - stagnation pour 242 L'Union européenne et le Mercosur, deux voies spécifiques d'intégration et d'insertion dans la mondialisation des activités le Brésil. L'Argentine se caractérise par un pouvoir d'achat relativement plus élevé que le Brésil mais la faiblesse de la population concernée limite la capacité d'absorption du marché du Mercosur, en particulier pour le Brésil. En effet, en dépit de la relative faiblesse de son niveau de vie moyen, le Brésil présente un appareil productif dont les capacités sont supérieurs à celles de l'Argentine, son principal partenaire économique au sein du Mercosur. La valeur ajoutée par l'agriculture, l'industrie et les services sur la période 1990 -1996 est au Brésil presque le double de celle réalisée par l'Argentine (graphique 5). En millions de dollars 1990 Graphique 5 - Evolution argentine et brésilienne de la valeur ajoutée par activités (1990 -1996) 250000 200000 150000 100000 50000 0 1990 1991 1992 1993 1994 1995 Argentine VA par l'Agriculture Argentine VA par l'Industrie Argentine VA par les Services Brésil VA par l'Agriculture Brésil VA par l'Industrie Brésil VA par les Services 1996 Années Au total, il n'apparaît pas surprenant de constater que le Brésil ne réalise que 15 % de ses exportations à l'intérieur du Mercosur (18). 243 Intégration régionale comparée c - Le choix d'un régionalisme ouvert : modèle européen versus modèle américain Le Chili et la Bolivie ne font pas partie du Mercosur, mais un accordcadre a été signé avec ces deux pays respectivement en janvier 1995 et en décembre 1996. Il est notamment prévu une libéralisation progressive des échanges, l'octroi de préférences tarifaires, la réglementation des investissements... Par ailleurs, le Mercosur a signé un accord-cadre avec l'Union européenne en décembre 1995. Ces deux unions douanières sont décidées à coopérer formellement, ce qui soulève l'inquiétude des États-Unis. Le constat que les échanges effectués au sein du Mercosur progressent beaucoup plus vite que ceux réalisés avec le reste du monde engendre des critiques aux États-Unis et à la Banque mondiale où A. Yeats a mis en évidence d'importants détournements de trafic, ce qui contreviendrait de ce fait aux règles de l'Organisation mondiale du commerce (19). En fait, l'opposition des États - Unis s'appuie sur des considérations autant politiques que commerciales. En effet, ceux-ci veulent réaliser une zone de libre-échange hémisphérique à l'horizon 2005 (20), la date limite pour la création de l'Association de libre-échange des Amériques (ALCA). Cela impliquera l'élimination des tarifs douaniers protégeant les secteurs productifs latino-américains (il demeurera en place l'ensemble des obstacles non tarifaires aux échanges !). Le Brésil, dont l'industrie est jeune et encore fragile, possède un important marché intérieur. L'intégration à l'ALCA risque de conduire à une concurrence qui ne pourrait pas être supportée par de vastes secteurs de l'économie nationale. Les responsables brésiliens semblent donc plutôt 244 L'Union européenne et le Mercosur, deux voies spécifiques d'intégration et d'insertion dans la mondialisation des activités intéressés par un ensemble régional relativement fermé à court terme tel que le Mercosur. Ainsi, leurs intérêts nationaux seraient mieux préservés dans le Mercosur, où le poids de leur économie représente environ 70 % de l'ensemble du bloc alors que dans la future ALCA, celui-ci ne dépasserait pas 10 %. Cependant, le Mercosur, en dépit de la progression très forte des échanges commerciaux intra - zone, ne concerne qu'une faible part des échanges du Brésil. D'où une nouvelle manifestation du paradoxe brésilien : bien qu'il se pose comme son plus ardent défenseur, le Brésil est le pays le moins dépendant du Mercosur !!! Le problème d'un accès facilité à des marchés plus vastes est donc posé pour ce pays. Allié traditionnel des États - Unis depuis le milieu du XIXe siècle, le Brésil, qui affirme des ambitions régionales, manifeste des velléités d'indépendance économique peu appréciées par la superpuissance du nord du continent qui a proposé à l'Argentine le statut exceptionnel d'allié hors OTAN. Les réactions négatives à l'octroi d'un tel statut de la part du Brésil et du Chili avec lequel l'Argentine a un litige frontalier dans les Andes- montrent que le Mercosur est un ensemble régional fragile sur un plan politique. De surcroît, la faiblesse de ses institutions inter - étatiques n'est pas de nature à faciliter l'endiguement des tentatives de déstabilisation dont il peut être l'objet. Enfin, la position commerciale des Etats-unis dans le Mercosur tant en ce qui concerne les échanges que les investissements directs révèlent une compétition de plus en plus ouverte entre les Etats-Unis et l'Union européenne (graphiques 6 et 7). 245 Intégration régionale comparée G r a p h i q u e 7 - A v o i r s d ' I D E d e l ' U n i o n e u r o p é e n n e e t d e s E t a t s - U n is v i s - à - v i s d e s p a y s l a t i n o - a m é r ic a i n s - A n n é e 1 9 9 6 80000 1 8 0 0 0 B r é s il En m il li a rd 7 0 0 0 0 s d' Ec us 60000 1 6 0 0 0 En millions de dollars G r a p h iq u e 6 - C o m e r c e e x t é r ie u r d e l'A r g e n t in e e t d u a v e c le s E t a t s - U n is e t l'U n io n e u r o p é e n n e A n n é e s 1 9 9 5 e t 1 9 9 7 1 4 0 0 0 50000 1 2 0 0 0 40000 1 0 0 0 0 30000 8 0 0 0 20000 6 0 0 0 10000 4 0 0 0 0 B r é s il A r g e n t in e T o t a l A m é r i q u e l a t in e 2 0 0 0 U n io n e u r o p é e n n e E t a t s - U n is 0 Im p o r tU S A E x p o rtU S A A r g e n t in e - 1 9 9 5 Im A r g e n t in e - 1 9 9 7 B r é s il - 1 9 9 5 p o r tU E B r é s il - E x p o rt 1 9 9 7 L'Union européenne a une implantation plus forte que les Etats-Unis sur les marchés du Mercosur alors que la situation inverse prévaut pour les investissements directs. En effet, l'Amérique latine (et le Brésil en particulier) représentent un lieu d'implantation privilégiée du capital nord-américain. Compte tenu des projets de coopération inter - régionale exprimés par l'Union européenne et l'Alena, il n'est pas absurde d'envisager à terme un grand marché unique regroupant l'ALCA et l'Union européenne. Un tel résultat consacrerait l'implantation du modèle américain d'intégration régionale (zone de libreéchange), beaucoup moins contraignant à mettre en place qu'un modèle européen multidimensionnel. Pour conclure, J. Pelkmans indique qu'il existe une condition 246 U E L'Union européenne et le Mercosur, deux voies spécifiques d'intégration et d'insertion dans la mondialisation des activités dynamique de stabilité de l'intégration régionale qui réside dans la capacité de composer les trois fondements du dynamisme d'une construction communautaire:le renforcement des pouvoirs communautaires ; l'approfondissement du degré d'intégration et l'élargissement du nombre de participants à l'expérience régionale (21). La Communauté s'est toujours consacrée à la poursuite d'un ou deux de ces objectifs mais jamais les trois n'ont été poursuivis simultanément. Il est possible qu'agir simultanément dans les trois directions excède la capacité de tout accord d'intégration régionale La plupart des expériences d'intégration régionale dans le monde ne s'inscrivent pas dans une telle démarche. Dans le cas du Mercosur, la question du renforcement des pouvoirs communautaires ne se pose pas dans l'immédiat puisque cet ensemble régional requiert l'accord inter- gouvernemental. La construction de l'union douanière soulève de nombreuses difficultés, en particulier la suppression des protections des activités sensibles et les redoutables effets anti - commerciaux imputables à l'instabilité des taux de change. A court terme, un mécanisme de stabilisation des taux de change semble indispensable à la poursuite de l'expérience du Mercosur. Dans le cas contraire, le projet de zone hémisphérique de libre-échange pourrait constituer une alternative crédible, moyennant la négociation et l'obtention des clauses de sauvegarde appropriées (concessions dont l'obtention est relativement aisée). Notes : (1) Ces économies européennes sont néanmoins développées et ont débuté leur processus intégrateur dans un contexte international très favorable de croissance économique. L'existence de chocs nationaux correspond aussi à une situation que l'on peut rencontrer dans des économies en développement se regroupant en zone d'intégration régionale. 247 Intégration régionale comparée (2) Les marchés n'étaient pourtant pas complètement décloisonnés puisqu'ils persistaient de nombreuses entraves non tarifaires aux échanges. (3) Les expériences passées de zones d'intégration régionale regroupant des pays en développement le montrent sans ambiguïté. (4) C'est une voie que semble suivre le Mercosur. (5) P. R. Krugman, Lessons from Massachusetts for EMU, in F. Torres et F. Giavazzi Ed., Adjustment and Growth in the European Economic Union, Cambridge University Press, 1993. (6) L. Fontagné, M. Freudenberg, N. Péridy, Intra-industry trade and the single market : quality matters, CEPR Discussion paper, N° 1953, 1998. (7) M. Feldstein, UEM : un point de vue critique in Problèmes économiques, N° 2290, septembre 1992. (8) S. de Nardis, A. Goglio et M. Malgaranis, Regional Specialization and Shocks in Europe : Some Evidence from Regional Data, Weltwirtschaftliches Archiv, 132, (2),1996. (9) M. Sala-i-Martin, Regional Cohesion : Evidence and Theories of Regional Growth and Convergence, European Economic Review, vol. 46, N° 6, 1996). (10) Il existe aussi une thèse selon laquelle la règle de 3% de déficit public autorisé laisserait aux stabilisateurs automatiques une latitude suffisante pour fonctionner dans le sens contra - cyclique attendu (FMI, Commission européenne, OFCE). (11) R. Seitenfus, Acquis et dilemmes du Mercosur in Cahiers des Amériques latines, N° 27, 1998. (12) Informe Especial de IRELA, Las perspectivas de un acuerdo de libre comercio UE - Mercosur y las opciones para la politica de EU, IRELA, noviembre de 1999. (13) De ce point de vue, la demande d'un Mercosur social est de même nature que celle qui s'exprime dans l'Union européenne. (14) R. Seitenfus, déjà cité. (15) B. Yvars, Les relations commerciales Brésil - Argentine dans l'union douanière imparfaite du Mercosur, Document de travail du CED, N°43, 1999. (16) J. de Melo et alii, L'intégration régionale hier et aujourd'hui, Revue d'Economie du Développement, N°2, 1993. (17) O. de Boysson et ali, Le Mercosur : un moteur d'intégration régionale, Conjoncture, janvier 1998. (18 Le Mercosur est un marché de taille beaucoup plus petit que l'Alena (PNB de 833 milliards de dollars et 203 millions d'habitants contre un PNB de 7674 milliards de dollars et 381 millions d'habitants). (19) A. Yeats, Does Mercosur's trade performance raise concerns about the effects of regional trade arrangements?, The World Bank Economic Review, Vol. 12, N°1, 1998. (20) L'Europe s'est fixée un objectif similaire avec le Mercosur mais à l'horizon 2015. (21) J. Pelkmans, Comparando las integraciones economicas : prerequisitos, opciones e implicaciones, Centro de Formacion para la Integracion Regional, Montevideo, 1998. 248 L'Union européenne et le Mercosur, deux voies spécifiques d'intégration et d'insertion dans la mondialisation des activités Éléments bibliographiques A. Yeats, Does Mercosur's trade performance raise concerns about the effects of regional trade arrangements?, The World Bank Economic Review, Vol. 12, N°1, 1998. O. de Boysson et ali, Le Mercosur : un moteur d'intégration régionale, Conjoncture, janvier 1998. M. Feldstein, UEM : un point de vue critique in Problèmes économiques, N° 2290, septembre 1992. L. Fontagné, M. Freudenberg, N. Péridy, Intra-industry trade and the single market : quality matters, CEPR Discussion paper, N° 1953, 1998. J.A. Frankel et A. K. Rose, The Endogeneity of the Optimum Currency Area Criteria, Economic Journal, N° 108, 1998), IRELA, Las perspectivas de un acuerdo de libre comercio UE - Mercosur y las opciones para la politica de EU, Informe Especial, novembre 1999. P. R. Krugman, Lessons from Massachusetts for EMU, in F. Torres et F. Giavazzi Ed., Adjustment and Growth in the European Economic Union, Cambridge University Press, 1993. P. Martin, C. Rogers, Industrial location and Public infrastructures, Journal of International Economics, N° 39, 1995. J. de Melo et alii, L'intégration régionale hier et aujourd'hui, Revue d'Economie du Développement, N°2, 1993. S. de Nardis, A. Goglio et M. Malgaranis, Regional Specialization and Shocks in Europe : Some Evidence from Regional Data, Weltwirtschaftliches Archiv, 132, (2),1996. J. Pelkmans, Comparando las integraciones economicas : prerequisitos, opciones e implicaciones, Centro de Formacion para la Integracion Regional, 1998. F. Perroux, Note sur la notion de pôle de croissance, Économie appliquée, 1995. M. Sala-i-Martin, Regional Cohesion : Evidence and Theories of Regional Growth and Convergence, European Economic Review, vol. 46, N° 6, 1996. 249 Intégration régionale comparée R. Seitenfus, Acquis et dilemmes du Mercosur in Cahiers des Amériques latines, N° 27, 1998. B. Yvars, Les relations commerciales Brésil - Argentine dans l'union douanière imparfaite du Mercosur, Document de travail du CED, N°43, 1999. B. Yvars et J. Trotignon, Economie monétaire européenne - Chocs et politique en UEM -, Hachette - Coll. Les Fondamentaux -, A paraître octobre 2001. 250 Intégration régionale comparée TROISIEME PARTIE : LES EXPERIENCES EUROPEENNES D’UNIFICATION MONETAIRE ET DE COORDINATION DES POLITIQUES ECONOMIQUES. 251 Intégration régionale comparée Les critères de commerce extérieur de la théorie des ZMO : risques comparés de la formation d’unions monétaires (UEM, Argentine-Brésil, Argentine-Etats-Unis) Jérôme TROTIGNON, Maître de conférences en sciences économiques Université Jean Moulin Lyon 3, GATE - Unité n° 5824 du CNRS INTRODUCTION La mise en œuvre de l’UEM (Union économique et monétaire) s’est accompagnée d’une réflexion sur l’optimalité de la zone monétaire que constituent ses membres. En adoptant la monnaie unique, chacun d’eux perd un double moyen d’ajustement à un choc asymétrique, que ce dernier soit d’origine national, ou qu’il soit commun à tous les partenaires avec un effet différencié. L’ajustement vis-à-vis des autres membres ne peut plus s’effectuer ni par une action de politique monétaire - celle-ci devient commune, ni par une modification des parités ou une sortie du SME (Système monétaire européen). Sans autre moyen d’ajustement aux chocs ou de prévention de ces chocs, les participants à une union monétaire ne constituent pas une ZMO (zone monétaire optimale). R. Mundell (1961), le père de la théorie des ZMO, considérait que la mobilité des facteurs de production était le moyen par lequel une économie subissant un choc de demande transférait ses ressources excédentaires vers ses partenaires. De nombreux auteurs lui ont succédé en définissant d’autres critères d’optimalité que la mobilité des facteurs (voir Y. Ishiyama, 1975 et Ph. Narassiguin, 1993). L’optimalité de la zone euro est souvent considérée comme précaire (J. P. Pollin, 2000). Le risque pour l’un de ses membres sous choc asymétrique est 252 Les critères de commerce extérieur de la théorie des ZMO :risques comparés de la formation d’unions monétaires (UEM, Argentine-Brésil, Argentine-Etats-Unis) une élévation insoutenable du chômage. Le risque maximal est la sortie de l’union monétaire : l’économie touchée retrouve alors l’autonomie de sa politique monétaire et de sa politique de change. Sans décliner tous les critères d’optimalité pour chacun des participants, nous nous proposons d’extraire quelques cas particuliers qui représentent une menace pour la cohésion de l’UEM. A partir de ces cas, nous nous demanderons si l’Argentine serait soumise à un risque similaire si elle participait à une union monétaire. A l’heure où son currency board donne des signes tangibles d’essoufflement, deux options, en dehors de la flexibilité du change, s’offrent à elle : la dollarisation, qui aboutirait à une union monétaire informelle avec les EtatsUnis, et la constitution d’une union monétaire avec le Brésil (puis avec ses partenaires du Mercosur). Nous chercherons à savoir quelle est la meilleure de ces deux options. En d’autres termes, nous évaluerons si l’optimalité de la zone constituée de l’Argentine et des Etats-Unis est supérieure ou inférieure à celle qu’elle forme avec le Brésil. Cette étude est partielle : elle ne concerne que trois critères d’optimalité se rapportant au commerce extérieur. Celui de R. MacKinnon se réfère au taux d’ouverture commerciale d’un pays membre vis-à-vis de ses partenaires. Celui de P. Kenen a trait à la diversification de la production et des exportations. Le troisième concerne la diversité géographique des pays clients extérieurs à l’union. Les indicateurs choisis pour évaluer le degré de réalisation de ces critères portent sur les années 1986 et 1998, afin de connaître leur évolution depuis les signatures de l’Acte unique européen (février 1986) et de l’Acte d’intégration économique argentino-brésilien (juillet 1986). I- Le critère de MacKinnon : analyse comparée des degrés d’ouverture commerciale 253 Intégration régionale comparée I-1. La faible ouverture commerciale de la Grèce vis-à-vis de la zone euro En s’inspirant de R. MacKinnon (1963), on peut considérer qu’un pays participe à une zone monétaire optimale lorsque la part de ses biens échangeables prédomine sur celle de ses biens non échangeables. Les premiers sont assimilés aux importations et aux exportations. Le degré d’optimalité sera d’autant plus important que le taux d’ouverture intrazone (somme des importations et des exportations vers les partenaires rapportée au PIB) sera élevé. Une ouverture prononcée permettra, en cas de choc asymétrique à l’origine d’un déficit extérieur avec les partenaires, de mener une politique de réduction de l’absorption domestique rétablissant l’équilibre, sans pour autant perturber la stabilité des prix et le plein emploi. A l’inverse, une dévaluation visant à rétablir l’équilibre extérieur aurait des effets inflationnistes telles que l’obtention de ce triple équilibre macroéconomique serait compromis. Les économies de la zone euro ont généralement des taux d’ouverture intrazones élevés, voire très élevés pour des pays comme la Belgique, le Luxembourg ou les Pays-Bas. Mais la Grèce constitue une exception à cet égard. D’après le raisonnement de R. MacKinnon, si elle menait une politique de réduction de l’absorption domestique suite à un choc différencié par rapport au reste de l’UEM, celle-ci aurait des effets pervers. L’intensité de cette réduction devrait être d’autant plus forte pour résorber le déséquilibre extérieur qu’elle agirait sur un secteur des biens échangeables peu développé. L’effet négatif sur l’emploi serait alors d’autant plus important. L’ajustement du taux de change aurait constitué la politique appropriée. 254 Les critères de commerce extérieur de la théorie des ZMO :risques comparés de la formation d’unions monétaires (UEM, Argentine-Brésil, Argentine-Etats-Unis) I-2 L’économie argentine s’ouvre d’avantage au Brésil qu’aux EtatsUnis L’ouverture commerciale de l’Argentine est beaucoup moins marquée que celle de la Grèce (1), même si celle-ci représente déjà un minimum pour les pays de la Communauté. Les stratégies de substitution aux importations menées en Amérique latine durant les dernières décennies étaient peu propices à l’élévation du taux d’ouverture. Ce dernier ne progresse que dans les années récentes. Depuis la fin de la décennie 80, la progression résulte bien plus du processus d’intégration commerciale entamé à partir de 1986 avec le Brésil que des réformes multilatérales entreprises dans le cadre du plan d’ajustement structurel. C’est donc le commerce argentino-brésilien qui, rapporté au PIB, s’élève très sensiblement jusqu’en 1998, alors que le taux relatif au commerce entre l’Argentine et les Etats-Unis connaît une augmentation moindre (cf. tableau 1). Si la faiblesse de ces deux indicateurs empêche de conclure à l’optimalité des zones Argentine-USA et Argentine-Brésil au regard du seul critère de MacKinnon, un moindre mal consisterait à former une union monétaire avec le Brésil. Les perspectives d’évolution du commerce argentin semble également plaider dans ce sens. Tableau 1 L’évolution des taux d’ouverture intrazones (importations + exportations) / PIB, en % 1986 20,3 1,2 1,4 Grèce / UEM (1) Argentine / Brésil Argentine / Etats-Unis 1998 17,8 4,4 2,3 Source : calculs effectués à partir des données de CHELEM (CEPII). (1) Chaque ligne indique le rapport entre les flux commerciaux des deux pays désignés et le PIB du premier. 255 Intégration régionale comparée Au début de la décennie 90, le Brésil redevient le premier partenaire commercial de l’Argentine devant les Etats-Unis. Malgré la crise du real de 1999 et la récession brésilienne qui l’accompagne, la chute du commerce bilatéral est rapidement suivie d’une reprise dès l’année 2000. Cela contribue à l’apaisement des tensions commerciales qui n’ont pas manqué de se produire sur les secteurs sensibles. Les fédérations professionnelles concluent des accords d’autolimitation des exportations brésiliennes (chaussures, papier et cellulose, …), parfois associés à un prix minimum (acier laminé à chaud). Les discussions concernant le nouveau régime automobile, qui achoppaient notamment sur les subventions des Etats brésiliens aux nouveaux investissements étrangers et sur la question du contenu régional des véhicules, finissent par aboutir lors de la 19ème réunion du Conseil du Marché commun (14-15 décembre 2000). A partir du 1er février 2006, l’accord prévoit l’application complète du libre-échange (suppression de la condition d’équilibre commercial bilatéral) et la mise en œuvre de l’union douanière (application d’un TEC). La perspective d’aboutissement de la ZLEA (Zone de libre-échange des Amériques), qui pourrait intensifier le commerce entre l’Argentine et les EtatsUnis, est lointaine. Le programme d’abaissement des droits de douane au sein de cette vaste zone de libre-échange ne devrait débuter qu’à partir de 2005. De plus, parmi les grands partenaires argentins, l’Union européenne, avec qui les membres du Mercosur ont aussi un projet de zone de libre-échange, figure en bien meilleure position que les Etats-Unis. D’un point de vue strictement commercial, la récente décision de D. Cavallo relative à la double convertibilité euro/dollar du peso s’avère donc justifiée. Lorsque l’euro retrouvera la parité avec le dollar, il est prévu de transformer l’ancrage-dollar en un ancrage-panier où les deux monnaies compteront chacune pour 50 %. 256 Les critères de commerce extérieur de la théorie des ZMO :risques comparés de la formation d’unions monétaires (UEM, Argentine-Brésil, Argentine-Etats-Unis) II- Des structures de production et d’exportation similaires ? P. Kenen (1969) considère la diversification de la production et des exportations comme le critère pertinent pour juger de l’optimalité d’une zone monétaire. Elle constitue un moyen de prévenir les chocs asymétriques, car elle minimise la probabilité de survenance d’un choc majeur et la nécessité de l'ajustement correspondant. Les chocs de demande ou les chocs technologiques ne provoquent que des effets macroéconomiques mineurs. De plus, la présence d’un grand nombre de secteurs fait qu’en moyenne les chocs positifs compensent les chocs négatifs. Ce raisonnement comporte néanmoins une insuffisance : un indicateur de diversification (2) similaire pour deux postulants à une union monétaire ne préjuge pas de la similitude des contenus de la production et des exportations. Cela n’est valable que dans le cas où l’indicateur reflète une diversification maximale. Nous utiliserons donc, pour vérifier le critère de Kenen, d’une part un ratio des échanges intrabranches bilatéraux et d’autre part un indicateur de symétrie des branches exportatrices. II-1 Convergence des structures productives et commerce intrabranche L’augmentation de la part du commerce intrabranche dans le commerce bilatéral total de deux pays ou entités économiques reflète le rapprochement de leur structure de production. Plus les échanges croisés de produits similaires progressent relativement aux échanges interbranches, et plus les spécialisations bilatérales font appel à des structures d’offre convergentes, ce qui rend moins probable les chocs asymétriques. Lorsque les échanges interbranches prédominent, le risque de choc sectoriel différencié est important (3) . Un tel risque concerne particulièrement la Finlande et la Grèce, qui sont les deux pays membres de l’UEM à plus forte proportion de commerce interbranche avec la 257 Intégration régionale comparée zone euro. L’Argentine connaît-elle un risque similaire avec le Brésil ou les EtatsUnis ? Les résultats du tableau 2 différencient clairement les deux situations. L’indicateur de H. Grubel et P. Lloyd (1975) donne la part du commerce intrabranche dans les échanges totaux. En 1986, il est légèrement inférieur pour les flux argentino-brésiliens. Son évolution est telle qu’il atteint en 1998 le triple de l’indicateur relatif au commerce avec les Etats-Unis. Il correspond cette année à une proportion majoritaire des échanges bilatéraux, mais avec une nomenclature très agrégée de 71 branches (par construction, l’indicateur est inversement proportionnel au nombre de branches) Tableau 2 Part des échanges intrabranches dans les échanges totaux (1) - Indicateur de Grubel-Loyd (1), en %1986 38,1 33,6 17,8 19,8 Grèce / UEM Finlande / UEM Argentine / Brésil Argentine / Etats-Unis 1998 33,8 39,5 52,6 17,5 Source : calculs effectués à partir des données de CHELEM (CEPII). (1) Le mode de calcul de la part des échanges intrabranches dans les échanges totaux figure en annexe 1. Les transformations structurelles observées dans le commerce entre l’Argentine et le Brésil sont conformes au schéma général d’évolution du commerce intra-communautaire au cours du processus d’intégration commerciale. La formation de l’union douanière de la CEE s’effectue entre économies à structures d’offre et de demande relativement comparables. Dans ce cadre, l’élargissement du marché permet aux consommateurs d’exercer une demande différenciée pour un même produit et aux producteurs d’y répondre par la réalisation d’économies d’échelle. Le même phénomène s’observe lors de la formation de l’union douanière du Mercosur pour ses deux principaux membres, et en particulier pour les filières véhicules, chimie, et produits 258 Les critères de commerce extérieur de la théorie des ZMO :risques comparés de la formation d’unions monétaires (UEM, Argentine-Brésil, Argentine-Etats-Unis) alimentaires. Le « protocole automobile » (1988) et les « programmes de complémentarité industrielle » (1990-94), en organisant la production des firmes multinationales sur une base régionale avec une contrainte d’équilibre commercial bilatéral, contribuent largement à l’essor du commerce intrabranche (J. Trotignon, 2001-b). II-2 Les structures d’exportation par branche sont-elles symétriques ? Outre le rapprochement des structures de production, il convient d’examiner la similitude des structures d’exportation. L’analyse de la symétrie de la composition des exportations de deux postulants à une union monétaire, ou d’un candidat et du groupe de ses partenaires pour la zone euro, permet de détecter les risques de chocs sectoriels externes différenciés. Pour la mesurer, nous utilisons un indicateur dont le mode de calcul figure en annexe 2-A. Par construction, il varie de 0 (symétrie parfaite et absence de choc différencié) à 1 (dissymétrie parfaite et forte exposition à ces chocs). Les membres de l’UEM qui enregistrent la plus forte dissymétrie sont la Finlande, l’Irlande et la Grèce (cf. tableau 3). Respectivement, les deux premiers pays enregistrent une forte concentration de leurs ventes externes sur les branches des papiers-cartons et du matériel informatique. La Grèce connaît le même phénomène avec les vêtements et les produits bruts agricoles. Tableau 3 Indicateur de symétrie des branches exportatrices 1986 0,61 0,46 0,46 0,44 0,67 Grèce / UEM Finlande / UEM Irlande / UEM Argentine / Brésil Argentine / Etats-Unis Source : calculs effectués à partir des données de CHELEM (CEPII). 259 1998 0,50 0,47 0,55 0,46 0,60 Intégration régionale comparée Le couple Argentine-Brésil présente un risque légèrement inférieur à celui des trois pays européens vis-à-vis de la zone euro, et un risque moindre que celui de l’Argentine vis-à-vis des Etats-Unis. Les dissymétries avec ce dernier pays concernent principalement les produits bruts agricoles et les corps gras alimentaires largement exportés par l’Argentine, et l’informatique, l’électronique et l’aéronautique qui constituent des domaines privilégiés de la spécialisation américaine. Notons que l’ampleur d’un choc externe de différenciation sectorielle est lié au taux d’exportation des économies considérées. La Finlande, et surtout l’Irlande, ont de ce point de vue plus de chances de connaître un choc à fort impact macroéconomique (4). Qu’il s’agisse du commerce intrabranche ou de la symétrie des branches exportatrices, la situation des membres de la zone euro est moins confortable que celle de l’Argentine vis-à-vis du Brésil, et la solution d’une union monétaire avec ce dernier pays apparaît plus appropriée que la dollarisation. III-La diversité géographique des exportations à l’origine de chocs différenciés ? III-1. La forte exposition de l’Irlande à une récession britannique Le critère de diversification des branches exportatrices de Kenen peut être transposé à la diversification des pays clients. Cette dernière minimise la probabilité de chocs majeurs induits par une récession survenant chez un partenaire commercial. Plus le nombre de partenaires significatifs est important, et plus les chocs négatifs ont de chances d’être compensés par des chocs positifs. La présence d’un client majeur élève le degré de concentration géographique des exportations. L’Irlande en constitue un bon exemple. Elle 260 Les critères de commerce extérieur de la théorie des ZMO :risques comparés de la formation d’unions monétaires (UEM, Argentine-Brésil, Argentine-Etats-Unis) concentre un volume important de ses ventes extérieures sur le Royaume-Uni. Sur la période 1995-98, elle y destine un quart de ses exportations totales, contre 8,5 % pour ses onze partenaires de l’UEM. La Finlande, qui connaissait encore au milieu de la décennie 80 une dépendance vis-à-vis de l’ex-URSS, a depuis nettement réduit la part de ses ventes vers cette zone. Un problème méthodologique que nous avons déjà rencontré survient. Un même indicateur de diversification géographique des exportations (5) pour deux postulants à une union monétaire est compatible avec une liste distincte de partenaires et/ou des poids différenciés de commerce les affectant. Pour détecter les risques de chocs asymétriques provenant d’une chute de la demande d’un partenaire, il convient donc de calculer un indicateur de symétrie géographique des ventes extérieures. Sa construction (voir l’annexe 2B) obéit au même principe que celui de l’indicateur de symétrie des branches exportatrices. III-2 Les structures d’exportation par destination sont-elles symétriques ? La symétrie de répartition des ventes par destination apparaît plus importante pour l’Argentine et le Brésil que dans les autres cas recensés dans le tableau 4. Rappelons de surcroît que l’impact macroéconomique d’un choc externe est lié au taux d’exportation, ce qui désavantage surtout l’Irlande parmi les économies européennes. Tableau 4 Indicateur de symétrie géographique des exportations 1986 0,33 0,44 0,27 0,28 0,49 Irlande / UEM Finlande / UEM Portugal / UEM Argentine / Brésil Argentine / Etats-Unis 261 1998 0,39 0,31 0,30 0,25 0,59 Intégration régionale comparée Source : calculs effectués à partir des données de CHELEM (CEPII). Les dissymétries entre l’Argentine et les Etats-Unis sont nombreuses : les orientations privilégiées de la première (Amérique du Sud, Espagne) diffèrent souvent de celles des seconds (Canada, Mexique, Japon, RoyaumeUni). Mais il y a peu de risque de choc asymétrique géographique entre les deux partenaires du Mercosur. Un choc différencié de faible impact pourrait néanmoins toucher le Brésil lors d’une récession américaine et l’Argentine en cas de crise chilienne. Comme dans le cas précédent, la prévention des chocs asymétriques au sein de l’ensemble Argentine-Brésil est plus favorable que celle des membres recensés de la zone euro, et elle dépasse nettement celle du couple ArgentineEtats-Unis. L’intégration commerciale des deux partenaires du Mercosur et la convergence plus prononcée de leurs structures de production et d’exportation favorisent une meilleure synchronisation de leurs conjonctures. CONCLUSION Au vu des critères de commerce extérieur de la théorie des ZMO, l’optimalité de l’ensemble formé par l’Argentine et le Brésil s’avère bien supérieure à celle du couple Argentine-Etats-Unis. La comparaison avec les cas critiques de la zone euro tourne aussi à l’avantage du premier groupe. Seul le critère de MacKinnon n’est pas réalisé, avec une ouverture moins marquée que la plus faible des ouvertures de la zone euro. Paradoxalement, le non-respect du critère de MacKinnon favorise la satisfaction des deux autres, en limitant l’impact macroéconomique des chocs asymétriques externes. Si cette analyse comparative permet de conclure qu’une union monétaire avec le Brésil serait plus cohérente qu’une union informelle avec les Etats-Unis, elle ne porte que sur un petit nombre de conditions d’optimalité. Se 262 Les critères de commerce extérieur de la théorie des ZMO :risques comparés de la formation d’unions monétaires (UEM, Argentine-Brésil, Argentine-Etats-Unis) pose alors la question de la réalisation comparée des autres critères. Certains d’entre eux mettraient les deux options sur un même pied d’égalité. Celui d’intégration fiscale, de H. G. Johnson (1970), n’est pas respecté du fait de l’inexistence de structures fédérales bilatérales. Celui d’intégration financière, de J. C. Ingram (1969), ne les départagerait pas plus : les progrès en matière d’ouverture financière intrarégionale découlent en règle générale des progrès des politiques nationales d’ouverture au reste du monde (Macedo Cintra M. A., 1999). En dehors de considérations proprement économique, un facteur politique intervient : les Etats-Unis n’étant pas disposés à un partage de leur pouvoir monétaire, la dollarisation se traduirait par un total abandon par l’Argentine de sa souveraineté monétaire. Par contre, une Banque centrale du Mercosur impliquerait un partage des responsabilités dans la conduite de la politique monétaire. La politique de change ferait aussi l’objet d’une action concertée. Elle nécessiterait une attention particulière au moment de la mise en œuvre de l’union, compte tenu des lourds passifs argentins accumulés en dollar. L’Argentine est une économie dont le degré de dollarisation partielle est l’un des plus élevés d’Amérique latine (P. Dempère et C. Quenan, 2000). Sa dette extérieure, dont la composante des émissions obligataires progresse sensiblement au cours des années 90, est très largement libellée en dollar. La réalisation du projet de monnaie unique devrait donc ménager un système de transition pour le peso argentin. Ce système passerait vraisemblablement par la mise en place d’une forme d’ancrage de la monnaie unique sur le dollar, ou sur un panier euro/dollar. Ce scénario cadre bien avec l’horizon de long terme du projet, dont l’échéancier ne peut être fixé qu’une fois enregistrés des progrès dans la coordination des politiques économiques (6). 263 Intégration régionale comparée Or, l’économie argentine connaît une crise depuis la période de la sortie du real brésilien de son système de change (janvier 1999). Si celle-ci se précipitait, la parité fixe peso-dollar deviendrait insoutenable. Le currency board serait abandonné (7). Il serait alors impossible d’adopter une monnaie unique dans l’urgence. Ce scénario pourrait ouvrir la voie de la dollarisation complète. Si toutefois une reprise temporaire se manifestait, et afin d’éviter les inconvénients de ce choix, les autorités du Mercosur devraient saisir cette opportunité pour accélérer le processus d’intégration monétaire. La monnaie unique pourrait alors être perçue comme une voie de sortie crédible du currency board. NOTES (1) Notons cependant que plus le nombre de partenaires effectifs ou présumés d’une union monétaire est important, et plus le taux d’ouverture intrarégional est susceptible d’être élevé. (2) Comme par exemple l’indicateur de diversification des exportations de Hirschman, qui varie de 0 (diversification totale) à 1 (mono-exportation). Il est égal à la racine carrée de la somme des carrés de la part des exportations totales imputable à chaque produit. (3) L. Fontagné et M. Freundenberg (1999) ont cependant mis en évidence un risque de choc asymétrique intervenant même pour des économies à commerce intrabranche prédominant : lorsque le commerce de produits similaires porte sur des gammes de qualité différentes, des chocs dus à la différenciation verticale peuvent survenir. Pour les échanges entre la Grèce et l’Union européenne, le commerce intrabranche différencié verticalement représente plus du double du commerce intrabranche différencié horizontalement (4) Pour des calculs par branche d’exportation des expositions finlandaise, irlandaise, et argentine aux chocs asymétriques , voir J. Trotignon (2001-a). (5) On peut là aussi utiliser la méthode de Hirschman. L’indice de diversification géographique des exportations sera égal à la racine carrée de la somme des carrés de la part des exportations imputable à chaque destinataire. (6) Un programme de convergence nominale portant sur l’inflation, le déficit public et la dette publique est adopté en l’an 2000. Il débutera à partir de l’année 2002. En plus des quatre membres du Mercosur, il associe la Bolivie et le Chili. (7) Des signes tangibles de fragilité du currency board se manifestent en 2001. D. Cavallo, l’instigateur de la loi de convertibilité de 1991, introduit lui-même une entorse au principe de 264 Les critères de commerce extérieur de la théorie des ZMO :risques comparés de la formation d’unions monétaires (UEM, Argentine-Brésil, Argentine-Etats-Unis) caisse d’émission : un système de compensation sur le dollar est mis en place en faveur des exportateurs pour faire face à la surévaluation du taux de change du peso. Bibliographie Dempère P. et Quenan C. (2000), « Les Débats sur la dollarisation : un état des lieux », Amérique latine 2000, sous la direction de G. Couffignal, IHEAL, Documentation française. Fontagné L. et M. Freudenberg M. (1999), « Marché unique et développement des échanges », Economie et statistique, n° 326-327. INTAL (1999), Mercosur report, n° 5, Inter-American Development Bank. Ishiyama Y. (1975), « The Theory of Optimum Currency Areas : A Survey », IMF Staff papers, 22, july, p. 344-383. Kenen P. (1969), « The Theory of optimum currency areas : an eclectic view », in R. Mundell and K. Swoboda, Monetary problems of the international economy, The University of Chicago press. Giambagi F. (1999), « Mercosur : porque la unificacion monetaria tiene sentido a largo plazo ? », Integracion y comercio, INTAL-Banco interamericano de desarrollo, 1999. Grubel H. and P. Lloyd (1975), Intra-Industry Trade, MacMillan. Ingram J. C. (1969), « Comment : the currency area problem », Monetary problems in international economy, R. A. Mundell and A. Swoboda, The University of Chicago Press. Johnson H. G. (1970), « The Case for flexible exchange rates », Approaches to greater flexibility for exchange rates, G. N. Halm, Princeton. Macedo Cintra M. A. (1999), « A participaçao brasileira em negociaçoes multilaterais e regionais sobre serviços financeiros », Revista brasileira de politica internacional, Ano 42, n° 1. 265 Intégration régionale comparée MacKinnon R. I. (1963), « Optimum currency areas », American economic review, vol. 53, june. Mundell R. A. (1961), « A Theory of Optimum Currency Areas », American economic review, vol. 51. Narassiguin Ph. (1993), L’Unification monétaire européenne, Economica Bibliothèque d’économie internationale n° 12. Pollin J. P. (2000), « L’Europe est-elle une zone monétaire optimale », Monnaie et politique monétaire en Europe, Cahiers français n° 297, Documentation française, juillet-août. Banque Sudameris (1999), « Mercosur : flux de capitaux et structure de la dette extérieure », Etudes économiques, juillet. Trotignon J. (2001-a), « Le Mercosur peut-il devenir une zone monétaire optimale ? », Working paper, n° 01-11, GATE, juin. Trotignon J. (2001-b), « Brésil-Argentine : effets statiques et dynamiques de l’intégration commerciale », Working paper, GATE, septembre. ANNEXES ANNEXE 1 L’INDICATEUR DU COMMERCE INTRABRANCHE Pour chaque branche, la part des échanges intrabranches dans les échanges totaux de deux pays ou entités économiques peut être mesurée par l’indicateur de H. Grubel et P. Lloyd (1975), où Xi et Mi sont les exportations et les importations de la branche i : I1 = 1 - ∑ |Xi - Mi| ∑ (Xi + Mi) 266 Les critères de commerce extérieur de la théorie des ZMO :risques comparés de la formation d’unions monétaires (UEM, Argentine-Brésil, Argentine-Etats-Unis) L’indicateur I1, comme celui présenté ci-dessous, varie entre 0 (tous les échanges sont interbranches) et 1 (tous les échanges sont intrabranches). Pour calculer un indicateur global donnant la part du commerce intrabranche dans le commerce bilatéral total, il convient de pondérer chaque branche par son poids dans le commerce bilatéral (ai représente les flux réciproques de la branche i rapportés au commerce bilatéral total) : n I2 = 1 - [ ∑ ( [ |Xi - Mi| : (Xi + Mi) ] x ai ) ] i=1 Cette formule s’écrit plus simplement, pour i variant de 1 à n (n=71 dans la base CHELEM) : I2 = 1 - ∑ |Xi - Mi| ∑ (Xi + Mi) Pour l’Argentine avec chacun de ses partenaires américain et brésilien, le calcul de I2 se fait sur une base bilatérale. Pour un pays membre de la zone euro, il s’effectue également en bilatéral mais en considérant le reste de la zone comme une seule entité. Cela tend à surestimer le résultat trouvé, les exportations d’une branche vers un partenaire étant souvent compensées par des importations de la même branche mais en provenance d’un autre partenaire. ANNEXE 2 LES INDICATEURS DE SYMETRIE DES EXPORTATIONS A- L’indicateur de symétrie des branches exportatrices L’indicateur S1 de symétrie des branches exportatrices de deux pays A 267 Intégration régionale comparée et B, ou d’un pays A vis-à-vis du groupe de ses partenaires B, est calculé comme suit. Soit Ai = Xai / Xa. , les ventes du pays A en produits de la branche i sur ses exportations totales. Soit Bi = Xbi / Xb. , les ventes du pays ou de la zone B en produits de la branche i sur ses exportations totales. n S1 = ½ x ∑ |Ai - Bi| i=1 Si A et B exportaient la même part (Ai = Bi quel que soit i) pour chaque branche, la somme des valeurs absolues et donc S1 seraient égaux à 0 (symétrie parfaite et absence de chocs asymétriques de branche). Si les exportations de A (ou B) étaient systématiquement issues d’une branche qui ne compterait aucun produit exporté par B (ou A), la somme des valeurs absolues serait égale à 2 et S1 à 1 (dissymétrie parfaite et forte exposition aux chocs). B- L’indicateur de symétrie géographique des exportations L’indicateur S2 de symétrie géographique des exportations de deux pays A et B, ou d’un pays A vis-à-vis du groupe de ses partenaires B, est calculé selon la même méthode que l’indicateur S1 de symétrie des branches exportatrices. Soit Aj = Xaj / Xa. , les exportations du pays A au pays J sur ses exportations totales (hors exportations vers le ou les partenaires). Soit Bj = Xbj / Xb. , les exportations du pays ou de la zone B au pays J sur ses exportations totales (hors exportations vers le partenaire). 268 Les critères de commerce extérieur de la théorie des ZMO :risques comparés de la formation d’unions monétaires (UEM, Argentine-Brésil, Argentine-Etats-Unis) n S2 = ½ x ∑ |Aj– Bj| j=1 Si A et B exportaient la même part (Aj = Bj quel que soit j) vers chaque destinataire du reste du monde, la somme des valeurs absolues et donc S2 seraient égaux à 0 (symétrie parfaite et absence de chocs asymétriques géographiques). Si A (ou B) exportait systématiquement vers une destination vers laquelle B (ou A) n’exportait pas, la somme des valeurs absolues serait égale à 2 et S2 à 1 (dissymétrie parfaite et forte exposition aux chocs). 269 Intégration régionale comparée LA QUESTION DU REGIME DE CHANGE DANS LE MERCOSUR AU REGARD DE L'EXPERIENCE EUROPEENNE Pascal Kauffmann, Professeur de Sciences economiques Université Montesquieu-Bordeaux 4 INTRODUCTION Lorsque, dans la deuxième moitié des années quatre-vingt, les membres de ce que l’on appelait alors la Communauté économique européenne – et certains représentants de la communauté des économistes – examinèrent concrètement la possibilité d’une union monétaire, cette dernière apparut comme un projet techniquement complexe et politiquement sensible, pour ne pas dire irréaliste. Même la signature du Traité de Maastricht – au delà des vicissitudes de sa ratification par le Danemark ou le Royaume-Uni - ne parvint pas à avoir raison de tous les scepticismes, y compris aux plus hauts niveaux de responsabilités. Comment comprendre autrement le fait que l’Allemagne ne se soit réellement souciée du nom de la future monnaie unique (celui d’écu, qui figure dans le Traité, ne lui convenant guère notamment pour des raisons euphoniques ) qu’au milieu des années quatre-vingt dix ? Or force est de constater qu’actuellement, non seulement l’Union économique et monétaire européenne (UEM ) est une réalité tangible, mais encore des perspectives d’intégration monétaire dans d’autres parties du monde se sont fait jour (Bayoumi et Eichengreen [1996] ; Eichengreen [1998]). Certaines ont même pris corps, à l’instar de la récente dollarisation complète de l’Equateur, qui place ce pays en régime d’union monétaire avec les Etats-Unis. 270 La question du régime de change dans le MERCOSUR au regard de l’expérience Euopéenne Comme le montre l’exemple équatorien, tous les projets ou procédures existants d’unification monétaire ne sont pas nécessairement bâtis sur le même schéma que celui qui conduisit à l’UEM. Ce dernier a cependant vocation à servir, sinon de modèle, du moins de référence dans un certain nombre de cas de figure. On songe ici, en particulier, à ces blocs régionaux dont le nombre et l’importance n’ont cessé de croître depuis une décennie, et qui suivent déjà, peu ou prou, les traces de l’Union européenne (UE) sur la voie de l’intégration économique. L’objet du présent travail consistera, à cet égard, à tenter de tirer de premiers enseignements de l’expérience européenne d’unification monétaire, à destination des pays du Mercosur. Ceux-ci forment – UE mise à part – l’entité régionale la plus fortement intégrée sur le plan économique. Le Mercosur est le seul bloc régional d’une certaine importance à avoir mis en place un tarif extérieur commun, ce qui en fait une union douanière – par opposition à la simple zone de libre échange qu’est le grand rival nord-américain, l’ALENA. La constitution d’un authentique marché intérieur fait partie de ses ambitions à terme et, pour prématurée qu’elle ait été alors, l’éventualité d’une monnaie unique a été soulevée par l’Argentine en 1997. Nous montrons, dans un premier temps, en quoi l’exemple européen éclaire la question de l’opportunité d’un régime d’union monétaire entre les pays membres du Mercosur. Dans un deuxième temps, nous examinons les enseignements de l’expérience européenne quant aux modalités de transition vers un régime d’union monétaire. La (longue) période de convergence que se sont imposés les membres de l’UE et les choix techniques effectués pour le passage à l’euro le 1er janvier 1999 permettent d’identifier tant les facteurs de succès que les erreurs à éviter. Enfin, malgré le peu de recul dont on dispose encore sur cette question, nous tentons, dans une troisième partie, de procéder à 271 Intégration régionale comparée un examen critique du fonctionnement de l’UEM, en nous interrogeant notamment sur la pertinence du cadre institutionnel mis en place pour assurer la gestion macro-économique d’une entité telle que la zone euro. I- L’OPPORTUNITE D’UNE UNION MONETAIRE AU SEIN DU MERCOSUR Le moins que l’on soit en droit de dire des dix premières années d’existence du Mercosur est qu’elles n’auront pas été empreintes d’une grande stabilité monétaire. La région a connu, successivement, le plan de stabilisation argentin de 1991 – qui s’est traduit par la création du directoire d’émission ( currency board ) liant le peso au dollar américain -, le plan real de 1994 – qui a vu le Brésil procéder à une réforme monétaire -, enfin, la crise du real en 1999, débouchant sur de graves distorsions en matière de taux de change entre les quatre membres. Simultanément, le Mercosur a été vivement affecté par l’onde de choc de la crise mexicaine en 1994 et dans les années qui suivirent. Comme tous les pays émergents, ceux du cône sud-américain doivent aujourd’hui s’interroger sur le choix d’un régime de change approprié et viable. A l’instar des pays de l’UE dans les années quatre-vingt, ils sont poussés vers les « solutions en coin » que sont le flottement pur et simple ou l’union monétaire (§ 1.1). Tandis que la théorie des zones monétaires optimales est d’un secours limité pour départager ces deux options (§ 1.2), l’exemple européen suggère clairement qu’un approfondissement de l’intégration régionale rendrait le flottement des monnaies de moins en moins attractif (§ 1.3). 272 La question du régime de change dans le MERCOSUR au regard de l’expérience Euopéenne I-1 Vers des « solutions en coin ». L’une des pièces maîtresses du dossier monétaire européen, dans les années quatre-vingt, fut le fameux « triangle d’incompatibilités » issu des travaux de R. Mundell, et mis en exergue par le rapport Padoa-Schioppa [1987]. Le triangle énonce qu’il est impossible, pour un groupe de pays donné, de connaître simultanément : 1. une totale liberté de circulation des capitaux, 2. l’autonomie des politiques monétaires nationales, 3. des taux de change stables. Seules deux quelconques des trois caractéristiques précédentes sont compatibles, la troisième devant alors, en quelque sorte, leur être sacrifiée. Dans le cas des pays de l’UE, l’objectif du grand marché intérieur, assurant la libre circulation des biens, des services et des facteurs de production, et entériné par l’Acte Unique en 1987, faisait de la libéralisation des opérations financières entre les membres un point de passage obligé. Il en est résulté, en vertu du triangle, un véritable dilemme, qu’au demeurant les douze (à l’époque) ont refusé de prendre immédiatement à bras le corps : la stabilité des taux de change intra-européens, assurée jusque là par les mécanismes du Système monétaire européen (SME), devenait incompatible avec des politiques monétaires nationales souveraines et conduites de façon indépendantes. On eut d’ailleurs une illustration saisissante de la véracité des enseignements du triangle lorsqu’en 1992-1993, certaines banques centrales tentèrent de s’écarter des orientations de la Bundesbank en matière de taux d’intérêt. Il en résulta les crises de change que l’on sait, dénouées seulement par l’élargissement des marges officielles dans le SME de ± 2,25 % à ± 15 %. Ce dernier cessait alors, de facto, d’être un régime de change contraignant et stabilisant, ce dont il fallut s’accommoder durant la transition vers l’UEM. 273 Intégration régionale comparée Les évolutions observées, au niveau mondial, en matière de libéralisation des mouvements internationaux de capitaux, placent actuellement l’ensemble des pays à monnaie convertible dans une situation analogue à celle de l’Europe des années 80. On doit à Eichengreen [1994] d’avoir très tôt souligné en quoi la mondialisation financière, et plus précisément le démantèlement du contrôle des changes et des obstacles à la circulation internationale des capitaux, ont radicalisé les choix possibles en matière de régime de change. L’éventail, en l’occurrence, va traditionnellement du libre flottement des monnaies à un régime de monnaie unique, en passant par les zones-cibles implicites, les parités glissantes (crawling pegs), les changes fixes mais ajustables et les currency boards. Schématiquement, seules les options extrêmes restent viables, telles des « solutions en coin » (Frankel [1999]), tandis que les régimes intermédiaires sont à la merci de mouvements de capitaux spéculatifs incontrôlables et potentiellement déstabilisants. Les crises qui ont frappé, tour à tour, le Mexique (en 1994), les pays du sud-est asiatique (en 1997 et 1998) puis le Brésil (en 1999) – autant de situations où les changes étaient fixes mais ajustables – doivent être lues à l’aune du triangle d’incompatibilités, appliqué aux pays émergents ayant libéralisé leur compte de capital. Les changes fixes n’auraient été viables que si l’autonomie des politiques monétaires nationales avait été pleinement et clairement dévolue au soutien des parités en vigueur. Tel est précisément le cas dans les pays ayant opté pour un directoire d’émission. Au demeurant, le récent regain d’intérêt pour ce régime monétaire, né au siècle dernier au sein des grands empires coloniaux, est lui aussi le fruit du jeu combiné du triangle d’incompatibilité et de la libéralisation financière. La base monétaire étant en principe, dans un currency board, intégralement gagée sur des réserves de change libellées dans la monnaie d’ancrage (qui est en pratique, 274 La question du régime de change dans le MERCOSUR au regard de l’expérience Euopéenne dans la plupart des cas, le dollar américain), les crises spéculatives sont, sinon impossibles, du moins peu probables. En outre, l’offre de monnaie domestique est mécaniquement assujettie aux entrées et sorties de devises, ce qui conduit préventivement à exclure tout laxisme en matière de création monétaire. Actuellement, au-delà des cités-états de Hong-Kong ou de Singapour, des directoires d’émission sont en vigueur notamment en Lituanie, en Bulgarie et en Argentine. Le choix de la dollarisation complète, que vient d’effectuer l’Equateur et qui est activement débattu en Argentine (Hanke et Schuler [1999]), peut lui-même s’interpréter comme une forme extrême de currency board, dans laquelle le « détour » par la monnaie nationale est supprimé. Les régimes de change fixes moins contraignants - dont l’ancien SME, avec ses cours-pivots ajustables et ses marges étroites de fluctuation, était l’archétype - ne sont plus praticables dans l’actuel environnement financier international. Chacun en est alors réduit à un choix binaire entre le flottement plus ou moins pur, mais on sait le peu d’efficacité des interventions de change officielles des banques centrales – et une forme ou une autre d’union monétaire. I-2Les limites de la théorie des zones monétaires optimales. C’est, en principe, la théorie des zones monétaires optimales qui est l’outil approprié pour évaluer la pertinence d’un projet d’union monétaire entre un groupe de pays donné. Cette théorie connut ses premiers développements dans les années soixante avec les travaux fondateurs de Mundell [1961], McKinnon [1963] et Kenen [1969]. Ses principales conclusions énonçaient qu’une union monétaire était d’autant plus opportune que : - les facteurs de production sont mobiles entre les pays concernés ; 275 Intégration régionale comparée - ceux-ci sont ouverts commercialement les uns envers les autres ; - leurs tissus productifs sont diversifiés et similaires ; - leurs « préférences » (ou leur aversion) en matière d’inflation et de chômage sont analogues. Outre que certains de ces critères d’optimalité sont peu opérationnels (c’est, en particulier, le cas du dernier, dû à Corden [1972]), leur mise en œuvre conduit rarement à des conclusions éclairantes. A titre d’illustration, la très faible mobilité du travail entre les membres de l’UE pourrait être considérée comme rédhibitoire, et conduirait à écarter même une union monétaire entre l’Allemagne et les Pays-Bas. A l’extrême, on en viendrait à préconiser, au regard de ce critère, la scission de l’Italie entre une zone monétaire nord et une zone monétaire sud. A l’inverse, si l’on admet que l’UEM est un projet fondé au regard de la théorie, on doit considérer la survivance de monnaies telles que le franc suisse ou la couronne suédoise comme aberrante. La délimitation d’une véritable zone monétaire optimale en Europe, sur la base des critères traditionnels, s’est ainsi avérée un exercice stérile. On peut, sans craindre l’excès, affirmer qu’il en va de même dans le cône sud-américain. Sous l’impulsion des projets d’unification monétaire en Europe, la théorie a connu, dans les années quatre-vingt et quatre-vingt dix, des avancées notables. Celle qui consiste à raisonner, non plus directement sur la base de critères isolés, mais en termes de bilan coûts-avantages de l’union monétaire, n’est pas, en pratique, la plus opératoire. Elle attire néanmoins l’attention sur le fait que les avantages d’une union monétaire sont fonction croissante (et les inconvénients fonction décroissante) du degré d’ouverture des participants potentiels. Cette variable est donc très instructive quant à la pertinence du projet d’intégration. Au regard des données disponibles pour les pays du 276 La question du régime de change dans le MERCOSUR au regard de l’expérience Euopéenne Mercosur (tableau 1), on peut estimer que l’opportunité d’une union monétaire est sensiblement, moins forte qu’en Europe- et (ce qui est usuel) plus marquée pour les petits pays que pour les grands. Pour autant, il est difficile de conclure quant à l’intérêt intrinsèque du projet. TABLEAU 1 : DEGRE D’OUVERTURE DES PAYS DU MERCOSUR ( en pourcentage du PIB ) ARGENTINE Année 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 Exportations 6,3% 5,3% 5,5% 6,3% 8,3% 9,3% 9,5% 9,1% 8,3% Importations 4,4% 6,5% 7,1% 8,6% 8,3% 9,2% 11% 11% 9,1% BRESIL Année 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 Exportations 7,8% 9,2% 8,8% 8% 6,6% 6,2% 6,6% 6,7% 6,3% Importations 4,6% 5,3% 5,8% 6,1% 7% 6,9% 7,6% 7,6% 6,5% PARAGUAY Année 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 Exportations 10% 10,5% 10,4% 10,2% 10,9% 13,9% 12,9% 8,8% Importations 22,1% 24,6% 31% 34,9% 32,4% 36,4% 32,6% 22,9% URUGUAY 277 Intégration régionale comparée Année 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 Exportations 3,7% 11,6% 11,8% 11,7% 12,5% 13,8% 13,7% 11,2% Importations 17% 16,9% 16,7% 15,9% 17,4% 18,8% 18,9% 16,7% Les travaux visant à mesurer le degré d’asymétrie des chocs macroéconomiques frappant les pays candidats nous paraissent plus féconds. Bayoumi et Eichengreen [1993] montrent ainsi que l’on peut identifier, dans le cas européen, un « cœur » (composé de l’Allemagne, du Bénélux, de la France et de l’Autriche) et une « périphérie ». Les pays du « cœur » sont caractérisés par des chocs macroéconomiques fortement corrélés, ces corrélations étant nettement plus lâches entre le cœur et les pays périphériques. Pour ces derniers, l’entrée dans une union monétaire serait donc plus coûteuse en termes d’ajustement. La méthodologie de Bayoumi et Eichengreen est susceptible d’éclairer le problème du choix du régime de change pour les pays du cône sudaméricain. L’une de ses limites doit cependant être soulignée : elle tient au fait que les chocs macroéconomiques sur lesquels se fonde le diagnostic sont – comme dans tout travail économétrique – ceux du passé. Or c’est ce que réserve l’avenir qui importe pour la viabilité d’une union monétaire. La formation de cette dernière est précisément de nature à modifier sensiblement la structure des économies concernées. En outre, elle conduit à faire disparaître, par nature, tout choc de demande trouvant son origine dans les divergences entre politiques monétaires nationales. I-3 Les inconvénients du flottement des monnaies. Comme l’a clairement montré l’expérience européenne des années quatre-vingt-dix, il existe une autre ligne d’argumentation plaidant – à terme – pour une union monétaire entre les membres du Mercosur. Elle consiste à 278 La question du régime de change dans le MERCOSUR au regard de l’expérience Euopéenne souligner en quoi la seule autre option viable qu’est le flottement des monnaies pose problème, à mesure que s’accroît le degré d’intégration entre les pays concernés. Au demeurant, même si le souvenir s’en est quelque peu estompé, l’expérience de l’Entre-Deux-Guerres avait déjà pointé les difficultés à faire coexister le libre-échange et des taux de changes fluctuant de façon erratique. En premier lieu, la forte variabilité des taux de change qui caractérise, d’une façon générale, les régimes de flottement constitue un handicap pour les agents engagés dans des opérations internationales. Tant le calcul économique lui-même (à commencer par la comparaison des prix) que l’acte d’importation, d’exportation ou d’investissement direct à l’étranger (IDE) s’en trouvent compliqués. Le risque de change est à son paroxysme, et si la couverture de ce risque est souvent possible techniquement – quoiqu’elle fasse problème à des horizons dépassant l’année – elle est toujours coûteuse. Les travaux empiriques les plus récents (Holly [1995]) suggèrent qu’il existe bien une liaison négative, faible mais statistiquement significative, entre commerce international et variabilité des taux de change. En second lieu, dans un environnement de forte mobilité des capitaux, les taux de change sont susceptibles d’exhiber des fluctuations de grande amplitude, créant des distorsions considérables en matière de compétitivitéprix. Celles-ci sont d’autant plus durement ressenties par les producteurs des pays dont la monnaie s’apprécie que le degré d’ouverture vis-à-vis des partenaires est élevé. L’existence d’un processus d’intégration plus avancé que la seule union douanière – tel que celui devant conduire à un marché unique -, en vertu duquel, par nature, les obstacles réglementaires, administratifs ou autres au commerce international sont censés disparaître, renforce le caractère intolérable des dépréciations (ou dévaluations) compétitives. L’exemple européen des années 1992-93 est encore dans toutes les mémoires : les 279 Intégration régionale comparée évolutions de la livre sterling, de la lire italienne ou encore de la peseta espagnole conférèrent aux pays émetteurs de ces monnaies des avantages compétitifs brutaux et largement inclus. A tout le moins dans certains secteurs d’activité, les entreprises des pays à « monnaies fortes » (l’Allemagne, la France et les petits Etats de la zone mark) perdirent rapidement des parts de marchés. Outre que ces troubles monétaires coïncidaient avec la récession la plus sévère de l’Après-guerre en Europe, créant une impression désagréable de « chacun pour soi » peu conforme à l’esprit de l’Union, ils frappèrent de plein fouet des agents économiques par ailleurs engagés dans le processus d’achèvement du marché unique. Comment admettre que celui-ci, par essence inscrit dans le moyen-long terme, imposant à chacun de tenter d’aligner ses coûts sur ceux des concurrents les plus efficaces, soit perturbé, pour ainsi dire du jour au lendemain, par des modifications « à deux chiffres » des taux de change ? On vit poindre, au demeurant, de nombreuses demandes de mesures compensatoires dans telle ou telle branche, elles-aussi peu conformes à la logique de la construction européenne. L’agriculture offre un exemple typique du conflit pouvant surgir, de façon récurrente, entre volonté d’unification des marchés et flottement des monnaies. L’Europe verte a longtemps vécu au rythme des réalignements au sein du SME et, avant lui, du Serpent. Les fameux montants compensatoires monétaires (les MCM) furent imaginés précisément pour contrebalancer l’effet des variations des taux de change sur les mécanismes de la politique agricole commune. Les problèmes que soulevèrent, par la suite, ces MCM et leur démantèlement parachèvent ce que l'on peut considérer comme une démonstration : il n’est pas de véritable marché unique sans monnaie unique. Que les autorités européennes aient fait de ce constat un slogan ne doit 280 La question du régime de change dans le MERCOSUR au regard de l’expérience Euopéenne pas, à notre sens, conduire à galvauder l’enseignement qui précède. Celui-ci s’appliquera mécaniquement aux pays membres du Mercosur lorsque s’approfondira leur propre marché commun. La crise du real a d’ores et déjà montré comment l’union douanière existante pouvait être contrariée par une dévaluation de grande ampleur. Avant elle, les fortes variations du taux de change réel entre le Brésil et l’Argentine conduisirent, à plusieurs reprises, à des tensions commerciales graves. En 1992, sous l’effet de son plan de stabilisation, l’Argentine vit le peso s’apprécier considérablement, et réagit au déficit bilatéral avec son grand voisin en prenant des « mesures de sauvegarde » et en décidant de droits anti-dumping à l’encontre de certaines exportations brésiliennes. En 1994-95, c’est le plan real qui, inversant les rôles, mit les producteurs brésiliens en difficulté, notamment dans le secteur de l’automobile. Le conflit qui s’ensuivit se traduisit par l’augmentation de certains droits de douane, l’instauration de quotas et des restrictions sur l’octroi de crédits commerciaux. Que la tendance – marquée – à l’intensification des échanges intrarégionaux au sein du Mercosur n’ait pas été durablement affectée par ces tensions récurrentes mérite d’être souligné (tableau 2). On est cependant en droit de douter qu’une tentative d’intégration plus poussée, qui serait censée conduire à un véritable marché intérieur dans le cône sud-américain, puisse s’accommoder de taux de change flottants. L’union monétaire s’imposerait alors. Dans cette perspective, l’expérience européenne peut être mobilisée pour éclairer la question de la transition d’un régime de flottement vers un régime de changes irrévocables. TABLEAU 2 : LE COMMERCE EXTERIEUR DES PAYS DU MERCOSUR EXPORTATIONS ( millions de dollars ) 281 Intégration régionale comparée Destination Exportations intraMercosur Exportations extraMercosur 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 4 127 5 103 7 214 10 065 12 049 14 441 17 033 20 767 20 500 15 379 42 308 40 808 43 272 43 981 50 078 56 054 57 913 62 709 60 953 58 936 IMPORTATIONS ( millions de dollars ) Destination Importations intraMercosur Importations extraMercosur 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 4 103 5 097 7 282 9 059 11 708 13 972 17 151 20 699 20 905 16 015 23 263 27 231 31 575 37 119 48 092 61 736 66 329 78 293 74 808 64 024 II- LA TRANSITION VERS L’UNION MONETAIRE Si l’on s’en tient strictement aux faits, on peut dire que l’entrée dans un régime d’union monétaire, historiquement sans équivalent, qu’a connu l’Europe en janvier 1999 est une réussite. D’une part, la liste des onze pays destinés à former l’UEM peut être considérée comme économiquement et politiquement cohérente – au sens où aucune candidature viable n’a été écartée, tandis que le choix d’une abstention délibérée par certains Etats a été respecté. D’autre part, le passage à des taux de change parfaitement fixes s’est effectué sans heurt, alors même que les marchés internationaux de capitaux et les marchés des changes étaient vivement perturbés par les crises financières asiatique et russe, qui ont marqué l’année 1998. Toutefois, un examen critique des dispositions adoptées par l’UE, tant en matière de convergence macroéconomique préalable (§2.1) que de basculement technique à l’euro (§2.2) permet de distinguer les choix judicieux des erreurs ou omissions. On peut en outre s’interroger, s’agissant de la convergence, sur les enseignements que la théorie des zones monétaires 282 La question du régime de change dans le MERCOSUR au regard de l’expérience Euopéenne optimales est susceptible de fournir. Celle-ci, pour lacunaire qu’elle puisse être, a été étonnamment peu mobilisée par les rédacteurs du Traité de Maastricht ( §2.3). 2.1 La convergence macroéconomique en Europe : examen critique Les fameux critères de convergence censés départager « bons » et « mauvais » candidats à l’entrée dans l’UEM ont été l’un des aspects les plus controversés de la démarche européenne dans les années 90. Nous négligerons ici le fait que la mise en œuvre de ces critères est intervenue dans une période difficile de récession, puis de « croissance molle », pour nous interroger seulement sur leur pertinence au regard du projet qu’ils étaient supposés servir. Le critère le plus clairement en rapport avec la viabilité de ce qui allait devenir la zone euro est, sans conteste, celui qui a trait aux taux d’inflation nationaux. Il est, à l’évidence, souhaitable que les candidats à l’entrée dans une union monétaire connaissent, le moment venu, des rythmes de hausse des prix comparables. Leur imposer des taux d’inflation ne s’écartant pas de plus de 1,5 % de la moyenne des trois meilleurs d’entre eux, comme le faisait le Traité de Maastricht, paraît donc opportun. Le seuil de 1,5 %, quoiqu’en partie arbitraire, est comparable à la dispersion des taux d’inflation régionaux observée dans les unions monétaires existantes, comme les Etats-Unis (Banque centrale européenne [1999]). Il a parfois été reproché à ce critère d’être purement « relatif », en ce sens qu’il ne dit rien du niveau absolu de l’inflation moyenne devant être atteint avant l’entrée en union monétaire. Or, parallèlement, les statuts de la future Banque centrale européenne prévoyaient que l’objectif prioritaire de cette institution serait la stabilité des prix. Sa tâche aurait donc été singulièrement compliquée si les pays qualifiés pour l’UEM avaient enregistré, 283 Intégration régionale comparée en 1998, une inflation forte. Si – comme on peut le penser – il est jugé sain de faire de la stabilité des prix à l’échelle de l’union l’une des priorités de la nouvelle banque centrale, c’est, à notre sens, non pas au niveau d’un critère de convergence, mais au niveau des autorités monétaires nationales qu’il faut en tirer les conséquences. Un pays désireux d’intégrer une union monétaire ayant comme objectif affiché une inflation faible devrait faire sien cet objectif avant l’entrée dans l’union, par exemple en le faisant figurer explicitement dans les statuts de sa propre banque centrale. Pour sa part, le critère d’inflation doit demeurer relatif – de sorte que, si la hausse des prix était anormalement élevée à la veille de l’union monétaire, pour des raisons totalement exogènes, le projet ne soit pas différé pour autant. Au demeurant, le raisonnement qui précède nous conduit à réfuter l’idée selon laquelle le changement de régime que constitue le passage à l’union monétaire pourrait être mis à profit par un pays, pour rompre avec des habitudes inflationnistes (De Grauwe [1994] ). Compte tenu de leur passé, certains membres du Mercosur pourraient, le moment venu, être tentés de faire un tel calcul. Il nous semble dangereux, en ce qu’il fait porter sur la nouvelle entité – sur ses autorités monétaires en particulier – une charge qui n’est pas de sa responsabilité. Le pilotage macroéconomique d’une union monétaire, surtout à ses débuts, pose suffisament de problèmes en soi ( sur lesquels nous revenons infra, section 3 ) pour qu’on ne le complique pas davantage. Le critère relatif à la convergence des taux d’intérêt à long terme figurant dans le Traité de Maastricht a également sa raison d’être. Il impose à un pays candidat des taux longs ne dépassant pas de plus de 2 % la moyenne de ceux enregistrés dans les trois pays ayant les meilleures performances en matière d’inflation. En d’autres termes, par delà les taux d’intérêt, ce qui est ici 284 La question du régime de change dans le MERCOSUR au regard de l’expérience Euopéenne visé est la convergence des politiques monétaires nationales et des anticipations d’inflation. Les taux longs peuvent en effet, en premier lieu, se décomposer classiquement en un taux d’intérêt réel et un taux d’inflation anticipé. Si l’on admet que les pays engagés dans la démarche d’unification monétaire sont, au préalable, très intégrés en termes de mobilité des biens et des facteurs de production, les taux réels devraient y être comparables. Tout écart entre les taux d’intérêt nominaux traduit alors des écarts d’inflation anticipée, qui ne sont pas de bon augure dans la perspective d’une union monétaire. Remarquons, en second lieu, que les taux longs peuvent également s’analyser – à d’éventuelles primes de liquidité ou d’habitat près – comme une moyenne de taux courts contemporains et anticipés. A leurs tour, ces taux courts, très largement sous le contrôle des autorités monétaires nationales, mesurent l’orientation des politiques monétaires dans les pays candidats. La convergence des taux longs peut donc s’analyser comme une convergence des orientations monétaires nationales présentes et futures. Cependant, il paraît nécessaire de compléter ce critère relatif aux taux longs par un critère similaire portant, précisément, sur les taux courts. En effet, l’entrée concrète en régime d’union monétaire signifie que les économies concernées vont se trouver placées, sous l’autorité de la nouvelle banque centrale, dans des conditions identiques d’accès à la liquidité. Il est donc souhaitable que ces conditions, directement liées au niveau des taux d’intérêt à court terme, convergent à l’approche du changement de régime. Bien que formellement absente des textes en vigueur dans le cas européen, la convergence des taux courts eut bel et bien lieu, sous l’influence de la coopération entre les banques centrales nationales des onze pays concernés dans le courant de l’année 1998. De futurs projets d’unification 285 Intégration régionale comparée monétaire gagneraient à formaliser cette convergence comme condition d’entrée dans l’union monétaire. Ce critère permettrait d’écarter, serait-ce provisoirement, un candidat dont la position dans le cycle économique est très déphasée par rapport à celle de ses partenaires. Venons-en aux critères relatifs aux finances publiques – sans conteste les plus discutés. Ils stipulent que le ratio dette publique/PIB ne doit pas dépasser 60 %, tandis que le ratio déficit/PIB ne doit pas excéder 3 %. Nous n’entrerons pas dans les multiples détails afférant tant à la mesure exacte de la dette et du déficit public qu’à l’ interprétation (plus ou moins tendancielle, plus ou moins stricte) de ces critères. On peut en effet affirmer que les liens unissant unification monétaire d’une part, finances publiques d’autre part, sont extrêmement ténus. En particulier, il n’existe à notre connaissance aucun argument fondé pour considérer qu’un pays ayant tel ou tel niveau de déficit public ne puisse participer à une union monétaire. On peut être un peu plus nuancé s’agissant de la dette publique. En régime de taux de change irrévocables, les pays participants perdent un instrument potentiellement important1 d’ajustement macroéconomique. Il convient donc qu’ils disposent d’instruments alternatifs, au rang desquels les politiques budgétaires nationales. On peut alors estimer nécessaire que ces dernières jouissent d’une certaine marge de manœuvre, et ne soient pas trop obérées par le poids d’une dette publique excessive. Remarquons, au passage, que ce raisonnement ne dit rien du niveau à partir duquel le ratio dette/PIB devient prohibitif. Parallèlement, il est vrai qu’un excès d’endettement public pourrait déboucher, à l’extrême, sur une crise financière, mettant dans l’embarras les autorités monétaires au niveau de l’union. Toutefois, c’est plus au moyen d’une 286 La question du régime de change dans le MERCOSUR au regard de l’expérience Euopéenne clause explicite interdisant à la banque centrale « fédérale » tout financement – normal ou d’urgence – des déficits publics, plutôt qu’au moyen d’un critère de convergence afférant au ratio dette/PIB que ce risque peut être prévenu. Une telle clause figure d’ailleurs dans le traité de Maastricht. Qu’on nous comprenne bien : notre propos ne vise pas à minimiser les risques inhérents à l’existence d’une dette publique insoutenable ou d’un déficit public inapproprié au regard de la position du pays concerné dans le cycle économique. L’expérience européenne suggère simplement qu’à vouloir conditionner un projet supposé souhaitable (l’union monétaire) à des critères sans rapport direct avec sa viabilité, on court un risque considérable. Car on peut penser que, si une évolution conjoncturelle favorable n’était venue, en 1997-98, au secours des finances publiques de certains grands pays européens, l’UEM eût été différée, et sans doute pour longtemps. Le passage à l’euro était – et demeure – conditionné par un dernier critère de convergence, relatif aux taux de change. Tout pays candidat à l’UEM doit préalablement participer au SME à marges normales2, et sa monnaie ne pas subir de dévaluation dans les deux années précédant l’union monétaire. Fort heureusement pour cette dernière, les crises spéculatives de 1992-93 conduisirent à un élargissement des marges dans le SME, qui ôtent à celui-ci tout caractère réellement contraignant. Dans le cas contraire, le Traité de Maastricht eût recelé tous les ingrédients d’une « mission impossible », de nature à rendre l’UEM inaccessible. Comment peut-on, en effet, demander à des pays conservant encore l’autonomie de leurs politiques monétaires, de libéraliser totalement les mouvements internationaux de capitaux – objectif affiché de la phase 1 de l’UEM – et de s’engager simultanément dans la 287 Intégration régionale comparée défense d’un régime de changes fixes à marges étroites ? C’est totalement méconnaître les enseignements du triangle d’incompatibilités, erreur que les pays du Mercosur devront avoir garde de ne pas répéter. Pour autant, il n’en est pas moins vrai que la transition entre un régime de change très lâche – tel le SME à marges élargies – et un régime d’union monétaire soulève de sérieux problèmes. Nous allons nous intéresser à la manière dont ils ont été traités dans le cas européen . II.2 Le basculement dans l’union monétaire A notre sens, l’une des mesures à la fois les plus importantes et les plus judicieuses qu’aient prises les autorités communautaires en matière de gestion de la transition vers l’union monétaire réside dans la pré-annonce des parités bilatérales devant prévaloir le 1er janvier 1999. Ces parités ont été déterminées et publiées plusieurs mois à l’avance (en l’occurrence, en mai 1998) – bien que les textes officiels ne prévoyaient pas explicitement qu’il doive en aller ainsi. Le principal avantage de cette pré-annonce tient à son effet sur les anticipations en matière de taux de change. Dès lors que les parités choisies sont jugées viables, et que les gouvernements qui les annoncent sont résolument engagés dans le processus d’union monétaire, les cours observés convergent vers les cours annoncés, à l’approche de la date d’entrée dans l’union monétaire. L’effet stabilisant de cette disposition sur les marchés des changes est spectaculaire, comme l’illustre le comportement des monnaies européennes au deuxième semestre de l’année 1998, alors même que la crise russe battait son plein, et que les effets de la crise asiatique étaient encore vivaces. On a pu dire à l’époque, à juste titre, que les onze pays qualifiés pour l’UEM se comportaient, en pleines turbulences financières internationales, comme une union monétaire « avant l’heure ». 288 La question du régime de change dans le MERCOSUR au regard de l’expérience Euopéenne Deux ingrédients expliquent le succès de la pré-annonce des parités bilatérales. Le premier tient au fait que celles-ci n’étaient autres que les courspivots dans le SME. Ces derniers étaient, pour la plupart, en vigueur de longue date. Les taux de change ne s’étant pas écartés durablement et significativement de ces niveaux de référence, pendant plusieurs années, chacun pouvait considérer ces parités comme fondamentalement appropriées. En second lieu, les banques centrales des onze pays concernés auraient pu, au besoin, défendre les taux pré-annoncés si les taux cotés par le marché ne s’en étaient pas approchés suffisamment. Des interventions massives, potentiellement illimitées, auraient pu être entreprises : il eût suffi de les financer par des crédits croisés entre autorités monétaires nationales, en fixant l’échéance de ces crédits – de l’ordre de quelques mois – à une date postérieure à l’entrée dans l’UEM. De ce fait, le dénouement de ces opérations se serait effectué en régime d’union monétaire, et aurait consisté en de simples jeux d’écritures entre membres du Système européen de banque centrale (SEBC). En d’autres termes, les interventions entreprises n’auraient eu, in fine, aucune influence sur les politiques monétaires des pays concernés – contrairement à ce qu’il en est habituellement. Que de telles interventions n’aient pas été nécessaires peut signifier que les marchés avaient conscience de l’aptitude des banques centrales compétentes à faire prévaloir leur point de vue en ces circonstances. Le principe même de la pré-annonce des parités bilatérales devant prévaloir dans une union monétaire est, en soi, aisément reproductible. Plus délicat serait en revanche, dans le cas des pays du Mercosur, le choix de ces parités. Il importe en effet – moins pour la transition elle-même (les banques centrales pourraient techniquement défendre toute valeur des taux bilatéraux) que pour la viabilité de la future union – que les niveaux choisis correspondent 289 Intégration régionale comparée à des taux de change d’équilibre fondamental. Or le Mercosur ne pourrait, le moment venu, s’appuyer sur l’équivalent du SME et de ses cours-pivots pour identifier « empiriquement » de tels taux de change d’équilibre, parce qu’un régime de change de ce type n’est pas soutenable dans l’actuel environnement financier international. Il conviendrait alors de mobiliser les concepts de « taux de change de référence », tels que le Natrex (dû à Stein [1995] ou le FEER (Fundamental Equilibrium Exchange Rate, dû à Williamson [1985] et [1994] ), pour estimer des parités adéquates. Bien que ces outils soient infiniment supérieurs à une simple règle de parité des pouvoirs d’achat pour déterminer des taux de change d’équilibre, leur mise en œuvre demeure sujette à controverses (Williamson (ed) [1994]). Les résultats qu’ils délivrent ne peuvent, en outre, prétendre à une précision supérieure à celle d’une fourchette large de 10 à 15 %. A quelque chose, cependant, malheur pourrait être bon sur ce point, comme nous le verrons ci-après. Une autre des dispositions judicieusement inscrites dans le traité de Maastricht et qui soit aisément reproductible réside dans la création de l’Institut monétaire européen (IME). Celui-ci, entré en fonctions quelques années avant l’UEM, peut être tenu pour le véritable embryon de la future BCE. Sans pouvoir réel, il fut néanmoins le lieu où furent préparés les outils statistiques et techniques (agrégats, procédures de refinancement, etc.) indispensables à la conduite opérationnelle de la politique monétaire unique en phase III. De surcroît, c’est au sein de l’IME que furent menées les réflexions relatives à la stratégie monétaire la plus appropriée au pilotage d’une entité telle que la zone euro. A contrario, l’expérience européenne en matière de basculement dans une union monétaire montre deux erreurs à éviter. La première consiste à ne 290 La question du régime de change dans le MERCOSUR au regard de l’expérience Euopéenne pas différer à l’excès la mise en circulation de nouveaux billets et pièces. Que cette mise en circulation n’intervienne que dans un deuxième temps – le premier se traduisant par la fixation irrévocable des taux de change – présente, en soi, des avantages. L’un d’eux est d’éviter un « big bang » faisant coïncider changement de régime monétaire, fermeture de certains compartiments du marché des changes, basculement de la comptabilité de tous les agents économiques et changement de monnaie manuelle. Un autre avantage, lié au précédent, est d’offrir une période d’adaptation et « d’amortissement » du passage à la nouvelle unité monétaire. Inversement, les trois années séparant, dans le cas européen, l’entrée dans l’UEM de l’introduction des billets et pièces en euro est contre-productif. Une année de décalage eut suffi, évitant que l’intérêt du public pour la monnaie unique, réel à la fin de l’année 1998, ne retombe brutalement au premier semestre de l’année 1999. Une seconde erreur nous paraît résider dans la création de l’écu – ou, plus exactement, dans l’établissement d’un lien strict entre l’écu et l’euro. Que l’écu ait pu être utile à l’Europe, notamment au sein du SME des années 80, ne sera pas discuté ici. Que, dans le cadre d’un projet d’unification monétaire, une préfiguration, sous forme de panier, d’une future monnaie unique, soit souhaitable semble en revanche contestable. Faut-il insister, tout d’abord, sur le fait qu’un panier – tel que l’écu – et une monnaie à part entière – telle que l’euro – sont fondamentalement différents ? Le premier n’est, somme toute, qu’un portefeuille – quelque peu arbitraire dans sa composition – de monnaies nationales, n’ayant pas d’existence propre indépendamment de ces dernières. Compte tenu de l’usage, resté très marginal, de l’écu privé comme moyen de paiement3, compte tenu des inévitables fluctuations de son taux de change visà-vis de ses composantes, on peut dire qu’il n’a pas réellement contribué à 291 Intégration régionale comparée faciliter la circulation ultérieure de l’euro. En revanche, la « règle de continuité » liant l’écu à l’euro, en vertu de laquelle un euro devait valoir exactement un écu le 1er janvier 1999, s’est révélée très contraignante. Elle a, en effet, interdit que l’on puisse connaître à l’avance les taux de conversion en euro des monnaies nationales qualifiées pour l’UEM. La raison fondamentale en est que le panier définissant l’écu contenait des monnaies dites « out », telle que la livre sterling. Arrêter à l’avance (et annoncer) des parités bilatérales entre les monnaies dites « in », telles que le franc et le mark, était alors possible, mais ne conduisait pas, ipso facto, à déterminer pleinement la valeur de l’écu – donc de l’euro. Or, à l’évidence, le fait de connaître, quelques mois à l’avance, les taux de conversion franc-euro ou mark-euro eût grandement simplifié le basculement à entreprendre en fin d’année 1999 . Ne pas avoir les mains liées par un artifice tel que l’écu présenterait, pour des pays comme ceux du Mercosur, un autre avantage non négligeable : pouvoir arrêter des taux de conversion qui soient relativement simples, et non quelconques comme dans le cas européen. Dans un premier temps, ce sont les parités bilatérales qui devraient, autant que faire se peut, être choisies comme étant des « chiffres ronds ». C’est ici que pourrait être avantageusement exploitée l’imprécision dont sont affectées les estimations de taux de change de référence fondées sur le Natrex ou sur le FEER (cf. supra page 21). Les autorités compétentes auraient à sélectionner, dans la fourchette de 10 à 15 % fournies par ces concepts, des valeurs aussi simples que possible. C’est ainsi qu’en lieu et place de l’actuel taux de conversion de 1 DM pour 3,35386 F (qui correspond à l’ancien cours-pivot dans le SME ), on pourrait disposer d’une valeur de 3,40 ou encore de 3,3333 … (soit 10/3). 292 La question du régime de change dans le MERCOSUR au regard de l’expérience Euopéenne Dans un second temps, les taux de conversion entre les monnaies nationales et la nouvelle unité monétaire pourraient être choisis de façon parfaitement arbitraire, donc simple – moyennant, bien sûr, le respect des taux bilatéraux prédéterminés. Ainsi, l’euro pourrait-il valoir aujourd’hui exactement 2 DM (plutôt que 1,955 83), et donc 20/3 de franc (plutôt que 6,55957). Ce procédé aurait pu être généralisé à toutes les monnaies « in » (Delfaud et Kauffmann [1998]) et rendre la transition vers l’euro un peu moins malcommode pour le grand public. II-3. Convergence et zones monétaires optimales. Le délai séparant la rédaction du Traité de Maastricht et l’entrée en vigueur de l’UEM – soit quasiment une décennie – a pu paraître bien long aux avocats du projet. Ce sentiment s’est nourri des craintes que l’éclatement du SME a suscitées en 1993, mais aussi de l’effort de convergence inopportun que se sont imposés les pays signataires. Nous avons procédé précédemment (cf. § 2.1) à un examen critique des critères de convergence, dont il ressort que ceux portant sur l’inflation et les taux d’intérêt étaient pertinents. Nous voudrions à présent nous interroger sur l’opportunité d’imposer d’autres critères de convergence à des pays candidats à une union monétaire, la durée de la période transitoire devant leur être adaptée. La théorie des zones monétaires optimales a permis d’identifier de nombreux facteurs influençant la viabilité d’une union monétaire – à défaut de permettre d’en tracer finement les contours. C’est donc elle que nous tentons de mobiliser ici. Le plus classique des critères d’optimalité est celui qui a trait à la mobilité des facteurs de production. Plus celle-ci est élevée, plus les déséquilibres macroéconomiques affectant, de façon différente, deux pays de la 293 Intégration régionale comparée zone considérée sont censés se résorber aisément. On pourrait en conclure que la période transitoire devrait être mise à profit pour faciliter les mouvements de facteurs entre les pays concernés. Remarquons, en premier lieu, que certains de ces facteurs sont intrinsèquement immobiles – comme la terre ou les ressources naturelles. En deuxième lieu, l’ouverture aux flux internationaux de capitaux, lorsqu’elle n’est pas déjà acquise, fait en principe partie intégrante d’un projet d’union monétaire. On conçoit mal, en effet, que toute opération de banque ou sur titres ne puisse se faire librement et dans des conditions similaires en tout point d’une zone monétairement unifiée. Reste alors, en troisième lieu, la mobilité du travail, qui appelle deux remarques. D’une part, sa faiblesse ressortit souvent de facteurs socio-culturels sur lesquels les gouvernements ont peu de prise – ce qui ne leur interdit pas de supprimer des obstacles d’ordre administratif, tels que l’absence de reconnaissance mutuelle des diplômes ou des qualifications des travailleurs. D’autre part, les mouvements migratoires peuvent difficilement apparaître comme une réponse appropriée à des chocs macroéconomiques transitoires et relativement fréquents, tels que ceux que sont censés absorber des taux de change flexibles. Un deuxième critère d’optimalité a trait au degré d’ouverture, les unes vis-à-vis des autres, des économies engagées dans le processus d’unification monétaire. Celui-ci devrait être relativement élevé dès l’origine, notamment lorsque les partenaires sont membres d’une union douanière, comme c’est le cas au sein du Mercosur. Il n’est cependant guère loisible d’accroître artificiellement ce degré d’ouverture, dès lors que tous les obstacles aux échanges de biens et de services entre les membres ont été supprimés. Cette suppression correspond au programme de réalisation d’un authentique marché commun, plus qu’à un programme de transition précédant l’union monétaire. Le degré de diversification et de similarité des appareils productifs – 294 La question du régime de change dans le MERCOSUR au regard de l’expérience Euopéenne troisième critère d’optimalité traditionnel – échappe encore davantage au contrôle des pouvoirs publics. Aucune politique structurelle, si volontariste soit-elle, ne peut substantiellement modifier, en l’espace de quelques années, l’éventail des biens et services produits au sein d’un Etat. On peut faire un constat similaire pour ce qui est des préférences en matière d’inflation ou de chômage, celles-ci étant souvent ancrées dans l’histoire même des peuples, comme l’exemple allemand l’illustre si bien. Au total, la phase transitoire précédant l’entrée dans un régime d’union monétaire peut donc difficilement être mise à profit pour améliorer le « degré d’optimalité » de la zone concernée. Au vu des développements qui précèdent, sa principale vocation serait de permettre la convergence préalable des taux d’intérêt et d’inflation des pays candidats. A l’évidence, point n’est besoin d’une décennie complète pour atteindre de tels objectifs. Cette phase transitoire peut également être mise à profit pour préparer la gestion macroéconomique de la nouvelle entité. Celle-ci soulève, en effet, des problèmes originaux, que les premiers mois d’existence de l’UEM ont contribué à éclairer. III- LA GESTION MACROECONOMIQUE D’ UNE UNION MONETAIRE A l’évidence, la brièveté de l’expérience européenne, en tant qu’union monétaire dûment constituée, prive l’observateur du recul nécessaire pour tirer des leçons fiables relatives à son pilotage macroéconomique. Néanmoins, les deux premières années de fonctionnement de l’UEM sont d’ores et déjà révélatrices de certaines difficultés, inhérentes à ce type de situation. Elles pointent également quelques lacunes au sein du dispositif institutionnel dessiné par le Traité de Maastricht. Nous examinons tour à tour les problèmes relevant de la politique monétaire (§ 3.1 ), de la politique de change (§ 3.2) puis de la politique budgétaire. 295 Intégration régionale comparée III-1 Succès et limites du fédéralisme monétaire. S’il est un domaine où l’Europe est d’ores et déjà fédérale, c’est incontestablement celui de la politique monétaire. Cette dernière relève d’un unique centre de décision – la BCE – mais son exécution est relayée par les banques centrales nationales (BCN), dont la survivance, dans le cadre du Système européen de banque centrale (SEBC), est plus que symbolique. Certes, les BCN ont perdu, depuis le premier janvier 1999 , tout pouvoir réel et toute marge de manœuvre en matière d’offre de monnaie ou de fixation des taux d’intérêt. Cependant, elles sont activement impliquées dans la mise en œuvre des décisions prises par la BCE – auxquelles elles participent directement, au demeurant, via le Conseil des gouverneurs. Ce sont les BCN qui, dans chaque Etat membre, sont en contact avec le système bancaire et financier. Elles assurent, localement, le refinancement des établissements de crédit et la collecte des réserves obligatoires. Le fédéralisme monétaire européen a ainsi fait la preuve qu’une politique monétaire unifiée pouvait procéder de pratiques nationales hétérogènes, par exemple en matière de créances éligibles au refinancement. Une certaine harmonisation est, bien sur, nécessaire (comme l’illustrent les normes Lamfalussy et la création de TARGET dans le cas des systèmes de paiements ) mais elle n’est pas synonyme d’uniformisation. Peut-être même l’Europe monétaire est–elle excessivement fédérale s’agissant de l’importante question du contrôle prudentiel. Celui-ci reste du ressort exclusif des Etats membres, aucune compétence en la matière n’ayant été dévolue à la BCE par le Traité. Or la juxtaposition, à terme plus ou moins rapproché, d’un véritable système bancaire européen (dont l’édification est en cours, comme l’atteste le mouvement de concentration dans ce secteur ) et 296 La question du régime de change dans le MERCOSUR au regard de l’expérience Euopéenne d’une pluralité d’instances nationales de supervision est sous-optimale. La mise en place d’un véritable organe européen de contrôle prudentiel paraît indispensable. Quant au problème de la stratégie monétaire à adopter dans les premiers mois de fonctionnement d’une entité telle que la zone euro, l’expérience européenne confirme qu’il est bien réel, sans pouvoir ( pour l’instant ?) apporter de réponse convaincante. Il est très vraisemblable que l’entrée dans une union monétaire est un changement de régime de nature à perturber les comportements d’encaisses ( un recul de plusieurs années permettra de tester économétriquement cette hypothèse ). Pour cette raison, une stratégie « à l’allemande », reposant principalement sur le ciblage d’un agrégat monétaire de type M3, n’était sans doute pas souhaitable. Pour autant, les actuels « deux piliers » invoqués par la BCE ( qui suit, d’une part, l’agrégat européen M3 sans en faire un objectif intermédiaire à part entière, d’autre part, une batterie d’indicateurs anticipés d’inflation ) n’ont pas rendu intelligibles toutes ses décisions. On s’interroge sur le fait de savoir pourquoi la BCE n’annonce pas, à l’instar de ses homologues britannique ou néo-zélandaise, une cible directe d’inflation. Ce type de stratégie a fait les preuves de son efficacité dans de nombreux pays et présente, dans le cas particulier européen, l’avantage d’être une stratégie connue des observateurs, donc en principe facile à interpréter. III-2 La politique de change Autant le fédéralisme monétaire « à l’européenne » peut être considéré comme une réussite, autant le dispositif institutionnel prévu pour gérer la politique de change de la zone euro est manifestement déficient. Ce n’est pas, en soi, la faiblesse persistante de la monnaie unique, depuis sa mise en 297 Intégration régionale comparée circulation, qui fait problème4 : c’est l’absence d’une chaîne de commandement bien définie. Dans tous les grands pays développés – l’Allemagne d’avant 1999 ne déroge pas elle-même à cette règle – la politique de change est clairement du ressort du gouvernement. C’est lui qui, le cas échéant, décide de la participation de la monnaie nationale à un régime de change contraignant. C’est lui qui prend l’initiative d’éventuelles interventions sur le marché des changes. C’est lui qui, officiellement, gère la communication autour de la valeur externe de sa monnaie. On ne saurait sous-estimer l’importance de cette dernière sur des marchés hautement spéculatifs. Ces considérations n’interdisent pas à la banque centrale de se préoccuper de l’évolution du taux de change – qui, à l’évidence, retentit sur l’inflation importée. Elle peut même, à l’extrême, émettre publiquement un avis sur cette question – comme le fit la Bundesbank au moment de l’union monétaire inter-allemande. Mais chacun sait que le gouvernement est, en dernier ressort, dépositaire du pouvoir de décision. La banque centrale, gestionnaire des réserves de change, n’est pas pour autant maîtresse de leur utilisation. Il est vrai qu’il peut y avoir – par delà le cas particulier européen – un réel conflit entre la mission généralement confiée à une autorité monétaire indépendante (assurer la stabilité des prix) et l’obligation qui lui serait faite d’intervenir sur le marché des changes avec pour conséquence de créer de la monnaie centrale. Le Traité de Maastricht cependant, loin de contribuer à clarifier les responsabilités, conduit à les obscurcir. Ainsi l’article 109(1) confie-t-il au Conseil européen (donc aux gouvernements des pays membres) le pouvoir de conclure des accords de 298 La question du régime de change dans le MERCOSUR au regard de l’expérience Euopéenne change formels avec les pays tiers. Cependant, il ne peut en prendre l’initiative, puisqu’il doit statuer sur proposition de la Commission ou de la BCE. De surcroît, cette dernière doit être obligatoirement consultée « en vue de parvenir à un consensus compatible avec l’objectif de stabilité des prix ». Les autorités monétaires européennes se voient donc ici conférer, à la fois un droit d’initiative, mais aussi un droit de veto. L’article 109(2), qui a trait aux orientations de la politique de change en l’absence de régime formel (comme c’est le cas actuellement, notamment pour les relations euro-dollar ou euro-yen), est d'une teneur similaire. Si bien que la BCE, qui gère les réserves de change officielles des Etats membres et doit « conduire les opérations de change conformément à l’article 109 » (Art. 105(2)), peut s’opposer à une action si elle la considère comme incompatible avec « l’objectif principal du SEBC, à savoir le maintien de la stabilité des prix » (art. 109 (2)). Au demeurant, le fait que le périmètre de l’UEM ne coïncide pas avec celui de l’UE rend la situation encore plus complexe. Le Conseil rassemble aujourd’hui – et sans doute pour longtemps, comme le suggèrent les récents résultats du référendum danois sur l’UEM – des Etats dont les monnaies ne participent pas à l’union monétaire, et dont on imagine mal, de ce fait, qu’ils puissent peser sur la politique de change de la zone euro. C’est pour cette raison, faut-il le rappeler, que fut créé à l’initiative de la France, l’euro-11. Cette instance, non prévue par le Traité - dont c’est, à notre sens, l’une des principales lacunes - réunit (selon les cas) les chefs d’Etats ou de gouvernement, ou les ministres, des seuls membres de l’UEM. Elle pourrait incarner le pouvoir politique au sein de cette dernière, mais ne jouit d’aucun pouvoir réel puisqu’elle n’a aucune existence formelle. Utile en tant que lieu de concertation, l’euro-11 est impuissant, notamment en matière de change. 299 Intégration régionale comparée La Banque centrale européenne s’est, en conséquence, arrogée la prérogative singulière, puisque sans équivalent dans les grands pays développés, d’être le porte-voix de la politique de change5. Les discordances – pour employer une litote – qui ont pu en résulter entre le discours de certains ministres des finances et celui du gouverneur de la BCE ne sont sans doute pas étrangères à certains accès de faiblesse de l’euro sur les marchés. En cas de crise grave, la monnaie européenne pourrait pâtir de l’absence de réponse claire à la question de la dévolution des responsabilités sur ce sujet. III-3. La gouvernance macroéconomique de l’UEM. C’est en matière de politique budgétaire que le recul manque le plus pour tirer de l’expérience européenne quelque enseignement pour des pays tiers. Néanmoins, les déficiences, potentielles ou avérées, sont telles en l’espèce que l’on peut dès à présent les souligner. La plus patente réside dans le pacte de stabilité et de croissance. Celuici a pour vocation de prolonger, en régime d’union monétaire, le critère de convergence faisant référence au ratio déficit public/PIB. On pourra commencer par rappeler que ce dernier est sans rapport direct avec la viabilité d’une union monétaire (cf supra, §2.2). Mais il y a, en l’occurrence, plus grave : les politiques budgétaires nationales, que le Pacte est censé encadrer en prévenant tout déficit excessif, sont l’un des seuls instruments restant à la disposition des gouvernements pour assurer la régulation conjoncturelle de leur économie. Brider celui-ci en interdisant – sous peine d’amendes – au solde budgétaire de dépasser 3 % du PIB est absurde lorsque, dans le même temps, le passage à l’union monétaire prive les Etats membres de l’instrument 300 La question du régime de change dans le MERCOSUR au regard de l’expérience Euopéenne d’ajustement qu’est le taux de change6 Des deux critères de convergence portant sur les finances publiques, c’est donc le moins pertinent qui se trouve érigé en contrainte permanente pour le pilotage macroéconomique de l’UEM. Il eût été moins infondé de s’inquiéter de l’autre (qui concerne le ratio dette/PIB) dans la mesure où, une fois l’union monétaire en vigueur, des politiques budgétaires obérées par une charge de la dette excessive seront fatalement moins réactives en cas de choc conjoncturel. Loin de se lier ainsi les mains inutilement, l’Europe aurait, en toute rigueur, dû s’inquiéter, avant même le changement de régime de changes, de l’un des aspects décisifs de la gouvernance macroéconomique de la zone euro : celui de la réaction des pays membres face à des chocs asymétriques. La perspective de perdre un instrument d’ajustement – même si les taux de change intra-européens étaient, de longue date, régis par un régime de change assez contraignant – aurait dû inviter à réfléchir à des substituts. Au rang de ceux-ci figurent notamment différentes formes de fédéralisme budgétaire. Faute d’avoir su prendre ici les devants, l’UEM risque de se voir confrontée a ces questions par le truchement d’un incident macroéconomique grave. Par chance, elle est, depuis son origine, frappée surtout par des chocs symétriques ( tant la faiblesse de l’euro que la hausse des prix des produits pétroliers peuvent s’analyser en ces termes ). Mais qu’adviendra-t-il lorsque – tôt ou tard – la dimension idiosyncrasique des chocs l’emportera ? On sait que ce n’est généralement pas au pied du mur et dans l’urgence que se prennent les meilleurs décisions. D’autant que la matière est complexe et qu’aucune solution ne s’impose d’évidence. La plus simple, d’un point de vue conceptuel, consisterait à doter 301 Intégration régionale comparée la zone euro d’un authentique budget fédéral – à l’instar de ce que l’on observe dans toutes les autres unions monétaires, même les moins centralisées (Zumer [1998]). Est-il besoin de dire que, pour des raisons politiques, cette voie est, au moins momentanément, impraticable ? Même un budget européen « limité » au regard de ceux des grandes fédérations existantes ( de l’ordre de 5 à 7% du PIB, comme le proposait le rapport McDougall [1977], à comparer aux 15 à 20% observés aux Etats unis ou au Canada ) n’a aucune chance de voir prochainement le jour. Le déroulement des récentes négociations autour de l’agenda 2000 a clairement montré à quel point les gouvernements étaient étroitement attachés à limiter l’ampleur du budget de l’UE. Plus encore, le souci de « juste retour dans ses fonds » à la britannique semble faire école, alors qu’il se situe aux antipode de toute démarche d’inspiration fédérale. D’autres solutions, plus originales et induisant moins d’abandons de souveraineté qu’un budget « central », sont envisageable ( Melitz et Vori [1993), Von Hagen et Hammond [1997] ). L’une d’elles verrait l’UEM se doter d’un fonds de stabilisation macroéconomique, suivant en cela l’exemple finlandais. Schématiquement – car de multiples variantes peuvent s’imaginer – ce fonds serait abondé par les pays participant dont la croissance est particulièrement vive ( i.e. les « bénéficiaires » de chocs asymétriques ), au profit de ceux dont l’activité est anormalement faible ( i.e. les « victimes » de ces mêmes chocs ). Quelles qu’en soient les modalités opératoires exactes, la formule a cependant ses inconvénients. Moins coûteuse politiquement qu’un budget fédéral classique, elle est techniquement plus complexe à organiser, dès lors que l’on veut un fonds à la fois efficace ( en termes de capacité d’amortissement des chocs ) et de taille limitée ( en pourcentage du PIB ). Dans la mesure où une solution de ce type revêt une dimension assurantielle ( le risque macroéconomique n’étant pas le même dans tout les pays membres, ni 302 La question du régime de change dans le MERCOSUR au regard de l’expérience Euopéenne surtout les corrélations parfaites entre les chocs « nationaux » ), il existe un problème potentiel d’aléa de moralité. Pour autant, nous sommes convaincu que l’actuel statu quo est sousoptimal. Si l’union monétaire n’entraîne pas obligatoirement le fédéralisme budgétaire, elle suppose qu’on pose explicitement le problème de son pilotage macroéconomique, et qu’une forme ou une autre de gouvernance s’instaure à l’échelle de l’ensemble de l’union. CONCLUSION Sur l’échelle traditionnelle de l’intégration économique, l’Europe – et plus exactement l’UEM – occupe une position très avancée. Celle-ci est d’autant plus intéressante et instructive qu’elle est originale, et même exceptionnelle : si l’on dénombre, de par le monde, de nombreuses zones de libre échange et quelques unions douanières, les unions monétaires ne coïncidant pas avec une union politique – fut-elle de type fédéral – sont très rares. Les pays du Mercosur sont, pour leur part, au rang de ceux qui paraissent le plus désireux d’intensifier les liens économiques régionaux et de s’engager sur une voie analogue à celle empruntée par l’UE. Si ces pays progressent effectivement dans la direction d’un authentique marché intérieur, ils seront amenés à privilégier un régime de changes stables. Dans l’actuel environnement financier international, le seul qui soit réellement viable est une union monétaire. La procédure adoptée par les pays membres de l’UEM pour entrer dans un tel régime a montré une réelle efficacité, mais aussi des zones d’ombre. Tout bloc régional désireux de prendre une orientation analogue pourra directement s’en inspirer. Cette procédure n’est pas la seule qui puisse 303 Intégration régionale comparée s’envisager. A l’extrême, si tous les membres de l’actuel Mercosur acceptaient de « dollariser » leur économie, à l’instar de ce qui vient de se faire en Equateur (et que certains préconisent pour l’Argentine), la zone deviendrait une union monétaire. Est –il besoin de préciser que ce scénario paraît peu plausible ? Outre ses évidents inconvénients politiques, il lierait les pays du cône sud-américain aux Etats-Unis, alors que l’opportunité macro-économique d’un tel lien semble peu évidente. L’expérience européenne n’en apparaît que comme une référence d’autant plus précieuse. Compte tenu du délai qui, vraisemblablement, sépare encore le Mercosur de l’unification monétaire, l’UEM est amenée à livrer, comme tout pionnier, bien d’autres enseignements dans les années à venir. C’est vrai, en particulier, dans le domaine du pilotage macro-économique. Manifestement, il manque à la zone euro une véritable instance de gouvernance, qui serait notamment responsable de la politique de change. Elle serait saisie du problème de l’ajustement à des chocs asymétriques. Du bon déroulement de celui-ci dépend, à terme, la cohésion même d’une union monétaire. NOTES 1 L’efficacité de l’ajustement par le change est toutefois sérieusement mise en doute par certains travaux récents (par exemple Canzoneri et alii [1996] ). 2 L’ancien SME connaît, depuis 1999, un prolongement, baptisé SME-bis, en tout point analogue au précédant. Y participent, outre l’euro, la couronne danoise et la drachme grecque. 3 L’écu privé a rarement représenté plus de 2 à 3 % de la facturation du commerce extérieur des pays de l’UE – et souvent bien moins de 1 %. Voir par exemple Cazals et Kauffmann [1992]. 4 Certains observateurs considèrent même cette faiblesse comme structurelle ( Artus [2000] ). Elle découlerait des sorties de capitaux consécutives à la diversification croissante des portefeuilles européens, tandis qu’aucun phénomène analogue n’engendre de flux entrants en provenance de la zone dollar ou de la zone yen. 5 Son gouverneur, W. Duisenberg, s’est ainsi auto-proclamé « M. Euro ». 6 Des auteurs aussi peu suspects de complaisance envers un quelconque laxisme budgétaire qu’Obstfeld et Peri [1998] ont proposé – sans grand espoir – qu’on 304 La question du régime de change dans le MERCOSUR au regard de l’expérience Euopéenne renégocie le Pacte de Stabilité. BIBLIOGRAPHIE ARTUS, P. [2000], Entretien, Le Monde du 30 septembre. BANQUE CENTRALE EUROPEENNE [1999], « Les écarts d’inflation dans une union monétaire », bulletin mensuel, octobre. BAYOUMI, T. et EICHENGREEN, B. [1993], « Shocking Aspects of European Monetary Integration », in TORRES, F. et GIAVAZZI, F. (eds), Adjustment and Growth in the European Monetary Union, CEPR, Cambridge University Press. 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Lachaud, Directeur du Centre d'Economie du Développement et le Président de l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, M. Jean du Bois de Gaudusson pour leur aimable invitation à participer à cette Journée d'etude. INTRODUCTION La vive croissance du commerce entre les pays signataires du Traité d’Asuncion, sur la période 1991-1997, traduit la volonté de progrès des Etats concernés en matière d’intégration économique. Cette volonté devrait également s’exercer dans le domaine des politiques économiques, afin notamment de sortir du passage difficile que connaît aujourd’hui le Mercosur. A l’heure actuelle, en effet, deux des principaux protagonistes, l’Argentine et le Brésil, font face à de nombreuses difficultés économiques et institutionnelles, qui ont été accentuées par des chocs macroéconomiques d’origine externe. En fait, ces problèmes macroéconomiques nés de perturbations exogènes ont entravé l’approfondissement du processus d’intégration régionale durant ces trois dernières années (1). L’harmonisation des politiques macroéconomiques - tout particulièrement les politiques monétaires et les politiques de change – entre 308 La coordination des politiques monétaires au sein du Mercosur : les enseignements du modèle Européen d’intégration régionale les membres de ce qui n’est encore qu’une union douanière imparfaite, fait partie intégrante du processus d’intégration, et ne doit en aucun cas être négligée. L’absence d’instance supranationale au sein du Mercosur conduit à débattre, non d’une quelconque uniformisation, mais d’une harmonisation et d’une coordination des politiques économiques, et à tout le moins d’une coopération active et effective. L’Union européenne est, concrètement, l’exemple le plus abouti lorsque de telles perspectives sont évoquées. Et l’on peut tirer de l’expérience européenne de nombreux éléments d’analyse. L’illustration la plus notoire en est fournie par la mise en place de la Banque centrale européenne (BCE), en tant qu’autorité monétaire unique au sein de la zone, et par l’introduction de l’euro en tant que monnaie unique. McKinnon (1993), Goodhart (1995), Yvars (1997), Krugman et Obstfeld (1999), Gonzalez Iban et Ahijado Quintillon (1999), Tugores Ques (1999), parmi d’autres, ont proposé d’excellents examens de l’évolution du Système monétaire européen depuis sa création en 1979, ainsi que de la mise en place de la BCE et de l’euro depuis l’entrée en vigueur du Traité de Maastricht. Seselovsky (1998) offre une analyse du débat sur l’opportunité d’une monnaie unique comme objectif à moyen terme pour la Communauté européenne dans les années 70. Le même auteur montre comment les pays concernés ont surmonté les effets induits par le respect des critères de convergence du Traité de Maastricht – notamment en matière de croissance et d’emploi -, puis les effets liés à la mise en place des opérations nécessaires à l’introduction de l’euro. Pour ce qui est du Mercosur, rares sont les travaux qui s’intéressent en profondeur à la coordination des politiques économiques. En fait, même si la littérature traitant des problèmes macroéconomiques est substantielle, elle ne 309 Intégration régionale comparée s’est pas attachée à la question de la coordination. Arnaudo (1993) constitue un précurseur à cet égard, même si Heymann et Navajas (1992) proposent une intéressante contribution. Fanelli (2000), à la tête d’un groupe de recherche sur le projet de « coordination des politiques macroéconomiques dans le Mercosur », a produit le rapport le plus approfondi qui soit en la matière, particulièrement en ce qui concerne les régimes de change. La coordination des politiques économiques est un sujet de première importance, dans la mesure où les quatre membres à part entière du Mercosur ont choisi des régimes de change différents, tout en privilégiant des plans de développement et/ou de stabilisation hétérogènes. Bien que l’intégration régionale soit une préoccupation de longue date, il n’existe aucun schéma opérationnel traitant cette question dans son ensemble, à l’exception de celui offert par l’UE. Le présent travail, consacré au Mercosur, s’interroge sur la faisabilité d’une coordination des politiques macroéconomiques. Il s’intéresse plus particulièrement à l’élaboration des politiques monétaires, ainsi qu’à leur cohérence temporelle et à leur crédibilité. I- LE MERCOSUR, NEUF ANS APRES LE TRAITE D’ASUNCION : PLANS DE STABILISATION ET REGIMES DE CHANGE Neuf années après la création du Mercosur, il est intéressant d’examiner le parcours des deux principales puissances régionales en matière de régimes de change, ceux-ci ayant servi de base à leurs programmes de stabilisation. En 1991, l’Argentine a adopté un régime de changes fixes avec ancrage sur le dollar américain, qui est resté en vigueur depuis lors. C’est ce qu’on a appelé le « plan de convertibilité ». Avec la mise en place du « plan Real », en 1994, le Brésil a également opté pour les changes fixes et, malgré un dispositif de crawling peg, s’est efforcé de maintenir une faible variabilité des cours jusqu’en 1998. 310 La coordination des politiques monétaires au sein du Mercosur : les enseignements du modèle Européen d’intégration régionale Il faut souligner que, dès l’origine, les politiques économiques de ces deux pays ont fait du régime de change une pièce maîtresse du dispositif de lutte contre l’inflation, et non un moyen de favoriser l’accroissement des exportations vers le reste du monde. L’Argentine, depuis 1991, et le Brésil, depuis 1994, se sont donc efforcés de mettre en place des règles pour guider leur politique de change. Cependant, à partir du 13 janvier 1999 et de la dévaluation de la monnaie brésilienne de quasiment 100 %, les attitudes des deux pays sont devenues très différentes, pour être aujourd’hui presque opposées. L’Argentine a conservé son ancrage sur le dollar alors que le Brésil a adopté un régime de changes flexibles. Le Brésil a, par conséquent, renoncé à une certaine stabilité pour tolérer davantage de volatilité de son taux de change. Ceci s'explique par le fait qu’à la suite des chocs externes qui l’affectèrent, ce pays a privilégié sa politique industrielle, dans le but de soutenir l’emploi, mais acceptant par là même un recul en matière de coordination des politiques économiques. Remarquons en outre que les prix internes n’ont pas encore subi le plein effet de la dévaluation. Dans le même temps, le régime de convertibilité adopté par l’Argentine, liant sa monnaie au dollar, a vu la monnaie américaine s’apprécier par rapport au yen et à l’euro. L’appréciation concomitante du peso a conduit à l’éviction des produits argentins sur les marchés d’exportations extérieurs à la zone dollar. Ce scénario se poursuivra tant que l’évolution de la productivité dans le secteur manufacturier en Argentine ne sera pas compatible avec l’appréciation de la monnaie nationale. Concrètement, cela implique de lourds sacrifices – notamment en termes d’emplois perdus – et un besoin urgent d’amélioration de la productivité dans l’industrie argentine. Ce pays n’a guère de prise sur sa situation, et continue d’une certaine façon à supporter les conséquences de l’hyper-inflation des années 1989 et 1990. 311 Intégration régionale comparée Les plans de stabilisation ont eu à la fois des effets positifs et des effets négatifs. Un succès qui mérite d’être souligné réside dans une réelle stabilité des prix, consécutive à des années d’inflation et d’hyper-inflation. Au rang des effets négatifs et significatifs, on doit mentionner la mise à l’écart du système productif de plus du quart de la population (en incluant le chômage et le sousemploi). Signalons également une concentration croissante de la richesse, la centralisation accrue du processus de décision économique, un niveau élevé d’endettement externe et la dénationalisation d’une fraction importante du secteur productif. III- INTEGRATION ECONOMIQUE ET HARMONISATION DES POLITIQUES MACRO-ECONOMIQUES Immédiatement après la signature du Traité d’Asuncion (1991), un groupe de travail fut constitué au sein du Marché Commun. Celui-ci était spécifiquement consacré à la coordination des politiques macro-économiques. Après la rencontre d’ Ouro Preto en 1994, ce groupe de travail fut dissout dans une nouvelle structure ayant un objet plus large. Ces vicissitudes conduisirent à ce que l’on appelle le « nouveau démarrage » du Mercosur, qui eut lieu à Buenos Aires en juin 2000. Les principes censés présider à la coordination des politiques économiques y furent énoncés. Une équipe de pilotage macroéconomique fut également constituée par la suite. Sa tâche principale était de s’assurer de la cohérence d’un ensemble d’indicateurs, qui devaient être élaborés à la suite d’un travail d’harmonisation statistique basé sur une méthodologie commune. Il s’agissait dans un premier temps, de compulser des données relatives aux agrégats macro-économiques suivants : . position budgétaire nominale du gouvernement fédéral . position budgétaire primaire du gouvernement fédéral 312 La coordination des politiques monétaires au sein du Mercosur : les enseignements du modèle Européen d’intégration régionale . endettement net du gouvernement fédéral . endettement net du secteur public consolidé . variation de l’endettement net du secteur public consolidé . niveaux internes des prix. Un nouvel indicateur, de position budgétaire structurelle, devait en outre être créé. L’idée était de définir, à l’horizon de mars 2001, des objectifs consensuels en matière de positions budgétaires, de dette publique et de prix, ainsi qu’un processus de convergence inspiré du Traité de Maastricht. Effectivement, deux mois après la tenue de la Journée Internationale d’Etude Jean Monnet qui fait l’objet de cet ouvrage, un dispositif de ce type fut adopté, suite à la rencontre des chefs d’Etat des pays membres du Mercosur à Floriano Polis (Brésil), en décembre 2000. III-1 Les objectifs. La coordination des politiques monétaires (même de portée limitée), et l’harmonisation des différents régimes de change dans le cadre d’un processus d’intégration régionale, doivent viser trois objectifs : 1. faciliter les flux commerciaux entre partenaires, tout en maintenant des taux de change stables dans le temps ; 2. orienter l’affectation des ressources productives et les choix d’investissement, dans chaque pays membre et plus largement dans la zone affectée par le processus d’intégration ; 3. envoyer des signaux aux décideurs pour orienter leurs anticipations. Par rapport aux trois objectifs mentionnés précédemment, précisons la situation en termes de politiques économiques. Les politiques monétaires et 313 Intégration régionale comparée budgétaires doivent tenir compte des flux commerciaux. Non pas qu’ils soient le facteur le plus significatif, mais en raison de leur lisibilité par le reste du monde, et parce qu’il s’agit d’un élément quantifiable dans le cadre d’un processus d’intégration. C’est pourquoi, à tout le moins, la coordination des politiques monétaires et budgétaires ne devrait pas faire obstacle au bon fonctionnement de l’économie réelle (2). Durant la période de transition qui suivit la signature du Traité d’Asuncion, de 1991 à 1995, la question du soutien éventuel à apporter aux opérations commerciales fut controversée. Le point qui souleva les plus grands désaccords avait trait aux asymétries entre économies. Celles-ci se traduisent par des différentiels de coûts de production, pour une même firme d’un pays à l’autre. Ces écarts de coûts peuvent faire obstacle au commerce intra-zone. Le tableau 1 se propose de donner un aperçu clair de ce phénomène. Le comportement des économies nationales pendant cette période transitoire 19911995 – i.e. avant que le Traité ne soit pleinement en vigueur – aurait pu être un enjeu majeur de la convergence de politiques nationales visant, d’une part à renforcer les gains de productivité dans les secteurs les moins performants, d’autre part, à utiliser à bon escient les clauses de sauvegarde. Une seconde période transitoire s’écoulera jusqu’à la pleine entrée en vigueur du tarif extérieur commun, en 2006. La persistance et, dans certains cas, l’aggravation des asymétries entre le Brésil et l’Argentine, après la forte dévaluation du Réal en 1999, fut l’objet des plus vifs débats et controverses dans la période récente, toujours dans la perspective de parvenir à des mesures concrètes de coordination des politiques économiques. TABLEAU N° 1 314 La coordination des politiques monétaires au sein du Mercosur : les enseignements du modèle Européen d’intégration régionale ASYMETRIES ET COORDINATION DES POLITIQUES ECONOMIQUES A. ORIGINE DES ASYMETRIES ECONOMIQUES : DOTATIONS INEGALES EN FACTEURS DE PRODUCTION NIVEAUX DE PRODUCTIVITE DIFFERENTS DES FACTEURS DE PRODUCTION MESURES DE POLITIQUES COMMERCIALES (barrières tarifaires et non tarifaires, subventions, politique de protection sectorielle ou régionale, politique de crédit, régime de change) B. TYPES D’ASYMETRIES : 1. Résultant de l’action globale du gouvernement et affectant la production en général (exemple : effets de la politique de change) 2. Affectant les activités industrielles (exemple : résultat des lois sur le travail et/ou d’incitations fiscales) 3. Impact sur certains secteurs en particulier (exemple : réglementation spécifique pour la construction automobile, la papeterie, etc.) C. SOLUTIONS : Harmonisation des politiques économiques, élaborées par les pays membres conformément aux préceptes suivants : - cohérence intertemporelle - crédibilité D. FINALITE : PERFORMANCES DES ECONOMIES NATIONALES PENDANT LA PERIODE DE TRANSITION Source : Cicaré, A. (1994) et Seselovsky, E.R. (1995) II-2 Les principaux enjeux. L’harmonisation des politiques monétaires entre membres du Mercosur se heurte à deux difficultés : la première tient aux séquelles de l’instabilité 315 Intégration régionale comparée politique et/ou économique qu’ont connu ces pays depuis 70 ans ; la seconde réside dans une certaine hétérogénéité des structures productives, sociales et politiques. Il y a trois enjeux ou questions à débattre : 1. choisir un régime de changes (fixes ou flexibles) établissant des relations entre les différentes monnaies nationales 2. déterminer des taux de change appropriés (en les quantifiant explicitement) 3. établir des critères de convergence des politiques monétaires et budgétaires nationales. D’un point de vue théorique, on sait qu’il n’est pas possible d’avoir simultanément : a. un régime de changes fixes, b. une grande liberté des mouvements de capitaux, et c. l’autonomie des politiques monétaires nationales. Seuls deux de ces attributs peuvent être obtenus, au détriment du troisième. C’est pourquoi le choix d’un système monétaire régional dépend étroitement de la mobilité internationale des facteurs de production et des échanges internationaux de capitaux, de biens et services des pays membres. Un régime de changes fixes apparaît comme le plus approprié au sein d’une union douanière, vu l’intensité attendue des flux commerciaux. Cet a priori n’interdit pas, cependant, d’essayer d’estimer les performances d’un régime de changes flexibles, même si la coordination s’en trouverait vraisemblablement compliquée (3). Pour les décideurs, à l’échelle microéconomique, un taux de change stable est attractif et cohérent avec les enjeux commerciaux du processus d’intégration. Les entreprises parviennent toutefois 316 La coordination des politiques monétaires au sein du Mercosur : les enseignements du modèle Européen d’intégration régionale à s’accommoder de la volatilité des taux de change. Historiquement, l’étalon-or, régime de changes fixes par excellence, conduisait à harmoniser directement les politiques monétaires au niveau international. Les différents pays pouvaient décider, individuellement, d’adopter ou non ce régime. Mais s’ils y adhéraient, ils s’alignaient de facto sur le comportement décidé par la Banque d’Angleterre. Le carcan était si rigide qu’en période de crise, il devait être abandonné, les pays devant régulièrement déclarer leur monnaie inconvertible. C’est pourquoi le système n’a pas véritablement fonctionné comme le prévoyait la théorie. Les schémas contemporains de dollarisation nous paraissent encourir les mêmes risques. Tous les régimes de changes fixes souffrent, quoiqu’à un degré moindre, des mêmes inconvénients que l’étalon-or. La politique monétaire transmettant ses impulsions à l’économie réelle, les régimes de change dans lesquels les parités sont inappropriées peuvent être nocifs en termes d’emploi et d’affectation des ressources. Il en va de même lorsque la sphère réelle souffre de rigidité et/ou d’imperfections des marchés. Au demeurant, les changes fixes se traduisent par une perte d’autonomie de la politique monétaire, si bien que des flux entrants de capitaux non stérilisés peuvent provoquer une expansion indésirable du crédit interne, avec le risque d’un dérapage inflationniste. La présence de montants importants de « capitaux flottants » au niveau international accroît ce danger. En dépit de ce dernier, cependant, on a assisté ces dernières années à une sorte de meilleure prédisposition des Etats vis-à-vis des changes fixes. L’UE, par exemple, avant l’existence de l’euro, possédait un système de changes fixes mais ajustables centré sur l’écu. Dans le cadre de ce dernier, plusieurs réalignements sont intervenus. Tant la faisabilité que les bénéfices attendus d’un régime de changes 317 Intégration régionale comparée stables, au sein d’un bloc régional, s’accroissent avec le degré d’ouverture des économies, le degré de diversification des structures productives et l’importance du commerce intra-branches (Fanelli [2000]). La coordination serait particulièrement simple au sein d’une zone monétaire optimale. Le tableau 2 montre que tel n’est pas le cas du Mercosur. Il ne serait donc pas réaliste de songer à une monnaie unique dans cette zone dans un futur proche. TABLEAU N°2 LE MERCOSUR EST-IL UNE ZONE MONETAIRE OPTIMALE ? Les zones monétaires optimales sont caractérisées par les critères suivants : A. Fort degré d’ouverture de l’économie (critère de McKinnon) B. Forte mobilité des facteurs, permettant une réponse flexible aux chocs macroéconomiques asymétriques (critère de Mundell) C. Forte diversification de la production (critère de Kenen) D. Fort degré d’intégration économique des pays membres (critère de Krugman) E. Existence d’une autorité de coordination budgétaire – supranationale par définition – avec une logique fédérale d’ensemble, ainsi que d’une cour de justice possédant les mêmes caractéristiques. EN CONSIDERANT LE CADRE LEGAL EXISTANT, EST-IL POSSIBLE DE CREER UN ORGANISME SUPRANATIONAL AU SEIN DU MERCOSUR AYANT DES CARACTERISTIQUES SIMILAIRES A LA COUR DE LUXEMBOURG ? ARGENTINE : OUI. L'Amendement de la Constitution de 1994 permet l'existence d'une cautorité supérieure à la Cour Suprême, c'est-à-dire une cour supranationale (art. 75, cl. 24 de la Constitution Nationale) PARAGUAY : OUI. Cela est autorisé par l'article 145 de la Constitution Nationale. BRESIL : NON. Selon les juristes brésiliens, la Constitution devrait être amendée. URUGUAY : NON. Selon les experts constitutionnels uruguayens, la Constitution devrait être amendée. Il a fallu 42 ans à l’UE pour donner naissance à l’euro. En dépit de tous les avantages qu’offre ce dernier, un rapport de la Communauté européenne 318 La coordination des politiques monétaires au sein du Mercosur : les enseignements du modèle Européen d’intégration régionale (« one money, one market », cf. tableau 3) qui fait autorité en la matière montre bien que ce dispositif n’est pas facilement transposable. L’une des raisons en est qu’à un horizon rapproché, il y aura trois grandes monnaies dans le monde : le dollar, l’euro et le yen. Il restera donc peu de place pour des monnaies régionales. En outre, il est nécessaire d’évaluer la tenue de l’euro par rapport aux autres monnaies sur une période plus longue que ses premiers 22 mois d’existence. TABLEAU N°3 DEBAT SUR LA MONNNAIE UNIQUE (Rapport de la Communauté Economique Européenne : "Un marché, une monnaie") avantages : a) Elimination des coûts de transaction au sein de l'UE (environ : 0,5% du PNB total de l'UE) b) Moins d'incertitude (absence de fluctuation des taux de change intra-européens) c) Elimination des coûts informationnels connexes (pour les consommateurs) d) Réduction des réserves des Banques Centrales nécessaire à défendre les taux de change au sein de l'UE e) Une monnaie européenne pouvant devenir monnaie de référence internationale INCONVENIENTS : Perte de seigneuriage (impossibilité du financement monétaire du budget de l’Etat) Perte du taux de change comme instrument d’ajustement macroéconomique CONCLUSION PRINCIPALE DU RAPPORT : Les avantages liés au potentiel d'un Marché commun peuvent être concrétisés uniquement grâce à une monnaie unique. Il faut en outre être attentif aux interrelations entre l'intégration monétaire et l’intégration budgétaire. 319 Intégration régionale comparée III-3 Le processus d’harmonisation des politiques économiques La stabilité macroéconomique de chacune des économies concernées est une condition nécessaire à l’amorce d’un processus d’harmonisation, mais non suffisante. Une question-clef consiste à savoir si l’Argentine continuera à suivre son plan de convertibilité – et si oui, jusqu’à quand. Il est envisageable qu’à un moment ou à un autre, ce plan soit modifié. Ceci ne devrait toutefois se produire qu’en l’absence de tout choc affectant la structure productive ou financière du pays. Dans certaines circonstances, l’harmonisation des politiques économiques pourrait contribuer à la stabilité interne. Les priorités sont déterminées en fonction des schémas de stabilisation adoptés par chaque pays membre. Tant l’Argentine avec son plan de convertibilité, que le Brésil avec son plan Real, ont adopté un régime de changes fixes avec ancrage nominal de leur monnaie. Toutefois, le Brésil a ultérieurement abandonné cette politique. III-4 Cohérence temporelle et crédibilité des politiques économiques. Ce sont des aspects majeurs d’un processus d’harmonisation, dans la mesure où chaque pays membre doit, au préalable, être crédible quant aux objectifs qu’il se fixe. Les politiques économiques doivent ensuite être cohérentes et viables dans le temps. La cohérence temporelle signifie que ces politiques ne devraient pas devenir contre-indiquées au fur et à mesure que le temps passe. Une politique devient crédible lorsqu’existe une volonté politique forte pour la porter, et lorsque l’économie réelle bénéficie de certaines conditions objectives. Il est 320 La coordination des politiques monétaires au sein du Mercosur : les enseignements du modèle Européen d’intégration régionale également essentiel que l’opposition – en l’occurrence, les partis susceptibles d’être portés aux affaires lors de prochaines élections – soit associée à l’élaboration de ces politiques. Bien que ces dernières doivent être cohérentes et crédibles, elles doivent également faire montre d'un minimum de flexibilité, pour faire face à des événements comme l'effet tequila ou la crise du sud-est asiatique. Enfin, il est nécessaire que les pays concernés s’engagent fermement sur les objectifs poursuivis. Il devrait même exister un mécanisme ou une autorité de supervision, qui puisse sanctionner un pays déviant. En somme, si une autorité supranationale n’est pas envisageable à court ou moyen terme, il faut disposer d’une entité inter-gouvernementale qui puisse faire respecter les décisions prises par ailleurs. Le tableau 3 souligne les difficultés de mise en œuvre d’un tel dispositif. Remarquons également que l’Organisation mondiale du commerce a pris récemment un certain nombre de décisions, à la suite de débats où les pays du Mercosur ont brillé par leur absence, alors qu’ils étaient directement concernés. IV- LES LECONS DU SME ET DU TRAITE DE MAASTRICHT Les tableaux 4 à 6 font le point sur l’Europe monétaire depuis le Système monétaire européen (1979) jusqu’au Traité de Maastricht. Le tableau 4 rappelle les différentes positions à l’égard de la coordination des politiques monétaires dans le cadre du SME lui-même, et les changements profonds qui résultèrent de la réunification allemande. TABLEAU N°4 A. LE SYSTEME MONETAIRE EUROPEEN (SME) : 1979 – 91 321 Intégration régionale comparée L'ESPRIT DU MECANISME DE CHANGE 1. Il s’agit d’un régime de taux de change fixes entre chaque monnaie européenne et l'écu (European Currency Unit). L'écu est une unité de compte construite comme un panier des monnaies européennes, fonction de la taille des économies. L’existence de parités centrales en écu agissait comme une force de rappel sur chaque pays, l’incitant à ramener sa monnaie vers son niveau d’équilibre (un taux de conversion en écu était établi quotidiennement pour chaque monnaie). Des marges de fluctuation de +/- 2,25% étaient prévues. 2. Dans le cas d'une dépréciation de la monnaie nationale jusqu’à son niveau plancher, la Banque centrale du pays dont la monnaie s'est le plus appréciée doit coopérer avec la Banque centrale du pays concerné, afin de défendre les parités. C’est le principe du Mécanisme de change du SME. 3. Dans le cas où ces parités ne pourraient être maintenues, les pays membres s'accordent sur une nouvelle grille de taux de change, tenant compte notamment des évolutions des niveaux de prix domestiques afin de les rendre viables. Suite aux crises monétaires de 1992 et 1993, les bandes de fluctuation originelle de 2,25% ont été élargies à +/- 15%. 4. Le système a contribué (quoique de façon asymétrique) à la convergence des politiques macroéconomiques nationales. 5. La libre convertibilité des monnaies pour les paiements en compte courant était assurée, et une tendance à la libéralisation des marchés monétaires et financiers prévalait. 6. Les réserves de change étaient constituées autant que faire se peut en écu, avec une volonté de limiter les avoirs en dollar. Un Fonds Européen de Coopération Monétaire (FECOM) (permettant des prêts à court terme entre pays membres, un peu sur le modèle du FMI) fut créé. 7. En 1994, l'Institut Monétaire Européen a été établi afin de coordonner les politiques monétaires d'aider les Etats membres pendant la période de transition vers l’euro et servir d’embryon à la future Banque centrale européenne. LES OBJECTIFS DU SME 322 La coordination des politiques monétaires au sein du Mercosur : les enseignements du modèle Européen d’intégration régionale a) Réduction de la "marge de manœuvre" des autorités nationales b) Restriction du pouvoir discrétionnaire des Etats en matière de politiques monétaires et de change OPINIONS RELATIVES A LA COORDINATION DES POLITIQUES MONETAIRES AU SEIN DU SME a) les "économistes" b) les "monétaristes" c) les "instrumentalistes" B. LE SME ET LE DEUTSCHMARK : 1979 – 92 POUR CHAQUE PAYS MEMBRE, LA REPUBLIQUE FEDERALE D'ALLEMAGNE EXCEPTEE 1. Interventions destinées à maintenir les parités bilatérales entre les différentes monnaies. Efforts de stabilisation des taux de change vis-à-vis du mark. Utilisation fréquente du DM dans les interventions de change. 2. Gestion active des réserves de changes, détenues sous forme d’instruments de marché rémunérés en DM, tels les dépôts en euro-mark, ou de bons du Trésor libellés en dollar. 3. Ajustement de la croissance de la masse monétaire nationale à court terme (et/ou les taux d'intérêt à court terme) en fonction des interventions sur le marché des changes. 4. Ajustement de la croissance de la masse monétaire à long terme de telle manière que l’inflation interne converge vers le niveau de l'inflation allemande. 5. Libéralisation progressive de toute sorte de contrôle des changes. 323 Intégration régionale comparée POUR LA REPUBLIQUE FEDERALE D'ALLEMAGNE 1. Assurer l’accès aux marchés des capitaux allemands pour les emprunteurs et les déposants, qu'il s'agisse de gouvernements étrangers ou de résidents privés. 2. Stériliser les interventions de la Bundesbank ou des autres banques centrales sur les marchés des changes. 3. Ancrer le niveau des prix des biens échangeables en DM à l'intérieur du SME , par une politique monétaire élaborée en toute indépendance. Source : Elaboration personnelle de l'auteur basée sur McKinnon (1993) pp. 1-44; Yvars, Bernard (1997) pp. 303-330; Tugores Ques, Juan (1999) chap. 7 et De Lotto, Pietro (1995) Tugores Ques (1999) a souligné qu’au sein de la Communauté européenne, trois points de vue divergents émergèrent à propos de la coordination des politiques économiques, qui subsistent aujourd’hui encore dans une certaine mesure : 1. les « économistes », qui considèrent comme nécessaire de coordonner les politiques économiques avant l’Union monétaire ; 2. les « monétaristes », qui pensent que l’intégration monétaire créera des incitations à se coordonner ; 3. les « institutionnalistes », qui privilégient l’émergence préalable d’instances capables de décider et de mettre en œuvre des projets communs. Le même auteur défend également l’idée selon laquelle les performances du SME peuvent donner lieu à trois types d’interprétations : 1. une interprétation « instrumentaliste », en termes de coordination face à des chocs d’origine externe au système ; 2. une interprétation en termes de crédibilité acquise par les gouvernements au vu des performances de leurs politiques ; 3. une interprétation en termes de discipline, de moindre latitude à adopter des politiques inflationnistes. 324 La coordination des politiques monétaires au sein du Mercosur : les enseignements du modèle Européen d’intégration régionale Les tableaux 5 et 6 montrent les objectifs du Traité Maastricht et les critères de convergence. Certains aspects méritent que l’on s’y attarde. Les critères de convergence furent élaborés avant la crise de 1992-93. On estime que leur existence conduisit à des politiques économiques très restrictives, très coûteuses en emplois. Le Traité est entré en vigueur le 1er janvier 1993, après avoir été ratifié par la plupart des parlements nationaux. Il faut se remémorer que la France procéda à un référendum national (1992) lors duquel le « oui » l’emporta de très peu. Finalement, il est révélateur de constater que, en dépit des contraintes et inconvénients de la période transitoire, l’euro a bel et bien été mis en place le 1er janvier 1999. L’ensemble de ces considérations est important et significatif, et mérite d’être pris en compte dans la perspective d’une coordination des politiques monétaires dans le Mercosur. TABLEAU N°5 LE TRAITE DE MAASTRICHT (décembre 1991 – février 1992) OBJECTIFS RELATIFS AUX POLITIQUES MACRO-ECONOMIQUES : 1. Introduction de l'EURO en tant que monnaie unique au sein de l'UE, établissement des taux de conversion irrévocables pour chaque monnaie avant le 1er janvier 1999. Par la suite, 11 pays (et dix monnaies différentes) intégreront l’Union monétaire. Suède, Danemark, Royaume-Uni et Grèce ne font pas à l’origine partie de l’UEM. La réalisation des différentes étapes de l'établissement de l'EURO conduira à une monnaie unique pleinement effective le 1er juillet 2002 au plus tard. 2. Création du Système Européen de Banque Centrale (SEBC) et de la Banque Centrale Européenne (BCE). L'Institut Monétaire Européen a aussi été crée et ses activités débuteront en 325 Intégration régionale comparée 1994 afin de coordonner les politiques monétaires pendant la période de transition. 3. Définir, concevoir et gérer une politique monétaire et une politique de change unique par rapport au reste du monde. Cela permettra de maintenir la stabilité des prix au sein de l'Union Economique et Monétaire Européenne (UEME). TABLEAU N°6 LES CRITERES DE CONVERGENCE DE MAASTRICHT STABILITE DES PRIX ET CONVERGENCE A LONG TERME Taux d'inflation ne dépassant pas de plus de 1,5 point le taux moyen des trois pays membres de l'UE ayant les plus faibles taux d'inflation Taux d'intérêt à long terme n'excédant pas de plus de 2 points le taux moyen des trois pays membres ayant les plus faibles taux d’inflation PRINCIPE DE STABILITE DU TAUX DE CHANGE Deux années de participation au SME à marges normales, sans tensions ni réalignement CONTAINTES PORTANT SUR LES FINANCES PUBLIQUES Déficit public inférieur à 3% du PIB Endettement public inférieur à 60% du PIB CONCLUSION : LA VIABILITE DE L’HARMONISATION DES POLITIQUES ECONOMIQUES DANS LE MERCOSUR Compte tenu des limites auxquelles se heurtent actuellement les pays du Mercosur, il paraît pertinent d’envisager pour eux un dispositif similaire à celui 326 La coordination des politiques monétaires au sein du Mercosur : les enseignements du modèle Européen d’intégration régionale constitué du SME et du Traité de Maastricht. Toutefois, les objectifs de monnaie unique et de banque centrale commune en seraient pour l’instant écartés. En outre, le processus d’harmonisation des politiques devrait être intensifié, afin d’éviter que chaque pays, ne considérant que ses propres intérêts à court terme, ne puisse mettre en péril la cohésion, chèrement acquise, de la région. Différentes options peuvent être envisagées. Au préalable, il faut s’assurer que chaque pays sera à même de promouvoir une politique temporellement cohérente et crédible en termes d’anticipations. Tant que tel n’est pas effectivement le cas pendant un certain temps, peu de progrès peuvent être envisagés en matière d’harmonisation. Chacun des pays membre du Mercosur devrait étudier les différentes possibilités suivantes : a. l’adoption, en premier lieu, d’un régime de changes fixes, qui serait ancré, non sur le dollar, mais sur un panier de monnaies, représentatif du commerce extérieur de chaque pays. Ce système n’a rien d’optimal et possède ses propres inconvénients, mais il constitue un type d’engagement relativement acceptable (une sorte d’optimum de second rang). Il aurait vocation à être en vigueur pendant une période exploratoire limitée, jusqu’à ce que d’autres critères de convergence puissent être adoptés. b. L’adoption de critères de convergence (inspirés du Traité de Maastricht), afin de disposer de lignes de conduites claires. Sur ces bases, une modification du régime de change pourrait être envisagée. Le moment opportun doit en être arrêté de façon consensuelle, surtout si les parités en vigueur doivent s’en trouver substantiellement modifiées. c. L’extension du champ de compétences du groupe de pilotage macro-économique, récemment institué. De nouvelles tâches et davantage de 327 Intégration régionale comparée pouvoirs devraient lui être confiés, afin qu’il devienne une instance permanente de consultations inter-gouvernementales. Il pourrait permettre de progresser sur la question du régime de change (l’ancrage sur un panier de monnaies) et sur le suivi de certaines variables-clefs (déficit budgétaire, dette extérieure, taux d’intérêt) appelées à devenir des critères de convergence, à l’instar de ceux prévus par le Traité de Maastricht. A terme devrait être créée une instance ayant le pouvoir de sanctionner les pays au comportement déviant. Si les conditions précédentes étaient remplies, il serait nettement plus aisé de parvenir à une coordination des politiques monétaires. Pour parvenir à ce stade, l’Europe communautaire a connu de nombreux débats, tant théoriques que pratiques, principalement entre 1979 et 1991 (cf. tableau 4). Au vu de son évolution ultérieure, et sans nier certaines difficultés, l’UE offre une contribution majeure en vue d’une mise en œuvre effective de politiques monétaires coordonnées dans le Mercosur. NOTES 1 De 1991 à 1997, le commerce extérieur total en volume (exportations et importations) a cru au taux annuel de 14,5 %, atteignant 179,93 millions de dollars, tandis que le taux de croissance du commerce interne au Mercosur atteignait 26,2 %. Celui-ci a atteint un sommet en 1997, à 41,4 millions de dollars – soit 23 % du commerce extérieur global en volume. Ces chiffres ont fait du Mercosur une des régions les plus actives en termes d’évolution du commerce extérieur. Depuis 1997, les flux ont légèrement décru, en raison des crises asiatique et russe. L’impact de ces crises successives a conduit certains pays membres, en particulier le Brésil, à s’écarter de l’esprit du Traité d’Asuncion. 2 S’agissant de la coordination des politiques budgétaires, il faut tenir compte : a. de l’existence de problèmes structurels au sein des pays membres ; b. du fait que les systèmes fiscaux sont relativement inefficaces ; c. des conflits de juridiction au sein des Etats fédéraux. Ceux-ci se produisent d’ordinaire entre les provinces (ou Etats fédérés) et le pouvoir central ; d. la nécessité d’assurer la solvabilité du secteur public (point fréquemment pris en compte par le FMI ) en vue de limiter le risque-pays. e. La nécessité de compenser les dépenses du secteur public. Ce secteur a tendance à se comporter de façon pro-cyclique dans le Mercosur. 3 Il faut également envisager un régime apparenté aux changes fixes : le crawling peg. Obstfeld et Rogoff ([1995] et [1998]) invitent à ne pas surestimer les mérites des changes fixes. 328 La coordination des politiques monétaires au sein du Mercosur : les enseignements du modèle Européen d’intégration régionale BIBLIOGRAPHIE ARNAUDO, Aldo, “Armonización monetaria entre Argentina y Brasil” in Estudios. IEERAL/Fundación Mediterránea, Año XVI, Nº 64 (Córdoba) 1993. BANCO CENTRAL EUROPEO, Informe Anual, febrero 2000; and Boletín Mensual, until july 2000. 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INTRODUCTION Le processus d'intégration dans le Mercosur naît des programmes de coopération sectorielle bilatéraux établis entre l'Argentine et le Brésil à partir de 1985. Le projet s'étend et acquiert une dimension proprement régionale avec la signature du Traité d'Asunción qui institue le Mercosur en 1991. En signant ce Traité programmatique, les gouvernements entendent construire dans le long terme un Marché Commun assorti d'instruments pour la coordination des politiques macroéconomiques (Tratado de Asunción, 1991 : Article 1). Entre 1991 et 1995, le commerce intra-régional est libéralisé en vue de la formation de la Zone de Libre-Echange, en réalisant ainsi le premier pas vers le Marché Commun. En décembre 1994, avec le Protocole d'Ouro Preto, 331 Intégration régionale comparée les gouvernements de la région concluent les négociations sur l'instrument du Tarif Extérieur Commun (TEC) : le deuxième pas en direction du Marché Commun. A cette occasion, ils instituent un « Régime d’adéquation finale à l’union douanière », mais aucune disposition en matière macroéconomique n'est adoptée (1). En 1999, le régime d’adéquation arrive à son terme et le Mercosur est secoué par la dévaluation du real brésilien. Le thème de la coordination des politiques macroéconomiques réapparaît donc soudainement dans l’agenda des décideurs. Ce chapitre a pour objectif d’analyser les raisons qui ont conduit les pays du Mercosur à replacer l’instrument de la coordination des politiques macroéconomiques au sommet de l’agenda pour l’approfondissement du processus d’intégration régionale. Il examine en particulier les stratégies d’intégration adoptées par les pays de la région pour expliquer les raisons de l’abandon de ce thème au cours des ans (Section 1). Puisque la crise du Mercosur a coïncidé avec la crise financière internationale, il s’interroge sur la relation qui existe entre intégration régionale et flux financiers internationaux (Section 2). Il analyse ensuite le rôle du développement du commerce dans l’approfondissement du processus d’intégration dans le Mercosur (Section 3) et étudie l’impact de l’instabilité macroéconomique sur le commerce et l’intégration régionale (Section 4). En conclusion le chapitre souligne comment l’Union Européenne pourrait soutenir l’approfondissement du processus d’intégration régionale dans le Mercosur en ce qui concerne la coordination des politiques macro-économiques. I- Stratégies d’intégration régionale dans le Mercosur 332 Instabilité, commerce et coordination des politiques macro-économiques dans le Mercosur : quel rôle pour l'Union européenne? Pour cerner les termes du débat sur la coordination des politiques macroéconomiques, il convient de relire l'histoire de la négociation du Mercosur et d’analyser les instruments des politiques d’intégration. En distinguant trois phases, il est possible d’interpréter la logique qui a animé les décideurs et les diplomates responsables des négociations ; pragmatique, puis ambitieuse et enfin optimiste l’approche de l’intégration régionale a sensiblement évolué depuis le lancement du Mercosur (Tableau 1). Pendant la première phase argentino-brésilienne des années quatrevingt, les négociations ont été animées par une logique pragmatique. A partir de la Déclaration d’Iguazú de 1985, l'intégration régionale a été fondée sur des protocoles sectoriels qui avaient le double objectif de développer un commerce intra-sectoriel équilibré et de corriger la structure de la spécialisation internationale en soutenant les secteurs à haute intensité de valeur ajoutée, en particulier l’énergie, les biens de capitaux et l’automobile. Il s’agissait pour les nouveaux gouvernements démocratiques des présidents Sarney et Alfonsín de renforcer le climat de paix et de coexistence pacifique dans la région et de soutenir le processus d’ouverture commerciale, tout en gérant les effets d’ajustement structurel provoqués par l’ouverture. Pendant la seconde phase, inaugurée en 1991, c'est par contre une logique ambitieuse qui anime les négociateurs qui agissent sous le mandat politique des quatre gouvernements de la région. L'objectif de long terme de la politique d'intégration est la création du Marché Commun, à construire progressivement par le biais de la libéralisation du commerce intra-régional linéaire, automatique et irréversible de tout l’univers tarifaire (zone de libreéchange), l'adoption du TEC (union douanière), et la coordination des politiques sectorielles et macroéconomiques (marché commun). D’une approche sectorielle on passe ainsi à une approche globale (Dabène, 1995). 333 Intégration régionale comparée Dans les premières réunions du Conseil et du Groupe Marché Commun (2), le thème de la coordination des politiques macroéconomiques avait une place aussi importante que les autres thèmes liés à l’accès au marché. Ainsi dans la réunion de Las Leñas, en juin 1992, le Sous-groupe No.10 est chargé de produire une « étude et des propositions pour éviter les répercussions commerciales de l’instabilité monétaire » (Consejo Mercado Comun, 1992). Cependant, dans les réunions successives qui préparent la signature du Protocole de Ouro Preto, ce sont les aspects commerciaux qui dominent les négociations. Car le but établi par les Présidents était celui de mettre en marche à temps l’union douanière, qui voit ainsi le jour le 1er janvier 1995. Dans la phase conclue par la dévaluation du real brésilien de 1999, c'est par contre une logique optimiste qui a animé les négociateurs. Sur la base des succès commerciaux du début des années quatre-vingt-dix, l'attention a été centrée sur les instruments de politique commerciale, en particulier sur le perfectionnement de l'union douanière. Pendant cette période, il s’agissait en effet de consolider le Mercosur en le mettant à l’abri des pratiques nationales qui menaçaient la libre circulation interne des marchandises et la gestion commune de la politique commerciale face aux pays tiers. Les exceptions au tarif extérieur commun et la négociation des régimes sectoriels spéciaux ont donc été les thèmes dominants de l’agenda pour l’intégration. Par contre, l’impact des politiques macroéconomiques sur la compétitivité prix ne représentait pas une préoccupation pour les décideurs, car les politiques de stabilisation ancrées sur le taux de change, adoptées en Argentine et au Brésil, garantissaient la stabilité des prix relatifs. Progressivement, à partir de 1991, et très clairement après 1995, les dirigeants ont adopté une politique d'intégration qui a rendu le Mercosur vulnérable aux chocs macroéconomiques exogènes. Les failles du projet 334 Instabilité, commerce et coordination des politiques macro-économiques dans le Mercosur : quel rôle pour l'Union européenne? d'intégration ont cependant été occultées par une conjoncture interne et internationale favorable et par le développement sans précédent du commerce intra-régional. Quand, en 1999, l'Argentine et le Brésil ont réagi de manière asymétrique à la crise financière internationale, les faiblesses du Mercosur sont apparues évidentes, et le processus d'intégration est entré en crise. 335 Pragmatique Ambitieuse Optimiste Réaliste 1986 - 1991 1991 - 1995 1995 - 1999 2000 - Source: Evaluation de l'Auteur Logique de l'intégratio n Période Instable Abondante Abondante Peu abondante Contrainte macroéconomiqu e (liquidité internationale) Convergente Divergente Divergente Aléatoire Cycle macroéconomiqu e 336 Intégration profonde Intégration de surface Intégration profonde (libérale) Intégration profonde (structuraliste) Objectif stratégique Coordination macroéconomi que Union douanière Union douanière Marché commun Protocoles sectoriels Négociations Mercosur Tableau 1 - Mercosur: Contrainte macroéconomique, logiques et objectifs de l’intégration régionale Intégration régionale comparée Intégration régionale comparée II- Stratégies d’intégration régionale et liquidité financière internationale Puisque l’élément détonateur de la crise du Mercosur a été la crise financière internationale, il est nécessaire de s'interroger sur la relation qui existe entre disponibilité internationale de flux financiers et dynamique d'intégration. Bien que l'histoire économique de l'Amérique latine puisse être écrite en analysant l’interaction entre la contrainte extérieure et les politiques de développement (Bulmer Thomas, 1994), cette question n'a été abordée ni par la littérature théorique sur l’intégration régionale, ni par celle empirique disponible sur le Mercosur. Les seules remarquables exceptions étant les travaux de Lavagna (2000). Dans les années quatre-vingt, sous l'effet de la crise de la dette, les pays latino-américains devaient affronter une situation de faible liquidité sur les marchés financiers internationaux. Les gouvernements étaient forcés d'adopter des politiques commerciales orientées vers l'accumulation de réserves en monnaies fortes qu'ils destinaient aux pays créanciers. Dans tous les pays de la région, le service de la dette (Graphique 1) imposait ainsi la réduction des importations et le développement des exportations (Tableau 2) en vue d’accumuler des surplus commerciaux. La recherche simultanée dans plusieurs pays de surplus commerciaux est certainement un obstacle à la conclusion d'un accord d'intégration régionale. Intégration régionale comparée Graphique 1 – Service de la dette total (en % des exportations de biens et services, médianes régionales) 45 40 35 30 25 20 15 10 5 1980 1981 1982 1983 1984 1985 1986 1987 T ig e rs 1988 1989 1990 1991 1992 R e s t o f La t in A me ric a 1993 1994 1995 1996 1997 M e rc o s u r Source : World Bank, World Development Indicator, 2000 Tableau 2 : Commerce et Produit Intérieur Brut (Taux de croissance annuel moyen) Importations de biens et services 198589 2.9 6.9 6.8 Produit Intérieur Brut 199094 199598 198084 198589 199094 1995-98 198084 198589 199094 199598 3.6 8.6 3.6 5.1 4.9 8.8 2.0 3.6 1.7 2.7 11.6 14.3 4.8 7.8 12.3 13.4 11.3 6.8 8.1 8.6 5.6 -2.9 5.6 13.3 10.6 5.4 5.2 7.0 9.4 1.3 2.5 3.3 3.0 5.1 5.1 7.2 11.2 5.3 7.4 10.4 9.4 5.7 6.0 4.9 6.0 0.4 -0.6 2.1 6.6 -0.5 3.5 2.7 5.7 2.3 2.1 0.6 3.6 -1.3 -1.9 36.0 10.6 0.8 5.6 6.6 12.9 -0.1 -1.4 6.8 3.7 Brésil -7.6 6.7 11.4 16.4 14.2 6.8 6.0 1.7 1.4 4.5 1.5 2.6 Paraguay 7.3 7.0 43.1 4.0 -3.9 17.2 10.0 10.9 3.9 4.1 2.9 2.0 Uruguay -7.9 9.1 16.2 8.3 2.6 5.7 9.6 6.0 -2.8 3.9 4.3 3.3 Pays OCDE (haut revenu) Asie de l'Est & Pacifique Amérique Latine & Caraïbes Asie du Sud Afrique SubSaharienne Argentine 1980-84 Exportations de biens et services Source: World Bank, World Development Indicators, 2000 Les pays du Mercosur ont cependant adopté la logique d’intégration 338 1998 Instabilité, commerce et coordination des politiques macro-économiques dans le Mercosur : quel rôle pour l'Union européenne? définie comme pragmatique. Celle-ci permettait aux nouveaux gouvernements démocratiques de maintenir le cap de la politique commerciale sur l'ouverture tout en respectant la contrainte extérieure imposée par le service de la dette. L'environnement caractérisé par la faible disponibilité de liquidité internationale a ainsi incité les gouvernements de la région à structurer un nouveau paradigme d'intégration régionale caractérisé par la mise en œuvre de politiques d’intégration sectorielles. La logique était effectivement pragmatique. Du coté des importations, les préférences tarifaires octroyées aux partenaires régionaux permettaient d'économiser des devises fortes par le biais de l'effet de détournement de commerce qui stimule les importations régionales (payées en devises faibles) au détriment de celles en provenance des pays développés (payées en devises fortes). Du coté des exportations, l'objectif était celui de la modernisation des structures de production pour s'insérer dans les marchés internationaux avec des marchandises à haut contenu de valeur ajoutée. Les accords d'intégration régionale associés à des politiques industrielles actives imposaient certes un coût d'efficience, mais permettaient aussi la reconversion industrielle et la modernisation. De surcroît, ils créaient un environnement attractif pour les investisseurs étrangers, grâce à l'élargissement du marché (économies d'échelle) et grâce à la rationalisation des structures productives (économies de spécialisation transnationale). Dans les années quatre-vingt-dix, les programmes de stabilisation macroéconomique ont permis à l'Argentine et au Brésil de retrouver la crédibilité sur les marchés internationaux de capitaux. Les conditions de financement extérieur se sont améliorées grâce aux massifs investissements directs étrangers, mais aussi grâce à une nouvelle vague d'investissements de portefeuille (CEPAL, 339 Intégration régionale comparée 1999). La disponibilité de liquidité internationale a contribué à la transformation de la stratégie d'intégration régionale. L'entrée de capitaux a provoqué l'appréciation du taux de change réel, qui a rendu les exportations locales peu compétitives sur les marchés internationaux, a stimulé les importations depuis les pays occidentaux et a déterminé des déséquilibres croissants de la balance commerciale. La possibilité de financer les déficits commerciaux à bas coût a aussi réduit les incitations à adopter des politiques d’intégration régionale impliquant le détournement de commerce. La disponibilité de liquidité internationale a en particulier rendu politiquement acceptables les déficits commerciaux entre partenaires du Mercosur. Le déficit de l'Argentine envers le Brésil, apparu après le lancement du Plan de Convertibilité, n'aurait sans doute pas été accepté en l'absence de conditions financières extérieures favorables et d'une phase de croissance de l'économie. La même situation s'est vérifiée en 1994-1995 quand le Brésil stabilise l'économie avec le Plan réal et renoue avec la croissance alors que les prix relatifs deviennent favorables pour l'Argentine, qui entre en récession à la suite de la contagion de la crise financière mexicaine. C'est alors le Brésil qui subit le déficit commercial bilatéral et qui soutient l'augmentation de l'intensité du commerce régional (Giordano, 1999). La mutation des conditions de financement sur les marchés internationaux de capitaux a donc modifié les stratégies et les instruments des politiques d’intégration. Dans un contexte de disponibilité de liquidité internationale, l’objectif principal de ces politiques devient l’expansion du commerce multilatéral et régional. L’accroissement des flux commerciaux intrarégionaux permettant de surcroît un approfondissement dynamique du processus d’intégration, au fur et à mesure qu’augmente la concurrence entre partenaires 340 Instabilité, commerce et coordination des politiques macro-économiques dans le Mercosur : quel rôle pour l'Union européenne? régionaux. III- Nouveau régionalisme, concurrence et interdépendance commerciale Le changement des politiques d’intégration s’inscrit dans le cadre de l’adoption du paradigme du régionalisme ouvert (CEPAL, 1994) qui rompt avec les tentatives intégrationnistes du passé (Giordano, 2000). Ce nouveau régionalisme est intimement lié aux processus de réformes structurelles : il a entre autres aidé les pays à ouvrir leurs économies, à verrouiller les réformes, à moderniser les institutions, à attirer les investissements directs étrangers et à préparer les pays membres à affronter la concurrence internationale et la mondialisation (Ethier, 1998 ; Fernandez et Portes, 1998 ; Devlin et Estevadeordal, 2000). Malgré certaines exceptions sectorielles et nationales, les pays de la région ont sensiblement libéralisé le commerce intra-régional et multilatéral. Le tarif moyen appliqué aux pays tiers est passé de 41% en 1986 à 12%. La réponse en terme d’expansion des flux commerciaux a été remarquable : entre 1990 et 1997, les exportations et les importations ont crû respectivement de 9% et de 19% par an, et le commerce intra-régional a connu des taux de croissance supérieurs à la moyenne (25%). Comme résultat de ce dynamisme commercial, le niveau de l'interdépendance régionale, mesuré par le rapport entre commerce intra-régional et commerce total, est passé de 9% en 1990 à 25% en 1998 (IDB, 1999). La formation du Mercosur a été jugée positivement par les investisseurs étrangers qui ont dirigé des flux croissants d'investissements directs vers la région. Entre 1990 et 1998, l'Argentine et le Brésil ont reçu des flux nets d'investissements directs étrangers pour une valeur d'environ 60 et 110 milliards 341 Intégration régionale comparée de dollars, respectivement. L’intérêt renouvelé des investisseurs pour la région doit certainement être mis en relation avec la stabilisation macroéconomique, atteinte en Argentine en 1991 et au Brésil en 1994, et avec les privatisations de l'appareil productif public construit pendant la période de substitution des importations. Mais des recherches spécifiques sur la stratégie des investisseurs indiquent que la formation de l’espace économique régional intégré est l'une des motivations principales qui les ont conduits à investir dans les pays du Mercosur (Giordano et Santiso, 1999). Cette extraordinaire période de succès s'essouffle seulement en 1998. Pour la première fois depuis la création du Mercosur, le commerce régional fléchit à cause du ralentissement de la croissance argentine et brésilienne et les exportations intra-régionales diminuent de 2% par rapport à l'année précédente. Dans un premier temps, ce retournement de conjoncture n'a pas été remarqué car les exportations vers le reste du monde ont diminué encore plus rapidement (3%) et le niveau d'interdépendance entre les pays du bloc a continué à croître en passant de 24,8% en 1997 à 25,1% en 1998. De plus, l'inversion de tendance commerciale n'a pas eu d'effets négatifs sur les investissements directs étrangers (IDE). En 1999, les IDE ont été multipliés pas trois par rapport à l'année précédente en Argentine (21 milliards de dollars) et ils sont restés stables au niveau record de 30 milliards de dollars au Brésil (CEPAL, 1999). Ces extraordinaires succès commerciaux du Mercosur ont permis l’approfondissement endogène du processus d’intégration, mais ils en ont aussi masqué les faiblesses. En effet, l’augmentation de la concurrence régionale et de l’interdépendance commerciale ont contribué dynamiquement à l’approfondissement du Mercosur : la libéralisation du commerce intra-régional a engendré la demande pour l’harmonisation de la politique commerciale face aux 342 Instabilité, commerce et coordination des politiques macro-économiques dans le Mercosur : quel rôle pour l'Union européenne? pays tiers, alors que la consolidation du marché régional intégré a engendré la demande pour la création d’un mécanisme de solution des différends efficace (Devlin et al., 2000). Mais ce rôle catalytique du commerce a été surestimé du fait de n’avoir pas considéré l’environnement macroéconomique dans lequel le commerce se développait. Dans un marché régional qui s’intègre progressivement grâce à l’élimination des barrières tarifaires et non tarifaires, les exportations nationales dépendent de plus en plus du cycle macroéconomique des pays partenaires (Heyman et Navajas, 1998). Si les partenaires régionaux ont un cycle asynchronisé, le commerce est anticyclique, fonctionne comme un stabilisateur automatique de la conjoncture et devient désirable du point de vue politique. Alors que, si les cycles sont synchronisés, le commerce est pro-cyclique et les gouvernements tentent de minimiser cet effet en adoptant des politiques commerciales restrictives. Dans les grands pays du Mercosur, le cycle macroéconomique a été faiblement corrélé pendant la phase pragmatique, très fortement a-synchronisé pendant la phase ambitieuse et très fortement synchronisé pendant la phase optimiste (Tableau 3) ; la synchronisation de 19911995 étant due principalement au décalage temporel de l’adoption des plans de stabilisation en Argentine et au Brésil. L’expansion du commerce et l’approfondissement dynamique du processus d’intégration dans le Mercosur s’explique donc en partie par cette configuration exogène des cycles macroéconomiques. Tableau 3 – Coefficient de corrélation entre les taux de croissance du PIB entre partenaires régionaux selectionnés 343 Intégration régionale comparée 1980-98 1980-85 1986-90 1991-95 1996-98 0.5 -0.5 0.2 0.6 1.0 -0.1 -0.1 -0.4 -0.3 1.0 Communauté Andine (Colombie – Vénezuela) 0.2 0.1 0.6 -0.9 0.8 Mercosur (Argentine – Brésil) 0.1 0.1 0.6 -0.7 0.9 Union européenne (France – Allemagne) 1 ALENA (Etats Unis – Méxique) Note: 1 Pour éliminer l'effet distorsif de la réunification allemande, l'année 1991 a été éliminée. Source: World Bank, World Development Indicators, 2000; Calculs de l'Auteur En synthétisant, pendant les années quatre-vingt-dix, la disponibilité de liquidité financière, associée à l’asynchronisme des cycles macroéconomiques et à l’expansion du commerce intra-régional, a conduit les pays du Mercosur à changer la stratégie d’intégration, à concentrer les efforts sur la libéralisation commerciale et à laisser de côté les thèmes de la coordination des politiques macroéconomiques. Ce glissement dans les objectifs stratégiques du Mercosur a rendu le bloc vulnérable face aux chocs externes. La vulnérabilité est cependant restée latente jusqu'à ce que le régime transitoire d'adéquation qui protégeait les secteurs sensibles soit encore en vigueur, les cycles économiques restaient asynchrones et les forts déficits commerciaux étaient soutenables économiquement et politiquement. Les faiblesses du projet d’intégration sont apparues en 1999 quand l'Argentine et le Brésil ont répondu de manière asymétrique à la crise de liquidité internationale. La dévaluation nominale de la monnaie brésilienne a fait monter des fortes pressions protectionnistes en Argentine et a inauguré une saison de conflits diplomatiques au sein du Mercosur (IDB-INTAL, 2000). IV-Instabilité macroéconomique, commerce et intégration régionale La question de la coordination des politiques macroéconomiques est donc 344 Instabilité, commerce et coordination des politiques macro-économiques dans le Mercosur : quel rôle pour l'Union européenne? devenue un thème prioritaire de l'agenda pour la relance du Mercosur. Les Présidents de la région réunis lors du Conseil du Marché Commun ont décidé que “les Ministres de l’Economie et les Présidents des Banques centrales […] avancent [ …] dans l’identification et l’établissement des instruments nécessaires pour l’accomplissement de l’Article 1 du Traité d’Asunción en ce qui concerne le coordination des politiques macroéconomiques” (Consejo Mercado Común, 1999). Plusieurs travaux ont déjà traité la question de la convergence macroéconomique dans le Mercosur en l’abordant depuis plusieurs points de vue (Lavagna et Giambiagi, 1998 ; Eichengreen, 1998 ; Giambiagi, 1999 ; Fanelli, 2000 et Zahler, 2000), y compris celui de la dollarisation (Calvo, 2000a et 2000b). L’exposé qui suit propose une contribution empirique à cette littérature en étudiant l’impact de l’instabilité macroéconomique sur le commerce. Cette approche se justifie par le constat que l’augmentation du niveau de concurrence dans un marché intégré engendre la demande pour la coopération régionale dans le contrôle d’un nombre croissant de facteurs qui affectent la compétitivité. Puisque le Mercosur est aujourd’hui menacé par des altérations erratiques de la compétitivité prix liées à l’instabilité macroéconomique, la question se pose de savoir si les pays de la région sont des candidats souhaitables pour une union monétaire (3). Or, l’optimalité de l’adoption d’un tel instrument d’intégration peut être endogène : au fur et à mesure que l’interdépendance commerciale augmente, la coordination des politiques macroéconomiques peut devenir un choix optimal. La considérable littérature sur les Zones Monétaires Optimales (ZMO) résumée par Tavlas (1994), a traité la question de l’opportunité pour un pays de participer à une union monétaire. Les contributions théoriques et empiriques sur 345 Intégration régionale comparée le sujet ont souligné quatre types d’interdépendance entre partenaires régionaux pour en évaluer l’optimalité : le niveau du commerce, la symétrie des chocs et des cycles, le degré de mobilité du facteur travail, et l’éventuelle existence de systèmes de transferts fiscaux. La désidérabilité d’une union monétaire augmente 70 60 50 40 30 20 10 0 European Unio n NAFT A 1 980 Lat in Am erican Int egrat ion Associat ion Andean Com m unit y 1 985 19 90 Cent ral Am erican Com m on Market M ercosur 19 95 Asean 1998 Source: World Bank, World Development Indicators, avec le niveau de l’interdépendance entre les pays candidats. En étudiant les deux premiers critères, Frankel et Rose (1996) ont récemment argumenté que les critères pour une ZMO sont endogènes. Ceci implique qu’une zone monétaire qui n’est pas optimale ex ante pourrait le devenir ex post, puisque l’augmentation de l’interdépendance commerciale peut favoriser la croissance de la corrélation des cycles entre pays partenaires. Cependant, il n’y a pas de consensus à ce sujet. Par exemple, Eichengreen (1992) et Krugman (1993) ont argumenté que l’intégration régionale détermine une spécialisation internationale selon les avantages comparatifs. Donc, les chocs spécifiques à une industrie et à un pays déterminé conduisent à la réduction de la corrélation du cycle économique. Puisque la théorie est ambiguë, il s’agit d’une question empirique qui doit 346 Instabilité, commerce et coordination des politiques macro-économiques dans le Mercosur : quel rôle pour l'Union européenne? être résolue au cas par cas. L’impact de l’intégration commerciale sur la symétrie du cycle macroéconomique dépend principalement du type de commerce que les partenaires entretiennent entre eux (inter- ou intra-industriel) et du type de chocs qui affectent les économies (choc d’offre ou de demande) (4). Certaines études empiriques suggèrent que, dans les pays du Mercosur, le cycle macroéconomique sera de plus en plus corrélé dans le futur. En effet, d’une part, le commerce intraindustriel à une place croissante dans le commerce intra-régional, d’autre part, les économies du Mercosur sont de plus en plus sujettes à des chocs symétriques, comme ceux dérivant de l’instabilité financière internationale (Fanelli, 2000). Il est donc probable que l’augmentation de l’interdépendance commerciale rende endogènement optimale la convergence des politiques macroéconomiques et l’union monétaire. Un programme de coordination des politiques macroéconomiques orienté vers l’approfondissement du processus d’intégration devrait donc minimiser l’impact de l’instabilité sur le commerce. Il s’agit donc de déterminer quelle est la relation entre instabilité macroéconomique, commerce et intégration régionale dans le Mercosur. IV-1 Instabilité macroéconomique dans le Mercosur : faits stylisés A première vue, l’expérience latino-américaine montre que, au début des années 1980, la crise de la dette et l’instabilité qu’elle a engendrée a eu un effet dépressif sur le commerce intra-régional (Graphique 2). Bien qu’intuitivement justifiable, la relation négative entre instabilité macroéconomique et commerce est toutefois sujette à une controverse théorique et empirique résumée par Mc Kenzie (1999). Cependant, l’estimation économétrique conduite avec un modèle de gravité sur un vaste échantillon de pays développés et en développement confirme que l’instabilité a un impact négatif sur le commerce bilatéral, en particulier sur celui entre pays en développement 347 Intégration régionale comparée (Estevadeordal et al, 2000). Il convient dès lors d’analyser systématiquement les sources de l’instabilité dans les pays du Mercosur et d’en évaluer empiriquement l’impact sur le commerce. Graphique 2 – Exportations intra-régionales (% des exportations of totales) L’instabilité macroéconomique qui affecte le commerce peut être de nature externe quand elle est déterminée par les fluctuations des marchés internationaux de biens et de capitaux ou de nature interne quand elle est déterminée par la conduite erratique des politiques macroéconomiques. Les perturbations de l’économie réelle transmises par les marchés internationaux de marchandises peuvent être analysées par le biais de la volatilité des termes de l’échange. La vulnérabilité des économies à la volatilité des termes de l’échange dépend principalement de la composition par produits du commerce et du degré d’ouverture. En effet, si le commerce est concentré sur un nombre réduit de biens primaires, la volatilité des prix internationaux des marchandises se traduit par la volatilité des termes de l’échange des pays. La comparaison de la composition des exportations dans le Mercosur et dans d’autres régions du Monde montre que les pays du Cône Sud sont encore dépendants de l’exportation de produits à faible teneur de valeur ajoutée, ce qui les expose à cette source de volatilité (Graphique 3). La formation du Mercosur a cependant permis de réduire la part des produits primaires dans les exportations totales et de réduire cette vulnérabilité. Graphique 3 - Composition par produit des exportations (% des exportations totales de biens) 348 Asie de l'Este et Pacifique 100% 80% 60% 40% 20% 0% Instabilité, commerce et coordination des politiques macro-économiques dans le 1980 1985 1990 1995 1997 Mercosur : quel rôle pour l'Union européenne? Argentine Brésil 100% 100% 80% 80% 60% 60% 40% 40% 20% 20% 0% 0% 1980 1985 1990 1995 1997 1980 1985 1990 1995 1997 1995 1997 Uruguay Paraguay 100% 100% 80% 60% 80% 60% 40% 20% 40% 20% 0% 0% 1980 1985 1990 1995 1980 1997 Matières premières agricoles Pétrole 1985 Or et métaux 100% Aliments 0% 1980 1985 1990 Produits manufacturés Source: World Bank. World Development Indicators (2000). 349 1995 1997 1990 Intégration régionale comparée Mais l’impact de la volatilité des termes de l’échange dépend du degré d’ouverture des économies au commerce international. L’effet combiné de la volatilité des termes de l’échange et de l’ouverture est résumé par une variable appelée volatilité des chocs des termes de l’échange (5). Le Graphique 4 indique que dans les pays du Mercosur cette source d’instabilité a été réduite depuis la formation du marché régional intégré. Cependant, au fur et à mesure que la libéralisation commerciale continuera à faire augmenter le niveau du coefficient d’ouverture, les perturbations sur les marchés de biens auront un impact de plus en plus important, à moins qu’elles ne soient compensées par un degré suffisant de diversification des exportations. Graphique 4 – Volatilité des termes de l'échange 4 .5 4 3 .5 3 2 .5 2 1 .5 1 0 .5 0 D e v e lo p e d C o u n t r ie s T ig e r s L a t in A m e r ic a 1 9 7 0 s 1 9 8 0 s M erco s u r 1 9 9 0 s Source: World Bank World Development Indicators 2000; 350 Instabilité, commerce et coordination des politiques macro-économiques dans le Mercosur : quel rôle pour l'Union européenne? Graphique 5 – Flux de capital privé bruts (% du PIB) 3 0 .0 0 2 5 .0 0 2 0 .0 0 1 5 .0 0 1 0 .0 0 5 .0 0 0 .0 0 1980 1981 1982 1983 1984 1985 1986 D ev elo p e d co u n t ries 1987 1988 T iger s 1989 1990 1991 1992 1993 R es t o f L at in A m erica 1994 1995 1996 1997 1998 M er co s u r Source: World Bank, World Development Indicators, 2000. Comme il a été souligné dans les sections précédentes, les chocs financiers provenant des marchés internationaux de capitaux ont un fort impact sur les économies émergentes. L’instabilité des conditions de financement peut être résumée par des indicateurs qui rendent compte du volume et du coût du financement externe. Le Graphique 5 montre que le volume de flux de capitaux privés vers le Mercosur a atteint un pic juste avant la crise de la dette (7% du Pib) et a chuté pendant la « décennie perdue ». Il a cependant augmenté à nouveau depuis une décennie après que les investisseurs étrangers aient récupéré la confiance à la suite de l’adoption des programmes de stabilisation argentin (1991) et brésilien (1994) qui ont sensiblement réduit le risque pays. Cependant, depuis quelques années, le prix des capitaux étrangers a 351 Intégration régionale comparée augmenté sensiblement, en particulier depuis que les pays du Mercosur ont été atteints par la contagion de la crise du Tequila après 1995 (Graphique 6). Ces simples indicateurs suffisent à montrer à quel point les pays de la région sont aujourd’hui exposés aux fluctuations des marchés internationaux de capitaux. D’autant plus que, du fait des programmes de libéralisation commerciale et financière, ils ont sensiblement augmenté le déficit de compte courant des balances des paiements (Graphique 7). Graphique 6 – Taux d'intérêt moyen (%) 12 10 8 6 4 1980 1981 1982 1983 1984 1985 1986 1987 T igers 1988 1989 1990 1991 1992 1993 R es t o f L at in A m erica 1994 1995 1996 1997 1998 M erco s u r Source: World Bank, Global Development Finance, 2000 Graphique 7 – Balance du compte courant (%) 15.00 10.00 Le Mercosur a aussi été exposé à l’instabilité dérivant de la gestion des 5.00 0.00 -5.00 -10.00 1980 198 1 19 82 1 983 1984 198 5 D ev elop ed C ount ries 19 86 1 987 198 9 352 1988 T igers 19 90 1 991 1992 1993 R es t o f Lat in A m erica Source: World Bank, World Development Indicators, 2000. 19 94 1 995 1996 M ercos ur 1997 1998 Instabilité, commerce et coordination des politiques macro-économiques dans le Mercosur : quel rôle pour l'Union européenne? politiques monétaires et fiscales internes, qui bien évidemment ne sont pas indépendantes des événements macroéconomiques extérieurs. Le Tableau 4 reporte des indicateurs de la volatilité (mesurée par la déviation standard) du taux de croissance du déficit public, du taux de croissance de la base monétaire et du taux d’inflation. Ces données montrent que le Mercosur a connu une volatilité supérieure à celle constatée dans d’autres régions du monde. Cependant, dans les dernières années considérées, celle-ci a été remarquablement réduite, en particulier en ce qui concerne la politique monétaire. Tableau 4 – Volatilité des politiques macroéconomiques (Déviation standard) Médiane régionale 1980-84 1985-89 1990-94 Moyenne régionale non pondérée 1995-98 1980-84 1985-89 1990-94 1995-98 Taux de croissance du déficit public Pays développées 36.8 50.8 69.2 37.7 144.6 107.6 182.9 117.6 Tigres 84.8 176.1 109.2 112.4 99.0 178.3 122.1 199.5 Reste de l'Amérique Latine 75.9 86.6 181.7 70.1 226.7 3629.9 817.6 183.2 190.0 70.7 339.2 187.8 726.4 251.3 536.8 187.8 Mercosur Taux de croissance de la base monétaire Pays développées Tigres Reste de l'Amérique Latine Mercosur 5.1 6.7 5.5 4.5 5.7 7.1 9.4 4.6 11.5 8.1 7.2 6.6 11.2 8.5 7.2 7.8 9.9 16.5 12.3 9.7 19.2 638.3 453.9 16.1 17.5 239.4 228.8 7.4 45.4 559.5 325.9 8.5 Taux d'inflation Pays développées 2.8 1.4 1.2 0.6 3.6 1.8 1.8 0.8 Tigres 5.5 1.6 1.0 1.4 7.5 2.9 1.7 5.2 Reste de l'Amérique Latine Mercosur 5.5 1.6 1.0 1.4 51.8 847.6 510.8 5.3 30.3 272.2 509.2 8.0 72.6 452.2 510.2 11.7 Note: Pays développés inclut Australie, Autriche, Belgique, Canada, Danemark, Finlande, France, Allemagne, Grece, Islande, Irlande, Italie, Japon, Luxembourg, Pays Bas, Nouvelle Zélande, Norvège, Portugal, Espagne, Suède, Suisse, Royaume Uni et Etats Unis; Tigres inclut Indonesie, Korée, Malaisie, Philippines, Singapour et Thaïlande; Reste de l'Amérique Latine inclut Bolivie, Chili, Colombie, Costa Rica, Equateur, El Salvador, Guatemala, Honduras, Mexique, Nicaragua, Panama, Peru et Venezuela; Mercosur inclut Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay Source: World Bank, World Development Indicators, 2000 et International Monetary Fund, International Financial Statistics, 2000; Calculs de l'Auteur 353 Intégration régionale comparée Grand nombre de ces indicateurs sont résumés par l’évolution de la volatilité du taux de change réel vis-à-vis du dollar américain. Cette variable reflète la volatilité de la compétitivité prix internationale et elle est utilisée dans de nombreux travaux pour évaluer l’impact de l’instabilité macroéconomique sur le commerce. Le Graphique 8 indique que les pays du Mercosur ont dû affronter des conditions de compétitivité prix particulièrement instables et donc imprévisibles, alors que les pays asiatiques et les pays développés de l’OCDE ont bénéficié d’un environnement plus stable et prévisible. Toutefois, depuis quelques années, les pays du Mercosur avaient réduit la volatilité du taux de change réel, mais la dévaluation du real brésilien (non reportée sur le graphique) a sensiblement modifié la situation. 354 Instabilité, commerce et coordination des politiques macro-économiques dans le Mercosur : quel rôle pour l'Union européenne? Graphique 8 - Volatilité du Taux de change réel bilatéral contre le Dollar (Déviation standard, Moyenne régionale pondérée par le PIB) 8 7 6 5 4 3 2 1 0 D ev elo p ed Co un t ries 1980-84 T igers 1985-89 L at in A m erica 1990-94 M erco sur 1995-98 Source: International Monetary Fund, International Financial Statistics, 2000; Calculs de l'Auteur Il est enfin intéressant de remarquer que dans les différentes régions du monde l’instabilité du taux de change réel a été associée à une structure très variée de la volatilité du taux de change nominal (Graphique 9). Tout particulièrement en Asie, mais aussi dans les pays industrialisés, le taux de change nominal a été beaucoup plus volatile qu’en Amérique latine et dans le Mercosur. Ce qui suggère que les premiers ont utilisé le taux de change nominal pour préserver la stabilité du taux de change réel et de la compétitivité. Alors que, dans les pays du Mercosur, l’association de taux de change nominaux relativement stables et d’une forte volatilité du taux d’inflation ont déterminé une 355 Intégration régionale comparée forte volatilité du taux de change réel. Graphique 9 – Volatilité du Taux de change nominal et réel bilatéral contre le Dollar (Déviation standard) Tigers 15.0 15.0 10.0 10.0 NER NER Developed Countries 5.0 0.0 5.0 0.0 0.0 5.0 10.0 15.0 20.0 0.0 5.0 10.0 RER Latin America 20.0 15.0 20.0 Mercosur 15.0 15.0 10.0 10.0 NER NER 15.0 RER 5.0 0.0 5.0 0.0 0.0 5.0 10.0 15.0 20.0 0.0 5.0 RER 10.0 RER Note: Latin America inclut les pays du Mercosur Source: International Monetary Fund, International Financial Statistics, 2000, Calculs de l'Auteur Ces faits stylisés montrent comment l’Amérique latine, et le Mercosur plus particulièrement, ont été caractérisés par une importante instabilité macroéconomique. Pour évaluer l’impact de l’instabilité sur la performance exportatrice des pays du Mercosur, une équation d’exportation a été estimée économétriquement, en considérant l’impact de l’instabilité sur les exportations totales et intra-régionales. IV-2 Estimation de l’impact de l’instabilité sur la performance exportatrice (6) 356 Instabilité, commerce et coordination des politiques macro-économiques dans le Mercosur : quel rôle pour l'Union européenne? L’impact de l’instabilité macroéconomique sur le comportement exportateur des pays du Mercosur a été estimé en utilisant une fonction d’exportation standard, dans laquelle ont été introduits plusieurs indicateurs d’instabilité. Les déterminants fondamentaux du commerce sont la demande réelle des pays partenaires, une mesure de la capacité productive domestique (approchée par le niveau du PIB réel) et le niveau du taux de change réel, qui reflète le niveau de la compétitivité prix. Le modèle a été estimé avec une technique MCO sur une base de données contenant les données nationales empilées (pooled) Le modèle estimé pour les quatre pays du Mercosur est le suivant : X it = δ 0 + δ 1Yitp + δ 2 Yith + δ 3 Pit + δ 4 S it + δ 5 D R + ε it où : X = log des exportations réelles du pays i ; it Yitp = log de la demande réelle des pays partenaires du pays i approchée par le niveau du PIB ; domestique ; Pit Yith = log du PIB = log du taux de change réel ; S = variables d’instabilité it macroéconomique, introduites une par une pour éviter les problèmes de multicolinéarité ; DR = variables muettes qui appréhendent notamment l’appartenance au Mercosur ; ε it = terme d’erreur. Le modèle est estimé pour les exportations totales et intra-régionales. Les données sont annuelles et couvrent la période 1971-1998. Les indicateurs de l’instabilité macroéconomique sont le niveau et la volatilité du taux d’inflation, la volatilité du taux de change réel et nominal vis-à-vis du dollar américain et la volatilité du taux de change réel effectif régional vis-à-vis des partenaires du Mercosur (Giordano et Monteagudo, 2000). L’analyse du comportement exportateur des pays du Mercosur a été 357 Intégration régionale comparée concentrée sur la spécification des déterminants des exportations totales et intrarégionales pendant les années quatre-vingt-dix. Le Tableau 5 présente les principaux résultats de l’estimation économétrique de l’équation basique. Il montre que, tant au niveau du commerce total qu’à celui du commerce intrarégional, les réformes macroéconomiques et structurelles du début de la décennie, appréhendées par le niveau du PIB réel domestique, ont été des déterminants importants de la performance exportatrice. Tableau 5 - Déterminants de la performance exportatrice des pays du Mercosur (Estimations des élasticités de la régression MCO basique) 1971-98 Exportations réelles totales Taux de change réel effectif multilatéral1 Capacité d'offre domestique Demande du partenaire2 Taux de change réel effectif régional 3 Exportations réelles intra-régionales Capacité d'offre domestique Demande du partenaire4 Variable muette Mercosur 1970s - 0.55 (-7.992) 0.81 (56.290) 0.78 (9.038) ** - 0.25 (- ** ** 0.84 (40.53 *** ** 0.60 (3.381) *** - 0.20 (-2.028) 0.78 (26.577) 1.07 (10.393) 0.34 (3.576) ** 0.21 (1.229) 0.79 (17.54 ** ** ** 0.75 (4.517) .. *** *** 1980s 1990s - 0.83 (-6.478) 0.76 (21.166) 0.47 (1.577) ** - 0.25 (- * ** 0.83 (46.15 ** - 0.59 (-4.324) 0.48 (8.868) 0.49 (3.184) .. ** ** (** 0.86 (28.23 ** ** 1.50 (11.24 ** Notes: *** indique un niveau de significativité de 99%, ** de 95% and * de 90%. Statistiques t entre parenthèses. 1 – Inclut tous les principaux partenaires commerciaux. 2 – PIB réel des pays OCDE et des autres pays du Mercosur. 3 – Inclut seulement les partenaires régionaux. 4 – PIB réel des autres pays du Mercosur. Source: Giordano and Monteagudo (2000) Dans le cas des exportations intra-régionales, le taux de change réel visà-vis des partenaires régionaux, et surtout la demande des partenaires, sont les principaux déterminants du commerce. En effet, pendant les années quatre-vingt- 358 0.34 (0.496 - 0.54) .. Instabilité, commerce et coordination des politiques macro-économiques dans le Mercosur : quel rôle pour l'Union européenne? dix, l’élasticité des exportations intra-régionales au taux de change réel est supérieure à celle des exportations totales et l’élasticité à la demande des partenaires est même supérieure à l’unité. Ces résultats indiquent que la gestion du niveau du taux de change réel est l’une des variables cible les plus importantes pour un éventuel système de coordination des politiques macroéconomiques qui entende contribuer au développement du commerce intra-régional. D’autre part, ils suggèrent aussi que le commerce intra-régional est en train de devenir un vecteur endogène d’interdépendance macroéconomique entre les pays de la région. La coopération dans la gestion des politiques macroéconomiques pourrait donc aider à renforcer la croissance des flux de commerce intra-régionaux. L’analyse économétrique a ensuite abordé la question de l’impact de l’instabilité macroéconomique sur le commerce. Le Tableau 6 reporte les coefficients estimés après l’introduction des indicateurs de l’instabilité dans le modèle. Il est important de souligner que les déterminants fondamentaux du commerce restent stables après l’introduction des indicateurs d’instabilité, ce qui confirme que les résultats sont robustes. Le premier indicateur utilisé est la volatilité du taux de change réel effectif vis-à-vis des partenaires régionaux (Giordano, 1999) (7). Cette variable a un effet négatif statistiquement significatif sur le commerce intra-régional. Ceci suggère que, au fur et à mesure que le marché régional s’intègre, le développement du commerce intra-régional peut être soutenu par la réduction de l’incertitude dérivant de l’instabilité du taux de change réel régional. 359 Intégration régionale comparée Tableau 6 – Effet de l'instabilité macroéconomique sur la performance commerciale intra-régionale des pays du Mercosur (Coefficients de regression MCO) 1990's Exportations réelles intra-régionales Taux de change réel effectif régional1 - 0.54 (-4.356) Capacité d'offre domestique 0.86 (28.238) Demande du partenaire 2 1.50 (11.249) Inflation * * * * * * * * * - 0.55 (-4.716) 0.85 (29.496 ) 1.40 (10.438 ) -0.011 (-2.078) * * * * * * * * * * * - 0.49 (-4.693) 0.85 (32.798 ) 1.35 (11.172 ) -0.331 (-3.670) Volatilité de l'inflation Volatilité du Taux de change réel effectif régional3 * * * * * * * * * - 0.50 (-4.268) ** * 0.84 (27.793 ) 1.40 (10.323 ) ** * - 1.34 (-2.190) ** ** * - 0.43 (3.948) 0.82 (29.95 1) 1.24 (9.195 ) ** * ** * - 0.53 (5.239) 0.86 (34.41 0) 1.39 (12.27 8) ** * ** * ** * -1.674 (4.090) Volatilité du Taux de change nominal contre le US$ 3 Note: *** indique un niveau de significativité de 99%, ** de 95% and * de 90%. Statistiques t entre parenthèses. 1 - Inclut seulement les partenaires commerciaux régionaux. 2 - PIB réel des autres pays du Mercosur. 3 – La volatilité est calculée comme la déviation standard de la différence première du logarithme naturel des observations trimestrielles. Source: Giordano and Monteagudo (2000). Les exportations intra-régionales ont aussi été négativement affectées par d’autres indicateurs d’instabilité. La raison pour l’inclusion d’indicateurs alternatifs (bien que non indépendants) est que les agents économiques peuvent réagir de façon différente à l’instabilité qui affecte différents indicateurs. Le niveau d’inflation, ainsi que sa volatilité, et la volatilité du taux de change nominal et réel vis-à-vis du dollar américain affectent négativement le commerce intra-régional. Ces résultats montrent la nécessité de la stabilisation des politiques macroéconomiques domestiques. En effet, l’incertitude liée au niveau des prix domestiques affecte négativement le commerce intra-régional. Les 360 ** * * * * -3.881 (3.587) Volatilité du Taux de change réel contre le US$3 ** * ** * Instabilité, commerce et coordination des politiques macro-économiques dans le Mercosur : quel rôle pour l'Union européenne? résultats concernant la volatilité du taux de change avec le dollar montrent que l’incertitude sur la valeur de la monnaie nationale vis-à-vis d’une monnaie forte de référence est un signal d’instabilité qui est aussi considéré comme négatif par les exportateurs, y compris ceux orientés vers le marché. CONCLUSION : Quel rôle pour l’Union Européenne ? Il est donc possible de conclure que, puisque dans le contexte du Nouveau régionalisme le commerce est un vecteur pour l’approfondissement dynamique du processus d’intégration et que l’instabilité macroéconomique a un impact négatif sur le commerce intra-régional, un programme de coordination des politiques macroéconomiques dans le Mercosur pourrait contribuer à la relance et à l’approfondissement du projet d’intégration. Le Mercosur est actuellement engagé dans un processus de négociation commerciale avec l’Union Européenne. Or, l’Union Européenne vient de réaliser le passage à l’Euro, qui représente un fait inédit dans l’histoire moderne de l’intégration régionale. La question se pose donc de savoir quel est le rôle que peut jouer l’Union Européenne dans le processus de coordination des politiques macro-économiques entre les pays du Mercosur. Bien entendu, il ne s’agit de suggérer que des éventuels apports indirects, puisque toute décision sur l’approfondissement du Mercosur ne relève que de la volonté souveraine des Etats membres. L’Accord d’Association que négocient depuis 1999 les pays du Mercosur et de l’Union Européenne comprend trois volets : dialogue politique, coopération commerciale et coopération technique (Chaire Mercosur, 2000a et 2000b). La coopération entre les pays de l’Union Européenne et ceux du Mercosur sur chaque un de ces trois volets pourrait indirectement favoriser la coordination des 361 Intégration régionale comparée politiques macro-économiques entre pays du Mercosur et l’approfondissement du projet d’intégration lui-même. Or, il est de l’intérêt de l’Union Européenne que les pays du Mercosur approfondissent le processus d’intégration. Les pays de l’Union Européenne et du Mercosur ont plusieurs points de convergence en matière de politique intérieure et internationale qui pourraient être développés au niveau du dialogue politique inter-régional, tels l’adoption de systèmes démocratiques fondés sur le respect des droits de l’homme, l’aspiration à la mise en place d’un système de gouvernance mondiale multipolaire et l’adoption de systèmes d’intégration régionale. Les deux blocs d’intégration ont un intérêt convergent dans la promotion de modèles d’intégration profonde qui aillent au-delà d’une simple zone de libre-échange. L’ouverture des négociations entre l’Union et le Mercosur est d’ailleurs un fait historique, puisque c’est la première fois que deux Unions Douanières négocient un accord de libre-échange. La coordination des politiques macroéconomiques est une étape fondamentale de l’approfondissement de l’intégration régionale dans le Mercosur. Par le soutien du processus de coordination des politiques macroéconomiques entre pays du Mercosur, l’Union Européenne pourrait renforcer l’alliance entre les deux unions douanières. Ceci lui permettrait de promouvoir un modèle de coopération réciproque qui pourrait être répliqué avec d’autres pays en voie de développement, eux-mêmes aujourd’hui en phase de redéfinir leurs rapports avec l’Union. Plusieurs incertitudes pèsent encore sur les négociations commerciales de l’Accord d’Association, même si il a été argumenté que la libéralisation du commerce entre les deux régions est une source de gains de bien-être réciproques (Giordano, 2000). Au-delà des gains par l’échange, la conclusion d’un accord commercial entre les deux régions pourrait aussi aider les pays du Mercosur à 362 Instabilité, commerce et coordination des politiques macro-économiques dans le Mercosur : quel rôle pour l'Union européenne? réduire l’instabilité macro-économique et donc à approfondir le processus d’intégration. Il a été en effet remarqué que la diversification des exportations est un moyen pour réduire la vulnérabilité aux chocs provenant des marchés internationaux de marchandises. La réduction de l’escalade tarifaire qui caractérise le système de protection de l’Union Européenne contribuerait au développement des exportations de produits à haut contenu de valeur ajoutée et réduirait la vulnérabilité des pays du Mercosur aux chocs sur les termes de l’échange. Enfin, la libéralisation du commerce entre les deux régions permettrait au Mercosur de résorber une partie de son déficit de balance commerciale, ce qui réduirait aussi sa vulnérabilité aux chocs provenant des marchés financiers internationaux. La conclusion des négociations commerciales entre les deux régions pourrait donc contribuer indirectement à la stabilisation macroéconomique des pays du Mercosur. Enfin comme le démontre l’expérience européenne, le passage vers des étapes supérieures du niveau d’intégration requiert une intense activité de préparation du secteur public, du secteur privé et de la société civile. Une coopération technique renouvelée entre pays de l’Union Européenne et du Mercosur pourrait favoriser le transfert d’expertise d’une région à l’autre, en matière d’approfondissement du processus d’intégration régionale en général et en matière de coordination des politiques macroéconomiques en particulier. Il a été argumenté que le Mercosur n’a pas l’histoire de l’Union Européenne et que de ce fait le passage à des formes d’intégration plus complexes d’intégration serait prématuré. Or, s’il n’y a pas de doute que certaines séquences dans la mise en œuvre des politiques d’intégration doivent être obligatoirement respectées, il est aussi vrai que le fait de disposer d’un exemple duquel s’inspirer peut remarquablement servir pour accélérer un processus d’intégration (Giordano, 363 Intégration régionale comparée Durand et Valladão, 2001). Un engagement ferme et déterminé de la part de l’Union Europénne pour faire avancer rapidement et sans entraves les négociations sur les trois volets de l’Accord d’Association interrégional serait donc un moyen pour favoriser la stabilité macro-économique et l’approfondissement de l’intégration régionale dans le Mercosur. NOTES (1) Il convient de rappeler que la zone de libre-échange et l’union douanière sont encore imparfaites puisque certains secteurs et certains pays jouissent encore aujourd’hui d’un régime dérogatoire spécial. (2) Le Conseil du Marché Commun est l’organe qui conduit la politique du processus d’intégration, alors que le Groupe Marché Commun est l’organe exécutif. Celui-ci travaille en sous-groupes qui à l’époque étaient : 1) Questions commerciales ; 2) Questions douanières ; 3) Normes techniques ; 4) Politique fiscale et monétaire en rapport avec le commerce ; 5) Transports terrestres ; 6) Transports maritimes ; 7) Politique industrielle et technologique ; 8) Politique agricole ; 9) Politique de l'énergie ; 10) Coordination des politiques macroéconomiques. (3) La coopération régionale en matière de coordination des politiques macroéconomiques peut en effet être considérée du point de vue théorique comme une étape intermédiaire avant l’adoption des instruments propres de l’union monétaire. (4) Par exemple, si les chocs sont des chocs d’offre et si le commerce est intra-industriel, les cycles sont alors corrélés. (5) Celle-ci s’obtient en multipliant la déviation standard d’un index des termes de l’échange par le coefficient d’ouverture de l’économie (Importations + Exportations / PIB). (6) Cette section reprend les résultats de la recherche conduite par Giordano et Monteagudo (2000) tels que présentés par Devlin et al. (2000). (7) La mesure de la volatilité est la différence première de la déviation standard du logarithme naturel, calculée sur les observations trimestrielles du taux de change réel effectif régional. Le schéma de pondération du taux de change réel effectif régional considère la moyenne mobile sur quatre ans du rapport entre exportations intrarégionales et exportations totales. Bibliographie Bulmer-Thomas, Victor (1994), The economic history of Latin America since independence, Cambridge ; New York : Cambridge University Press. 364 Instabilité, commerce et coordination des politiques macro-économiques dans le Mercosur : quel rôle pour l'Union européenne? Calvo, Guillermo (2000a), « Capital markets and the exchange rate, with special reference to the Dollarization debate in Latin America », mimeo. Calvo, Guillermo (2000b), « Convergencia monetaria : la alternativa de la dolarizaciòn », Papier présenté au Forum de politique BID/INTAL : Macroeconomic policy coordination and monetary cooperation in Mercosur, Rio de Janeiro, octobre. 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