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Préface
Le Mémorial des victimes de la bataille de Viombois réalisé par Liliane Jérôme
est un monument d’un genre particulier. Il n’est pas taillé dans la pierre, il n’est pas
exposé aux intempéries ni à l’érosion, il n’est pas un lieu où l’on vient se recueillir ou
déposer des fleurs. L’été, nul ne peut s’abriter sous son ombre. L’hiver, la neige ne se
dépose pas sur son sommet. Et pourtant, ce Mémorial est incontestablement un
monument. Un monument du savoir et de la reconnaissance, un monument de
patience, un monument tissé d’humanité.
Qui peut imaginer, en feuilletant les pages de ce livre, qu’il est le fruit de mois de
plusieurs années de recherches ? Il a fallu à l’auteur lire les témoignages et les livres
existants, puis parcourir près de 20 000 km à travers tout l’est de la France pour
retrouver certaines traces, dans le dédale des familles dispersées ou recomposées.
Plusieurs notices biographiques ont exigé plus de cinquante appels téléphoniques,
avant que la confiance se noue avec un descendant et que les souvenirs
reviennent. Mettre la main sur une photographie des victimes a constitué un autre
défi : chaque portrait obtenu fut une victoire contre le temps. Seuls cinq
combattants restent, à ce jour, sans visage.
C’est donc avec la patience et la minutie d’un architecte que Liliane Jérôme a bâti
ce Mémorial. Avec un grand courage aussi, parce qu’elle a dû affronter la douleur
des familles, encore vivace si longtemps après. Certains descendants ont découvert
grâce à elle un morceau de leur propre histoire familiale. Certains ont osé pour la
première fois évoquer à haute voix la figure d’un père ou d’un frère. D’autres n’ont
pu s’y résoudre, tant la tristesse les submergeait.
Ce livre Mémorial est un monument d’intérêt public. Il sort de l’ombre les victimes
peu connues d’un combat oublié des livres d’histoire. Nous pouvons désormais aller
à la rencontre de ces 57 hommes. Ils sont âgés en moyenne de 28 ans - le plus jeune
a 17 ans, le plus âgé 54 ans – et forment un groupe assez homogène
géographiquement et sociologiquement. Ils sont pour la plupart originaires des
vallées vosgiennes qui entourent Viombois et exercent les professions traditionnelles
de cette majestueuse contrée forestière : on compte parmi eux plusieurs bûcherons,
des forestiers, un charpentier, un menuisier, des ouvriers de scierie, des cultivateurs.
Mais aussi, parce qu’il est important de prendre des forces pour accomplir ces durs
labeurs, deux pâtissiers et un boucher. Il y a dans le groupe seulement deux militaires
de carrière, un déserteur de la Wehrmacht (ancien incorporé de force), ainsi que
quelques membres des FFI et un FFL. La majorité des victimes de la bataille du 4
septembre 1944 n’a donc quasiment aucune expérience de la guerre, encore moins
de la clandestinité ni de la férocité de l’ennemi. Cette méconnaissance, ajoutée à
l’enthousiasme de la jeunesse et à l’espoir de la prochaine libération, explique en
grande partie le bilan meurtrier de l’assaut allemand contre la ferme de Viombois.
Derrière le portrait de groupe se dévoilent autant de destins particuliers, avec leurs
joies et leurs complexités, leurs détails et leurs secrets. Tous pourraient donner matière
à un livre. Georges Quirin a le triste honneur d’être le premier tué de la journée. Il
portait ce jour-là une chemise bleue, un pull marron, une veste grise et un pantalon
kaki. Les deux frères Jean et Raymond Dolmaire sont tués ensemble dans la bataille.
Qu’est-ce pour une mère de perdre le même jour deux de ses fils chéris, si jeunes et si