Résultats de l’étude diachronique : Identification d’indicateurs des changements à long terme au niveau du paysage Utilisant l’image satellitaire comme support cartographique (photo-interprétation), les séquences de végétation et les systèmes écologiques tels que déterminés antérieurement (Floret et al. 1978) ont pu être cartographiés. L’utilisation d’un Système d’Information Géographique a permis de superposer les cartes correspondantes (1975 et 2000) favorisant ainsi leur comparaison et permettant la mise en évidence de l’évolution des systèmes écologiques à l’échelle de la petite région écologique (paysage écologique). De plus des données bibliographiques ont permis de retracer l’historique de l’évolution de l’utilisation des sols de la région de Zougrata depuis 1948. 1. Comparaison des cartes des séquences de végétation et des systèmes écologiques établies en 1975 (Floret et al. 1978) et, en 2000, par Hanafi [Hanafi 2000]. L’évolution du paysage de la petite région de Menzel Habib (cartes des séquences de végétation), sur le pas de temps de 25 années, est marquée par : la régression de près de moitié de la superficie des steppes pastorales ; la fragmentation du paysage par la mise en culture (activité anthropique structurant le paysage dans la région de Menzel Habib) ; le changement de physionomie des steppes et la diminution de leur qualité pastorale : modification de la composition floristique (en particulier remplacement d’espèces), surtout depuis 1975 ; disparition (ou raréfaction extrême) des bonnes espèces pastorales (graminées pérennes en particulier), remplacement par des espèces de moindre valeur pastorale (ex : Astragalus armatus), diminution des couverts végétaux en particulier des espèces pérennes (Figure 1). A l’heure actuelle, la permanence de la steppe à Rhanterium suaveolens est réellement menacée. Une dégradation importante (10,95 %) de la steppe à Rhanterium suaveolens est actuellement observée. Cette diminution est aussi sensible pour la steppe à Stipa tenacissima dont la superficie a diminué de 1,21 %. Par contre, une augmentation des zones mises en cultures est notable ( + 10,57 %). La diminution de la superficie des parcours au profit des zones cultivées n’est qu’un aspect des changements qui se sont produits depuis les années 70. La diminution générale des couverts végétaux, et plus particulièrement du couvert des pérennes, constitue un deuxième indicateur de changements à long terme, en particulier de dégradation des terres de parcours. La Figure 1. illustre ces résultats : Figure 1. Diminution des taux de recouvrement végétal total pérenne (RTP en %) dans les zones de parcours de la région de Menzel Habib entre 1975 et 2000 (d’après Hanafi 2000) Légende : Classe 3 : RTP > 25% Classe 2 : 16 < RTP < 25% Classe 1 : 5 < RTP < 15% Classe 0 : recouvrement pérenne à 5% Sans classe : zones cultivées 60.00 50.00 Pourcentage 40.00 30.00 1975 2000 20.00 10.00 0.00 Classe 3 Classe 2 Classe 1 Classe 0 Classe de Recouvrement Sans classe Dans les zones de parcours, une forte diminution du couvert végétal total est observée entre 1975 et 2000. Les classes de recouvrement se sont décalées les unes par rapport aux autres vers une dégradation avancée de la région. La classe 3 (RTP > 25 %) a pratiquement disparu et son taux de recul est d’environ 95 %. Il est probable que la steppe en bon état se soit dégradée vers un stade moyennement dégradé (classe 2). La steppe moyennement couvrante (classe 2, RTP compris entre 15 et 25 %), quant à elles, a laissé place à une steppe dégradée (classe 1, RTP compris entre 5 et 15 %). Enfin, la steppe dégradée (classe 1) a subi une dégradation intense et la totalité de cette steppe présente maintenant des couverts inférieurs à 5 %. Comme le souligne Hanafi (2000), la région de Menzel Habib présente, en plus des mosaïques entre les systèmes écologiques, une mosaïque entre les classes de recouvrement. Cette mosaïque est marquée par la dominance, sinon la présence, de la classe 0 sur la majorité de la région. L’évolution des systèmes écologiques au niveau de l’ensemble de la petite région écologique (échantillon de 60 stations tests dont 36 dans les steppes) entre 1975 et 2000 se caractérise par : la dégradation (diminution du couvert végétal pérenne) de 55% des stations étudiées dont 36% mises en culture et, en particulier, 27% dans la steppe à Rhanterium suaveolens ; le morcellement progressif (fragmentation) de la steppe en « bon état » (1975) de la plaine centrale par le défrichement et la mise en culture ; l’augmentation de la pression pastorale sur l’espace pastoral réduit [la surcharge pastorale a été estimée entre 0,25 et 0,70 U.O./ha1 (Genin 2000), alors que la capacité de charge est estimée entre 0,15 et 0,2 U.O./ha (Chaïeb et al. 1991)] ; la steppe à Armoise champêtre, Artemisia campestris, (faciès de dégradation de la séquence à Seriphidium herba-alba), qui s’étend en particulier sur le plateau d’Hamilet El Babouch, milieu anciennement cultivé, semble être actuellement moins sujette à la dégradation puisque 10% de des stations étudiées témoignent d’une restauration (liée à leur mise en défens et qui se manifeste principalement par une augmentation du couvert végétal pérenne) ; les zones de glacis à croûte de gypse affleurant, déjà très érodées en 1975, se sont encore dégradées. Cette dégradation est probablement due à l’effet cumulé des activités anthropiques (cueillette de ressources ligneuses et pâturage) et de la situation topographique (pente) favorisant l’érosion hydrique. En conclusion La dégradation n’affecte pas de la même manière les différentes séquences de végétation décrites dès 1975. L’apparition d’espèces dominantes très ubiquistes (Atractylis serratuloides, Deverra tortuosa et Kickxia aegyptiaca), présentes dans les différentes séquences de végétation, témoigne de l’homogénéisation et de la banalisation de la flore pastorale dans la région de Menzel Habib. Le remplacement des bonnes espèces pastorales par des espèces à acceptabilité faible (Astragalus armatus) témoigne d’une dégradation avancée des terres à pâturage. 2. Etude de l’évolution des types d’utilisation des sols, du niveau de transformation anthropique et du régime des perturbations Entre 1948 et 2000, les proportions de l’espace occupées par les différents types d’utilisation des sols (leur nature et les proportions) ont été bouleversées et les surfaces défrichées et mises en culture ont plus que triplées (Figure 2). La pression (et la dégradation) ne s’est pas manifestée de manière uniforme sur l’ensemble des systèmes écologiques. Les milieux alluviaux non salés, les mieux alimentés en eau à partir du ruissellement latéral, et qui présentent les meilleurs sols, étaient déjà cultivés en 1948 (et même en 1902, comm. orale de E. Le Floc’h). Avec la sédentarisation progressive, la mise en culture a d’abord gagné les zones où l’approvisionnement en eau était aisé, puis les plaines sableuses (Floret et al. 1992). Cependant, la pression semble ralentir depuis 1985 puisque la mise en culture n’a augmenté que de 6% en 15 ans (1985-2000). Ceci est sans doute en relation avec la nécessité de maintenir des zones de parcours pour une partie des besoins alimentaires des troupeaux qui constituent encore une part importante des revenus des agropasteurs, ou peut correspondre à une diminution de la pression sociale et foncière sur les terres disponibles pour une réelle appropriation par certains groupes sociaux. Figure 2. Evolution des pourcentages d’utilisation des sols (steppes pastorales vs. terres défrichées et mises en culture2) à Menzel Habib entre 1948 et 2000 (d’aprés Floret et al. 1992) actualisée par Jauffret (2001) 1 U.O. (Unité Ovine) : elle comprend une brebis, son produit, 1/25 de bélier, 1/5 d’antenaise et 1/100 d’antenais, ce qui correspond à des besoins énergétiques annuels de 350 UF en élevage traditionnel du Sud tunisien. 100.00 Pourcentage d'utilisation des sols 90.00 80.00 70.00 60.00 50.00 Steppes pastorales Terres cultivés 40.00 30.00 20.00 10.00 0.00 1948 1963 1975 1985 2000 Année Le paysage de la région de Menzel Habib a considérablement changé depuis les années 50. Suivant que l’on s’adresse aux différentes zones géomorphologiques de la région, une homogénéisation des pratiques ou, au contraire, une fragmentation du paysage par la création d’une mosaïque « terres agricoles / terres de parcours » est observée : - la région du plateau d’Hamilet El Babouch est maintenant complètement mis en culture (exceptée une zone de mise en défens) et les cultures s’étendent vers la plaine ; - les zones de dépressions endoréiques et de recueil des eaux de ruissellement ont été cultivées sans cesse et peuvent être considérées comme totalement artificialisées depuis longtemps ; - les zones des glacis (limoneux ou à croûte) et les montagnes sont, quant à elles, restées des zones de parcours, compte tenu de leur faible aptitude à la mise en culture ; - la plaine centrale représente typiquement une mosaïque entre parcours et cultures, ces dernières occupant désormais une superficie supérieure à celle des parcours. D’une façon générale, si l’on considère la mise en culture comme une artificialisation des milieux naturels, le degré d’artificialisation en 2000 (niveau de transformation anthropique) est en augmentation sur la moitié de la région de Menzel Habib, en particulier la plaine, par mise en culture. A l’heure actuelle, près de la moitié de la région de Menzel Habib a été défrichée, en particulier au niveau des plaines sableuses. Les perturbations s’étendent donc sur de grandes superficies ; entre la mise en culture et le surpâturage l’ensemble de la région est touchée. Dans cette situation expérimentale et ne disposant pas de données suffisantes à ce sujet (pression pastorale), l’étendue et le régime des perturbations ont été difficiles à quantifier. Les pratiques agropastorales méritaient d’être suivies au cours d’une année de manière à prendre en compte la distribution / répartition des pratiques dans le temps et dans l’espace. La difficulté de suivre le régime des perturbations a résidé en fait dans la difficulté d’obtenir des informations fiables sur les pratiques des agropasteurs. Les mises en culture céréalières dépendent en grande partie de la pluviométrie annuelle et, en particulier, de la pluviométrie au début de la saison automnale. Les défrichements sont aussi fonction des conditions de l’appropriation des terres et ne correspondent pas réellement à une 2 les terres mises en culture comprennent les terres cultivées dans l’année : céréaliculture en sec, arboriculture en sec, cultures avec plus ou moins de ruissellement (séguis, garaa) et les jachères récentes valorisation agricole du domaine steppique. Enfin, les actions éventuelles de lutte contre la désertification viennent encore « compliquer » cette évolution, et leur impact nécessiterait d’être mieux évalué et pris en compte dans la surveillance écologique à long terme. Pour étudier le régime des perturbations il est nécessaire de mettre en place un dispositif expérimental (enquêtes et mesures sur le terrain, par exemple de la pression pastorale, surveillance des cycles cultures/jachères) rigoureux et fiable. Les pratiques agropastorales (charge animale, distribution spatiale des troupeaux dans le paysage, suivi des transhumances…) devraient être observées durant une année entière (cycle biologique des cultures et des terres de parcours) pour avoir une idée de leur régime. En conclusion Le type d’utilisation des sols (landuse) et le niveau de transformation anthropique constituent de bons indicateurs des changements à long terme (plusieurs décennies). Dans le cadre de cette étude, le régime des perturbations n’a pas été évalué mais cet aspect nécessite des études sur le cycle des pratiques culturales et pastorales (cf. Guide sur la spatialisation des pratiques, en prép.)