Les nombres parfaits
Bakir FARHI
D´epartement de Math´ematiques
Universit´e de B´ejaia
Alg´erie
http://www.bakir-farhi.net
B´ejaia, le 7 d´ecembre 2014
I Introduction
Nous commen¸cons par donner quelques d´efinitions :
D´efinition 1. Un entier strictement positif est dit parfait (ÐA
K)s’il est ´egale `a la somme de
ses diviseurs propres (i.e. ses diviseurs, autre lui mˆeme). Math´ematiquement, on a :
nNest parfait ef
d/n
d̸=n
d=n.
Par exemple, le nombre 6 est parfait car ses diviseurs propres sont 1, 2 et 3 et on a bien
1 + 2 + 3 = 6.
Les premiers nombres parfaits sont : 6,28,496,8128, . . .etc.
D´efinition 2. Un entier strictement positif est dit eficient (
¯A
K)si la somme de tous ses
diviseurs propres est strictement inf´erieure `a lui mˆeme. Math´ematiquement, on a :
nNest d´eficient ef
d/n
d̸=n
d < n.
Par exemple, le nombre 8 est d´eficient car ses diviseurs propres sont 1, 2 et 4 et on a bien
1 + 2 + 4 = 7 <8.
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D´efinition 3. Un entier strictement positif est dit abondant (Y
K@
P)si la somme de tous ses
diviseurs propres est strictement sup´erieure `a lui mˆeme. Math´ematiquement, on a :
nNest abondant ef
d/n
d̸=n
d > n.
Par exemple, le nombre 12 est abondant car ses diviseurs propres sont 1, 2, 3, 4 et 6 et
on a bien 1 + 2 + 3 + 4 + 6 = 16 >12.
Faisons remarquer que ces trois d´efinitions se compl`etent, c’est-`a-dire que tout entier
strictement positif est ou bien parfait, ou bien d´eficient, ou bien abondant.
Les propri´et´es suivantes sont imm´ediates :
Tout diviseur d’un nombre d´eficient est d´eficient.
Tout multiple d’un nombre abondant est abondant.
Tout diviseur propre d’un nombre parfait est d´eficient.
Tout multiple propre d’un nombre parfait est abondant.
La deuxi`eme propri´et´e (et la quatri`eme aussi) montre qu’il existe une infinit´e de nombres
abondants. D’autre part, tout nombre premier (et mˆeme toute puissance d’un nombre premier)
est d´eficient ; d’o`u l’existence d’une infinit´e de nombres d´eficients. En revanche, pour les nombres
parfaits, on ne sait toujours pas s’il y en a une infinit´e ou non (voir plus loin).
Historiquement, les nombres parfaits sont apparus pour la premi`ere fois `a l’´ecole py-
thagoricienne (vers 500 Av J.C) chez laquelle les nombres sont sacr´es (c’est `a Pythagore que
l’on doit la citation “tout est nombre”). C’est cette ´ecole grecque, `a la fois philosophique et
math´ematique, qui a attribu´e `a ces nombres la qualit´e de perfection. L’essentiel de cette phi-
losophie arithm´etique des nombres parfaits est expos´e par le n´eo-pythagoricien Nicomaque
de G´erase (vers l’an 100 ap J.C) dans son ouvrage intitul´e “Introduction Arithm´etique”. Ce-
pendant, les traditions n´eopythagoricienne et euclidienne sont compl`etement diff´erentes, ´etant
donn´ee que l’euclidienne est fond´ee sur des raisonnement rigoureux alors que la n´eopythagori-
cienne est fond´ee sur l’intuition et l’exp´erience. Ainsi, dans l’ouvrage de Nicomaque, rien n’a
´et´e d´emontr´e 1et on en trouve mˆeme des propositions erron´ees ! `
A titre d’exemple, Nicomaque
´enonce qu’il existe un unique nombre parfait dans chaque rang d´ecimal (c’est `a dire dans chaque
intervalle du type [10n,10n+1[). Pour convaincre, Nicomaque fait constater que sa proposition
est, en effet, vraie pour les 4 premiers rangs (il existe un unique nombre parfait compos´e d’un
chiffre, un unique nombre parfait compos´e de deux chiffres, un unique nombre parfait compos´e
de trois chiffres et un unique nombre parfait compos´e de quatre chiffres) et il conclut (par
induction incompl`ete) qu’elle reste vraie pour tous les rangs ! Ce n’est qu’un mill´enaire (envi-
ron) apr`es Nicomaque que certains math´ematiciens arabes (comme al-Baghdadi) ont r´efut´e la
proposition de Nicomaque en signalant qu’elle tombe `a d´efaut pour le cinqui`eme rang.
Influenc´es par l’ouvrage de Nicomaque, certains hommes de religions monoth´eistes ont
r´ecup´er´e et ont d´evelopp´e la philosophie n´eopythagoricienne des nombres parfaits. Selon eux,
1. Sauf quelquefois en utilisant des figures g´eom´etriques.
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Bakir FARHI Les nombres parfaits
Dieu a choisi de cr´eer la terre en 6 jours car le nombre 6 est parfait !
Les nombres parfaits ont ´et´e ´etudi´es aussi par Euclide (vers le 3`eme si`ecle Av J.C) mais
sans qu’ils soient mˆel´es `a une quelconque philosophie. Bien au contraire, Euclide a d´emontr´e
(presque rigoureusement) un th´eor`eme fondamental sur ces nombres, qui est le suivant :
Le th´eor`eme d’Euclide. Soit nun entier strictement positif. Si le nombre p= 2n1est
premier, alors le nombre N= 2n1pest parfait.
En prenant par exemple dans le th´eor`eme d’Euclide n= 2, on trouve le nombre parfait N= 6
et en prenant n= 3, on trouve le nombre parfait N= 28 mais on ne peut pas prendre dans
ce th´eor`eme n= 4 car le nombre 241 = 15 n’est pas premier. On peut montrer que dans
le th´eor`eme d’Euclide, le nombre ndoit ˆetre obligatoirement premier, ce qui est une condition
n´ecessaire mais loin d’ˆetre suffisante. Il semble aussi que tous les nombres parfaits s’obtiennent
par la formule d’Euclide mais ceci n’a pas encore ´et´e d´emontr´e ! Cependant, on sait que tout
nombre parfait pair est de la forme donn´ee par Euclide dans son th´eor`eme. Cet important
r´esultat fut ´enonc´e pour la premi`ere fois par le grand savant arabe Ibn al-Haytham (avec mˆeme
une tentative de d´emonstration) mais il ne fut d´emontr´e rigoureusement qu’en 1747 par Euler :
Le th´eor`eme d’Euler. Tout nombre parfait pair est de la forme :
N= 2n1p,
avec nNet p= 2n1premier.
Quant aux nombres parfaits impairs, on n’en a d´ecouvert aucun jusqu’`a pr´esent mais sans qu’on
puisse fournir de preuve de leur inexistence ! On a juste montr´e que si un nombre parfait impair
existe alors il est strictement plus grand 2que 101500. La conjecture des nombres parfaits impairs
s’´enonce :
La conjecture des nombres parfaits impairs. Il n’existe pas de nombre parfait impair.
Apr`es Euclide, c’est dans la civilisation musulmane que les nombres parfaits ont trouv´e
leur essor. Les savants musulmans se sont occup´e non seulement de la recherche de nombres
parfaits de plus en plus grands mais aussi de leur ´etude th´eorique et de leur g´en´eralisation.
Un des concepts g´en´eralisant les nombres parfaits (qui existait d´ej`a chez les pythagoriciens) est
celui des nombres amicaux (
éK
.Aj
Ï@ X@
B@).
2. Ce r´esultat a ´et´e prouv´e en 2012 par P. Ochem et M. Rao
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D´efinition 4. Deux entiers strictement positifs xet ysont dits amicaux si la somme des divi-
seurs propres de xdonne yet la somme des diviseurs propres de ydonne x. Math´ematiquement,
on a :
(x, y)N2est un couple de nombres amicaux
d/x
d̸=x
d=yet
d/y
d̸=y
d=x
d/x
d=
d/y
d=x+y.
On constate que si xNest un nombre parfait alors le couple (x, x) est un couple
de nombres amicaux. C’est pour cette raison qu’on consid`ere le concept des nombre amicaux
comme une extension du concept des nombres parfaits. Cependant, la plupart des auteurs
ne consid`erent comme couples (x, y) de nombres amicaux que ceux qui v´erifient x̸=y. Le
premier exemple de tels couples est (220,284) (on v´erifie ais´ement que d/220,d̸=220 d= 284 et
d/284,d̸=284 d= 220).
Les savants grecques n’ont pas r´eussi `a trouver de formules closes pour les couples de
nombres amicaux. La premi`ere formule sur ces couples est due au math´ematicien arabe Thabit
Ibn Qurra (
è
Q
¯
áK
.@
IK
.A
K) :
Le th´eor`eme de Thabit Ibn Qurra. Soit n2un entier. Si les trois nombres p=
3·2n11,q= 3 ·2n1et r= 9 ·22n11sont premiers alors les deux nombres x= 2npq
et y= 2nrsont amicaux.
Noter que le couple (220,284) s’obtient par ce th´eor`eme pour n= 2. Le prochain couple
de nombres amicaux qu’on obtient par le th´eor`eme de Thabit Ibn Qurra correspond `a n=
4 et c’est le couple (17296,18416), qui est d´ecouvert par le math´ematicien arabe al-Farisi
(ú
æPA
®Ë@
áK
@ ÈAÒ») au 13`eme si`ecle. Le couple suivant s’obtient en prenant n= 7 et c’est
le couple (9363584,9437056), qui est d´ecouvert par le math´ematicien iranien Mouhammad
Baqir Yazdi au 16`eme si`ecle. Cependant, il existe bien des couples de nombres amicaux qui
ne s’obtiennent pas par le th´eor`eme de Thabit Ibn Qurra, comme par exemple (1184,1210),
(2620,2924), (5020,5564), . . .etc.
Apr`es les math´ematiciens musulmans, ce sont les math´ematiciens occidentaux qui se sont
pr´eoccup´es des nombres parfaits et ce `a partir du 17`eme si`ecle. Parmi ceux du 17`eme si`ecle, on
peut citer : Descartes, Frenicle, Mersenne, Fermat, Wolf et bien d’autres. Mais ce n’est qu’`a
partir du 18`eme si`ecle que des r´esultats nouveaux commencent `a paraˆıtre sur ce sujet, notamment
avec Euler (au 18`eme si`ecle) et Sylvester (au 19`eme si`ecle).
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Bakir FARHI Les nombres parfaits
Les recherches actuelles sur les nombres parfaits se dirigent toutes dans la direction de la
conjecture des nombres parfaits impairs. `
A d´efaut de pouvoir d´emontrer cette conjecture, qui
est apparemment tr`es difficile, les math´ematiciens tentent de prouver des r´esultats de l’un des
types suivants :
Si Nest un nombre parfait impair, on a N > N0(o`u N0Nest un grand nombre
explicit´e) ;
Si Nest un nombre parfait impair alors Nposs`ede au moins un facteur premier > p0
(o`u p0Nest un grand nombre explicit´e) ;
Si Nest un nombre parfait impair, alors Ncontient au moins kfacteurs premiers
distincts (o`u kNest explicit´e)
ou d’un autre type semblable. N´eanmoins, on doit noter que les recherches actuelles men´ees sur
ce domaine sont souvent accompagn´ees de machines informatiques puissantes et d’algorithmes
ing´enieux qui aident dans les calculs. Parmi les plus brillants de la p´eriode r´ecente sur cette
recherche, on peut citer : C. Pomerance, P. Hagis, M. Kishore, G. L. Cohen, W. L. McDaniel,
D. E. Iannucci et bien d’autres.
II Les fonctions arithm´etiques det σ
En Math´ematiques, une fonction arithm´etique est simplement une fonction f:NR.
Certaines de ces fonctions ont des propri´et´es tr`es riches, ce qui permet -en les utilisant- de
r´esoudre certains probl`emes d’arithm´etiques et de la th´eorie des nombres. Parmi les fonctions
arithm´etiques les plus utiles, nous citons :
1. La fonction “nombres de diviseurs”, not´ee d. Cette fonction associe `a tout nN, le
nombre des diviseurs de n.
On a par exemple d(12) = 6 puisque le nombre 12 poss`ede 6 diviseurs qui sont :
1,2,3,4,6 et 12.
2. La fonction “somme des diviseurs”, not´ee σ. Cette fonction associe `a tout nN, la
somme de tous les diviseurs de n.
On a par exemple σ(12) = 28 puisque la somme de tous les diviseurs de 12 donne 28.
3. La fonction “nombre de facteurs premiers distincts”, not´ee ω. Cette fonction associe
`a tout nN, le nombre naturel ω(n), d´efini par :
ω(n) := Card {ppremier, pdivise n}.
En particulier, on a ω(1) = 0.
4. La fonction “nombre de facteurs premiers, compt´es avec leurs multiplicit´es”, not´ee Ω.
Cette fonction associe `a tout nN, dont la d´ecomposition en produit de facteurs
premiers s’´ecrit n=pα1
1· · · pαk
k(avec k, α1, . . . , αkNet p1, . . . , pkdes nombres
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