Université Libre de Bruxelles Institut de Gestion de l’Environnement et d’Aménagement du Territoire Faculté des Sciences Master en Sciences et Gestion de l'Environnement Portée et faisabilité de l'estimation de la dette écologique. Deux échelles d'analyses, du national au local. Mémoire de Fin d'Etudes présenté par Reinhold Klaes Stefan en vue de l'obtention du grade académique de Master en Sciences et Gestion de l'Environnement Année Académique : 2008-2009 Directeur : Thomas Bauler Sommaire : Résumé Introduction Partie 1 : Problématique générale de l'extraction des ressources naturelles dans la région Andine 1.1. 1.2. 1.2.1. 1.2.2. 1.3. Historique de l'exploitation des ressources naturelles Rôle des institutions financières internationales dans la politique extractiviste des pays de la périphérie depuis la fin de la seconde Guerre mondiale jusqu'à aujourd'hui. Incitation aux libres échanges et à l'exploitation Structure de l'économie Equatorienne et poids de la dette extérieur. Enjeux, une demande toujours croissante de ressources naturelles Partie 2 : Le concept de dette écologique 2.1. L'économie écologique et les origines du concept. 2.2. Définition et enjeux de la dette écologique. 2.3. Les méthodes d'évaluation. 2.3.1. Analyse des Flux de Matières (AFM) 2.3.2. Empreinte Ecologique 2.3.3. Appropriation Humaine de la Production Primaire Nette (AHPPN) 2.3.4. Eléments supplémentaires à prendre en compte dans la dette écologique 2.3.4.1. Dette du carbone 2.3.4.2. Brevetage du vivant 2.3.4.3. Perte de Fonction Environnementales 2.4. Relation entre dette écologique et dette extérieure Partie 3 : Les différentes échelles d'estimation de la dette écologique. 3.1. Echelle Nationale, cas de l'Equateur 3.1.1. Composition de la créance écologique d'après l'analyse de la structure biophysique de l'économie Equatorienne Analyse des Flux de Matières Composantes supplémentaires afin d'estimer la dette écologique Brevetage du vivant Dette du carbone Perte de Fonction Environnementales Quelles difficultés d'estimation éventuellement rencontrées ? Quelles faiblesses de l'instrument AFM et plus largement du concept de dette écologique. Quelle utilité/légitimité ? Applications possibles dans la sphère juridique. Analyse de la proposition de Correa concernant le Parc National Yasuni. 3.1.1.1. 3.1.1.2. 3.1.1.2.1. 3.1.1.2.2. 3.1.1.3.3. 3.1.2. 3.1.3. 3.2. Echelle locale, cas d'une zone d'exploitation minière 3.2.1. 3.2.2. Cadre de l'étude : Description générale de la région. Historique de la prospection dans la zone d'exploitation minière "Mirador"et des conflits qui s'en suivirent. Explication de l'intérêt de la dette écologique dans l'argumentaire des mouvements indigènes et écologiques ? Quelle légitimité du concept ? Méthode d'estimation : Description des techniques utilisées durant les phases d'exploration, 3.2.3. 3.2.4. 3.2.4.1. 3.2.4.2. 3.2.4.2.1. 3.2.4.2.2. 3.2.4.2.3. 3.2.4.2.4. 3.2.4.3. 3.2.4.3.1. 3.2.4.3.2. 3.2.5. 3.2.6. d'exploitation et de fermeture de la mine. Quelles seront les impacts environnementaux (et socio-économique) supposés de l'exploitation minière à grande échelle ? Impacts directs : pollution Perte de fonctions environnementales occasionné par cette pollution Dette sociale et culturelle Dette économique Quels outils d'économie écologique sont les plus adaptés à l'estimation des impacts d'une mine à ciel ouvert ? Impact direct de la pollution durant les trois phases Impact de la perte de fonctions écosystémiques Quelles difficultés d'estimation éventuellement rencontrées ? Quelles applications possibles ? Quelles alternatives de développement pour la région ? Conclusion Annexes Bibliographie Remerciements Résumé : Le présent mémoire traite de la dette écologique et de ses diverses échelles d'estimation. Le sujet s'inspire d'un projet Européen de coopération entre des Organisations Non Gouvernementales (ONG) et des instituts de recherches. Ce projet souhaite fournir des outils d'économie écologique aux ONG en se basant sur des études de cas. L'étude de cas ici retenue concerne l'ouverture prochaine d'une mine à ciel ouvert dans la cordillère du Condor, au Sud-est de l'Equateur. La problématique traite de la relation entre ce projet minier et la contraction à l'échelle nationale d'une dette écologique par les pays tiers. Pour cela, nous avons divisé notre travail en trois parties. Nous analyserons tout d'abord l'historique de l'exploitation des ressources naturelles en Amérique Latine depuis la colonisation jusqu'à nos jours. Nous verrons que depuis la découverte du « nouveau monde », ce continent est l'objet de nombreuses convoitises pour sa richesse en diverses ressources naturelles. Aujourd'hui, grâce à des mécanismes de pressions financières, l'exploitation continue et engendre de graves impacts environnementaux. Une seconde partie sur l'économie écologique va nous fournir quelques clés de lecture intéressantes afin de comprendre comment l'économie est imbriquée dans le plus large système planétaire. Nous verrons ensuite que l'Analyse des Flux de Matières semble être l'outil le plus prometteur à ce jour afin d'estimer une dette écologique. En effet, cet outil rend possible la comparaison entre les flux monétaires et les flux physiques. A partir de là, nous pourrons donc faire une analyse des relations complexes qui existent entre dette extérieure et dette écologique. Ce n'est qu'après ces deux étapes que nous verrons quels outils d'économie écologique prendre en compte afin d'estimer la dette écologique à l'échelle de l'Equateur. Pour cela, nous analyserons donc la structure économique Equatorienne ainsi que les flux de matière que cela engendre. Cependant, d’autres éléments sont également à prendre en compte, comme la dette du carbone ou l'utilisation abusive de fonctions environnementales. Enfin, à l'échelle du projet de mine à ciel ouvert, nous verrons les impacts que l'exploitation risque d'engendrer. Dés lors, nous allons fournir quelques éléments d'économie écologique afin d'estimer ces impacts. Introduction : « En cherchant la sortie qui nous mènera du développement linéaire au développement durable, nous serons fatalement amenés à remettre en question toute une série de postulats culturels, dont il faudra nous défaire si nous voulons éteindre la dette écologique »1. Cette affirmation de Federico Mayor, l'ex-président de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO), nous rappelle le lien étroit qui existe entre les problématiques de développement, d'environnement et d'équité. Elle rappelle également l'urgence de la situation face aux changements globaux qui nous menacent. Dans cette optique, le concept de la dette écologique, mis en évidence au début des années 90 par plusieurs ONG du Sud, nous semble d'un grand intérêt afin de faire avancer le débat environnemental à l'échelle planétaire. De plus, ce concept donne des clés de lecture intéressantes concernant la responsabilité pour le changement global et la répartition équitable des interventions aujourd'hui nécessaires afin d'y pallier. La dette écologique fait appel à plusieurs notions d'écologie mais également d'économie. En effet, la volonté du concept est de mettre en évidence les dommages écologiques qu'une entité socio-économique peut causé à une autre par le biais des échanges internationaux. Comme nous allons le voir, le fonctionnement actuel du commerce international crée des échanges, non seulement économiquement, mais également écologiquement inégaux. La définition du sujet de ce Mémoire de fin d'étude s'inspire d'un projet Européen de coopération entre des Organisations de la Société Civile (OSC) et des instituts de recherche (CEECEC : Civil Society Engagement with Ecological Economics). L'objectif du projet est de fournir des outils d'économie-écologique aux OSC à travers diverses études de cas. L'étude de cas ici choisie traite de l'ouverture d'une mine à ciel ouvert dans le Sud-est de l'Equateur, dans la cordillère du Condor. A cette échelle, l'objectif est donc de donner des outils d'économie-écologique aux OSC afin qu'elles intègrent les impacts environnementaux probables dans une plus large Analyse Coût Bénéfice (ACB) du projet. Par la suite, l'idée est venue d'étendre le concept d'estimation des impacts environnementaux, donc de dette écologique, à l'échelle de l'Equateur. Soulignons également que la préparation de ce Mémoire de fin d'étude a nécessité un déplacement d'un mois en Equateur. Pendant ce temps d'investigation, j'ai été accueilli par l'Organisation Non Gouvernementale (ONG) Accion Ecologica, pionnière dans l'élaboration du concept de dette écologique. Une sortie de terrain dans la cordillère du Condor a également été réalisée. Là, j'ai pu constater la richesse de l'écosystème et surtout pu échanger des idées avec les populations locales. J'ai donc pu connaître plus largement leurs points de vue concernant l'ouverture de la mine et des alternatives possibles. L'accès à la concession est cependant fermé depuis les récents affrontements qui ont opposés les détracteurs du projet aux forces de 1 Federico Mayor, Discours du Directeur général de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) à la séance de clôture du Séminaire sur "Le Ve centenaire et l'environnement", San Salvador, (Bahamas), 2 août 1991 l'ordre. La tension dans les communautés avoisinantes du projet restait palpable au moment de ma visite. Le présent travail souhaite donc considérer la problématique générale de la faisabilité et de la légitimité de l'évaluation de la dette écologique, et ce à deux échelles différentes. Cette double échelle d'analyse, du national au local, souhaite également explorer la question du lien entre l'impact environnemental d'un projet minier et la contraction à l'échelle nationale d'une dette écologique par les pays tiers jouissant des ressources extraites. Cela sera donc notre problématique principale. Par la suite, le choix a été fait de diviser notre problématique générale en deux, selon l'échelle d'analyse. La première problématique concerne donc l'estimation de la dette écologique à l'échelle de l'Equateur. Nous avons souhaité savoir si le concept est intéressant et légitime dans le cadre des négociations internationales concernant la possible annulation de la dette externe de ce petit pays andin, et si elle peut favoriser la reconnaissance de l'initiative Yasuni-ITT ? A l'échelle plus locale du projet d'exploitation minière, notre problématique concerne la validité de l'estimation d'une éventuelle future dette écologique. Cependant, étant donné que le projet d'exploitation n'a pas encore commencé, parler de dette est ici vide de sens. Nous allons donc nous limiter à donner des pistes d'estimation d'une ACB du projet internalisant les impacts environnementaux. La problématique de départ était donc d'explorer la faisabilité puis la légitimité d'une tel ACB. Avant de nous intéresser spécifiquement à ces questions, nous allons amener le sujet en présentant un aspect historique de l'exploitation des ressources naturelles du continent Sud-américain par la force colonisatrice et des dommages environnementaux qui en ont découlés. Nous verrons dans un second temps quelques notions d'économie écologique afin de mieux comprendre la notion de dette écologique. Nous expliquerons également à la fin de cette partie la relation ambiguë qui existe entre dette extérieure et dette écologique. Nous passerons ensuite à notre troisième partie qui tente de répondre aux deux problématiques, en commençant par l'échelle de l'Equateur. Dans ce premier chapitre, nous verrons pourquoi l'Analyse des Flux de Matière (AFM) nous semble être le meilleur instrument de départ afin d'estimer une dette écologique dans la pratique. Après cela, nous analyserons l'échelle locale de notre exploitation minière. Après une présentation sommaire de la cordillère du Condor et des luttes qui ont accompagnées la phase d'exploration minière, nous verrons quels sont les impacts supposés du projet et différentes façons les estimer. Partie 1 : Problématique générale de l'extraction des ressources naturelles dans la région Andine 1.1. Historique de l'exploitation des ressources naturelles L'arrivée des premiers hommes sur le continent Américain est encore aujourd'hui sujette à controverse. Une majorité d'historiens valident la thèse d'un peuplement par le détroit de Béring il y a environ 11 000 ans alors que d'autres thèses soutiennent que les premiers hommes seraient arrivés entre 40 000 et 30 000 avant notre ère2. Quoi qu'il en soit, ces peuples venus d'Asie étaient initialement des chasseurs-cueilleurs, lesquels avec l'avènement de l'agriculture se sont sédentarisés. A l'origine, à savoir avant les relations outreatlantique massives du continent américain avec le reste du monde, existaient deux foyers de peuplement – l'un en Amérique centrale et l'autre dans la région andine autour du Pérou actuel – avec des Etats, des villes, une agriculture intensive et un développement technique et religieux considérables. Nous allons ici nous focaliser davantage sur l'histoire de la région andine (avant de nous focaliser sur l'Equateur actuel, lorsque les premières frontières se sont dessinées). Bien que relativement peu nombreux, ces peuples précolombiens avaient déjà un impact sur leur environnement dès lors qu'ils se sont installés et ont commencé à travailler la terre. En effet, afin de pouvoir subvenir aux besoins de chacun, les souverains, et notamment l'Inca, se devaient d'avoir un empire fort bien organisé. A cette époque, les sociétés précolombiennes connaissaient déjà des techniques agricoles pointues, le plus souvent basées sur la culture en terrasse en raison de la topographie andine. Cette technique agricole suppose le développement d'un système de canalisation complexe comme on peut en observer dans la célébrissime cité de Machu Picchu. Ce type d'agriculture, allié à une forte organisation hiérarchique de la société a donc pu permettre la vie et le développement des peuples précolombiens andins. On peut néanmoins citer le fait que ce type d'agriculture, comme tout type d'agriculture d'ailleurs, a appauvri les sols et détourné de nombreux cours d'eaux. Bien que provoquant une altération de l'état de l'environnement originel, les impacts n'étaient qu’infimes par rapport à ce que le continent allait connaître. Les populations précolombiennes affectaient également l'état de leur environnement par l'ouverture de mines et de carrières. En effet, les populations précolombiennes sont aujourd'hui mondialement reconnues pour les imposants bâtiments qu'elles édifièrent. Cela passe donc par l'ouverture de carrières. L'exploitation minière servait également à extraire de l'or, un métal alors considéré comme le sang des Dieux et dont s'ornaient les empereurs de l'époque. Ces extractions avaient sans aucun doute un impact sur l'environnement, bien qu’elles ne s’effectuaient qu'à très petite échelle. 2 Luis Esteban G. Manrique, De la conquista a la globalizacion, Estados, naciones y nacionalismo en América Latina, Politica Exterior Biblioteca Nueva, 2006, Madrid Le réel bouleversement dans les relations entre l'homme et son environnement sur le continent Sud Américain est arrivé avec la Conquista. C'est en 1492, date à laquelle Christophe Colomb croyait découvrir un nouveau chemin pour les Indes que l'on date le début de la colonisation du continent. En effet, très peu de temps après, de nombreux colons, avec la bénédiction du pape et l'aval de la couronne Espagnole ou Portugaise, se lancèrent à la conquête du continent. Une fois que les Conquistadors se rendirent compte qu'ils avaient découvert non pas un nouveau chemin pour les Indes, mais un « nouveau monde », une âpre bataille pour les terres et leurs ressources s'engageait. Cependant, les deux nations colonisatrices se mirent d'accord sur le partage des terres encore à découvrir grâce à la signature du traité de Tordesillas en 1494. Celui-ci accordait à l'Espagne toutes les terres nouvellement découvertes à l'ouest du méridien qui se situerait aujourd'hui à 46° 37' ouest. Ce traité remontant à plus de cinq siècles explique la division linguistique toujours d'actualité entre le Brésil et le reste du continent. Dès la découverte de l'Amérique latine par Christophe Colomb, la Couronne Espagnole envoya donc des navigateurs ayant pour principale mission de découvrir et de ramener des richesses. Cette conquête ne peut que rappeler la reconquête de la péninsule Ibérique par les chrétiens Espagnols qui s'acheva la même année que la découverte du nouveau monde. « L'énergie, l'esprit de croisade, le militarisme, la ferveur missionnaire et les institutions sociales et politiques qui donnèrent à l'Espagne la victoire sur les Arabes étaient maintenant transposées vers la conquête des Amériques »3. Les chrétiens espagnols, fort de leur victoire sur les « moros », se lancèrent donc à la conquête du nouveau monde afin d'en ramener des richesses et cela ne pouvait se faire qu'avec la soumission préalable des peuples présents sur place. Là, les structures sociales très hiérarchisées de l'empire Inca ainsi que certaines convictions religieuses et mythologiques permirent à l'ordre colonial de s'établir avec une relative facilité, bien que des poches de résistance demeurèrent. Une ancienne prophétie de l'Inca Viracocha avait prédit l'arrivée par la mer d'hommes étrangers qui envahiraient et détruiraient l'empire. Huayna Capac, le onzième et dernier souverain Inca, est alors supposé avoir conseillé à ses sujets de se soumettre aux nouveaux arrivants 4. C'est également une structure hiérarchique très forte de l'empire qui aurait partiellement permis aux conquistadors de s'emparer si facilement d'énormes portions de territoire. En effet, en coupant la tête (littéralement) aux chefs de 3 4 Howard J. Wiarda, 2001, The soul of Latin America, the cultural and political tradition, Yale University Press, New Haven & London B.S. Bauer, R.A. Covey (2002), Processes of state formation in the Inca heartland (Cuzco, Peru), American Anthropologist, New Series, Vol. 104, No. 3, pp. 846-864 l'empire et en y plaçant un nouveau dirigeant espagnol, les colons purent reprendre les rênes du pouvoir relativement facilement. Un autre facteur ayant facilité l'assujettissement du peuple autochtone par les colons est l'apport de maladies inconnues des systèmes immunitaires indigènes. Aux alentours de 1580, on considère que 50 à 70% des indigènes mourraient de maladies importées5. Ce facteur est sans doute le plus important dans le processus d'asservissement du continent. Que ce soit conscient ou non, c'est sans doute la première invasion biologique de l'histoire, où une région du monde a pu avoir tant d'influence dans la structure démographique d'un autre continent. Avec l'arrivée de l'homme blanc en Amérique, c'est également une nouvelle vision des relations entre l'homme et son environnement qui s'imposa. « On reconnaît ainsi comment se sont entrechoqués deux mondes différents, avec des visions et des pensées radicalement opposées sur la relation entre l'être humain et la nature »6. En effet, les peuples précolombiens avaient, et ont encore aujourd'hui dans une certaine mesure, une cosmovision qui leurs assurent une relation harmonieuse avec la Nature. La Pachamama (Mère Nature) est la divinité protectrice qui assure la vie à l'homme grâce aux apports de ce qui l'entoure : la Nature. Au contraire, les colons voyaient la nature comme une construction de Dieu, qui leur avait donc été offerte par celui-ci et dont ils pouvaient jouir comme bon leur semblaient. C'est donc toute une philosophie et une vision de la vie qui allaient être bouleversée avec la conquista. Plus tard durant le XVIIème siècle, alors que le nombre d'autochtones était en chute libre, on assista à la mise en place du tristement célèbre « commerce triangulaire » qui avait notamment comme objectif l'acheminement d'esclaves aux Amériques afin de faire tourner les plantations qui assuraient par exemple le sucre et le café dans les capitales européennes. En effet, il s'agissait de remplacer une force de travail en déclin par des nouveaux hommes venus d'Afrique. Cela aura évidemment des conséquences jusqu'à aujourd'hui sur les sentiments d'appartenances nationales de nombreux pays Latino-Américains. L'Amérique pouvait donc être considéré comme « une invention de plus, qui participait avec la poudre, l'imprimerie, le papier et la boussole à la naissance bouillonnante des Temps modernes ». Ce vaste continent n'était alors considéré pour certains que comme une réserve de matières premières en tout genre : tabac, sucre, minéraux, cacao et plusieurs autres produits en étaient exportés. Pendant les quasi trois siècles d'existence du Virreinato del Perù (Vice-royauté du Pérou, l'autre vice-royauté étant basée sur le Mexique actuel) d'énormes 5 Noble David Cook, María Asunción Gómez, La conquista biológica: Las enfermedades en el nuevo mundo, 14921650, Siglo XXI de España Editores, 2005, Madrid 6 M. Lanuza et al., 2007, Una aproximacion a la deuda ecologica de la Union Europea con Centroamerica,Unidad Ecologica Salvadorena, El Salvador C.A. quantités d'or et d'argent ont été extraites du continent Sud Américain. Le journaliste Urugayen Eduardo Galeano estime qu'entre 1503 et 1660, cent quatre-vingt-cinq mille kilogrammes d'or et seize millions de kilogrammes d'argent arrivèrent dans la métropole7. L'Espagne s'est donc largement construite sur l'or et l'argent prélevés sur le « nouveau monde ». Ces métaux provenaient en grande partie de la célébrissime montagne de Potosi. Comme le dit Eduardo Gallenao « L'Amérique était alors une vaste mine dont l'entrée principale se trouvait à Potosi ». « L'Encomienda était alors une pratique imposée aux indigènes, grâce à laquelle les Espagnols obtinrent gratuitement des richesses produites et accumulées par les indigènes »8. Cette pratique proche du servage était essentiellement appliquée dans les mines et les champs. A cette époque en Europe, il faut considérer que « l'Espagne possédait la vache mais (que) d'autres buvaient son lait ». En effet, le pays était en quelque sorte la « planche à billets » de l'Europe, grâce à l'exploitation des richesses des vastes territoires d'Amérique du Sud. C'est notamment une des raisons pour laquelle la zone ibérique s'est par la suite retrouvée en retard de développement et n'a quasiment pas participé aux siècles des lumières contrairement à ses voisins européens du Nord. En effet, tandis que la France, l'Allemagne mais surtout l'Angleterre bâtissaient les fondations de la toute prochaine révolution industrielle, la bourgeoisie espagnole et portugaise se contentait de vivre dans l'opulence grâce à de l'argent facilement gagné par les conquistadors. Cependant, il faut également nuancer cette affirmation en mettant en avant le rôle de la religion. En effet, l'avènement du Protestantisme en Europe du Nord a permis un rapport plus libre au travail et surtout à la valeur engendrée par ce labeur. Les textes de Luther prônaient en effet un rapport plus libre, voir décomplexé à la richesse, si celle-ci était créée de façon honnête. Les pays du pourtour méditerranéen, au contraire ancrés dans un catholicisme très strict, avaient un rapport plus ambigu à l'argent. Enfin, encore concernant la religion, il faut également souligner le « génocide culturel » qui a eu lieu sur le continent Sud-Américain sous prétexte d'évangéliser des peuples. « Malheureusement, la croix de l'homme blanc allait de pair avec l'épée »9. Aujourd'hui encore le musée de l'inquisition de Lima atteste des atrocités commises sous le prétexte d'évangéliser le nouveau monde. Il doit donc clairement être entendu qu'à cette époque l'Espagne « a été presque intouché par la réforme protestante ou par la Renaissance italienne; elle (l'Espagne) n'a pas connu de révolution scientifique, n'a pas eu d'équivalent à Hobbes ou Locke, ou encore de montée de l'individualisme politique ni de théorie de contrat social ou de révolution industrielle »10. 7 E. Galeano, 1971, Les veines ouvertes de l'Amérique Latine, Siglo XXI de España Editores, Madrid M. Lanuza et al., 2007, Una aproximacion a la deuda ecologica de la Union Europea con Centroamerica,Unidad Ecologica Salvadorena, El Salvador C.A. 9 Nicolau d'Olwer, Comments on the evangelization of the new world, The Americas, vol. 14, No.4 Special Issue: Conference on the History of Religion in the New World during Colonial Times (Apr., 1958), pp. 399-410 8 10 Howard J. Wiarda, 2001, The soul of Latin America, the cultural and political tradition, Yale University Press, New Bien que l'Espagne avait le rôle du conquistador, « ce furent les autres pays d'Europe qui purent engendrer le capitalisme moderne en profitant en grande partie de la dépossession des peuples indigènes d'Amérique »11. Eduardo Galeano estime ainsi à huit millions le nombre de morts dans les mines de Potosi durant les trois siècles d'exploitation qui précédèrent sa découverte (signalons au passage que l'exploitation du « Cerro Rico », la « riche montagne » jouxtant la ville de Potosi, continue encore aujourd'hui) 12. Mis à part ce dramatique génocide par le travail forcé, il faut également citer les dommages environnementaux qui se faisaient évidemment déjà sentir à l'époque. « A cause de la fumée des fours, il n'y avait ni pâturages ni récoltes dans un rayon de six lieues à la ronde, et les émanations n'étaient pas moins implacables pour les corps des hommes » nous apprend E. Galeano. A ce jour, le site est encore gravement contaminé par des lixiviats et par les poussières engendrées par les explosions13. Le cas de Potosi reste le plus connu, mais depuis la colonisation ce sont des milliers de mines qui ont ainsi été exploitées à travers l'Amérique Andine et ailleurs. Il ne faut pas non plus oublier le grand dommage environnemental causé par la déforestation. En effet, les colons faisaient abattre de grandes quantités d'arbres afin de faire fondre les métaux précieux, construire leurs bateaux et leurs habitations ou tout simplement pour consolider les galeries des mines. Le cas de la ville de Potosi, autrefois partagé entre splendeur et esclavagisme, nous éclaire donc sur les possibles dommages environnementaux et sociaux de l'exploitation minière. A mesure que s'approche l'ère de la révolution industrielle, les colons installés en Amérique du Sud souhaitent de plus en plus prendre leur indépendance vis à vis de la métropole qui est toujours ancrée dans une logique chrématistique. C'est le début de l'affranchissement et des volontés d'autonomie politique et économique. En effet, la bourgeoisie locale souhaite faire du commerce librement avec d'autres pays d'Europe, sans devoir tout reverser à l'Espagne. « Entre 1808 et 1825 tous les facteurs en faveur de l'indépendance Latino-américaine étaient présents : les révolutions en Europe, l'indépendance des Etats-Unis, les excès de l'absolutisme espagnol, les doctrines constitutionnelles de Cadiz, la foi romantique des libérateurs, les ambitions politiques des oligarchies créoles, la diffusion des idées de Rousseau et de l'encyclopédie, et la décadence de l'Espagne. »14 En 1825, la Bolivie est le dernier Etat de l'Amérique andine rendu indépendant, grâce notamment à l'armée de Bolivar. Bien qu'officiellement indépendants, les nouveaux Etats restent largement tributaire de l'Europe occidentale, du moins économiquement, mais aussi culturellement. Par la suite, on observera un glissement de subordination en faveur des Etats-Unis. En effet, ces deux 11 12 13 14 Haven & London E. Galeano, 1971, Les veines ouvertes de l'Amérique Latine, Siglo XXI de España Editores, Madrid, p. 45 E. Galeano, 1971, Les veines ouvertes de l'Amérique Latine, Siglo XXI de España Editores, Madrid, p. 49 J. Forero, 2003, As Bolivian miners die, boys are left to toil, The New York Times, édition du 24 mars Luis E. G. Manrique, 2006, De la conquista a la globalizacion – Estados , naciones y nacionalismos en America Latina, Madrid, Biblioteca nueva - Estudios de politica exterior continents, Europe et Amérique du Nord, peuvent déjà se définir comme étant du « centre » si l'on considère que le reste du monde participe déjà à leur métabolisme social. Ce concept de métabolisme social a été défini comme « la façon dont les sociétés établissent et maintiennent des entrées et sorties de masses (énergie et matière) avec la nature; le mode par lequel elles organisent l'échange de matière et d'énergie avec l'environnement »15. L'opinion ici défendue est que le métabolisme social croissant du centre n'a été possible que grâce aux prélèvements de matière et d'énergie effectués dans la périphérie. Dans un système géographique, le centre est communément défini comme l'espace qui commande et qui bénéficie de la périphérie, qui elle au contraire subit16. Ces pays dits du centre ont d'ailleurs évolué vers une logique économique mercantiliste, c'est à dire basée sur l'accumulation du capital grâce au commerce extérieur qui permet de dégager un excédent dans la balance commerciale. Cela prévaut pour les nations européennes, mais l'Amérique latine reste un territoire que l'on exploite pour ces richesses, sans faire de commerce. L'avènement de la révolution industrielle en Europe ancre définitivement jusqu'à nos jours cette relation de centre-périphérie. En effet, les nouvelles techniques d'exploitation de l'énergie (passage du bois au charbon, puis au pétrole par la suite) et des moyens de transport plus rapides, notamment le train, permettent à l'Europe une grande diffusion de connaissance et de richesse, mais la rend dans un même temps de plus en plus dépendante d'un nombre croissant de ressources naturelles. Cette exploitation de ressources commence évidement en Europe, à proximité des lieux de transformation. On pense notamment aux bassins houillers du Nord de la France ou de la Belgique en ce qui concerne l'énergie fossile. Concernant les métaux, ils sont essentiellement extraits et transformés en Europe. Mais par la suite, les besoins grandissants du métabolisme social des centres (Europe occidentale et Etats-Unis) engendrent une incroyable augmentation des extractions de matières premières dans les pays de la périphérie. La révolution industrielle permet à l'Europe de manufacturer de nombreux produits, ce qui leurs rajoutent une plus-value considérable par rapport aux matières premières. On assiste donc parallèlement, dés le début du XIXème siècle, au début de la division internationale du travail. Certains économistes classiques comme Ricardo expliquent également cette division internationale du travail par la théorie de l'avantage comparatif. Celleci stipule que lorsqu’un pays se spécialise dans la production pour laquelle il est, comparativement à ses partenaires, le plus avantagé ou le moins désavantagé, il est alors assuré d’être gagnant au jeu du commerce international. Une critique ici cruciale contre la théorie de l'avantage comparatif est qu'elle ne distingue pas sous le terme « production » entre 15 Fischer-Kowalsky et H. Haberle (1994), On the cultural evolution of social metabolism with nature, Iff Vienna, n.40, p. 3 16 Wolfgang Hoeschele (2002), The Wealth of Nations at the Turn of the Millennium: A Classification System Based on the International Division of Labor, Economic Geography, Vol. 78, No. 2, pp. 221-244 extractions de matières premières et production, c'est à dire manufacturer des objets grâce à ces matières premières. En fait, dans un contexte historique davantage marqué par l'impérialisme que par le libre-échangisme, la détention d’avantages comparatifs par les nations les moins puissantes s’est souvent transformée en véritable malédiction, surtout lorsqu'il s'agit d'un avantage comparatif par rapport à une ressource naturelle spécifique, c'est ce que l'on nomme communément la « maladie hollandaise » que nous expliquerons plus en détails plus loin. Revenons au cas de l'Amérique andine et aux causes de son « sous-développement » suivant la période de décolonisation et de révolution industrielle en Europe. Après plus de trois siècles de colonisation, l'Amérique Latine en général n'avait pas acquis d'expérience en gouvernance et n'avait que peu d'infrastructures. De plus, les guerres d'indépendances avaient largement fragilisé l'économie Latino-américaine17. Après l'indépendance, beaucoup de pays n'avaient plus de débouchés sur le marché espagnol et manquaient d'autres débouchés à l'étranger pour faire jouer leurs avantages comparatifs. Leurs économies plongèrent donc dans un cycle vicieux de déclin. Par la suite, on peut, selon H. J. Wiarda, H. F. Kline, distinguer deux périodes dans le développement de l'Amérique latine. L'une de 1850 à 1890 qui a vu plus de stabilité et l'émergence de richesses, d'investissements accrus, de croissance démographique, et de développement d'infrastructures. Cela a établit les conditions pour une seconde période de 1890 à 1930 qui a permis au continent d'expérimenter un certain décollage économique, certes moins vigoureux qu'aux Etats-Unis, mais qui a néanmoins ouvert le continent a des exportations mondiales de matières premières. Egalement à la différence des Etats-Unis, le continent a connu cette croissance sous des régimes non démocratiques et souvent sous l'influence militaire des USA, ce qui peut expliquer les futures tensions avec le voisin Nord Américain durant le XXème siècle. Au tournant du siècle, l'Amérique Latine est définitivement intégrée dans « l'Economie-monde » et en dépend. 17 H. J. Wiarda, H. F. Kline, 2001, An introduction to Latin American politics and development, Westview Press, Oxford Figure 1 : Production de produits tropicaux de la périphérie entre 1840 et 1950 Source : Paul Bairoch (1992), Du Tiers-Monde aux Tiers-Mondes, Convergences et clivages Population (French Edition), 47e Année, No. 6, Hommage à Alfred Sauvy (Nov. - Dec., 1992), pp. 1485-1503 Ce tableau nous informe de l'évolution de la production de café, de cacao, de sucre de canne et de caoutchouc des trois continents de la périphérie. On constate que pour les trois premiers produits, l'Amérique Latine est toujours à la première place durant la période analysée (1840-1950), à l'exception de la production de cacao Africaine qui décolle entre 1912 et 1950 pour finalement devancer l'Amérique latine. Ces produits sont les principales matières premières exotiques dont une large part de l'économie latino-Américaine dépend encore aujourd'hui . L'incroyable augmentation de la production est essentiellement suscité par la demande des pays du centre dont les niveaux de vie croissants permettaient d'absorber des quantités croissantes de ces produits, luxueux pour l'époque. Concernant la production minière, les évolutions sont sensiblement les mêmes qu'avec la biomasse, à savoir une augmentation constante de la production, ou plutôt de l'extraction. Mais distinguons deux temps dans l'exportation de minerai, l'une avant l'explosion des moyens de transports à l'échelle mondiale et l'autre après. Evidemment, la découverte de la machine à vapeur a permis de faire fonctionner de gros navires et a ainsi décuplé les possibilités de transport, surtout concernant les matières pondéreuses comme le minerai. Depuis, le continent a toujours été réduit à un rôle d'exportateure de matières premières, le plus souvent de biomasse (sucre, cacao, café, fruits exotiques divers...) et n'a ainsi pas pu réellement diversifier son économie. Vu que l’Europe était déjà fort avancée dans sa révolution industrielle, il était impossible pour l’Amérique Latine de développer une industrie pour faire concurrence aux produits manufacturés européens bon marché sans imposer une protection douanière forte. Or, l’Amérique Latine, au vu de cet échange économiquement inégalitaire, était obligée de vendre ses produits agricoles tropicaux aux pays industrialisés pour pouvoir acheter des produits manufacturés. Nous insistons donc ici sur le fait que le modèle de développement global est désormais dicté par la supériorité économique et militaire du centre. Afin de s'insérer dans l'Economie-monde et pouvoir prétendre à un modèle de développement « à l'occidentale », le reste du monde doit s'adapter aux règles du marché international. Voyons à présent quelles ont été ses évolutions durant les dernières décennies. 1.2. 1.2.1. Rôle des institutions financières internationales dans la politique extractiviste des pays de la périphérie depuis la fin de la seconde Guerre mondiale jusqu'à aujourd'hui. Incitation aux libres échanges et à l'exploitation Au lendemain de la seconde Guerre mondiale, les nations victorieuses d'occident (Etats-Unis en tête) se sont lancées dans une logique de containment qui visait à réduire l'influence communiste dans le monde, et au nom de la liberté, ces nations se sont mises à promouvoir le « libre-échange ». Cependant cette doctrine se devait d'être institutionnellement encadrée à l'échelle mondiale afin d'en faire respecter les règles partout (dans le monde « libre » tout du moins). C'est pourquoi on assiste en 1944 à la création du Fond Monétaire International (FMI), en 1945 à la création de la Banque Mondiale, et en 1947 à l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (General Agreement on Tariffs and Trade : GATT, future OMC). L'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) est créée en 1995 et remplaçant donc officiellement le GATT, mais le système commercial que représente l'organisation est déjà en place depuis la fin de la seconde Guerre mondiale. Le but de l'organisation est d'aider les négociants des marchés mondiaux à commercer plus facilement grâce à la suppression des barrières au libreéchange. Cela suppose, dans le cadre de négociation entre Etats, d'aller le plus possible vers l'abolition graduelle de toutes les dérogations et exemptions, tarifaires ou autres, dont certains des pays les plus pauvres pouvaient bénéficier. « En partant du principe que, dans la compétition sur les marchés mondiaux, les Etats-Unis et l’Allemagne sont sur un pied d’égalité avec le Mali et le Paraguay, tout protectionnisme est injustifié »18. En effet, l'OMC est sujette à de nombreuses accusations de la part des pays de la périphérie qui lui imputent de favoriser davantage les entrepreneurs des pays riches que les salariés ou les pays pauvres. Il est en partie vrai que des pays ayant connu un développement et une croissance économique plus précoces et ayant donc pu développer des technologies plus pointues vont inonder les marchés des pays tiers avec leurs produits. Ces derniers ne pourront concurrencer « à égale » les pays du centre, car ils sont dépendants de leurs produits. L'idée ici défendu est que la comparaison, pondéralement parlant, d'un kilo de banane avec un kilo de matériel électronique ne s'équivaut pas en matière de prix. Il y a donc, comme nous l'expliquerons plus en profondeur ultérieurement, un échange écologiquement et économiquement inégale. En d'autres termes, « les droits de douane et les subventions sur les exportations et les importations sont les outils les plus subtiles et hypocrites qu'un pays puissent utiliser pour en exploiter un autre. [...] Un droit de douane fixé par un pays riche sur ses importations est une agression monopolistique et non une protection »19 Les deux autres institutions financières internationales, à savoir le FMI et la BM, ont initialement été créées afin d'assurer la reconstruction de l'Europe après la seconde Guerre mondiale. Après une rapide reconstruction largement rendue possible grâce aux fonds américains du Plan Marshall, l'Europe reprend donc sa place sur la scène internationale en tant que leader économique, mais pour la première fois de l'histoire, en seconde position derrière les Etats-Unis. Ces deux institutions, ayant rempli leurs missions originelles vont alors effectuer un glissement de leurs objectifs durant les années 1960 et 1970. La BM va se focaliser sur la réduction de la pauvreté de par le monde, et selon l'idéologie qui prédomine dans l'institution, cela passe par la croissance économique, donc l'accroissement du PIB. Le FMI reste cantonné à sa mission première, à savoir la régulation des taux de change internationaux. Durant les années 1980, après les crises pétrolières et les crises des dettes extérieures des pays de la périphérie, et particulièrement en Amérique Latine, les objectifs de développement et de réduction de la pauvreté vont être englobés dans ce que l'on nomme communément le « Consensus de Washington ». Le consensus de Washington consiste en une série de politiques visant à résorber la profonde crise économique qui a principalement touché l'Amérique Latine. « La décennie des années 80 - la « décennie perdue » avait été marquée par une profonde crise économique, une hyperinflation dévastatrice, avec toutes leurs conséquences : déstructurations sociales et instabilités politiques. La crise de la dette extérieure, écartant le souscontinent des marchés financiers, le saigna à blanc, avec un transfert net (négatif) de ressources financières, de près de 25 milliards de dollars en 18 19 M. Chemillier-Gendreau, novembre 2007, Organisation Mondiale du Commerce, Le Monde Diplomatique, Paris S.-C. Kolm, 1969, L'exploitation des nations par les nations, Revue économique, Vol. 20, No. 5, pp. 851-872, Science Po University Press moyenne annuelle, en direction du Nord20 ». Ces 25 milliards peuvent être comparer au PNB Equatorien durant la décennie 1980 qui n'a fluctué qu'entre 10 et 15 milliards de dollars21 (cf. annexe 1 : graphique de l'évolution du PNB Equatorien depuis 1980 jusqu'en 2008). Afin de pallier à cette situation, des mesures radicales ont été prises sous la pression des institutions financières internationales pour réorienter l'économie des pays en crise vers le néo-libéralisme. Pour renégocier leurs dettes extérieurs, les gouvernements concernés devaient se plier aux « politiques d'ajustements structurels ». Concrètement, cela entend moins d'intervention de l'Etat grâce à la privatisation de nombreux secteurs clés comme l'éducation, la santé, le logement, l'aide sociale etc., mais aussi moins de subventions pour les produits de premières nécessités. Ce nouveau dogme économique préconisé notamment par Reagan et Thatcher prévoyait également que les pays riches en ressources naturelles devaient faire jouer leurs avantages comparatifs en misant tout sur l'exportation afin de faire rentrer des devises. Cette politique du tout à l'exportation, qu'il s'agisse de biomasses ou de minéraux, a forcément accéléré la dégradation de nombreux écosystèmes. De plus, avec la privatisation de ces secteurs extractifs, les capitaux engendrés par l'exportation seront surtout empochés par des compagnies étrangères. Une étude de Eric Berr et de François Combarnous a mis en place un indicateur synthétisant les 10 mesures phares du consensus de Washington et a ainsi « montré que les pays appliquant fidèlement les recommandations du consensus de Washington, qu’ils aient un Etat fort ou non, n’avaient pas de meilleurs résultats que les autres, que ce soit en terme de croissance — qui était l’objectif affiché des institutions financières internationales —, de développement (IDH), ou de réduction de la dette. Pire, il apparaît que l’application du consensus de Washington est allée de pair avec une hausse des inégalités et qu’elle n’a pas permis aux Pays En Développement de mieux s’intégrer dans le grand marché mondial. »22 1.2.2. Structure de l'économie Equatorienne et poids de la dette extérieur. Recentrons-nous à présent sur le cas spécifique de l'Equateur, petit pays Andin dépendant largement de l'exportation de biomasses, puis de pétrole après la découverte de gisements importants dans le courant des années 70. Le pays a donc fait jouer ses avantages comparatifs dans ces divers domaines. Mais le fait de dépendre largement des exportations de pétrole crée une forte dépendance aux fluctuations internationales. Après les crises pétrolières, intensifiées par le phénomène climatique El Nino qui endommagea largement l'agriculture, le pays plongea donc dans une grave crise économique durant les années 80. « Le sucre (monnaie nationale jusqu'en 2000) tomba dans une hyper-inflation, le pays ne put plus s'acquitter de sa dette extérieure, et le secteur bancaire entier s'effondra pendant que les 20 Le Monde Diplomatique - Le consensus de Washington, http://www.mondediplomatique.fr/cahier/ameriquelatine/consensuswashington (03/07/2009) 21 World Bank, Data & Statistics, Ecuador, GDP : http://ddp-ext.worldbank.org/ext/DDPQQ/showReport.do? method=showReport (03/07/2009) 22 E. Berr, F. Combarnous, 2004, L’impact du consensus de Washington sur les pays en développement : une évaluation empirique, Centre d'économie du développement, IFReDE, GRES, Université Bordeaux IV Equatoriens se précipitaient pour mettre leurs comptes dans une devise plus stable, telle que le dollar US »23. Des troubles éclatèrent fin 1999 après que le président Mahuad ait préconisé une dollarisation de l'économie. Il fut renversé mais remplacé par Noboa, également défenseur de la dollarisation. Au printemps 2000, le gouvernement commença à échanger massivement le Sucre contre le Dollar à un taux dérisoire de S/. 25,000 = $1. Au niveau macro-économique, on peut au premier abord penser que cela eut des conséquences positives, sachant que le PIB passa de -7.3% en 1999 à 5.6% en 2001, mais ces chiffres cachent une autre réalité micro-économique. En effet, trouver un travail était toujours difficile et l'accès au crédit restait très sélectif avec un taux d'intérêt proche de 20%. De plus, les effets des politiques d'ajustements structurelles se faisaient toujours ressentir. En effet, l'agriculture familiale de subsistance ainsi que les petits commerces (ou microentreprises) ont largement été négligés par le consensus de Washington. Evidemment, un niveau minimum de rendement économique est nécessaire pour satisfaire les besoins de base. Mais afin de subvenir à ses besoins, la population dépend davantage de la manière dont sont redistribués les excédents économiques que du niveau absolu de revenu par capita (donc du PIB/capita). Et bien que le revenu par capita augmente, ce serait donc une mauvaise allocation des revenus de la « production » (dans production on inclut les extractions de matières premières) qui a engendré le fait qu'encore aujourd'hui près d'un Equatorien sur trois vit sous le seuil de pauvreté 24. Il faut cependant signaler au passage que cela est également lié à la corruption endémique, qui favorise l'enrichissement personnel de quelques personnes au détriment de la majorité. « Pour beaucoup de pays, la dépendance à des ressources naturelles extractibles – tel que l'aquaculture de crevette, le pétrole ou le bois brut (trois activités très présentes en Equateur) – a été marquée par des cycles d'intenses accroissements puis d'intenses ralentissements. Ces industries sont caractérisées une tendance à la concentration des richesses entre les mains d'un petit nombre (souvent des compagnies étrangères), leur manque de soutenabilité et leur contribution à la corruption »25. Pour revenir à la problématique de la dette extérieure, le graphique suivant nous indique son évolution entre 1969 et 2008. Figure 2 : La dette extérieure de l'Equateur entre 1969 et 2008 23 http://www.mindspring.com/~tbgray/dollar.htm , The effect of dollarization in Ecuador, consulté le 3 juillet 2009 World Bank – Data & Statistics – Ecuador, http://ddp-ext.worldbank.org/ext/DDPQQ/showReport.do? method=showReport (15/07/09) 25 Jon D. Erickson and David Batker, Mars 2008, Genuine Development in Ecuador, Draft for Discussion and Revision, Earth Economics, Seattle. 24 http://ddpext.worldbank.org/ext/DDPQQ/showReport.do?method=showReport (7 juillet Source : Banque Mondiale - Dette extérieure – Equateur, 2009) On constate une augmentation quasi-constante de son montant d'une année sur l'autre. On note cependant en 2000 une réduction de la dette extérieure (par l'échange des bons Brady en bons Global) après la crise financière qui avait mis le pays dans l'impossibilité de rembourser. Malgré cette renégociation non négligeable, deux ans plus tard, la dette extérieure du pays se retrouve au même niveau et continue de croître sensiblement. C'est pourquoi en 2007 est créée une commission internationale et indépendante, pour l’Audit Intégral du Crédit Public (Comisión para la Auditoria Integral del Crédito Público –CAIC-). A l’instar de tant d’autres pays, d'Amérique Latine et d'ailleurs, l’Equateur a connu une longue période de dictature, de 1968 à 1979, qui est responsable d’un accroissement important de la dette, et ce de manière illégitime26. En effet, d'après la jurisprudence introduite par le juriste Russe Alexander Nahum Sack : « Si un pouvoir despotique contracte une dette non pas pour les besoins et dans les intérêts de l’Etat mais pour fortifier son régime despotique, pour réprimer la population qui le combat, cette dette est odieuse pour la population de l’Etat entier. Cette dette n’est pas obligatoire pour la nation : c’est une dette de régime, dette personnelle du pouvoir qui l’a contractée, par conséquent elle tombe avec la chute de ce pouvoir »27. Une part de la dette équatorienne peut donc être considérée comme une « dette odieuse ». Mais depuis, la politique économique et fiscale imposée par Washington (par le biais du FMI et de la BM) a pour objectif principal de garantir le remboursement de la dette. « le FMI a ainsi imposé le gel des salaires dans la fonction publique en 2002-2003 et le licenciement de 30 000 employés du secteur public »28. Un autre exemple frappant mettant bien en évidence le lien entre endettement et exploitation de ressources naturelles est le projet Prodeminca (Proyecto Desarrollo Minero y su Control Ambiental – Projet de Développement Minier et Contrôle Environnemental). Ce projet, mis en oeuvre en 1993-1994 et financé à hauteur de 14 millions de dollars par la BM et de 10 millions de dollars par la Suède et la Grande-Bretagne, avait pour principal objectif de promouvoir les investissements privés pour le développement de l'exploitation minière. Aujourd'hui, ce prêt de la BM fait partie intégrante de la dette extérieure équatorienne. « Le projet Prodeminca comprenait la modification de la législation en matière minière. Deux lois (Trole I et II) sont venues créer les conditions du pillage des ressources par les multinationales (exonération des 3% des investissements ou de la production nette reversée à l’Etat, diminution du rôle du Ministère de l’Environnement, possibilité d’activité minière en zone protégée) »29. Ce cas est donc emblématique de la relation 26 http://www.cadtm.org/spip.php?article2779, Comité pour l'Annulation de la Dette du Tiers-Monde, consulté le 7 juillet 2009 27 Sack A. N.,1927, Les effets des transformations des Etats sur leurs dettes publiques et autres obligations financières, Recueil Sirey, Paris 28 Hugo Arias Palacios, août 2006, Impacto económico, social y ambiental de la deuda soberna del Ecuador y estrategias de desendeudamiento, CEIDEX Tercer Volumen, 29 Résumé de la conférence : Casos que vinculan la deuda externa con la generación de deudas sociales y ecológicas, Varios autores, CEIDEX, Tomo 5, décembre 2006 complexe et ambiguë qui existe entre endettement, dégradation environnementale et extraction de ressources naturelles par des compagnies étrangères. Le mécanisme de pression de la dette soumet donc l'Equateur à accepter des mégaprojets souvent néfastes pour les conditions environnementales et sociales tout en obligeant le pays à s'endetter toujours plus, et donc à rembourser toujours plus. Cela a des conséquences décisives sur le contexte politico-économique dans lequel évolue l'Equateur. En effet, depuis le pays est devenu exportateur net de capitaux. On observe un transfert net négatif de 13 558 millions de dollars, alors que dans le même temps, la dette est passée de 6 663 millions en 1982 à 16 698 millions en juin 2006, soit une multiplication de 2,530. Nous constatons donc que l'Equateur subit de grande pression économique, ce qui engendre des lourdes conséquences sociales et environnementales, particulièrement dans le secteur pétrolier. Rajoutons à cela que l'économie nationale équatorienne reçoit plus d'argent de la part de sa diaspora que des revenus du pétrole31. Signalons également que depuis la dollarisation de l'économie en 2000 jusqu'à la crise de 2008, il y a eu des signes évidents de « maladie hollandaise » en Equateur32, et cela essentiellement à cause des fluctuations et du boom spectaculaire du marché du brut, comme nous le montre le graphique suivant. Figure 3 : Evolution du prix du baril de pétrole (1970-2009) 30 31 32 Comité pour l'Annulation de la Dette du Tiers-Monde - http://www.cadtm.org/spip.php?article2779 (7 juillet 2009) Coopération Technique Belge (2008), Le poids de la dette extérieure des pays du tiers monde face au défis du développement, Actes du colloque, Bruxelles, 17/12/2008 M. C. Vallejo, 2008, Biophysical structure of the Ecuadorian Economy : Policy implication, FLACSO, Quito Source : http://www.france-inflation.com/graph_oil.php (16/07/09) La maladie hollandaise est un phénomène économique qui relie exploitation de ressources naturelles et le déclin de l'industrie manufacturière locale. L'effet de richesse ressenti par le boom pétrolier depuis 2000 a logiquement engendré une croissance de la demande domestique. Les imports de biens commercialisables vont donc également augmenter afin de satisfaire cette demande. Mais cette augmentation des imports aura un effet adverse sur la production domestique de biens, ce qui rendra le pays moins compétitifs dans les secteurs traditionnels que sont l'agriculture, la pêche ou la petite industrie. La stagnation économique de ces secteurs est contrebalancée par l'augmentation des exportations du secteurs extractifs : l'industrie pétrolière. Sur le terrain, cela se traduit par une augmentation des puits de pétrole, donc une augmentation des infrastructures nécessaire à l'extraction puis à l'acheminement de la ressource : plus de puits, plus de routes et plus de pipelines, ce qui va indéniablement engendrer une accélération de la dégradation environnementale. Une fois le boom pétrolier passé, les secteurs traditionnels de l'économie équatorienne auront également plus de mal à se relever de la période de stagnation. Nous constatons donc qu'il est difficile d'ancrer le problème du « sousdéveloppement » chronique de l'Equateur dans une seule grille de lecture. C'est une combinaison complexe de facteurs économiques et politiques qui amènent ce petit pays andin à toujours exporter plus de ressources tout en étant un exportateur net de capitaux. En effet, les problèmes de gouvernance et de corruption liés aux incitations des institutions financières internationales dans un contexte de crise économique ont crée les conditions du sousdéveloppement Equatorien qui engendre une sur-exploitation de l'environnement. 1.3. Enjeux, une demande toujours croissante de ressources naturelles Afin d'analyser le contexte dans lequel le gouvernement équatorien est constamment soumis à des pressions internes et externes pour permettre davantage d'extractions de ressources minières, nous allons utiliser le modèle FPEIR. FPEIR est l'acronyme de « Forces directrices », « Pressions », « Etats », « Impacts » et « Réponses ». C'est une grille d'analyse qui permet de comprendre un problème depuis ses origines jusqu'aux impacts qu'il occasionne, avec pour finalité d'essayer d'y apporter des pistes de résolutions. Cependant, et car ce n'est pas l'objectif de ce mémoire, nous n'allons que survoler quelques possibilités de lecture offerte par le modèle. Une « force directrice » est un besoin. Dans le cadre de l'Equateur, le besoin d'extraire des ressources minières est en premier lieu provoqué par la croissance démographique mondiale. La population mondiale, en constante augmentation engendre des besoins croissants d'infrastructures, nécessitant donc des matières premières. Mis à part la croissance démographique, l'autre force directrice majeur est donc incontestablement le modèle économique néolibérale basé sur la croissance à tout prix. Sans vouloir rentrer dans la polémique, il s'agit ici de pointer du doigt un modèle économique basé sur la consommation afin que celle-ci engendre de la croissance. La situation de l'Equateur en tant que pays de la périphérie, fait donc du modèle économique actuel une des forces directrices majeurs dans le cadre de l'exploitation minière. Plusieurs autres forces directrices participent à créer une demande toujours croissante de ressources naturelles telles l'apparition de nouvelles technologies, le degré d'efficience énergétique, le type d'agriculture (extensive ou intensive), l'aménagement du territoire (dense ou consommateur d'espace). Pour répondre aux besoins, des activités humaines vont être exercées. Cellesci provoqueront des « pressions » sur l'environnement en raison des processus de consommation ou de production. On les divise traditionnellement en trois catégories : usage excessif de ressources environnementales, changement dans l'usage du sol et émissions vers l'air, l'eau ou le sol. Dans le cadre de l'exploitation de ressources minières en Equateur, cela va évidement créer un changement dans l'usage du sol (mine à ciel ouvert va remplacer terre de pâturage ou forêt primaire), mais cela provoquera aussi des émissions vers l'air (gaz à effet de serre et poussières), l'eau et le sol (sous forme de lixiviats). Concernant l'usage excessif de ressources naturelles, c'est une pression indéniable d'une part car la ressource en question sera prélevée, mais d'autre part car l'exploitation va consumer des services écosystémiques. Des pressions accrues vont avoir comme conséquence de changer « l'état » des différents compartiments de l'environnement (air, eau, sol). Ces compartiments de l'environnement assurent en effet des fonctions (ou services écosystémiques), comme la fonction d'approvisionnement en nourriture ou en combustible, des fonctions de régulation de la vie, des fonctions de support etc. Ici, les forces directrices vont altérer l'état dans le fait que cela va engendrer l'ouverture de mines à travers le pays. L'état des écosystèmes ainsi que de la santé humaine s'en trouveront donc altérées. Un changement de l'état aura par effet boule de neige davantage « d'impacts » sur l'environnement mais également sur l'économie et la société en générale. Un état de stress accru sur l'homme ou l'environnement aura donc des conséquences sur les performances économiques et sociales de la société. Par rapport à l'extraction de ressources, un impact sur l'homme serait une augmentation de la mortalité et de la morbidité, ce qui devrait occasionner des frais de santé accrus. Cela va provoquer une double perte économique, d'une part par la force de travail humaine perdue, d'autre part par les frais de santé engagés, qui auraient pu être alloués ailleurs. Concernant l'environnement, les impacts correspondent aux « coûts » que l'on tente d'évaluer dans une ACB incluant les externalités négatives. C'est précisément le point centrale de ce mémoire, que nous allons développer beaucoup plus largement par la suite. Ces impacts environnementaux sont de deux ordres, les impacts directs sous forme de pollution (qui devraient engendrer des coûts de dépollution), et les impacts indirects sous forme de perte de fonctions environnementales. Une fois les points précédents identifiés, la société (ou le preneur de décision) peut commencer à réfléchir aux « réponses » plausibles. On peut apporter des réponses à tous les stades du modèle FPEIR. Les réponses apportées aux forces directrices sont sans aucun les plus efficaces, mais également les plus difficiles à mettre en oeuvre. En effet, dans le cas de l'exploitation minière, agir sur la croissance démographique ou sur le modèle économique semble délicat. Partie 2 : Le concept de dette écologique 2.1. L'économie écologique et les origines du concept. L'économie écologique (EE) est une discipline assez récente bien qu'elle trouve ses origines dans les écrits d'auteurs du XXVIIIème siècle comme Malthus ou John Stuart Mill. Ce dernier avait déjà théorisé que la conclusion logique d'une croissance sans limite serait la destruction de l'environnement et mènerait donc inévitablement à une diminution du bien-être humain 33. La problématique qu'étudie l'EE est le degré de soutenabilité qui existent dans les interrelations entre le système économique et l'environnement. L'observation de base de l'EE est que le subsystème économique humain est imbriqué dans le système « nature ». En effet, pour fonctionner, l'économie a besoin de prélever des ressources, de les transformer, puis une fois le processus de consommation achevé, des rejets vont être occasionné. Ce postulat est difficile à contredire et peut sembler banal mais c'est finalement la base de la discipline. L'EE trouve également ses origines dans des théories physiques tel les lois de la thermodynamique. Celle-ci, et particulièrement la deuxième loi de la thermodynamique concernant l'entropie ont inspiré des théoriciens comme Georgescu-Roegen à conceptualiser le processus économique sous des termes biophysiques (« The Entropy Law and the Economic Process », GeorgescuRoegen, 1971). Cette discipline trouve donc son origine dans la rencontre entre les sciences économiques et une nouvelle science du siècle dernier : l'écologie. On pense notamment au biologiste Lindeman qui était le premier à analyser un écosystème d'après ses flux énergétiques. Si l'on intègre dans cet écosystème l'homo sapiens sapiens et son activité économique, on a une ébauche d'application concrète des fondements de l'EE. Mais cela ne va se passer que bien plus tard, une fois que les conditions sociétales pour l'avènement des soucis écologiques seront en place. Concernant l'apparition des problématiques environnementales, on pense notamment à l'impact de « Silent Spring » de R. Carson en 1962, puis au soucis de la « bombe démographique » notamment relayé par les Meadows dans leur ouvrage « Limits to growth » (1972). Avec les années 1970, c'est aussi le soucis de l'approvisionnement énergétique qui apparaît après les deux crises pétrolières tandis que le nucléaire commence à inquiéter de plus en plus de mouvements écologistes naissants. Tout ces facteurs participent à la conscientisation environnementale du monde, d'autant plus que les premières conférences internationales sur le sujet ont lieu au même moment. « Une autre tendance générale des années 1970-1980 est l'intérêt grandissant pour des recherches et une éducation transdisciplinaires, orientées sur les problèmes », notamment en Scandinavie34. Cela est également crucial pour comprendre l'apparition de l'EE pour laquelle une approche transdisciplinaire y est fondamentale. « Bien que l'intérêt de combler le trou entre écologie et économie soit apparu dans les années 1960 avec les travaux de Kenneth Boulding et Herman Daly, le premier effort formel pour rassembler économistes et écologistes eut lieu 33 34 John Stuart Mill, 1848, The Principles of Political Economy – Book 4, Chapter 6 – Of the Stationery State, London, Longmans. I. Ropke (2004), « The early history of modern ecological economics », in Ecological Economics, vol. 50, pp 293314 dans les années 1980 »35. C'est une économiste-écologiste suédoise qui est à l'origine de la première conférence « Integrating Ecology and Economics » en 1982. Il s'agit durant cette rencontre initiale d'identifier les besoins de la discipline et de fixer un agenda d'objectifs. Peu de temps après, Costanza et d'autres prennent l'initiative de créer un « Ecological Economics Journal », publié par Elsevier Science. Afin de mobiliser un lectorat suffisamment large on crée dans la foulée l'« International Society for Ecological Economics - ISEE », qui s'est développée depuis en plusieurs « sociétés » régionales. Aujourd'hui la discipline reste assez peu connue du grand publique et n'est malheureusement pas assez prise en compte par les preneurs de décision. Cependant « l'économie environnementale » est davantage prise en compte lorsqu'il s'agit d'évaluer le « prix de l'environnement » afin d'élaborer des taxes ou de dédommager un tiers pour des dégradation environnementales. La question d'échelle est également fondamentale dans l'EE. En effet, la microéconomie classique constate que lorsqu'on augmente une activité, les coûts et les bénéfices vont augmenter de paire. Cependant, jusqu'à un certain point, les bénéfices supplémentaires de l'activité ne vont plus égaler les coûts et l'activité ne deviendra plus rentable. En résumé, lorsque les coûts marginaux sont égaux aux bénéfices marginaux, l'activité a atteint son échelle optimale. Cependant, au delà d'une certaine échelle, lorsque les coût dépassent les bénéfices, la croissance ne sera plus bénéfique et nous rendra donc plus « pauvres »36. Cependant, en macro-économie, ce principe n'est pas appliqué et la règle est la « croissance à l'infini » car on ne perçoit pas les limites de notre système, à savoir le système terre. Pourtant, selon la vision EE, la limite est bel et bien atteinte. Cette question d'échelle peut s'expliquer par la métaphore du passage d'une « cowboy economy » à une « spaceship economy ». La cowboy economy perçoit le monde comme infini où l'on peut sans cesse coloniser de nouveaux espaces pour en extraire les ressources alors que la spaceship economy voit le système planétaire comme une capsule spatiale, c'est à dire fermé, avec un nombre limité de ressources et une capacité d'absorption et de résilience également limitée. En effet, aujourd'hui l'environnement ne peut plus assimiler tous les déchets (gazeux, liquides ou solides) que l'homme produit. La figure suivante nous indique donc l'évolution de la représentation du système planétaire selon une vision « d'économie-écologique » schématique. 35 36 R. Costanza (2003), The early history of ecological economics and the International Society for Ecological Economics (ISEE), International Society for Ecological Economics, Vermont Herman E. Daly (2004), Ecological Economics: Principles and Applications, Island Press, Washington DC Figure 4 : Une vision « économie-écologique » du système planétaire. Source : R. Goodland (2009), Herman Daly Festschrift: The world is in over-shoot and what to do about it, The Encyclopedia of the Earth, Washington DC. Soulignons enfin que l'intérêt pour les notions de temps et de justice sont deux caractéristiques fondamentales dans l'EE. Premièrement, le temps est crucial car c'est tout le principe du Développement Durable (DD) qui y est inclus. En effet, afin de « répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs » 37, il faudrait prélever les ressources et les rejeter sous forme de déchets en tenant compte du temps de résilience du système naturel. La résilience est le temps nécessaire à un écosystème pour recouvrir toute ses fonctions après une dégradation quelconque. Afin d'user de nos ressources avec parcimonie, l'EE invite donc à faire usage du principe de précaution. La notion de justice est également fondamentale au principe d'EE. En effet, l'économie traditionnelle ne se soucie guère des problèmes de pollution, que ce soit lors d'extraction de ressources ou lors du déversement de déchets. Cela rejoint le concept développé par Joan-Martinez Alier de « justice environnementale ». Il considère que la distribution des conflits environnementaux est la conséquence du dogme de la croissance à tout prix. « Les pays pauvres dégradent leur environnement afin de rester économiquement compétitifs (produire à un bas prix) »38. Le libre-échange incite en effet à externaliser (ne pas prendre en compte) les coûts environnementaux dans le but de gagner en compétitivité sur le marché global. Dans le même temps, les pays du centre améliorent sans cesse leurs 37 G. H. Brundtland (1987), Rapport de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l’ONU, Nairobi, ONU 38 M. Torras (2003), An Ecological Footprint Approach to External Debt Relief, World Development, Volume 31, Issue 12, December 2003, Pages 2161-2171 standards de protection environnemental, ce qui contribue à déplacer des activités polluantes vers les pays avec une législation moins contraignante. Les impératifs économiques font que le développement de projet d'extraction ou l'implantation de site de déversement de déchets s'effectue là où il y a le plus de ressources, et/ou là où il y a le moins de résistance face à de tels projets. « A mesure que des projets miniers, forestiers, pétroliers ou de dépôt de déchets s'étendent aux recoins les plus reculés de la planète, les peuples du monde voient de plus en plus leurs droits basiques compromis, perdent leurs environnement vital, et parfois même leur vie. »39. C'est donc d'après cette constatation que plusieurs Organisations Non-Gouvernementales (ONG) du « Sud » ont entamé des campagnes pour la reconnaissance de la dette écologique. Voyons à présent plus en détail ce que ce principe entend et quels en sont les enjeux. 2.2. Définition et enjeux de la dette écologique. Dans le contexte de la dégradation de la couche d'ozone, une ONG chilienne (Instituto de Ecologia Politica) a pour la première fois pointé du doigt la grande part de responsabilité des pays du « Nord » face aux dommages que subissaient alors des populations de l'extrême sud du Chili. Plus tard en 1992, à la conférence de l'UNCED (United Nations Conference on Environment and Development), un groupement d'ONG affirma « l'existence à l'échelle planétaire d'une dette écologique du Nord; celle-ci est essentiellement le fait de relations économiques basées sur l'exploitation aveugle de ressources et son impact écologique, incluant la détérioration globale de l'environnement, qui est essentiellement la responsabilité du Nord »40. Plus tard, c'est l'ONG équatorienne « Accion Ecologica » qui a joué un rôle fondamental dans la campagne pour la reconnaissance de cette dette. Ce concept est donc né d'une logique Bottom-up, et non Top-down comme c'est le cas par exemple pour le concept d'empreinte écologique, d'abord élaboré par des académiciens puis repri par les ONG. Au jour d’aujourd’hui, il ne semble pas y avoir de consensus général sur une définition précise du concept. On peut néanmoins reprendre les mots d'Accion Ecologica qui, en 1999, définissait la dette écologique comme « la responsabilité que les pays industrialisés ont pour la destruction progressive de la planète à cause de leur modèle de production et de consommation. C'est d'ailleurs le modèle actuel de développement qui se répand dans le monde entier et qui menace plusieurs économies locales. La dette écologique inclut l'illégitime appropriation de l'atmosphère et de son pouvoir absorbant. La dette écologique est la responsabilité que les pays industrialisés du nord envers les pays du tiers monde pour le pillage et l'usage de ressources naturelles : pétrole, minerais, forêts, biodiversité, et ressources marines ; et cela au prix de l'énergie humaine de ces populations et de la destruction, de la dévastation, et de la contamination de leurs héritages naturels et de leurs sources de vie »41. 39 40 41 Ageyman, J. et al. (2003), Just sustainabilities : development in an unequal world, The MIT Press, Cambridge (chapitre de J.M. Alier (2001), Environmental conflicts, environmental justice, and valuation) Déclaration lors du United Nations Conference on Environment and Development à Rio de Janeiro (1992) Publication Accion Ecologica (1999) Toujours selon Accion Ecologica, l'accumulation d'une dette écologique par les pays du centre a commencé lors de la colonisation et s'est traduite par les mécanismes suivants : 1) Extraction de ressources naturelles (pétrole, minerais, forêts, ressources marines, ressources génétiques) afin de supporter l'industrie du centre. 2) Appropriation et usufruit de connaissances intellectuelles ancestrales concernant des techniques de biotechnologies. 3) Appropriation, utilisation et destruction de terres et de réserves hydriques afin d'installer un modèle agricole voué à l'exportation afin de supporter le consumérisme du centre, mettant ainsi en péril la souveraineté alimentaire locale. 4) Appropriation illégitime des puits de carbone que sont l'atmosphère, les océans et la végétation par des émissions disproportionnées de dioxyde de carbone, cause principale de l'effet de serre anthropique. 5) Production d'armes, de substances et de résidus chimiques, biologiques ou nucléaires qui sont vendus ou déchargés dans des pays de la périphérie. Cela ne représente donc que quelques exemples des domaines dans lesquels des ONG du Sud ont fait campagne pour sensibiliser à la question de la dette écologique. Vu comme ça, le concept de dette écologique oppose donc fortement deux parties du monde, l'une, au Nord (le centre), qui serait responsable de la dégradation environnementale, et l'autre au Sud qui la subirait mais qui dans le même temps se dirige vers un modèle de développement similaire, basé sur l'accroissement à l'infinie du binôme « production consommation » à la base de l'économie néo-classique . La dette tient son origine dans la différence de développement entre les différentes parties du monde. En effet, le centre s'étant développé bien avant la périphérie, et souvent grâce à la périphérie a donc consommé une part importante de ressources non-renouvelables, c'est à dire indisponible pour les générations futures de cette partie du monde. Cette consommation a engendré des rejets sans précédent dans l'atmosphère, et les capacités d'absorption des différents compartiments naturelles sont aujourd'hui proche de la saturation. Aujourd'hui, plusieurs enjeux fondamentaux mettent en lumière ce concept de dette écologique. Le concept ne prétend pas donner un prix à la nature mais tente plutôt de définir les responsabilités environnementales et les obligations qui en découlent. Le terme « dette » dans les langues germaniques comme l'Allemand ou le Suédois se traduit respectivement par « Schuld » ou « skuld ». Ce terme germanique ne se limite pas à la dimension purement économique du terme mais comprend également une dimension de culpabilité. Le coupable est débiteur, il doit quelque chose aux tiers; le débiteur est ainsi coupable d'une dette. L'enjeu derrière cette notion est tout d'abord la reconnaissance de la culpabilité ou de la faute commise. Une fois que le concept est assimilé et reconnu par les deux parties (débiteurs-créanciers; centre-périphérie), on peut éventuellement commencer à réfléchir aux moyens de dédommagement, qu'ils soient monétaires ou non. A l'échelle locale il s'est déjà avéré que des entreprises responsables, et donc coupables, de dommages environnementaux soient soumises aux délibérations d'une cour de justice. Cela a été le cas lors du procès de l'Erika en France : Total a été condamné à une amende de 375 000 euros et 192 millions de dommages et intérêts pour « pollution maritime »42. Mais les jugements pour dégradations environnementales s'étendent également aux pays de la périphérie. Dans le cas de Texaco en Equateur, la cour est entrée dans la phase finale du jugement et Texaco (aujourd'hui Chevron) pourrait bientôt se voir infliger une amende de 27 milliards de dollars pour les conséquences écologiques et sociales de l'exploitation pétrolière dans l'Amazonie Equatorienne entre 1969 et 199043. Il ne faut cependant pas oublier que le gouvernement de l'époque à également sa part de responsabilité dans les faits reprochés. Le cas de Texaco, le « jugement du siècle » comme on l'entend souvent en Equateur, est donc emblématique car il met en évidence les conséquences auxquelles s'exposent certaines multinationales après des décennies de pollutions à grande échelle, et ce même dans des pays de la périphérie, bien que considérés comme plus laxistes du point de vue des normes environnementales. Ce jugement devrait alerter le monde et en premier lieu les compagnies multinationales sur les conséquences possibles d'une dégradation environnementale, à savoir la contraction d'une dette écologique. Le deuxième enjeu concerne le Parc Naturel Yasuni. Ici, sans parler explicitement de dette écologique, le gouvernement équatorien se place d'emblée en tant que créancier écologique en refusant d'exploiter un champ pétrolifère qui sacrifierait une large part de l'Amazonie. Il s'agit ici d'une demande de remboursement pour service (écosystémique) rendu, et dans le même temps, pour perte d'opportunité financière. La proposition pionnière du gouvernement équatorien (sous le mandat du président actuel : Rafael Correa) est de laisser le pétrole dans le sous-sol du Parc national afin de préserver une des régions les plus riches au monde en termes de biodiversité. Cette décision résulte du constat suivant : les « services écosystémiques » qu'assurent cette réserve naturelle, aussi bien à une échelle locale que globale, valent plus que le risque de les perdre. Les services écosystémiques assurés par le Parc Yasuni sont entre autres la régulation du climat (par le puits de carbone que représente cette portion de l'Amazonie), l'approvisionnement en ressources génétiques, la pollinisation, la régulation du cycle de l'eau et la régulation des cycles gazeux ou encore la production de fibres et de nourriture. Après une analyse coût-bénéfice incluant ces services ou fonctions, fondamentales à la vie humaine, le gouvernement équatorien s'est donc rendu compte que la « conservation du Parc, et de ses services écosystémiques, est le moyen le plus rentable d'assurer et de pérenniser plusieurs de ces 42 Journal Le Monde du 16 janvier 2008 : Procès de l'"Erika" : Total condamné, la justice reconnaît le préjudice écologique, 43 http://observers.france24.com/en/content/20090616-amazon-toxic-waste-natives-blame-texaco-lago-agrio-ecuador , article du 16/06/2009 services »44, car ils sont le plus souvent irremplaçables. L'étude d'Earth Economics a évalué entre 1.7 et 4.4 trillions de dollars la valeur des services écosystèmiques du Parc Yasuni45. Et bien que ce chiffre soit déjà colossal, les chercheurs signalent une certaine sous-estimation du fait que dans un système naturel, « l'interaction entre les composants rendent le tout plus grand que la somme des parties ». Il ne faut pas non plus oublier de considérer la capacité de résilience de l'écosystème en question. Cette capacité de l'écosystème est le temps nécessaire pour revenir à l'état initial et est évidement d'une importance cruciale dans l'évaluation des services écosystémiques. Sans un écosystème sain, les communautés qui en dépendent (comme les Huaorani dans le Parc Yasuni) subissent un coût élevé suite aux dommages (inondations par exemple) et/ou doivent investir beaucoup pour remplacer les services écosystèmiques (construire une digue contre les inondations). En bref, le rapport d’Earth Economics défend la proposition du gouvernement de ne pas exploiter le pétrole et justifie la demande de compensation introduite par le président de la république équatorienne, Rafael Correa, auprès des Nations Unies. De plus, ce sont les citoyens du monde entier qui jouissent de ces services écosystémiques, et pas seulement les Huaorani. L'Equateur se place ainsi clairement dans la position du créancier et demande en particulier aux Etats débiteurs de la dette écologique de payer pour la non exploitation du pétrole pour garantir la conservation de cet écosystème. Le troisième enjeu de la reconnaissance de la dette écologique est le financement de mesures de prévention ou de mesures d'atténuation du changement climatique. Les pays de la périphérie ne sont pas préparés aux changements globaux. Parallèlement le PNUD affirme qu'il existe à l'échelle mondiale une relation inverse entre la responsabilité pour le changement climatique et la vulnérabilité face à ses effets 46. La reconnaissance de la dette, et donc de la responsabilité historique pour le changement climatique, devrait contraindre les pays du centre à financer beaucoup plus largement des mesures d'atténuation. Le rapport Stern publié en 2006 signalait déjà qu'il suffirait d'octroyer un pour cent du PIB mondiale afin de fortement atténuer les effets du changement climatique. Ce taux du PIB mondiale devrait évidement être payé majoritairement par les pays du centre en raison de leurs niveaux largement plus élevés de production de richesses, mais surtout en raison de leurs responsabilités historiques. C'est d'ailleurs le Royaume-Uni, c'est à dire le premier pays au monde à avoir entamé la révolution industrielle et donc à libérer massivement des gaz à effet de serre, qui a commandé l'étude du professeur Stern. Outre les mesures d'atténuation du changement climatique, prônées notamment par le protocole de Kyoto au travers des mécanismes de développement propre, il faudrait également soulever beaucoup plus largement la question du financement de mesures d'adaptations à l'échelle 44 D. Batker, I. de la Torre, M. Kocian (2007), The ecosystem valuation of Yasuni National Park, Earth Economics, Tacoma, WA. 45 D. Batker, I. de la Torre, M. Kocian (2007), The ecosystem valuation of Yasuni National Park, Earth Economics, Tacoma, WA. 46 PNUD (2007) Informe sobre el desarollo humano 2007-2008. La lucha contra el cambio climatico: solidaridad frente a un mundo dividido. PNUD. internationale, et surtout dans les pays de la périphérie. Enfin, le dernier enjeu et non des moindres concerne la reconnaissance de la dette écologique par l'annulation de la dette extérieure des pays de la périphérie. Il existe en effet une relation complexe entre dette extérieure et dette écologique. Nous allons ici uniquement survoler cette problématique avant de l'expliquer plus en détails dans le sous-chapitre 4 de cette partie. Si l'on s'en tient aux affirmations de l'économiste-écologique J.M. Alier, il existe deux aspects principaux dans la relation entre dette externe et dette écologique. Le premier aspect stipule que la dette écologique a été contractée par le centre à cause des exportations sous-évaluées des pays de la périphérie. Ces exportations de biomasses et de minéraux sont en effet sous-évaluées car leur prix n'inclut pas les externalités négatives environnementales et sociales. Le coût de la main-d'oeuvre est en effet beaucoup moins cher dans les pays de la périphérie. De plus, les services environnementaux planétaires, fournis gratuitement, ont été largement utilisé par les pays du centre. Il en est ainsi par exemple des puits de carbone ou des connaissances génétiques (l'introduction de la pomme de terre ou du maïs en Europe s'est faite sans contrepartie pour les pays d'origines). Le deuxième aspect réside dans l'obligation de paiement de la dette externe qui a « contraint » les pays de la périphérie à produire plus que les besoins de consommation domestique, afin d'exporter le surplus et ainsi gagner de l'argent servant essentiellement au remboursement de la dette externe. Ce surplus peut certes venir d'un accroissement de la productivité mais il ne faut pas oublier qu'une large part de ce surplus est à l'origine de l'appauvrissement des populations de la périphérie et de l'usage de techniques ne prenant pas en compte l'environnement. En outre, le temps nécessaire à la nature pour « créer » les produits exportés par la périphérie est bien plus long que celui nécessaire au centre pour transformer ces matières en produits manufacturés. Et enfin, cette transformation implique un accroissement considérable de la valeur des produits, ce qui engendre une détérioration des termes de l'échange. Cette théorie de l'échange inégalitaire (en termes économiques) comprend donc des implications environnementales. En effet, le concept de division internationale du travail, notamment développé par Prebisch, peut s'étendre aux questions environnementales en s'appuyant sur l'approche du métabolisme sociale. En termes économiques, mais également physiques, l'échange entre centre et périphérie est inégale si l'on considère que la périphérie fournit une grande partie de la matière et de l'énergie nécessaire au métabolisme socioéconomique du centre. Pour toutes ces divers enjeux; rappelons les : la reconnaissance du centre de sa responsabilité historique pour les changements globaux en cours, la possibilité de paiements pour services écosystèmiques, le financement de mesure de d'atténuation et enfin l'annulation de la dette extérieure; nous constatons que les enjeux derrières la reconnaissance de l'existence d'une dette écologique sont donc énormes. Au lieu de nous enfermer dans une vision pessimiste de l'évolution des relations géopolitiques entre centre et périphérie, nous préféreront voir dans le concept de dette écologique une source d'espoir pour le futur. Une fois les enjeux reconnus, intéressons-nous à présent aux éventuelles méthodes d'estimation de la dette écologique. 2.3. Les méthodes d'évaluation. Il n'existe à ce jour aucune standardisation mondialement acceptée sur la manière d'évaluer une dette écologique. Cependant quelques ONG ont essayé d'évaluer la dette du carbone, en traduisant des services écosystémiques, ici les puits de carbone, en valeur monétaire. Mais avant de vouloir traduire des composantes de la dette écologique en terme monétaire, il faut d'abord estimer physiquement de quoi se compose la dette. De plus, signalons le fait que traduire une dette « écologique » en argent sous entend qu'un tiers pourrait recevoir cet argent, du fait que l'on ne peut rétribuer la nature monétairement. Ici, nous mettrons en lumière le point de vue de nombreuses ONG du Sud qui consiste à plaider pour une évaluation de la dette ou des impacts écologique en termes physiques, afin de donner des ordres de grandeurs mais sans prétendre traduire ses ordres de grandeur en valeur économique au vu du risque d'apparition d'un « droit de polluer ». En effet, si une entité, publique ou privée, est suffisamment riche pour supporter des externalités négatives, c'est à dire le coût de la pollution, cela lui donnerait un « droit de polluer ». Cela serait inacceptable et irait dans la même logique de dépendance qui existe entre différentes entités et ne ferait que participer à l'échange économiquement et écologiquement inégale. C'est également pourquoi nous laisserons de côté les indicateurs d'ordre économique mais « adaptés » à la durabilité tel le ISEW (Index of Sustainable Economic Welfare) ou le GPI (Genuine Progress Indicator) car le but ici est d'évaluer des flux de matières en termes physiques et d'analyser leurs évolutions d'une année sur l'autre, et non la soutenabilité d'une économie. Nous pourrons cependant comparer des indicateurs d'ordre physique à la création de richesse, c'est à dire au PIB (Produit Intérieur Brut). En effet, l'idée est davantage de pouvoir comparer entre des régions des flux de matières et ce que ceux-ci entendent comme pressions sur l'environnement plutôt que de calculer un indicateur économique. L'analyse des flux de matière nous permet également de comprendre comment est structurée l'économie et enfin de savoir de quoi elle dépend pour fonctionner. Comme nous l'avons vu, la dette écologique se traduit en grande partie par des flux de matières inégaux entre différentes régions du monde. Afin d'évaluer ces flux, l'Analyse des Flux de Matière (AFM) est aujourd'hui la méthode la plus largement reconnue. L'agence Européenne Eurostat a d'ailleurs standardisé une méthode d'évaluation appliquée par un nombre croissant d'Etats membres aujourd'hui47. C'est pourquoi nous prendrons l'AFM comme point focale de cette analyse des méthodes d'évaluation. Mais nous verrons également d'autres approches basées par exemple sur l'Empreinte 47 EUROSTAT (2001), Economy-wide material flow accounts and derived indicators. A Methodological Guide. Statistical Office of the European Union, Luxembourg. Ecologique ou sur l'Appropriation Humaine de la Productivité Primaire Nette (AHPPN). Cependant avant de nous étendre sur l'explication de l'AFM et d'autres indicateurs, signalons que plusieurs autres éléments rentrent en compte dans l'évaluation de la dette écologique. Il nous faut également fixer le cadre d'étude dans lequel nous allons tenter d'expliquer les méthodes d'évaluation. En effet, la question de l'espace-temps est fondamentale et les éléments à prendre en compte varieront selon que l'on souhaite évaluer une dette écologique entre des espaces ou entre des générations. Nous allons ici essayer de définir ce que comprendrait une dette écologique entre 2 régions, ou plutôt entre un Etat (l'Equateur) et le reste du monde, le plus souvent les pays du centre qui usent indirectement de son environnement. L'estimation doit évidement se faire en tenant compte de la dette écologique historique, mais sachant qu'il est impossible, vu le manque de données, d'estimer la dette écologique de l'Equateur depuis le début de la colonisation (début de la dégradation massive de l'environnement en vue d'exporter des ressources), nous allons nous baser sur les travaux de MariaCristina Vallejo dans la partie 3.1 concernant l'estimation de la dette écologique des pays tiers envers l'Equateur. Maria-Cristina Vallejo a estimé l'AFM de l'Equateur depuis 1970 jusqu'à 2007. Il est cependant crucial de garder à l'esprit que la dette écologique s'inscrit sur un temps beaucoup plus long. Il y a donc une dette historique, mais également une dette envers les générations futures qui ne pourront jouir d'un environnement sain si la dégradation environnementale continue dans les conditions actuelles. 2.3.1. AFM Examinons donc en premier lieu l'AFM, qui s'estime à l'échelle du système économique d'un pays ou d'une entité régionale bien délimitée. Sous le concept d'AFM nous retrouvons en fait une séries d'instruments basés sur la première loi de la thermodynamique, dite loi de la conservation de la masse. Comme nous le savons celle-ci stipule que la masse (matière et énergie) ne peut se créer ou se détériorer. Partant de ce constat, il est possible d'analyser les flux de matières. Par flux nous entendons la mesure d'une quantité sur une période donnée, en général l'AFM d'un pays se mesure en tonnes par an. Afin d'obtenir une AFM la plus complète et la plus holistique possible, il est important d'y inclure les flux inutilisés ou indirectement engendrés par l'économie. Cela est capital si l'on part du fait que chaque transfert d'énergie ou de matière d'un endroit à un autre peut avoir un impact sur l'environnement. La plupart de ces flux sont dits « cachés » car ils ne sont jamais pris en compte par l'économie. Un exemple flagrant est le terril laissé après une exploitation minière qui comprend un flux de matière considérable et nuisible à l'environnement, mais jamais pris en compte économiquement. Comme ils ne sont jamais pris en compte dans l'économie, il est plus délicat d'obtenir des données concernant ces flux cachés. La schéma suivant nous informe des différentes entrées et sorties nécessaires au fonctionnement de l'économie. Figure 5 : Flux de matières qu'engendre un système économique Source : Eurostat (2001) Il faut ensuite distinguer différents types d'AFM selon l'approche et le problème posés. En effet, on peut partir d'une échelle micro-économique (entreprise), d'activité économique (extraction minière, construction...) ou macroéconomique (échelle nationale ou régionale) et analyser en fonction de cette échelle des substances ou des matières (manufacturées ou pas). Cela nous conduira à faire des Analyse de Cycle de Vie (ACV) d'un produit ou des analyse de flux d'une substance. Contrairement, on peut partir d'une substance ou d'une matière spécifique et examiner le parcours de celle-ci dans l'économie et tenter d'identifier les problématiques économiques et environnementales que cela soulève. On fera alors une table de gestion des Entrées/Sorties physiques (en anglais, Physical Input-Output Table : PIOT), ou une comptabilité au niveau économique d'écoulement de la matière, c'est ce que l'on entendra en générale et plus simplement comme une AFM, en anglais « Economy-wide Material Flow Accounting ». (Lorsque nous utiliserons l'acronyme AFM, ce sera donc pour signifier le terme anglais « Economy-wide Material Flow Accounting ».) Une fois cette distinction faite, focalisons-nous davantage sur l'AFM à l'échelle macro, c'est à dire à l'échelle d'un Etat ou d'une économie régionale. En partant du fait que l'on souhaite calculer une dette écologique en se basant sur une AFM, il faut d'abord distinguer les composantes de la dette énumérées plus haut qui seront inclut ou non dedans. On pense évidement en premier lieu aux extractions de matières premières, allant des combustibles fossiles au minerai en passant par la biomasse. Bien qu'on inclut la biomasse dans l'AFM, cela ne prend pas en compte l'utilisation et la dégradation de terres et de réserves hydriques qui ont soutenu un tel modèle agricole. L'AFM inclut cependant dans les inputs les produits phytosanitaires qui sont une des causes majeures de la dégradation des terres et des cours d'eau. Le remembrement n'est lui pas pris en compte. Concernant le brevetage du vivant et l'appropriation de plantes, de molécules ou de gênes, cette composante sera difficile à prendre en compte dans l'AFM compte tenu du volume dérisoire qui est en jeu. C'est pourquoi nous ferons une analyse particulière de cette composante de la dette écologique. Ensuite, nous traiterons également la dette du carbone hors de l'AFM, car c'est également un cas particulier d'appropriation des facultés d'absorption de la biosphère. Enfin, le déversement (légale ou pas) de substances toxiques rentre dans l'AFM à partir du moment où des données existent. Il est vrai que beaucoup de déchets toxiques sont déversés dans des pays de la périphérie d'une part car les règlementations environnementales y sont bien moins contraignantes. D'autre part, l'activité de démantèlement y est plus rentable que dans les pays du centre. On pense par exemple à la fameuse lettre d'un économiste de la BM, Lawrence Summers, que The Economist reprenait sous le titre « Let them eat pollution ». Celle-ci stipulait que « la mesure du coût nécessaire pour faire face aux conséquences de la pollution sur la santé dépend de l'ampleur de la réduction des coûts induits par une mortalité et une morbidité accrues. De ce point de vue, la pollution dommageable pour la santé devrait être dans les pays où ces coûts sont les moins élevés, qui sont donc les pays avec les coûts salariaux les plus faibles »48, c'est à dire les pays de la périphérie. On constate donc que le déversement de déchets toxiques est une réalité à l'échelle mondiale et que même dans ce domaine, la théorie des avantages comparatifs de Ricardo est appliquée. Cependant, nous n'allons pas nous attarder sur cet aspect de la dette écologique car les données manquent cruellement afin de dresser un réel constat. Il faut néanmoins garder à l'esprit que c'est une pratique qui participe à dégrader non seulement l'environnement mais aussi la santé des travailleurs des pays de la périphérie et que celle-ci constitue donc une part non négligeable de la dette écologique. Examinons à présent notre AFM. Nous nous baserons pour cela sur la solide étude de Stefan Giljum et de Klaus Hubacek du « International Institute for Applied Systems Analysis ». Afin d'évaluer l'AFM d'une entité économique tel un Etat, il faudra faire l'analyse des entrées puis des sorties. Commençons par voir ce que nous allons inclure dans les entrées : • Extraction Domestique (ED) : c'est l'agrégation des flux annuels de matières solides, liquide et gazeuse ,à l'exception de l'air et de l'eau car trop volumineux, ce qui déformerait la lecture. L'agence Eurostat conseille donc d'analyser ces éléments dans une AFM à part extraits sur le territoire national en vue d'être utilisés dans le processus économique, et qui vont donc avoir une valeur dans ce système économique. • Importations (M) : On inclut ici tous les imports de matières, qu'ils soient manufacturés ou bruts, sur la période de temps analysée. 1) Entrée de Matériel Direct (EMD) : L'addition des ED et des M va nous 48 « Let them eat pollution » The Economist, 8 février 1992, Londres • donner les Entrée de Matériel Direct. Cela comprend toutes les matières avec une valeur économique qui vont être utilisées dans le processus de production-consommation de l'entité économique. Besoin Total en Matière (BTM) : C'est les EMD auxquelles on ajoute les flux de matières indirects et/ou inutilisés, que ce soit des flux domestiques (lors de l'ED) ou des flux de matières indirects et/ou inutilisés par un système économique extérieur. Comme il inclut l'intégralité des flux, y compris les flux cachés, le BTM est donc l'indicateur d'entrée de matériel le plus exhaustif. Du côté des sorties, nous allons inclure : 1. Matière Traité Domestique (MTD) : Cela correspond aux sorties vers « la nature » sous forme liquide, solide ou gazeuse. Le termes « traité » indique que ces matières devraient normalement avoir été traitées afin de minimiser l'impact sur l'environnement mais ce n'est pas toujours le cas. 2. Exportations (X) : C'est toute la matière que le système économique exporte vers un autre système. 1. Sortie Directe de Matière (SDM) : C'est l'addition de la MTD et des X. La SDM nous indique donc la totalité de la matière exportée du système, soit vers l'environnement, soir vers d'autres systèmes économiques étrangers. 3. Sortie Totale de Matière (STM) : On inclut ici en plus de la SDM les flux indirects et/ou inutilisés. C'est donc l'indicateur le plus exhaustif concernant les sorties de matières car il inclut toutes les flèches de sortie présentées dans le schéma précédent. Ainsi, entre les entrées et les sorties, il y a l'économie, c'est à dire le processus de production-consommation. Ce processus induit également des flux qui sont les suivants : 1. Consommation Domestique de Matière (CDM) : C'est la mesure de la quantité de matière utilisée par le système économique, en excluant les flux indirects. Afin d'obtenir la CDM, il suffit de soustraire aux EMD les exportations, ce qui nous reste sera la consommation domestique totale. 2. Besoin Total de Matière (BTM) : Avant la consommation, et afin de faire fonctionner l'économie en amont, durant le processus de production il y a logiquement des besoins en matières, mais qui ne seront pas forcément valorisés par la suite. Le BTM représente donc la CDM plus les flux indirects ou inutilisés (ou flux cachés). Le BTM est plus délicat à mesurer car les données sur les flux cachés sont souvent manquantes. Dans l'interrelation entre économie et environnement, analysée par l'AFM, notons également qu'il y a une Création Nette de Matière (CNM). C'est l'accumulation annuelle (ou par unité de temps estimé) de matière dans le stock de matière déjà existant. Le dogme économique actuel, qui préconise une croissance continue en termes monétaires engendre une croissance continue également des flux de matières. La CNM se traduit concrètement par la création de nouvelles pièces industrielles, par exemple par l'alliage de métaux entre eux et leurs assemblages. Concernant la relation entre commerce et environnement, la Balance Commerciale Physique (BCP) est un indicateur important dérivé de l'AFM. Celui-ci permet de mesurer le surplus ou le déficit physique d'une économie en évaluant la dépendance du système économique étudié à l'égard des extractions domestiques et des économies extérieures. On calcule la BCP en deux étapes. Premièrement on évalue la BCP pour les flux directs de matière, cela se fait en soustrayant des importations les exportations (de matière). On doit ensuite y ajouter les flux indirects, étape finalement la plus importante car se sont le plus souvent ces flux qui sont les plus dommageables à l'environnement. Concernant le secteur minier, on pense encore aux terrils. Un déficit de la BCP fait donc référence à une situation où la quantité de matière qui quitte un territoire est supérieure aux imports. Dans le contexte de dette écologique, on s'attend donc à ce que la BCP des pays de la périphérie soit déficitaire, comme c'est souvent le cas également avec la balance commerciale monétaire. En effet, les pays de la périphérie sont exportateurs net de matière comme nous en verrons un exemple concret dans la troisième partie. 2.3.2. Empreinte Ecologique D'autres indicateurs ont ainsi été élaborés afin de rendre compte de l'impact de l'homme sur l'environnement. Le plus connu aujourd'hui par le grand public est sans aucun doute l'Empreinte Ecologique. A la différence de l'AFM, l'empreinte Ecologique analyse l'impact de l'homme sur son environnement du point de vue de la consommation (en termes d'espace nécessaire) et non du point de vue de la production comme le fait l'AFM. « L'empreinte écologique est un indicateur qui essaye de créer une image de l'humanité et de sa demande en ressources naturelles, suivant le principe de la responsabilité du consommateur »49. La carte suivante nous donne un aperçu de l'empreinte écologique des différents pays du globe. La taille des pays est proportionnelle à leur empreinte écologique. A première vue on constate la taille démesurée des Etats-Unis, de l'Europe et du Japon ainsi que d'autre pays asiatique comme la Corée du Sud. Figure 6 : Carte de l'empreinte écologique des Pays du monde. 49 T. Wiedmann, M. Lenzen, K. Turner, J. Barrett (2007), Examining the global environmental impact of regional consumption activities — Part 2: Review of input–output models for the assessment of environmental impacts embodied in trade, Ecological Economics, Volume 61, Issue 1, 15 February 2007, Pages 15-26 source : http://www.worldmapper.org/images/largepng/322.png , (15 juillet 2009) La question posée par Wackernagel et Rees au début des années 1990 était de savoir combien d'espace était nécessaire afin de soutenir une population avec un mode de vie spécifique. Cela comprend également les technologies disponibles et surtout la capacité de l'environnement à fournir des matières premières et à assimiler les déchets occasionnés après le processus de production-consommation50. Aujourd'hui l'empreinte écologique a été évaluée pour quasiment tous les pays du globe. Ainsi, une étude de Andersson et Lindroth parue en 2001 a utilisé le concept d'empreinte écologique afin de mettre en évidence l'échange inégale de ressources naturelles à l'échelle du globe. Leur principale conclusion après avoir analysé l'empreinte écologique appliquée à l'échange écologiquement inégale est que «le commerce est un mécanisme subtil par lequel la durabilité écologique est préservée dans quelques pays (du centre) au moyen d'imports de biomasse et d'utilisation des capacités d'absorption d'autres pays, où le capital écologique est à la place graduellement épuisé »51. Torras a également mis en évidence les possibilités d'évaluation de la dette écologique en utilisant l'empreinte écologique. Il a une approche monétaire du concept, voulant estimer des sommes que les pays débiteurs devraient transférer aux pays écologiquement créditeurs. Il se base pour cela sur les fameux calculs de Costanza qui évalue la valeur totale des différents écosystèmes mondiaux52 et estime pour une année la valeur de la dette écologique, en supposant (arbitrairement) deux capacités de charges importées par le centre des autres pays, qui est respectivement de 5% et de 10%, ce qui suppose qu'au moins 95% ou 90% du déficit écologique restant 50 Wackernagel, M., Rees, W. (1996), Our Ecological Footprint: Reducing Human Impact on the Earth, New Society Publishers, Gabriola Island, British Columbia 51 J.O.Andersson, M. Lindroth (2001), Ecologically unsustainable trade, Ecological Economics, Volume 37, Issue 1, 1 April 2001, Pages 113-122 52 Costanza et al. (1997), The value of the world's ecosystem services and natural capital, Nature 387, 253 - 260 (15 May 1997) est dû aux générations futures. « Ceci nous amène à une dette écologique à assigner parmi les pays bénéficiaires de $ 812.5 milliards dans le cas où la capacité de charge est égale à 5% et de $ 1.64 trillion quand elle est égale à 10% »53. L'idée derrière cette évaluation est donc clairement présentée par Torras, à savoir une annulation de la dette par l'apport d'une preuve monétaire de la créance écologique des pays de la périphérie. Précisons que ces chiffres ne concerne qu'une année. On peut se demander quelle somme astronomique on aurait si on avait voulu y ajouter sur la même base de calcule la dette historique depuis la période de la colonisation ? Au final, le calcul de telles sommes nous semblent peu utile, voir absurde, pour la progression du débat, dés lors qu'il nous apparaît déjà évident qu'il existe effectivement une dette écologique astronomique et que celle-ci est et restera impossible à évaluer. Cependant le concept d'empreinte écologique semble également être intéressant dans l'analyse de la dette écologique d'une entité envers une autre, d'autant plus que le concept se focalise sur le consommateur. Le message est ainsi directement adressé aux citoyens des pays du centre qui ont des habitudes de surconsommation. 2.3.3. AHPPN Analysons enfin un dernier instrument pouvant nous aider dans l'estimation de la dette écologique, à savoir l'Appropriation Humaine de la Productivité Primaire Nette (AHPPN). L'AHPPN est l'estimation du degré d'intensité de l'utilisation de la Productivité Primaire Net (PPN) par portion d'espace. La PPN est l'énergie que les producteurs primaires, à savoir les plantes, fournissent aux autres espèces hétérotrophes de la planète grâce à la photosynthèse, dont l'homo sapiens sapiens. La PPN est mesuré en tonnes de biomasse sèche ou en tonnes de carbone. Parmi les 100% de PPN originellement présente dans l'environnement, l'homme s'en accaparerait environ 40%54. Le calcul de l'AHPPN se déroule basiquement en trois étapes. Premièrement, il faut évaluer la végétation hypothétique en l'absence d'interaction avec l'homme. On évalue ensuite la végétation actuellement présente, et enfin on estime quelle part de cette végétation est prélevée par l'homme55. Chacune de ces étapes à été définie et calculée de manière différente par différents auteurs. C'est donc un manque de standardisation qui fait défaut ici afin d'avoir des résultats cohérents entre les diverses études réalisées à ce jours. Il existe également des problématiques communes à chaque tentative de définition comme par exemple le fait d'inclure ou pas la productivité primaire du sous-sol (humus). On peut également se demander comment doit être gérée la PPN des forêts d'élevages. La carte suivante, élaborée par l'institut d'écologie social de l'Université de 53 M. Torras (2003), An Ecological Footprint Approach to External Debt Relief, World Development, Volume 31, Issue 12, December 2003, Pages 2161-2171 54 J. Martinez-Alier (2002), The Environmentalism of the Poor: A Study of Ecological Conflicts and Valuation, Edward Elgar Publishing 55 H. Haberl et al. (2007) Quantifying and mapping the human appropriation of net primary production in earth’s terrestrial ecosystems, PNAS vol. 104 no. 31 Vienne, nous informe des régions où l'AHPPN est la plus importante. Figure 7 : Carte de l'AHPPN mondiale. Source : http://www.uni-klu.ac.at/socec/bilder/HANPPpercent_600.png, (15 juillet 2009) 2.3.4. Eléments supplémentaires à prendre en compte dans la dette écologique en plus de l'AFM : Après avoir analysé les trois instruments que sont l'AFM, l'empreinte écologique et l'AHPPN, nous allons nous recentrer sur l'AFM et l'utiliser comme point de départ à l'estimation de la dette écologique et voir quels composants il faudrait y ajouter. Cette décision est justifiée par le fait que l'AFM est aujourd'hui un des instruments parmi les plus perfectionnés de la discipline, ce qui le rend aussi très prometteur. De plus, dans le cadre d'une estimation de dette écologique, cet instrument a l'avantage d'être directement lié aux flux monétaire. En effet, dans la phase de recherche des flux de matières, la recherche se base sur les flux monétaire et tente ainsi d'estimer la quantité de matière que cela engendre. Nous pourrons donc plus facilement lier les flux de matière et d'argent et ainsi comprendre davantage la problématique qui relie la dette extérieure et la dette écologique. Comme il a été précisé plus haut, l’AFM estime les flux biophysiques que comprend le fonctionnement d'une économie. Cette estimation se base sur le principe de métabolisme social développé notamment par Marx 56 dès la fin du 18ème siècle. Le principe de métabolisme social nous permet de mettre en évidence la relation entre l'homme et la nature. Cette relation de dépendance croissante de l'homme et de la nature, et les relations de domination qu'existent entre centre et périphéries ont participé à créer les conditions nécessaires à ce que l'on dénomme communément l'échange écologiquement inégale. Avant de nous étendre sur les composants supplémentaires de la dette écologique, précisons d'abord que l'AFM a le mérite d'être un instrument incluant déjà beaucoup d'éléments de la dette écologique. Premièrement nous pensons à la dette alimentaire. En effet, l'AFM prend en compte les énormes flux de matière engendrés par la réorganisation à grande échelle de l'agriculture afin d'augmenter ses rendements. L'AFM a également le mérite d'inclure les impacts occasionnés par les exportations massives de minerais, dont les flux cachés que cette activité occasionne. Comme nous l'avons donc compris, l'AFM inclut tout ce que l'on peut compter en termes de déplacements de matière, mais voyons à présent les éléments qui ne peuvent rentrer en compte dans cette évaluation. 2.3.4.1. Dette du carbone On pense en premier lieu à la dette du carbone, définit par Accion Ecologica comme « l'appropriation illégitime des puits de carbone que sont l'atmosphère, les océans et la végétation par des émissions disproportionnées de dioxyde de carbone ». En effet, les régions riches de ce monde, à cause de leurs émissions de CO2 se sont appropriées de facto les principales réserves de carbone. Les pays du centre ont donc accumulé une dette liée aux rejets de gaz à effet de serre. Ces gaz à effet de serre sont la principale cause du réchauffement climatique. La dette du carbone est imputable en grande partie au pays du centre, mais tout n'est pas aussi simple, en effet tout n'est pas noire ou blanc. S'il est vrai qu'au tout début de la révolution industrielle on utilisait la combustion d'énergie fossile pratiquement qu'en Europe, cette pratique d'utilisation exogène de l'énergie fossile s'est rapidement répandue dans le reste du monde. Le centre a souvent exporté ses techniques afin d'augmenter les possibilités d'extraction et de transport. La combustion d'énergie fossile s'est donc pratiquée partout, mais il faut cependant admettre que la grande majorité de cette combustion s'est historiquement faite dans les pays du centre. Raupach et al. ont en effet démontrés que les pays du centre comptent pour 77% des émissions depuis le milieu du 18ème siècle, et pour 59% des émissions totales en 2004,57ce qui prouve bien que les pays de la périphéries sont en train de les rattraper. 56 P. Bukett (2004), Marx's reproduction shemes and the environment, Ecological Economics, Volume 49, Issue 4, 1 August 2004, Pages 457-467 57 Raupach et al. (2007), Global and regional drivers of accelerating CO2 emissions, Harvard University, Cambridge En parallèle à cette thématique, signalons que certains auteurs soutiennent qu'un certain niveau de pollution est nécessaire avant d'arriver à un stade de richesse tel qu'on puisse commencer à réduire sa part de pollution par PIB. Cette théorie, communément appelé la théorie de la Courbe Environnementale de Kuznets, et notamment développé par Grossman et Krueger 58 s'avère dans bien des cas erronés. En effet, il y a une manifeste diminution des services écosystémiques (perte de biodiversité ou de fertilité des sols notamment) dans les pays du Nord, bien que leurs niveaux de développement soient considérés comme parmi les plus aboutis. Il faut également signaler que la courbe environnementale de Kuznets ne tient pas compte du caractère global des écosystèmes. Déclarer une baisse de pollution dans un pays est fallacieux si celle-ci n'est qu'exportée hors des frontières géographiques du pays analysé, c'est justement tout le point de vue défendu par la théorie de l'échange écologiquement, et économiquement, inégale. La courbe environnementale de Kuznets n'est en fait vérifiable que dans quelques cas isolés, concernant par exemple la pollution atmosphérique urbaine, donc locale, et seulement avec quelques polluants comme le souffre ou les particules en suspension 59. D'autres pollutions, comme l'augmentation du CO², qui est un phénomène globale entraînant le réchauffement de la planète sont beaucoup plus largement imputables aux pays du centre. Comme nous le disions, Raupach et al. ont démontrés que les pays du centre comptent pour 77% des émissions depuis le milieu du 18ème siècle60. Il y a donc une responsabilité historique indéniable des pays du centre concernant les émissions de carbone, ce qui confirme que la dette du carbone est une réalité. La théorie de la courbe environnementale de Kuznets ne se vérifie donc pas par rapport aux émissions de carbone et autres GES si l'on considère que les émissions directes des pays du centre continuent d'augmenter encore aujourd'hui (et cela est sans considérer les émissions indirectes imputables aux pays du centre en raison de l'import massif de produits avec un grand passif environnemental). 2.3.4.2. Brevetage du vivant Une autre composante de la dette écologique non prise en compte par l'AFM est la dette occasionnée par le brevetage du vivant, aussi parfois appelé biopiraterie. La biopiraterie est l'appropriation et l'usufruit de connaissances intellectuelles ancestrales concernant des semences, ou l'utilisation de plantes médicinales ou d'autres connaissances et techniques par les entreprises agroalimentaires ou de biotechnologies. Cette appropriation s'effectue par le biais de brevets. Ce document permet d'obtenir un titre de propriété industrielle qui confère un droit d'exploitation exclusif de « l'invention ». Selon Joji Cariño (de l'alliance des peuples tribales autochtones des forêts tropicales) le système des droits de propriétés intellectuels constitue une menace grave aux systèmes de santé indigènes. En effet, les peuples indigènes ont souvent une vision holistique de la nature et de leur société et il 58 G. Grossman, A. Krueger (1994), Economic Growth and the Environment, NBER Working Papers n°4634 59 J. Agras, D. Chapman (1999), A dynamic approach to the Environmental Kuznets Curve hypothesis, Ecological Economics, Volume 28, Issue 2, February 1999, Pages 267-277 60 Raupach et al. (2007), Global and regional drivers of accelerating CO2 emissions, Harvard University, Cambridge n'y a habituellement aucune distinction faite entre la nourriture et la médecine61. Il y a donc une dette écologique, mais surtout sociale, qui est contractée par la pratique de la biopiraterie. Le danger pour l'Etat concerné par le brevetage d'une espèce située sur son sol est avant tout financier. En effet, en cas de brevetage par une firme étrangère, l'Etat en question perd une opportunité future d'exploiter cette espèce et ainsi d'en tirer les avantages économiques. Cela participerait à conforter la relation de force qui existe entre le centre et la périphérie. En effet, sans vouloir caricaturer à l'extrême, on assiste, à cause de l'exploitation légalisée des ressources génétiques à une domination financière des firmes biotechnologiques des pays du Nord qui, après transformation ou simple accaparement du vivant, créent des médicaments ou des cosmétiques dont les retombées financières ne bénéficient qu'au Nord. Et cela sans que rien ne reviennent aux peuples indigènes qui sont les véritables bio-ingénieurs et qui durant des siècles ont expérimentés et croisés différentes espèces entre elles afin d'en créer de nouvelles avec des vertus inédites. C'est justement ce long travail de croisement d'espèces qui a une valeur énorme pour les firmes biotechnologiques. Cependant, le prix qu’elles payent est bien trop bas et ne reflète en aucun cas la valeur réelle des connaissances. Les firmes vont jusqu’à s'attribuer la découverte des vertus d'une espèce déjà utilisée depuis longtemps dans la médecine traditionnelle des peuples indigènes. Comme le souligne donc Accion Ecologica et d'autres ONG, le brevetage du vivant constitue sans aucun doute une part indéniable de la dette écologique et sociale que les pays industrialisés du Nord ont contracté envers les pays fournisseurs de ces espèces. Cependant, l'estimation de la valeur de cette dette écologique et sociale s'avère être très délicate, cela rejoint la question que nous allons à présent aborder, à savoir la question de la valeur du vivant. En effet, nous verrons pour terminer le dernier composant de la dette écologique, à savoir la perte de service écosystémique. 2.3.4.3. Perte de Fonction Environnementales Analysons donc la perte de services écosystémiques en tant qu'élément de la dette écologique. Mais tout d'abord définissons le concept. Ce sont les fonctions qu’assure notre environnement (au sens de l'environnement « nature ») et qui sont nécessaires à la vie des humains ainsi qu'à toutes les autres espèces de la biosphère. Dans ce sens, ces fonctions environnementales nous rendent un « service ». Cependant ce terme a une connotation largement économique qui pourrait faire entendre qu'ils seraient échangeables en contrepartie d'argent. Il y a donc eu un glissement sémantique qui légitime la valorisation monétaire de l'environnement et de ces fonctions nécessaire à la vie, notamment par le Millenium Ecosystem Assessment de 2005. Le point de vue ici défendu se détache fortement de cette idée d'un possible échange monétaire du fondement de la vie, à savoir la nature. C'est pourquoi nous préférerons le terme de « fonctions » environnementales. Ces fonctions sont traditionnellement divisées en quatre catégories d'après la 61 S. Fenwick (1998), Bioprospecting or Biopiracy ? Drug Discovery Today, Volume 3, Issue 9, 1 September 1998, Pages 399-402 classification de De Groot et al.62 : Fonction d'approvisionnement, fonction de régulation de la vie, fonction de support et fonction culturelle/spirituelle. Dans ces quatre catégories sont subdivisées en vingt-trois processus ou fonctions écosystémiques. Le tableau suivant nous informe de cette subdivision. Figure 8 : Les fonctions environnementales Source : Costanza, The value of the world's ecosystem services and natural capital L'ensemble de ces fonctions écosystémiques sont donc fondamentales à la vie, néanmoins, l'humain de par ses activités en altère chaque jour un peu plus la qualité. Un certain nombre d'auteurs d'économie écologique, comme Robert Costanza ou Matthew Wilson notamment, tentent depuis peu d'estimer la valeur de ces écosystèmes afin qu'ils soient pris en compte dans les décisions stratégiques pouvant affecter l'environnement. En effet, les écosystèmes ont toujours eut une valeur monétaire implicite de zéro, car jamais pris en compte en tant que service de base de la vie. Les services écosystémiques sont évidement gratuit pour tous les humains depuis la naissance de l'humanité, cependant, depuis la révolution industrielle et la formidable croissance économique et démographique qui l'ont accompagnées, nous dégradons ces fonctions nécessaire à la vie, notamment car leur dépréciation n'est pas prise en compte économiquement. Lorsqu'on se penche sur le tableau précédent on se rend vite compte que la vie serait impossible sans ces fonctions environnementales. Elles sont donc proprement inestimables. Malgré cela, ces auteurs tentent précisément de l'estimer afin de les inclure dans les évaluations coût-bénéfice précédant de nombreux projets d'infrastructures. Durant l'histoire récente, une multitude de projets d'infrastructures ont effectivement vue le jour de par le monde. Face à la demande croissante d'énergie, de logements, de nourriture, de transports etc. de nombreux projets de routes, de barrages, d'usines, de mines, de centrales nucléaires, de champ de monoculture, de lotissements, d'aéroports etc. ont été imaginés et créés. Ces projets ont évidemment un impact direct sur l'environnement, ce que l'on définira comme les nuisances immédiates, sous formes de pollutions diverses (contribution au changement climatique, atmosphère contaminée, pollution des cours d'eau et/ou du littoral, perte de biodiversité, bruits etc.). Un deuxième impact moins évident à prendre en compte est justement la perte de fonctions écosystémiques. Par exemple la transformation d'un paysage bocager en monoculture de canne à sucre va diminuer le contrôle naturel de l'érosion ainsi que la pollinisation. De même, la création d'une route ou d'un barrage va recouvrir une partie de territoire et ainsi annihiler les fonctions environnementales que ce territoire assurait auparavant. Le degré de perte dépend bien évidement de la qualité originelle du territoire affecté. Dans le débat concernant la dette écologique, un point délicat est justement de savoir s'il est opportun de vouloir estimer ou non la valeur de ces fonctions. Les adeptes de l'estimation soutiennent comme nous le disions que cela permettrait de prendre plus largement en compte l'environnement dans les 62 De Groot et al. (2002), A typology for the classification, description and valuation of ecosystem functions, goods and services, Ecological Economics, Volume 41, Issue 3, June 2002, Pages 393-408 études préalables à certains projets. Cela permettrait de rendre compte des possibilités de trade-off entre les projets sociétaux et les intérêts de l'environnement et ainsi d'augmenter le bien-être humain de façon durable. En effet, les possibilités de « win-win » dans les interactions entre l'homme et l'environnement sont de plus en plus rares à mesure que l'œcoumène progressent. Il est donc urgent de prendre beaucoup plus en compte l'environnement dans nos décisions. Cependant, le fait d'attribuer de la valeur à un élément de notre environnement est profondément anthropocentrique. Cette obsession de la valorisation est issue d'une longue tradition occidentale, où l'homme est obnubilé par un désir de rationalité, rationalité qui est supposée être atteinte en pesant le pour et le contre, et ce le plus souvent possible grâce à des indicateurs monétaires. Mais dans le cas de l'environnement, comme le dit J. Martinez-Alier, on peut se demander « qui a le pouvoir de simplifier cette complexité en imposant un seul langage d'évaluation ? [...] Qui a le pouvoir d'imposer sa conclusion dans une discussion environnementale ?63 ». Ici, les questionnements concernant l'évaluation monétaire ne cherchent pas tant à savoir quelle manière d'évaluer est la bonne, mais plutôt à savoir quelles structures de pouvoirs économiques sont derrières. En effet, nous soutenons ici que l'évaluation monétaire des fonctions environnementales va dans le sens du modèle de développement économique néo-classique, qui est justement responsable de la dégradation de nos écosystèmes. D'ailleurs le principe de Paiement pour Services écosystèmiques (PSE) répond le plus souvent à la demande d'un acheteur, et ne se soucie pas assez souvent des besoins des habitants de la zone concernée. Dans cette controverse concernant la valeur de l'environnement il est également crucial de clarifier la nuance entre la valeur d'échange et la valeur propre d'un bien (pour sa valeur d'usage). Le paradoxe qu'à démontré Smith entre la valeur d'un diamant et la valeur de l'eau prouve l'incohérence possible de la valeur d'échange : bien que l'eau ait une valeur infinie (ou indéfinissable), car indispensable à la vie, un diamant insignifiant pour la survie de l'homme a une bien plus grande valeur d'échange. Dans ce cas, quelle valeur donnera t'on à un arbre qui purifie l'air que nous respirons ? Quelle valeur donnerat'on à une abeille qui pollinise et nous permet ainsi de manger des fruits ? Quelle valeur donnera t'on à un cours d'eau qui participe au cycle de l'eau et nous permet de boire à notre soif ? Dans le cadre d'un projet d'extraction, un autre questionnement lié à ce débat est de définir l'utilité de ces estimations et de savoir à qui l'argent devrait être reversé. Le fait qu'une firme privée doit payer pour les dommages environnementaux qu'elle occasionne est compréhensible et tout à fait légitime. Comme nous l'avons vu, Total ou Texaco sont mis en cause pour leurs gestions environnementales désastreuses et doivent donc payer, ou plutôt rembourser pour les dommages occasionnés. Cependant, une entreprise pétrolière ou d'extraction minière, si l'on admet 63 J. Martinez-Alier (2007), Conflits de distribution écologique, identité et pouvoir, in Cornut et al. (2007), « Environnement et inégalités sociales », éd. De l'Université de Bruxelles qu'elle minimise au maximum ces impacts environnementaux, devraient-elle payer pour les fonctions environnementales qu'elle utilise ? Il est effectivement clair que chaque activité, en plus de la pollution qu'elle engendre, utilise et consomme des fonctions environnementales comme la régulation du débit aquatique ou du cycle des gaz. Ces firmes devraient-elles payer pour ces fonctions environnementales ? Et à qui ? Nous soutenons ici encore que cela constituerait un début de privatisation de ces « services » et que cela va donc dans le sens opposé de l'objectif poursuivi, à savoir une protection accrue de l'environnement et surtout sa conservation en tant que bien commun et espace vital de l'humanité. Un exemple en Equateur concerne le projet PROFAFOR (Programa Face de Forestacion), c'est un mécanisme de Paiement pour Service Ecosystémique (PSE), financé par la fondation Hollandaise FACE (Forests Absorbing Carbondioxide Emissions), elle même financé par des compagnies d'électricité Hollandaise afin de compenser leurs émissions de carbone64. Nous voyons dans ce mécanisme de PSE une fausse solution au changement climatique. En effet, cela peut être considéré comme une sorte d'écoblanchiment, où des compagnies polluantes du Nord rachètent leurs émissions en finançant un programme de protection forestière. D'ailleurs, leurs émissions ne sont que neutraliser, et non pas diminuer comme cela devrait être le cas si l'on cherche réellement à inverser la tendance du réchauffement globale. De plus, ce schéma de PSE reproduit des mécanismes de dépendance économique entre le Nord et le Sud, en assujettissant des communautés paysannes à des compagnies électriques Hollandaise. Enfin, il faut préciser que le fonctionnement des écosystèmes et les interactions qui existent entre les espèces et le milieu abiotique sont encore insuffisamment connues. Les chiffres avancés par Costanza concernant la valeur de la biosphère sont, il le dit lui-même, des considérations minimales. Ces chiffres ne peuvent pas prendre en compte la dynamique propre à chaque écosystème, ou encore la notion de seuil ou d'irréversibilité de certains phénomènes car ils sont des « photographies » instantanées de l'état de l'écosystème ignorant les interdépendances complexes qui existent au sein des systèmes naturelles planétaires. Cette question de remboursement pour utilisation de fonctions environnementales prend une autre tournure à l'échelle nationale. Nous verrons cela plus loin notamment avec le cas des fonctions environnementales du Parc National Yasuni en Equateur. Il faut en effet nuancer notre propos et garder à l'esprit que la valorisation monétaire des fonctions environnementales reste aujourd'hui une ébauche de solution face à la dégradation accélérée de l'environnement. Le risque de privatisation des « services » environnementaux peut être évité si l'on sait exactement dans quel objectif on souhaite fixer un prix aux écosystèmes. Ici, dans le cadre de l'évaluation de la dette écologique entre Etats, il s'agit de faire prendre conscience des dégradations occasionnées par le passé et d'avertir des possibles détériorations futures. A l'échelle d'un projet, prendre en compte les fonctions environnementales dans l'évaluation 64 S. Wunder, M. Alban (2008), Decentralized payments for environmental services : The cases of Pimampiro and PROFAFOR in Ecuador, Ecological Economics, Volume 65, Issue 4, 1 May 2008, Pages 685-698 d'impact permet de faire prendre conscience de l’inestimable valeur de l'écosystème mis en péril. Nous voyons donc cela comme une mise à prix symbolique reflétant forcément à la baisse l'immense valeur de la nature. Nous avons donc bien pris conscience de tout l'enjeu qui se cache derrière les fonctions environnementales et leurs évaluations. Dans le cadre de la dette écologique, cette composante est sans doute la plus importante, au vue de l'infinie valeur des écosystèmes sacrifiés depuis la colonisation jusqu'à nos jours. Cependant, si l'on analyse la perte de fonctions environnementales sur le long terme, la notion de résilience est cruciale. L'environnement est en effet un complexe agencement de systèmes dynamiques. Le concept de résilience a deux composantes : 1. le temps nécessaire au système pour retrouver son état d'origine et 2. l’intensité du stress à partir duquel le système peut retrouver son état (ou le seuil à partir duquel le système ne peut plus retrouver son état d'origine)65. Dans l'analyse de la résilience d'un écosystème, il faut donc connaître avec précision l'intensité du stress auquel un système risque d'être soumis. Dans le cadre d'un projet de barrage, l'écosystème engloutie ne sera jamais récupéré, dans le cadre d'un projet de mine à ciel ouvert, il faudra une très longue période avant que l'écosystème puissent retrouver son état d'origine. Pour conclure, le concept de dette écologique a donc plusieurs tenants et aboutissants. Il n'existe à ce jour aucune méthodologie précise et consensuelle sur la façon de l'évaluer bien qu'un nombre croissant d'académiciens et d'ONG travaille sur le concept. La méthode d'estimation dépendra du point de départ, selon que l'on se place du point de vue du pays consommateur (et donc débiteur), ou selon que l'on se place du point de vue du pays créancier. Il faut également avoir une approche multidisciplinaire et ne pas perdre de vue les nombreuses interrelations entre dette écologique, sociale et historique. Cela nous amènerait à penser le concept de dette écologique d'une part dans le cadre de « l'écologie économique », et d'autre part dans le cadre de la « justice environnementale ». Le fait que le concept soit apparu à la base, dans une logique bottom-up, crée également une certaine confusion dans la définition de la dette écologique. Voyons à présent plus en détail comment sont corrélées les problématiques de dette extérieure et de dette (ou créance) écologique d'un pays. 2.4. Relation entre dette écologique et dette extérieure Comme nous le dit Torras, « les pays pauvres dégradent leur environnement afin de rester économiquement compétitifs »66 sur le marché mondial. Dans le cadre du marché global, la compétition entre les grandes puissances économiques pousse à toujours plus de délocalisation, là où les standards environnementaux et sociaux sont moins contraignants. Voyons donc les relations qui existent entre le centre et la périphérie concernant les 65 K. Limburg et al. (2002), Complex systems and valuation, Ecological Economics, Volume 41, Issue 3, June 2002, Pages 409-420 66 M. Torras (2003), An Ecological Footprint Approach to External Debt Relief, World Development, Volume 31, Issue 12, December 2003, Pages 2161-2171 problématiques de dette écologique et de dette extérieure. Durant la seconde moitié du XXIème siècle, l'économie des pays du centre a effectué un glissement des secteurs primaire (d'extraction) et secondaire (de transformation) vers le secteur tertiaire, ou secteur des services. Certains économistes ont alors affirmés que cette transition s'accompagnerait d'une dématérialisation de l'économie. En effet, le secteur tertiaire est composé notamment d'activités comme la finance, l'assurance ou encore l'assistance aux personnes. De telles activités engendrent effectivement une forte création de richesses sans forcément nécessiter beaucoup de matière. On peut donc observer une certaine dématérialisation de la création de richesse si l'on observe ces systèmes économiques à part, sans prendre en compte les échanges avec le reste du monde. Cependant, à l'échelle mondiale tous les graphiques de production (ou plutôt d'extraction) de matières premières non renouvelables sont en nette augmentation, à un tel point que l'on s'approche du pic de « production » pour bon nombre de matière. On pense par exemple au désormais célèbre « pic de Hubbert »67 concernant le pétrole. Il est donc clair que l'économie n'est certainement pas en train de se dématérialiser. La formidable création de richesse du secteur tertiaire a donc dégager des excédents qui ont permis de soutenir la consommation dans les pays du centre, sans avoir besoin de recourir aux emprunts. Comme nous le verrons il en est autrement dans les pays de la périphérie. Les pays du centre ont donc pu importer de grandes quantités de matière première à un bas prix. Après le processus de transformation de ces produits, ce qui leur ajoutent une plus-value considérable grâce à des techniques et à un certains « know-how », les pays du centre peuvent revendre des produits manufacturés à un coût bien plus élevé. Nous retrouvons ici la thèse de Prebisch concernant la dégradation des termes de l'échange. Ce concept a donc donné naissance à la théorie de l'échange économiquement inégale. Ainsi, la dégradation des termes de l'échange est le mécanisme grâce auquel les pays du centre peuvent acquérir la matière et l'énergie nécessaire au métabolisme sociale de leurs sociétés. Il en est tout autrement dans les pays de la périphérie où l'on peut constater chaque jour que l'économie n'est certainement pas en train de se dématérialiser. En effet, afin de maintenir un taux de croissance suffisamment élevé, ces pays, riches en matière première, doivent sans cesse augmenter leurs productions. La faible élasticité de la demande en matière première va engendrer, grâce au jeu de l'échange international, une diminution du prix de ces matières premières. C'est pourquoi on constate une relative surproduction de matières premières dans les pays de la périphérie, mais également dans le centre (on pense notamment aux surproductions subventionnées par la Politique Agricole Commune). La dégradation des termes de l'échange engendrant donc l'échange économiquement inégale qui a son tour va créer crée les conditions de la contraction d'une dette écologique par le centre. En effet, si l'on reprend la thèse de Prebisch et qu'on l'analyse non pas d'un point de vue économique mais du point de vue de l'échange de matière, on constate 67 Kenneth Deffeyes (2005), Beyond Oil The View From Hubbert's Peak, Hill and Wang, New York. qu'il existe également un échange écologiquement inégal 68. Nous verrons une application de cela dans la prochaine partie concernant la dette écologique contractée par les pays tiers envers l'Equateur. Dans les pays de la périphérie, l'objectif de croissance du PIB se fait donc au prix de la dégradation du capitale naturelle. D'autant plus qu'une grande part de l'excédent dégagé va au remboursement de la dette extérieure, ne permettant pas au pays d'investir afin de restructurer son économie et d'être ainsi moins dépendante de l'extérieur. C'est justement la pression qu’émettent les institutions financières internationales pour le remboursement de la dette extérieure des pays de la périphérie qui crée les conditions de la contraction d'une dette écologique. En effet, ils doivent toujours produire davantage pour exporter davantage est ainsi gagner de l'argent qui ira au remboursement de la dette. Et comme ces pays, parfois appelé « en développement », n'ont pas encore d'industrie suffisamment développé pour transformer leurs extractions, ils ne peuvent que les exporter. En effet, au lieu d'essayer de restructurer les secteurs d’activités économiques afin d'obtenir plus d'autonomie, l'objectif poursuivi est l'augmentation de la productivité. Cette augmentation de la productivité est rendu possible grâce à la dégradation des conditions sociales des travailleurs (augmentation des heures de travail) mais également à cause de la non prise en compte de l'environnement. Ce cas de figure est particulièrement parlant pour bon nombre de pays Africains. En Amérique latine, le secteur secondaire est relativement développé mais l'essentielle de la création de richesse vient de l'extraction de ressources naturelles, comme nous le verrons dans la partie suivante avec l'Equateur. Enfin, il faut tenir compte du temps nécessaire pour produire des ressources naturelles. Le cycle de production de la biomasse suit les cycles naturels des saisons et le pétrole brut lui, nécessite des millions d'années de maturation avant d'être extractible. Ces temps sont considérables en comparaison avec les temps nécessaires à la transformation de matières premières en biens manufacturés. Cela pourraît également entrer en compte dans la dette écologique. Nous allons ici simplement citer une étude de M.J. de Wit qui à tenter d'évaluer le coût de la formation d'un gisement de cuivre formé il y a 50.000 ans. Ce calcul serait ainsi transposable à toute les matières. Dans son évaluation, l'auteur se base sur la chaleur (donc l'énergie) présente à cette époque dans la croûte terrestre. Il définit ensuite le coût actuel de production d'une tel quantité d'énergie et arrive à un coût de production du cuivre équivalent à 33,000 US$/t, environ 10 ou 20 fois la valeur marchande actuelle du cuivre69. Ainsi, la prise en compte dans la dette écologique des temps de formation des matières premières exploitées par les pays de la périphérie est également possible. Enfin, le point central de notre raisonnement est ici que la dette écologique du centre est également aggravée par la non-prise en compte des externalités négatives sur l'environnement. En effet, les exportations de matières premières sont fortement sous-évalués. Si l'on prenait en compte les impacts directs, c'est à dire la pollution engendrée par les divers secteurs extractifs, le 68 M.A. Perez-Rincon (2006), Colombian international trade from a physical perspective : Towards an ecological “Prebisch thesis”, Ecological Economics, Volume 59, Issue 4, 15 October 2006, Pages 519-529 69 M.J. de Wit (2005), Valuing copper mined from ore deposits, Ecological Economics 55, pp. 437– 443 prix à l'exportation reflèterait davantage le réel prix de l'environnement. Afin de pousser encore plus loin cette logique d'internalisation, on pourrait également prendre en compte le coût des fonctions environnementales utiliser et dégrader par les activités extractives. C'est justement ce que nous allons essayer de mettre en lumière dans la dernière partie de ce travail concernant l'internalisation des impacts environnementaux du projet d'extraction minier Mirador. De plus, si de par le monde les exportations de matières premières sont sousévaluées, la situation est pire dans les pays de la périphérie où les coûts sont de manière générale largement plus bas. En effet, les coûts minimes, notamment du foncier ou de la main-d'oeuvre, engendrent une forte pression sur le secteur primaire, à savoir l'extraction de matière première. Cela participe donc à la quasi-constante évaluation à la baisse dans les pays de la périphérie de l'environnement et des hommes y habitant. En plus de cela, l'utilisation abusive et gratuite de fonctions environnementales ne permet pas non plus de rendre compte du réel prix de l'environnement. Comme nous le verrons dans la prochaine partie, la relation entre dette écologique du centre et dette extérieure de la périphérie est cependant bien plus complexe si l'on rentre dans les détails de la structure de la dette extérieure et de la composition des exportations de matière. Comme l'a théorisé J. Martinez-Alier, si la dette est élevée et les taux d'intérêts importants, le future est sous-évaluer et les questions environnementales ne sont pas considérées à leurs juste valeur. Parallèlement, si l'on ne prend pas en compte l'environnement et que l'on accorde que peu d'importance à la raréfaction des ressources naturelles, à la perte de la biodiversité et à l'augmentation de l'effet de serre, les niveaux d'exploitation du capital naturel augmenteront. Ainsi, la dette extérieure de nombreux pays de la périphérie est un moyen de pression grâce auquel le centre peut extorquer les ressources nécessaires à son métabolisme social. Cependant, la valeur d'échange de ses ressources ne reflète en rien leur valeur d'usage. Comme nous l'avons vu, les pays de la périphérie manquent de pouvoir afin d'internaliser la dégradation de l'environnement et la réelle valeur des fonctions environnementales utilisées. Une reconnaissance de la dette écologique et l'annulation de la dette extérieure des pays de la périphérie permettraient donc de diminuer jusqu'à un certain degré la pression sur l'environnement. D'autre part, nous pouvons supposer qu'un prix plus élevé sur des ressources comme le pétrole ou d'autres ressources non renouvelables (ou trop polluantes) permettrait également de diminuer la pression sur le capital naturel. En effet, la mise en place à l'échelle planétaire d'un système de prix plus prohibitif, selon les niveaux de vie respectifs, permettrait sans ausun doute de diminuer la pression sur l'environnement. On pourrait espérer que cela obligerait le Nord à s'adapter écologiquement aux réelles conditions de l'état de la biosphère. Voyons à présent plus en détail les différentes échelles d'estimation de la dette écologique, en commençant par l'Equateur. Partie 3 : Les différentes échelles d'estimation de la dette écologique. Maintenant que nous avons analysé l'historique de l'exploitation des ressources naturelles en Amérique andine et vu quelques notions d'économie-écologique, nous allons nous attaquer au fond de notre problématique, à savoir la recherche du lien qui existe entre l'ouverture à l'échelle locale d'un projet minier et l'augmentation à l'échelle nationale (Equateur) de la créance écologique, donc de la dette écologique des pays tiers jouissant de ces ressources. Nous commencerons notre analyse pas la structure de l'économie Equatorienne et l'analyse des flux biophysiques qu'elle engendre, avant de nous focaliser sur le projet Mirador dans la cordillère du Condor. 3.1. Echelle Nationale, cas de l'Equateur 3.1.1. Composition de la créance écologique d'après l'analyse de la structure biophysique de l'économie Equatorienne A l'échelle d'un pays, l'analyse des flux monétaires nous permet de nous rendre compte de la situation économique du pays. Pour l'Equateur, la balance commerciale a beaucoup fluctué depuis la fin des années 90, bien qu'elle soit le plus souvent positive en raison de l'exportation du pétrole. En 2000, la dollarisation a permis une certaine reprise économique après la crise de 1999. Le revenu par habitant est passé de $1296 en 2000 à $3670 en 2007 et le taux de pauvreté à chuté de 51% à 38% entre 2000 et 2007 1. Cependant ces chiffres à première vue encourageants ne rendent pas compte des flux biophysiques qu'engendrent les échanges commerciaux de l'Equateur. L'outil le plus adapté pour évaluer les flux biophysiques qu’entend le fonctionnement de l'économie est l'Analyse des Flux de Matières (AFM). Cet instrument se base sur le concept du métabolisme social, concept développé par Marx afin d'expliquer les interrelations entre l'homme et la nature. 1 US department of state : http://www.state.gov/r/pa/ei/bgn/35761.htm A ce jour, seule une étude a été faite sur l'AFM de l'Equateur. L'auteure en est Maria-Cristina Vallejo, une économiste qui a réalisé cette étude dans le cadre de sa thèse à la FLACSO (Facultad Latinoamericana de Ciencas Sociales). Dans son étude, elle met en évidence la balance commerciale physique de l'Equateur qui se trouve être continuellement négative. Le pays, car il exporte plus de matière qu'il n'en importe est donc fournisseur net de matière au reste du monde. Selon la composition, et le potentiel polluant de ces matières, nous allons donc analyser si l'Equateur subit un échange écologiquement inégale ou non. La structure biophysique de l'économie Equatorienne est semblable à celle de nombreux pays de la périphérie, c'est à dire avec une faible utilisation de matériel par habitant, à seulement un quart du niveau européen moyen (cf annexe 2 : Comparaison des flux de matière entre l'Europe15 et l'Equateur, 2000), et avec un taux élevé d'exportation. Les chiffres sont éloquents : durant la période 1970-2007, en moyenne 62.1 millions de tonnes de matières par an se sont écoulées dans l'économie. Sur ces 62.1, 58.6 millions de tonnes ont été extraite dans le pays et les 3.5 restant ont été importées. Contrairement aux pays dits du centre qui importent en générale largement plus que ce qu'ils produisent, les pays de la périphérie comme l'Equateur ont en général un rôle de « fournisseur » de matières premières. En effet, toujours sur les 62.1 millions de tonnes, 47.8 millions de tonnes ont été consommées dans le pays, tandis que les 14.3 millions de tonnes restant étaient vouées à l'exportation, soit près du quart de la production nationale70 (Exactement 23% des extractions domestiques). Cette grande différence entre les importations (3.5) et les exportations (14.3) met en évidence une balance commerciale physique négative. L'Equateur a donc exporté en moyenne 10.8 tonnes par an, toujours sur la même période étudiée. Cependant, la balance commerciale monétaire a elle enregistré un surplus de 294.1 millions de dollars. On peut donc en conclure que le pays a favorisé une balance commerciale monétaire positive, au détriment de son capitale naturelle. Cette pression sur les ressources naturelles du pays ne se doit donc pas uniquement à la consommation nationale, mais surtout à la surconsommation étrangère. La figure suivante nous indique le solde commerciale physique et monétaire de l'Equateur depuis 1970 jusqu'à 2007. Figure 9 : Balances commerciales (physique et monétaire) de l'Equateur (1970-2007) 70 M. C. Vallejo, Biophysical structure of the Ecuadorian economy : Policy implication, Flacso, Quito, 2007 Source : M. C. Vallejo, Biophysical structure of the Ecuadorian economy : Policy implication, Flacso, Quito, 2007 Le solde physique négatif indique qu'il y a davantage de matière qui quitte le pays qu'il y en a qui entre. L'Equateur est donc exportateur physique net de matière. Ces matières sont obtenues par divers processus extractifs qui dégradent l'environnement national au profit des pays importateurs. Le solde monétaire est lui par contre toujours positif à quelques exceptions près. Cela est essentiellement dû aux revenus du pétrole, sans doute une des activités avec le passif environnemental le plus lourd en raison de la déforestation, de la contamination, et de la libération de gaz à effet de serre. Cette activité extractrice s'effectue principalement dans la forêt amazonienne, c'est à dire la zone la plus riche du pays du point de vue de sa biodiversité. La construction de routes d'accès ouvre par la suite la voie à davantage de déforestation. Il y a donc des impacts environnementaux en cascades liés à l'exploitation du pétrole. Durant la crise des années quatre-vingt, appelée « la décennie perdue », le solde commerciale monétaire augmentait très sensiblement. En termes physiques cependant, la balance commerciale augmentait à un rythme bien plus rapide, de l'ordre de 7,5%. L'ajustement à la crise était donc biophysique dans le sens où la quantité de matières premières extraites a beaucoup augmenté afin de pallier à la stagnation des flux monétaires. La période des années 90 était une période de recouvrement pour l'économie Equatorienne. En termes de flux biophysiques, cela se traduit par une moins grande pression sur les extractions de matières. Néanmoins, la crise de 1999 qui a débouché sur la dollarisation de l'économie va participer à transformer la structure des flux biophysiques. Depuis le début des années 2000, on constate en effet des signes de « maladie hollandaise » dans l'économie Equatorienne. Des changements radicaux des prix du pétrole sont la principale cause de l'apparition de maladie hollandaise. L'effet de richesse ressentie par le boom du pétrole a engendré une hausse de la demande domestique de biens commercialisables et de biens non commercialisables (les biens non commercialisables sont par exemple les infrastructures de transport, d'éducation et de santé). Les importations de matière vont donc augmenter afin de satisfaire cette demande, ce qui aura un effet inverse sur la production locale. L'industrie locale manufacturière subira donc un ralentissement et ressortira affaiblie après la rechute des cours du pétrole. Revenons à présent aux 23% de la production nationale voués à l'exportation. Il peut en effet apparaître relativement insignifiant que seul moins d'un quart de la production nationale Equatorienne aille alimenter la contraction d'une dette écologique par les pays tiers. Il est donc crucial de savoir de quoi ces 23% de matière exportée sont composés. Pour cela, nous pouvons comparer les deux figures suivantes concernant les importations et les exportations de matériels. Figure 10 : Importations de matières de l'Equateur (1970-2007) Source : M. C. Vallejo, Biophysical structure of the Ecuadorian economy : Policy implication, Flacso, Quito, 2007 Figure 11 : Exportations de matières de l'Equateur (1970-2007) Source : M. C. Vallejo, Biophysical structure of the Ecuadorian economy : Policy implication, Flacso, Quito, 2007 Tour d'abord, nous constatons comme nous le disions plus haut que les exportations sont de largement supérieurs aux importations, au vu de la position de l'Equateur sur le marché internationale en tant qu'exportateur net de matière. Focalisons-nous ensuite sur le graphique des exportations. Il y a depuis les années 70 une nette augmentation des exportations de matières, depuis environ 2 millions de tonnes jusqu'à plus de 25 millions de tonnes de matière aujourd'hui. Le pétrole est le principal responsable de cette explosion des exportations. En effet, dès le début de l'exploitation des nappes de pétroles en 1971, cette matière constitue environ plus des deux tiers des exportations. Depuis, on constate une certaine volonté de diversifier les exportations de matières afin de ne pas rendre l'économie trop dépendante du pétrole. Malgré cette volonté affichée, nous constatons des signes de maladie hollandaise clairs à partir de 2003 avec un ralentissement des exportations de biomasse liés à l'agriculture et à la pêche mais également aux produits manufacturés. En bref, il est important de pointer du doigt l'énorme part du pétrole dans les exportations de l'Equateur. Aujourd'hui, au vue de la volonté du gouvernement de diversifier son économie, et d'ainsi dépendre moins du pétrole, le pays pourrait exécuter une transition vers l'exportation de minerai. Bien que le pétrole représente la majeure part des exportations, soulignons que le pays importe des biens manufacturés pétroliers, n'ayant pas de raffinerie sur son territoire. Et après transformation, ces biens sont évidement plus onéreux. Une ébauche de solution pour rendre l'Equateur moins dépendant de l'extérieur et des fluctuations des marchés internationaux serait donc de se concentrer sur la mise en place d'industries, et notamment de raffineries. Concentrons-nous à présent sur les Extractions Domestiques de Matières de l'Equateur et comparons ce graphique aux Exportations de matières. Figure 12 : Extraction Domestique de Matière en Equateur (1970-2007) Source : M. C. Vallejo, Biophysical structure of the Ecuadorian economy : Policy implication, Flacso, Quito, 2007 Nous savons qu'environ un quart des matières extraites sont exportées. Parmi les matières initialement extraites sur le territoire Equatorien, nous trouvons trois catégories de matières principales qui sont les combustibles fossiles (pétroles), le minerai et la biomasse (de l'agriculture, de la pêche et de la sylviculture). En poids, l'agriculture représente la plus grande part des extractions, puis viennent les combustibles fossiles, le minerai et enfin la pêche. Au total en 2006, ce sont plus de 90 millions de tonnes qui ont été extraites de l'environnement. Parmi ces 90 millions, 23% ont été exportés. La question est donc de savoir de quoi sont constitués ces 23% de matière. La graphique des exportations de matières de l'Equateur nous indique qu'en 2006 plus de la moitié de la matière extraite était du pétrole, viennent ensuite la biomasse liée à l'agriculture puis les produits manufacturés, le reste représente une part minime et nous n'allons donc pas la détailler ici. Plusieurs des produits exportés peuvent être catégorisés comme étant des produits de luxe, comme les fleurs ou les crevettes, d'autres ne font que satisfaire la demande énergétique des pays du centre, ce qui est le cas avec le pétrole. Les impacts de l'exploitation, du transport et de la combustion de pétrole sont aujourd'hui bien connus. Les problèmes environnementaux liés à cette matière première sont multiples et variés et se font sentir aussi bien localement que globalement. Parmi ces problèmes, citons localement la détérioration des écosystèmes et l'annulation des fonctions environnementales associées, en plus des problèmes de santé relevés à proximité des puits de forage. En Equateur de nombreux rapports de Oilwatch détaillent fort bien les conséquences environnementales et sociales de l'exploitation pétrolière et nous invitons le lecteur à s'y référer pour plus d'information sur le sujet. Plus globalement, nous pensons évidemment au réchauffement planétaire en tant que première conséquence de l'exploitation pétrolière avec toutes les réactions en chaîne que cela suppose. Notons au passage que les populations les plus vulnérables au changement climatique se trouvent dans les pays de la périphérie. Le PNUD affirmait dans un rapport récent qu'il existe une relation inverse entre la responsabilité pour le changement climatique et la vulnérabilité face à ses effets71. D'un point de vue géopolitique, signalons également que l'exploitation pétrolière est la source de nombreux conflit armée dans le monde, la guerre en Irak de 2003 nous en offre un exemple frappant. Cette ressource alimente parfois des réseaux mafieux, ce qui engendre encore de terribles impacts pour les populations civiles aux alentours des puits pétroliers. En termes de poids, les exportations de biomasse sont justes derrière le pétrole. Il s’agit ici de savoir quelles sont les cultures concernées et dans quelles conditions elles sont cultivées. Nous n'examinerons ici que deux des plus importantes cultures pratiquées en Equateur, à savoir les fleurs et la banane. Martha Moncada est la première à avoir effectué une AFM de l'industrie floricole en 2006, nous nous baserons donc sur son étude ici. L'industrie floricole représente un des secteurs d'exportation non traditionnel les plus dynamique du pays. D'un point de vue économique, la croissance annuelle moyenne du secteur entre 1985 et 2004 a été de l'ordre de 46%, représentant la sixième source de devise du pays derrière le pétrole, l'argent de la diaspora, la banane, les crevettes et le tourisme72. L'activité se concentre dans les montagnes andines et affecte énormément le mode de vie des communautés paysannes présentes sur place, ce qui engendre une dette sociale non négligeable. En effet, des agriculteurs se dédiant à la culture familiale de subsistance (une activité souvent en respect avec l'environnement et en accord avec ses cycles naturels) se sont convertis en main-d’œuvre bon marché pour l'industrie floricole. En plus de la dette sociale, une lourde dette écologique a été contractée par les pays tiers compte tenu du fait que la quasi totalité de la production est voué à l'exportation. Parmi les impacts environnementaux de l'industrie floricole, citons le remembrement de terres agricoles et la détérioration de celles-ci par l'usage intensif de fertilisants et de pesticides souvent hautement toxiques (cf Annexe 3 : Entrée direct de matière utilisée pas l'industrie floricole, en tonne entre 1986 et 2003). De plus, l'activité requiert des volumes d'eaux exorbitants et un usage intensif d'énergie. M. Moncada estime par exemple que pour chaque tonne de fleurs exportées, 0.2 t. de matières hautement toxiques restent sur les lieux de production. Concernant la production de banane, l'Equateur est le troisième producteur mondial, avec près de 10% de la production en 2003 73. Sur les 100% de biomasse commercialisée par l'Equateur sur le marché mondiale, ce fruit représente 86%. De plus, c'est une des activités, qui avec le café et le cacao génère le plus d'emploies dans le pays. La croissance de ce secteur a engendré la colonisation et la déforestation de nouveaux territoires. On est donc 71 PNUD (2007) Informe sobre el desarollo humano 2007-2008. La lucha contra el cambio climatico: solidaridad frente a un mundo dividido. PNUD. 72 U. Villalba (2008), El concepto de deuda ecologica y algunos ejemplos en Ecuador, EcoCri, Bilbao 73 NationMaster – Agriculture – Banana, http://www.nationmaster.com/red/pie/agr_ban_pro-agriculture-bananaproduction (15/08/2009) également dans un cas de remembrement territorial. Bien que les intrants phytosanitaires soient moins importants que dans l'industrie floricole, d'autres impacts environnementaux existent. On pense par exemple à l'érosion accrue des sols à cause de la déforestation et de la mise en place d'une agriculture intensive. En Equateur, comme dans de nombreux pays de la périphérie, les organismes de finances internationaux poussent également à la mise en place de mégaprojets en contrepartie des prêts accordés. Un exemple frappant est la création du projet « Jaime Roldos Aguilera » qui comprend la construction d'un barrage, d'une centrale hydro-électrique, d'un système d'irrigation et de transvasement et qui doit assurer de l'eau potable pour la plus grande ville du pays, Guayaquil. Ce projet a été financé à 79% par des organismes financiers extérieurs au pays, donc avec des prêts à taux d'intérêt variables. Nous voulons ici souligner que la contraction d'un prêt avec un taux d'intérêt variables est risqué pour le pays, au vue de la possible augmentation du taux d'intérêts en fonction des fluctuations financières et économiques mondiales. L'Equateur a en quelque sorte une constante épée de Damoclès qui peut s'abattre sur son économie. Luis Corral, chercheur en économie environnementale, a tenté une estimation coûts bénéfices de ce projet en y incluant les externalités négatives. Dans les externalités négatives, il inclut les déplacements de population, leur isolement, l'augmentation de la mortalité et de la morbidité, le risque d'effondrement du barrage et la destruction d'un mode de vie et de production ancestrale, tout ceci pour les coûts sociaux. Concernant les coûts environnementaux, l'auteur inclut la déforestation, l'érosion et l'accroissement de sédiments dans le lac de barrage pour ce qui est du valorisable. Il cite également sans les valoriser la contamination de l'eau, l'expansion d'algues invasives et la contribution à l'effet de serre. Luis Corral estime le coût des impacts sociaux et environnementaux à 3.771.647.971,84 US$ alors que le coût initiale du projet étaient de 1.638.933.545 US$74. Nous invitons le lecteur à se référer à son étude pour plus de détails sur les méthodes de calculs. Bien que cette étude tente d'être la plus exhaustive possible, elle ne peut inclure plusieurs externalités difficiles à prendre en compte et que l'on ne peut pas évaluer. Cependant elle essaye de rendre compte du réel coût d'un des plus grands projets d'infrastructure existant en Equateur. Il existe à l'heure actuelle plusieurs autres projets d'une envergure moindre mais dont le coût social et environnemental n'est pas assez pris en compte. Luis Corral a donc clairement pointé du doigt un exemple de projet générant une dette écologique et sociale, qui en plus de cela augmente la dette extérieure de l'Equateur à cause des prêts contractés. Pour revenir et conclure sur l'AFM de l'Equateur, nous pouvons reprendre les mots de M.C. Vallejo en statuant que « l'intégration (du pays) dans le marché international a affecté négativement l'environnement domestique, et ce plus intensivement encore depuis les années 90, lorsque l'ouverture commerciale 74 L. Corral (2006), Sembrando Desiertos : La deuda social y ecologica generada por el endeudamiento externo en el proyecto de proposito multiple Jaime Roldas Aguilera, Accion Ecologica, Quito s'est accrue ». En effet, l'Equateur est un petit pays, ne représentant que 0,2% de la surface du globe mais avec un taux de biodiversité plus élevé que l'Europe entière75. Sa sauvegarde est donc un enjeu de taille non seulement pour le pays mais pour la planète entière. Comme nous l'avons vu, les exportations de matières premières liées directement à l'extraction depuis l'environnement naturel représentent une part importante dans l'économie du pays. A eux seul, la production (le terme « extraction » est plus approprié) de banane et de pétrole représente 85% du poids annuel des exportations, et 59% en termes monétaires. L'impact environnemental de ces biens commercialisables est donc significatif. En plus du poids de la dette extérieure, la dégradation des termes de l'échange mène à un cercle vicieux d'échange écologiquement inégal qui pousse l'Equateur à constamment intensifier son degré d'extraction de ressources naturelles. Ce processus met en péril l'autonomie du pays et ses capacités à s'orienter vers un développement durable. L'Equateur doit donc considérer non seulement le coût de la perte de ressources naturelles et les impacts qui en découlent mais également l'éventualité future de devoir augmenter ses importations de l'étranger si ses ressources venaient à s'épuiser. Bien que les flux de matières concernant exclusivement l'économie Equatorienne soit plus importants que ceux voués à l'exportation, l'impact environnemental des biens destinés à l'exportation est significatif. L'extraction et la combustion du pétrole engendre une lourde dette écologique pour les pays tiers, tout comme la monoculture de banane ou de canne à sucre. Cependant, comme nous allons à présent la voir, l'AFM de l'Equateur ne permet pas de rendre compte de l'intégralité des dommages environnementaux, donc ne rend pas compte de la totalité de la dette écologique contracté par le reste du monde envers l'Equateur. 3.1.1.2. Composantes supplémentaires afin d'estimer la dette écologique L'analyse des flux de matière se révèle être un bon indicateur permettant de bien comprendre l'échange écologiquement inégale que l'Equateur doit supporter, cependant cet instrument ne rend pas compte de tous les aspects de la dette écologique. En effet, en plus du lourd passif environnemental qu'engendrent les flux de matière, la dette écologique des pays du Nord envers l'Equateur se traduit également par le brevetage du vivant, la dette du carbone et la perte de biodiversité qui découle de la dégradation environnementale. 3.1.1.2.1. Brevetage du vivant De par sa situation géographique, l'Equateur est un pays immensément riche du point de vue de sa biodiversité. Les expéditions, notamment de « Conservation International », découvrent chaque fois de nouvelles espèces endémiques. Cette connaissance est très convoitée par des firmes biotechnologiques. En effet, grâce à des brevets sur le vivant, ces firmes peuvent s'approprier « l'invention » d'une propriété particulière, souvent déjà connue et utiliser par les peuples autochtones. Une piste de solution face à ce problème de brevetage du vivant serait une distinction claire entre les notions 75 Biodiversidad en América Latina y El Caribe - La selva amazónica está en grave peligro -N. Ovando (2009), http://www.biodiversidadla.org/content/view/full/50346 (15/08/2009) « d'invention » et de « découverte ». Le premier exemple d'appropriation du vivant par les pays du centre est l'importation de la pomme de terre ou du maïs. Cette importation n'avait cependant pas réellement pas de but lucratif en soi. Aujourd'hui au contraire, plusieurs exemples d'expéditions ont comme unique objectif de trouver de nouvelles propriétés dans le vivant afin de pouvoir le breveter et ainsi se réserver les droits de ventes des produits dérivés. L'Equateur cour ainsi le risque de perdre le droit de vente éventuel d'une plante endémique à son territoire. Un exemple frappant est le brevetage de la liane Banisteriopsis caapi, utilisée depuis des générations pour la préparation d'un breuvage cérémonial : l'Ayahuaska. Après plusieurs procès entre l'organisation des représentants des peuples indigènes et la firme ayant breveté la liane, le brevet est finalement revenu à la firme, confirmant ainsi la reconnaissance légale du pillage du vivant. 3.1.1.2.2. Dette du carbone Depuis la révolution industrielle, un bouleversement sans précédent dans les flux gazeux, et notamment de CO2 a eu lieu. En effet, l'invention de la machine à vapeur, du train, de l'automobile, puis de l'aviation a engendré une rapide croissance des rejets de gaz à effet de serre. Les rapports du Groupe d'Experts Intergouvernemental sur l'Evolution du Climat (GIEC) mettent bien en évidence la responsabilité humaine dans le changement global auquel nous faisons face. La responsabilité historique des pays industrialisés est indéniable face aux changements climatiques actuels. Comme l'affirme Accion Ecologica, les pays du centre se sont « appropriés illégitimement les puits de carbone que sont l'atmosphère, les océans et la végétation par des émissions disproportionnées de dioxyde de carbone », qui est la cause principale de l'effet de serre anthropique. Les volumes de gaz à effet de serre rejetés sont très approximativement estimables par régions du monde. Si l'on souhaite évaluer monétairement les rejets respectifs des différents pays impliqués, il est possible de tout simplement appliquer les prix de la tonne de carbone fixé par le marché du carbone créé après le protocole de Kyoto. Cette estimation monétaire s'avère toutefois très inexacte et subjective car soumise aux aléas de l'offre et de la demande actuelle, mais cela a néanmoins le mérite de donner un ordre d'idée concernant les impacts respectifs des nations et les coûts que cela suppose. Comme nous le disions, le PNUD a récemment signalé qu'il existe à l'échelle mondiale une relation inverse entre la responsabilité pour le changement climatique et la vulnérabilité face à ses effets 1. Il faut également souligner que les pays du Sud sont souvent moins bien préparés aux changements globaux. Tandis que les pays du centre, rapidement rattrapés par les pays BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine), continuent impunément à dégrader l'atmosphère terrestre par leurs rejets, les pays de la périphérie ne peuvent que constater le drame en cours, tout en réclamant un juste droit au développement. Aujourd'hui, certains gouvernements des pays du centre se concentrent 1 PNUD (2007) Informe sobre el desarollo humano 2007-2008. La lucha contra el cambio climatico: solidaridad frente a un mundo dividido. PNUD. davantage sur l'adaptation aux effets du réchauffement climatique que sur son atténuation. Les pays de la périphérie n'ont cependant souvent que trop peu de moyens pour mettre en place des plans d'adaptations. La dette du carbone est donc une réalité et sa prise en compte dans la dette écologique est fondamentale pour rendre compte des responsabilités face aux bouleversements à venir. L'enjeu de reconnaissance de cette dette permettrait de faire endosser « l'addition » aux pays responsable. 3.1.1.3.3. Perte de Fonction Environnementales Chaque projet d'exploitation lié à l'environnement affecte plus ou moins les fonctions environnementales. Dans la partie précédente nous avons identifié ces fonctions et expliqué quelque peu les enjeux et les risques liés à leur évaluation monétaire. Ces fonctions environnementales qui nous permettent la vie ont une valeur implicitement infinie justement car elles nous permettent la vie. Cependant, dans le but de faire prendre conscience de leur valeur inestimable, il peut parfois s'avérer utile de vouloir en faire une évaluation, monétaire ou non. Nous verrons en effet dans le chapitre suivant les possibilités offertes par l'Analyse Multicritère (ACM). Nous verrons ensuite, dans le dernier chapitre de cette partie, qu'à l'échelle internationale l'évaluation des fonctions écosystémiques peut servir à freiner voir à empêcher des projets d'extraction comme c'est actuellement le cas dans le Parc National Yasuni. Il est clair que depuis la colonisation et l'extraction massive de ressources naturelles, certaines fonctions environnementales se sont vues affectées. L'évaluation de la perte engendrée reste toutefois très délicate en raison de la faculté de résilience des écosystèmes. L'objectif ici est uniquement d'alerter sur les conséquences possibles de la perte de fonctions écologiques, sans prétendre en faire une estimation. Nous verrons enfin qu'à l'échelle locale, les paiements pour services écosystémiques peuvent également s'avérer être une ébauche de solutions afin de conserver un environnement sain et protecteur. Comme nous l'avons donc vu, la dette écologique du « reste du monde » envers l'Equateur se compose de beaucoup d'élément et l'on ne peut s'en tenir qu'à l'AFM. Cependant, cette outil reste le plus exhaustif à ce jour, et l'étude de M.C. Vallejo rend bien compte du déficit environnemental qu'engendrent un mode de vie globalisé basé sur la surconsommation de certains pays au détriment d'autres. Il persiste cependant quelques difficultés d'estimation de la dette écologique, voyons voir lesquelles et comment essayer de les surmonter. 3.1.2. Quelles difficultés d'estimation éventuellement rencontrées ? Quelles faiblesses de l'instrument AFM et plus largement du concept de dette écologique. Tout d'abord concernant l'AFM, signalons quelques difficultés d'estimation inhérente à la méthodologie. L'évaluation des flux de matières entrant dans le système économique d'une région n'est à priori possible que si l'on peut trouver des données sur ces flux. Et il existe justement de grande lacunes concernant les flux dit « cachés ». Ce sont les matières déplacées sans que l'on ait l'intention de les utiliser. Pour cela, ces matières n'ont pas de valeur économique et les données les concernant sont très variables. Les flux cachés sont par exemple les matières déplacées dans une mine afin d'obtenir le minerai souhaité. En effet, le terril créé par ces matières a un certain impact environnemental. On peut également citer la surpêche rejetée à la mer qui engendre la mort de nombreux poissons, affectant ainsi l'écosystème d'origine. Il est donc difficile de prendre en compte les flux cachés, mais c'est d'autant plus important car ceux-ci ont souvent un impact fort sur l'environnement et sont occasionnés par les besoins d'un système économique souvent très distant. De plus, les impacts sont des flux cachés sont souvent très localisés et sont donc à supporter par les populations autochtones. Une autre faiblesse de l'AFM est qu'elle ne rend pas compte de la gravité des flux toxiques. Beaucoup de produits chimiques ou organiques peuvent en effet être hautement toxiques pour la santé humaine et l'environnement, et ceci à de très petites doses. Si l'on considère une mine par exemple, l'AFM est un bon instrument pour mettre en évidence des flux de matière volumineux, mais ne permet pas de rendre compte des petites doses de rejets de produits toxiques utilisés pour la purification du minerai. Selon le produit toxique, il suffit souvent d'une très petite dose pour contaminer un cours d'eau pendant des décennies. Enfin concernant l'AFM, il faut se rappeler que cet instrument ne permet que de rendre compte des flux de matière s'écoulant dans l'économie d'un pays en particuliers. Si l'on souhaite utiliser l'AFM dans l'évaluation de la dette écologique de l'Equateur, on aura plutôt tendance à évaluer la créance écologique de ce pays envers les autres. Cela ne rend pas compte des débiteurs de la dette écologique. Dans le cas de l'estimation de la dette écologique du « reste du monde » envers l'Equateur, nous utilisons donc l'AFM comme point de départ. Si nous voulions déterminer les pays débiteurs, nous aurions plutôt utilisé l'approche de l'empreinte écologique, car cet instrument évalue les impacts environnementaux du point de vue de la consommation. Néanmoins, l'objectif est ici de savoir combien de matière s'écoule dans l'économie Equatorienne, donc de savoir combien de matière nous avons à la base, et comment celle-ci est distribuée. En plus de ces critiques envers l'AFM, il est important de souligner les difficultés d'estimation inhérentes au concept de dette écologique. En effet, comment est-il possible d'estimer exactement la dette du carbone que les pays du centre ont contracté envers l'Equateur ? Il faudrait prendre en compte la pollution historique, en équivalence CO2, de l'ensemble des pays tiers, y soustraire la pollution, en équivalence CO2 de l'Equateur, et y rajouter les taux de déforestation respectifs de l'Equateur et des différents pays du monde. Cette évaluation semble donc tout bonnement impossible. Concernant la biopiraterie il en est de même. Il est en effet trop complexe de souhaiter évaluer les pertes de l'Equateur pour brevetage du vivant. Enfin, un dernier obstacle à l'évaluation de la dette écologique concerne l'estimation de la perte de fonctions environnementales en Equateur. D'autant plus qu'on ne connaît pas encore avec précision le degré d'importance des interrelations des différents éléments de l'écosystème ? Se rajoute à cela la difficulté concernant la capacité de résilience des écosystèmes. D'autant plus que celle-ci varie sans aucun doute avec les variations historiques du climat. Pour reprendre les propos de Aurora Donoso de Oilwatch 76, « l'estimation des services environnementaux à l'échelle mondiale de Costanza peut paraître absurde ». Cependant comme nous allons à présent le voir dans le prochain chapitre, ces fonctions environnementales sont justement une des richesses de l'Equateur, et leur estimation permettrait d'ouvrir la voie à une éventuelle future rémunération. Nous savons donc que la dette écologique est difficilement estimable au vue de toutes ces difficultés. Mais n'oublions pas que ces estimations, aussi absurdes soient elles, servent avant tout à donner un ordre d'idée. Nous verrons donc à présent la légitimité et les possibilités d'application du concept de dette écologique. 3.1.3. Quelle utilité/légitimité ? Applications possibles dans la sphère juridique. Analyse de la proposition de Correa concernant le Parc National Yasuni. Dans le cadre des relations Nord-sud, ou centre-périphérie, le concept de dette écologique se trouve être très utile pour tenter de redéfinir les relations de force entre dominant et dominé. Cela concerne donc l'aspect spatial. Concernant l'aspect temporel, la dette écologique permet également de mettre en lumière l'injustice historique de la dégradation environnementale, et de mettre en garde contre d'éventuelles injustices futures. En effet, si l'on recherche réellement un développement durable, cela devrait entendre l'annulation des relations de dominant dominées qui est source de dégradation environnementale répartie de manière très inégale entre les pays. Le concept est donc utile pour atteindre plus de justice environnementale. Il est déjà possible d'évaluer une future contraction de dette extérieure par les pays de la périphérie à cause du changement climatique et de la façon de financer son adaptation. La BM estime en effet entre 9.000 et 41.000 millions de dollars l'ensemble des coûts d'adaptation au changement climatique dans les pays du Sud (cf. Annexe 4 : Surcoûts liés à l'adaptation au changement climatique)77. Cette somme que les pays du Sud ne possèdent évidement pas devra donc être prêtée, « ce qui ouvre la voie à plus de conditionnalité et sûrement à plus de commerce lucratif pour les entreprises des pays du centre. Cela risque donc d'engendrer encore davantage de dette écologique »78. Cet exemple nous permet donc de comprendre toute l'urgence de reconnaissance du concept de dette écologique. Dans les lois internationales concernant l'environnement, on ne trouve pas de référence directe à la dette écologique. Cependant, cela ne veut pas 76 Interview d'Aurora Donoso, réalisé le 05 avril 2009 dans les locaux d'Accion Ecologica, Quito Oxfam (2007), L’adaptation au changement climatique. Ce dont les pays pauvres ont besoin et qui devrait payer, Document d'information 104 OXFAM http://oei.es/decada/OxfamCambioClimaMay07.pdf 78 Ivonne Yanez (2009), Deuda ecologica, deuda externa y petroleo in Inaki Barcena et al. (2009). op. cit., pp. 71-102 Inaki Barcena et al. (2009), Energia y deuda Ecologica - Transnacionales, cambio climatico y alternativas, Icaria, Barcelone 77 dire que le concept est totalement exclu. On pense par exemple au principe de responsabilité commune mais différenciée. Celui-ci, introduit lors de la conférence de Rio en 1992, explique que les pays du centre, les plus industrialisés, doivent assumer des standards de protection environnementales plus stricts que les pays de la périphérie, d'une part pour leur éviter des mesures économiquement contraignantes, et d'autre part, et cela est entendu implicitement, car les pays du centre ont clairement une responsabilité plus forte dans le changement global. Nous retrouvons également le concept de dette écologique dans les principes d'égalité intra- et intergénérationnelle. En effet, notre schéma actuel de production et de consommation non viable est un poids pour le développement durable et harmonieux des générations futures. Concernant la responsabilité des Etats dans les dégradations environnementales, nous ne trouvons pas non plus de d'allusion directe au concept de dette écologique. Cependant, le jugement du cas du « Trail Smelter Arbitration » de 1941 entre la Colombie-Britanique (Canada) et les Etats-Unis stipule que « le gouvernement d'un pays doit s'assurer que les compagnies sur son territoire ne causent pas de sérieux dommages à d'autres pays ou à leurs habitants, autrement l'Etat pourrait en encourir la responsabilité »79. On retrouve donc dans cette jurisprudence déjà ancienne le concept de dette écologique. L'application concrète du concept de dette écologique dans la justice internationale n'est donc pas encore d'actualité, mais l'on retrouve des traces du concept dans plusieurs jurisprudences, lois ou proposition lors de négociations internationales. Nous pensons notamment à la proposition Brésilienne de 1995 lors de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Celle-ci souhaitait voir la proportion des efforts de chaque pays dans le combat contre le réchauffement climatique évaluée selon la responsabilité historique. Cette proposition n'a cependant pas été retenu et comme chacun la sait, la base de calcule retenue pour combattre le réchauffement climatique a été le niveau des émissions de 1990. En nous basant toujours sur le concept de responsabilité commune mais différenciée, nous allons à présent expliquer l'intérêt de la récente proposition Equatorienne dans le cadre de la reconnaissance de la dette écologique. La proposition originelle a été présentée par l'ONG Oilwatch au COP10 de Buenos Aires en 1997 en tant qu'alternative au protocole de Kyoto, alors en négociation. La proposition est de ne pas exploiter le pétrole présent dans le sous-sol du Parc Naturel Yasuni (PNY) en échange d'une compensation des pays du centre. L'idée avait été oubliée jusqu'à ce que le dernier président en date, R. Correa, ne présente l'initiative, aujourd'hui connue sous le nom « Yasuni-ITT », devant les représentants de la communauté internationale à la conférence de Bali en 2008. L'Equateur, en tant qu'Etat, a une responsabilité assez négligeable dans le réchauffement climatique. Cependant, au nom du principe de responsabilité 79 E. Paredis et al. (2004), Elaboration of the concept of ecological debt, part 2, VODO university of Ghent. commune, le gouvernement demande, en contrepartie de la non-exploitation de son pétrole, à la communauté internationale un dédommagement de 350 millions de dollars par an pendant 10 ans80. Cela, en plus de combattre le réchauffement climatique en amont, permettrait la conservation des forêts primaires d'Amazonie ainsi que le respect des droits de l'homme des peuples indigènes y habitant. Grâce à cette proposition, l'émission de 410 millions de tonnes de CO² pourrait être évitée (410 millions de tonnes de CO² correspondent à l'extraction de 920 millions de barils de pétrole présent dans le bloc ITT du PNY). Ce chiffre peut certes paraître dérisoire à côté des émissions d'une année (à titre d'exemple, 26.402 Gigatonnes de CO² ont été rejetées dans l'atmosphère en 2005 81), mais l'idée est en soit totalement novatrice et donne un nouveau souffle aux négociations internationales concernant la lutte contre le réchauffement climatique. La demande de compensation de l'Equateur nous apparaît ici juste et raisonnable pour plusieurs raisons. Tout d'abord du point de vue du manque à gagner économique que le pays entend supporter en n'exploitant pas sa ressource. On peut ensuite estimer que cette compensation irait payer pour les fonctions environnementales qu’assure cette portion de la forêt Amazonienne, en premier lieu la fonction de régulation des gaz, et notamment l'absorption de CO². La récente étude d'Earth Economics concernant l'évaluation des fonctions environnementales du PNY les estime entre 1.7 et 4.4 trillions de dollars 82. Les 3,5 milliards (350 millions fois 10 ans) sont donc dérisoires à côté de cette estimation modérée des fonctions environnementales. Enfin, la compensation peut être vue comme une part de la rétribution de la dette écologique que les pays tiers ont contractée envers l'Equateur. Ce dernier point est ici décisif car c'est tout le dilemme de l'annulation de la dette extérieure qui pourrait trouver une ébauche de solution avec la reconnaissance de l'initiative Yasuni-ITT. En effet, comme nous l'avons vue, les problématiques de dettes extérieures et écologiques sont intimement liées, et bien que le montant demandé par le gouvernement Equatorien ne représente qu'une part infime de la dette extérieure (voir figure 2 sur l'évolution de la dette extérieure Equatorienne), cela ouvre déjà la voie à une possible renégociation des relations de forces internationales. De plus, cette proposition implique l'ouverture d'un chemin vers des lendemains sans pétrole. Se pose également la question de l'utilisation des fonds de la communauté internationale. Selon la proposition du gouvernement, les affectations que nous retiendrons ici sont les suivantes : • Satisfaction des droits sociaux et respect des droits de l'homme • Développement de sources énergétiques alternatives • Conservation de la nature • Restauration de zone affectée par l'exploitation pétrolière • Evolution vers un projet de société « zéro carbone » Selon les calculs de Ivonne Yanez, environ 30% de la somme demandé par le gouvernement Equatorien pourraient provenir de la renégociation de la dette 80 81 82 Presidencia – Discursos officiales - http://www.presidencia.gov.ec/ (5 août 2009) http://www.ipcc.ch/ (5 août 2009) D. Batker, I. de la Torre, M. Kocian (2007), The ecosystem valuation of Yasuni National Park, Earth Economics, Tacoma, WA. extérieure83. Cela encourage donc l'idée d'annulation de la dette extérieure au profit de la conservation de la forêt Amazonienne, poumon de notre planète. Cette initiative, si elle est acceptée par la communauté internationale (A ce jour, aucune décision formelle n'a été prise et l'ultimatum lancé par le gouvernement Equatorien pour une réponse a été repoussé à une date indéfinie) permettrait donc de légitimiser l'idée d'annulation de dette extérieure contre payement pour des fonctions environnementales. Mais bon nombre d'ONG environnementales (dont Accion Ecologica) souhaiterait voir dans l'acceptation de l'initiative une piste pour la reconnaissance de l'existence d'une dette écologique. Après avoir exposer quelque peu les tenants et les aboutissants du concept de la dette écologique en Equateur, nous allons à présent analyser ce même concept à l'échelle d'une concession minière, toujours en Equateur. L'objectif de ce changement d'échelle de l'analyse du concept de dette écologique est de rendre compte du lien qui existe entre le lancement d'un projet et la création d'impacts environnementaux qui vont engendrer une dette écologique. 3.2. Echelle locale, cas d'une zone d'exploitation minière Photo prise le 14/03/2009 dans une concession minière en phase d'ouverture à proximité de la concession Mirador d'EcuaCorriente. 83 Ivonne Yanez (2009), Deuda ecologica, deuda externa y petroleo in Inaki Barcena et al. (2009). op. cit., pp. 71-102 Inaki Barcena et al. (2009), Energia y deuda Ecologica, Transnacionales, cambio climatico y alternativas, Icaria, Barcelone Dans le cadre d'un projet minier, les méthodes d'évaluation sont appliqués dans deux cas spécifique : l'évaluation de projet ex-ante et la responsabilité environnementale ex-post. Nous allons ici présenter le cas du projet d'exploitation minière « Mirador » et donner des outils d'économie écologique pour tenter une évaluation ex-ante des impacts environnementaux probables du projet en question. 3.2.1. Cadre de l'étude : Description générale de la région. La cordillère du Condor fait partie de la chaîne sub-Andine qui sépare l'Amazonie et la Cordillère des Andes. Cette cordillère s'étend sur 150km² du Nord au Sud et est située à la frontière entre l'Equateur et le Pérou. L'altitude dans cette région varie entre 300 mètres et 2900 mètres. Géologiquement, la Cordillère du Condor offre une grande diversité de formation, bien que les sables blancs, ou "arenisca", soient à la base de la majorité des sols. Cette cordillère est le résultat du soulèvement de la cordillère subandine orientale il y a prés de 23 millions d'années (Miocène). La cordillère du Condor est également une zone très abondante en eau. Ces trois facteurs, à savoir une grande variation topographique, une forte diversité de formations géologiques et une eau abondante font de la Cordillère du Condor un "hot spot" en matière de biodiversité. En effet on y a découvert plusieurs espèces endémiques, similaires aux espèces que l'on peut rencontrer au sommet des Tepuys du Sud-est Vénézuélien, communément connue sous le nom de "Monde perdu" en raison justement de cette abondance biologique extraordinaire. Cette caractéristique commune entre les Tepuys et la Cordillère du Condor laisse entendre une coévolution des deux formations géologique, pourtant située à quelques 2000 kilomètres de distance. Les tepuys sont bien connu des biologistes pour leurs biodiversités remarquables et le grand nombre d'espèces endémiques qu'ils abritent. La comparaison entre les tepuys et la Cordillère du Condor nous montrent donc toute l'importance de cette dernière en matière de richesse biologique. La Cordillère du Condor est situé entre les régions administratives de MoronaSantiago et Zamora-Chinchipe au Sud-est de l'Equateur. Plusieurs différents groupes indigènes habitent actuellement cette région, ils sont regroupés sous le termes "Jivaros" depuis la conquista Espagnole. Ce terme signifie "sauvage" ou "barbare" et est donc rejeté par les indigènes eux-mêmes. Du coté Equatorien de la frontière on trouve, regroupés sous le terme de "Jivaros" les Shuars (environ 40000 hab.), les Achuars (environ 5000 hab.) et les Shiwiars (moins de 1000 hab.). Aujourd'hui encore ces groupes ethnolinguistiques sont en péril en raison des nombreuses pressions sur leur territoire, entre autre du à la richesse de leur sous-sol. Outre les groupes indigènes on trouve de nombreux "métisses" qui se sont installés dans la région dés les années 80, attirés par les gisements aurifères. Les populations locales subviennent à leurs besoins grâce à l'agriculture familiale, à l'élevage, à l'exploitation minière artisanale et à la vente de bois. La région de la Cordillère du Condor est plutôt humide en raison des constantes formations de nuages du coté occidentale de la Cordillère. Cela a donc crée d’abondants réseaux hydrologiques, ce qui en fait un des éléments clés dans le cycle de l'eau entre l'Amazonie et les andes. Les principaux cours d'eau coté Equatorien sont le Rio Zamora et le Rio Santiago, eux-mêmes alimenté par de nombreuses rivières d'ordre plus petit. Ce réseau hydrographique couplé à de forts changements d'altitude crée une série d'écosystèmes extrêmement variés avec notamment de nombreuses espèces endémiques. Certains botanistes, dont David Neil de Conservation International, affirment aujourd'hui que la cordillère du Condor serait une des régions avec la plus grande richesse biologique au monde 84. Entre 300 et 800m. d'altitude on trouve une végétation typiquement Amazonienne, avec notamment des arbres hydrophiles pouvant atteindre jusqu'à 50 m. de hauteur. De plus, selon Morales Mite, on peut y trouver des grenouilles endémiques de la famille des Dendrobatidae et plus de 159 espèces d'oiseau. Entre 800 et 2000m. d'altitude se trouve la plus grande diversité biologique, avec notamment 308 espèces différentes d'oiseau85. C'est également entre ces altitudes que se situent les zones de prospections minières (entre 800 et 1400m. d'altitude selon le "Rapport technique du projet Mirador"). Cette zone subissant un climat subtempéré très humide abrite des forêts prémontagneuse. Maintenant que nous avons exposer l'importance biologique et culturelle de cette région, essayons de comprendre davantage les raisons des hostilités qui ont accompagnées l'arrivée des entreprises d'exploitation minière. 84 Neill, D.A. 1999. Introduction: Geography, Geology, Paleoclimates, Climates and Vegetation of Ecuador. Pp. 2-25 In P.M. Jorgensen & S. León-Yánez (editors). Catalogue of the Vascular Plants of Ecuador. Monogr. Syst. Bot. Missouri Bot. Gard. 75: 1-1181. 85 Morales Mite (2007), Areas protegidas y pueblos indigenas, un estudio de caso en Ecuador, Red latinoamericana de cooperacion tecnica en parques nacionales 3.2.2. Historique de la prospection dans la zone d'exploitation minière "Mirador"et des conflits qui s'en suivirent. La concession minière Mirador (carré rouge le plus au Sud), aujourd'hui propriété d'Ecuacorriente, filiale Equatorienne de Corriente RessourceS Inc., couvre 9230 hectare. C'est le plus grand projet minier que l'Equateur n'ai jamais connu. Le gisement est situé dans la paroisse de Tundayme, canton El Pangui, dans la province de Zamora-Chinchipe, au Sud-est de l'Equateur. La propriété d'EcuaCorriente est divisé en 2 bloques majeures, « Mirador » avec 8 concessions et « Mirador Norte » avec 2 concessions, situé à 3 Km au Nord du bloque principale Mirador. Les premiers travaux d'exploration en vue de l'exploitation minière ont commencé en 1994 après que le gouvernement de l'époque concède 40km2 de concession minière à BHP Billiton, une entreprise Canadienne. Depuis la concession est passé entre les mains de nombreuses firmes avant de finalement devenir début 2003 propriété d'EcuaCorriente, filiale Equatorienne du géant Canadien, Corriente Ressources Inc. 86. 3.2.2.1. Données Concernant la concession Mirador (toutes les données sont basées sur l'étude de faisabilité de Corriente Ressources Inc. 87) L'étude de faisabilité de 2005 établit un taux d'exploitation de 25.000 tonnes de cuivre par jours, avec un total de 111 de millions de tonnes de ressources dans la mine, évaluant la concentration du cuivre chalcopyrite (donc nous sommes en présence de cuivre de sulfate) à 0.62%, ce qui équivaut à 0.22 gramme par tonne (g/t). Les concentrations d'or et d'argent sont respectivement de 0,2 g/t et de 1,6 g/t. Il a été estimer que 91 millions de tonnes de roche serait déplacé. Dans ces 91 millions de tonnes, 98% correspondent à la gangue, c'est à dire la roche autour du minerai mais sans valeur commerciale. Le tableau suivant nous résume les ressources présentes dans le gisement. Figure 13 : Concentrations en minerai exploitable dans la concession Mirador. Source : MIRADOR COPPER-GOLD PROJECT 30,000 TPD FEASIBILITY STUDY, Corriente Ressources Inc., avril 2008 La purification du minerai se fait grâce à un broyeur, puis un broyeur plus fin, enfin vient la phase de flottaison avant le processus de concentration de la masse obtenue. L'eau est fournit grâce à une captation sur le Rio Wawayme avec un maximum de captation de 120 litres/secondes. L'eau douce, pour la consommation humaine, sera obtenue grâce à des captations locales dans les nappes aquifères. Le concentré de cuivre ainsi obtenu sera transporté sur 418 kilomètres de routes, essentiellement pavées, jusqu'au port de Machala sur la Côte Pacifique. Un pont au dessus du Rio Zamora sera construit avec une capacité de charges de 100 tonnes. L'infrastructure de la mine comprend des logements pour 220 employés. Les employés vivant aux alentours seront transporté grâce à une compagnie de 86 Infomine - Propertie News - Mirador, http://www.infomine.com/companiesproperties/infodbweb/ChargePropertyNews.asp?SearchID=28205 (7 aout 2009) 87 J. Drobe et al., (avril 2008) MIRADOR COPPER-GOLD PROJECT, 30.000 TPD FEASIBILITY STUDY, Corriente Ressources Inc., Zamora-Chinchipe Provience, Ecuador transport privée crée par EcuaCorriente. Concernant la gestion de la gangue, deux pipelines seront crées afin d'acheminer la gangue aux terrils de stockage : le premier pour la gangue grossière et inerte qui comprend approximativement 87% des extractions, le deuxième avec la gangue potentiellement acide qui en comprend 11%. Approximativement 2% du minerai sera récupéré en tant que concentré. Durant les six premières années d'exploitation, les deux terrils de gangue seront stockés à proximité du Rio Quimi, avec les risques d'écoulement de lixiviats que cela comprend (un lixiviat est un liquide acide qui résulte du drainage de l'eau à travers un terril). A la septième année d'exploitation, les rejets de gangue inerte seront redirigé par un pipeline vers El Pangui, à environ 10 Km de la mine. La gangue potentiellement acide (mais épurer selon l'étude d'impact) continuera d'être stockée à proximité du Rio Quimi. Une étude des risques liées au transport et au stockage de la gangue affirme que les plus grands risques pour la gestion de la gangue seraient un glissement de terrain ou un éboulement sur le terril, une fuite acide se développant à partir des terrils (lixiviats), la rupture ou la fuite des pipelines (pouvant affecter la station de pompage), ou enfin la chute du pont sur le Rio Zamora sur lequel les pipelines vont passer. La demande électrique du projet Mirador est estimée à 28.8 MW et à 205 Gwh/a. Le coût énergétique total moyen de l'énergie hydroélectrique est aux alentours de $0.057/kWh. Cette énergie peut être acheté à des projets hydroélectrique privé ou public proche de la mine. Une autre option envisagée serait de crée une usine hydroélectrique spécialement pour la mine. L'énergie hydroélectrique fournit environ 50% des besoins en électricité de l'Equateur et c'est aujourd'hui l'énergie la moins chère du pays. L'idée d'EcuaCorriente est de connecter sont réseau électrique au réseau nationale afin de pouvoir vendre ses surplus éventuelle ou pour s'assurer une source d'énergie alternative en cas de panne. Concernant la fermeture de la mine, il est prévu de remplir le trou d'eau, et de recouvrir les terrils par une couche de matière inerte, de la terre, puis de replanter la surface. 3.2.2.2. Situation de conflit accompagnant la prospection Cette même étude d'impact précédemment citer signale que le projet a été suspendu en décembre 2006 à cause « d'agitation sociale ». En effet, m'étant personnellement rendu sur place début avril 2009, je peux témoigner de la situation encore troublée qui règne dans la Cordillère du Condor. Dans le canton d'« El Pangui » existe effectivement une grande division au sein de la population, entre les pro- et les antimines. La question est donc très délicate et des sources proches m'ont décrit des scènes de conflits ouverts au sein du village, comptant plusieurs blessés. Signalons au passage qu'un membre du Congrès Equatorien, Salvador Quishpe du partie Pachakutik, farouchement opposé à l'ouverture de la mine a été séquestré et battu par l'armé, chargé de protégé la concession88. Cette situation est malheureusement comparable à beaucoup d'autres conflits 88 Canada.com, http://www.canada.com/ottawacitizen/news/story.html?id=0da6a0b0-09df-4e33-b398-6f8d91e87f08 (6 aout 2009) environnementaux en Equateur ou ailleurs, comme dans la commune d'Intag par exemple. Là-bas, après plus de quinze ans de luttes contre l'ouverture d'une mine à ciel ouvert, le projet n'est toujours pas abandonné et les tensions sont toujours palpables. Cependant, une association de résistance (Decoin) a été crée et elle gère aujourd'hui des projets alternatif à l'exploitation minière comme par exemple le tourisme écologique ou la production de café labellisé bio et commerce équitable89. A l'échelle nationale, les échos de ces conflits ont toujours été très rares jusqu'en 2008, date à laquelle un réel soulèvement populaire national a eu lieu contre la nouvelle loi minière. Jusqu'à ce moment, la conflictualité sociale restait donc concentré dans les localités concernées et mis à part des campagnes via Internet, les médias nationaux restaient très silencieux sur le sujet. Aujourd'hui la problématique minière est encore très délicate en Equateur et plusieurs tractations ont encore lieu afin de définir le future de l'exploitation minière en Equateur. Fin 2008, une nouvelle loi minière a effectivement été adoptée qui concède jusqu'à 90% des revenus de l'exploitation minière aux entreprises exploitantes, seules 10% des revenus de l'exploitation des gisements resteraient donc dans le pays. Face à cela, la Confédération des Nationalités Indigènes Equatorienne (CONAIE : Confederación de Nacionalidades Indígenas del Ecuador) présente actuellement action en justice contre le gouvernement afin de dénoncer l'inconstitutionnalité de cette nouvelle loi minière. En effet, la constitution Equatorienne garantit qu'au moins 50% des revenus de l'exploitation minière doivent rester dans le pays90. 3.2.3. Explication de l'intérêt de la dette écologique dans l'argumentaire des mouvements indigènes et écologiques ? Quelle légitimité du concept ? Contrairement à l'estimation de la dette écologique à l'échelle nationale, ici l'estimation s'effectue sur un projet, qui de surcroît n'a pas encore démarré. Le termes de « dette » écologique s'avère donc être quelque peu inexacte, car une situation de dette est une situation dans laquelle une personne, morale ou physique, a l'obligation de rendre quelque chose de valeur égale. S'ajoute à cela la difficulté d'estimer la valeur exacte de l'environnement. L'objectif ici sera donc plutôt d'essayer de donner des pistes des impacts potentiels (donc de l'éventuel dette écologique futur) sur l'environnement et sur la société. Dans un second temps, nous analyserons différentes façons d'évaluer ces impacts. Dans ce sens, l'objectif de la présente partie sera davantage de donner des pistes d'estimation des impacts environnementaux afin de pouvoir effectuer une Analyse Coût-Bénéfice (ACB) du projet Mirador, en y incluant toutes les externalités probables. L'objectif de l'ACB est donc d'aider à la prise de décision. Ici encore se pose donc la délicate question de l'évaluation monétaire. D'autant plus que plusieurs communautés indigènes vivent en isolement volontaire à proximité du site d'extraction. Précisons au passage que ces communautés 89 Decoin – History, http://www.decoin.org/historia.html (6 août 2009) Colegio Regional de Ingenieros Geólogos, de Minas, Petróleos y Ambiental (CIGMYP), « Futuro de la mineria en Ecuador » , Actes de la conférence, Quito, 14 Avril 2009 90 sont légalement protégées par la convention 169 de l'Organisation Internationale du Travail91. Après plusieurs entretiens avec des personnes de ces communautés indigènes, dont la survie dépend d'un environnement sain, il a été clair qu'ils rejettent farouchement l'idée d'une évaluation monétaire de leur environnement. L'idée même de faire une ACB monétaire des impacts de l'activité minière, incluant également les fonctions environnementales, est donc contrariée. Un point important également soulevé par mes interlocuteurs concernait la quasi-constante évaluation à la baisse dans les pays de la périphérie de l'environnement et des hommes y habitant. A titre d'exemple, si l'on considère que les victimes de la catastrophe de Bhopal en Inde ont chacune reçu approximativement 500 euros92, on peut se demander quel aurait été le montant de l'indemnisation de la catastrophe si elle avait eu lieu dans le pays d'origine d'Union Carbide, à savoir les Etats-Unis ? Enfin, un argument largement relayé par Accion Ecologica contre l'évaluation monétaire des fonctions environnementales concerne le risque d'accaparation de celles-ci. En effet, si le montant estimé de ces fonctions est relativement faible, et qu'une personne, morale ou physique, se trouve dans la possibilité de payer, l'objectif poursuivi ne serait que partiellement atteint. On se rapprocherait alors davantage du principe du « pollueur payeur ». Cependant, l'objectif ici sous-entendu est bien évidement la conservation de l'environnement. Et si quelqu'un peut payer, il y un risque de dégradation environnementale consentie, car le pollueur à payer. Si le réel objectif est la conservation de l'environnement, l'argument monétaire devrait être une barrière à son exploitation. Et même si la dégradation de l'environnement n'a pas forcément lieu, un autre argument soulevé par Accion Ecologica contre l'estimation monétaire est que cela ouvre la voie à la possible privatisation des fonctions environnementales 93. Si l'on va jusqu'au bout de ce raisonnement, il serait un jour possible de se voir contraint de payer en échange de l'usufruit des fonctions environnementales. Et cela va bien évidement contre l'objectif ici défendu. Malgré cela, face à des logiques capitalistes ne jurant que par le profit, nous faisons le pari qu'une évaluation monétaire des impacts potentiels de l'activité minière puisse s'avérer utile afin de faire prendre conscience de la valeur inestimable de l'environnement et de la vie humaine. L'évaluation monétaire peut s'avérer utile si l'on identifie exactement l'objectif de l'exercice. L'objectif ici serait de donner des outils d'économie écologique aux ONG luttant pour la sauvegarde de l'environnement. Elles auraient ainsi un argument d'ordre monétaire et cela leurs permettraient de parler le même langage que la compagnie d'exploitation, à savoir le langage de l'argent. Bien qu'ayant considéré les risques de l'évaluation monétaire, nous estimons qu'une évaluation symbolique du « coût » de la dégradation environnementale permettrait de conscientiser la société sur les externalités négatives que nos 91 International Labour Organisation - Convention 169 relative aux peuples indigènes et tribaux, http://www.ilo.org/ilolex/cgi-lex/convdf.pl?C169, 9 aout 2009 92 R. Clayton Trotter et al. (1989), Bhopal, India and Union Carbide: The Second Tragedy, Journal of Business Ethics, Vol. 8, No. 6, pp. 439-454 93 Accion Ecologica (2006), Servicios Ambientales, el ciclo infernal, Alerta Verde, Boletin de Accion Ecologica numero 123, febrero 2003, Quito (pdf : http://www.accionecologica.org/images/docs/bosque/servicios.pdf ) activités exercent sur la nature. Un autre but avoué serait donc l'internalisation de ces externalités négatives dans le prix du produit finale, à savoir le cuivre, l'or ou l'argent. Ainsi, le prix à payer pour extraire ces ressources seraient d'une telle ampleur que l'on pèserait davantage le pour et le contre avant d'entamer des projets d'extraction de ressources naturelles. Selon la qualité de l'environnement, une internalisation permettrait également d'orienter les projets d'extraction minière vers les zones les moins fragiles. Evidement, le montant de l'ACB dépendra de qui évalue et des méthodes de calcul utilisées. La discipline économie écologique est encore relativement jeune et comme nous le savons, il n'existe pas de méthodologie standardisée afin d'évaluer l'environnement. C'est pourquoi, cet exercice est hautement subjectif, les objectifs de l'auteur seront donc souvent lisibles derrière les chiffres. Quoi qu'il en soit, afin de donner un argument de poids aux mouvements de défense de l'environnement, l'économie écologique peut avoir une réelle utilité. En effet, le fait de calculer les externalités négatives du projet permettrait de mettre en lumière les responsabilités de chaque acteur dans le développement de celui-ci. Enfin, l'intérêt de l'estimation monétaire des impacts négatifs d'une mine à ciel ouvert est utile dans un contexte juridique. Dans bien des cas, une estimation des impacts négatifs d'une activité extractive a du être faite après l'apparition des dégradations. Le jugement actuellement en cours de la compagnie Texaco nous en fournit un très bon exemple. Ici, il s'agirait de mettre en garde en amont du projet et d'ainsi prévenir les responsables des coûts qu'une telle dégradation pourrait engendrer. Même si le projet n'est pas abandonné, l'intégration des externalités négatives pourrait tout du moins faire prendre des précautions supplémentaires à l'exploitant et permettre l'introduction d'innovation technologique moins polluantes. En conclusion, nous voyons donc qu'une ACB incluant tout les paramètres environnementaux et sociaux avant l'ouverture du projet s'avère délicate sur bien des points. Néanmoins, cette analyse offrirait des pistes intéressantes pour résoudre une situation conflictuelle en permettant une plus grande compréhension entre les différentes parties. Voyons à présent quelles méthodes d'estimation s'offre à nous et quels éléments inclure dans l'estimation. 3.2.4. 3.2.4.1. Méthode d'estimation : Description des techniques utilisées durant les phases d'exploration, d'exploitation et de fermeture de la mine. Dans cette partie, car le projet est toujours temporairement suspendu suite aux agitations sociales, nous ne pourrons que nous baser sur l'Etude de Faisabilité de Corriente Ressources Inc. publié en avril 2008 94. Nous allons diviser la description des techniques utilisées selon les trois phases propres au déroulement d'un projet minier. La première phase concerne l'exploration et l'ouverture du site si le gisement est suffisamment rentable, puis vient la 94 J. Drobe et al., (avril 2008) MIRADOR COPPER-GOLD PROJECT, 30.000 TPD FEASIBILITY STUDY, Corriente Ressources Inc., Zamora-Chinchipe Province, Ecuador phase d'exploitation en soi, ici de 17ans, enfin un plan de fermeture de la mine est prévu après l'exploitation du minerai. Exploration : Les techniques d'exploration ont largement évolué au cours des dernières décennies. Ces techniques se basent aujourd'hui largement sur l'exploration par satellite ainsi que sur la géochimie. Après la découverte d'un potentiel gisement, des géologues se rendent sur place afin d'effectuer les premiers forages qui vont confirmer ou pas la présence de ressources. Dans le cas du projet Mirador, l'exploration inclut la cartographie géologique et le prélèvement géochimique des sols. 143 forages ont été effectués sur la zone depuis avril 2000 confirmant la présence de cuivre (chalcopyrite, ou cuivre jaune composé de sulfure), d'or et d'argent. Ces forages s'effectuent au moyen de foreuses à diamant. Des infrastructures sommaires sont bâties afin de permettre une première analyse des carottes de forage. Cependant, cette phase est relativement peu dommageables à l'environnement car elle n'inclut que le déplacement d'un nombre réduit de personne et de matériel. Exploitation : Dans le cas du projet Mirador, la durée d'exploitation de la mine est estimée à 17 ans. Cependant, cela peut évoluer en fonction de la découverte ultérieure de nouveau gisements. L'exploitation de la mine comprend premièrement la coupe à blanc de la végétation présente au dessus de la future mine à ciel ouvert. Ensuite la couche superficielle est retirée grâce au travail des pelleteuses. Une fois, la couche minéraliser atteinte, l'excavation se fait au moyen d'explosion et d'engins d'excavation lourds. Les engins utilisés dans le trou sont des pelleteuses, des bulldozers, ainsi que des camions pour le transport. La roche extraite est ensuite amené à la tritureuse qui fait un premier trie grossier des matériaux. La séparation de la gangue et du minerai recherché se fait ensuite par flottaison dans un bassin de décantation. En effet, nous sommes ici en présence de minerai de sulfure, valorisé en cellules de flottaison. Dans ce bassin de l'acide sulfurique est utilisé afin de séparés le minerai de cuivre des autres matériaux. Le schéma suivant nous donne un aperçu des différentes phases du processus. Figure 14 : Organigramme du processus de purification du minerai dans le projet Mirador. Après ce processus, un concentré de cuivre est obtenu, qui sera transporté jusqu'au port de Machala sur la côte Pacifique. Cela entend la création d'une route d'accès depuis la mine jusqu'au réseau national Equatorien (moins de 10km) ainsi que la construction d'un pont sur le Rio Zamora ainsi que sur le Rio Quimi. La carte suivante nous donne un aperçu général de la mine et des infrastructures prévues. Figure 15 : Carte du projet Mirador Source : J. Drobe et al., (avril 2008) MIRADOR COPPER-GOLD PROJECT, 30.000 TPD FEASIBILITY STUDY, Corriente Ressources Inc., Zamora-Chinchipe Provience, Ecuador On distingue également sur cette carte l'emplacement des terrils de gangue. Comme nous le précisions plus haut, durant les 7 premières années d'exploitation, toute la gangue sera stocké à proximité du Rio Quimi (« Rio Quimi TMF » : Tailing Management Facility). Après la septième année, car cet emplacement sera arrivé à saturation, la gangue inerte et grossière sera redirigé vers « El Pangui TMF » grâce à un imposant pipeline. Signalons également que prés de 10.000m3/j. d'eau douce seront nécessaire au fonctionnement de la mine afin de purifier le minerai. L'eau sera extraite à hauteur de 120l/s à partir d'une centrale de pompage sur le Rio Waywame. Un système de récupération d'eau est également prévu après lixiviation des terrils. Là, une pompe de 700l/s est prévu afin de récupérer et réutiliser l'eau filtrer par le terril de gangue. Mis à part les infrastructures propres à l'exploitation minière, un camp sera mis sur pied pour loger quelque 220 ouvriers sur le site. Il est également prévu de construire des locaux pour abriter un laboratoire. Fermeture : Une fois le minerai de cuivre, d'or et d'argent exploité, la mine sera abandonnée. Avant cela, un plan de fermeture est prévu par l'étude de faisabilité. Celle-ci prévoit la restauration et la protection de l'air, du sol, de l'eau de surface et souterraines, de la faune et de la flore, la restauration des habitats sauvages de la faune ainsi qu'une restauration esthétique « acceptable ». Il est prévu de remplir le trou laissé par l'exploitation minière par de l'eau, et de recouvrir les terrils de végétations similaires à la végétation d'origine. Un plan de surveillance de la qualité de l'eau est également prévu. 3.2.4.2. Quelles seront les impacts environnementaux (et socio-économique) supposés de l'exploitation minière à grande échelle ? Avant de nous étendre en détail sur les impacts environnementaux discernés, faisons le point sur la classification de ceux-ci en deux catégories principales. Nous distinguerons dans l'analyse des impacts les impacts directs et indirects. Les premiers font référence à la pollution directement engendrée par le projet minier, comme par exemple la création d'eaux usées et de lixiviats, l'émission de gaz à effet de serre ou encore la création de déchets solides. Ces pollutions engendrent notamment la perte d'une partie des fonctions environnementales, pour cela nous considérerons cela comme un impact indirect du projet minier. Nous inclurons dans cette deuxième catégories, en plus de la diminution, voir de l'annihilation, de certaines fonctions environnementales, la participation au changement climatique ou encore la possibilité de voir une augmentation des risques naturels. Signalons également que de nouvelles techniques d'exploitation propres existent (Meilleure Technologie Disponible : MTD). Cependant celle-ci sont chère et nous sommes dans un pays de la périphérie où les standards environnementaux sont moins stricts que dans les pays du centre. Celle-ci ne seront donc sans doute pas utilisées au maximum (rappelons que nous sommes dans la prospection, rien n'est certain). De plus, dans un souci de rentabilité, la compagnie d'exploitation va chercher au maximum à faire des économies. Ces économies passent par une protection de l'environnement (ainsi que des travailleurs) modérée. Enfin, il est également important de préciser les limites du système dont nous allons analyser les impacts. Comme nous le disions plus haut, la mine va peutêtre être alimenté en énergie grâce à la construction d'une centrale hydroélectrique. Cette construction engendre forcément une grande quantité d'impacts environnementaux. Cependant, nous n'allons pas les analyser car nous fixons les limites de notre analyse au système « mine », y incluant les terrils adjacent. La carte précédente offre une bonne vue d'ensemble des éléments inclut dans notre système, à savoir la mine en soi, les terrils ainsi que les infrastructures diverses (routes, pipelines, bâtiments). 3.2.4.2.1. Impacts directs : pollution Analysons en premier lieu les impacts directs engendrés par l'ouverture du projet minier Mirador. Pour cela, nous continuerons à nous baser sur la division du projet dans ces trois phases. En plus de cette division nous avons isolé les compartiments environnementaux qui risquent d'être affectés par l'exploitation minière, à savoir l'air, l'eau et le sol. Une dernière catégorie a été créée pour discuter des déchets. Le tableau suivant nous résume les impacts potentiels des trois phases consécutives du projet minier Mirador. Figure 16 : Impacts environnementaux directs d'une mine à ciel ouvert personnelles suite à l'analyse de l'étude de faisabilité d'EcuaCorriente Source : Données Durant la phase d'exploration, l'air risque d'être affecté par les gaz à effet de serre rejetés par les machines utilisées. On pense aux véhicules, aux foreuses et au groupe électrogène utilisé afin de fournir l'électricité aux ingénieurs géologues. Des poussières risquent également d'être crée par les activités d'exploration, ce qui crée également une certaine contamination de l'atmosphère. Enfin, des bruits et vibrations occasionnées par les foreuses risquent de déranger l'habitat naturel de la faune. L'eau ne serait pas significativement affectée durant la phase d'exploration. Le sol serait par contre affecté par la création d'une route d'accès et d'un réseau technique comprenant un raccordement électrique. Signalons néanmoins qu'avant le début des travaux d'exploration existait une piste d'accès. Les puits de forages sont eux recouvert d'un tuyau PVC bouché à l'extrémité et laisser tel quel. Divers types de déchets seront crée durant l'exploration du site. Des locaux sommaires ont été dressés et les employés sur le site créent évidement des déchets quotidiens. En résumé, certains impacts sont identifiables durant cette phase mais ils sont relativement minimes. C'est durant la phase d'exploitation de la mine que les impacts directs vont être les plus important. Premièrement, concernant la contamination de l'air, nous retrouvons l'émission de gaz à effet de serre par les engins de chantiers ainsi que par tous les moteurs nécessaires au processus de purification du minerai. Les machines fonctionnant sur le site vont, comme tout moteur, rejetés du dioxyde de carbone, du monoxyde de carbone, de l'oxyde d'azote etc. Ces gaz participent en grande partie à l'effet de serre additionnel. De la poussière risque ici encore d'être soulevé, cette fois-ci en plus grande quantité au vu des explosions prévues pour dégager les blocs de roches. Il faut également signaler les risques d'émanation de vapeur. En effet, l'acide sulfurique réagit avec des sulfures en libérant du sulfure d'hydrogène gazeux très toxique. Dernièrement, dans le compartiment air nous incluons aussi les bruits et les vibrations créent lors des explosions. Cela participe encore à éloigner la faune de son habitat naturel. L'eau risque également d'être contaminé. Dans son étude de faisabilité, EcuaCorriente signale que la quantité de génération d'acide de drainage dans les terrils (lixiviats) est incertaine. La compagnie met donc en garde contre d'éventuels surcoûts liés au contrôle de ses effluents. Le risque de pollution accidentel n'est pas non plus à écarter. EcuaCorriente a également signalé ce risque dans son étude. Enfin, concernant la gestion des eaux usées quotidiennes, aucune mention n'en est faite dans l'étude de la compagnie. Doit-on donc supposer que l'écoulement des eaux usées ira vers le système hydrographique naturel ? Les sols alentours de la mine risque d'être affecté par le projet. En effet, le processus de lixiviation pourrait affecter la qualité des sols pour une période très longue. De plus, le goudronnage et le passage incessant des camions de transport va perméabiliser le sol et ainsi augmenter les risques d'érosion à cause notamment du ruissellement des eaux de pluies. Les déchets solides de la mine, inertes ou non, seront stockés à proximité de la mine. Comme nous le disions, concernant les déchets solides acide, il y a un risque de lixiviation et de contamination des sols et des cours d'eau. Ce risque est à considérer sur le long terme. Enfin, il faudrait s'assurer que les déchets de construction et d'entretien des machines soit bel et bien retiré à la fin de l'exploitation de la mine. Pendant et après la fermeture de la mine, des impacts environnementaux risquent encore de se produire. On pense surtout au risque de lixiviation toujours présent plusieurs décennies après la fermeture de la mine. Dans bien des cas, les sols et les cours d'eau sont encore biologiquement mort et sont inexploitable par toute forme de vie en raison des drainages acides qui continueront de se déverser. Ce cas de figure se présente beaucoup au Chili, pays mondialement connu pour ces exportations de cuivre. Il faut également signaler les infrastructures viaires construites par EcuaCorriente qui resteront évidement sur place. Dans son rapport la compagnie présente cela comme une participation au développement de la région. Cependant, la route que la compagnie laissera sur place n'amènera qu'à un trou rempli d'eau : l'ancienne mine à ciel ouvert. À la vue de la très faible densité démographique sur place, la création de cette route est futile. De plus, celles-ci participent à l'imperméabilisation du sol et augmentent les risques d'érosion. Nous avons donc vu que les impacts probables de ce projet minier sont nombreux et varié et affecteraient tous les compartiments de l'environnement. Toutefois, les impacts directs les plus importants dans le cadre du projet Mirador sont la contamination par les poussières (ce qui va engendrer, nous allons le voir, la perte de fonctions environnementales), et le risque de lixiviation qui contaminerait les sols et les eaux. Nous allons à présent analyser les risques indirects engendrés par le projet. 3.2.4.2.2. Perte de fonctions environnementales occasionné par cette pollution L'ouverture de la mine, car elle entend la coupe à blanc de toute la végétation présente sur le site va engendrer la perte de toutes les fonctions environnementales assurées par cette forêt. La zone d'exploitation est l'habitat de nombreuses espèces endémiques ou rare, dont le Condor. A ce jour il n'y a qu'une étude biologique exhaustive faisant le recensement des espèces présente dans la Cordillère du Condor. Le biologiste David Neil du Missouri Botanical Institut a notamment découvert des orchidées de type Stenopadus (Asteraceae), des Everardia (Cyperaceae) ou encore des Euceraea (Flacourtiaceae)95. Ces espèces sont similaires aux espèces que l'ont peut 95 Missouri Botanical Institut – Cordillera del Condor, http://www.mobot.org/mobot/research/ecuador/cordillera/cordillera.pdf (09/08/09) trouver dans la Gran Sabana du Sud-est Vénézuelien. Les études de la faune et de la flore de la Cordillère du Condor n'en sont qu'à leurs débuts et il existe certainement encore de nombreuses espèces à découvrir. L'ouverture du projet minier risque donc de mettre en péril de nombreuses espèces endémiques, même pas encore recensées par la science. Parmi les fonctions environnementales assurées par la Cordillère du Condor, citons dans les plus importantes la régulation des gaz, et notamment l'absorption de carbone, la régulation du cycle de l'eau. Plus localement, cet écosystème fournit des plantes médicinales, de la nourriture et des fibres aux populations autochtones. A ce jour, aucune étude n'a été menée sur les fonctions environnementales de la Cordillère du Condor. Cependant, nous pouvons nous baser sur l'étude d'Earth Economics du Parc Naturel Yasuni en Amazonie. Bien que la Cordillère du Condor se trouve être légèrement plus élevée, les fonctions environnementales sont sensiblement les mêmes. Nous invitons donc le lecteur à se référer au précédent tableau des fonctions environnementales présenté dans la partie 2, chapitre 3. La perte de cet écosystème pourrait engendrer de grands bouleversements dans les habitudes des indigènes qui en dépendent. Comme nous le verrons plus loin, cela va indirectement engendrer la contraction d'une dette sociale par le projet minier. Parmi les autres impacts indirects, l'ouverture du projet Mirador va indirectement participer à une potentielle augmentation des risques naturels, comme par exemple des inondations ou des sécheresses. Enfin, ce projet, par nature polluant, participe également au rejet de gaz à effet de serre, ce qui participe au changement climatique. Voilà ce que nous pouvions citer parmi les impacts environnementaux indirects engendrés par le projet Mirador. Voyons maintenant les autres impacts sociaux-économiques que la mine pourrait occasionner. 3.2.4.2.3. Dette sociale et culturelle Les populations indigènes dans la zone d'exploitation sont les héritiers d'une culture millénaire basant leurs vies sur la symbiose entre l'homme et la nature. Ici, quelques concepts des croyances indigènes sont importants à expliquer. Tout d'abord la notion de Pachamama qui signifie la divinité « mère nature ». Celle-ci est perçu comme protectrice et nourricière et est donc immensément respecté par ces populations. Les Shuars (voir carte de peuplement en annexe) donnent notamment une grande importance aux cascades et y voient la matérialisation de leurs croyances. Leur contamination met donc en jeu ces toutes traditions. Signalons au passage que ces traditions sont protégées par la convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de l'UNESCO96. Une autre notion fondamentale dans la culture indigène est le Sumak Kawsay (ou « bien vivre »). Cette notion véhicule des idées de respect entre l'homme et la nature. Selon l'économiste et viceministre des finances Equatorien Pablo Davalos, « le concept de Sumak Kawsay exprime, renvoie et s'accorde avec les demandes de « décroissance » de Latouche, de « convivialité » d'Iván Ilich et « d'écologie profonde » d'Arnold 96 UNESCO - Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, http://unesdoc.unesco.org/images/0013/001325/132540f.pdf (09/08/09) Naes »97. Les populations indigènes ont une grande tradition qui est mise en péril par le projet minier. L'ouverture de la mine risque de déplacer les indigènes et une partie d'entre eux, au contact des colons seront peut-être tentés d'aller vivre en ville, ce qui changera profondément et irréversiblement leurs modes de vie. Ces impacts socio-culturelles sont donc incontestables. 3.2.4.2.4. Dette économique Les dégradations environnementales du projet risquent d'occasionner une augmentation de la mortalité ou de la morbidité, à cause par exemple des cours d'eau contaminés par les lixiviats. En cela, le projet représente un double risque d'impact économique négatif. En effet, la dégradation de l'état de santé des populations devrait engendrer, en plus de la perte de force de travail, des coûts liés aux soins de santé. Citons également que les flancs occidentaux de la cordillère du Condor sont habités par des colons Equatorien (les Shuars sont majoritairement sur le flanc oriental), attirés durant les années 80 par les gisement d'or. L'ouverture d'une mine à ciel ouvert va certes donnée du travail à ces populations. Mais après plusieurs entretiens avec ces mineurs artisanaux, il apparaît qu'ils sont pour une grande majorité, opposés aux projets miniers. D'ailleurs les récents résultats électoraux traduisent la volonté des citoyens. En effet, le candidat Salvador Quishpe, virulent opposant au projet, à gagner les dernières élections régionales d'avril 200998. On peut également citer la perte de la ressource, à savoir le cuivre l'or et l'argent en tant qu'impact économique au vue de l'impossibilité future d'exploiter cette ressource. Cependant, l'idée qu'il y ait une contraction de dette économique pour perte de ressources naturelles est ambiguë. Les mineurs artisanaux dégradent eux aussi l'environnement par leurs pratiques extractives, bien que cela se fasse à une bien moins grande échelle. Ayant eu l'opportunité d'observer la campagne électorale dans la province concerné de Zamora-Chinchipe, il m'est apparut qu'un argument souvent reprit contre l'ouverture de la mine était d'ordre environnementale. Cependant, il semblerait que cette argument cachait une autre volonté : celle de continuer à être indépendant et non employé d'une entreprise étrangère. En résumé, les impacts économiques sont à considérer avec beaucoup de précaution et sont à mettre en relation avec les bénéfices économiques locaux 97 98 America Latina en Movimiento - El “Sumak Kawsay” (“Buen vivir”) y las cesuras del desarrollo, http://alainet.org/active/23920 (09/08/09) Republica del Ecuador – Consejo Nacional Electoral – Resultados Preliminares elecciones 2009, http://app.cne.gov.ec/resultados2009/ (09/08/09) mis en avant par EcuaCorriente. Retenons avant tout le double risque d'impact économique négatif en raison de la dégradation de l'état de santé des populations locales. Intéressons nous maintenant aux possibilités offertes par l'économie écologique afin d'estimer la valeur des dégradations environnementales. Nous allons essentiellement donner des pistes d'évaluation des impacts environnementaux car c'est finalement le fond du sujet ici. Nous n'allons donc pas nous étendre sur les façons d'estimer les impacts socioculturels et économiques. 3.2.4.3. 3.2.4.3.1. Quels outils d'économie écologique sont les plus adaptés à l'estimation des impacts d'une mine à ciel ouvert ? Impact direct de la pollution durant les trois phases Nous avons déjà mis en lumière plus haut la distinction entre les pollutions directes et la perte de fonctions écosystémiques qui en découle. Durant cet exercice nous séparerons donc l'évaluation des pollutions directs et l'évaluation de la perte de fonctions environnementales. Dans ce sens, notre approche est « additionnelle ». Les impacts sont estimé séparément et l'ont en fait la somme. Cette décision est notamment basé sur l'étude de D. Damigos « An overview of environmental valuation methods for the mining industry ». Ce dernier fait la distinction entre trois possibilité, l'une basé sur une approche NIMBY (Not In My BackYard) dans laquelle toutes les externalités sont estimer simultanément. La seconde approche est la notre, où l'on estime donc séparément les impacts avant d'en calculer la somme. La dernière enfin, évalue les impacts en prenant en compte l'éventualité d'un accident majeur, comme par exemple la rupture des bassins filtrant les lixiviats acide 99. Afin d'être le exhaustif possible, sans toutefois tomber dans la surenchère (en cas d'accident), il nous apparaît donc juste de nous basé sur la seconde approche de Damigos. Bien que nous ayons ici choisit cette approche il faut garder en tête le concept holistique, particulièrement applicable aux écosystèmes, et qui préconise que le tout est supérieur à la somme des parties. Cela supposerait par rapport à la logique d'évaluation que nous avons choisit que les résultats escomptés soient sous-évaluer. Une fois que nous aurons obtenus le coût des externalités négatives du projet Mirador, il sera intéressant de le comparer au flux monétaire supposé du projet élaboré par EcuaCorriente (graphique du flux monétaire de l'exploitation de la concession Mirador durant 19 ans en annexe). Voyons en premier lieu les façons d'évaluer la pollution directe. Concernant le projet minier Mirador, l'étude de faisabilité à déjà prie en compte jusqu'à un certain point le coût de la fermeture et du reboisement de la zone. Cependant, cela ne va pas assez loin et sous-estime largement le réel coût de la dégradation environnementale. Une technique d'estimation adaptée serait d'évaluer le prix total de toutes les Meilleures Techniques Disponibles. En Europe, celles-ci sont encadrés par une directive qui essaye au maximum de 99 D. Damigos (2006), An overview of environmental valuation methods for the mining industry, Journal of Cleaner Production, Volume 14, Issues 3-4, 2006, Pages 234-247 lié les processus industriels avec les trois piliers du développement durable. Cependant, dans un pays de la périphérie comme l'Equateur, il est très peu probable que ces MTD soient appliquées avec autant de rigueur, malgré les promesses du président100. Nous allons donc basé le plus possible notre technique d'estimation sur le coût de la restauration du site. Il s'agirait pour cela de reprendre le tableau d'impacts vu plus haut et voir pour chaque phase, comment estimer la dégradation d'un élément de l'environnement et le coût de sa restauration au plus près des conditions initiales. Pour la phase d'exploration du projet Mirador, le tableau suivant nous informe des techniques possibles. Figure 17 : Techniques d'évaluation des impacts environnementaux durant la phase d'exploration. Comme nous pouvons le voir, concernant l'évaluation des rejets de gaz à effet de serre, il est possible d'avoir un ordre d'idée du coût de cette pollution grâce à la bourse internationale du carbone. Cependant, certains projets créant des gaz à effet de serre « annulent » leurs rejets par la plantation d'une quantité d'arbre potentiellement nécessaire afin d'absorber ces rejets. On pourra donc également estimer le coût de cette opération de replantage. Il faut cependant bien garder à l'esprit qu'une forêt replantée n'est en rien équivalente à une forêt primaire au vue de sa qualité écosystémique. Les poussières vont annihiler certaines fonctions environnementales, en particulier, elles vont diminuer la productivité primaire, c'est à dire la photosynthèse. Il est également possible ici d'estimer, comme pour les rejets de gaz à effet de serre, l'équivalence en arbre afin d'arriver à un taux similaire de productivité primaire. C'est le prix de la restauration. Il est également possible d'estimer les dommages environnementaux crée par la poussière en évaluant la diminution du rendement des récoltes avoisinant le site. On évaluera donc un manque à gagner potentiel. Concernant les dommages engendrés par les rejets de déchets sur le site d'exploration, il est recommandé de se baser sur le prix de la restauration du site. Pour la contamination éventuelle du sol, il est possible premièrement d'évaluer le coût de sa restauration. Il est également possible, comme pour la poussière, d'évaluer la perte des fonctions environnementales qui découlent de la dégradation de ce sol. L'estimation des impacts engendrés par les déchets durant la phase d'exploration peut s'estimer par le coût de le restauration du site. Si des fonctions environnementales sont sacrifiées, nous verrons plus loin comment les estimer. Pour la deuxième phase, la plus critique au niveau des impacts environnementaux, analysons le tableau suivant qui nous résume les impacts et la façon de les évaluer. 100 El Ciudadano.com.ec : Periodico digital de la revolucion ciudadana (Journal en ligne de la revolution citoyenne) – La nueva ley minera promueve un ambiente sano y sustentable (La nouvelle loi minière promouvoit un environnement sain et durable), http://www.elciudadano.gov.ec/index.php? option=com_content&view=article&id=321:la-nueva-ley-de-mineria-promueve-un-ambiente-sano-ysustentable&catid=21:entrevistas&Itemid=29 (15/02/09) Figure 18 : Techniques d'évaluation des impacts environnementaux durant la phase d'exploitation. Comme nous pouvons le voir, la plupart des impacts peuvent s'estimer en évaluant le prix de la restauration de l'écosystème endommagé. Concernant les gaz à effet de serre, les techniques d'évaluation sont les mêmes que durant la phase d'exploration. Il en est de même pour les poussières et les vapeurs. Afin d'estimer le coût de la pollution sonore (incluant les vibrations), il est possible d'estimer les coûts des mesures d'atténuation. Ce cas de figure est fréquent pour l'évaluation des impacts sonores d'un aéroport ou d'une autoroute. Nous n'appliquerons pas la technique de l'évaluation contingente (que nous expliciterons plus loin) car l'impact sonore n'affectera pas significativement les hommes aux alentours. La contamination directe du compartiment aquatique de l'écosystème de la Cordillère du Condor est estimable en évaluant le coût de la restauration de celui-ci. En effet, que la contamination vienne de la lixiviation, d'une pollution accidentelle ou du réseau des eaux usées, on va évaluer le coût des travaux de nettoyage potentiellement nécessaire. Une autre possibilité consiste en l'évaluation des coûts d'évitements. Concernant les eaux usées, cela comprendrait donc le coût de fonctionnement d'une station d'épuration des eaux usées durant toute la durée de vie du projet. Pour ce qui est de la gestion de lixiviats, l'évaluation du coût des Meilleures Techniques Disponibles est également une source d'évaluation possible. Pour ce qui est des impacts sur le sol, nous pouvons également nous baser sur le coût de sa restauration ou sur l'estimation de la perte de fonctions environnementales. Signalons cependant que l'érosion engendré par le projet est difficilement évaluable en raison de la difficulté d'estimer physiquement l'érosion directement imputable à l'ouverture du projet Mirador. Enfin, concernant les déchets, il en est de même que dans la phase d'exploration. Le coût de la restauration se trouvera cependant bien plus élevé en raison des terrils. Signalons d'ailleurs qu'ils vont recouvrir une partie de forêt, ce qui va engendré la perte d'une certaine quantité de fonctions écosystèmiques. Durant et après la phase de fermeture, un certain nombre d'impacts environnementaux continueront à se manifester sur le site. On pense en premier lieu aux effluents liquides acides crée par la percolation des terrils. Un dernier tableau d'impacts et de techniques d'évaluation nous résume le processus d'estimation : Figure 19 : Techniques d'évaluation des impacts environnementaux durant la phase de fermeture Ici, c'est surtout l'eau et les sols qui risquent d'être affecté par l'écoulement de lixiviats, et ce pendant plusieurs décennies après la fermeture de la mine. En effet, les eaux de pluies vont être filtrées par les roches déposées sur les terrils. Le terril d'El Pangui est supposé stocké uniquement des roches inertes, cependant le terril du Rio Quimi va accueillir des matières rocheuses potentiellement acides. L'eau qui est filtrée par ces roches en ressortira contaminée. Un bassin de stockage des lixiviats est prévu pendant et après le projet, mais on peut questionner la qualité du système de surveillance et la durée de vie supposée de ces bassins de stockage. Un autre impact sur le sol qui subsistera après la fermeture de la mine est l'imperméabilisation du sol aux endroits où de lourds engins de chantiers seraient passés, en plus du tracé de la route asphaltée. Cet impact entraîne le ruissellement de l'eau et participe ainsi à l'érosion et à appauvrissement des sols. Ce cycle vicieux d'appauvrissement du sol peut se mettre en place et s'éterniser jusqu'au moment où des mesures de restauration seront prises. 3.2.4.3.2. Impact de la perte de fonctions écosystémiques Nous voyons donc que la pollution directement engendrée par l'ouverture de la mine Mirador à proximité du village d'El Pangui comporte plusieurs impacts environnementaux. S'ajoutent à ces impacts directs la dégradation des fonctions environnementales. L'évaluation des fonctions environnementales passe par l'observation des « services » que la nature nous fournit et tente d'y appliquer une valeur. Le tableau suivant nous rappelle quelles sont les fonctions environnementales assurées notamment par la Cordillère du Condor. Figure 20 : Les fonctions environnementales Source : Costanza, The value of the world's ecosystem services and natural capital Afin d'évaluer des fonctions environnementales, il faut tout d'abord fixer une unités de mesures standardisées, applicables à tout les éléments. Dans la littérature, l'unité la plus utilisée est le dollar par unité spatiale sur une période de temps donnée, abrégé par $/ha./an101. Il peut parfois être très délicat de vouloir estimer la valeur monétaire des fonctions environnementales, surtout lorsque celle-ci sont considérées comme irremplaçable. Dans ce cas, on pense en particulier aux fonctions culturelles assurer par la Cordillère du Condor, qui sont la base d'un mode de vie et d'une économie traditionnelle. Les écosystèmes ont également certaines qualités que l'homme ne peut reproduire. Nous ne pourrons donc pas prétendre estimer l'entièreté des fonctions environnementales. De Groot et al. ont mis en évidence que la valeur des fonctions environnementales tend à augmenter au fur à mesure qu'elles deviennent de plus en plus rare102. De plus, cette valeur ne peut souvent pas être évaluer monétairement pour des raisons d'interconnexions extrêmement complexe entre les différents éléments. Nous allons cependant énumérer quelques techniques d'évaluation existante et voir à quels éléments de l'écosystème elles seraient applicable. Les différentes techniques ici présentées se basent sur la relation entre un service ou un bien du marché et une fonction environnementale et estiment à partir de là la volonté des agents économiques à payer plus pour la préservation de cette fonction. Elles sont le plus souvent basées sur des 101 De Groot et al. (2002), A typology for the classification, description and valuation of ecosystem functions, goods and services, Ecological Economics, Volume 41, Issue 3, June 2002, Pages 393-408 102 De Groot et al. (2002), A typology for the classification, description and valuation of ecosystem functions, goods and services, Ecological Economics, Volume 41, Issue 3, June 2002, Pages 393-408 enquêtes ou sur une analyse en profondeur de plusieurs données économiques (prix hédoniques, coût du voyage), c'est pourquoi elles sont fastidieuses, longues et chères à réaliser. Le coût d'évitement représente les coûts que la société ne doit pas engager au cas où ces services n'existaient pas. On pense notamment au contrôle naturel des crues ou à l'assimilation naturelle de déchet. En ce moment, dans la cordillère du Condor, les rios Zamora et Quimi assurent une régulation naturelle du débit aquatique et la terre assimile les déchets biodégradables en les transformant en humus. Le coût du remplacement est le coût que la société devrait payer pour remplacer une fonction écosystémique par une technique produite par l'homme. On pense encore à l'assimilation de déchet qui pourrait partiellement être remplacée par des techniques humaines. Pareillement, le stockage du carbone dans des poches souterraines serait peut-être une technique humaine envisageable d'ici quelques années. La technique du coût du voyage estime le coût du déplacement qu'une personne est prête à effectuer pour jouir d'une fonction environnementale. Le coût du voyage reflète donc la valeur implicite de l'écosystème. C'est une technique qui s'applique surtout pour les valeurs esthétiques de la nature, ou pour la qualité d'une eau de baignade par exemple. La technique du prix hédonique reflète la hausse du prix d'un bien en fonction de la présence ou non d'une fonction environnementale. Encore ici, cette technique s'applique majoritairement aux fonctions esthétiques. La hausse du prix de l'immobilier en bord de mer en est un bon exemple. L'évaluation contingente est une technique où l'utilité environnementale est reflété par le consentement d'une personne à recevoir ou le consentement à payer afin de pouvoir continuer à jouir de d'une fonction environnementale. Ces donc une technique assez fastidieuse et onéreuse car elle se base sur des enquêtes. Elle s'applique beaucoup pour l'estimation de la qualité d'un écosystème. Une dernière possibilité d'évaluation est le transfert de données issues d'études précédentes. On peut transférer les valeurs d'études effectuées dans des écosystèmes relativement similaires et qui assure les mêmes fonctions environnemenales. L'étude d'évaluation des fonctions environnementales du Parc Naturel Yasuni pourrait ici servir de base à une future étude pour la cordillère du Condor. Ces quelques techniques ainsi énumérées pourraient donc être utiliser dans l'évaluation de la valeur de quelques une des fonctions environnementales de la cordillère du Condor. Nous allons à présent soulever les éventuelles difficultés que l'évaluation des impacts environnementaux nous pose. 3.2.5. Quelles difficultés d'estimation éventuellement rencontrées ? Si l'on s'en tient à la volonté d'estimer les fonctions environnementales de façon uniquement monétaire, il est certain que l'on va rapidement se heurter à certaines difficultés. En effet, en plus de la problématique éthique que nous pose l'estimation monétaire environnementale, les techniques connues à ce jour présente de nombreuses lacunes. Ce postulat se base sur le fait que l'homme est à ce jour incapable de reproduire une grande partie des services que nous assurent les écosystèmes. Citons par exemple la pollinisation. Comme chacun le sait une grande part des espèces végétales cultivées pour la consommation humaine dépendent des abeilles. De récentes études ont cependant mis en évidence la diminution du nombre d'abeille103. Cela met directement en péril la production alimentaire mondiale de fruits et légumes. Une étude de N. Gallai et al. a estimée à 153 billions d'euros ce service de pollinisation, en estimant le manque à gagner potentielle104. Cependant, on peut se poser des questions sur la pertinence d'une telle étude. En effet, bien que le coût de la perte de cette fonction soit symboliquement intéressant pour avertir du danger environnemental, nous soutenons ici que la monétarisation n'est justifiable que pour son rôle politique mais perd en légitimité du point de vue théorique. Comme nous l'avons déjà vu, la temporalité, le fonctionnement et l'interdépendance des différentes fonctions écosystèmiques entre elles sont d'une rare complexité, ce qui affaiblit substantiellement chaque tentative d'évaluation monétaire. De plus, comme le souligne J.M. Alier, on peut se demander qui a le pouvoir de fixer un prix sur un éléments de l'environnement dont nous dépendons tous pour notre survie. Cela pose effectivement un problème éthique. Face à ces réserves concernant l'évaluation monétaire des fonctions environnementales, nous pensons qu'il est plus souhaitable d'exprimer la valeur environnementale sous d'autre terme. La figure suivante, tirée d'un rapport du PNUD sur « l'économie des écosystèmes et de la biodiversité » nous informe de quelques méthodes d'évaluation des écosystèmes. La forme pyramidale inspire implicitement au lecteur un classement hiérarchisé selon le degré de précision et donc de légitimité. Comme nous pouvons le constater, le PNUD classe donc l'évaluation monétaire en haut de la pyramide, ce qui va à l'encontre de l'opinion ici défendu. Il nous apparaît en effet que la pyramide devrait être inversé pour classer en haut de l'échelle l'évaluation qualitative. Cette technique nous apparaît plus modeste et c'est justement là que réside sa qualité. Figure 21 : Évaluation des fonctions assurées par les écosystèmes. 103 A.M. Klein (2006), Importance of pollinators in changing landscapes for world crops, Proceedings of the Royal Society 274, 303–313. 104 N. Gallai et al. (2009), Economic valuation of the vulnerability of world agriculture confronted with pollinator decline, Ecological Economics, Volume 68, Issue 3, 15 January 2009, Pages 810-821 Source : Rapport du PNUD (2008) « L'économie des écosystèmes et de la biodiversité » Ensuite, au vu de la nature profondément interdisciplinaire de l'économie écologique, l'Analyse Multi-Critère (AMC) nous semble être une solution plus adéquate à l'estimation de la valeur environnementale. Nous n'allons cependant pas nous étendre sur l'explication de l'AMC ici et nous invitons le lecteur à se référer à la littérature existante sur le sujet afin d'en savoir plus. Précisons simplement que l'AMC a le mérite de structurer l'évaluation d'un problème complexe selon des dimensions à la fois cognitives et normatives105 (la partie cognitive de la recherche structure le problème et évalue les points à évaluer alors que la partie normative décide des critères et si il sont appropriés, définit des poids). Néanmoins, dans l'AMC le même problème persiste, à savoir le problème de l'interdépendance des fonctions environnementales entre elles. Il est effectivement difficile de classer des fonctions environnementales selon leur degré d'importance si l'on considère l'environnement comme un tout et qu'une fonction environnementale ne peut jusqu'à une certaine limite exister sans l'autre. De plus, lors d'évaluations environnementales, il est n'est pas rare d'avoir affaire à des situations socialement conflictuelles. Il faut donc aussi prendre en compte les revendications sociales. Cela pourrait passer par la mise en place d'un jury citoyen. Les résultats de ce jury seraient ensuite agrégés dans un modèle mathématique et pourraient ainsi être prise en compte par les outils d'aide à la prise de décision106. 105 106 A. Vatn (2009), An institutional analysis of methods for environmental appraisal, Ecological Economics, Volume 68, Issues 8-9, 15 June 2009, Pages 2207-2215 Y. E. Chee (2004), An ecological perspective on the valuation of ecosystem services, Biological Conservation, Bien que nous remettons partiellement en question la pertinence de l'analyse monétaire des fonctions environnementales, nous insistons encore sur le fait que cela à un intérêt pour la sauvegarde de l'environnement dans le sens où celui-ci est pour la première fois de l'histoire économique pris en compte dans les décisions. Cependant, au vue des difficultés d'estimation, particulièrement des fonctions environnementales, d'autres approches non monétaire offrent des pistes intéressantes d'aide à la prise de décision environnementale. Voyons à présent les possibilités d'applications des résultats obtenus grâce à l'évaluation des impacts environnementaux à l'échelle d'un projet. 3.2.6. Quelles applications possibles ? Quelles alternatives de développement pour la région ? Une fois la reconnaissance des potentiels impacts environnementaux et surtout de la valeur de l'écosystème présent au dessus du gisement, il est possible de réfléchir à des pistes alternatives au projet minier. L'objectif ici serait bien évidemment une conservation, voir une restauration, de l'état de l'environnement de la Cordillère du Condor. Nous allons donc à présent analyser quelles solutions alternatives l'économie écologique pourrait offrir à la cordillère du Condor une fois la valeur de l'écosystème estimée. En effet, après une Analyse Coût Bénéfice mettant en lumière le coût de la dégradation environnementale, nous posons l'hypothèse que ce coût serait plus élevée que les bénéfices de l'exploitation minière, rendant ainsi l'ouverture du projet Mirador non rentable. En supposant donc la non rentabilité du projet minier, il est important de réfléchir à des solutions alternatives pour le développement de la région. Comme nous le savons, en l'absence de projet d'ouverture de mine à ciel ouvert, il subsiste une pression environnementale dans la région à cause des mineurs artisanaux. En effet, à part les populations indigènes, la région est habitée par une petite communauté de mineurs récemment installée aux alentours de la Cordillère du Condor, attirée par les gisement d'or, mais également incitée à s'installer là par des campagnes gouvernementales suite à la guerre de 1995 entre le Pérou et l'Equateur107. L'activité minière locale posent néanmoins moins de problèmes environnementaux que l'ouverture d'une mine à grande échelle. En effet, bien que l'activité minière à petite échelle créée des pollutions spatialement restreintes, elle ne dégrade pas massivement les fonctions environnementales d'une telle façon que le supposerait le projet Mirador. En outre, l'activité minière artisanale permet beaucoup plus largement de conserver les retombées financières dans la région d'extraction. Cependant, au vu de notre objectif de crée une soutenabilité forte dans la région de la cordillère du Condor, c'est à dire d'assurer la pérennité du capital naturel, il est essentiel de ne pas exploiter les ressources renouvelables audelà de leurs taux de régénération et de ne pas excéder les capacités d’assimilation et de recyclage des écosystèmes dans lesquels les déchets sont rejetés. Afin de tendre au maximum vers un tel objectif, l'économie écologique Volume 120, Issue 4, December 2004, Pages 549-565 S.A. Radcliff (1998), Frontiers and popular nationhood: geographies of identity in the 1995 Ecuador-Peru border dispute, Political Geography, Volume 17, Issue 3, March 1998, Pages 273-293 107 offre donc plusieurs solutions. Premièrement, à l'encontre du projet Mirador, nous avons posé l'hypothèse qu'une internalisation des externalités négatives rendrait le projet non rentable car nous considérons explicitement que l'environnement vaut plus que les bénéfices de l'exploitation. Nous verrons dans un premier temps les alternatives à l'exploitation minière à petite échelle avant de voir à l'échelle globale comment un mécanisme similaire à l'initiative Yasuni-ITT pourrait enrayer le projet Mirador. A l'encontre de l'exploitation minière artisanale, également polluante et destructrice de fonctions environnementales, nous proposons deux échelles de Paiements pour Services Ecosystèmiques (PSE) selon la localisation globale ou locale des bénéficiaires des services écosystèmiques. Bien que ce système ait pu être critiqué auparavant, il faut reconnaître qu'il respect le principe de soutenabilité forte, et permettrait d'assurer des entrées financières pour la région, ce qui est indispensable pour le développement. Nous croyons donc qu'une application rigoureuse d'un système de PSE permettrait d'assurer un moyen de subsistance aux populations locales, qui autrement continueraient à exploiter les gisements. Mais définissons tout d'abord ce qu'est un système de PSE. Il s'agit d'un mécanisme qui souhaite traduire des valeurs environnementales non marchandes en valeur financière afin d'inciter les populations locales à la conservation de l'environnement. Cela entend une transaction entre un acheteur et un fournisseur, à condition que le service environnemental soit effectivement protégé et fournit. Un exemple récurent est la conservation d'un bassin versant purifiant l'eau contre une juste rétribution de la population situé dans la zone du bassin. La ville de New York a par exemple appliquée ce principe en achetant plusieurs terrains forestiers au dessus de la nappe aquifère alimentant la ville108. Le schéma suivant nous informe de la logique économique des PSE : Figure 22 : La logique de paiement pour services écosystémiques 108 C. Aubert et al. (2008), New York, pionnière pour la protection de l'eau, Le monde diplomatique – L'atlas de l'environnement, Armand Collin, Paris Source : S. Engel et al. (2008), Designing payments for environmental services in theory and practice: An overview of the issues Comme nous pouvons le constater, la logique des PSE entend que l'acheteur des fonctions écosystèmiques paient moins que le coût des externalités négatives, et que le vendeur perçoive plus que ce que rapporterait l'exploitation de l'écosystème (afin de le décourager à l'exploiter). Il existe différent type d'acheteur de services environnementaux. Cela peut soit être l'utilisateur direct de la fonction environnementale, soit une tiers personne agissant au nom de l'utilisateur direct, souvent un gouvernement ou une autre institution109. Ainsi, la protection des services environnementaux dont les populations locales bénéficient pourrait être financé par le gouvernement Equatorien ou une autre institution nationale. En échange d'un PSE, les populations autochtones devraient assurer la protection de la cordillère du Condor, permettant ainsi la conservation d'habitats pour la faune, un plus grand contrôle de l'érosion (évitant ainsi l'appauvrissement des sols) ou encore la pérennité du service de pollinisation. A une échelle plus globale, en considérant que la planète entière bénéficie des fonctions environnementales que sont la régulation des gaz, la séquestration du carbone ou encore l'approvisionnement en ressources génétiques, on pourrait envisager un mécanisme de PSE similaire à l'initiative Yasuni-ITT. En effet, bien que le PNY soit situé en pleine Amazonie à environ 250 m. au dessus du niveau de la mer, et que la cordillère du Condor varie entre 300m. et 2900m. d'altitude, les deux régions assurent à quelques exceptions près les mêmes fonctions environnementales. Ces deux régions représentent notamment un important puit de carbone et participent ainsi à la régulation du climat et au bon fonctionnement du cycle de l'eau à l'échelle mondiale. On peut également citer la régulation des épidémies à l'échelle mondiale. Une initiative similaire dans la cordillère du Condor serait donc justifiable par l'argument d'un mécanisme de PSE à l'échelle mondiale. En cela, l'évaluation des services 109 S. Engel et al. (2008), Designing payments for environmental services in theory and practice: An overview of the issues, Ecological Economics, Volume 65, Issue 4, 1 May 2008, Pages 663-674 écosystémiques du PNY pourrait servir de baser à une évaluation similaire pour la cordillère du Condor. Malgré le fait que nous sommes en présence de minerai et non de pétrole, cette initiative pourrait également participer à combattre en amont le changement globale, en particulier concernant la perte de biodiversité et de fonctions environnementales à l'échelle globale. Comme nous le savons, le nombre élevé d’espèces, et notamment endémique, de la cordillère du Condor participe à la bonne santé de son écosystème, ce qui contribue à assurer la pérennité des fonctions environnementales. Cependant, le Millenium Ecosystem Assessment estime que près d'un tiers des fonctions environnementales planétaires sont actuellement en déclin110. Une telle initiative dans la cordillère du Condor permettrait donc de sauvegarder une part non négligeable de la biodiversité planétaire. Un autre argument, encore dans une logique similaire à la proposition YasuniITT, serait que le paiement pour fonctions environnementales de la cordillère du Condor est justifiable dans l'optique d'une reconnaissance et d'un remboursement de la dette écologique que les pays tiers ont contracté envers l'Equateur. Mis à part les propositions de développement du nouveau préfet Salvador Quishpe qui se basent sur l'écotourisme et une agriculture durable vouée à l'exportation, nous constatons donc que l'économie écologique peut offrir des pistes de développement propre basé sur la reconnaissance de la richesse environnementale de la cordillère du Condor. Conclusion Le concept de dette écologique a été mis en évidence il y a encore peu de temps par des ONG du Sud. Le présent travail a donc souhaité considérer la problématique générale de la faisabilité et de la légitimité de l'évaluation de la dette écologique, et ce à deux échelles différentes. Cette double échelle d'analyse, du national au local, souhaite explorer la question du lien entre l'impact environnemental d'un projet minier et la contraction à l'échelle nationale d'une dette écologique par les pays tiers jouissant des ressources extraites. Toutefois, deux problématiques distinctes ont été élaborées d'après chaque échelle d'analyse du concept. Concernant l'estimation de la dette écologique que les pays tiers ont accumulés vis-à-vis de l'Equateur, la question principale était de connaître la portée et la faisabilité de son estimation. Nous voulions savoir si la dette écologique est un concept intéressant et légitime dans les négociations internationales concernant la possible annulation de la dette externe de ce petit pays andin, et si elle peut favoriser la reconnaissance de l'initiative Yasuni-ITT ? 110 Millennium Ecosystem Assessment, 2005. Ecosystems and Human Well-being: Synthesis, Island Press, Washington DC. A l'échelle plus locale du projet d'exploitation minière Mirador, l'idée était d'estimer la validité de l'estimation d'une éventuelle future dette écologique. Cependant, le projet d'exploitation n'ayant pas encore commencé, parler de dette est vide de sens. Nous voulions donc donner des pistes d'estimation d'une possible Analyse Coût Bénéfice (ACB) du projet internalisant les impacts environnementaux. La problématique de départ était donc d'explorer la faisabilité puis la légitimité d'une tel ACB. Afin de répondre à ces interrogations, nous avons donc commencer par analyser l'histoire du continent Sud-américain depuis la Conquista, en nous focalisant sur la région andine, puis sur l'Equateur une fois que les frontières se soient dessinées. Il en ressort que ce continent n'avait qu'une fonction explicite de fournisseur de matières premières. En effet, des milliers de bateaux européens débarquaient aux Amériques avec des esclaves venu d'Afrique avant de repartir en Europe avec des métaux précieux et autres produits exotiques, créant ainsi ce que l'on appelle aujourd'hui le commerce triangulaire. Par la suite, avec l'avènement de la révolution industrielle et le décollage des Etats-Unis, un nouvel ordre mondial s'inaugure, dicté par le capitalisme. La encore, la tardive industrialisation du continent et l'insistance des institutions financières internationales (créées dès la fin de la seconde guerre mondiale) pour l'accord de prêt financier sous condition participent au fait que l'Amérique Latine soit aussi dépendante de ses exportations de matières premières. Cependant, il ne faut pas sous-estimer le concours de plusieurs facteurs politico-économique, comme le manque de gouvernance, la corruption ou les crises économiques, qui ont engendrés la situation actuelle de l'Equateur dans l'ordre mondiale. Par la suite, et avant de nous focaliser sur nos deux différentes échelles d'analyse, il nous semblait important d'expliciter quelques notions d'économie écologique afin de voir comment on pourrait tenter d'estimer une dette écologique. Il en ressort que notre système économique est profondément et indiscutablement ancré dans un plus large système biophysique. Karl Marx avait déjà identifié ce truisme dans sa théorie du métabolisme social. A partir de là, on peut donc considérer les flux biophysique qu’engendre le système économique et considérer à la lumière de ceci le concept de dette écologique. Ce concept requiert une approche multidisciplinaire et doit se fonder largement sur les notions de temps et de justice. En effet, considérer l'interrelation entre l'économie et l'écologie est impossible sans réfléchir aux notions temporelles. De plus, l'idée de justice et d'équité permet de comprendre la relation qui existe entre la dette extérieure et la dette écologique. Cette relation met en évidence un échange à l'échelle mondiale économiquement inégale mais aussi écologiquement inégale. Une fois ces concepts expliquer, nous avons analysé la structure biophysique de l'économie Equatorienne grâce à l'Analyse des Flux de Matière (AFM). Il en ressort effectivement un échange écologiquement inégal, avec certes une balance commerciale monétaire essentiellement positive, mais une balance commerciale physique négative. L'Equateur exporte quasiment un quart de sa production domestique à l'étranger et plus de la moitié de la matière se trouve être du pétrole. Le reste de la matière concernée est essentiellement constituée de biomasse. Ces matières et particulièrement le pétrole a un fort impact environnemental, ce qui engendre l'échange écologiquement inégal. De plus, il faut étendre le concept de créance écologique de l'Equateur à la dette du carbone, à l'exploitation du vivant grâce aux brevets et à l'accaparation massive des fonctions environnementales planétaires par les pays industrialisés du Nord. Il est néanmoins difficile, voir impossible d'estimer la dette écologique que les pays tiers ont contracté envers l'Equateur. Il faut toutefois garder en tête que ces tentatives d'estimations servent avant tout à donner un ordre d'idée de l'ampleur de la dette écologique. Il en ressort que le concept et sa reconnaissance peut servir dans les négociations internationales. En effet, après la récente et novatrice « initiative Yasuni-ITT » qui propose de ne pas exploiter les nappes de pétrole présente dans le Parc National Yasuni, on constate que le concept de dette écologique peut être un argument de poids dans ces négociations, mais également dans les négociations concernant la révision de la dette extérieure Equatorienne. Après cette constatation, nous avons donc souhaité donner des outils d'économie écologique afin d'essayer d'évaluer les impacts environnementaux du projet de mine à ciel ouvert Mirador, dans la région de la cordillère du Condor. Il fallait avant toute chose préciser que cette région reculée d'Equateur est une des plus riche du point de vue de sa biodiversité et abrite une communauté indigène en isolement volontaire. Une fois cette précision faite, une analyse du projet d'exploitation selon les trois phases d'exploration, d'exploitation et de fermeture a été faite. Il en ressort que l'impact majeur sera la contamination du sol et des cours d'eau ainsi que la perte de fonctions environnementales. Nous avons donc essayé de donner des outils d'économie écologique afin d'estimer ces externalités négatives dans l'objectif d'une éventuelle internalisation dans le prix final du minerai. L'évaluation d'après les Meilleures Techniques Disponibles paraît être la plus simple, cependant, comme chaque mine a forcément un certain impact, nous avons souhaité évoquer le coût de la restauration. Enfin, concernant la perte de fonctions environnementales, plusieurs techniques d'estimation ont été présentées dans le détail. Notre conclusion explicite est que l'ouverture du projet minier Mirador, à la vue de la valeur de l'environnement sacrifié, ne serait pas rentable si une réelle internalisation des impacts avait lieu. Nous proposons donc un système de Paiements pour Services Ecosystémiques (PSE) comme alternative de développement de la région. Un parallèle avec l'initiative YasuniITT est donc ici réalisé. De ce travail ressort donc quelques points particulièrement intéressants. Premièrement, nous avons vue que l'AFM est sans doute l'outil le plus prometteur comme point d'ancrage pour l'estimation d'une dette écologique. En effet, cet outil permet de comparer les flux biophysiques aux flux monétaires, donc de mettre en évidence la relation ambiguë entre dette extérieure et dette écologique. Nous avons également beaucoup discuté du bien-fondé de l'estimation des fonctions environnementales, parfois aussi appelé services écosystémiques. Il en ressort un constat en demi-teinte. En effet, cette estimation de l'environnement va dans la logique d'une monétarisation toujours plus excessive. Cela représente certains risques non négligeable, notamment le risque de voire certaines de ces fonctions environnementales privatiser et d'ainsi devoir payer pour le droit basique de jouir de ce que nous offre la nature. Cependant, il faut nuancer cette crainte en appréciant les possibilités offertes par l'estimation monétaire des fonctions environnementales. En effet, dans certains cas de figure, si l'évaluation mène à des mécanismes de paiements pour services ecosystémiques bien encadrés, cela peut participer à une protection, voir à la restauration de certains écosystèmes. Cependant, beaucoup d'autres facteurs socio-économiques vont faire varier la réussite de tels projets. Soulignons néanmoins quelques limites inhérentes au concept de dette écologique. Tout d'abord, il faut souligner la difficulté, voire l'impossibilité à récolter certaines données. En effet, alors que la science du climat est encore très approximative, comment évaluer le volume de carbone émis par chaque pays et ainsi estimer sa responsabilité historique pour le changement climatique ? Ou encore, compte tenu de la dynamique des écosystèmes et de leur capacité de résilience, il est très audacieux de prétendre estimer la valeur des services écosystémiques perdus. Ces obstacles concernant les données peuvent en partie être une des raisons pour laquelle il y a de grandes difficultés afin de faire reconnaître le concept plus largement. En effet, une autre difficulté concernant la dette écologique concerne donc sa reconnaissance. Bien que le concept commence à être de plus en plus connu, il n'en est pas pour autant reconnu. Pour terminer, nous estimons néanmoins que le concept de la dette écologique est un instrument tout a fait légitime et digne d'intérêt, et nous déplorons d'ailleurs que le concept ne soit pas davantage soulever dans les discussions internationales. En effet, l'existence effective d'une dette écologique des pays industrialisés du Nord ne fait pas de doute, bien que son estimation soit encore aujourd'hui sujet à controverse. De plus, la relation entre les impacts locaux d'un projet de mine à ciel ouvert et l'accumulation de la créance écologique de l'Equateur est indéniable. En effet, toute les matières extraites sont vouées à l'exportation, et seront donc transformées à l'étranger avant d'éventuellement revenir sur le marché Equatorien sont forme manufacturées, et donc bien plus onéreuses. Enfin, nous souhaitons ouvrir le débat sur un thème controversé dans ce travail, à savoir la reconnaissance ou non du bien-fondé de l'évaluation monétaire des fonctions environnementales. On peut en effet, se poser des questions quant à l'avenir de l'évaluation des fonctions environnementales et se demander si le mécanisme de PSE ne risque pas de connaître certaines dérives dans le future ? Annexes : Annexe 1 : PNB de l'Equateur entre 1980 et 2007 Source : Banque Mondiale, Data & Statistics, Ecuador, GDP Annexe 2 : Comparaison des Flux de Matière par Capita entre l'Europe et l'Equateur (2000) Source : M. C. Vallejo, Biophysical structure of the Ecuadorian economy : Policy implication, Flacso, Quito, 2007 Annexe 3 : Input direct de matière utilisée pas l'industrie floricole, en tonne (1986-2003) Source : U. Villalba (2008), El concepto de deuda ecologica y algunos ejemplos en Ecuador, EcoCri, Bilbao Annexe 4 : Surcoûts liés à l'adaptation au changement climatique Tableau 3 : Surcoûts liés à l’adaptation des investissements au changement climatique – Estimation préliminaire de la Banque mondiale Montant annuel en milliards de dollars Estimation de la part sensible au changement climatique en % Coûts estimés de l’adaptation en % Total par an en milliards de dollars Item APD et financement à des conditions privilégiées 100 40 10–20 4–8 Investissement étranger direct 160 10 10–20 2–3 1.500 2–10 10–20 3–30 - - - 9–41 Investissement national brut Total – Financement de l’adaptation Source : Oxfam L’adaptation au changement climatique. Ce dont les pays pauvres ont besoin et qui devrait payer, Document d'information numéro 104, OXFAM Paris Bibliographie : Accion Ecologica,(1999) No somos deudore, somos Acredores, Accion Ecologica, Quito Ageyman, J. et al. 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Je tiens également à remercier Auroro Donoso d'Oil Watch pour ses conseils précieux, Gloria Chicaiza et Omar Bonilla d'Acccion Ecologica pour m'avoir soutenu dans mes recherches. Merci à Cristina, Natalia et Domenica Martinez, Mario Bandera, Giorgeo Rodriguez, Churchill de Monserato, Vasco Perez, Gabriela Navera, Stanislas Carter, Patricia Gallardo, Anabella Mendez, Cristofer Costa et sa famille. Je remercie également Thomas Bauler pour son soutien actif durant mes investigations, Walter Hecq, Edwin Zaccaï, Marc Degrez pour leur précisions. Je voudrais également remercier ma soeur, Emilie, ainsi que toute ma famille qui m'a soutenu durant toute l'élaboration de mon mémoire de fin d'études. Ainsi que toute l'équipe du CEDD pour leur coopération. Enfin, je remercie Agatte, Federica, Bertrand, Clara, Alice et Pauline. L'Université Libre de Bruxelles. Août 2009.