Portée et faisabilité de l`estimation de la dette écologique

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Université Libre de Bruxelles
Institut de Gestion de l’Environnement et d’Aménagement du Territoire
Faculté des Sciences
Master en Sciences et Gestion de l'Environnement
Portée et faisabilité de l'estimation de la dette écologique.
Deux échelles d'analyses, du national au local.
Mémoire de Fin d'Etudes présenté par
Reinhold Klaes Stefan
en vue de l'obtention du grade académique de
Master en Sciences et Gestion de l'Environnement
Année Académique : 2008-2009
Directeur : Thomas Bauler
Sommaire :
Résumé
Introduction
Partie 1 : Problématique générale de l'extraction des ressources naturelles dans
la région Andine
1.1.
1.2.
1.2.1.
1.2.2.
1.3.
Historique de l'exploitation des ressources naturelles
Rôle des institutions financières internationales dans la politique
extractiviste des pays de la périphérie depuis la fin de la seconde
Guerre mondiale jusqu'à aujourd'hui.
Incitation aux libres échanges et à l'exploitation
Structure de l'économie Equatorienne et poids de la dette extérieur.
Enjeux, une demande toujours croissante de ressources naturelles
Partie 2 : Le concept de dette écologique
2.1.
L'économie écologique et les origines du concept.
2.2.
Définition et enjeux de la dette écologique.
2.3.
Les méthodes d'évaluation.
2.3.1.
Analyse des Flux de Matières (AFM)
2.3.2.
Empreinte Ecologique
2.3.3.
Appropriation Humaine de la Production Primaire Nette (AHPPN)
2.3.4.
Eléments supplémentaires à prendre en compte dans la dette écologique
2.3.4.1.
Dette du carbone
2.3.4.2.
Brevetage du vivant
2.3.4.3.
Perte de Fonction Environnementales
2.4.
Relation entre dette écologique et dette extérieure
Partie 3 : Les différentes échelles d'estimation de la dette écologique.
3.1.
Echelle Nationale, cas de l'Equateur
3.1.1.
Composition de la créance écologique d'après l'analyse de la structure
biophysique de l'économie Equatorienne
Analyse des Flux de Matières
Composantes supplémentaires afin d'estimer la dette écologique
Brevetage du vivant
Dette du carbone
Perte de Fonction Environnementales
Quelles difficultés d'estimation éventuellement rencontrées ? Quelles
faiblesses de l'instrument AFM et plus largement du concept de dette
écologique.
Quelle utilité/légitimité ? Applications possibles dans la sphère juridique.
Analyse de la proposition de Correa concernant le Parc National Yasuni.
3.1.1.1.
3.1.1.2.
3.1.1.2.1.
3.1.1.2.2.
3.1.1.3.3.
3.1.2.
3.1.3.
3.2.
Echelle locale, cas d'une zone d'exploitation minière
3.2.1.
3.2.2.
Cadre de l'étude : Description générale de la région.
Historique de la prospection dans la zone d'exploitation minière
"Mirador"et des conflits qui s'en suivirent.
Explication de l'intérêt de la dette écologique dans l'argumentaire des
mouvements indigènes et écologiques ? Quelle légitimité du concept ?
Méthode d'estimation :
Description des techniques utilisées durant les phases d'exploration,
3.2.3.
3.2.4.
3.2.4.1.
3.2.4.2.
3.2.4.2.1.
3.2.4.2.2.
3.2.4.2.3.
3.2.4.2.4.
3.2.4.3.
3.2.4.3.1.
3.2.4.3.2.
3.2.5.
3.2.6.
d'exploitation et de fermeture de la mine.
Quelles seront les impacts environnementaux (et socio-économique)
supposés de l'exploitation minière à grande échelle ?
Impacts directs : pollution
Perte de fonctions environnementales occasionné par cette pollution
Dette sociale et culturelle
Dette économique
Quels outils d'économie écologique sont les plus adaptés à l'estimation
des impacts d'une mine à ciel ouvert ?
Impact direct de la pollution durant les trois phases
Impact de la perte de fonctions écosystémiques
Quelles difficultés d'estimation éventuellement rencontrées ?
Quelles applications possibles ? Quelles alternatives de développement
pour la région ?
Conclusion
Annexes
Bibliographie
Remerciements
Résumé :
Le présent mémoire traite de la dette écologique et de ses diverses
échelles d'estimation. Le sujet s'inspire d'un projet Européen de coopération
entre des Organisations Non Gouvernementales (ONG) et des instituts de
recherches. Ce projet souhaite fournir des outils d'économie écologique aux
ONG en se basant sur des études de cas. L'étude de cas ici retenue concerne
l'ouverture prochaine d'une mine à ciel ouvert dans la cordillère du Condor, au
Sud-est de l'Equateur.
La problématique traite de la relation entre ce projet minier et la contraction à
l'échelle nationale d'une dette écologique par les pays tiers. Pour cela, nous
avons divisé notre travail en trois parties. Nous analyserons tout d'abord
l'historique de l'exploitation des ressources naturelles en Amérique Latine
depuis la colonisation jusqu'à nos jours. Nous verrons que depuis la découverte
du « nouveau monde », ce continent est l'objet de nombreuses convoitises
pour sa richesse en diverses ressources naturelles. Aujourd'hui, grâce à des
mécanismes de pressions financières, l'exploitation continue et engendre de
graves impacts environnementaux.
Une seconde partie sur l'économie écologique va nous fournir quelques clés de
lecture intéressantes afin de comprendre comment l'économie est imbriquée
dans le plus large système planétaire. Nous verrons ensuite que l'Analyse des
Flux de Matières semble être l'outil le plus prometteur à ce jour afin d'estimer
une dette écologique. En effet, cet outil rend possible la comparaison entre les
flux monétaires et les flux physiques. A partir de là, nous pourrons donc faire
une analyse des relations complexes qui existent entre dette extérieure et
dette écologique.
Ce n'est qu'après ces deux étapes que nous verrons quels outils d'économie
écologique prendre en compte afin d'estimer la dette écologique à l'échelle de
l'Equateur. Pour cela, nous analyserons donc la structure économique
Equatorienne ainsi que les flux de matière que cela engendre. Cependant,
d’autres éléments sont également à prendre en compte, comme la dette du
carbone ou l'utilisation abusive de fonctions environnementales.
Enfin, à l'échelle du projet de mine à ciel ouvert, nous verrons les impacts que
l'exploitation risque d'engendrer. Dés lors, nous allons fournir quelques
éléments d'économie écologique afin d'estimer ces impacts.
Introduction :
« En cherchant la sortie qui nous mènera du développement linéaire au
développement durable, nous serons fatalement amenés à remettre en
question toute une série de postulats culturels, dont il faudra nous défaire si
nous voulons éteindre la dette écologique »1. Cette affirmation de Federico
Mayor, l'ex-président de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la
science et la culture (UNESCO), nous rappelle le lien étroit qui existe entre les
problématiques de développement, d'environnement et d'équité. Elle rappelle
également l'urgence de la situation face aux changements globaux qui nous
menacent.
Dans cette optique, le concept de la dette écologique, mis en évidence au
début des années 90 par plusieurs ONG du Sud, nous semble d'un grand
intérêt afin de faire avancer le débat environnemental à l'échelle planétaire. De
plus, ce concept donne des clés de lecture intéressantes concernant la
responsabilité pour le changement global et la répartition équitable des
interventions aujourd'hui nécessaires afin d'y pallier.
La dette écologique fait appel à plusieurs notions d'écologie mais également
d'économie. En effet, la volonté du concept est de mettre en évidence les
dommages écologiques qu'une entité socio-économique peut causé à une autre
par le biais des échanges internationaux. Comme nous allons le voir, le
fonctionnement actuel du commerce international crée des échanges, non
seulement économiquement, mais également écologiquement inégaux.
La définition du sujet de ce Mémoire de fin d'étude s'inspire d'un projet
Européen de coopération entre des Organisations de la Société Civile (OSC) et
des instituts de recherche (CEECEC : Civil Society Engagement with Ecological
Economics). L'objectif du projet est de fournir des outils d'économie-écologique
aux OSC à travers diverses études de cas. L'étude de cas ici choisie traite de
l'ouverture d'une mine à ciel ouvert dans le Sud-est de l'Equateur, dans la
cordillère du Condor. A cette échelle, l'objectif est donc de donner des outils
d'économie-écologique aux OSC afin qu'elles intègrent les impacts
environnementaux probables dans une plus large Analyse Coût Bénéfice (ACB)
du projet. Par la suite, l'idée est venue d'étendre le concept d'estimation des
impacts environnementaux, donc de dette écologique, à l'échelle de l'Equateur.
Soulignons également que la préparation de ce Mémoire de fin d'étude a
nécessité un déplacement d'un mois en Equateur. Pendant ce temps
d'investigation, j'ai été accueilli par l'Organisation Non Gouvernementale
(ONG) Accion Ecologica, pionnière dans l'élaboration du concept de dette
écologique. Une sortie de terrain dans la cordillère du Condor a également été
réalisée. Là, j'ai pu constater la richesse de l'écosystème et surtout pu
échanger des idées avec les populations locales. J'ai donc pu connaître plus
largement leurs points de vue concernant l'ouverture de la mine et des
alternatives possibles. L'accès à la concession est cependant fermé depuis les
récents affrontements qui ont opposés les détracteurs du projet aux forces de
1
Federico Mayor, Discours du Directeur général de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la
culture (UNESCO) à la séance de clôture du Séminaire sur "Le Ve centenaire et l'environnement", San Salvador,
(Bahamas), 2 août 1991
l'ordre. La tension dans les communautés avoisinantes du projet restait
palpable au moment de ma visite.
Le présent travail souhaite donc considérer la problématique générale
de la faisabilité et de la légitimité de l'évaluation de la dette écologique, et ce à
deux échelles différentes. Cette double échelle d'analyse, du national au local,
souhaite également explorer la question du lien entre l'impact environnemental
d'un projet minier et la contraction à l'échelle nationale d'une dette écologique
par les pays tiers jouissant des ressources extraites. Cela sera donc notre
problématique principale.
Par la suite, le choix a été fait de diviser notre problématique générale en
deux, selon l'échelle d'analyse.
La première problématique concerne donc l'estimation de la dette écologique à
l'échelle de l'Equateur. Nous avons souhaité savoir si le concept est intéressant
et légitime dans le cadre des négociations internationales concernant la
possible annulation de la dette externe de ce petit pays andin, et si elle peut
favoriser la reconnaissance de l'initiative Yasuni-ITT ?
A l'échelle plus locale du projet d'exploitation minière, notre problématique
concerne la validité de l'estimation d'une éventuelle future dette écologique.
Cependant, étant donné que le projet d'exploitation n'a pas encore commencé,
parler de dette est ici vide de sens. Nous allons donc nous limiter à donner des
pistes d'estimation d'une ACB du projet internalisant les impacts
environnementaux. La problématique de départ était donc d'explorer la
faisabilité puis la légitimité d'une tel ACB.
Avant de nous intéresser spécifiquement à ces questions, nous allons amener
le sujet en présentant un aspect historique de l'exploitation des ressources
naturelles du continent Sud-américain par la force colonisatrice et des
dommages environnementaux qui en ont découlés.
Nous verrons dans un second temps quelques notions d'économie écologique
afin de mieux comprendre la notion de dette écologique. Nous expliquerons
également à la fin de cette partie la relation ambiguë qui existe entre dette
extérieure et dette écologique.
Nous passerons ensuite à notre troisième partie qui tente de répondre aux
deux problématiques, en commençant par l'échelle de l'Equateur. Dans ce
premier chapitre, nous verrons pourquoi l'Analyse des Flux de Matière (AFM)
nous semble être le meilleur instrument de départ afin d'estimer une dette
écologique dans la pratique.
Après cela, nous analyserons l'échelle locale de notre exploitation minière.
Après une présentation sommaire de la cordillère du Condor et des luttes qui
ont accompagnées la phase d'exploration minière, nous verrons quels sont les
impacts supposés du projet et différentes façons les estimer.
Partie 1 : Problématique générale de l'extraction des ressources naturelles
dans la région Andine
1.1. Historique de l'exploitation des ressources naturelles
L'arrivée des premiers hommes sur le continent Américain est encore
aujourd'hui sujette à controverse. Une majorité d'historiens valident la thèse
d'un peuplement par le détroit de Béring il y a environ 11 000 ans alors que
d'autres thèses soutiennent que les premiers hommes seraient arrivés entre 40
000 et 30 000 avant notre ère2. Quoi qu'il en soit, ces peuples venus d'Asie
étaient initialement des chasseurs-cueilleurs, lesquels avec l'avènement de
l'agriculture se sont sédentarisés. A l'origine, à savoir avant les relations outreatlantique massives du continent américain avec le reste du monde, existaient
deux foyers de peuplement – l'un en Amérique centrale et l'autre dans la
région andine autour du Pérou actuel – avec des Etats, des villes, une
agriculture intensive et un développement technique et religieux considérables.
Nous allons ici nous focaliser davantage sur l'histoire de la région andine
(avant de nous focaliser sur l'Equateur actuel, lorsque les premières frontières
se sont dessinées).
Bien que relativement peu nombreux, ces peuples précolombiens avaient déjà
un impact sur leur environnement dès lors qu'ils se sont installés et ont
commencé à travailler la terre. En effet, afin de pouvoir subvenir aux besoins
de chacun, les souverains, et notamment l'Inca, se devaient d'avoir un empire
fort bien organisé.
A cette époque, les sociétés précolombiennes connaissaient déjà des
techniques agricoles pointues, le plus souvent basées sur la culture en terrasse
en raison de la topographie andine. Cette technique agricole suppose le
développement d'un système de canalisation complexe comme on peut en
observer dans la célébrissime cité de Machu Picchu. Ce type d'agriculture, allié
à une forte organisation hiérarchique de la société a donc pu permettre la vie
et le développement des peuples précolombiens andins. On peut néanmoins
citer le fait que ce type d'agriculture, comme tout type d'agriculture d'ailleurs,
a appauvri les sols et détourné de nombreux cours d'eaux. Bien que
provoquant une altération de l'état de l'environnement originel, les impacts
n'étaient qu’infimes par rapport à ce que le continent allait connaître.
Les populations précolombiennes affectaient également l'état de leur
environnement par l'ouverture de mines et de carrières. En effet, les
populations précolombiennes sont aujourd'hui mondialement reconnues pour
les imposants bâtiments qu'elles édifièrent. Cela passe donc par l'ouverture de
carrières. L'exploitation minière servait également à extraire de l'or, un métal
alors considéré comme le sang des Dieux et dont s'ornaient les empereurs de
l'époque. Ces extractions avaient sans aucun doute un impact sur
l'environnement, bien qu’elles ne s’effectuaient qu'à très petite échelle.
2
Luis Esteban G. Manrique, De la conquista a la globalizacion, Estados, naciones y nacionalismo en América Latina,
Politica Exterior Biblioteca Nueva, 2006, Madrid
Le réel bouleversement dans les relations entre l'homme et son
environnement sur le continent Sud Américain est arrivé avec la Conquista.
C'est en 1492, date à laquelle Christophe Colomb croyait découvrir un nouveau
chemin pour les Indes que l'on date le début de la colonisation du continent.
En effet, très peu de temps après, de nombreux colons, avec la bénédiction du
pape et l'aval de la couronne Espagnole ou Portugaise, se lancèrent à la
conquête du continent.
Une fois que les Conquistadors se rendirent compte qu'ils avaient découvert
non pas un nouveau chemin pour les Indes, mais un « nouveau monde », une
âpre bataille pour les terres et leurs ressources s'engageait. Cependant, les
deux nations colonisatrices se mirent d'accord sur le partage des terres encore
à découvrir grâce à la signature du traité de Tordesillas en 1494. Celui-ci
accordait à l'Espagne toutes les terres nouvellement découvertes à l'ouest du
méridien qui se situerait aujourd'hui à 46° 37' ouest. Ce traité remontant à
plus de cinq siècles explique la division linguistique toujours d'actualité entre le
Brésil et le reste du continent.
Dès la découverte de l'Amérique latine par Christophe Colomb, la
Couronne Espagnole envoya donc des navigateurs ayant pour principale
mission de découvrir et de ramener des richesses. Cette conquête ne peut que
rappeler la reconquête de la péninsule Ibérique par les chrétiens Espagnols qui
s'acheva la même année que la découverte du nouveau monde. « L'énergie,
l'esprit de croisade, le militarisme, la ferveur missionnaire et les institutions
sociales et politiques qui donnèrent à l'Espagne la victoire sur les Arabes
étaient maintenant transposées vers la conquête des Amériques »3. Les
chrétiens espagnols, fort de leur victoire sur les « moros », se lancèrent donc à
la conquête du nouveau monde afin d'en ramener des richesses et cela ne
pouvait se faire qu'avec la soumission préalable des peuples présents sur
place.
Là, les structures sociales très hiérarchisées de l'empire Inca ainsi que
certaines convictions religieuses et mythologiques permirent à l'ordre colonial
de s'établir avec une relative facilité, bien que des poches de résistance
demeurèrent. Une ancienne prophétie de l'Inca Viracocha avait prédit l'arrivée
par la mer d'hommes étrangers qui envahiraient et détruiraient l'empire.
Huayna Capac, le onzième et dernier souverain Inca, est alors supposé avoir
conseillé à ses sujets de se soumettre aux nouveaux arrivants 4. C'est
également une structure hiérarchique très forte de l'empire qui aurait
partiellement permis aux conquistadors de s'emparer si facilement d'énormes
portions de territoire. En effet, en coupant la tête (littéralement) aux chefs de
3
4
Howard J. Wiarda, 2001, The soul of Latin America, the cultural and political tradition, Yale University Press, New
Haven & London
B.S. Bauer, R.A. Covey (2002), Processes of state formation in the Inca heartland (Cuzco, Peru), American
Anthropologist, New Series, Vol. 104, No. 3, pp. 846-864
l'empire et en y plaçant un nouveau dirigeant espagnol, les colons purent
reprendre les rênes du pouvoir relativement facilement.
Un autre facteur ayant facilité l'assujettissement du peuple autochtone par les
colons est l'apport de maladies inconnues des systèmes immunitaires
indigènes. Aux alentours de 1580, on considère que 50 à 70% des indigènes
mourraient de maladies importées5. Ce facteur est sans doute le plus important
dans le processus d'asservissement du continent. Que ce soit conscient ou non,
c'est sans doute la première invasion biologique de l'histoire, où une région du
monde a pu avoir tant d'influence dans la structure démographique d'un autre
continent.
Avec l'arrivée de l'homme blanc en Amérique, c'est également une nouvelle
vision des relations entre l'homme et son environnement qui s'imposa. « On
reconnaît ainsi comment se sont entrechoqués deux mondes différents, avec
des visions et des pensées radicalement opposées sur la relation entre l'être
humain et la nature »6. En effet, les peuples précolombiens avaient, et ont
encore aujourd'hui dans une certaine mesure, une cosmovision qui leurs
assurent une relation harmonieuse avec la Nature. La Pachamama (Mère
Nature) est la divinité protectrice qui assure la vie à l'homme grâce aux
apports de ce qui l'entoure : la Nature. Au contraire, les colons voyaient la
nature comme une construction de Dieu, qui leur avait donc été offerte par
celui-ci et dont ils pouvaient jouir comme bon leur semblaient. C'est donc toute
une philosophie et une vision de la vie qui allaient être bouleversée avec la
conquista.
Plus tard durant le XVIIème siècle, alors que le nombre d'autochtones était en
chute libre, on assista à la mise en place du tristement célèbre « commerce
triangulaire » qui avait notamment comme objectif l'acheminement d'esclaves
aux Amériques afin de faire tourner les plantations qui assuraient par exemple
le sucre et le café dans les capitales européennes. En effet, il s'agissait de
remplacer une force de travail en déclin par des nouveaux hommes venus
d'Afrique. Cela aura évidemment des conséquences jusqu'à aujourd'hui sur les
sentiments d'appartenances nationales de nombreux pays Latino-Américains.
L'Amérique pouvait donc être considéré comme « une invention de plus, qui
participait avec la poudre, l'imprimerie, le papier et la boussole à la naissance
bouillonnante des Temps modernes ». Ce vaste continent n'était alors
considéré pour certains que comme une réserve de matières premières en tout
genre : tabac, sucre, minéraux, cacao et plusieurs autres produits en étaient
exportés.
Pendant les quasi trois siècles d'existence du Virreinato del Perù (Vice-royauté
du Pérou, l'autre vice-royauté étant basée sur le Mexique actuel) d'énormes
5
Noble David Cook, María Asunción Gómez, La conquista biológica: Las enfermedades en el nuevo mundo, 14921650, Siglo XXI de España Editores, 2005, Madrid
6
M. Lanuza et al., 2007, Una aproximacion a la deuda ecologica de la Union Europea con Centroamerica,Unidad
Ecologica Salvadorena, El Salvador C.A.
quantités d'or et d'argent ont été extraites du continent Sud Américain. Le
journaliste Urugayen Eduardo Galeano estime qu'entre 1503 et 1660, cent
quatre-vingt-cinq mille kilogrammes d'or et seize millions de kilogrammes
d'argent arrivèrent dans la métropole7. L'Espagne s'est donc largement
construite sur l'or et l'argent prélevés sur le « nouveau monde ». Ces métaux
provenaient en grande partie de la célébrissime montagne de Potosi. Comme le
dit Eduardo Gallenao « L'Amérique était alors une vaste mine dont l'entrée
principale se trouvait à Potosi ». « L'Encomienda était alors une pratique
imposée aux indigènes, grâce à laquelle les Espagnols obtinrent gratuitement
des richesses produites et accumulées par les indigènes »8. Cette pratique
proche du servage était essentiellement appliquée dans les mines et les
champs.
A cette époque en Europe, il faut considérer que « l'Espagne possédait la vache
mais (que) d'autres buvaient son lait ». En effet, le pays était en quelque sorte
la « planche à billets » de l'Europe, grâce à l'exploitation des richesses des
vastes territoires d'Amérique du Sud. C'est notamment une des raisons pour
laquelle la zone ibérique s'est par la suite retrouvée en retard de
développement et n'a quasiment pas participé aux siècles des lumières
contrairement à ses voisins européens du Nord. En effet, tandis que la France,
l'Allemagne mais surtout l'Angleterre bâtissaient les fondations de la toute
prochaine révolution industrielle, la bourgeoisie espagnole et portugaise se
contentait de vivre dans l'opulence grâce à de l'argent facilement gagné par les
conquistadors.
Cependant, il faut également nuancer cette affirmation en mettant en avant le
rôle de la religion. En effet, l'avènement du Protestantisme en Europe du Nord
a permis un rapport plus libre au travail et surtout à la valeur engendrée par
ce labeur. Les textes de Luther prônaient en effet un rapport plus libre, voir
décomplexé à la richesse, si celle-ci était créée de façon honnête. Les pays du
pourtour méditerranéen, au contraire ancrés dans un catholicisme très strict,
avaient un rapport plus ambigu à l'argent. Enfin, encore concernant la religion,
il faut également souligner le « génocide culturel » qui a eu lieu sur le
continent Sud-Américain sous prétexte d'évangéliser des peuples.
« Malheureusement, la croix de l'homme blanc allait de pair avec l'épée »9.
Aujourd'hui encore le musée de l'inquisition de Lima atteste des atrocités
commises sous le prétexte d'évangéliser le nouveau monde.
Il doit donc clairement être entendu qu'à cette époque l'Espagne « a été
presque intouché par la réforme protestante ou par la Renaissance italienne;
elle (l'Espagne) n'a pas connu de révolution scientifique, n'a pas eu
d'équivalent à Hobbes ou Locke, ou encore de montée de l'individualisme
politique ni de théorie de contrat social ou de révolution industrielle »10.
7
E. Galeano, 1971, Les veines ouvertes de l'Amérique Latine, Siglo XXI de España Editores, Madrid
M. Lanuza et al., 2007, Una aproximacion a la deuda ecologica de la Union Europea con Centroamerica,Unidad
Ecologica Salvadorena, El Salvador C.A.
9
Nicolau d'Olwer, Comments on the evangelization of the new world, The Americas, vol. 14, No.4 Special Issue:
Conference on the History of Religion in the New World during Colonial Times (Apr., 1958), pp. 399-410
8
10
Howard J. Wiarda, 2001, The soul of Latin America, the cultural and political tradition, Yale University Press, New
Bien que l'Espagne avait le rôle du conquistador, « ce furent les autres pays
d'Europe qui purent engendrer le capitalisme moderne en profitant en grande
partie de la dépossession des peuples indigènes d'Amérique »11. Eduardo
Galeano estime ainsi à huit millions le nombre de morts dans les mines de
Potosi durant les trois siècles d'exploitation qui précédèrent sa découverte
(signalons au passage que l'exploitation du « Cerro Rico », la « riche
montagne » jouxtant la ville de Potosi, continue encore aujourd'hui) 12. Mis à
part ce dramatique génocide par le travail forcé, il faut également citer les
dommages environnementaux qui se faisaient évidemment déjà sentir à
l'époque. « A cause de la fumée des fours, il n'y avait ni pâturages ni récoltes
dans un rayon de six lieues à la ronde, et les émanations n'étaient pas moins
implacables pour les corps des hommes » nous apprend E. Galeano. A ce jour,
le site est encore gravement contaminé par des lixiviats et par les poussières
engendrées par les explosions13.
Le cas de Potosi reste le plus connu, mais depuis la colonisation ce sont des
milliers de mines qui ont ainsi été exploitées à travers l'Amérique Andine et
ailleurs. Il ne faut pas non plus oublier le grand dommage environnemental
causé par la déforestation. En effet, les colons faisaient abattre de grandes
quantités d'arbres afin de faire fondre les métaux précieux, construire leurs
bateaux et leurs habitations ou tout simplement pour consolider les galeries
des mines. Le cas de la ville de Potosi, autrefois partagé entre splendeur et
esclavagisme, nous éclaire donc sur les possibles dommages
environnementaux et sociaux de l'exploitation minière.
A mesure que s'approche l'ère de la révolution industrielle, les colons
installés en Amérique du Sud souhaitent de plus en plus prendre leur
indépendance vis à vis de la métropole qui est toujours ancrée dans une
logique chrématistique. C'est le début de l'affranchissement et des volontés
d'autonomie politique et économique. En effet, la bourgeoisie locale souhaite
faire du commerce librement avec d'autres pays d'Europe, sans devoir tout
reverser à l'Espagne. « Entre 1808 et 1825 tous les facteurs en faveur de
l'indépendance Latino-américaine étaient présents : les révolutions en Europe,
l'indépendance des Etats-Unis, les excès de l'absolutisme espagnol, les
doctrines constitutionnelles de Cadiz, la foi romantique des libérateurs, les
ambitions politiques des oligarchies créoles, la diffusion des idées de Rousseau
et de l'encyclopédie, et la décadence de l'Espagne. »14
En 1825, la Bolivie est le dernier Etat de l'Amérique andine rendu indépendant,
grâce notamment à l'armée de Bolivar. Bien qu'officiellement indépendants, les
nouveaux Etats restent largement tributaire de l'Europe occidentale, du moins
économiquement, mais aussi culturellement. Par la suite, on observera un
glissement de subordination en faveur des Etats-Unis. En effet, ces deux
11
12
13
14
Haven & London
E. Galeano, 1971, Les veines ouvertes de l'Amérique Latine, Siglo XXI de España Editores, Madrid, p. 45
E. Galeano, 1971, Les veines ouvertes de l'Amérique Latine, Siglo XXI de España Editores, Madrid, p. 49
J. Forero, 2003, As Bolivian miners die, boys are left to toil, The New York Times, édition du 24 mars
Luis E. G. Manrique, 2006, De la conquista a la globalizacion – Estados , naciones y nacionalismos en America
Latina, Madrid, Biblioteca nueva - Estudios de politica exterior
continents, Europe et Amérique du Nord, peuvent déjà se définir comme étant
du « centre » si l'on considère que le reste du monde participe déjà à leur
métabolisme social. Ce concept de métabolisme social a été défini comme « la
façon dont les sociétés établissent et maintiennent des entrées et sorties de
masses (énergie et matière) avec la nature; le mode par lequel elles
organisent l'échange de matière et d'énergie avec l'environnement »15.
L'opinion ici défendue est que le métabolisme social croissant du centre n'a été
possible que grâce aux prélèvements de matière et d'énergie effectués dans la
périphérie.
Dans un système géographique, le centre est communément défini comme
l'espace qui commande et qui bénéficie de la périphérie, qui elle au contraire
subit16. Ces pays dits du centre ont d'ailleurs évolué vers une logique
économique mercantiliste, c'est à dire basée sur l'accumulation du capital
grâce au commerce extérieur qui permet de dégager un excédent dans la
balance commerciale. Cela prévaut pour les nations européennes, mais
l'Amérique latine reste un territoire que l'on exploite pour ces richesses, sans
faire de commerce.
L'avènement de la révolution industrielle en Europe ancre définitivement
jusqu'à nos jours cette relation de centre-périphérie. En effet, les nouvelles
techniques d'exploitation de l'énergie (passage du bois au charbon, puis au
pétrole par la suite) et des moyens de transport plus rapides, notamment le
train, permettent à l'Europe une grande diffusion de connaissance et de
richesse, mais la rend dans un même temps de plus en plus dépendante d'un
nombre croissant de ressources naturelles. Cette exploitation de ressources
commence évidement en Europe, à proximité des lieux de transformation. On
pense notamment aux bassins houillers du Nord de la France ou de la Belgique
en ce qui concerne l'énergie fossile. Concernant les métaux, ils sont
essentiellement extraits et transformés en Europe. Mais par la suite, les
besoins grandissants du métabolisme social des centres (Europe occidentale et
Etats-Unis) engendrent une incroyable augmentation des extractions de
matières premières dans les pays de la périphérie.
La révolution industrielle permet à l'Europe de manufacturer de nombreux
produits, ce qui leurs rajoutent une plus-value considérable par rapport aux
matières premières. On assiste donc parallèlement, dés le début du XIXème
siècle, au début de la division internationale du travail.
Certains économistes classiques comme Ricardo expliquent également cette
division internationale du travail par la théorie de l'avantage comparatif. Celleci stipule que lorsqu’un pays se spécialise dans la production pour laquelle il
est, comparativement à ses partenaires, le plus avantagé ou le moins
désavantagé, il est alors assuré d’être gagnant au jeu du commerce
international. Une critique ici cruciale contre la théorie de l'avantage
comparatif est qu'elle ne distingue pas sous le terme « production » entre
15
Fischer-Kowalsky et H. Haberle (1994), On the cultural evolution of social metabolism with nature, Iff Vienna,
n.40, p. 3
16
Wolfgang Hoeschele (2002), The Wealth of Nations at the Turn of the Millennium: A Classification System Based on
the International Division of Labor, Economic Geography, Vol. 78, No. 2, pp. 221-244
extractions de matières premières et production, c'est à dire manufacturer des
objets grâce à ces matières premières.
En fait, dans un contexte historique davantage marqué par l'impérialisme que
par le libre-échangisme, la détention d’avantages comparatifs par les nations
les moins puissantes s’est souvent transformée en véritable malédiction,
surtout lorsqu'il s'agit d'un avantage comparatif par rapport à une ressource
naturelle spécifique, c'est ce que l'on nomme communément la « maladie
hollandaise » que nous expliquerons plus en détails plus loin. Revenons au cas
de l'Amérique andine et aux causes de son « sous-développement » suivant la
période de décolonisation et de révolution industrielle en Europe.
Après plus de trois siècles de colonisation, l'Amérique Latine en général n'avait
pas acquis d'expérience en gouvernance et n'avait que peu d'infrastructures.
De plus, les guerres d'indépendances avaient largement fragilisé l'économie
Latino-américaine17. Après l'indépendance, beaucoup de pays n'avaient plus de
débouchés sur le marché espagnol et manquaient d'autres débouchés à
l'étranger pour faire jouer leurs avantages comparatifs. Leurs économies
plongèrent donc dans un cycle vicieux de déclin.
Par la suite, on peut, selon H. J. Wiarda, H. F. Kline, distinguer deux périodes
dans le développement de l'Amérique latine. L'une de 1850 à 1890 qui a vu
plus de stabilité et l'émergence de richesses, d'investissements accrus, de
croissance démographique, et de développement d'infrastructures. Cela a
établit les conditions pour une seconde période de 1890 à 1930 qui a permis
au continent d'expérimenter un certain décollage économique, certes moins
vigoureux qu'aux Etats-Unis, mais qui a néanmoins ouvert le continent a des
exportations mondiales de matières premières. Egalement à la différence des
Etats-Unis, le continent a connu cette croissance sous des régimes non
démocratiques et souvent sous l'influence militaire des USA, ce qui peut
expliquer les futures tensions avec le voisin Nord Américain durant le XXème
siècle. Au tournant du siècle, l'Amérique Latine est définitivement intégrée
dans « l'Economie-monde » et en dépend.
17
H. J. Wiarda, H. F. Kline, 2001, An introduction to Latin American politics and development, Westview Press,
Oxford
Figure 1 : Production de produits tropicaux de la périphérie entre 1840 et 1950
Source : Paul Bairoch (1992), Du Tiers-Monde aux Tiers-Mondes, Convergences et clivages
Population (French Edition), 47e Année, No. 6, Hommage à Alfred Sauvy (Nov. - Dec., 1992),
pp. 1485-1503
Ce tableau nous informe de l'évolution de la production de café, de cacao, de
sucre de canne et de caoutchouc des trois continents de la périphérie. On
constate que pour les trois premiers produits, l'Amérique Latine est toujours à
la première place durant la période analysée (1840-1950), à l'exception de la
production de cacao Africaine qui décolle entre 1912 et 1950 pour finalement
devancer l'Amérique latine.
Ces produits sont les principales matières premières exotiques dont une large
part de l'économie latino-Américaine dépend encore aujourd'hui . L'incroyable
augmentation de la production est essentiellement suscité par la demande des
pays du centre dont les niveaux de vie croissants permettaient d'absorber des
quantités croissantes de ces produits, luxueux pour l'époque.
Concernant la production minière, les évolutions sont sensiblement les mêmes
qu'avec la biomasse, à savoir une augmentation constante de la production, ou
plutôt de l'extraction. Mais distinguons deux temps dans l'exportation de
minerai, l'une avant l'explosion des moyens de transports à l'échelle mondiale
et l'autre après. Evidemment, la découverte de la machine à vapeur a permis
de faire fonctionner de gros navires et a ainsi décuplé les possibilités de
transport, surtout concernant les matières pondéreuses comme le minerai.
Depuis, le continent a toujours été réduit à un rôle d'exportateure de matières
premières, le plus souvent de biomasse (sucre, cacao, café, fruits exotiques
divers...) et n'a ainsi pas pu réellement diversifier son économie. Vu que
l’Europe était déjà fort avancée dans sa révolution industrielle, il était
impossible pour l’Amérique Latine de développer une industrie pour faire
concurrence aux produits manufacturés européens bon marché sans imposer
une protection douanière forte. Or, l’Amérique Latine, au vu de cet échange
économiquement inégalitaire, était obligée de vendre ses produits agricoles
tropicaux aux pays industrialisés pour pouvoir acheter des produits
manufacturés.
Nous insistons donc ici sur le fait que le modèle de développement global est
désormais dicté par la supériorité économique et militaire du centre. Afin de
s'insérer dans l'Economie-monde et pouvoir prétendre à un modèle de
développement « à l'occidentale », le reste du monde doit s'adapter aux règles
du marché international. Voyons à présent quelles ont été ses évolutions
durant les dernières décennies.
1.2.
1.2.1.
Rôle des institutions financières internationales dans la politique
extractiviste des pays de la périphérie depuis la fin de la seconde
Guerre mondiale jusqu'à aujourd'hui.
Incitation aux libres échanges et à l'exploitation
Au lendemain de la seconde Guerre mondiale, les nations victorieuses
d'occident (Etats-Unis en tête) se sont lancées dans une logique de
containment qui visait à réduire l'influence communiste dans le monde, et au
nom de la liberté, ces nations se sont mises à promouvoir le « libre-échange ».
Cependant cette doctrine se devait d'être institutionnellement encadrée à
l'échelle mondiale afin d'en faire respecter les règles partout (dans le monde
« libre » tout du moins). C'est pourquoi on assiste en 1944 à la création du
Fond Monétaire International (FMI), en 1945 à la création de la Banque
Mondiale, et en 1947 à l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce
(General Agreement on Tariffs and Trade : GATT, future OMC).
L'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) est créée en 1995 et remplaçant
donc officiellement le GATT, mais le système commercial que représente
l'organisation est déjà en place depuis la fin de la seconde Guerre mondiale. Le
but de l'organisation est d'aider les négociants des marchés mondiaux à
commercer plus facilement grâce à la suppression des barrières au libreéchange. Cela suppose, dans le cadre de négociation entre Etats, d'aller le plus
possible vers l'abolition graduelle de toutes les dérogations et exemptions,
tarifaires ou autres, dont certains des pays les plus pauvres pouvaient
bénéficier. « En partant du principe que, dans la compétition sur les marchés
mondiaux, les Etats-Unis et l’Allemagne sont sur un pied d’égalité avec le Mali
et le Paraguay, tout protectionnisme est injustifié »18.
En effet, l'OMC est sujette à de nombreuses accusations de la part des pays de
la périphérie qui lui imputent de favoriser davantage les entrepreneurs des
pays riches que les salariés ou les pays pauvres. Il est en partie vrai que des
pays ayant connu un développement et une croissance économique plus
précoces et ayant donc pu développer des technologies plus pointues vont
inonder les marchés des pays tiers avec leurs produits. Ces derniers ne
pourront concurrencer « à égale » les pays du centre, car ils sont dépendants
de leurs produits. L'idée ici défendu est que la comparaison, pondéralement
parlant, d'un kilo de banane avec un kilo de matériel électronique ne s'équivaut
pas en matière de prix. Il y a donc, comme nous l'expliquerons plus en
profondeur ultérieurement, un échange écologiquement et économiquement
inégale.
En d'autres termes, « les droits de douane et les subventions sur les
exportations et les importations sont les outils les plus subtiles et hypocrites
qu'un pays puissent utiliser pour en exploiter un autre. [...] Un droit de douane
fixé par un pays riche sur ses importations est une agression monopolistique et
non une protection »19
Les deux autres institutions financières internationales, à savoir le FMI et la
BM, ont initialement été créées afin d'assurer la reconstruction de l'Europe
après la seconde Guerre mondiale. Après une rapide reconstruction largement
rendue possible grâce aux fonds américains du Plan Marshall, l'Europe reprend
donc sa place sur la scène internationale en tant que leader économique, mais
pour la première fois de l'histoire, en seconde position derrière les Etats-Unis.
Ces deux institutions, ayant rempli leurs missions originelles vont alors
effectuer un glissement de leurs objectifs durant les années 1960 et 1970. La
BM va se focaliser sur la réduction de la pauvreté de par le monde, et selon
l'idéologie qui prédomine dans l'institution, cela passe par la croissance
économique, donc l'accroissement du PIB. Le FMI reste cantonné à sa mission
première, à savoir la régulation des taux de change internationaux. Durant les
années 1980, après les crises pétrolières et les crises des dettes extérieures
des pays de la périphérie, et particulièrement en Amérique Latine, les objectifs
de développement et de réduction de la pauvreté vont être englobés dans ce
que l'on nomme communément le « Consensus de Washington ».
Le consensus de Washington consiste en une série de politiques
visant à résorber la profonde crise économique qui a principalement touché
l'Amérique Latine. « La décennie des années 80 - la « décennie perdue » avait été marquée par une profonde crise économique, une hyperinflation
dévastatrice, avec toutes leurs conséquences : déstructurations sociales et
instabilités politiques. La crise de la dette extérieure, écartant le souscontinent des marchés financiers, le saigna à blanc, avec un transfert net
(négatif) de ressources financières, de près de 25 milliards de dollars en
18
19
M. Chemillier-Gendreau, novembre 2007, Organisation Mondiale du Commerce, Le Monde Diplomatique, Paris
S.-C. Kolm, 1969, L'exploitation des nations par les nations, Revue économique, Vol. 20, No. 5, pp. 851-872,
Science Po University Press
moyenne annuelle, en direction du Nord20 ». Ces 25 milliards peuvent être
comparer au PNB Equatorien durant la décennie 1980 qui n'a fluctué qu'entre
10 et 15 milliards de dollars21 (cf. annexe 1 : graphique de l'évolution du PNB
Equatorien depuis 1980 jusqu'en 2008).
Afin de pallier à cette situation, des mesures radicales ont été prises sous la
pression des institutions financières internationales pour réorienter l'économie
des pays en crise vers le néo-libéralisme. Pour renégocier leurs dettes
extérieurs, les gouvernements concernés devaient se plier aux « politiques
d'ajustements structurels ». Concrètement, cela entend moins d'intervention
de l'Etat grâce à la privatisation de nombreux secteurs clés comme l'éducation,
la santé, le logement, l'aide sociale etc., mais aussi moins de subventions pour
les produits de premières nécessités. Ce nouveau dogme économique
préconisé notamment par Reagan et Thatcher prévoyait également que les
pays riches en ressources naturelles devaient faire jouer leurs avantages
comparatifs en misant tout sur l'exportation afin de faire rentrer des devises.
Cette politique du tout à l'exportation, qu'il s'agisse de biomasses ou de
minéraux, a forcément accéléré la dégradation de nombreux écosystèmes. De
plus, avec la privatisation de ces secteurs extractifs, les capitaux engendrés
par l'exportation seront surtout empochés par des compagnies étrangères.
Une étude de Eric Berr et de François Combarnous a mis en place un indicateur
synthétisant les 10 mesures phares du consensus de Washington et a ainsi
« montré que les pays appliquant fidèlement les recommandations du
consensus de Washington, qu’ils aient un Etat fort ou non, n’avaient pas de
meilleurs résultats que les autres, que ce soit en terme de croissance — qui
était l’objectif affiché des institutions financières internationales —, de
développement (IDH), ou de réduction de la dette. Pire, il apparaît que
l’application du consensus de Washington est allée de pair avec une hausse des
inégalités et qu’elle n’a pas permis aux Pays En Développement de mieux
s’intégrer dans le grand marché mondial. »22
1.2.2.
Structure de l'économie Equatorienne et poids de la dette extérieur.
Recentrons-nous à présent sur le cas spécifique de l'Equateur, petit
pays Andin dépendant largement de l'exportation de biomasses, puis de
pétrole après la découverte de gisements importants dans le courant des
années 70. Le pays a donc fait jouer ses avantages comparatifs dans ces
divers domaines. Mais le fait de dépendre largement des exportations de
pétrole crée une forte dépendance aux fluctuations internationales. Après les
crises pétrolières, intensifiées par le phénomène climatique El Nino qui
endommagea largement l'agriculture, le pays plongea donc dans une grave
crise économique durant les années 80. « Le sucre (monnaie nationale
jusqu'en 2000) tomba dans une hyper-inflation, le pays ne put plus s'acquitter
de sa dette extérieure, et le secteur bancaire entier s'effondra pendant que les
20
Le Monde Diplomatique - Le consensus de Washington, http://www.mondediplomatique.fr/cahier/ameriquelatine/consensuswashington (03/07/2009)
21
World Bank, Data & Statistics, Ecuador, GDP : http://ddp-ext.worldbank.org/ext/DDPQQ/showReport.do?
method=showReport (03/07/2009)
22
E. Berr, F. Combarnous, 2004, L’impact du consensus de Washington sur les pays en développement : une
évaluation empirique, Centre d'économie du développement, IFReDE, GRES, Université Bordeaux IV
Equatoriens se précipitaient pour mettre leurs comptes dans une devise plus
stable, telle que le dollar US »23. Des troubles éclatèrent fin 1999 après que le
président Mahuad ait préconisé une dollarisation de l'économie. Il fut renversé
mais remplacé par Noboa, également défenseur de la dollarisation. Au
printemps 2000, le gouvernement commença à échanger massivement le
Sucre contre le Dollar à un taux dérisoire de S/. 25,000 = $1.
Au niveau macro-économique, on peut au premier abord penser que cela eut
des conséquences positives, sachant que le PIB passa de -7.3% en 1999 à
5.6% en 2001, mais ces chiffres cachent une autre réalité micro-économique.
En effet, trouver un travail était toujours difficile et l'accès au crédit restait très
sélectif avec un taux d'intérêt proche de 20%. De plus, les effets des politiques
d'ajustements structurelles se faisaient toujours ressentir. En effet,
l'agriculture familiale de subsistance ainsi que les petits commerces (ou microentreprises) ont largement été négligés par le consensus de Washington.
Evidemment, un niveau minimum de rendement économique est nécessaire
pour satisfaire les besoins de base. Mais afin de subvenir à ses besoins, la
population dépend davantage de la manière dont sont redistribués les
excédents économiques que du niveau absolu de revenu par capita (donc du
PIB/capita). Et bien que le revenu par capita augmente, ce serait donc une
mauvaise allocation des revenus de la « production » (dans production on
inclut les extractions de matières premières) qui a engendré le fait qu'encore
aujourd'hui près d'un Equatorien sur trois vit sous le seuil de pauvreté 24. Il faut
cependant signaler au passage que cela est également lié à la corruption
endémique, qui favorise l'enrichissement personnel de quelques personnes au
détriment de la majorité. « Pour beaucoup de pays, la dépendance à des
ressources naturelles extractibles – tel que l'aquaculture de crevette, le pétrole
ou le bois brut (trois activités très présentes en Equateur) – a été marquée par
des cycles d'intenses accroissements puis d'intenses ralentissements. Ces
industries sont caractérisées une tendance à la concentration des richesses
entre les mains d'un petit nombre (souvent des compagnies étrangères), leur
manque de soutenabilité et leur contribution à la corruption »25.
Pour revenir à la problématique de la dette extérieure, le graphique suivant
nous indique son évolution entre 1969 et 2008.
Figure 2 : La dette extérieure de l'Equateur entre 1969 et 2008
23
http://www.mindspring.com/~tbgray/dollar.htm , The effect of dollarization in Ecuador, consulté le 3 juillet 2009
World Bank – Data & Statistics – Ecuador, http://ddp-ext.worldbank.org/ext/DDPQQ/showReport.do?
method=showReport (15/07/09)
25
Jon D. Erickson and David Batker, Mars 2008, Genuine Development in Ecuador, Draft for Discussion and
Revision, Earth Economics, Seattle.
24
http://ddpext.worldbank.org/ext/DDPQQ/showReport.do?method=showReport (7 juillet
Source : Banque Mondiale - Dette extérieure – Equateur,
2009)
On constate une augmentation quasi-constante de son montant d'une année
sur l'autre. On note cependant en 2000 une réduction de la dette extérieure
(par l'échange des bons Brady en bons Global) après la crise financière qui
avait mis le pays dans l'impossibilité de rembourser. Malgré cette
renégociation non négligeable, deux ans plus tard, la dette extérieure du pays
se retrouve au même niveau et continue de croître sensiblement. C'est
pourquoi en 2007 est créée une commission internationale et indépendante,
pour l’Audit Intégral du Crédit Public (Comisión para la Auditoria Integral del
Crédito Público –CAIC-). A l’instar de tant d’autres pays, d'Amérique Latine et
d'ailleurs, l’Equateur a connu une longue période de dictature, de 1968 à 1979,
qui est responsable d’un accroissement important de la dette, et ce de manière
illégitime26. En effet, d'après la jurisprudence introduite par le juriste Russe
Alexander Nahum Sack : « Si un pouvoir despotique contracte une dette non
pas pour les besoins et dans les intérêts de l’Etat mais pour fortifier son régime
despotique, pour réprimer la population qui le combat, cette dette est odieuse
pour la population de l’Etat entier. Cette dette n’est pas obligatoire pour la
nation : c’est une dette de régime, dette personnelle du pouvoir qui l’a
contractée, par conséquent elle tombe avec la chute de ce pouvoir »27. Une
part de la dette équatorienne peut donc être considérée comme une « dette
odieuse ».
Mais depuis, la politique économique et fiscale imposée par Washington (par le
biais du FMI et de la BM) a pour objectif principal de garantir le
remboursement de la dette. « le FMI a ainsi imposé le gel des salaires dans la
fonction publique en 2002-2003 et le licenciement de 30 000 employés du
secteur public »28. Un autre exemple frappant mettant bien en évidence le lien
entre endettement et exploitation de ressources naturelles est le projet
Prodeminca (Proyecto Desarrollo Minero y su Control Ambiental – Projet de
Développement Minier et Contrôle Environnemental). Ce projet, mis en oeuvre
en 1993-1994 et financé à hauteur de 14 millions de dollars par la BM et de 10
millions de dollars par la Suède et la Grande-Bretagne, avait pour principal
objectif de promouvoir les investissements privés pour le développement de
l'exploitation minière. Aujourd'hui, ce prêt de la BM fait partie intégrante de la
dette extérieure équatorienne. « Le projet Prodeminca comprenait la
modification de la législation en matière minière. Deux lois (Trole I et II) sont
venues créer les conditions du pillage des ressources par les multinationales
(exonération des 3% des investissements ou de la production nette reversée à
l’Etat, diminution du rôle du Ministère de l’Environnement, possibilité d’activité
minière en zone protégée) »29. Ce cas est donc emblématique de la relation
26
http://www.cadtm.org/spip.php?article2779, Comité pour l'Annulation de la Dette du Tiers-Monde, consulté le 7
juillet 2009
27
Sack A. N.,1927, Les effets des transformations des Etats sur leurs dettes publiques et autres obligations financières,
Recueil Sirey, Paris
28
Hugo Arias Palacios, août 2006, Impacto económico, social y ambiental de la deuda soberna del Ecuador y
estrategias de desendeudamiento, CEIDEX Tercer Volumen,
29
Résumé de la conférence : Casos que vinculan la deuda externa con la generación de deudas sociales y ecológicas,
Varios autores, CEIDEX, Tomo 5, décembre 2006
complexe et ambiguë qui existe entre endettement, dégradation
environnementale et extraction de ressources naturelles par des compagnies
étrangères.
Le mécanisme de pression de la dette soumet donc l'Equateur à accepter des
mégaprojets souvent néfastes pour les conditions environnementales et
sociales tout en obligeant le pays à s'endetter toujours plus, et donc à
rembourser toujours plus. Cela a des conséquences décisives sur le contexte
politico-économique dans lequel évolue l'Equateur. En effet, depuis le pays est
devenu exportateur net de capitaux. On observe un transfert net négatif de 13
558 millions de dollars, alors que dans le même temps, la dette est passée de
6 663 millions en 1982 à 16 698 millions en juin 2006, soit une multiplication
de 2,530. Nous constatons donc que l'Equateur subit de grande pression
économique, ce qui engendre des lourdes conséquences sociales et
environnementales, particulièrement dans le secteur pétrolier. Rajoutons à cela
que l'économie nationale équatorienne reçoit plus d'argent de la part de sa
diaspora que des revenus du pétrole31.
Signalons également que depuis la dollarisation de l'économie en 2000 jusqu'à
la crise de 2008, il y a eu des signes évidents de « maladie hollandaise » en
Equateur32, et cela essentiellement à cause des fluctuations et du boom
spectaculaire du marché du brut, comme nous le montre le graphique suivant.
Figure 3 : Evolution du prix du baril de pétrole (1970-2009)
30
31
32
Comité pour l'Annulation de la Dette du Tiers-Monde - http://www.cadtm.org/spip.php?article2779 (7 juillet 2009)
Coopération Technique Belge (2008), Le poids de la dette extérieure des pays du tiers monde face au défis du
développement, Actes du colloque, Bruxelles, 17/12/2008
M. C. Vallejo, 2008, Biophysical structure of the Ecuadorian Economy : Policy implication, FLACSO, Quito
Source :
http://www.france-inflation.com/graph_oil.php (16/07/09)
La maladie hollandaise est un phénomène économique qui relie exploitation de
ressources naturelles et le déclin de l'industrie manufacturière locale. L'effet de
richesse ressenti par le boom pétrolier depuis 2000 a logiquement engendré
une croissance de la demande domestique. Les imports de biens
commercialisables vont donc également augmenter afin de satisfaire cette
demande. Mais cette augmentation des imports aura un effet adverse sur la
production domestique de biens, ce qui rendra le pays moins compétitifs dans
les secteurs traditionnels que sont l'agriculture, la pêche ou la petite industrie.
La stagnation économique de ces secteurs est contrebalancée par
l'augmentation des exportations du secteurs extractifs : l'industrie pétrolière.
Sur le terrain, cela se traduit par une augmentation des puits de pétrole, donc
une augmentation des infrastructures nécessaire à l'extraction puis à
l'acheminement de la ressource : plus de puits, plus de routes et plus de
pipelines, ce qui va indéniablement engendrer une accélération de la
dégradation environnementale. Une fois le boom pétrolier passé, les secteurs
traditionnels de l'économie équatorienne auront également plus de mal à se
relever de la période de stagnation.
Nous constatons donc qu'il est difficile d'ancrer le problème du « sousdéveloppement » chronique de l'Equateur dans une seule grille de lecture.
C'est une combinaison complexe de facteurs économiques et politiques qui
amènent ce petit pays andin à toujours exporter plus de ressources tout en
étant un exportateur net de capitaux. En effet, les problèmes de gouvernance
et de corruption liés aux incitations des institutions financières internationales
dans un contexte de crise économique ont crée les conditions du sousdéveloppement Equatorien qui engendre une sur-exploitation de
l'environnement.
1.3.
Enjeux, une demande toujours croissante de ressources naturelles
Afin d'analyser le contexte dans lequel le gouvernement équatorien est
constamment soumis à des pressions internes et externes pour permettre
davantage d'extractions de ressources minières, nous allons utiliser le modèle
FPEIR. FPEIR est l'acronyme de « Forces directrices », « Pressions », « Etats »,
« Impacts » et « Réponses ». C'est une grille d'analyse qui permet de
comprendre un problème depuis ses origines jusqu'aux impacts qu'il
occasionne, avec pour finalité d'essayer d'y apporter des pistes de résolutions.
Cependant, et car ce n'est pas l'objectif de ce mémoire, nous n'allons que
survoler quelques possibilités de lecture offerte par le modèle.
Une « force directrice » est un besoin. Dans le cadre de l'Equateur, le besoin
d'extraire des ressources minières est en premier lieu provoqué par la
croissance démographique mondiale. La population mondiale, en constante
augmentation engendre des besoins croissants d'infrastructures, nécessitant
donc des matières premières. Mis à part la croissance démographique, l'autre
force directrice majeur est donc incontestablement le modèle économique néolibérale basé sur la croissance à tout prix. Sans vouloir rentrer dans la
polémique, il s'agit ici de pointer du doigt un modèle économique basé sur la
consommation afin que celle-ci engendre de la croissance. La situation de
l'Equateur en tant que pays de la périphérie, fait donc du modèle économique
actuel une des forces directrices majeurs dans le cadre de l'exploitation
minière. Plusieurs autres forces directrices participent à créer une demande
toujours croissante de ressources naturelles telles l'apparition de nouvelles
technologies, le degré d'efficience énergétique, le type d'agriculture (extensive
ou intensive), l'aménagement du territoire (dense ou consommateur d'espace).
Pour répondre aux besoins, des activités humaines vont être exercées. Cellesci provoqueront des « pressions » sur l'environnement en raison des processus
de consommation ou de production. On les divise traditionnellement en trois
catégories : usage excessif de ressources environnementales, changement
dans l'usage du sol et émissions vers l'air, l'eau ou le sol. Dans le cadre de
l'exploitation de ressources minières en Equateur, cela va évidement créer un
changement dans l'usage du sol (mine à ciel ouvert va remplacer terre de
pâturage ou forêt primaire), mais cela provoquera aussi des émissions vers
l'air (gaz à effet de serre et poussières), l'eau et le sol (sous forme de
lixiviats). Concernant l'usage excessif de ressources naturelles, c'est une
pression indéniable d'une part car la ressource en question sera prélevée, mais
d'autre part car l'exploitation va consumer des services écosystémiques.
Des pressions accrues vont avoir comme conséquence de changer « l'état »
des différents compartiments de l'environnement (air, eau, sol). Ces
compartiments de l'environnement assurent en effet des fonctions (ou services
écosystémiques), comme la fonction d'approvisionnement en nourriture ou en
combustible, des fonctions de régulation de la vie, des fonctions de support
etc. Ici, les forces directrices vont altérer l'état dans le fait que cela va
engendrer l'ouverture de mines à travers le pays. L'état des écosystèmes ainsi
que de la santé humaine s'en trouveront donc altérées.
Un changement de l'état aura par effet boule de neige davantage « d'impacts »
sur l'environnement mais également sur l'économie et la société en générale.
Un état de stress accru sur l'homme ou l'environnement aura donc des
conséquences sur les performances économiques et sociales de la société. Par
rapport à l'extraction de ressources, un impact sur l'homme serait une
augmentation de la mortalité et de la morbidité, ce qui devrait occasionner des
frais de santé accrus. Cela va provoquer une double perte économique, d'une
part par la force de travail humaine perdue, d'autre part par les frais de santé
engagés, qui auraient pu être alloués ailleurs. Concernant l'environnement, les
impacts correspondent aux « coûts » que l'on tente d'évaluer dans une ACB
incluant les externalités négatives. C'est précisément le point centrale de ce
mémoire, que nous allons développer beaucoup plus largement par la suite.
Ces impacts environnementaux sont de deux ordres, les impacts directs sous
forme de pollution (qui devraient engendrer des coûts de dépollution), et les
impacts indirects sous forme de perte de fonctions environnementales.
Une fois les points précédents identifiés, la société (ou le preneur de décision)
peut commencer à réfléchir aux « réponses » plausibles. On peut apporter des
réponses à tous les stades du modèle FPEIR. Les réponses apportées aux
forces directrices sont sans aucun les plus efficaces, mais également les plus
difficiles à mettre en oeuvre. En effet, dans le cas de l'exploitation minière, agir
sur la croissance démographique ou sur le modèle économique semble délicat.
Partie 2 : Le concept de dette écologique
2.1.
L'économie écologique et les origines du concept.
L'économie écologique (EE) est une discipline assez récente bien qu'elle
trouve ses origines dans les écrits d'auteurs du XXVIIIème siècle comme
Malthus ou John Stuart Mill. Ce dernier avait déjà théorisé que la conclusion
logique d'une croissance sans limite serait la destruction de l'environnement et
mènerait donc inévitablement à une diminution du bien-être humain 33.
La problématique qu'étudie l'EE est le degré de soutenabilité qui existent dans
les interrelations entre le système économique et l'environnement.
L'observation de base de l'EE est que le subsystème économique humain est
imbriqué dans le système « nature ». En effet, pour fonctionner, l'économie a
besoin de prélever des ressources, de les transformer, puis une fois le
processus de consommation achevé, des rejets vont être occasionné. Ce
postulat est difficile à contredire et peut sembler banal mais c'est finalement la
base de la discipline.
L'EE trouve également ses origines dans des théories physiques tel les lois de
la thermodynamique. Celle-ci, et particulièrement la deuxième loi de la
thermodynamique concernant l'entropie ont inspiré des théoriciens comme
Georgescu-Roegen à conceptualiser le processus économique sous des termes
biophysiques (« The Entropy Law and the Economic Process », GeorgescuRoegen, 1971). Cette discipline trouve donc son origine dans la rencontre
entre les sciences économiques et une nouvelle science du siècle dernier :
l'écologie. On pense notamment au biologiste Lindeman qui était le premier à
analyser un écosystème d'après ses flux énergétiques. Si l'on intègre dans cet
écosystème l'homo sapiens sapiens et son activité économique, on a une
ébauche d'application concrète des fondements de l'EE. Mais cela ne va se
passer que bien plus tard, une fois que les conditions sociétales pour
l'avènement des soucis écologiques seront en place.
Concernant l'apparition des problématiques environnementales, on pense
notamment à l'impact de « Silent Spring » de R. Carson en 1962, puis au
soucis de la « bombe démographique » notamment relayé par les Meadows
dans leur ouvrage « Limits to growth » (1972). Avec les années 1970, c'est
aussi le soucis de l'approvisionnement énergétique qui apparaît après les deux
crises pétrolières tandis que le nucléaire commence à inquiéter de plus en plus
de mouvements écologistes naissants.
Tout ces facteurs participent à la conscientisation environnementale du monde,
d'autant plus que les premières conférences internationales sur le sujet ont lieu
au même moment.
« Une autre tendance générale des années 1970-1980 est l'intérêt grandissant
pour des recherches et une éducation transdisciplinaires, orientées sur les
problèmes », notamment en Scandinavie34. Cela est également crucial pour
comprendre l'apparition de l'EE pour laquelle une approche transdisciplinaire y
est fondamentale.
« Bien que l'intérêt de combler le trou entre écologie et économie soit apparu
dans les années 1960 avec les travaux de Kenneth Boulding et Herman Daly,
le premier effort formel pour rassembler économistes et écologistes eut lieu
33
34
John Stuart Mill, 1848, The Principles of Political Economy – Book 4, Chapter 6 – Of the Stationery State, London,
Longmans.
I. Ropke (2004), « The early history of modern ecological economics », in Ecological Economics, vol. 50, pp 293314
dans les années 1980 »35. C'est une économiste-écologiste suédoise qui est à
l'origine de la première conférence « Integrating Ecology and Economics » en
1982. Il s'agit durant cette rencontre initiale d'identifier les besoins de la
discipline et de fixer un agenda d'objectifs. Peu de temps après, Costanza et
d'autres prennent l'initiative de créer un « Ecological Economics Journal »,
publié par Elsevier Science. Afin de mobiliser un lectorat suffisamment large on
crée dans la foulée l'« International Society for Ecological Economics - ISEE »,
qui s'est développée depuis en plusieurs « sociétés » régionales.
Aujourd'hui la discipline reste assez peu connue du grand publique et n'est
malheureusement pas assez prise en compte par les preneurs de décision.
Cependant « l'économie environnementale » est davantage prise en compte
lorsqu'il s'agit d'évaluer le « prix de l'environnement » afin d'élaborer des
taxes ou de dédommager un tiers pour des dégradation environnementales.
La question d'échelle est également fondamentale dans l'EE. En effet, la microéconomie classique constate que lorsqu'on augmente une activité, les coûts et
les bénéfices vont augmenter de paire. Cependant, jusqu'à un certain point, les
bénéfices supplémentaires de l'activité ne vont plus égaler les coûts et l'activité
ne deviendra plus rentable. En résumé, lorsque les coûts marginaux sont
égaux aux bénéfices marginaux, l'activité a atteint son échelle optimale.
Cependant, au delà d'une certaine échelle, lorsque les coût dépassent les
bénéfices, la croissance ne sera plus bénéfique et nous rendra donc plus
« pauvres »36.
Cependant, en macro-économie, ce principe n'est pas appliqué et la règle est
la « croissance à l'infini » car on ne perçoit pas les limites de notre système, à
savoir le système terre. Pourtant, selon la vision EE, la limite est bel et bien
atteinte. Cette question d'échelle peut s'expliquer par la métaphore du passage
d'une « cowboy economy » à une « spaceship economy ». La cowboy
economy perçoit le monde comme infini où l'on peut sans cesse coloniser de
nouveaux espaces pour en extraire les ressources alors que la spaceship
economy voit le système planétaire comme une capsule spatiale, c'est à dire
fermé, avec un nombre limité de ressources et une capacité d'absorption et de
résilience également limitée. En effet, aujourd'hui l'environnement ne peut plus
assimiler tous les déchets (gazeux, liquides ou solides) que l'homme produit.
La figure suivante nous indique donc l'évolution de la représentation du
système planétaire selon une vision « d'économie-écologique » schématique.
35
36
R. Costanza (2003), The early history of ecological economics and the International Society for Ecological
Economics (ISEE), International Society for Ecological Economics, Vermont
Herman E. Daly (2004), Ecological Economics: Principles and Applications, Island Press, Washington DC
Figure 4 : Une vision « économie-écologique » du système planétaire.
Source : R. Goodland (2009), Herman Daly Festschrift: The world is in over-shoot and what to
do about it, The Encyclopedia of the Earth, Washington DC.
Soulignons enfin que l'intérêt pour les notions de temps et de justice sont deux
caractéristiques fondamentales dans l'EE. Premièrement, le temps est crucial
car c'est tout le principe du Développement Durable (DD) qui y est inclus. En
effet, afin de « répondre aux besoins du présent sans compromettre la
capacité des générations futures de répondre aux leurs » 37, il faudrait prélever
les ressources et les rejeter sous forme de déchets en tenant compte du temps
de résilience du système naturel. La résilience est le temps nécessaire à un
écosystème pour recouvrir toute ses fonctions après une dégradation
quelconque. Afin d'user de nos ressources avec parcimonie, l'EE invite donc à
faire usage du principe de précaution.
La notion de justice est également fondamentale au principe d'EE. En effet,
l'économie traditionnelle ne se soucie guère des problèmes de pollution, que ce
soit lors d'extraction de ressources ou lors du déversement de déchets. Cela
rejoint le concept développé par Joan-Martinez Alier de « justice
environnementale ». Il considère que la distribution des conflits
environnementaux est la conséquence du dogme de la croissance à tout prix.
« Les pays pauvres dégradent leur environnement afin de rester
économiquement compétitifs (produire à un bas prix) »38. Le libre-échange
incite en effet à externaliser (ne pas prendre en compte) les coûts
environnementaux dans le but de gagner en compétitivité sur le marché
global. Dans le même temps, les pays du centre améliorent sans cesse leurs
37
G. H. Brundtland (1987), Rapport de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l’ONU,
Nairobi, ONU
38
M. Torras (2003), An Ecological Footprint Approach to External Debt Relief, World Development, Volume 31,
Issue 12, December 2003, Pages 2161-2171
standards de protection environnemental, ce qui contribue à déplacer des
activités polluantes vers les pays avec une législation moins contraignante.
Les impératifs économiques font que le développement de projet d'extraction
ou l'implantation de site de déversement de déchets s'effectue là où il y a le
plus de ressources, et/ou là où il y a le moins de résistance face à de tels
projets. « A mesure que des projets miniers, forestiers, pétroliers ou de dépôt
de déchets s'étendent aux recoins les plus reculés de la planète, les peuples du
monde voient de plus en plus leurs droits basiques compromis, perdent leurs
environnement vital, et parfois même leur vie. »39. C'est donc d'après cette
constatation que plusieurs Organisations Non-Gouvernementales (ONG) du
« Sud » ont entamé des campagnes pour la reconnaissance de la dette
écologique. Voyons à présent plus en détail ce que ce principe entend et quels
en sont les enjeux.
2.2.
Définition et enjeux de la dette écologique.
Dans le contexte de la dégradation de la couche d'ozone, une ONG
chilienne (Instituto de Ecologia Politica) a pour la première fois pointé du doigt
la grande part de responsabilité des pays du « Nord » face aux dommages que
subissaient alors des populations de l'extrême sud du Chili. Plus tard en 1992,
à la conférence de l'UNCED (United Nations Conference on Environment and
Development), un groupement d'ONG affirma « l'existence à l'échelle
planétaire d'une dette écologique du Nord; celle-ci est essentiellement le fait
de relations économiques basées sur l'exploitation aveugle de ressources et
son impact écologique, incluant la détérioration globale de l'environnement, qui
est essentiellement la responsabilité du Nord »40. Plus tard, c'est l'ONG
équatorienne « Accion Ecologica » qui a joué un rôle fondamental dans la
campagne pour la reconnaissance de cette dette. Ce concept est donc né d'une
logique Bottom-up, et non Top-down comme c'est le cas par exemple pour le
concept d'empreinte écologique, d'abord élaboré par des académiciens puis
repri par les ONG.
Au jour d’aujourd’hui, il ne semble pas y avoir de consensus général sur une
définition précise du concept. On peut néanmoins reprendre les mots d'Accion
Ecologica qui, en 1999, définissait la dette écologique comme « la
responsabilité que les pays industrialisés ont pour la destruction progressive de
la planète à cause de leur modèle de production et de consommation. C'est
d'ailleurs le modèle actuel de développement qui se répand dans le monde
entier et qui menace plusieurs économies locales. La dette écologique inclut
l'illégitime appropriation de l'atmosphère et de son pouvoir absorbant. La dette
écologique est la responsabilité que les pays industrialisés du nord envers les
pays du tiers monde pour le pillage et l'usage de ressources naturelles :
pétrole, minerais, forêts, biodiversité, et ressources marines ; et cela au prix
de l'énergie humaine de ces populations et de la destruction, de la dévastation,
et de la contamination de leurs héritages naturels et de leurs sources de
vie »41.
39
40
41
Ageyman, J. et al. (2003), Just sustainabilities : development in an unequal world, The MIT Press, Cambridge
(chapitre de J.M. Alier (2001), Environmental conflicts, environmental justice, and valuation)
Déclaration lors du United Nations Conference on Environment and Development à Rio de Janeiro (1992)
Publication Accion Ecologica (1999)
Toujours selon Accion Ecologica, l'accumulation d'une dette écologique par les
pays du centre a commencé lors de la colonisation et s'est traduite par les
mécanismes suivants :
1) Extraction de ressources naturelles (pétrole, minerais, forêts, ressources
marines, ressources génétiques) afin de supporter l'industrie du centre.
2) Appropriation et usufruit de connaissances intellectuelles ancestrales
concernant des techniques de biotechnologies.
3) Appropriation, utilisation et destruction de terres et de réserves
hydriques afin d'installer un modèle agricole voué à l'exportation afin de
supporter le consumérisme du centre, mettant ainsi en péril la
souveraineté alimentaire locale.
4) Appropriation illégitime des puits de carbone que sont l'atmosphère, les
océans et la végétation par des émissions disproportionnées de dioxyde
de carbone, cause principale de l'effet de serre anthropique.
5) Production d'armes, de substances et de résidus chimiques, biologiques
ou nucléaires qui sont vendus ou déchargés dans des pays de la
périphérie.
Cela ne représente donc que quelques exemples des domaines dans lesquels
des ONG du Sud ont fait campagne pour sensibiliser à la question de la dette
écologique.
Vu comme ça, le concept de dette écologique oppose donc fortement deux
parties du monde, l'une, au Nord (le centre), qui serait responsable de la
dégradation environnementale, et l'autre au Sud qui la subirait mais qui dans
le même temps se dirige vers un modèle de développement similaire, basé sur
l'accroissement à l'infinie du binôme « production consommation » à la base de
l'économie néo-classique .
La dette tient son origine dans la différence de développement entre les
différentes parties du monde. En effet, le centre s'étant développé bien avant
la périphérie, et souvent grâce à la périphérie a donc consommé une part
importante de ressources non-renouvelables, c'est à dire indisponible pour les
générations futures de cette partie du monde. Cette consommation a engendré
des rejets sans précédent dans l'atmosphère, et les capacités d'absorption des
différents compartiments naturelles sont aujourd'hui proche de la saturation.
Aujourd'hui, plusieurs enjeux fondamentaux mettent en lumière ce concept de
dette écologique.
Le concept ne prétend pas donner un prix à la nature mais tente plutôt
de définir les responsabilités environnementales et les obligations qui en
découlent. Le terme « dette » dans les langues germaniques comme l'Allemand
ou le Suédois se traduit respectivement par « Schuld » ou « skuld ». Ce terme
germanique ne se limite pas à la dimension purement économique du terme
mais comprend également une dimension de culpabilité. Le coupable est
débiteur, il doit quelque chose aux tiers; le débiteur est ainsi coupable d'une
dette.
L'enjeu derrière cette notion est tout d'abord la reconnaissance de la culpabilité
ou de la faute commise. Une fois que le concept est assimilé et reconnu par les
deux parties (débiteurs-créanciers; centre-périphérie), on peut éventuellement
commencer à réfléchir aux moyens de dédommagement, qu'ils soient
monétaires ou non.
A l'échelle locale il s'est déjà avéré que des entreprises responsables, et donc
coupables, de dommages environnementaux soient soumises aux délibérations
d'une cour de justice. Cela a été le cas lors du procès de l'Erika en France :
Total a été condamné à une amende de 375 000 euros et 192 millions de
dommages et intérêts pour « pollution maritime »42. Mais les jugements pour
dégradations environnementales s'étendent également aux pays de la
périphérie. Dans le cas de Texaco en Equateur, la cour est entrée dans la
phase finale du jugement et Texaco (aujourd'hui Chevron) pourrait bientôt se
voir infliger une amende de 27 milliards de dollars pour les conséquences
écologiques et sociales de l'exploitation pétrolière dans l'Amazonie
Equatorienne entre 1969 et 199043. Il ne faut cependant pas oublier que le
gouvernement de l'époque à également sa part de responsabilité dans les faits
reprochés.
Le cas de Texaco, le « jugement du siècle » comme on l'entend souvent en
Equateur, est donc emblématique car il met en évidence les conséquences
auxquelles s'exposent certaines multinationales après des décennies de
pollutions à grande échelle, et ce même dans des pays de la périphérie, bien
que considérés comme plus laxistes du point de vue des normes
environnementales. Ce jugement devrait alerter le monde et en premier lieu
les compagnies multinationales sur les conséquences possibles d'une
dégradation environnementale, à savoir la contraction d'une dette écologique.
Le deuxième enjeu concerne le Parc Naturel Yasuni. Ici, sans parler
explicitement de dette écologique, le gouvernement équatorien se place
d'emblée en tant que créancier écologique en refusant d'exploiter un champ
pétrolifère qui sacrifierait une large part de l'Amazonie. Il s'agit ici d'une
demande de remboursement pour service (écosystémique) rendu, et dans le
même temps, pour perte d'opportunité financière. La proposition pionnière du
gouvernement équatorien (sous le mandat du président actuel : Rafael Correa)
est de laisser le pétrole dans le sous-sol du Parc national afin de préserver une
des régions les plus riches au monde en termes de biodiversité. Cette décision
résulte du constat suivant : les « services écosystémiques » qu'assurent cette
réserve naturelle, aussi bien à une échelle locale que globale, valent plus que
le risque de les perdre. Les services écosystémiques assurés par le Parc Yasuni
sont entre autres la régulation du climat (par le puits de carbone que
représente cette portion de l'Amazonie), l'approvisionnement en ressources
génétiques, la pollinisation, la régulation du cycle de l'eau et la régulation des
cycles gazeux ou encore la production de fibres et de nourriture.
Après une analyse coût-bénéfice incluant ces services ou fonctions,
fondamentales à la vie humaine, le gouvernement équatorien s'est donc rendu
compte que la « conservation du Parc, et de ses services écosystémiques, est
le moyen le plus rentable d'assurer et de pérenniser plusieurs de ces
42
Journal Le Monde du 16 janvier 2008 : Procès de l'"Erika" : Total condamné, la justice reconnaît le préjudice
écologique,
43
http://observers.france24.com/en/content/20090616-amazon-toxic-waste-natives-blame-texaco-lago-agrio-ecuador ,
article du 16/06/2009
services »44, car ils sont le plus souvent irremplaçables. L'étude d'Earth
Economics a évalué entre 1.7 et 4.4 trillions de dollars la valeur des services
écosystèmiques du Parc Yasuni45. Et bien que ce chiffre soit déjà colossal, les
chercheurs signalent une certaine sous-estimation du fait que dans un système
naturel, « l'interaction entre les composants rendent le tout plus grand que la
somme des parties ».
Il ne faut pas non plus oublier de considérer la capacité de résilience de
l'écosystème en question. Cette capacité de l'écosystème est le temps
nécessaire pour revenir à l'état initial et est évidement d'une importance
cruciale dans l'évaluation des services écosystémiques. Sans un écosystème
sain, les communautés qui en dépendent (comme les Huaorani dans le Parc
Yasuni) subissent un coût élevé suite aux dommages (inondations par
exemple) et/ou doivent investir beaucoup pour remplacer les services
écosystèmiques (construire une digue contre les inondations).
En bref, le rapport d’Earth Economics défend la proposition du gouvernement
de ne pas exploiter le pétrole et justifie la demande de compensation introduite
par le président de la république équatorienne, Rafael Correa, auprès des
Nations Unies. De plus, ce sont les citoyens du monde entier qui jouissent de
ces services écosystémiques, et pas seulement les Huaorani.
L'Equateur se place ainsi clairement dans la position du créancier et demande
en particulier aux Etats débiteurs de la dette écologique de payer pour la non
exploitation du pétrole pour garantir la conservation de cet écosystème.
Le troisième enjeu de la reconnaissance de la dette écologique est le
financement de mesures de prévention ou de mesures d'atténuation du
changement climatique. Les pays de la périphérie ne sont pas préparés aux
changements globaux. Parallèlement le PNUD affirme qu'il existe à l'échelle
mondiale une relation inverse entre la responsabilité pour le changement
climatique et la vulnérabilité face à ses effets 46.
La reconnaissance de la dette, et donc de la responsabilité historique pour le
changement climatique, devrait contraindre les pays du centre à financer
beaucoup plus largement des mesures d'atténuation. Le rapport Stern publié
en 2006 signalait déjà qu'il suffirait d'octroyer un pour cent du PIB mondiale
afin de fortement atténuer les effets du changement climatique. Ce taux du
PIB mondiale devrait évidement être payé majoritairement par les pays du
centre en raison de leurs niveaux largement plus élevés de production de
richesses, mais surtout en raison de leurs responsabilités historiques. C'est
d'ailleurs le Royaume-Uni, c'est à dire le premier pays au monde à avoir
entamé la révolution industrielle et donc à libérer massivement des gaz à effet
de serre, qui a commandé l'étude du professeur Stern.
Outre les mesures d'atténuation du changement climatique, prônées
notamment par le protocole de Kyoto au travers des mécanismes de
développement propre, il faudrait également soulever beaucoup plus
largement la question du financement de mesures d'adaptations à l'échelle
44
D. Batker, I. de la Torre, M. Kocian (2007), The ecosystem valuation of Yasuni National Park, Earth Economics,
Tacoma, WA.
45
D. Batker, I. de la Torre, M. Kocian (2007), The ecosystem valuation of Yasuni National Park, Earth Economics,
Tacoma, WA.
46
PNUD (2007) Informe sobre el desarollo humano 2007-2008. La lucha contra el cambio climatico: solidaridad
frente a un mundo dividido. PNUD.
internationale, et surtout dans les pays de la périphérie.
Enfin, le dernier enjeu et non des moindres concerne la reconnaissance
de la dette écologique par l'annulation de la dette extérieure des pays de la
périphérie. Il existe en effet une relation complexe entre dette extérieure et
dette écologique. Nous allons ici uniquement survoler cette problématique
avant de l'expliquer plus en détails dans le sous-chapitre 4 de cette partie.
Si l'on s'en tient aux affirmations de l'économiste-écologique J.M. Alier, il
existe deux aspects principaux dans la relation entre dette externe et dette
écologique.
Le premier aspect stipule que la dette écologique a été contractée par le centre
à cause des exportations sous-évaluées des pays de la périphérie. Ces
exportations de biomasses et de minéraux sont en effet sous-évaluées car leur
prix n'inclut pas les externalités négatives environnementales et sociales. Le
coût de la main-d'oeuvre est en effet beaucoup moins cher dans les pays de la
périphérie. De plus, les services environnementaux planétaires, fournis
gratuitement, ont été largement utilisé par les pays du centre. Il en est ainsi
par exemple des puits de carbone ou des connaissances génétiques
(l'introduction de la pomme de terre ou du maïs en Europe s'est faite sans
contrepartie pour les pays d'origines).
Le deuxième aspect réside dans l'obligation de paiement de la dette externe
qui a « contraint » les pays de la périphérie à produire plus que les besoins de
consommation domestique, afin d'exporter le surplus et ainsi gagner de
l'argent servant essentiellement au remboursement de la dette externe.
Ce surplus peut certes venir d'un accroissement de la productivité mais il ne
faut pas oublier qu'une large part de ce surplus est à l'origine de
l'appauvrissement des populations de la périphérie et de l'usage de techniques
ne prenant pas en compte l'environnement. En outre, le temps nécessaire à la
nature pour « créer » les produits exportés par la périphérie est bien plus long
que celui nécessaire au centre pour transformer ces matières en produits
manufacturés. Et enfin, cette transformation implique un accroissement
considérable de la valeur des produits, ce qui engendre une détérioration des
termes de l'échange.
Cette théorie de l'échange inégalitaire (en termes économiques) comprend
donc des implications environnementales. En effet, le concept de division
internationale du travail, notamment développé par Prebisch, peut s'étendre
aux questions environnementales en s'appuyant sur l'approche du
métabolisme sociale.
En termes économiques, mais également physiques, l'échange entre centre et
périphérie est inégale si l'on considère que la périphérie fournit une grande
partie de la matière et de l'énergie nécessaire au métabolisme socioéconomique du centre.
Pour toutes ces divers enjeux; rappelons les : la reconnaissance du centre de
sa responsabilité historique pour les changements globaux en cours, la
possibilité de paiements pour services écosystèmiques, le financement de
mesure de d'atténuation et enfin l'annulation de la dette extérieure; nous
constatons que les enjeux derrières la reconnaissance de l'existence d'une
dette écologique sont donc énormes. Au lieu de nous enfermer dans une vision
pessimiste de l'évolution des relations géopolitiques entre centre et périphérie,
nous préféreront voir dans le concept de dette écologique une source d'espoir
pour le futur. Une fois les enjeux reconnus, intéressons-nous à présent aux
éventuelles méthodes d'estimation de la dette écologique.
2.3.
Les méthodes d'évaluation.
Il n'existe à ce jour aucune standardisation mondialement acceptée sur
la manière d'évaluer une dette écologique. Cependant quelques ONG ont
essayé d'évaluer la dette du carbone, en traduisant des services
écosystémiques, ici les puits de carbone, en valeur monétaire. Mais avant de
vouloir traduire des composantes de la dette écologique en terme monétaire, il
faut d'abord estimer physiquement de quoi se compose la dette. De plus,
signalons le fait que traduire une dette « écologique » en argent sous entend
qu'un tiers pourrait recevoir cet argent, du fait que l'on ne peut rétribuer la
nature monétairement.
Ici, nous mettrons en lumière le point de vue de nombreuses ONG du Sud qui
consiste à plaider pour une évaluation de la dette ou des impacts écologique
en termes physiques, afin de donner des ordres de grandeurs mais sans
prétendre traduire ses ordres de grandeur en valeur économique au vu du
risque d'apparition d'un « droit de polluer ». En effet, si une entité, publique ou
privée, est suffisamment riche pour supporter des externalités négatives, c'est
à dire le coût de la pollution, cela lui donnerait un « droit de polluer ». Cela
serait inacceptable et irait dans la même logique de dépendance qui existe
entre différentes entités et ne ferait que participer à l'échange
économiquement et écologiquement inégale. C'est également pourquoi nous
laisserons de côté les indicateurs d'ordre économique mais « adaptés » à la
durabilité tel le ISEW (Index of Sustainable Economic Welfare) ou le GPI
(Genuine Progress Indicator) car le but ici est d'évaluer des flux de matières en
termes physiques et d'analyser leurs évolutions d'une année sur l'autre, et non
la soutenabilité d'une économie. Nous pourrons cependant comparer des
indicateurs d'ordre physique à la création de richesse, c'est à dire au PIB
(Produit Intérieur Brut). En effet, l'idée est davantage de pouvoir comparer
entre des régions des flux de matières et ce que ceux-ci entendent comme
pressions sur l'environnement plutôt que de calculer un indicateur économique.
L'analyse des flux de matière nous permet également de comprendre comment
est structurée l'économie et enfin de savoir de quoi elle dépend pour
fonctionner.
Comme nous l'avons vu, la dette écologique se traduit en grande partie par
des flux de matières inégaux entre différentes régions du monde. Afin
d'évaluer ces flux, l'Analyse des Flux de Matière (AFM) est aujourd'hui la
méthode la plus largement reconnue. L'agence Européenne Eurostat a
d'ailleurs standardisé une méthode d'évaluation appliquée par un nombre
croissant d'Etats membres aujourd'hui47. C'est pourquoi nous prendrons l'AFM
comme point focale de cette analyse des méthodes d'évaluation. Mais nous
verrons également d'autres approches basées par exemple sur l'Empreinte
47
EUROSTAT (2001), Economy-wide material flow accounts and derived indicators. A Methodological Guide.
Statistical Office of the European Union, Luxembourg.
Ecologique ou sur l'Appropriation Humaine de la Productivité Primaire Nette
(AHPPN).
Cependant avant de nous étendre sur l'explication de l'AFM et d'autres
indicateurs, signalons que plusieurs autres éléments rentrent en compte dans
l'évaluation de la dette écologique.
Il nous faut également fixer le cadre d'étude dans lequel nous allons tenter
d'expliquer les méthodes d'évaluation. En effet, la question de l'espace-temps
est fondamentale et les éléments à prendre en compte varieront selon que l'on
souhaite évaluer une dette écologique entre des espaces ou entre des
générations.
Nous allons ici essayer de définir ce que comprendrait une dette écologique
entre 2 régions, ou plutôt entre un Etat (l'Equateur) et le reste du monde, le
plus souvent les pays du centre qui usent indirectement de son
environnement. L'estimation doit évidement se faire en tenant compte de la
dette écologique historique, mais sachant qu'il est impossible, vu le manque de
données, d'estimer la dette écologique de l'Equateur depuis le début de la
colonisation (début de la dégradation massive de l'environnement en vue
d'exporter des ressources), nous allons nous baser sur les travaux de MariaCristina Vallejo dans la partie 3.1 concernant l'estimation de la dette
écologique des pays tiers envers l'Equateur. Maria-Cristina Vallejo a estimé
l'AFM de l'Equateur depuis 1970 jusqu'à 2007. Il est cependant crucial de
garder à l'esprit que la dette écologique s'inscrit sur un temps beaucoup plus
long. Il y a donc une dette historique, mais également une dette envers les
générations futures qui ne pourront jouir d'un environnement sain si la
dégradation environnementale continue dans les conditions actuelles.
2.3.1.
AFM
Examinons donc en premier lieu l'AFM, qui s'estime à l'échelle du
système économique d'un pays ou d'une entité régionale bien délimitée.
Sous le concept d'AFM nous retrouvons en fait une séries d'instruments basés
sur la première loi de la thermodynamique, dite loi de la conservation de la
masse. Comme nous le savons celle-ci stipule que la masse (matière et
énergie) ne peut se créer ou se détériorer. Partant de ce constat, il est
possible d'analyser les flux de matières. Par flux nous entendons la mesure
d'une quantité sur une période donnée, en général l'AFM d'un pays se mesure
en tonnes par an.
Afin d'obtenir une AFM la plus complète et la plus holistique possible, il est
important d'y inclure les flux inutilisés ou indirectement engendrés par
l'économie. Cela est capital si l'on part du fait que chaque transfert d'énergie
ou de matière d'un endroit à un autre peut avoir un impact sur
l'environnement. La plupart de ces flux sont dits « cachés » car ils ne sont
jamais pris en compte par l'économie. Un exemple flagrant est le terril laissé
après une exploitation minière qui comprend un flux de matière considérable et
nuisible à l'environnement, mais jamais pris en compte économiquement.
Comme ils ne sont jamais pris en compte dans l'économie, il est plus délicat
d'obtenir des données concernant ces flux cachés.
La schéma suivant nous informe des différentes entrées et sorties nécessaires
au fonctionnement de l'économie.
Figure 5 : Flux de matières qu'engendre un système économique
Source : Eurostat (2001)
Il faut ensuite distinguer différents types d'AFM selon l'approche et le problème
posés. En effet, on peut partir d'une échelle micro-économique (entreprise),
d'activité économique (extraction minière, construction...) ou macroéconomique (échelle nationale ou régionale) et analyser en fonction de cette
échelle des substances ou des matières (manufacturées ou pas). Cela nous
conduira à faire des Analyse de Cycle de Vie (ACV) d'un produit ou des analyse
de flux d'une substance.
Contrairement, on peut partir d'une substance ou d'une matière spécifique et
examiner le parcours de celle-ci dans l'économie et tenter d'identifier les
problématiques économiques et environnementales que cela soulève. On fera
alors une table de gestion des Entrées/Sorties physiques (en anglais, Physical
Input-Output Table : PIOT), ou une comptabilité au niveau économique
d'écoulement de la matière, c'est ce que l'on entendra en générale et plus
simplement comme une AFM, en anglais « Economy-wide Material Flow
Accounting ». (Lorsque nous utiliserons l'acronyme AFM, ce sera donc pour
signifier le terme anglais « Economy-wide Material Flow Accounting ».)
Une fois cette distinction faite, focalisons-nous davantage sur l'AFM à l'échelle
macro, c'est à dire à l'échelle d'un Etat ou d'une économie régionale. En
partant du fait que l'on souhaite calculer une dette écologique en se basant sur
une AFM, il faut d'abord distinguer les composantes de la dette énumérées plus
haut qui seront inclut ou non dedans.
On pense évidement en premier lieu aux extractions de matières premières,
allant des combustibles fossiles au minerai en passant par la biomasse. Bien
qu'on inclut la biomasse dans l'AFM, cela ne prend pas en compte l'utilisation
et la dégradation de terres et de réserves hydriques qui ont soutenu un tel
modèle agricole. L'AFM inclut cependant dans les inputs les produits
phytosanitaires qui sont une des causes majeures de la dégradation des terres
et des cours d'eau. Le remembrement n'est lui pas pris en compte.
Concernant le brevetage du vivant et l'appropriation de plantes, de molécules
ou de gênes, cette composante sera difficile à prendre en compte dans l'AFM
compte tenu du volume dérisoire qui est en jeu. C'est pourquoi nous ferons
une analyse particulière de cette composante de la dette écologique.
Ensuite, nous traiterons également la dette du carbone hors de l'AFM, car c'est
également un cas particulier d'appropriation des facultés d'absorption de la
biosphère.
Enfin, le déversement (légale ou pas) de substances toxiques rentre dans l'AFM
à partir du moment où des données existent. Il est vrai que beaucoup de
déchets toxiques sont déversés dans des pays de la périphérie d'une part car
les règlementations environnementales y sont bien moins contraignantes.
D'autre part, l'activité de démantèlement y est plus rentable que dans les pays
du centre. On pense par exemple à la fameuse lettre d'un économiste de la
BM, Lawrence Summers, que The Economist reprenait sous le titre « Let them
eat pollution ». Celle-ci stipulait que « la mesure du coût nécessaire pour faire
face aux conséquences de la pollution sur la santé dépend de l'ampleur de la
réduction des coûts induits par une mortalité et une morbidité accrues. De ce
point de vue, la pollution dommageable pour la santé devrait être dans les
pays où ces coûts sont les moins élevés, qui sont donc les pays avec les coûts
salariaux les plus faibles »48, c'est à dire les pays de la périphérie. On constate
donc que le déversement de déchets toxiques est une réalité à l'échelle
mondiale et que même dans ce domaine, la théorie des avantages comparatifs
de Ricardo est appliquée.
Cependant, nous n'allons pas nous attarder sur cet aspect de la dette
écologique car les données manquent cruellement afin de dresser un réel
constat. Il faut néanmoins garder à l'esprit que c'est une pratique qui participe
à dégrader non seulement l'environnement mais aussi la santé des travailleurs
des pays de la périphérie et que celle-ci constitue donc une part non
négligeable de la dette écologique.
Examinons à présent notre AFM. Nous nous baserons pour cela sur la solide
étude de Stefan Giljum et de Klaus Hubacek du « International Institute for
Applied Systems Analysis ».
Afin d'évaluer l'AFM d'une entité économique tel un Etat, il faudra faire
l'analyse des entrées puis des sorties.
Commençons par voir ce que nous allons inclure dans les entrées :
•
Extraction Domestique (ED) : c'est l'agrégation des flux annuels de
matières solides, liquide et gazeuse ,à l'exception de l'air et de l'eau car
trop volumineux, ce qui déformerait la lecture. L'agence Eurostat
conseille donc d'analyser ces éléments dans une AFM à part extraits sur
le territoire national en vue d'être utilisés dans le processus économique,
et qui vont donc avoir une valeur dans ce système économique.
•
Importations (M) : On inclut ici tous les imports de matières, qu'ils soient
manufacturés ou bruts, sur la période de temps analysée.
1) Entrée de Matériel Direct (EMD) : L'addition des ED et des M va nous
48
« Let them eat pollution » The Economist, 8 février 1992, Londres
•
donner les Entrée de Matériel Direct. Cela comprend toutes les
matières avec une valeur économique qui vont être utilisées dans le
processus de production-consommation de l'entité économique.
Besoin Total en Matière (BTM) : C'est les EMD auxquelles on ajoute les
flux de matières indirects et/ou inutilisés, que ce soit des flux
domestiques (lors de l'ED) ou des flux de matières indirects et/ou
inutilisés par un système économique extérieur. Comme il inclut
l'intégralité des flux, y compris les flux cachés, le BTM est donc
l'indicateur d'entrée de matériel le plus exhaustif.
Du côté des sorties, nous allons inclure :
1. Matière Traité Domestique (MTD) : Cela correspond aux sorties vers « la
nature » sous forme liquide, solide ou gazeuse. Le termes « traité »
indique que ces matières devraient normalement avoir été traitées afin
de minimiser l'impact sur l'environnement mais ce n'est pas toujours le
cas.
2. Exportations (X) : C'est toute la matière que le système économique
exporte vers un autre système.
1. Sortie Directe de Matière (SDM) : C'est l'addition de la MTD et des X.
La SDM nous indique donc la totalité de la matière exportée du
système, soit vers l'environnement, soir vers d'autres systèmes
économiques étrangers.
3. Sortie Totale de Matière (STM) : On inclut ici en plus de la SDM les flux
indirects et/ou inutilisés. C'est donc l'indicateur le plus exhaustif
concernant les sorties de matières car il inclut toutes les flèches de sortie
présentées dans le schéma précédent.
Ainsi, entre les entrées et les sorties, il y a l'économie, c'est à dire le processus
de production-consommation. Ce processus induit également des flux qui sont
les suivants :
1. Consommation Domestique de Matière (CDM) : C'est la mesure de la
quantité de matière utilisée par le système économique, en excluant les
flux indirects. Afin d'obtenir la CDM, il suffit de soustraire aux EMD les
exportations, ce qui nous reste sera la consommation domestique totale.
2. Besoin Total de Matière (BTM) : Avant la consommation, et afin de faire
fonctionner l'économie en amont, durant le processus de production il y a
logiquement des besoins en matières, mais qui ne seront pas forcément
valorisés par la suite. Le BTM représente donc la CDM plus les flux
indirects ou inutilisés (ou flux cachés). Le BTM est plus délicat à mesurer
car les données sur les flux cachés sont souvent manquantes.
Dans l'interrelation entre économie et environnement, analysée par l'AFM,
notons également qu'il y a une Création Nette de Matière (CNM). C'est
l'accumulation annuelle (ou par unité de temps estimé) de matière dans le
stock de matière déjà existant. Le dogme économique actuel, qui préconise
une croissance continue en termes monétaires engendre une croissance
continue également des flux de matières. La CNM se traduit concrètement par
la création de nouvelles pièces industrielles, par exemple par l'alliage de
métaux entre eux et leurs assemblages.
Concernant la relation entre commerce et environnement, la Balance
Commerciale Physique (BCP) est un indicateur important dérivé de l'AFM.
Celui-ci permet de mesurer le surplus ou le déficit physique d'une économie en
évaluant la dépendance du système économique étudié à l'égard des
extractions domestiques et des économies extérieures. On calcule la BCP en
deux étapes. Premièrement on évalue la BCP pour les flux directs de matière,
cela se fait en soustrayant des importations les exportations (de matière). On
doit ensuite y ajouter les flux indirects, étape finalement la plus importante car
se sont le plus souvent ces flux qui sont les plus dommageables à
l'environnement. Concernant le secteur minier, on pense encore aux terrils.
Un déficit de la BCP fait donc référence à une situation où la quantité de
matière qui quitte un territoire est supérieure aux imports.
Dans le contexte de dette écologique, on s'attend donc à ce que la BCP des
pays de la périphérie soit déficitaire, comme c'est souvent le cas également
avec la balance commerciale monétaire. En effet, les pays de la périphérie sont
exportateurs net de matière comme nous en verrons un exemple concret dans
la troisième partie.
2.3.2.
Empreinte Ecologique
D'autres indicateurs ont ainsi été élaborés afin de rendre compte de
l'impact de l'homme sur l'environnement. Le plus connu aujourd'hui par le
grand public est sans aucun doute l'Empreinte Ecologique.
A la différence de l'AFM, l'empreinte Ecologique analyse l'impact de l'homme
sur son environnement du point de vue de la consommation (en termes
d'espace nécessaire) et non du point de vue de la production comme le fait
l'AFM. « L'empreinte écologique est un indicateur qui essaye de créer une
image de l'humanité et de sa demande en ressources naturelles, suivant le
principe de la responsabilité du consommateur »49. La carte suivante nous
donne un aperçu de l'empreinte écologique des différents pays du globe. La
taille des pays est proportionnelle à leur empreinte écologique. A première vue
on constate la taille démesurée des Etats-Unis, de l'Europe et du Japon ainsi
que d'autre pays asiatique comme la Corée du Sud.
Figure 6 : Carte de l'empreinte écologique des Pays du monde.
49
T. Wiedmann, M. Lenzen, K. Turner, J. Barrett (2007), Examining the global environmental impact of regional
consumption activities — Part 2: Review of input–output models for the assessment of environmental impacts embodied
in trade, Ecological Economics, Volume 61, Issue 1, 15 February 2007, Pages 15-26
source :
http://www.worldmapper.org/images/largepng/322.png , (15 juillet 2009)
La question posée par Wackernagel et Rees au début des années 1990 était de
savoir combien d'espace était nécessaire afin de soutenir une population avec
un mode de vie spécifique. Cela comprend également les technologies
disponibles et surtout la capacité de l'environnement à fournir des matières
premières et à assimiler les déchets occasionnés après le processus de
production-consommation50. Aujourd'hui l'empreinte écologique a été évaluée
pour quasiment tous les pays du globe. Ainsi, une étude de Andersson et
Lindroth parue en 2001 a utilisé le concept d'empreinte écologique afin de
mettre en évidence l'échange inégale de ressources naturelles à l'échelle du
globe. Leur principale conclusion après avoir analysé l'empreinte écologique
appliquée à l'échange écologiquement inégale est que «le commerce est un
mécanisme subtil par lequel la durabilité écologique est préservée dans
quelques pays (du centre) au moyen d'imports de biomasse et d'utilisation des
capacités d'absorption d'autres pays, où le capital écologique est à la place
graduellement épuisé »51.
Torras a également mis en évidence les possibilités d'évaluation de la dette
écologique en utilisant l'empreinte écologique. Il a une approche monétaire du
concept, voulant estimer des sommes que les pays débiteurs devraient
transférer aux pays écologiquement créditeurs. Il se base pour cela sur les
fameux calculs de Costanza qui évalue la valeur totale des différents
écosystèmes mondiaux52 et estime pour une année la valeur de la dette
écologique, en supposant (arbitrairement) deux capacités de charges
importées par le centre des autres pays, qui est respectivement de 5% et de
10%, ce qui suppose qu'au moins 95% ou 90% du déficit écologique restant
50
Wackernagel, M., Rees, W. (1996), Our Ecological Footprint: Reducing Human Impact on the Earth, New Society
Publishers, Gabriola Island, British Columbia
51
J.O.Andersson, M. Lindroth (2001), Ecologically unsustainable trade, Ecological Economics, Volume 37, Issue 1, 1
April 2001, Pages 113-122
52
Costanza et al. (1997), The value of the world's ecosystem services and natural capital, Nature 387, 253 - 260 (15
May 1997)
est dû aux générations futures. « Ceci nous amène à une dette écologique à
assigner parmi les pays bénéficiaires de $ 812.5 milliards dans le cas où la
capacité de charge est égale à 5% et de $ 1.64 trillion quand elle est égale à
10% »53. L'idée derrière cette évaluation est donc clairement présentée par
Torras, à savoir une annulation de la dette par l'apport d'une preuve monétaire
de la créance écologique des pays de la périphérie. Précisons que ces chiffres
ne concerne qu'une année. On peut se demander quelle somme astronomique
on aurait si on avait voulu y ajouter sur la même base de calcule la dette
historique depuis la période de la colonisation ?
Au final, le calcul de telles sommes nous semblent peu utile, voir absurde, pour
la progression du débat, dés lors qu'il nous apparaît déjà évident qu'il existe
effectivement une dette écologique astronomique et que celle-ci est et restera
impossible à évaluer.
Cependant le concept d'empreinte écologique semble également être
intéressant dans l'analyse de la dette écologique d'une entité envers une autre,
d'autant plus que le concept se focalise sur le consommateur. Le message est
ainsi directement adressé aux citoyens des pays du centre qui ont des
habitudes de surconsommation.
2.3.3.
AHPPN
Analysons enfin un dernier instrument pouvant nous aider dans
l'estimation de la dette écologique, à savoir l'Appropriation Humaine de la
Productivité Primaire Nette (AHPPN). L'AHPPN est l'estimation du degré
d'intensité de l'utilisation de la Productivité Primaire Net (PPN) par portion
d'espace. La PPN est l'énergie que les producteurs primaires, à savoir les
plantes, fournissent aux autres espèces hétérotrophes de la planète grâce à la
photosynthèse, dont l'homo sapiens sapiens. La PPN est mesuré en tonnes de
biomasse sèche ou en tonnes de carbone. Parmi les 100% de PPN
originellement présente dans l'environnement, l'homme s'en accaparerait
environ 40%54.
Le calcul de l'AHPPN se déroule basiquement en trois étapes. Premièrement, il
faut évaluer la végétation hypothétique en l'absence d'interaction avec
l'homme. On évalue ensuite la végétation actuellement présente, et enfin on
estime quelle part de cette végétation est prélevée par l'homme55. Chacune de
ces étapes à été définie et calculée de manière différente par différents
auteurs. C'est donc un manque de standardisation qui fait défaut ici afin
d'avoir des résultats cohérents entre les diverses études réalisées à ce jours.
Il existe également des problématiques communes à chaque tentative de
définition comme par exemple le fait d'inclure ou pas la productivité primaire
du sous-sol (humus). On peut également se demander comment doit être
gérée la PPN des forêts d'élevages.
La carte suivante, élaborée par l'institut d'écologie social de l'Université de
53
M. Torras (2003), An Ecological Footprint Approach to External Debt Relief, World Development, Volume 31,
Issue 12, December 2003, Pages 2161-2171
54
J. Martinez-Alier (2002), The Environmentalism of the Poor: A Study of Ecological Conflicts and Valuation,
Edward Elgar Publishing
55
H. Haberl et al. (2007) Quantifying and mapping the human appropriation of net primary production in earth’s
terrestrial ecosystems, PNAS vol. 104 no. 31
Vienne, nous informe des régions où l'AHPPN est la plus importante.
Figure 7 : Carte de l'AHPPN mondiale.
Source :
http://www.uni-klu.ac.at/socec/bilder/HANPPpercent_600.png, (15 juillet
2009)
2.3.4.
Eléments supplémentaires à prendre en compte dans la dette
écologique en plus de l'AFM :
Après avoir analysé les trois instruments que sont l'AFM, l'empreinte
écologique et l'AHPPN, nous allons nous recentrer sur l'AFM et l'utiliser comme
point de départ à l'estimation de la dette écologique et voir quels composants il
faudrait y ajouter. Cette décision est justifiée par le fait que l'AFM est
aujourd'hui un des instruments parmi les plus perfectionnés de la discipline, ce
qui le rend aussi très prometteur. De plus, dans le cadre d'une estimation de
dette écologique, cet instrument a l'avantage d'être directement lié aux flux
monétaire. En effet, dans la phase de recherche des flux de matières, la
recherche se base sur les flux monétaire et tente ainsi d'estimer la quantité de
matière que cela engendre. Nous pourrons donc plus facilement lier les flux de
matière et d'argent et ainsi comprendre davantage la problématique qui relie la
dette extérieure et la dette écologique.
Comme il a été précisé plus haut, l’AFM estime les flux biophysiques que
comprend le fonctionnement d'une économie. Cette estimation se base sur le
principe de métabolisme social développé notamment par Marx 56 dès la fin du
18ème siècle. Le principe de métabolisme social nous permet de mettre en
évidence la relation entre l'homme et la nature. Cette relation de dépendance
croissante de l'homme et de la nature, et les relations de domination
qu'existent entre centre et périphéries ont participé à créer les conditions
nécessaires à ce que l'on dénomme communément l'échange écologiquement
inégale.
Avant de nous étendre sur les composants supplémentaires de la dette
écologique, précisons d'abord que l'AFM a le mérite d'être un instrument
incluant déjà beaucoup d'éléments de la dette écologique. Premièrement nous
pensons à la dette alimentaire. En effet, l'AFM prend en compte les énormes
flux de matière engendrés par la réorganisation à grande échelle de
l'agriculture afin d'augmenter ses rendements. L'AFM a également le mérite
d'inclure les impacts occasionnés par les exportations massives de minerais,
dont les flux cachés que cette activité occasionne. Comme nous l'avons donc
compris, l'AFM inclut tout ce que l'on peut compter en termes de déplacements
de matière, mais voyons à présent les éléments qui ne peuvent rentrer en
compte dans cette évaluation.
2.3.4.1.
Dette du carbone
On pense en premier lieu à la dette du carbone, définit par Accion
Ecologica comme « l'appropriation illégitime des puits de carbone que sont
l'atmosphère, les océans et la végétation par des émissions disproportionnées
de dioxyde de carbone ». En effet, les régions riches de ce monde, à cause de
leurs émissions de CO2 se sont appropriées de facto les principales réserves de
carbone. Les pays du centre ont donc accumulé une dette liée aux rejets de
gaz à effet de serre. Ces gaz à effet de serre sont la principale cause du
réchauffement climatique.
La dette du carbone est imputable en grande partie au pays du centre, mais
tout n'est pas aussi simple, en effet tout n'est pas noire ou blanc. S'il est vrai
qu'au tout début de la révolution industrielle on utilisait la combustion
d'énergie fossile pratiquement qu'en Europe, cette pratique d'utilisation
exogène de l'énergie fossile s'est rapidement répandue dans le reste du
monde. Le centre a souvent exporté ses techniques afin d'augmenter les
possibilités d'extraction et de transport. La combustion d'énergie fossile s'est
donc pratiquée partout, mais il faut cependant admettre que la grande
majorité de cette combustion s'est historiquement faite dans les pays du
centre. Raupach et al. ont en effet démontrés que les pays du centre comptent
pour 77% des émissions depuis le milieu du 18ème siècle, et pour 59% des
émissions totales en 2004,57ce qui prouve bien que les pays de la périphéries
sont en train de les rattraper.
56
P. Bukett (2004), Marx's reproduction shemes and the environment, Ecological Economics, Volume 49, Issue 4, 1
August 2004, Pages 457-467
57
Raupach et al. (2007), Global and regional drivers of accelerating CO2 emissions, Harvard University, Cambridge
En parallèle à cette thématique, signalons que certains auteurs soutiennent
qu'un certain niveau de pollution est nécessaire avant d'arriver à un stade de
richesse tel qu'on puisse commencer à réduire sa part de pollution par PIB.
Cette théorie, communément appelé la théorie de la Courbe Environnementale
de Kuznets, et notamment développé par Grossman et Krueger 58 s'avère dans
bien des cas erronés. En effet, il y a une manifeste diminution des services
écosystémiques (perte de biodiversité ou de fertilité des sols notamment) dans
les pays du Nord, bien que leurs niveaux de développement soient considérés
comme parmi les plus aboutis. Il faut également signaler que la courbe
environnementale de Kuznets ne tient pas compte du caractère global des
écosystèmes. Déclarer une baisse de pollution dans un pays est fallacieux si
celle-ci n'est qu'exportée hors des frontières géographiques du pays analysé,
c'est justement tout le point de vue défendu par la théorie de l'échange
écologiquement, et économiquement, inégale. La courbe environnementale de
Kuznets n'est en fait vérifiable que dans quelques cas isolés, concernant par
exemple la pollution atmosphérique urbaine, donc locale, et seulement avec
quelques polluants comme le souffre ou les particules en suspension 59.
D'autres pollutions, comme l'augmentation du CO², qui est un phénomène
globale entraînant le réchauffement de la planète sont beaucoup plus
largement imputables aux pays du centre. Comme nous le disions, Raupach et
al. ont démontrés que les pays du centre comptent pour 77% des émissions
depuis le milieu du 18ème siècle60. Il y a donc une responsabilité historique
indéniable des pays du centre concernant les émissions de carbone, ce qui
confirme que la dette du carbone est une réalité. La théorie de la courbe
environnementale de Kuznets ne se vérifie donc pas par rapport aux émissions
de carbone et autres GES si l'on considère que les émissions directes des pays
du centre continuent d'augmenter encore aujourd'hui (et cela est sans
considérer les émissions indirectes imputables aux pays du centre en raison de
l'import massif de produits avec un grand passif environnemental).
2.3.4.2.
Brevetage du vivant
Une autre composante de la dette écologique non prise en compte par
l'AFM est la dette occasionnée par le brevetage du vivant, aussi parfois appelé
biopiraterie. La biopiraterie est l'appropriation et l'usufruit de connaissances
intellectuelles ancestrales concernant des semences, ou l'utilisation de plantes
médicinales ou d'autres connaissances et techniques par les entreprises agroalimentaires ou de biotechnologies. Cette appropriation s'effectue par le biais
de brevets. Ce document permet d'obtenir un titre de propriété industrielle qui
confère un droit d'exploitation exclusif de « l'invention ».
Selon Joji Cariño (de l'alliance des peuples tribales autochtones des forêts
tropicales) le système des droits de propriétés intellectuels constitue une
menace grave aux systèmes de santé indigènes. En effet, les peuples
indigènes ont souvent une vision holistique de la nature et de leur société et il
58
G. Grossman, A. Krueger (1994), Economic Growth and the Environment, NBER Working Papers n°4634
59
J. Agras, D. Chapman (1999), A dynamic approach to the Environmental Kuznets Curve hypothesis, Ecological
Economics, Volume 28, Issue 2, February 1999, Pages 267-277
60
Raupach et al. (2007), Global and regional drivers of accelerating CO2 emissions, Harvard University, Cambridge
n'y a habituellement aucune distinction faite entre la nourriture et la
médecine61. Il y a donc une dette écologique, mais surtout sociale, qui est
contractée par la pratique de la biopiraterie.
Le danger pour l'Etat concerné par le brevetage d'une espèce située sur son sol
est avant tout financier. En effet, en cas de brevetage par une firme étrangère,
l'Etat en question perd une opportunité future d'exploiter cette espèce et ainsi
d'en tirer les avantages économiques. Cela participerait à conforter la relation
de force qui existe entre le centre et la périphérie. En effet, sans vouloir
caricaturer à l'extrême, on assiste, à cause de l'exploitation légalisée des
ressources génétiques à une domination financière des firmes
biotechnologiques des pays du Nord qui, après transformation ou simple
accaparement du vivant, créent des médicaments ou des cosmétiques dont les
retombées financières ne bénéficient qu'au Nord. Et cela sans que rien ne
reviennent aux peuples indigènes qui sont les véritables bio-ingénieurs et qui
durant des siècles ont expérimentés et croisés différentes espèces entre elles
afin d'en créer de nouvelles avec des vertus inédites.
C'est justement ce long travail de croisement d'espèces qui a une valeur
énorme pour les firmes biotechnologiques. Cependant, le prix qu’elles payent
est bien trop bas et ne reflète en aucun cas la valeur réelle des connaissances.
Les firmes vont jusqu’à s'attribuer la découverte des vertus d'une espèce déjà
utilisée depuis longtemps dans la médecine traditionnelle des peuples
indigènes.
Comme le souligne donc Accion Ecologica et d'autres ONG, le brevetage du
vivant constitue sans aucun doute une part indéniable de la dette écologique et
sociale que les pays industrialisés du Nord ont contracté envers les pays
fournisseurs de ces espèces. Cependant, l'estimation de la valeur de cette
dette écologique et sociale s'avère être très délicate, cela rejoint la question
que nous allons à présent aborder, à savoir la question de la valeur du vivant.
En effet, nous verrons pour terminer le dernier composant de la dette
écologique, à savoir la perte de service écosystémique.
2.3.4.3.
Perte de Fonction Environnementales
Analysons donc la perte de services écosystémiques en tant qu'élément
de la dette écologique. Mais tout d'abord définissons le concept. Ce sont les
fonctions qu’assure notre environnement (au sens de l'environnement
« nature ») et qui sont nécessaires à la vie des humains ainsi qu'à toutes les
autres espèces de la biosphère. Dans ce sens, ces fonctions environnementales
nous rendent un « service ». Cependant ce terme a une connotation largement
économique qui pourrait faire entendre qu'ils seraient échangeables en
contrepartie d'argent. Il y a donc eu un glissement sémantique qui légitime la
valorisation monétaire de l'environnement et de ces fonctions nécessaire à la
vie, notamment par le Millenium Ecosystem Assessment de 2005.
Le point de vue ici défendu se détache fortement de cette idée d'un possible
échange monétaire du fondement de la vie, à savoir la nature. C'est pourquoi
nous préférerons le terme de « fonctions » environnementales.
Ces fonctions sont traditionnellement divisées en quatre catégories d'après la
61
S. Fenwick (1998), Bioprospecting or Biopiracy ? Drug Discovery Today, Volume 3, Issue 9, 1 September 1998,
Pages 399-402
classification de De Groot et al.62 : Fonction d'approvisionnement, fonction de
régulation de la vie, fonction de support et fonction culturelle/spirituelle. Dans
ces quatre catégories sont subdivisées en vingt-trois processus ou fonctions
écosystémiques. Le tableau suivant nous informe de cette subdivision.
Figure 8 : Les fonctions environnementales
Source : Costanza, The value of the world's ecosystem services and natural capital
L'ensemble de ces fonctions écosystémiques sont donc fondamentales à la vie,
néanmoins, l'humain de par ses activités en altère chaque jour un peu plus la
qualité.
Un certain nombre d'auteurs d'économie écologique, comme Robert Costanza
ou Matthew Wilson notamment, tentent depuis peu d'estimer la valeur de ces
écosystèmes afin qu'ils soient pris en compte dans les décisions stratégiques
pouvant affecter l'environnement. En effet, les écosystèmes ont toujours eut
une valeur monétaire implicite de zéro, car jamais pris en compte en tant que
service de base de la vie. Les services écosystémiques sont évidement gratuit
pour tous les humains depuis la naissance de l'humanité, cependant, depuis la
révolution industrielle et la formidable croissance économique et
démographique qui l'ont accompagnées, nous dégradons ces fonctions
nécessaire à la vie, notamment car leur dépréciation n'est pas prise en compte
économiquement. Lorsqu'on se penche sur le tableau précédent on se rend vite
compte que la vie serait impossible sans ces fonctions environnementales.
Elles sont donc proprement inestimables. Malgré cela, ces auteurs tentent
précisément de l'estimer afin de les inclure dans les évaluations coût-bénéfice
précédant de nombreux projets d'infrastructures.
Durant l'histoire récente, une multitude de projets d'infrastructures ont
effectivement vue le jour de par le monde. Face à la demande croissante
d'énergie, de logements, de nourriture, de transports etc. de nombreux projets
de routes, de barrages, d'usines, de mines, de centrales nucléaires, de champ
de monoculture, de lotissements, d'aéroports etc. ont été imaginés et créés.
Ces projets ont évidemment un impact direct sur l'environnement, ce que l'on
définira comme les nuisances immédiates, sous formes de pollutions diverses
(contribution au changement climatique, atmosphère contaminée, pollution des
cours d'eau et/ou du littoral, perte de biodiversité, bruits etc.). Un deuxième
impact moins évident à prendre en compte est justement la perte de fonctions
écosystémiques. Par exemple la transformation d'un paysage bocager en
monoculture de canne à sucre va diminuer le contrôle naturel de l'érosion ainsi
que la pollinisation. De même, la création d'une route ou d'un barrage va
recouvrir une partie de territoire et ainsi annihiler les fonctions
environnementales que ce territoire assurait auparavant. Le degré de perte
dépend bien évidement de la qualité originelle du territoire affecté.
Dans le débat concernant la dette écologique, un point délicat est justement de
savoir s'il est opportun de vouloir estimer ou non la valeur de ces fonctions.
Les adeptes de l'estimation soutiennent comme nous le disions que cela
permettrait de prendre plus largement en compte l'environnement dans les
62
De Groot et al. (2002), A typology for the classification, description and valuation of ecosystem functions, goods and
services, Ecological Economics, Volume 41, Issue 3, June 2002, Pages 393-408
études préalables à certains projets. Cela permettrait de rendre compte des
possibilités de trade-off entre les projets sociétaux et les intérêts de
l'environnement et ainsi d'augmenter le bien-être humain de façon durable. En
effet, les possibilités de « win-win » dans les interactions entre l'homme et
l'environnement sont de plus en plus rares à mesure que l'œcoumène
progressent. Il est donc urgent de prendre beaucoup plus en compte
l'environnement dans nos décisions.
Cependant, le fait d'attribuer de la valeur à un élément de notre
environnement est profondément anthropocentrique. Cette obsession de la
valorisation est issue d'une longue tradition occidentale, où l'homme est
obnubilé par un désir de rationalité, rationalité qui est supposée être atteinte
en pesant le pour et le contre, et ce le plus souvent possible grâce à des
indicateurs monétaires.
Mais dans le cas de l'environnement, comme le dit J. Martinez-Alier, on peut se
demander « qui a le pouvoir de simplifier cette complexité en imposant un seul
langage d'évaluation ? [...] Qui a le pouvoir d'imposer sa conclusion dans une
discussion environnementale ?63 ». Ici, les questionnements concernant
l'évaluation monétaire ne cherchent pas tant à savoir quelle manière d'évaluer
est la bonne, mais plutôt à savoir quelles structures de pouvoirs économiques
sont derrières. En effet, nous soutenons ici que l'évaluation monétaire des
fonctions environnementales va dans le sens du modèle de développement
économique néo-classique, qui est justement responsable de la dégradation de
nos écosystèmes. D'ailleurs le principe de Paiement pour Services
écosystèmiques (PSE) répond le plus souvent à la demande d'un acheteur, et
ne se soucie pas assez souvent des besoins des habitants de la zone
concernée.
Dans cette controverse concernant la valeur de l'environnement il est
également crucial de clarifier la nuance entre la valeur d'échange et la valeur
propre d'un bien (pour sa valeur d'usage). Le paradoxe qu'à démontré Smith
entre la valeur d'un diamant et la valeur de l'eau prouve l'incohérence possible
de la valeur d'échange : bien que l'eau ait une valeur infinie (ou
indéfinissable), car indispensable à la vie, un diamant insignifiant pour la
survie de l'homme a une bien plus grande valeur d'échange. Dans ce cas,
quelle valeur donnera t'on à un arbre qui purifie l'air que nous respirons ?
Quelle valeur donnerat'on à une abeille qui pollinise et nous permet ainsi de
manger des fruits ? Quelle valeur donnera t'on à un cours d'eau qui participe
au cycle de l'eau et nous permet de boire à notre soif ?
Dans le cadre d'un projet d'extraction, un autre questionnement lié à ce débat
est de définir l'utilité de ces estimations et de savoir à qui l'argent devrait être
reversé.
Le fait qu'une firme privée doit payer pour les dommages environnementaux
qu'elle occasionne est compréhensible et tout à fait légitime. Comme nous
l'avons vu, Total ou Texaco sont mis en cause pour leurs gestions
environnementales désastreuses et doivent donc payer, ou plutôt rembourser
pour les dommages occasionnés.
Cependant, une entreprise pétrolière ou d'extraction minière, si l'on admet
63
J. Martinez-Alier (2007), Conflits de distribution écologique, identité et pouvoir, in Cornut et al. (2007),
« Environnement et inégalités sociales », éd. De l'Université de Bruxelles
qu'elle minimise au maximum ces impacts environnementaux, devraient-elle
payer pour les fonctions environnementales qu'elle utilise ? Il est effectivement
clair que chaque activité, en plus de la pollution qu'elle engendre, utilise et
consomme des fonctions environnementales comme la régulation du débit
aquatique ou du cycle des gaz. Ces firmes devraient-elles payer pour ces
fonctions environnementales ? Et à qui ?
Nous soutenons ici encore que cela constituerait un début de privatisation de
ces « services » et que cela va donc dans le sens opposé de l'objectif
poursuivi, à savoir une protection accrue de l'environnement et surtout sa
conservation en tant que bien commun et espace vital de l'humanité. Un
exemple en Equateur concerne le projet PROFAFOR (Programa Face de
Forestacion), c'est un mécanisme de Paiement pour Service Ecosystémique
(PSE), financé par la fondation Hollandaise FACE (Forests Absorbing
Carbondioxide Emissions), elle même financé par des compagnies d'électricité
Hollandaise afin de compenser leurs émissions de carbone64. Nous voyons dans
ce mécanisme de PSE une fausse solution au changement climatique. En effet,
cela peut être considéré comme une sorte d'écoblanchiment, où des
compagnies polluantes du Nord rachètent leurs émissions en finançant un
programme de protection forestière. D'ailleurs, leurs émissions ne sont que
neutraliser, et non pas diminuer comme cela devrait être le cas si l'on cherche
réellement à inverser la tendance du réchauffement globale. De plus, ce
schéma de PSE reproduit des mécanismes de dépendance économique entre le
Nord et le Sud, en assujettissant des communautés paysannes à des
compagnies électriques Hollandaise.
Enfin, il faut préciser que le fonctionnement des écosystèmes et les
interactions qui existent entre les espèces et le milieu abiotique sont encore
insuffisamment connues. Les chiffres avancés par Costanza concernant la
valeur de la biosphère sont, il le dit lui-même, des considérations minimales.
Ces chiffres ne peuvent pas prendre en compte la dynamique propre à chaque
écosystème, ou encore la notion de seuil ou d'irréversibilité de certains
phénomènes car ils sont des « photographies » instantanées de l'état de
l'écosystème ignorant les interdépendances complexes qui existent au sein des
systèmes naturelles planétaires.
Cette question de remboursement pour utilisation de fonctions
environnementales prend une autre tournure à l'échelle nationale. Nous
verrons cela plus loin notamment avec le cas des fonctions environnementales
du Parc National Yasuni en Equateur. Il faut en effet nuancer notre propos et
garder à l'esprit que la valorisation monétaire des fonctions environnementales
reste aujourd'hui une ébauche de solution face à la dégradation accélérée de
l'environnement. Le risque de privatisation des « services » environnementaux
peut être évité si l'on sait exactement dans quel objectif on souhaite fixer un
prix aux écosystèmes. Ici, dans le cadre de l'évaluation de la dette écologique
entre Etats, il s'agit de faire prendre conscience des dégradations occasionnées
par le passé et d'avertir des possibles détériorations futures. A l'échelle d'un
projet, prendre en compte les fonctions environnementales dans l'évaluation
64
S. Wunder, M. Alban (2008), Decentralized payments for environmental services : The cases of Pimampiro and
PROFAFOR in Ecuador, Ecological Economics, Volume 65, Issue 4, 1 May 2008, Pages 685-698
d'impact permet de faire prendre conscience de l’inestimable valeur de
l'écosystème mis en péril. Nous voyons donc cela comme une mise à prix
symbolique reflétant forcément à la baisse l'immense valeur de la nature.
Nous avons donc bien pris conscience de tout l'enjeu qui se cache derrière les
fonctions environnementales et leurs évaluations. Dans le cadre de la dette
écologique, cette composante est sans doute la plus importante, au vue de
l'infinie valeur des écosystèmes sacrifiés depuis la colonisation jusqu'à nos
jours. Cependant, si l'on analyse la perte de fonctions environnementales sur
le long terme, la notion de résilience est cruciale. L'environnement est en effet
un complexe agencement de systèmes dynamiques. Le concept de résilience a
deux composantes : 1. le temps nécessaire au système pour retrouver son état
d'origine et 2. l’intensité du stress à partir duquel le système peut retrouver
son état (ou le seuil à partir duquel le système ne peut plus retrouver son état
d'origine)65. Dans l'analyse de la résilience d'un écosystème, il faut donc
connaître avec précision l'intensité du stress auquel un système risque d'être
soumis. Dans le cadre d'un projet de barrage, l'écosystème engloutie ne sera
jamais récupéré, dans le cadre d'un projet de mine à ciel ouvert, il faudra une
très longue période avant que l'écosystème puissent retrouver son état
d'origine.
Pour conclure, le concept de dette écologique a donc plusieurs tenants et
aboutissants. Il n'existe à ce jour aucune méthodologie précise et consensuelle
sur la façon de l'évaluer bien qu'un nombre croissant d'académiciens et d'ONG
travaille sur le concept. La méthode d'estimation dépendra du point de départ,
selon que l'on se place du point de vue du pays consommateur (et donc
débiteur), ou selon que l'on se place du point de vue du pays créancier. Il faut
également avoir une approche multidisciplinaire et ne pas perdre de vue les
nombreuses interrelations entre dette écologique, sociale et historique. Cela
nous amènerait à penser le concept de dette écologique d'une part dans le
cadre de « l'écologie économique », et d'autre part dans le cadre de la
« justice environnementale ». Le fait que le concept soit apparu à la base,
dans une logique bottom-up, crée également une certaine confusion dans la
définition de la dette écologique.
Voyons à présent plus en détail comment sont corrélées les problématiques de
dette extérieure et de dette (ou créance) écologique d'un pays.
2.4.
Relation entre dette écologique et dette extérieure
Comme nous le dit Torras, « les pays pauvres dégradent leur environnement
afin de rester économiquement compétitifs »66 sur le marché mondial. Dans le
cadre du marché global, la compétition entre les grandes puissances
économiques pousse à toujours plus de délocalisation, là où les standards
environnementaux et sociaux sont moins contraignants. Voyons donc les
relations qui existent entre le centre et la périphérie concernant les
65
K. Limburg et al. (2002), Complex systems and valuation, Ecological Economics, Volume 41, Issue 3, June 2002,
Pages 409-420
66
M. Torras (2003), An Ecological Footprint Approach to External Debt Relief, World Development, Volume 31,
Issue 12, December 2003, Pages 2161-2171
problématiques de dette écologique et de dette extérieure.
Durant la seconde moitié du XXIème siècle, l'économie des pays du centre a
effectué un glissement des secteurs primaire (d'extraction) et secondaire (de
transformation) vers le secteur tertiaire, ou secteur des services. Certains
économistes ont alors affirmés que cette transition s'accompagnerait d'une
dématérialisation de l'économie. En effet, le secteur tertiaire est composé
notamment d'activités comme la finance, l'assurance ou encore l'assistance
aux personnes. De telles activités engendrent effectivement une forte création
de richesses sans forcément nécessiter beaucoup de matière. On peut donc
observer une certaine dématérialisation de la création de richesse si l'on
observe ces systèmes économiques à part, sans prendre en compte les
échanges avec le reste du monde.
Cependant, à l'échelle mondiale tous les graphiques de production (ou plutôt
d'extraction) de matières premières non renouvelables sont en nette
augmentation, à un tel point que l'on s'approche du pic de « production » pour
bon nombre de matière. On pense par exemple au désormais célèbre « pic de
Hubbert »67 concernant le pétrole. Il est donc clair que l'économie n'est
certainement pas en train de se dématérialiser.
La formidable création de richesse du secteur tertiaire a donc dégager des
excédents qui ont permis de soutenir la consommation dans les pays du
centre, sans avoir besoin de recourir aux emprunts. Comme nous le verrons il
en est autrement dans les pays de la périphérie.
Les pays du centre ont donc pu importer de grandes quantités de matière
première à un bas prix. Après le processus de transformation de ces produits,
ce qui leur ajoutent une plus-value considérable grâce à des techniques et à un
certains « know-how », les pays du centre peuvent revendre des produits
manufacturés à un coût bien plus élevé. Nous retrouvons ici la thèse de
Prebisch concernant la dégradation des termes de l'échange. Ce concept a
donc donné naissance à la théorie de l'échange économiquement inégale.
Ainsi, la dégradation des termes de l'échange est le mécanisme grâce auquel
les pays du centre peuvent acquérir la matière et l'énergie nécessaire au
métabolisme sociale de leurs sociétés.
Il en est tout autrement dans les pays de la périphérie où l'on peut constater
chaque jour que l'économie n'est certainement pas en train de se
dématérialiser. En effet, afin de maintenir un taux de croissance suffisamment
élevé, ces pays, riches en matière première, doivent sans cesse augmenter
leurs productions. La faible élasticité de la demande en matière première va
engendrer, grâce au jeu de l'échange international, une diminution du prix de
ces matières premières. C'est pourquoi on constate une relative surproduction
de matières premières dans les pays de la périphérie, mais également dans le
centre (on pense notamment aux surproductions subventionnées par la
Politique Agricole Commune). La dégradation des termes de l'échange
engendrant donc l'échange économiquement inégale qui a son tour va créer
crée les conditions de la contraction d'une dette écologique par le centre. En
effet, si l'on reprend la thèse de Prebisch et qu'on l'analyse non pas d'un point
de vue économique mais du point de vue de l'échange de matière, on constate
67
Kenneth Deffeyes (2005), Beyond Oil The View From Hubbert's Peak, Hill and Wang, New York.
qu'il existe également un échange écologiquement inégal 68. Nous verrons une
application de cela dans la prochaine partie concernant la dette écologique
contractée par les pays tiers envers l'Equateur.
Dans les pays de la périphérie, l'objectif de croissance du PIB se fait donc au
prix de la dégradation du capitale naturelle. D'autant plus qu'une grande part
de l'excédent dégagé va au remboursement de la dette extérieure, ne
permettant pas au pays d'investir afin de restructurer son économie et d'être
ainsi moins dépendante de l'extérieur. C'est justement la pression qu’émettent
les institutions financières internationales pour le remboursement de la dette
extérieure des pays de la périphérie qui crée les conditions de la contraction
d'une dette écologique. En effet, ils doivent toujours produire davantage pour
exporter davantage est ainsi gagner de l'argent qui ira au remboursement de
la dette. Et comme ces pays, parfois appelé « en développement », n'ont pas
encore d'industrie suffisamment développé pour transformer leurs extractions,
ils ne peuvent que les exporter. En effet, au lieu d'essayer de restructurer les
secteurs d’activités économiques afin d'obtenir plus d'autonomie, l'objectif
poursuivi est l'augmentation de la productivité. Cette augmentation de la
productivité est rendu possible grâce à la dégradation des conditions sociales
des travailleurs (augmentation des heures de travail) mais également à cause
de la non prise en compte de l'environnement. Ce cas de figure est
particulièrement parlant pour bon nombre de pays Africains. En Amérique
latine, le secteur secondaire est relativement développé mais l'essentielle de la
création de richesse vient de l'extraction de ressources naturelles, comme nous
le verrons dans la partie suivante avec l'Equateur.
Enfin, il faut tenir compte du temps nécessaire pour produire des ressources
naturelles. Le cycle de production de la biomasse suit les cycles naturels des
saisons et le pétrole brut lui, nécessite des millions d'années de maturation
avant d'être extractible. Ces temps sont considérables en comparaison avec les
temps nécessaires à la transformation de matières premières en biens
manufacturés. Cela pourraît également entrer en compte dans la dette
écologique. Nous allons ici simplement citer une étude de M.J. de Wit qui à
tenter d'évaluer le coût de la formation d'un gisement de cuivre formé il y a
50.000 ans. Ce calcul serait ainsi transposable à toute les matières. Dans son
évaluation, l'auteur se base sur la chaleur (donc l'énergie) présente à cette
époque dans la croûte terrestre. Il définit ensuite le coût actuel de production
d'une tel quantité d'énergie et arrive à un coût de production du cuivre
équivalent à 33,000 US$/t, environ 10 ou 20 fois la valeur marchande actuelle
du cuivre69. Ainsi, la prise en compte dans la dette écologique des temps de
formation des matières premières exploitées par les pays de la périphérie est
également possible.
Enfin, le point central de notre raisonnement est ici que la dette écologique du
centre est également aggravée par la non-prise en compte des externalités
négatives sur l'environnement. En effet, les exportations de matières
premières sont fortement sous-évalués. Si l'on prenait en compte les impacts
directs, c'est à dire la pollution engendrée par les divers secteurs extractifs, le
68
M.A. Perez-Rincon (2006), Colombian international trade from a physical perspective : Towards an ecological
“Prebisch thesis”, Ecological Economics, Volume 59, Issue 4, 15 October 2006, Pages 519-529
69
M.J. de Wit (2005), Valuing copper mined from ore deposits, Ecological Economics 55, pp. 437– 443
prix à l'exportation reflèterait davantage le réel prix de l'environnement. Afin
de pousser encore plus loin cette logique d'internalisation, on pourrait
également prendre en compte le coût des fonctions environnementales utiliser
et dégrader par les activités extractives.
C'est justement ce que nous allons essayer de mettre en lumière dans la
dernière partie de ce travail concernant l'internalisation des impacts
environnementaux du projet d'extraction minier Mirador.
De plus, si de par le monde les exportations de matières premières sont sousévaluées, la situation est pire dans les pays de la périphérie où les coûts sont
de manière générale largement plus bas. En effet, les coûts minimes,
notamment du foncier ou de la main-d'oeuvre, engendrent une forte pression
sur le secteur primaire, à savoir l'extraction de matière première. Cela
participe donc à la quasi-constante évaluation à la baisse dans les pays de la
périphérie de l'environnement et des hommes y habitant.
En plus de cela, l'utilisation abusive et gratuite de fonctions environnementales
ne permet pas non plus de rendre compte du réel prix de l'environnement.
Comme nous le verrons dans la prochaine partie, la relation entre dette
écologique du centre et dette extérieure de la périphérie est cependant bien
plus complexe si l'on rentre dans les détails de la structure de la dette
extérieure et de la composition des exportations de matière.
Comme l'a théorisé J. Martinez-Alier, si la dette est élevée et les taux d'intérêts
importants, le future est sous-évaluer et les questions environnementales ne
sont pas considérées à leurs juste valeur. Parallèlement, si l'on ne prend pas
en compte l'environnement et que l'on accorde que peu d'importance à la
raréfaction des ressources naturelles, à la perte de la biodiversité et à
l'augmentation de l'effet de serre, les niveaux d'exploitation du capital naturel
augmenteront.
Ainsi, la dette extérieure de nombreux pays de la périphérie est un
moyen de pression grâce auquel le centre peut extorquer les ressources
nécessaires à son métabolisme social. Cependant, la valeur d'échange de ses
ressources ne reflète en rien leur valeur d'usage. Comme nous l'avons vu, les
pays de la périphérie manquent de pouvoir afin d'internaliser la dégradation de
l'environnement et la réelle valeur des fonctions environnementales utilisées.
Une reconnaissance de la dette écologique et l'annulation de la dette
extérieure des pays de la périphérie permettraient donc de diminuer jusqu'à un
certain degré la pression sur l'environnement.
D'autre part, nous pouvons supposer qu'un prix plus élevé sur des ressources
comme le pétrole ou d'autres ressources non renouvelables (ou trop
polluantes) permettrait également de diminuer la pression sur le capital
naturel. En effet, la mise en place à l'échelle planétaire d'un système de prix
plus prohibitif, selon les niveaux de vie respectifs, permettrait sans ausun
doute de diminuer la pression sur l'environnement. On pourrait espérer que
cela obligerait le Nord à s'adapter écologiquement aux réelles conditions de
l'état de la biosphère. Voyons à présent plus en détail les différentes échelles
d'estimation de la dette écologique, en commençant par l'Equateur.
Partie 3 : Les différentes échelles d'estimation de la dette écologique.
Maintenant que nous avons analysé l'historique de l'exploitation des ressources
naturelles en Amérique andine et vu quelques notions d'économie-écologique,
nous allons nous attaquer au fond de notre problématique, à savoir la
recherche du lien qui existe entre l'ouverture à l'échelle locale d'un projet
minier et l'augmentation à l'échelle nationale (Equateur) de la créance
écologique, donc de la dette écologique des pays tiers jouissant de ces
ressources. Nous commencerons notre analyse pas la structure de l'économie
Equatorienne et l'analyse des flux biophysiques qu'elle engendre, avant de
nous focaliser sur le projet Mirador dans la cordillère du Condor.
3.1.
Echelle Nationale, cas de l'Equateur
3.1.1.
Composition de la créance écologique d'après l'analyse de la structure
biophysique de l'économie Equatorienne
A l'échelle d'un pays, l'analyse des flux monétaires nous permet de
nous rendre compte de la situation économique du pays. Pour l'Equateur, la
balance commerciale a beaucoup fluctué depuis la fin des années 90, bien
qu'elle soit le plus souvent positive en raison de l'exportation du pétrole. En
2000, la dollarisation a permis une certaine reprise économique après la crise
de 1999. Le revenu par habitant est passé de $1296 en 2000 à $3670 en 2007
et le taux de pauvreté à chuté de 51% à 38% entre 2000 et 2007 1. Cependant
ces chiffres à première vue encourageants ne rendent pas compte des flux
biophysiques qu'engendrent les échanges commerciaux de l'Equateur. L'outil le
plus adapté pour évaluer les flux biophysiques qu’entend le fonctionnement de
l'économie est l'Analyse des Flux de Matières (AFM). Cet instrument se base
sur le concept du métabolisme social, concept développé par Marx afin
d'expliquer les interrelations entre l'homme et la nature.
1
US department of state : http://www.state.gov/r/pa/ei/bgn/35761.htm
A ce jour, seule une étude a été faite sur l'AFM de l'Equateur. L'auteure en est
Maria-Cristina Vallejo, une économiste qui a réalisé cette étude dans le cadre
de sa thèse à la FLACSO (Facultad Latinoamericana de Ciencas Sociales). Dans
son étude, elle met en évidence la balance commerciale physique de l'Equateur
qui se trouve être continuellement négative. Le pays, car il exporte plus de
matière qu'il n'en importe est donc fournisseur net de matière au reste du
monde. Selon la composition, et le potentiel polluant de ces matières, nous
allons donc analyser si l'Equateur subit un échange écologiquement inégale ou
non.
La structure biophysique de l'économie Equatorienne est semblable à celle de
nombreux pays de la périphérie, c'est à dire avec une faible utilisation de
matériel par habitant, à seulement un quart du niveau européen moyen (cf
annexe 2 : Comparaison des flux de matière entre l'Europe15 et l'Equateur,
2000), et avec un taux élevé d'exportation. Les chiffres sont éloquents : durant
la période 1970-2007, en moyenne 62.1 millions de tonnes de matières par an
se sont écoulées dans l'économie. Sur ces 62.1, 58.6 millions de tonnes ont
été extraite dans le pays et les 3.5 restant ont été importées. Contrairement
aux pays dits du centre qui importent en générale largement plus que ce qu'ils
produisent, les pays de la périphérie comme l'Equateur ont en général un rôle
de « fournisseur » de matières premières. En effet, toujours sur les 62.1
millions de tonnes, 47.8 millions de tonnes ont été consommées dans le pays,
tandis que les 14.3 millions de tonnes restant étaient vouées à l'exportation,
soit près du quart de la production nationale70 (Exactement 23% des
extractions domestiques).
Cette grande différence entre les importations (3.5) et les exportations (14.3)
met en évidence une balance commerciale physique négative. L'Equateur a
donc exporté en moyenne 10.8 tonnes par an, toujours sur la même période
étudiée. Cependant, la balance commerciale monétaire a elle enregistré un
surplus de 294.1 millions de dollars.
On peut donc en conclure que le pays a favorisé une balance commerciale
monétaire positive, au détriment de son capitale naturelle. Cette pression sur
les ressources naturelles du pays ne se doit donc pas uniquement à la
consommation nationale, mais surtout à la surconsommation étrangère. La
figure suivante nous indique le solde commerciale physique et monétaire de
l'Equateur depuis 1970 jusqu'à 2007.
Figure 9 : Balances commerciales (physique et monétaire) de l'Equateur
(1970-2007)
70
M. C. Vallejo, Biophysical structure of the Ecuadorian economy : Policy implication, Flacso,
Quito, 2007
Source : M. C. Vallejo, Biophysical structure of the Ecuadorian economy : Policy implication,
Flacso, Quito, 2007
Le solde physique négatif indique qu'il y a davantage de matière qui quitte le
pays qu'il y en a qui entre. L'Equateur est donc exportateur physique net de
matière. Ces matières sont obtenues par divers processus extractifs qui
dégradent l'environnement national au profit des pays importateurs.
Le solde monétaire est lui par contre toujours positif à quelques exceptions
près. Cela est essentiellement dû aux revenus du pétrole, sans doute une des
activités avec le passif environnemental le plus lourd en raison de la
déforestation, de la contamination, et de la libération de gaz à effet de serre.
Cette activité extractrice s'effectue principalement dans la forêt amazonienne,
c'est à dire la zone la plus riche du pays du point de vue de sa biodiversité. La
construction de routes d'accès ouvre par la suite la voie à davantage de
déforestation. Il y a donc des impacts environnementaux en cascades liés à
l'exploitation du pétrole.
Durant la crise des années quatre-vingt, appelée « la décennie perdue », le
solde commerciale monétaire augmentait très sensiblement. En termes
physiques cependant, la balance commerciale augmentait à un rythme bien
plus rapide, de l'ordre de 7,5%. L'ajustement à la crise était donc biophysique
dans le sens où la quantité de matières premières extraites a beaucoup
augmenté afin de pallier à la stagnation des flux monétaires.
La période des années 90 était une période de recouvrement pour l'économie
Equatorienne. En termes de flux biophysiques, cela se traduit par une moins
grande pression sur les extractions de matières. Néanmoins, la crise de 1999
qui a débouché sur la dollarisation de l'économie va participer à transformer la
structure des flux biophysiques.
Depuis le début des années 2000, on constate en effet des signes de « maladie
hollandaise » dans l'économie Equatorienne. Des changements radicaux des
prix du pétrole sont la principale cause de l'apparition de maladie hollandaise.
L'effet de richesse ressentie par le boom du pétrole a engendré une hausse de
la demande domestique de biens commercialisables et de biens non
commercialisables (les biens non commercialisables sont par exemple les
infrastructures de transport, d'éducation et de santé). Les importations de
matière vont donc augmenter afin de satisfaire cette demande, ce qui aura un
effet inverse sur la production locale. L'industrie locale manufacturière subira
donc un ralentissement et ressortira affaiblie après la rechute des cours du
pétrole.
Revenons à présent aux 23% de la production nationale voués à l'exportation.
Il peut en effet apparaître relativement insignifiant que seul moins d'un quart
de la production nationale Equatorienne aille alimenter la contraction d'une
dette écologique par les pays tiers. Il est donc crucial de savoir de quoi ces
23% de matière exportée sont composés. Pour cela, nous pouvons comparer
les deux figures suivantes concernant les importations et les exportations de
matériels.
Figure 10 : Importations de matières de l'Equateur (1970-2007)
Source : M. C. Vallejo, Biophysical structure of the Ecuadorian economy : Policy implication,
Flacso, Quito, 2007
Figure 11 : Exportations de matières de l'Equateur (1970-2007)
Source : M. C. Vallejo, Biophysical structure of the Ecuadorian economy : Policy implication,
Flacso, Quito, 2007
Tour d'abord, nous constatons comme nous le disions plus haut que les
exportations sont de largement supérieurs aux importations, au vu de la
position de l'Equateur sur le marché internationale en tant qu'exportateur net
de matière.
Focalisons-nous ensuite sur le graphique des exportations. Il y a depuis les
années 70 une nette augmentation des exportations de matières, depuis
environ 2 millions de tonnes jusqu'à plus de 25 millions de tonnes de matière
aujourd'hui. Le pétrole est le principal responsable de cette explosion des
exportations. En effet, dès le début de l'exploitation des nappes de pétroles en
1971, cette matière constitue environ plus des deux tiers des exportations.
Depuis, on constate une certaine volonté de diversifier les exportations de
matières afin de ne pas rendre l'économie trop dépendante du pétrole. Malgré
cette volonté affichée, nous constatons des signes de maladie hollandaise clairs
à partir de 2003 avec un ralentissement des exportations de biomasse liés à
l'agriculture et à la pêche mais également aux produits manufacturés. En bref,
il est important de pointer du doigt l'énorme part du pétrole dans les
exportations de l'Equateur. Aujourd'hui, au vue de la volonté du gouvernement
de diversifier son économie, et d'ainsi dépendre moins du pétrole, le pays
pourrait exécuter une transition vers l'exportation de minerai.
Bien que le pétrole représente la majeure part des exportations, soulignons
que le pays importe des biens manufacturés pétroliers, n'ayant pas de
raffinerie sur son territoire. Et après transformation, ces biens sont évidement
plus onéreux. Une ébauche de solution pour rendre l'Equateur moins
dépendant de l'extérieur et des fluctuations des marchés internationaux serait
donc de se concentrer sur la mise en place d'industries, et notamment de
raffineries.
Concentrons-nous à présent sur les Extractions Domestiques de Matières de
l'Equateur et comparons ce graphique aux Exportations de matières.
Figure 12 : Extraction Domestique de Matière en Equateur (1970-2007)
Source : M. C. Vallejo, Biophysical structure of the Ecuadorian economy : Policy implication,
Flacso, Quito, 2007
Nous savons qu'environ un quart des matières extraites sont exportées. Parmi
les matières initialement extraites sur le territoire Equatorien, nous trouvons
trois catégories de matières principales qui sont les combustibles fossiles
(pétroles), le minerai et la biomasse (de l'agriculture, de la pêche et de la
sylviculture). En poids, l'agriculture représente la plus grande part des
extractions, puis viennent les combustibles fossiles, le minerai et enfin la
pêche. Au total en 2006, ce sont plus de 90 millions de tonnes qui ont été
extraites de l'environnement. Parmi ces 90 millions, 23% ont été exportés. La
question est donc de savoir de quoi sont constitués ces 23% de matière.
La graphique des exportations de matières de l'Equateur nous indique qu'en
2006 plus de la moitié de la matière extraite était du pétrole, viennent ensuite
la biomasse liée à l'agriculture puis les produits manufacturés, le reste
représente une part minime et nous n'allons donc pas la détailler ici. Plusieurs
des produits exportés peuvent être catégorisés comme étant des produits de
luxe, comme les fleurs ou les crevettes, d'autres ne font que satisfaire la
demande énergétique des pays du centre, ce qui est le cas avec le pétrole.
Les impacts de l'exploitation, du transport et de la combustion de pétrole sont
aujourd'hui bien connus. Les problèmes environnementaux liés à cette matière
première sont multiples et variés et se font sentir aussi bien localement que
globalement.
Parmi ces problèmes, citons localement la détérioration des écosystèmes et
l'annulation des fonctions environnementales associées, en plus des problèmes
de santé relevés à proximité des puits de forage. En Equateur de nombreux
rapports de Oilwatch détaillent fort bien les conséquences environnementales
et sociales de l'exploitation pétrolière et nous invitons le lecteur à s'y référer
pour plus d'information sur le sujet.
Plus globalement, nous pensons évidemment au réchauffement planétaire en
tant que première conséquence de l'exploitation pétrolière avec toutes les
réactions en chaîne que cela suppose. Notons au passage que les populations
les plus vulnérables au changement climatique se trouvent dans les pays de la
périphérie. Le PNUD affirmait dans un rapport récent qu'il existe une relation
inverse entre la responsabilité pour le changement climatique et la
vulnérabilité face à ses effets71.
D'un point de vue géopolitique, signalons également que l'exploitation
pétrolière est la source de nombreux conflit armée dans le monde, la guerre en
Irak de 2003 nous en offre un exemple frappant. Cette ressource alimente
parfois des réseaux mafieux, ce qui engendre encore de terribles impacts pour
les populations civiles aux alentours des puits pétroliers.
En termes de poids, les exportations de biomasse sont justes derrière le
pétrole. Il s’agit ici de savoir quelles sont les cultures concernées et dans
quelles conditions elles sont cultivées. Nous n'examinerons ici que deux des
plus importantes cultures pratiquées en Equateur, à savoir les fleurs et la
banane.
Martha Moncada est la première à avoir effectué une AFM de l'industrie
floricole en 2006, nous nous baserons donc sur son étude ici.
L'industrie floricole représente un des secteurs d'exportation non traditionnel
les plus dynamique du pays. D'un point de vue économique, la croissance
annuelle moyenne du secteur entre 1985 et 2004 a été de l'ordre de 46%,
représentant la sixième source de devise du pays derrière le pétrole, l'argent
de la diaspora, la banane, les crevettes et le tourisme72.
L'activité se concentre dans les montagnes andines et affecte énormément le
mode de vie des communautés paysannes présentes sur place, ce qui
engendre une dette sociale non négligeable. En effet, des agriculteurs se
dédiant à la culture familiale de subsistance (une activité souvent en respect
avec l'environnement et en accord avec ses cycles naturels) se sont convertis
en main-d’œuvre bon marché pour l'industrie floricole.
En plus de la dette sociale, une lourde dette écologique a été contractée par
les pays tiers compte tenu du fait que la quasi totalité de la production est
voué à l'exportation. Parmi les impacts environnementaux de l'industrie
floricole, citons le remembrement de terres agricoles et la détérioration de
celles-ci par l'usage intensif de fertilisants et de pesticides souvent hautement
toxiques (cf Annexe 3 : Entrée direct de matière utilisée pas l'industrie
floricole, en tonne entre 1986 et 2003). De plus, l'activité requiert des volumes
d'eaux exorbitants et un usage intensif d'énergie.
M. Moncada estime par exemple que pour chaque tonne de fleurs exportées,
0.2 t. de matières hautement toxiques restent sur les lieux de production.
Concernant la production de banane, l'Equateur est le troisième producteur
mondial, avec près de 10% de la production en 2003 73. Sur les 100% de
biomasse commercialisée par l'Equateur sur le marché mondiale, ce fruit
représente 86%. De plus, c'est une des activités, qui avec le café et le cacao
génère le plus d'emploies dans le pays. La croissance de ce secteur a engendré
la colonisation et la déforestation de nouveaux territoires. On est donc
71
PNUD (2007) Informe sobre el desarollo humano 2007-2008. La lucha contra el cambio climatico: solidaridad
frente a un mundo dividido. PNUD.
72
U. Villalba (2008), El concepto de deuda ecologica y algunos ejemplos en Ecuador, EcoCri, Bilbao
73
NationMaster – Agriculture – Banana, http://www.nationmaster.com/red/pie/agr_ban_pro-agriculture-bananaproduction (15/08/2009)
également dans un cas de remembrement territorial. Bien que les intrants
phytosanitaires soient moins importants que dans l'industrie floricole, d'autres
impacts environnementaux existent. On pense par exemple à l'érosion accrue
des sols à cause de la déforestation et de la mise en place d'une agriculture
intensive.
En Equateur, comme dans de nombreux pays de la périphérie, les organismes
de finances internationaux poussent également à la mise en place de
mégaprojets en contrepartie des prêts accordés. Un exemple frappant est la
création du projet « Jaime Roldos Aguilera » qui comprend la construction d'un
barrage, d'une centrale hydro-électrique, d'un système d'irrigation et de
transvasement et qui doit assurer de l'eau potable pour la plus grande ville du
pays, Guayaquil. Ce projet a été financé à 79% par des organismes financiers
extérieurs au pays, donc avec des prêts à taux d'intérêt variables. Nous
voulons ici souligner que la contraction d'un prêt avec un taux d'intérêt
variables est risqué pour le pays, au vue de la possible augmentation du taux
d'intérêts en fonction des fluctuations financières et économiques mondiales.
L'Equateur a en quelque sorte une constante épée de Damoclès qui peut
s'abattre sur son économie.
Luis Corral, chercheur en économie environnementale, a tenté une estimation
coûts bénéfices de ce projet en y incluant les externalités négatives. Dans les
externalités négatives, il inclut les déplacements de population, leur isolement,
l'augmentation de la mortalité et de la morbidité, le risque d'effondrement du
barrage et la destruction d'un mode de vie et de production ancestrale, tout
ceci pour les coûts sociaux. Concernant les coûts environnementaux, l'auteur
inclut la déforestation, l'érosion et l'accroissement de sédiments dans le lac de
barrage pour ce qui est du valorisable. Il cite également sans les valoriser la
contamination de l'eau, l'expansion d'algues invasives et la contribution à
l'effet de serre.
Luis Corral estime le coût des impacts sociaux et environnementaux à
3.771.647.971,84 US$ alors que le coût initiale du projet étaient de
1.638.933.545 US$74. Nous invitons le lecteur à se référer à son étude pour
plus de détails sur les méthodes de calculs.
Bien que cette étude tente d'être la plus exhaustive possible, elle ne peut
inclure plusieurs externalités difficiles à prendre en compte et que l'on ne peut
pas évaluer. Cependant elle essaye de rendre compte du réel coût d'un des
plus grands projets d'infrastructure existant en Equateur. Il existe à l'heure
actuelle plusieurs autres projets d'une envergure moindre mais dont le coût
social et environnemental n'est pas assez pris en compte.
Luis Corral a donc clairement pointé du doigt un exemple de projet générant
une dette écologique et sociale, qui en plus de cela augmente la dette
extérieure de l'Equateur à cause des prêts contractés.
Pour revenir et conclure sur l'AFM de l'Equateur, nous pouvons reprendre les
mots de M.C. Vallejo en statuant que « l'intégration (du pays) dans le marché
international a affecté négativement l'environnement domestique, et ce plus
intensivement encore depuis les années 90, lorsque l'ouverture commerciale
74
L. Corral (2006), Sembrando Desiertos : La deuda social y ecologica generada por el endeudamiento externo en el
proyecto de proposito multiple Jaime Roldas Aguilera, Accion Ecologica, Quito
s'est accrue ». En effet, l'Equateur est un petit pays, ne représentant que
0,2% de la surface du globe mais avec un taux de biodiversité plus élevé que
l'Europe entière75. Sa sauvegarde est donc un enjeu de taille non seulement
pour le pays mais pour la planète entière.
Comme nous l'avons vu, les exportations de matières premières liées
directement à l'extraction depuis l'environnement naturel représentent une
part importante dans l'économie du pays. A eux seul, la production (le terme
« extraction » est plus approprié) de banane et de pétrole représente 85% du
poids annuel des exportations, et 59% en termes monétaires. L'impact
environnemental de ces biens commercialisables est donc significatif.
En plus du poids de la dette extérieure, la dégradation des termes de l'échange
mène à un cercle vicieux d'échange écologiquement inégal qui pousse
l'Equateur à constamment intensifier son degré d'extraction de ressources
naturelles. Ce processus met en péril l'autonomie du pays et ses capacités à
s'orienter vers un développement durable. L'Equateur doit donc considérer non
seulement le coût de la perte de ressources naturelles et les impacts qui en
découlent mais également l'éventualité future de devoir augmenter ses
importations de l'étranger si ses ressources venaient à s'épuiser.
Bien que les flux de matières concernant exclusivement l'économie
Equatorienne soit plus importants que ceux voués à l'exportation, l'impact
environnemental des biens destinés à l'exportation est significatif. L'extraction
et la combustion du pétrole engendre une lourde dette écologique pour les
pays tiers, tout comme la monoculture de banane ou de canne à sucre.
Cependant, comme nous allons à présent la voir, l'AFM de l'Equateur ne
permet pas de rendre compte de l'intégralité des dommages
environnementaux, donc ne rend pas compte de la totalité de la dette
écologique contracté par le reste du monde envers l'Equateur.
3.1.1.2.
Composantes supplémentaires afin d'estimer la dette écologique
L'analyse des flux de matière se révèle être un bon indicateur permettant de
bien comprendre l'échange écologiquement inégale que l'Equateur doit
supporter, cependant cet instrument ne rend pas compte de tous les aspects
de la dette écologique.
En effet, en plus du lourd passif environnemental qu'engendrent les flux de
matière, la dette écologique des pays du Nord envers l'Equateur se traduit
également par le brevetage du vivant, la dette du carbone et la perte de
biodiversité qui découle de la dégradation environnementale.
3.1.1.2.1.
Brevetage du vivant
De par sa situation géographique, l'Equateur est un pays immensément riche
du point de vue de sa biodiversité. Les expéditions, notamment de
« Conservation International », découvrent chaque fois de nouvelles espèces
endémiques. Cette connaissance est très convoitée par des firmes
biotechnologiques. En effet, grâce à des brevets sur le vivant, ces firmes
peuvent s'approprier « l'invention » d'une propriété particulière, souvent déjà
connue et utiliser par les peuples autochtones. Une piste de solution face à ce
problème de brevetage du vivant serait une distinction claire entre les notions
75
Biodiversidad en América Latina y El Caribe - La selva amazónica está en grave peligro -N. Ovando (2009),
http://www.biodiversidadla.org/content/view/full/50346 (15/08/2009)
« d'invention » et de « découverte ».
Le premier exemple d'appropriation du vivant par les pays du centre est
l'importation de la pomme de terre ou du maïs. Cette importation n'avait
cependant pas réellement pas de but lucratif en soi. Aujourd'hui au contraire,
plusieurs exemples d'expéditions ont comme unique objectif de trouver de
nouvelles propriétés dans le vivant afin de pouvoir le breveter et ainsi se
réserver les droits de ventes des produits dérivés. L'Equateur cour ainsi le
risque de perdre le droit de vente éventuel d'une plante endémique à son
territoire.
Un exemple frappant est le brevetage de la liane Banisteriopsis caapi, utilisée
depuis des générations pour la préparation d'un breuvage cérémonial :
l'Ayahuaska. Après plusieurs procès entre l'organisation des représentants des
peuples indigènes et la firme ayant breveté la liane, le brevet est finalement
revenu à la firme, confirmant ainsi la reconnaissance légale du pillage du
vivant.
3.1.1.2.2.
Dette du carbone
Depuis la révolution industrielle, un bouleversement sans précédent dans les
flux gazeux, et notamment de CO2 a eu lieu. En effet, l'invention de la
machine à vapeur, du train, de l'automobile, puis de l'aviation a engendré une
rapide croissance des rejets de gaz à effet de serre. Les rapports du Groupe
d'Experts Intergouvernemental sur l'Evolution du Climat (GIEC) mettent bien
en évidence la responsabilité humaine dans le changement global auquel nous
faisons face. La responsabilité historique des pays industrialisés est indéniable
face aux changements climatiques actuels. Comme l'affirme Accion Ecologica,
les pays du centre se sont « appropriés illégitimement les puits de carbone que
sont l'atmosphère, les océans et la végétation par des émissions
disproportionnées de dioxyde de carbone », qui est la cause principale de
l'effet de serre anthropique. Les volumes de gaz à effet de serre rejetés sont
très approximativement estimables par régions du monde. Si l'on souhaite
évaluer monétairement les rejets respectifs des différents pays impliqués, il est
possible de tout simplement appliquer les prix de la tonne de carbone fixé par
le marché du carbone créé après le protocole de Kyoto. Cette estimation
monétaire s'avère toutefois très inexacte et subjective car soumise aux aléas
de l'offre et de la demande actuelle, mais cela a néanmoins le mérite de
donner un ordre d'idée concernant les impacts respectifs des nations et les
coûts que cela suppose. Comme nous le disions, le PNUD a récemment signalé
qu'il existe à l'échelle mondiale une relation inverse entre la responsabilité
pour le changement climatique et la vulnérabilité face à ses effets 1. Il faut
également souligner que les pays du Sud sont souvent moins bien préparés
aux changements globaux. Tandis que les pays du centre, rapidement
rattrapés par les pays BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine), continuent
impunément à dégrader l'atmosphère terrestre par leurs rejets, les pays de la
périphérie ne peuvent que constater le drame en cours, tout en réclamant un
juste droit au développement.
Aujourd'hui, certains gouvernements des pays du centre se concentrent
1
PNUD (2007) Informe sobre el desarollo humano 2007-2008. La lucha contra el cambio climatico: solidaridad frente
a un mundo dividido. PNUD.
davantage sur l'adaptation aux effets du réchauffement climatique que sur son
atténuation. Les pays de la périphérie n'ont cependant souvent que trop peu
de moyens pour mettre en place des plans d'adaptations.
La dette du carbone est donc une réalité et sa prise en compte dans la dette
écologique est fondamentale pour rendre compte des responsabilités face aux
bouleversements à venir. L'enjeu de reconnaissance de cette dette permettrait
de faire endosser « l'addition » aux pays responsable.
3.1.1.3.3.
Perte de Fonction Environnementales
Chaque projet d'exploitation lié à l'environnement affecte plus ou moins les
fonctions environnementales. Dans la partie précédente nous avons identifié
ces fonctions et expliqué quelque peu les enjeux et les risques liés à leur
évaluation monétaire. Ces fonctions environnementales qui nous permettent la
vie ont une valeur implicitement infinie justement car elles nous permettent la
vie.
Cependant, dans le but de faire prendre conscience de leur valeur inestimable,
il peut parfois s'avérer utile de vouloir en faire une évaluation, monétaire ou
non. Nous verrons en effet dans le chapitre suivant les possibilités offertes par
l'Analyse Multicritère (ACM). Nous verrons ensuite, dans le dernier chapitre de
cette partie, qu'à l'échelle internationale l'évaluation des fonctions
écosystémiques peut servir à freiner voir à empêcher des projets d'extraction
comme c'est actuellement le cas dans le Parc National Yasuni.
Il est clair que depuis la colonisation et l'extraction massive de ressources
naturelles, certaines fonctions environnementales se sont vues affectées.
L'évaluation de la perte engendrée reste toutefois très délicate en raison de la
faculté de résilience des écosystèmes. L'objectif ici est uniquement d'alerter
sur les conséquences possibles de la perte de fonctions écologiques, sans
prétendre en faire une estimation.
Nous verrons enfin qu'à l'échelle locale, les paiements pour services
écosystémiques peuvent également s'avérer être une ébauche de solutions afin
de conserver un environnement sain et protecteur.
Comme nous l'avons donc vu, la dette écologique du « reste du monde »
envers l'Equateur se compose de beaucoup d'élément et l'on ne peut s'en tenir
qu'à l'AFM. Cependant, cette outil reste le plus exhaustif à ce jour, et l'étude
de M.C. Vallejo rend bien compte du déficit environnemental qu'engendrent un
mode de vie globalisé basé sur la surconsommation de certains pays au
détriment d'autres.
Il persiste cependant quelques difficultés d'estimation de la dette écologique,
voyons voir lesquelles et comment essayer de les surmonter.
3.1.2.
Quelles difficultés d'estimation éventuellement rencontrées ? Quelles
faiblesses de l'instrument AFM et plus largement du concept de dette
écologique.
Tout d'abord concernant l'AFM, signalons quelques difficultés
d'estimation inhérente à la méthodologie. L'évaluation des flux de matières
entrant dans le système économique d'une région n'est à priori possible que si
l'on peut trouver des données sur ces flux. Et il existe justement de grande
lacunes concernant les flux dit « cachés ». Ce sont les matières déplacées sans
que l'on ait l'intention de les utiliser. Pour cela, ces matières n'ont pas de
valeur économique et les données les concernant sont très variables. Les flux
cachés sont par exemple les matières déplacées dans une mine afin d'obtenir
le minerai souhaité. En effet, le terril créé par ces matières a un certain impact
environnemental. On peut également citer la surpêche rejetée à la mer qui
engendre la mort de nombreux poissons, affectant ainsi l'écosystème d'origine.
Il est donc difficile de prendre en compte les flux cachés, mais c'est d'autant
plus important car ceux-ci ont souvent un impact fort sur l'environnement et
sont occasionnés par les besoins d'un système économique souvent très
distant. De plus, les impacts sont des flux cachés sont souvent très localisés et
sont donc à supporter par les populations autochtones.
Une autre faiblesse de l'AFM est qu'elle ne rend pas compte de la gravité des
flux toxiques. Beaucoup de produits chimiques ou organiques peuvent en effet
être hautement toxiques pour la santé humaine et l'environnement, et ceci à
de très petites doses. Si l'on considère une mine par exemple, l'AFM est un bon
instrument pour mettre en évidence des flux de matière volumineux, mais ne
permet pas de rendre compte des petites doses de rejets de produits toxiques
utilisés pour la purification du minerai. Selon le produit toxique, il suffit
souvent d'une très petite dose pour contaminer un cours d'eau pendant des
décennies.
Enfin concernant l'AFM, il faut se rappeler que cet instrument ne permet que
de rendre compte des flux de matière s'écoulant dans l'économie d'un pays en
particuliers. Si l'on souhaite utiliser l'AFM dans l'évaluation de la dette
écologique de l'Equateur, on aura plutôt tendance à évaluer la créance
écologique de ce pays envers les autres. Cela ne rend pas compte des
débiteurs de la dette écologique. Dans le cas de l'estimation de la dette
écologique du « reste du monde » envers l'Equateur, nous utilisons donc l'AFM
comme point de départ. Si nous voulions déterminer les pays débiteurs, nous
aurions plutôt utilisé l'approche de l'empreinte écologique, car cet instrument
évalue les impacts environnementaux du point de vue de la consommation.
Néanmoins, l'objectif est ici de savoir combien de matière s'écoule dans
l'économie Equatorienne, donc de savoir combien de matière nous avons à la
base, et comment celle-ci est distribuée.
En plus de ces critiques envers l'AFM, il est important de souligner les
difficultés d'estimation inhérentes au concept de dette écologique. En effet,
comment est-il possible d'estimer exactement la dette du carbone que les pays
du centre ont contracté envers l'Equateur ? Il faudrait prendre en compte la
pollution historique, en équivalence CO2, de l'ensemble des pays tiers, y
soustraire la pollution, en équivalence CO2 de l'Equateur, et y rajouter les
taux de déforestation respectifs de l'Equateur et des différents pays du monde.
Cette évaluation semble donc tout bonnement impossible.
Concernant la biopiraterie il en est de même. Il est en effet trop complexe de
souhaiter évaluer les pertes de l'Equateur pour brevetage du vivant.
Enfin, un dernier obstacle à l'évaluation de la dette écologique concerne
l'estimation de la perte de fonctions environnementales en Equateur. D'autant
plus qu'on ne connaît pas encore avec précision le degré d'importance des
interrelations des différents éléments de l'écosystème ? Se rajoute à cela la
difficulté concernant la capacité de résilience des écosystèmes. D'autant plus
que celle-ci varie sans aucun doute avec les variations historiques du climat.
Pour reprendre les propos de Aurora Donoso de Oilwatch 76, « l'estimation des
services environnementaux à l'échelle mondiale de Costanza peut paraître
absurde ». Cependant comme nous allons à présent le voir dans le prochain
chapitre, ces fonctions environnementales sont justement une des richesses de
l'Equateur, et leur estimation permettrait d'ouvrir la voie à une éventuelle
future rémunération.
Nous savons donc que la dette écologique est difficilement estimable au vue de
toutes ces difficultés. Mais n'oublions pas que ces estimations, aussi absurdes
soient elles, servent avant tout à donner un ordre d'idée. Nous verrons donc à
présent la légitimité et les possibilités d'application du concept de dette
écologique.
3.1.3.
Quelle utilité/légitimité ? Applications possibles dans la sphère juridique.
Analyse de la proposition de Correa concernant le Parc National Yasuni.
Dans le cadre des relations Nord-sud, ou centre-périphérie, le concept
de dette écologique se trouve être très utile pour tenter de redéfinir les
relations de force entre dominant et dominé. Cela concerne donc l'aspect
spatial. Concernant l'aspect temporel, la dette écologique permet également de
mettre en lumière l'injustice historique de la dégradation environnementale, et
de mettre en garde contre d'éventuelles injustices futures. En effet, si l'on
recherche réellement un développement durable, cela devrait entendre
l'annulation des relations de dominant dominées qui est source de dégradation
environnementale répartie de manière très inégale entre les pays. Le concept
est donc utile pour atteindre plus de justice environnementale.
Il est déjà possible d'évaluer une future contraction de dette extérieure par les
pays de la périphérie à cause du changement climatique et de la façon de
financer son adaptation. La BM estime en effet entre 9.000 et 41.000 millions
de dollars l'ensemble des coûts d'adaptation au changement climatique dans
les pays du Sud (cf. Annexe 4 : Surcoûts liés à l'adaptation au changement
climatique)77. Cette somme que les pays du Sud ne possèdent évidement pas
devra donc être prêtée, « ce qui ouvre la voie à plus de conditionnalité et
sûrement à plus de commerce lucratif pour les entreprises des pays du centre.
Cela risque donc d'engendrer encore davantage de dette écologique »78. Cet
exemple nous permet donc de comprendre toute l'urgence de reconnaissance
du concept de dette écologique.
Dans les lois internationales concernant l'environnement, on ne trouve
pas de référence directe à la dette écologique. Cependant, cela ne veut pas
76
Interview d'Aurora Donoso, réalisé le 05 avril 2009 dans les locaux d'Accion Ecologica, Quito
Oxfam (2007), L’adaptation au changement climatique. Ce dont les pays pauvres ont besoin et qui devrait payer,
Document d'information 104 OXFAM http://oei.es/decada/OxfamCambioClimaMay07.pdf
78
Ivonne Yanez (2009), Deuda ecologica, deuda externa y petroleo in Inaki Barcena et al. (2009). op. cit., pp. 71-102
Inaki Barcena et al. (2009), Energia y deuda Ecologica - Transnacionales, cambio climatico y alternativas,
Icaria, Barcelone
77
dire que le concept est totalement exclu. On pense par exemple au principe de
responsabilité commune mais différenciée. Celui-ci, introduit lors de la
conférence de Rio en 1992, explique que les pays du centre, les plus
industrialisés, doivent assumer des standards de protection environnementales
plus stricts que les pays de la périphérie, d'une part pour leur éviter des
mesures économiquement contraignantes, et d'autre part, et cela est entendu
implicitement, car les pays du centre ont clairement une responsabilité plus
forte dans le changement global.
Nous retrouvons également le concept de dette écologique dans les principes
d'égalité intra- et intergénérationnelle. En effet, notre schéma actuel de
production et de consommation non viable est un poids pour le développement
durable et harmonieux des générations futures.
Concernant la responsabilité des Etats dans les dégradations
environnementales, nous ne trouvons pas non plus de d'allusion directe au
concept de dette écologique. Cependant, le jugement du cas du « Trail Smelter
Arbitration » de 1941 entre la Colombie-Britanique (Canada) et les Etats-Unis
stipule que « le gouvernement d'un pays doit s'assurer que les compagnies sur
son territoire ne causent pas de sérieux dommages à d'autres pays ou à leurs
habitants, autrement l'Etat pourrait en encourir la responsabilité »79. On
retrouve donc dans cette jurisprudence déjà ancienne le concept de dette
écologique.
L'application concrète du concept de dette écologique dans la justice
internationale n'est donc pas encore d'actualité, mais l'on retrouve des traces
du concept dans plusieurs jurisprudences, lois ou proposition lors de
négociations internationales. Nous pensons notamment à la proposition
Brésilienne de 1995 lors de la Convention-cadre des Nations unies sur les
changements climatiques. Celle-ci souhaitait voir la proportion des efforts de
chaque pays dans le combat contre le réchauffement climatique évaluée selon
la responsabilité historique. Cette proposition n'a cependant pas été retenu et
comme chacun la sait, la base de calcule retenue pour combattre le
réchauffement climatique a été le niveau des émissions de 1990.
En nous basant toujours sur le concept de responsabilité commune
mais différenciée, nous allons à présent expliquer l'intérêt de la récente
proposition Equatorienne dans le cadre de la reconnaissance de la dette
écologique.
La proposition originelle a été présentée par l'ONG Oilwatch au COP10 de
Buenos Aires en 1997 en tant qu'alternative au protocole de Kyoto, alors en
négociation. La proposition est de ne pas exploiter le pétrole présent dans le
sous-sol du Parc Naturel Yasuni (PNY) en échange d'une compensation des
pays du centre. L'idée avait été oubliée jusqu'à ce que le dernier président en
date, R. Correa, ne présente l'initiative, aujourd'hui connue sous le nom
« Yasuni-ITT », devant les représentants de la communauté internationale à la
conférence de Bali en 2008.
L'Equateur, en tant qu'Etat, a une responsabilité assez négligeable dans le
réchauffement climatique. Cependant, au nom du principe de responsabilité
79
E. Paredis et al. (2004), Elaboration of the concept of ecological debt, part 2, VODO university of Ghent.
commune, le gouvernement demande, en contrepartie de la non-exploitation
de son pétrole, à la communauté internationale un dédommagement de 350
millions de dollars par an pendant 10 ans80. Cela, en plus de combattre le
réchauffement climatique en amont, permettrait la conservation des forêts
primaires d'Amazonie ainsi que le respect des droits de l'homme des peuples
indigènes y habitant.
Grâce à cette proposition, l'émission de 410 millions de tonnes de CO² pourrait
être évitée (410 millions de tonnes de CO² correspondent à l'extraction de 920
millions de barils de pétrole présent dans le bloc ITT du PNY). Ce chiffre peut
certes paraître dérisoire à côté des émissions d'une année (à titre d'exemple,
26.402 Gigatonnes de CO² ont été rejetées dans l'atmosphère en 2005 81),
mais l'idée est en soit totalement novatrice et donne un nouveau souffle aux
négociations internationales concernant la lutte contre le réchauffement
climatique.
La demande de compensation de l'Equateur nous apparaît ici juste et
raisonnable pour plusieurs raisons. Tout d'abord du point de vue du manque à
gagner économique que le pays entend supporter en n'exploitant pas sa
ressource. On peut ensuite estimer que cette compensation irait payer pour les
fonctions environnementales qu’assure cette portion de la forêt Amazonienne,
en premier lieu la fonction de régulation des gaz, et notamment l'absorption de
CO². La récente étude d'Earth Economics concernant l'évaluation des fonctions
environnementales du PNY les estime entre 1.7 et 4.4 trillions de dollars 82. Les
3,5 milliards (350 millions fois 10 ans) sont donc dérisoires à côté de cette
estimation modérée des fonctions environnementales.
Enfin, la compensation peut être vue comme une part de la rétribution de la
dette écologique que les pays tiers ont contractée envers l'Equateur. Ce
dernier point est ici décisif car c'est tout le dilemme de l'annulation de la dette
extérieure qui pourrait trouver une ébauche de solution avec la reconnaissance
de l'initiative Yasuni-ITT. En effet, comme nous l'avons vue, les problématiques
de dettes extérieures et écologiques sont intimement liées, et bien que le
montant demandé par le gouvernement Equatorien ne représente qu'une part
infime de la dette extérieure (voir figure 2 sur l'évolution de la dette extérieure
Equatorienne), cela ouvre déjà la voie à une possible renégociation des
relations de forces internationales. De plus, cette proposition implique
l'ouverture d'un chemin vers des lendemains sans pétrole.
Se pose également la question de l'utilisation des fonds de la communauté
internationale. Selon la proposition du gouvernement, les affectations que nous
retiendrons ici sont les suivantes :
•
Satisfaction des droits sociaux et respect des droits de l'homme
•
Développement de sources énergétiques alternatives
•
Conservation de la nature
•
Restauration de zone affectée par l'exploitation pétrolière
•
Evolution vers un projet de société « zéro carbone »
Selon les calculs de Ivonne Yanez, environ 30% de la somme demandé par le
gouvernement Equatorien pourraient provenir de la renégociation de la dette
80
81
82
Presidencia – Discursos officiales - http://www.presidencia.gov.ec/ (5 août 2009)
http://www.ipcc.ch/ (5 août 2009)
D. Batker, I. de la Torre, M. Kocian (2007), The ecosystem valuation of Yasuni National Park, Earth Economics,
Tacoma, WA.
extérieure83. Cela encourage donc l'idée d'annulation de la dette extérieure au
profit de la conservation de la forêt Amazonienne, poumon de notre planète.
Cette initiative, si elle est acceptée par la communauté internationale (A ce
jour, aucune décision formelle n'a été prise et l'ultimatum lancé par le
gouvernement Equatorien pour une réponse a été repoussé à une date
indéfinie) permettrait donc de légitimiser l'idée d'annulation de dette extérieure
contre payement pour des fonctions environnementales. Mais bon nombre
d'ONG environnementales (dont Accion Ecologica) souhaiterait voir dans
l'acceptation de l'initiative une piste pour la reconnaissance de l'existence
d'une dette écologique.
Après avoir exposer quelque peu les tenants et les aboutissants du
concept de la dette écologique en Equateur, nous allons à présent analyser ce
même concept à l'échelle d'une concession minière, toujours en Equateur.
L'objectif de ce changement d'échelle de l'analyse du concept de dette
écologique est de rendre compte du lien qui existe entre le lancement d'un
projet et la création d'impacts environnementaux qui vont engendrer une dette
écologique.
3.2.
Echelle locale, cas d'une zone d'exploitation minière
Photo prise le 14/03/2009 dans une concession minière en phase d'ouverture à proximité de la
concession Mirador d'EcuaCorriente.
83
Ivonne Yanez (2009), Deuda ecologica, deuda externa y petroleo in Inaki Barcena et al. (2009). op. cit., pp. 71-102
Inaki Barcena et al. (2009), Energia y deuda Ecologica, Transnacionales, cambio climatico y alternativas,
Icaria, Barcelone
Dans le cadre d'un projet minier, les méthodes d'évaluation sont appliqués
dans deux cas spécifique : l'évaluation de projet ex-ante et la responsabilité
environnementale ex-post. Nous allons ici présenter le cas du projet
d'exploitation minière « Mirador » et donner des outils d'économie écologique
pour tenter une évaluation ex-ante des impacts environnementaux probables
du projet en question.
3.2.1.
Cadre de l'étude : Description générale de la région.
La cordillère du Condor fait partie de la chaîne sub-Andine qui sépare
l'Amazonie et la Cordillère des Andes. Cette cordillère s'étend sur 150km² du
Nord au Sud et est située à la frontière entre l'Equateur et le Pérou. L'altitude
dans cette région varie entre 300 mètres et 2900 mètres. Géologiquement, la
Cordillère du Condor offre une grande diversité de formation, bien que les
sables blancs, ou "arenisca", soient à la base de la majorité des sols. Cette
cordillère est le résultat du soulèvement de la cordillère subandine orientale il y
a prés de 23 millions d'années (Miocène). La cordillère du Condor est
également une zone très abondante en eau. Ces trois facteurs, à savoir une
grande variation topographique, une forte diversité de formations géologiques
et une eau abondante font de la Cordillère du Condor un "hot spot" en matière
de biodiversité.
En effet on y a découvert plusieurs espèces endémiques, similaires aux
espèces que l'on peut rencontrer au sommet des Tepuys du Sud-est
Vénézuélien, communément connue sous le nom de "Monde perdu" en raison
justement de cette abondance biologique extraordinaire. Cette caractéristique
commune entre les Tepuys et la Cordillère du Condor laisse entendre une coévolution des deux formations géologique, pourtant située à quelques 2000
kilomètres de distance. Les tepuys sont bien connu des biologistes pour leurs
biodiversités remarquables et le grand nombre d'espèces endémiques qu'ils
abritent. La comparaison entre les tepuys et la Cordillère du Condor nous
montrent donc toute l'importance de cette dernière en matière de richesse
biologique.
La Cordillère du Condor est situé entre les régions administratives de MoronaSantiago et Zamora-Chinchipe au Sud-est de l'Equateur. Plusieurs différents
groupes indigènes habitent actuellement cette région, ils sont regroupés sous
le termes "Jivaros" depuis la conquista Espagnole. Ce terme signifie "sauvage"
ou "barbare" et est donc rejeté par les indigènes eux-mêmes. Du coté
Equatorien de la frontière on trouve, regroupés sous le terme de "Jivaros" les
Shuars (environ 40000 hab.), les Achuars (environ 5000 hab.) et les Shiwiars
(moins de 1000 hab.). Aujourd'hui encore ces groupes ethnolinguistiques sont
en péril en raison des nombreuses pressions sur leur territoire, entre autre du
à la richesse de leur sous-sol. Outre les groupes indigènes on trouve de
nombreux "métisses" qui se sont installés dans la région dés les années 80,
attirés par les gisements aurifères. Les populations locales subviennent à leurs
besoins grâce à l'agriculture familiale, à l'élevage, à l'exploitation minière
artisanale et à la vente de bois.
La région de la Cordillère du Condor est plutôt humide en raison des
constantes formations de nuages du coté occidentale de la Cordillère. Cela a
donc crée d’abondants réseaux hydrologiques, ce qui en fait un des éléments
clés dans le cycle de l'eau entre l'Amazonie et les andes. Les principaux cours
d'eau coté Equatorien sont le Rio Zamora et le Rio Santiago, eux-mêmes
alimenté par de nombreuses rivières d'ordre plus petit.
Ce réseau hydrographique couplé à de forts changements d'altitude crée une
série d'écosystèmes extrêmement variés avec notamment de nombreuses
espèces endémiques. Certains botanistes, dont David Neil de Conservation
International, affirment aujourd'hui que la cordillère du Condor serait une des
régions avec la plus grande richesse biologique au monde 84. Entre 300 et
800m. d'altitude on trouve une végétation typiquement Amazonienne, avec
notamment des arbres hydrophiles pouvant atteindre jusqu'à 50 m. de
hauteur. De plus, selon Morales Mite, on peut y trouver des grenouilles
endémiques de la famille des Dendrobatidae et plus de 159 espèces d'oiseau.
Entre 800 et 2000m. d'altitude se trouve la plus grande diversité biologique,
avec notamment 308 espèces différentes d'oiseau85. C'est également entre ces
altitudes que se situent les zones de prospections minières (entre 800 et
1400m. d'altitude selon le "Rapport technique du projet Mirador"). Cette zone
subissant un climat subtempéré très humide abrite des forêts
prémontagneuse.
Maintenant que nous avons exposer l'importance biologique et culturelle de
cette région, essayons de comprendre davantage les raisons des hostilités qui
ont accompagnées l'arrivée des entreprises d'exploitation minière.
84
Neill, D.A. 1999. Introduction: Geography, Geology, Paleoclimates, Climates and Vegetation of Ecuador. Pp. 2-25
In P.M. Jorgensen & S. León-Yánez (editors). Catalogue of the Vascular Plants of Ecuador. Monogr. Syst. Bot.
Missouri Bot. Gard. 75: 1-1181.
85
Morales Mite (2007), Areas protegidas y pueblos indigenas, un estudio de caso en Ecuador, Red latinoamericana de
cooperacion tecnica en parques nacionales
3.2.2.
Historique de la prospection dans la zone d'exploitation minière
"Mirador"et des conflits qui s'en suivirent.
La concession minière Mirador (carré rouge le plus au Sud), aujourd'hui
propriété d'Ecuacorriente, filiale Equatorienne de Corriente RessourceS Inc.,
couvre 9230 hectare. C'est le plus grand projet minier que l'Equateur n'ai
jamais connu. Le gisement est situé dans la paroisse de Tundayme, canton El
Pangui, dans la province de Zamora-Chinchipe, au Sud-est de l'Equateur. La
propriété d'EcuaCorriente est divisé en 2 bloques majeures, « Mirador » avec 8
concessions et « Mirador Norte » avec 2 concessions, situé à 3 Km au Nord du
bloque principale Mirador. Les premiers travaux d'exploration en vue de
l'exploitation minière ont commencé en 1994 après que le gouvernement de
l'époque concède 40km2 de concession minière à BHP Billiton, une entreprise
Canadienne. Depuis la concession est passé entre les mains de nombreuses
firmes avant de finalement devenir début 2003 propriété d'EcuaCorriente,
filiale Equatorienne du géant Canadien, Corriente Ressources Inc. 86.
3.2.2.1.
Données Concernant la concession Mirador (toutes les données
sont basées sur l'étude de faisabilité de Corriente Ressources Inc. 87)
L'étude de faisabilité de 2005 établit un taux d'exploitation de 25.000 tonnes
de cuivre par jours, avec un total de 111 de millions de tonnes de ressources
dans la mine, évaluant la concentration du cuivre chalcopyrite (donc nous
sommes en présence de cuivre de sulfate) à 0.62%, ce qui équivaut à 0.22
gramme par tonne (g/t). Les concentrations d'or et d'argent sont
respectivement de 0,2 g/t et de 1,6 g/t. Il a été estimer que 91 millions de
tonnes de roche serait déplacé. Dans ces 91 millions de tonnes, 98%
correspondent à la gangue, c'est à dire la roche autour du minerai mais sans
valeur commerciale. Le tableau suivant nous résume les ressources présentes
dans le gisement.
Figure 13 : Concentrations en minerai exploitable dans la concession Mirador.
Source : MIRADOR COPPER-GOLD PROJECT 30,000 TPD FEASIBILITY STUDY, Corriente
Ressources Inc., avril 2008
La purification du minerai se fait grâce à un broyeur, puis un broyeur plus fin,
enfin vient la phase de flottaison avant le processus de concentration de la
masse obtenue. L'eau est fournit grâce à une captation sur le Rio Wawayme
avec un maximum de captation de 120 litres/secondes. L'eau douce, pour la
consommation humaine, sera obtenue grâce à des captations locales dans les
nappes aquifères.
Le concentré de cuivre ainsi obtenu sera transporté sur 418 kilomètres de
routes, essentiellement pavées, jusqu'au port de Machala sur la Côte Pacifique.
Un pont au dessus du Rio Zamora sera construit avec une capacité de charges
de 100 tonnes.
L'infrastructure de la mine comprend des logements pour 220 employés. Les
employés vivant aux alentours seront transporté grâce à une compagnie de
86
Infomine - Propertie News - Mirador, http://www.infomine.com/companiesproperties/infodbweb/ChargePropertyNews.asp?SearchID=28205 (7 aout 2009)
87
J. Drobe et al., (avril 2008) MIRADOR COPPER-GOLD PROJECT, 30.000 TPD FEASIBILITY STUDY, Corriente
Ressources Inc., Zamora-Chinchipe Provience, Ecuador
transport privée crée par EcuaCorriente.
Concernant la gestion de la gangue, deux pipelines seront crées afin
d'acheminer la gangue aux terrils de stockage : le premier pour la gangue
grossière et inerte qui comprend approximativement 87% des extractions, le
deuxième avec la gangue potentiellement acide qui en comprend 11%.
Approximativement 2% du minerai sera récupéré en tant que concentré.
Durant les six premières années d'exploitation, les deux terrils de gangue
seront stockés à proximité du Rio Quimi, avec les risques d'écoulement de
lixiviats que cela comprend (un lixiviat est un liquide acide qui résulte du
drainage de l'eau à travers un terril). A la septième année d'exploitation, les
rejets de gangue inerte seront redirigé par un pipeline vers El Pangui, à
environ 10 Km de la mine. La gangue potentiellement acide (mais épurer selon
l'étude d'impact) continuera d'être stockée à proximité du Rio Quimi.
Une étude des risques liées au transport et au stockage de la gangue affirme
que les plus grands risques pour la gestion de la gangue seraient un
glissement de terrain ou un éboulement sur le terril, une fuite acide se
développant à partir des terrils (lixiviats), la rupture ou la fuite des pipelines
(pouvant affecter la station de pompage), ou enfin la chute du pont sur le Rio
Zamora sur lequel les pipelines vont passer.
La demande électrique du projet Mirador est estimée à 28.8 MW et à 205
Gwh/a. Le coût énergétique total moyen de l'énergie hydroélectrique est aux
alentours de $0.057/kWh. Cette énergie peut être acheté à des projets
hydroélectrique privé ou public proche de la mine. Une autre option envisagée
serait de crée une usine hydroélectrique spécialement pour la mine. L'énergie
hydroélectrique fournit environ 50% des besoins en électricité de l'Equateur et
c'est aujourd'hui l'énergie la moins chère du pays. L'idée d'EcuaCorriente est
de connecter sont réseau électrique au réseau nationale afin de pouvoir vendre
ses surplus éventuelle ou pour s'assurer une source d'énergie alternative en
cas de panne.
Concernant la fermeture de la mine, il est prévu de remplir le trou d'eau, et de
recouvrir les terrils par une couche de matière inerte, de la terre, puis de
replanter la surface.
3.2.2.2.
Situation de conflit accompagnant la prospection
Cette même étude d'impact précédemment citer signale que le projet a été
suspendu en décembre 2006 à cause « d'agitation sociale ».
En effet, m'étant personnellement rendu sur place début avril 2009, je peux
témoigner de la situation encore troublée qui règne dans la Cordillère du
Condor. Dans le canton d'« El Pangui » existe effectivement une grande
division au sein de la population, entre les pro- et les antimines. La question
est donc très délicate et des sources proches m'ont décrit des scènes de
conflits ouverts au sein du village, comptant plusieurs blessés. Signalons au
passage qu'un membre du Congrès Equatorien, Salvador Quishpe du partie
Pachakutik, farouchement opposé à l'ouverture de la mine a été séquestré et
battu par l'armé, chargé de protégé la concession88.
Cette situation est malheureusement comparable à beaucoup d'autres conflits
88
Canada.com, http://www.canada.com/ottawacitizen/news/story.html?id=0da6a0b0-09df-4e33-b398-6f8d91e87f08
(6 aout 2009)
environnementaux en Equateur ou ailleurs, comme dans la commune d'Intag
par exemple. Là-bas, après plus de quinze ans de luttes contre l'ouverture
d'une mine à ciel ouvert, le projet n'est toujours pas abandonné et les tensions
sont toujours palpables. Cependant, une association de résistance (Decoin) a
été crée et elle gère aujourd'hui des projets alternatif à l'exploitation minière
comme par exemple le tourisme écologique ou la production de café labellisé
bio et commerce équitable89.
A l'échelle nationale, les échos de ces conflits ont toujours été très rares
jusqu'en 2008, date à laquelle un réel soulèvement populaire national a eu lieu
contre la nouvelle loi minière. Jusqu'à ce moment, la conflictualité sociale
restait donc concentré dans les localités concernées et mis à part des
campagnes via Internet, les médias nationaux restaient très silencieux sur le
sujet. Aujourd'hui la problématique minière est encore très délicate en
Equateur et plusieurs tractations ont encore lieu afin de définir le future de
l'exploitation minière en Equateur. Fin 2008, une nouvelle loi minière a
effectivement été adoptée qui concède jusqu'à 90% des revenus de
l'exploitation minière aux entreprises exploitantes, seules 10% des revenus de
l'exploitation des gisements resteraient donc dans le pays. Face à cela, la
Confédération des Nationalités Indigènes Equatorienne (CONAIE :
Confederación de Nacionalidades Indígenas del Ecuador) présente actuellement
action en justice contre le gouvernement afin de dénoncer l'inconstitutionnalité
de cette nouvelle loi minière. En effet, la constitution Equatorienne garantit
qu'au moins 50% des revenus de l'exploitation minière doivent rester dans le
pays90.
3.2.3.
Explication de l'intérêt de la dette écologique dans l'argumentaire des
mouvements indigènes et écologiques ? Quelle légitimité du concept ?
Contrairement à l'estimation de la dette écologique à l'échelle nationale, ici
l'estimation s'effectue sur un projet, qui de surcroît n'a pas encore démarré.
Le termes de « dette » écologique s'avère donc être quelque peu inexacte, car
une situation de dette est une situation dans laquelle une personne, morale ou
physique, a l'obligation de rendre quelque chose de valeur égale. S'ajoute à
cela la difficulté d'estimer la valeur exacte de l'environnement.
L'objectif ici sera donc plutôt d'essayer de donner des pistes des impacts
potentiels (donc de l'éventuel dette écologique futur) sur l'environnement et
sur la société. Dans un second temps, nous analyserons différentes façons
d'évaluer ces impacts.
Dans ce sens, l'objectif de la présente partie sera davantage de donner des
pistes d'estimation des impacts environnementaux afin de pouvoir effectuer
une Analyse Coût-Bénéfice (ACB) du projet Mirador, en y incluant toutes les
externalités probables. L'objectif de l'ACB est donc d'aider à la prise de
décision.
Ici encore se pose donc la délicate question de l'évaluation monétaire. D'autant
plus que plusieurs communautés indigènes vivent en isolement volontaire à
proximité du site d'extraction. Précisons au passage que ces communautés
89
Decoin – History, http://www.decoin.org/historia.html (6 août 2009)
Colegio Regional de Ingenieros Geólogos, de Minas, Petróleos y Ambiental (CIGMYP), « Futuro de la mineria en
Ecuador » , Actes de la conférence, Quito, 14 Avril 2009
90
sont légalement protégées par la convention 169 de l'Organisation
Internationale du Travail91.
Après plusieurs entretiens avec des personnes de ces communautés indigènes,
dont la survie dépend d'un environnement sain, il a été clair qu'ils rejettent
farouchement l'idée d'une évaluation monétaire de leur environnement. L'idée
même de faire une ACB monétaire des impacts de l'activité minière, incluant
également les fonctions environnementales, est donc contrariée.
Un point important également soulevé par mes interlocuteurs concernait la
quasi-constante évaluation à la baisse dans les pays de la périphérie de
l'environnement et des hommes y habitant. A titre d'exemple, si l'on considère
que les victimes de la catastrophe de Bhopal en Inde ont chacune reçu
approximativement 500 euros92, on peut se demander quel aurait été le
montant de l'indemnisation de la catastrophe si elle avait eu lieu dans le pays
d'origine d'Union Carbide, à savoir les Etats-Unis ?
Enfin, un argument largement relayé par Accion Ecologica contre l'évaluation
monétaire des fonctions environnementales concerne le risque d'accaparation
de celles-ci. En effet, si le montant estimé de ces fonctions est relativement
faible, et qu'une personne, morale ou physique, se trouve dans la possibilité de
payer, l'objectif poursuivi ne serait que partiellement atteint. On se
rapprocherait alors davantage du principe du « pollueur payeur ». Cependant,
l'objectif ici sous-entendu est bien évidement la conservation de
l'environnement. Et si quelqu'un peut payer, il y un risque de dégradation
environnementale consentie, car le pollueur à payer. Si le réel objectif est la
conservation de l'environnement, l'argument monétaire devrait être une
barrière à son exploitation.
Et même si la dégradation de l'environnement n'a pas forcément lieu, un autre
argument soulevé par Accion Ecologica contre l'estimation monétaire est que
cela ouvre la voie à la possible privatisation des fonctions environnementales 93.
Si l'on va jusqu'au bout de ce raisonnement, il serait un jour possible de se
voir contraint de payer en échange de l'usufruit des fonctions
environnementales. Et cela va bien évidement contre l'objectif ici défendu.
Malgré cela, face à des logiques capitalistes ne jurant que par le profit, nous
faisons le pari qu'une évaluation monétaire des impacts potentiels de l'activité
minière puisse s'avérer utile afin de faire prendre conscience de la valeur
inestimable de l'environnement et de la vie humaine. L'évaluation monétaire
peut s'avérer utile si l'on identifie exactement l'objectif de l'exercice.
L'objectif ici serait de donner des outils d'économie écologique aux ONG luttant
pour la sauvegarde de l'environnement. Elles auraient ainsi un argument
d'ordre monétaire et cela leurs permettraient de parler le même langage que la
compagnie d'exploitation, à savoir le langage de l'argent. Bien qu'ayant
considéré les risques de l'évaluation monétaire, nous estimons qu'une
évaluation symbolique du « coût » de la dégradation environnementale
permettrait de conscientiser la société sur les externalités négatives que nos
91
International Labour Organisation - Convention 169 relative aux peuples indigènes et tribaux,
http://www.ilo.org/ilolex/cgi-lex/convdf.pl?C169, 9 aout 2009
92
R. Clayton Trotter et al. (1989), Bhopal, India and Union Carbide: The Second Tragedy, Journal of Business Ethics,
Vol. 8, No. 6, pp. 439-454
93
Accion Ecologica (2006), Servicios Ambientales, el ciclo infernal, Alerta Verde, Boletin de Accion Ecologica numero
123, febrero 2003, Quito (pdf : http://www.accionecologica.org/images/docs/bosque/servicios.pdf )
activités exercent sur la nature.
Un autre but avoué serait donc l'internalisation de ces externalités négatives
dans le prix du produit finale, à savoir le cuivre, l'or ou l'argent. Ainsi, le prix à
payer pour extraire ces ressources seraient d'une telle ampleur que l'on
pèserait davantage le pour et le contre avant d'entamer des projets
d'extraction de ressources naturelles. Selon la qualité de l'environnement, une
internalisation permettrait également d'orienter les projets d'extraction minière
vers les zones les moins fragiles.
Evidement, le montant de l'ACB dépendra de qui évalue et des méthodes de
calcul utilisées. La discipline économie écologique est encore relativement
jeune et comme nous le savons, il n'existe pas de méthodologie standardisée
afin d'évaluer l'environnement. C'est pourquoi, cet exercice est hautement
subjectif, les objectifs de l'auteur seront donc souvent lisibles derrière les
chiffres.
Quoi qu'il en soit, afin de donner un argument de poids aux mouvements de
défense de l'environnement, l'économie écologique peut avoir une réelle utilité.
En effet, le fait de calculer les externalités négatives du projet permettrait de
mettre en lumière les responsabilités de chaque acteur dans le développement
de celui-ci.
Enfin, l'intérêt de l'estimation monétaire des impacts négatifs d'une mine à ciel
ouvert est utile dans un contexte juridique. Dans bien des cas, une estimation
des impacts négatifs d'une activité extractive a du être faite après l'apparition
des dégradations. Le jugement actuellement en cours de la compagnie Texaco
nous en fournit un très bon exemple. Ici, il s'agirait de mettre en garde en
amont du projet et d'ainsi prévenir les responsables des coûts qu'une telle
dégradation pourrait engendrer. Même si le projet n'est pas abandonné,
l'intégration des externalités négatives pourrait tout du moins faire prendre
des précautions supplémentaires à l'exploitant et permettre l'introduction
d'innovation technologique moins polluantes.
En conclusion, nous voyons donc qu'une ACB incluant tout les paramètres
environnementaux et sociaux avant l'ouverture du projet s'avère délicate sur
bien des points. Néanmoins, cette analyse offrirait des pistes intéressantes
pour résoudre une situation conflictuelle en permettant une plus grande
compréhension entre les différentes parties. Voyons à présent quelles
méthodes d'estimation s'offre à nous et quels éléments inclure dans
l'estimation.
3.2.4.
3.2.4.1.
Méthode d'estimation :
Description des techniques utilisées durant les phases d'exploration,
d'exploitation et de fermeture de la mine.
Dans cette partie, car le projet est toujours temporairement suspendu
suite aux agitations sociales, nous ne pourrons que nous baser sur l'Etude de
Faisabilité de Corriente Ressources Inc. publié en avril 2008 94. Nous allons
diviser la description des techniques utilisées selon les trois phases propres au
déroulement d'un projet minier. La première phase concerne l'exploration et
l'ouverture du site si le gisement est suffisamment rentable, puis vient la
94
J. Drobe et al., (avril 2008) MIRADOR COPPER-GOLD PROJECT, 30.000 TPD FEASIBILITY STUDY, Corriente
Ressources Inc., Zamora-Chinchipe Province, Ecuador
phase d'exploitation en soi, ici de 17ans, enfin un plan de fermeture de la mine
est prévu après l'exploitation du minerai.
Exploration :
Les techniques d'exploration ont largement évolué au cours des dernières
décennies. Ces techniques se basent aujourd'hui largement sur l'exploration
par satellite ainsi que sur la géochimie. Après la découverte d'un potentiel
gisement, des géologues se rendent sur place afin d'effectuer les premiers
forages qui vont confirmer ou pas la présence de ressources. Dans le cas du
projet Mirador, l'exploration inclut la cartographie géologique et le prélèvement
géochimique des sols. 143 forages ont été effectués sur la zone depuis avril
2000 confirmant la présence de cuivre (chalcopyrite, ou cuivre jaune composé
de sulfure), d'or et d'argent. Ces forages s'effectuent au moyen de foreuses à
diamant. Des infrastructures sommaires sont bâties afin de permettre une
première analyse des carottes de forage. Cependant, cette phase est
relativement peu dommageables à l'environnement car elle n'inclut que le
déplacement d'un nombre réduit de personne et de matériel.
Exploitation :
Dans le cas du projet Mirador, la durée d'exploitation de la mine est estimée à
17 ans. Cependant, cela peut évoluer en fonction de la découverte ultérieure
de nouveau gisements. L'exploitation de la mine comprend premièrement la
coupe à blanc de la végétation présente au dessus de la future mine à ciel
ouvert. Ensuite la couche superficielle est retirée grâce au travail des
pelleteuses. Une fois, la couche minéraliser atteinte, l'excavation se fait au
moyen d'explosion et d'engins d'excavation lourds. Les engins utilisés dans le
trou sont des pelleteuses, des bulldozers, ainsi que des camions pour le
transport. La roche extraite est ensuite amené à la tritureuse qui fait un
premier trie grossier des matériaux. La séparation de la gangue et du minerai
recherché se fait ensuite par flottaison dans un bassin de décantation.
En effet, nous sommes ici en présence de minerai de sulfure, valorisé en
cellules de flottaison. Dans ce bassin de l'acide sulfurique est utilisé afin de
séparés le minerai de cuivre des autres matériaux. Le schéma suivant nous
donne un aperçu des différentes phases du processus.
Figure 14 : Organigramme du processus de purification du minerai dans le
projet Mirador.
Après ce processus, un concentré de cuivre est obtenu, qui sera transporté
jusqu'au port de Machala sur la côte Pacifique. Cela entend la création d'une
route d'accès depuis la mine jusqu'au réseau national Equatorien (moins de
10km) ainsi que la construction d'un pont sur le Rio Zamora ainsi que sur le
Rio Quimi. La carte suivante nous donne un aperçu général de la mine et des
infrastructures prévues.
Figure 15 : Carte du projet Mirador
Source : J. Drobe et al., (avril 2008) MIRADOR COPPER-GOLD PROJECT, 30.000 TPD
FEASIBILITY STUDY, Corriente Ressources Inc., Zamora-Chinchipe Provience, Ecuador
On distingue également sur cette carte l'emplacement des terrils de gangue.
Comme nous le précisions plus haut, durant les 7 premières années
d'exploitation, toute la gangue sera stocké à proximité du Rio Quimi (« Rio
Quimi TMF » : Tailing Management Facility). Après la septième année, car cet
emplacement sera arrivé à saturation, la gangue inerte et grossière sera
redirigé vers « El Pangui TMF » grâce à un imposant pipeline.
Signalons également que prés de 10.000m3/j. d'eau douce seront nécessaire au
fonctionnement de la mine afin de purifier le minerai. L'eau sera extraite à
hauteur de 120l/s à partir d'une centrale de pompage sur le Rio Waywame. Un
système de récupération d'eau est également prévu après lixiviation des
terrils. Là, une pompe de 700l/s est prévu afin de récupérer et réutiliser l'eau
filtrer par le terril de gangue.
Mis à part les infrastructures propres à l'exploitation minière, un camp sera mis
sur pied pour loger quelque 220 ouvriers sur le site. Il est également prévu de
construire des locaux pour abriter un laboratoire.
Fermeture :
Une fois le minerai de cuivre, d'or et d'argent exploité, la mine sera
abandonnée. Avant cela, un plan de fermeture est prévu par l'étude de
faisabilité. Celle-ci prévoit la restauration et la protection de l'air, du sol, de
l'eau de surface et souterraines, de la faune et de la flore, la restauration des
habitats sauvages de la faune ainsi qu'une restauration esthétique
« acceptable ». Il est prévu de remplir le trou laissé par l'exploitation minière
par de l'eau, et de recouvrir les terrils de végétations similaires à la végétation
d'origine. Un plan de surveillance de la qualité de l'eau est également prévu.
3.2.4.2.
Quelles seront les impacts environnementaux (et socio-économique)
supposés de l'exploitation minière à grande échelle ?
Avant de nous étendre en détail sur les impacts environnementaux
discernés, faisons le point sur la classification de ceux-ci en deux catégories
principales. Nous distinguerons dans l'analyse des impacts les impacts directs
et indirects.
Les premiers font référence à la pollution directement engendrée par le projet
minier, comme par exemple la création d'eaux usées et de lixiviats, l'émission
de gaz à effet de serre ou encore la création de déchets solides.
Ces pollutions engendrent notamment la perte d'une partie des fonctions
environnementales, pour cela nous considérerons cela comme un impact
indirect du projet minier. Nous inclurons dans cette deuxième catégories, en
plus de la diminution, voir de l'annihilation, de certaines fonctions
environnementales, la participation au changement climatique ou encore la
possibilité de voir une augmentation des risques naturels.
Signalons également que de nouvelles techniques d'exploitation propres
existent (Meilleure Technologie Disponible : MTD). Cependant celle-ci sont
chère et nous sommes dans un pays de la périphérie où les standards
environnementaux sont moins stricts que dans les pays du centre. Celle-ci ne
seront donc sans doute pas utilisées au maximum (rappelons que nous
sommes dans la prospection, rien n'est certain). De plus, dans un souci de
rentabilité, la compagnie d'exploitation va chercher au maximum à faire des
économies. Ces économies passent par une protection de l'environnement
(ainsi que des travailleurs) modérée.
Enfin, il est également important de préciser les limites du système dont nous
allons analyser les impacts. Comme nous le disions plus haut, la mine va peutêtre être alimenté en énergie grâce à la construction d'une centrale hydroélectrique. Cette construction engendre forcément une grande quantité
d'impacts environnementaux. Cependant, nous n'allons pas les analyser car
nous fixons les limites de notre analyse au système « mine », y incluant les
terrils adjacent. La carte précédente offre une bonne vue d'ensemble des
éléments inclut dans notre système, à savoir la mine en soi, les terrils ainsi
que les infrastructures diverses (routes, pipelines, bâtiments).
3.2.4.2.1.
Impacts directs : pollution
Analysons en premier lieu les impacts directs engendrés par l'ouverture du
projet minier Mirador. Pour cela, nous continuerons à nous baser sur la division
du projet dans ces trois phases. En plus de cette division nous avons isolé les
compartiments environnementaux qui risquent d'être affectés par l'exploitation
minière, à savoir l'air, l'eau et le sol. Une dernière catégorie a été créée pour
discuter des déchets. Le tableau suivant nous résume les impacts potentiels
des trois phases consécutives du projet minier Mirador.
Figure 16 : Impacts environnementaux directs d'une mine à ciel ouvert
personnelles suite à l'analyse de l'étude de faisabilité d'EcuaCorriente
Source : Données
Durant la phase d'exploration, l'air risque d'être affecté par les gaz à effet de
serre rejetés par les machines utilisées. On pense aux véhicules, aux foreuses
et au groupe électrogène utilisé afin de fournir l'électricité aux ingénieurs
géologues. Des poussières risquent également d'être crée par les activités
d'exploration, ce qui crée également une certaine contamination de
l'atmosphère. Enfin, des bruits et vibrations occasionnées par les foreuses
risquent de déranger l'habitat naturel de la faune.
L'eau ne serait pas significativement affectée durant la phase d'exploration.
Le sol serait par contre affecté par la création d'une route d'accès et d'un
réseau technique comprenant un raccordement électrique. Signalons
néanmoins qu'avant le début des travaux d'exploration existait une piste
d'accès. Les puits de forages sont eux recouvert d'un tuyau PVC bouché à
l'extrémité et laisser tel quel.
Divers types de déchets seront crée durant l'exploration du site. Des locaux
sommaires ont été dressés et les employés sur le site créent évidement des
déchets quotidiens.
En résumé, certains impacts sont identifiables durant cette phase mais ils sont
relativement minimes.
C'est durant la phase d'exploitation de la mine que les impacts directs vont
être les plus important.
Premièrement, concernant la contamination de l'air, nous retrouvons l'émission
de gaz à effet de serre par les engins de chantiers ainsi que par tous les
moteurs nécessaires au processus de purification du minerai.
Les machines fonctionnant sur le site vont, comme tout moteur, rejetés du
dioxyde de carbone, du monoxyde de carbone, de l'oxyde d'azote etc. Ces gaz
participent en grande partie à l'effet de serre additionnel. De la poussière
risque ici encore d'être soulevé, cette fois-ci en plus grande quantité au vu des
explosions prévues pour dégager les blocs de roches. Il faut également
signaler les risques d'émanation de vapeur. En effet, l'acide sulfurique réagit
avec des sulfures en libérant du sulfure d'hydrogène gazeux très toxique.
Dernièrement, dans le compartiment air nous incluons aussi les bruits et les
vibrations créent lors des explosions. Cela participe encore à éloigner la faune
de son habitat naturel.
L'eau risque également d'être contaminé. Dans son étude de faisabilité,
EcuaCorriente signale que la quantité de génération d'acide de drainage dans
les terrils (lixiviats) est incertaine. La compagnie met donc en garde contre
d'éventuels surcoûts liés au contrôle de ses effluents. Le risque de pollution
accidentel n'est pas non plus à écarter. EcuaCorriente a également signalé ce
risque dans son étude. Enfin, concernant la gestion des eaux usées
quotidiennes, aucune mention n'en est faite dans l'étude de la compagnie.
Doit-on donc supposer que l'écoulement des eaux usées ira vers le système
hydrographique naturel ?
Les sols alentours de la mine risque d'être affecté par le projet. En effet, le
processus de lixiviation pourrait affecter la qualité des sols pour une période
très longue. De plus, le goudronnage et le passage incessant des camions de
transport va perméabiliser le sol et ainsi augmenter les risques d'érosion à
cause notamment du ruissellement des eaux de pluies.
Les déchets solides de la mine, inertes ou non, seront stockés à proximité de la
mine. Comme nous le disions, concernant les déchets solides acide, il y a un
risque de lixiviation et de contamination des sols et des cours d'eau. Ce risque
est à considérer sur le long terme. Enfin, il faudrait s'assurer que les déchets
de construction et d'entretien des machines soit bel et bien retiré à la fin de
l'exploitation de la mine.
Pendant et après la fermeture de la mine, des impacts environnementaux
risquent encore de se produire. On pense surtout au risque de lixiviation
toujours présent plusieurs décennies après la fermeture de la mine. Dans bien
des cas, les sols et les cours d'eau sont encore biologiquement mort et sont
inexploitable par toute forme de vie en raison des drainages acides qui
continueront de se déverser. Ce cas de figure se présente beaucoup au Chili,
pays mondialement connu pour ces exportations de cuivre.
Il faut également signaler les infrastructures viaires construites par
EcuaCorriente qui resteront évidement sur place. Dans son rapport la
compagnie présente cela comme une participation au développement de la
région. Cependant, la route que la compagnie laissera sur place n'amènera
qu'à un trou rempli d'eau : l'ancienne mine à ciel ouvert. À la vue de la très
faible densité démographique sur place, la création de cette route est futile. De
plus, celles-ci participent à l'imperméabilisation du sol et augmentent les
risques d'érosion.
Nous avons donc vu que les impacts probables de ce projet minier sont
nombreux et varié et affecteraient tous les compartiments de l'environnement.
Toutefois, les impacts directs les plus importants dans le cadre du projet
Mirador sont la contamination par les poussières (ce qui va engendrer, nous
allons le voir, la perte de fonctions environnementales), et le risque de
lixiviation qui contaminerait les sols et les eaux. Nous allons à présent analyser
les risques indirects engendrés par le projet.
3.2.4.2.2.
Perte de fonctions environnementales occasionné par cette pollution
L'ouverture de la mine, car elle entend la coupe à blanc de toute la
végétation présente sur le site va engendrer la perte de toutes les fonctions
environnementales assurées par cette forêt. La zone d'exploitation est l'habitat
de nombreuses espèces endémiques ou rare, dont le Condor. A ce jour il n'y a
qu'une étude biologique exhaustive faisant le recensement des espèces
présente dans la Cordillère du Condor. Le biologiste David Neil du Missouri
Botanical Institut a notamment découvert des orchidées de type Stenopadus
(Asteraceae), des Everardia (Cyperaceae) ou encore des Euceraea
(Flacourtiaceae)95. Ces espèces sont similaires aux espèces que l'ont peut
95
Missouri Botanical Institut – Cordillera del Condor,
http://www.mobot.org/mobot/research/ecuador/cordillera/cordillera.pdf (09/08/09)
trouver dans la Gran Sabana du Sud-est Vénézuelien. Les études de la faune
et de la flore de la Cordillère du Condor n'en sont qu'à leurs débuts et il existe
certainement encore de nombreuses espèces à découvrir. L'ouverture du projet
minier risque donc de mettre en péril de nombreuses espèces endémiques,
même pas encore recensées par la science.
Parmi les fonctions environnementales assurées par la Cordillère du Condor,
citons dans les plus importantes la régulation des gaz, et notamment
l'absorption de carbone, la régulation du cycle de l'eau. Plus localement, cet
écosystème fournit des plantes médicinales, de la nourriture et des fibres aux
populations autochtones. A ce jour, aucune étude n'a été menée sur les
fonctions environnementales de la Cordillère du Condor. Cependant, nous
pouvons nous baser sur l'étude d'Earth Economics du Parc Naturel Yasuni en
Amazonie. Bien que la Cordillère du Condor se trouve être légèrement plus
élevée, les fonctions environnementales sont sensiblement les mêmes. Nous
invitons donc le lecteur à se référer au précédent tableau des fonctions
environnementales présenté dans la partie 2, chapitre 3.
La perte de cet écosystème pourrait engendrer de grands bouleversements
dans les habitudes des indigènes qui en dépendent. Comme nous le verrons
plus loin, cela va indirectement engendrer la contraction d'une dette sociale
par le projet minier.
Parmi les autres impacts indirects, l'ouverture du projet Mirador va
indirectement participer à une potentielle augmentation des risques naturels,
comme par exemple des inondations ou des sécheresses. Enfin, ce projet, par
nature polluant, participe également au rejet de gaz à effet de serre, ce qui
participe au changement climatique.
Voilà ce que nous pouvions citer parmi les impacts environnementaux indirects
engendrés par le projet Mirador. Voyons maintenant les autres impacts
sociaux-économiques que la mine pourrait occasionner.
3.2.4.2.3.
Dette sociale et culturelle
Les populations indigènes dans la zone d'exploitation sont les
héritiers d'une culture millénaire basant leurs vies sur la symbiose entre
l'homme et la nature. Ici, quelques concepts des croyances indigènes sont
importants à expliquer. Tout d'abord la notion de Pachamama qui signifie la
divinité « mère nature ». Celle-ci est perçu comme protectrice et nourricière et
est donc immensément respecté par ces populations. Les Shuars (voir carte de
peuplement en annexe) donnent notamment une grande importance aux
cascades et y voient la matérialisation de leurs croyances. Leur contamination
met donc en jeu ces toutes traditions. Signalons au passage que ces traditions
sont protégées par la convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel
immatériel de l'UNESCO96. Une autre notion fondamentale dans la culture
indigène est le Sumak Kawsay (ou « bien vivre »). Cette notion véhicule des
idées de respect entre l'homme et la nature. Selon l'économiste et viceministre des finances Equatorien Pablo Davalos, « le concept de Sumak
Kawsay exprime, renvoie et s'accorde avec les demandes de « décroissance »
de Latouche, de « convivialité » d'Iván Ilich et « d'écologie profonde » d'Arnold
96
UNESCO - Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel,
http://unesdoc.unesco.org/images/0013/001325/132540f.pdf (09/08/09)
Naes »97.
Les populations indigènes ont une grande tradition qui est mise en péril par le
projet minier. L'ouverture de la mine risque de déplacer les indigènes et une
partie d'entre eux, au contact des colons seront peut-être tentés d'aller vivre
en ville, ce qui changera profondément et irréversiblement leurs modes de vie.
Ces impacts socio-culturelles sont donc incontestables.
3.2.4.2.4.
Dette économique
Les dégradations environnementales du projet risquent d'occasionner une
augmentation de la mortalité ou de la morbidité, à cause par exemple des
cours d'eau contaminés par les lixiviats. En cela, le projet représente un double
risque d'impact économique négatif. En effet, la dégradation de l'état de santé
des populations devrait engendrer, en plus de la perte de force de travail, des
coûts liés aux soins de santé.
Citons également que les flancs occidentaux de la cordillère du Condor sont
habités par des colons Equatorien (les Shuars sont majoritairement sur le flanc
oriental), attirés durant les années 80 par les gisement d'or. L'ouverture d'une
mine à ciel ouvert va certes donnée du travail à ces populations. Mais après
plusieurs entretiens avec ces mineurs artisanaux, il apparaît qu'ils sont pour
une grande majorité, opposés aux projets miniers. D'ailleurs les récents
résultats électoraux traduisent la volonté des citoyens. En effet, le candidat
Salvador Quishpe, virulent opposant au projet, à gagner les dernières élections
régionales d'avril 200998.
On peut également citer la perte de la ressource, à savoir le cuivre l'or et
l'argent en tant qu'impact économique au vue de l'impossibilité future
d'exploiter cette ressource. Cependant, l'idée qu'il y ait une contraction de
dette économique pour perte de ressources naturelles est ambiguë. Les
mineurs artisanaux dégradent eux aussi l'environnement par leurs pratiques
extractives, bien que cela se fasse à une bien moins grande échelle. Ayant eu
l'opportunité d'observer la campagne électorale dans la province concerné de
Zamora-Chinchipe, il m'est apparut qu'un argument souvent reprit contre
l'ouverture de la mine était d'ordre environnementale. Cependant, il semblerait
que cette argument cachait une autre volonté : celle de continuer à être
indépendant et non employé d'une entreprise étrangère.
En résumé, les impacts économiques sont à considérer avec beaucoup de
précaution et sont à mettre en relation avec les bénéfices économiques locaux
97
98
America Latina en Movimiento - El “Sumak Kawsay” (“Buen vivir”) y las cesuras del desarrollo,
http://alainet.org/active/23920 (09/08/09)
Republica del Ecuador – Consejo Nacional Electoral – Resultados Preliminares elecciones 2009,
http://app.cne.gov.ec/resultados2009/ (09/08/09)
mis en avant par EcuaCorriente. Retenons avant tout le double risque d'impact
économique négatif en raison de la dégradation de l'état de santé des
populations locales.
Intéressons nous maintenant aux possibilités offertes par l'économie
écologique afin d'estimer la valeur des dégradations environnementales. Nous
allons essentiellement donner des pistes d'évaluation des impacts
environnementaux car c'est finalement le fond du sujet ici. Nous n'allons donc
pas nous étendre sur les façons d'estimer les impacts socioculturels et
économiques.
3.2.4.3.
3.2.4.3.1.
Quels outils d'économie écologique sont les plus adaptés à l'estimation
des impacts d'une mine à ciel ouvert ?
Impact direct de la pollution durant les trois phases
Nous avons déjà mis en lumière plus haut la distinction entre les pollutions
directes et la perte de fonctions écosystémiques qui en découle. Durant cet
exercice nous séparerons donc l'évaluation des pollutions directs et l'évaluation
de la perte de fonctions environnementales. Dans ce sens, notre approche est
« additionnelle ». Les impacts sont estimé séparément et l'ont en fait la
somme.
Cette décision est notamment basé sur l'étude de D. Damigos « An overview of
environmental valuation methods for the mining industry ». Ce dernier fait la
distinction entre trois possibilité, l'une basé sur une approche NIMBY (Not In
My BackYard) dans laquelle toutes les externalités sont estimer
simultanément. La seconde approche est la notre, où l'on estime donc
séparément les impacts avant d'en calculer la somme. La dernière enfin,
évalue les impacts en prenant en compte l'éventualité d'un accident majeur,
comme par exemple la rupture des bassins filtrant les lixiviats acide 99.
Afin d'être le exhaustif possible, sans toutefois tomber dans la surenchère (en
cas d'accident), il nous apparaît donc juste de nous basé sur la seconde
approche de Damigos. Bien que nous ayons ici choisit cette approche il faut
garder en tête le concept holistique, particulièrement applicable aux
écosystèmes, et qui préconise que le tout est supérieur à la somme des
parties. Cela supposerait par rapport à la logique d'évaluation que nous avons
choisit que les résultats escomptés soient sous-évaluer.
Une fois que nous aurons obtenus le coût des externalités négatives du projet
Mirador, il sera intéressant de le comparer au flux monétaire supposé du projet
élaboré par EcuaCorriente (graphique du flux monétaire de l'exploitation de la
concession Mirador durant 19 ans en annexe).
Voyons en premier lieu les façons d'évaluer la pollution directe. Concernant le
projet minier Mirador, l'étude de faisabilité à déjà prie en compte jusqu'à un
certain point le coût de la fermeture et du reboisement de la zone. Cependant,
cela ne va pas assez loin et sous-estime largement le réel coût de la
dégradation environnementale. Une technique d'estimation adaptée serait
d'évaluer le prix total de toutes les Meilleures Techniques Disponibles. En
Europe, celles-ci sont encadrés par une directive qui essaye au maximum de
99
D. Damigos (2006), An overview of environmental valuation methods for the mining industry, Journal of Cleaner
Production, Volume 14, Issues 3-4, 2006, Pages 234-247
lié les processus industriels avec les trois piliers du développement durable.
Cependant, dans un pays de la périphérie comme l'Equateur, il est très peu
probable que ces MTD soient appliquées avec autant de rigueur, malgré les
promesses du président100.
Nous allons donc basé le plus possible notre technique d'estimation sur le coût
de la restauration du site. Il s'agirait pour cela de reprendre le tableau
d'impacts vu plus haut et voir pour chaque phase, comment estimer la
dégradation d'un élément de l'environnement et le coût de sa restauration au
plus près des conditions initiales. Pour la phase d'exploration du projet
Mirador, le tableau suivant nous informe des techniques possibles.
Figure 17 : Techniques d'évaluation des impacts environnementaux durant la phase
d'exploration.
Comme nous pouvons le voir, concernant l'évaluation des rejets de gaz à effet
de serre, il est possible d'avoir un ordre d'idée du coût de cette pollution grâce
à la bourse internationale du carbone. Cependant, certains projets créant des
gaz à effet de serre « annulent » leurs rejets par la plantation d'une quantité
d'arbre potentiellement nécessaire afin d'absorber ces rejets. On pourra donc
également estimer le coût de cette opération de replantage. Il faut cependant
bien garder à l'esprit qu'une forêt replantée n'est en rien équivalente à une
forêt primaire au vue de sa qualité écosystémique.
Les poussières vont annihiler certaines fonctions environnementales, en
particulier, elles vont diminuer la productivité primaire, c'est à dire la
photosynthèse. Il est également possible ici d'estimer, comme pour les rejets
de gaz à effet de serre, l'équivalence en arbre afin d'arriver à un taux similaire
de productivité primaire. C'est le prix de la restauration.
Il est également possible d'estimer les dommages environnementaux crée par
la poussière en évaluant la diminution du rendement des récoltes avoisinant le
site. On évaluera donc un manque à gagner potentiel.
Concernant les dommages engendrés par les rejets de déchets sur le site
d'exploration, il est recommandé de se baser sur le prix de la restauration du
site.
Pour la contamination éventuelle du sol, il est possible premièrement d'évaluer
le coût de sa restauration. Il est également possible, comme pour la poussière,
d'évaluer la perte des fonctions environnementales qui découlent de la
dégradation de ce sol.
L'estimation des impacts engendrés par les déchets durant la phase
d'exploration peut s'estimer par le coût de le restauration du site. Si des
fonctions environnementales sont sacrifiées, nous verrons plus loin comment
les estimer.
Pour la deuxième phase, la plus critique au niveau des impacts
environnementaux, analysons le tableau suivant qui nous résume les impacts
et la façon de les évaluer.
100
El Ciudadano.com.ec : Periodico digital de la revolucion ciudadana (Journal en ligne de la revolution citoyenne) –
La nueva ley minera promueve un ambiente sano y sustentable (La nouvelle loi minière promouvoit un
environnement sain et durable), http://www.elciudadano.gov.ec/index.php?
option=com_content&view=article&id=321:la-nueva-ley-de-mineria-promueve-un-ambiente-sano-ysustentable&catid=21:entrevistas&Itemid=29 (15/02/09)
Figure 18 : Techniques d'évaluation des impacts environnementaux durant la phase
d'exploitation.
Comme nous pouvons le voir, la plupart des impacts peuvent s'estimer en
évaluant le prix de la restauration de l'écosystème endommagé.
Concernant les gaz à effet de serre, les techniques d'évaluation sont les
mêmes que durant la phase d'exploration. Il en est de même pour les
poussières et les vapeurs.
Afin d'estimer le coût de la pollution sonore (incluant les vibrations), il est
possible d'estimer les coûts des mesures d'atténuation. Ce cas de figure est
fréquent pour l'évaluation des impacts sonores d'un aéroport ou d'une
autoroute. Nous n'appliquerons pas la technique de l'évaluation contingente
(que nous expliciterons plus loin) car l'impact sonore n'affectera pas
significativement les hommes aux alentours.
La contamination directe du compartiment aquatique de l'écosystème de la
Cordillère du Condor est estimable en évaluant le coût de la restauration de
celui-ci. En effet, que la contamination vienne de la lixiviation, d'une pollution
accidentelle ou du réseau des eaux usées, on va évaluer le coût des travaux de
nettoyage potentiellement nécessaire. Une autre possibilité consiste en
l'évaluation des coûts d'évitements. Concernant les eaux usées, cela
comprendrait donc le coût de fonctionnement d'une station d'épuration des
eaux usées durant toute la durée de vie du projet. Pour ce qui est de la gestion
de lixiviats, l'évaluation du coût des Meilleures Techniques Disponibles est
également une source d'évaluation possible.
Pour ce qui est des impacts sur le sol, nous pouvons également nous baser sur
le coût de sa restauration ou sur l'estimation de la perte de fonctions
environnementales. Signalons cependant que l'érosion engendré par le projet
est difficilement évaluable en raison de la difficulté d'estimer physiquement
l'érosion directement imputable à l'ouverture du projet Mirador.
Enfin, concernant les déchets, il en est de même que dans la phase
d'exploration. Le coût de la restauration se trouvera cependant bien plus élevé
en raison des terrils. Signalons d'ailleurs qu'ils vont recouvrir une partie de
forêt, ce qui va engendré la perte d'une certaine quantité de fonctions
écosystèmiques.
Durant et après la phase de fermeture, un certain nombre d'impacts
environnementaux continueront à se manifester sur le site. On pense en
premier lieu aux effluents liquides acides crée par la percolation des terrils.
Un dernier tableau d'impacts et de techniques d'évaluation nous résume le
processus d'estimation :
Figure 19 : Techniques d'évaluation des impacts environnementaux durant la phase de
fermeture
Ici, c'est surtout l'eau et les sols qui risquent d'être affecté par l'écoulement de
lixiviats, et ce pendant plusieurs décennies après la fermeture de la mine. En
effet, les eaux de pluies vont être filtrées par les roches déposées sur les
terrils. Le terril d'El Pangui est supposé stocké uniquement des roches inertes,
cependant le terril du Rio Quimi va accueillir des matières rocheuses
potentiellement acides. L'eau qui est filtrée par ces roches en ressortira
contaminée. Un bassin de stockage des lixiviats est prévu pendant et après le
projet, mais on peut questionner la qualité du système de surveillance et la
durée de vie supposée de ces bassins de stockage.
Un autre impact sur le sol qui subsistera après la fermeture de la mine est
l'imperméabilisation du sol aux endroits où de lourds engins de chantiers
seraient passés, en plus du tracé de la route asphaltée. Cet impact entraîne le
ruissellement de l'eau et participe ainsi à l'érosion et à appauvrissement des
sols. Ce cycle vicieux d'appauvrissement du sol peut se mettre en place et
s'éterniser jusqu'au moment où des mesures de restauration seront prises.
3.2.4.3.2.
Impact de la perte de fonctions écosystémiques
Nous voyons donc que la pollution directement engendrée par l'ouverture de la
mine Mirador à proximité du village d'El Pangui comporte plusieurs impacts
environnementaux. S'ajoutent à ces impacts directs la dégradation des
fonctions environnementales. L'évaluation des fonctions environnementales
passe par l'observation des « services » que la nature nous fournit et tente d'y
appliquer une valeur. Le tableau suivant nous rappelle quelles sont les
fonctions environnementales assurées notamment par la Cordillère du Condor.
Figure 20 : Les fonctions environnementales
Source : Costanza, The value of the world's ecosystem services and natural capital
Afin d'évaluer des fonctions environnementales, il faut tout d'abord fixer une
unités de mesures standardisées, applicables à tout les éléments. Dans la
littérature, l'unité la plus utilisée est le dollar par unité spatiale sur une période
de temps donnée, abrégé par $/ha./an101.
Il peut parfois être très délicat de vouloir estimer la valeur monétaire des
fonctions environnementales, surtout lorsque celle-ci sont considérées comme
irremplaçable. Dans ce cas, on pense en particulier aux fonctions culturelles
assurer par la Cordillère du Condor, qui sont la base d'un mode de vie et d'une
économie traditionnelle. Les écosystèmes ont également certaines qualités que
l'homme ne peut reproduire. Nous ne pourrons donc pas prétendre estimer
l'entièreté des fonctions environnementales.
De Groot et al. ont mis en évidence que la valeur des fonctions
environnementales tend à augmenter au fur à mesure qu'elles deviennent de
plus en plus rare102. De plus, cette valeur ne peut souvent pas être évaluer
monétairement pour des raisons d'interconnexions extrêmement complexe
entre les différents éléments. Nous allons cependant énumérer quelques
techniques d'évaluation existante et voir à quels éléments de l'écosystème
elles seraient applicable.
Les différentes techniques ici présentées se basent sur la relation entre un
service ou un bien du marché et une fonction environnementale et estiment à
partir de là la volonté des agents économiques à payer plus pour la
préservation de cette fonction. Elles sont le plus souvent basées sur des
101
De Groot et al. (2002), A typology for the classification, description and valuation of ecosystem functions, goods and
services, Ecological Economics, Volume 41, Issue 3, June 2002, Pages 393-408
102
De Groot et al. (2002), A typology for the classification, description and valuation of ecosystem functions, goods and
services, Ecological Economics, Volume 41, Issue 3, June 2002, Pages 393-408
enquêtes ou sur une analyse en profondeur de plusieurs données économiques
(prix hédoniques, coût du voyage), c'est pourquoi elles sont fastidieuses,
longues et chères à réaliser.
Le coût d'évitement représente les coûts que la société ne doit pas engager au
cas où ces services n'existaient pas. On pense notamment au contrôle naturel
des crues ou à l'assimilation naturelle de déchet. En ce moment, dans la
cordillère du Condor, les rios Zamora et Quimi assurent une régulation
naturelle du débit aquatique et la terre assimile les déchets biodégradables en
les transformant en humus.
Le coût du remplacement est le coût que la société devrait payer pour
remplacer une fonction écosystémique par une technique produite par
l'homme. On pense encore à l'assimilation de déchet qui pourrait partiellement
être remplacée par des techniques humaines. Pareillement, le stockage du
carbone dans des poches souterraines serait peut-être une technique humaine
envisageable d'ici quelques années.
La technique du coût du voyage estime le coût du déplacement qu'une
personne est prête à effectuer pour jouir d'une fonction environnementale. Le
coût du voyage reflète donc la valeur implicite de l'écosystème. C'est une
technique qui s'applique surtout pour les valeurs esthétiques de la nature, ou
pour la qualité d'une eau de baignade par exemple.
La technique du prix hédonique reflète la hausse du prix d'un bien en fonction
de la présence ou non d'une fonction environnementale. Encore ici, cette
technique s'applique majoritairement aux fonctions esthétiques. La hausse du
prix de l'immobilier en bord de mer en est un bon exemple.
L'évaluation contingente est une technique où l'utilité environnementale est
reflété par le consentement d'une personne à recevoir ou le consentement à
payer afin de pouvoir continuer à jouir de d'une fonction environnementale.
Ces donc une technique assez fastidieuse et onéreuse car elle se base sur des
enquêtes. Elle s'applique beaucoup pour l'estimation de la qualité d'un
écosystème.
Une dernière possibilité d'évaluation est le transfert de données issues
d'études précédentes. On peut transférer les valeurs d'études effectuées dans
des écosystèmes relativement similaires et qui assure les mêmes fonctions
environnemenales. L'étude d'évaluation des fonctions environnementales du
Parc Naturel Yasuni pourrait ici servir de base à une future étude pour la
cordillère du Condor.
Ces quelques techniques ainsi énumérées pourraient donc être utiliser dans
l'évaluation de la valeur de quelques une des fonctions environnementales de
la cordillère du Condor.
Nous allons à présent soulever les éventuelles difficultés que l'évaluation des
impacts environnementaux nous pose.
3.2.5.
Quelles difficultés d'estimation éventuellement rencontrées ?
Si l'on s'en tient à la volonté d'estimer les fonctions
environnementales de façon uniquement monétaire, il est certain que l'on va
rapidement se heurter à certaines difficultés. En effet, en plus de la
problématique éthique que nous pose l'estimation monétaire
environnementale, les techniques connues à ce jour présente de nombreuses
lacunes. Ce postulat se base sur le fait que l'homme est à ce jour incapable de
reproduire une grande partie des services que nous assurent les écosystèmes.
Citons par exemple la pollinisation. Comme chacun le sait une grande part des
espèces végétales cultivées pour la consommation humaine dépendent des
abeilles. De récentes études ont cependant mis en évidence la diminution du
nombre d'abeille103. Cela met directement en péril la production alimentaire
mondiale de fruits et légumes. Une étude de N. Gallai et al. a estimée à 153
billions d'euros ce service de pollinisation, en estimant le manque à gagner
potentielle104. Cependant, on peut se poser des questions sur la pertinence
d'une telle étude. En effet, bien que le coût de la perte de cette fonction soit
symboliquement intéressant pour avertir du danger environnemental, nous
soutenons ici que la monétarisation n'est justifiable que pour son rôle politique
mais perd en légitimité du point de vue théorique. Comme nous l'avons déjà
vu, la temporalité, le fonctionnement et l'interdépendance des différentes
fonctions écosystèmiques entre elles sont d'une rare complexité, ce qui affaiblit
substantiellement chaque tentative d'évaluation monétaire.
De plus, comme le souligne J.M. Alier, on peut se demander qui a le pouvoir de
fixer un prix sur un éléments de l'environnement dont nous dépendons tous
pour notre survie. Cela pose effectivement un problème éthique.
Face à ces réserves concernant l'évaluation monétaire des fonctions
environnementales, nous pensons qu'il est plus souhaitable d'exprimer la
valeur environnementale sous d'autre terme. La figure suivante, tirée d'un
rapport du PNUD sur « l'économie des écosystèmes et de la biodiversité » nous
informe de quelques méthodes d'évaluation des écosystèmes. La forme
pyramidale inspire implicitement au lecteur un classement hiérarchisé selon le
degré de précision et donc de légitimité. Comme nous pouvons le constater, le
PNUD classe donc l'évaluation monétaire en haut de la pyramide, ce qui va à
l'encontre de l'opinion ici défendu. Il nous apparaît en effet que la pyramide
devrait être inversé pour classer en haut de l'échelle l'évaluation qualitative.
Cette technique nous apparaît plus modeste et c'est justement là que réside sa
qualité.
Figure 21 : Évaluation des fonctions assurées par les écosystèmes.
103
A.M. Klein (2006), Importance of pollinators in changing landscapes for world crops, Proceedings of the Royal
Society 274, 303–313.
104
N. Gallai et al. (2009), Economic valuation of the vulnerability of world agriculture confronted with pollinator
decline, Ecological Economics, Volume 68, Issue 3, 15 January 2009, Pages 810-821
Source : Rapport du PNUD (2008) « L'économie des écosystèmes et de la biodiversité »
Ensuite, au vu de la nature profondément interdisciplinaire de l'économie
écologique, l'Analyse Multi-Critère (AMC) nous semble être une solution plus
adéquate à l'estimation de la valeur environnementale.
Nous n'allons cependant pas nous étendre sur l'explication de l'AMC ici et nous
invitons le lecteur à se référer à la littérature existante sur le sujet afin d'en
savoir plus. Précisons simplement que l'AMC a le mérite de structurer
l'évaluation d'un problème complexe selon des dimensions à la fois cognitives
et normatives105 (la partie cognitive de la recherche structure le problème et
évalue les points à évaluer alors que la partie normative décide des critères et
si il sont appropriés, définit des poids). Néanmoins, dans l'AMC le même
problème persiste, à savoir le problème de l'interdépendance des fonctions
environnementales entre elles. Il est effectivement difficile de classer des
fonctions environnementales selon leur degré d'importance si l'on considère
l'environnement comme un tout et qu'une fonction environnementale ne peut
jusqu'à une certaine limite exister sans l'autre.
De plus, lors d'évaluations environnementales, il est n'est pas rare d'avoir
affaire à des situations socialement conflictuelles. Il faut donc aussi prendre en
compte les revendications sociales. Cela pourrait passer par la mise en place
d'un jury citoyen. Les résultats de ce jury seraient ensuite agrégés dans un
modèle mathématique et pourraient ainsi être prise en compte par les outils
d'aide à la prise de décision106.
105
106
A. Vatn (2009), An institutional analysis of methods for environmental appraisal, Ecological Economics, Volume
68, Issues 8-9, 15 June 2009, Pages 2207-2215
Y. E. Chee (2004), An ecological perspective on the valuation of ecosystem services, Biological Conservation,
Bien que nous remettons partiellement en question la pertinence de l'analyse
monétaire des fonctions environnementales, nous insistons encore sur le fait
que cela à un intérêt pour la sauvegarde de l'environnement dans le sens où
celui-ci est pour la première fois de l'histoire économique pris en compte dans
les décisions. Cependant, au vue des difficultés d'estimation, particulièrement
des fonctions environnementales, d'autres approches non monétaire offrent
des pistes intéressantes d'aide à la prise de décision environnementale.
Voyons à présent les possibilités d'applications des résultats obtenus grâce à
l'évaluation des impacts environnementaux à l'échelle d'un projet.
3.2.6.
Quelles applications possibles ? Quelles alternatives de développement
pour la région ?
Une fois la reconnaissance des potentiels impacts environnementaux et surtout
de la valeur de l'écosystème présent au dessus du gisement, il est possible de
réfléchir à des pistes alternatives au projet minier. L'objectif ici serait bien
évidemment une conservation, voir une restauration, de l'état de
l'environnement de la Cordillère du Condor.
Nous allons donc à présent analyser quelles solutions alternatives l'économie
écologique pourrait offrir à la cordillère du Condor une fois la valeur de
l'écosystème estimée. En effet, après une Analyse Coût Bénéfice mettant en
lumière le coût de la dégradation environnementale, nous posons l'hypothèse
que ce coût serait plus élevée que les bénéfices de l'exploitation minière,
rendant ainsi l'ouverture du projet Mirador non rentable. En supposant donc la
non rentabilité du projet minier, il est important de réfléchir à des solutions
alternatives pour le développement de la région.
Comme nous le savons, en l'absence de projet d'ouverture de mine à ciel
ouvert, il subsiste une pression environnementale dans la région à cause des
mineurs artisanaux. En effet, à part les populations indigènes, la région est
habitée par une petite communauté de mineurs récemment installée aux
alentours de la Cordillère du Condor, attirée par les gisement d'or, mais
également incitée à s'installer là par des campagnes gouvernementales suite à
la guerre de 1995 entre le Pérou et l'Equateur107. L'activité minière locale
posent néanmoins moins de problèmes environnementaux que l'ouverture
d'une mine à grande échelle. En effet, bien que l'activité minière à petite
échelle créée des pollutions spatialement restreintes, elle ne dégrade pas
massivement les fonctions environnementales d'une telle façon que le
supposerait le projet Mirador. En outre, l'activité minière artisanale permet
beaucoup plus largement de conserver les retombées financières dans la
région d'extraction.
Cependant, au vu de notre objectif de crée une soutenabilité forte dans la
région de la cordillère du Condor, c'est à dire d'assurer la pérennité du capital
naturel, il est essentiel de ne pas exploiter les ressources renouvelables audelà de leurs taux de régénération et de ne pas excéder les capacités
d’assimilation et de recyclage des écosystèmes dans lesquels les déchets sont
rejetés. Afin de tendre au maximum vers un tel objectif, l'économie écologique
Volume 120, Issue 4, December 2004, Pages 549-565
S.A. Radcliff (1998), Frontiers and popular nationhood: geographies of identity in the 1995 Ecuador-Peru border
dispute, Political Geography, Volume 17, Issue 3, March 1998, Pages 273-293
107
offre donc plusieurs solutions.
Premièrement, à l'encontre du projet Mirador, nous avons posé l'hypothèse
qu'une internalisation des externalités négatives rendrait le projet non rentable
car nous considérons explicitement que l'environnement vaut plus que les
bénéfices de l'exploitation. Nous verrons dans un premier temps les
alternatives à l'exploitation minière à petite échelle avant de voir à l'échelle
globale comment un mécanisme similaire à l'initiative Yasuni-ITT pourrait
enrayer le projet Mirador.
A l'encontre de l'exploitation minière artisanale, également polluante et
destructrice de fonctions environnementales, nous proposons deux échelles de
Paiements pour Services Ecosystèmiques (PSE) selon la localisation globale ou
locale des bénéficiaires des services écosystèmiques. Bien que ce système ait
pu être critiqué auparavant, il faut reconnaître qu'il respect le principe de
soutenabilité forte, et permettrait d'assurer des entrées financières pour la
région, ce qui est indispensable pour le développement. Nous croyons donc
qu'une application rigoureuse d'un système de PSE permettrait d'assurer un
moyen de subsistance aux populations locales, qui autrement continueraient à
exploiter les gisements.
Mais définissons tout d'abord ce qu'est un système de PSE. Il s'agit d'un
mécanisme qui souhaite traduire des valeurs environnementales non
marchandes en valeur financière afin d'inciter les populations locales à la
conservation de l'environnement. Cela entend une transaction entre un
acheteur et un fournisseur, à condition que le service environnemental soit
effectivement protégé et fournit. Un exemple récurent est la conservation d'un
bassin versant purifiant l'eau contre une juste rétribution de la population situé
dans la zone du bassin. La ville de New York a par exemple appliquée ce
principe en achetant plusieurs terrains forestiers au dessus de la nappe
aquifère alimentant la ville108. Le schéma suivant nous informe de la logique
économique des PSE :
Figure 22 : La logique de paiement pour services écosystémiques
108
C. Aubert et al. (2008), New York, pionnière pour la protection de l'eau, Le monde diplomatique – L'atlas de
l'environnement, Armand Collin, Paris
Source : S. Engel et al. (2008), Designing payments for environmental services in theory and
practice: An overview of the issues
Comme nous pouvons le constater, la logique des PSE entend que l'acheteur
des fonctions écosystèmiques paient moins que le coût des externalités
négatives, et que le vendeur perçoive plus que ce que rapporterait
l'exploitation de l'écosystème (afin de le décourager à l'exploiter).
Il existe différent type d'acheteur de services environnementaux. Cela peut
soit être l'utilisateur direct de la fonction environnementale, soit une tiers
personne agissant au nom de l'utilisateur direct, souvent un gouvernement ou
une autre institution109.
Ainsi, la protection des services environnementaux dont les populations locales
bénéficient pourrait être financé par le gouvernement Equatorien ou une autre
institution nationale. En échange d'un PSE, les populations autochtones
devraient assurer la protection de la cordillère du Condor, permettant ainsi la
conservation d'habitats pour la faune, un plus grand contrôle de l'érosion
(évitant ainsi l'appauvrissement des sols) ou encore la pérennité du service de
pollinisation.
A une échelle plus globale, en considérant que la planète entière bénéficie des
fonctions environnementales que sont la régulation des gaz, la séquestration
du carbone ou encore l'approvisionnement en ressources génétiques, on
pourrait envisager un mécanisme de PSE similaire à l'initiative Yasuni-ITT.
En effet, bien que le PNY soit situé en pleine Amazonie à environ 250 m. au
dessus du niveau de la mer, et que la cordillère du Condor varie entre 300m.
et 2900m. d'altitude, les deux régions assurent à quelques exceptions près les
mêmes fonctions environnementales. Ces deux régions représentent
notamment un important puit de carbone et participent ainsi à la régulation du
climat et au bon fonctionnement du cycle de l'eau à l'échelle mondiale. On peut
également citer la régulation des épidémies à l'échelle mondiale. Une initiative
similaire dans la cordillère du Condor serait donc justifiable par l'argument d'un
mécanisme de PSE à l'échelle mondiale. En cela, l'évaluation des services
109
S. Engel et al. (2008), Designing payments for environmental services in theory and practice: An overview of the
issues, Ecological Economics, Volume 65, Issue 4, 1 May 2008, Pages 663-674
écosystémiques du PNY pourrait servir de baser à une évaluation similaire pour
la cordillère du Condor.
Malgré le fait que nous sommes en présence de minerai et non de pétrole,
cette initiative pourrait également participer à combattre en amont le
changement globale, en particulier concernant la perte de biodiversité et de
fonctions environnementales à l'échelle globale. Comme nous le savons, le
nombre élevé d’espèces, et notamment endémique, de la cordillère du Condor
participe à la bonne santé de son écosystème, ce qui contribue à assurer la
pérennité des fonctions environnementales. Cependant, le Millenium
Ecosystem Assessment estime que près d'un tiers des fonctions
environnementales planétaires sont actuellement en déclin110. Une telle
initiative dans la cordillère du Condor permettrait donc de sauvegarder une
part non négligeable de la biodiversité planétaire.
Un autre argument, encore dans une logique similaire à la proposition YasuniITT, serait que le paiement pour fonctions environnementales de la cordillère
du Condor est justifiable dans l'optique d'une reconnaissance et d'un
remboursement de la dette écologique que les pays tiers ont contracté envers
l'Equateur.
Mis à part les propositions de développement du nouveau préfet Salvador
Quishpe qui se basent sur l'écotourisme et une agriculture durable vouée à
l'exportation, nous constatons donc que l'économie écologique peut offrir des
pistes de développement propre basé sur la reconnaissance de la richesse
environnementale de la cordillère du Condor.
Conclusion
Le concept de dette écologique a été mis en évidence il y a encore
peu de temps par des ONG du Sud. Le présent travail a donc souhaité
considérer la problématique générale de la faisabilité et de la légitimité de
l'évaluation de la dette écologique, et ce à deux échelles différentes. Cette
double échelle d'analyse, du national au local, souhaite explorer la question du
lien entre l'impact environnemental d'un projet minier et la contraction à
l'échelle nationale d'une dette écologique par les pays tiers jouissant des
ressources extraites.
Toutefois, deux problématiques distinctes ont été élaborées d'après chaque
échelle d'analyse du concept.
Concernant l'estimation de la dette écologique que les pays tiers ont
accumulés vis-à-vis de l'Equateur, la question principale était de connaître la
portée et la faisabilité de son estimation. Nous voulions savoir si la dette
écologique est un concept intéressant et légitime dans les négociations
internationales concernant la possible annulation de la dette externe de ce
petit pays andin, et si elle peut favoriser la reconnaissance de l'initiative
Yasuni-ITT ?
110
Millennium Ecosystem Assessment, 2005. Ecosystems and Human Well-being: Synthesis, Island Press, Washington
DC.
A l'échelle plus locale du projet d'exploitation minière Mirador, l'idée était
d'estimer la validité de l'estimation d'une éventuelle future dette écologique.
Cependant, le projet d'exploitation n'ayant pas encore commencé, parler de
dette est vide de sens. Nous voulions donc donner des pistes d'estimation
d'une possible Analyse Coût Bénéfice (ACB) du projet internalisant les impacts
environnementaux. La problématique de départ était donc d'explorer la
faisabilité puis la légitimité d'une tel ACB.
Afin de répondre à ces interrogations, nous avons donc commencer par
analyser l'histoire du continent Sud-américain depuis la Conquista, en nous
focalisant sur la région andine, puis sur l'Equateur une fois que les frontières
se soient dessinées. Il en ressort que ce continent n'avait qu'une fonction
explicite de fournisseur de matières premières. En effet, des milliers de
bateaux européens débarquaient aux Amériques avec des esclaves venu
d'Afrique avant de repartir en Europe avec des métaux précieux et autres
produits exotiques, créant ainsi ce que l'on appelle aujourd'hui le commerce
triangulaire. Par la suite, avec l'avènement de la révolution industrielle et le
décollage des Etats-Unis, un nouvel ordre mondial s'inaugure, dicté par le
capitalisme. La encore, la tardive industrialisation du continent et l'insistance
des institutions financières internationales (créées dès la fin de la seconde
guerre mondiale) pour l'accord de prêt financier sous condition participent au
fait que l'Amérique Latine soit aussi dépendante de ses exportations de
matières premières. Cependant, il ne faut pas sous-estimer le concours de
plusieurs facteurs politico-économique, comme le manque de gouvernance, la
corruption ou les crises économiques, qui ont engendrés la situation actuelle
de l'Equateur dans l'ordre mondiale.
Par la suite, et avant de nous focaliser sur nos deux différentes échelles
d'analyse, il nous semblait important d'expliciter quelques notions d'économie
écologique afin de voir comment on pourrait tenter d'estimer une dette
écologique. Il en ressort que notre système économique est profondément et
indiscutablement ancré dans un plus large système biophysique. Karl Marx
avait déjà identifié ce truisme dans sa théorie du métabolisme social. A partir
de là, on peut donc considérer les flux biophysique qu’engendre le système
économique et considérer à la lumière de ceci le concept de dette écologique.
Ce concept requiert une approche multidisciplinaire et doit se fonder largement
sur les notions de temps et de justice. En effet, considérer l'interrelation entre
l'économie et l'écologie est impossible sans réfléchir aux notions temporelles.
De plus, l'idée de justice et d'équité permet de comprendre la relation qui
existe entre la dette extérieure et la dette écologique. Cette relation met en
évidence un échange à l'échelle mondiale économiquement inégale mais aussi
écologiquement inégale.
Une fois ces concepts expliquer, nous avons analysé la structure biophysique
de l'économie Equatorienne grâce à l'Analyse des Flux de Matière (AFM). Il en
ressort effectivement un échange écologiquement inégal, avec certes une
balance commerciale monétaire essentiellement positive, mais une balance
commerciale physique négative. L'Equateur exporte quasiment un quart de sa
production domestique à l'étranger et plus de la moitié de la matière se trouve
être du pétrole. Le reste de la matière concernée est essentiellement
constituée de biomasse. Ces matières et particulièrement le pétrole a un fort
impact environnemental, ce qui engendre l'échange écologiquement inégal. De
plus, il faut étendre le concept de créance écologique de l'Equateur à la dette
du carbone, à l'exploitation du vivant grâce aux brevets et à l'accaparation
massive des fonctions environnementales planétaires par les pays
industrialisés du Nord. Il est néanmoins difficile, voir impossible d'estimer la
dette écologique que les pays tiers ont contracté envers l'Equateur. Il faut
toutefois garder en tête que ces tentatives d'estimations servent avant tout à
donner un ordre d'idée de l'ampleur de la dette écologique. Il en ressort que le
concept et sa reconnaissance peut servir dans les négociations internationales.
En effet, après la récente et novatrice « initiative Yasuni-ITT » qui propose de
ne pas exploiter les nappes de pétrole présente dans le Parc National Yasuni,
on constate que le concept de dette écologique peut être un argument de poids
dans ces négociations, mais également dans les négociations concernant la
révision de la dette extérieure Equatorienne.
Après cette constatation, nous avons donc souhaité donner des outils
d'économie écologique afin d'essayer d'évaluer les impacts environnementaux
du projet de mine à ciel ouvert Mirador, dans la région de la cordillère du
Condor. Il fallait avant toute chose préciser que cette région reculée
d'Equateur est une des plus riche du point de vue de sa biodiversité et abrite
une communauté indigène en isolement volontaire. Une fois cette précision
faite, une analyse du projet d'exploitation selon les trois phases d'exploration,
d'exploitation et de fermeture a été faite. Il en ressort que l'impact majeur
sera la contamination du sol et des cours d'eau ainsi que la perte de fonctions
environnementales. Nous avons donc essayé de donner des outils d'économie
écologique afin d'estimer ces externalités négatives dans l'objectif d'une
éventuelle internalisation dans le prix final du minerai. L'évaluation d'après les
Meilleures Techniques Disponibles paraît être la plus simple, cependant,
comme chaque mine a forcément un certain impact, nous avons souhaité
évoquer le coût de la restauration. Enfin, concernant la perte de fonctions
environnementales, plusieurs techniques d'estimation ont été présentées dans
le détail. Notre conclusion explicite est que l'ouverture du projet minier
Mirador, à la vue de la valeur de l'environnement sacrifié, ne serait pas
rentable si une réelle internalisation des impacts avait lieu. Nous proposons
donc un système de Paiements pour Services Ecosystémiques (PSE) comme
alternative de développement de la région. Un parallèle avec l'initiative YasuniITT est donc ici réalisé.
De ce travail ressort donc quelques points particulièrement intéressants.
Premièrement, nous avons vue que l'AFM est sans doute l'outil le plus
prometteur comme point d'ancrage pour l'estimation d'une dette écologique.
En effet, cet outil permet de comparer les flux biophysiques aux flux
monétaires, donc de mettre en évidence la relation ambiguë entre dette
extérieure et dette écologique.
Nous avons également beaucoup discuté du bien-fondé de l'estimation des
fonctions environnementales, parfois aussi appelé services écosystémiques. Il
en ressort un constat en demi-teinte. En effet, cette estimation de
l'environnement va dans la logique d'une monétarisation toujours plus
excessive. Cela représente certains risques non négligeable, notamment le
risque de voire certaines de ces fonctions environnementales privatiser et
d'ainsi devoir payer pour le droit basique de jouir de ce que nous offre la
nature. Cependant, il faut nuancer cette crainte en appréciant les possibilités
offertes par l'estimation monétaire des fonctions environnementales. En effet,
dans certains cas de figure, si l'évaluation mène à des mécanismes de
paiements pour services ecosystémiques bien encadrés, cela peut participer à
une protection, voir à la restauration de certains écosystèmes. Cependant,
beaucoup d'autres facteurs socio-économiques vont faire varier la réussite de
tels projets.
Soulignons néanmoins quelques limites inhérentes au concept de dette
écologique. Tout d'abord, il faut souligner la difficulté, voire l'impossibilité à
récolter certaines données. En effet, alors que la science du climat est encore
très approximative, comment évaluer le volume de carbone émis par chaque
pays et ainsi estimer sa responsabilité historique pour le changement
climatique ? Ou encore, compte tenu de la dynamique des écosystèmes et de
leur capacité de résilience, il est très audacieux de prétendre estimer la valeur
des services écosystémiques perdus. Ces obstacles concernant les données
peuvent en partie être une des raisons pour laquelle il y a de grandes
difficultés afin de faire reconnaître le concept plus largement. En effet, une
autre difficulté concernant la dette écologique concerne donc sa
reconnaissance. Bien que le concept commence à être de plus en plus connu, il
n'en est pas pour autant reconnu.
Pour terminer, nous estimons néanmoins que le concept de la dette écologique
est un instrument tout a fait légitime et digne d'intérêt, et nous déplorons
d'ailleurs que le concept ne soit pas davantage soulever dans les discussions
internationales. En effet, l'existence effective d'une dette écologique des pays
industrialisés du Nord ne fait pas de doute, bien que son estimation soit encore
aujourd'hui sujet à controverse. De plus, la relation entre les impacts locaux
d'un projet de mine à ciel ouvert et l'accumulation de la créance écologique de
l'Equateur est indéniable. En effet, toute les matières extraites sont vouées à
l'exportation, et seront donc transformées à l'étranger avant d'éventuellement
revenir sur le marché Equatorien sont forme manufacturées, et donc bien plus
onéreuses.
Enfin, nous souhaitons ouvrir le débat sur un thème controversé dans ce
travail, à savoir la reconnaissance ou non du bien-fondé de l'évaluation
monétaire des fonctions environnementales. On peut en effet, se poser des
questions quant à l'avenir de l'évaluation des fonctions environnementales et
se demander si le mécanisme de PSE ne risque pas de connaître certaines
dérives dans le future ?
Annexes :
Annexe 1 : PNB de l'Equateur entre 1980 et 2007
Source : Banque Mondiale, Data & Statistics, Ecuador, GDP
Annexe 2 : Comparaison des Flux de Matière par Capita entre l'Europe et l'Equateur (2000)
Source : M. C. Vallejo, Biophysical structure of the Ecuadorian economy : Policy implication,
Flacso, Quito, 2007
Annexe 3 :
Input direct de matière utilisée pas l'industrie floricole, en tonne (1986-2003)
Source : U. Villalba (2008), El concepto de deuda ecologica y algunos ejemplos en Ecuador,
EcoCri, Bilbao
Annexe 4 : Surcoûts liés à l'adaptation au changement climatique
Tableau 3 : Surcoûts liés à
l’adaptation des investissements au
changement climatique –
Estimation préliminaire de la
Banque mondiale
Montant
annuel
en milliards de
dollars
Estimation de la
part sensible au
changement
climatique
en %
Coûts
estimés de
l’adaptation
en %
Total par an
en milliards de
dollars
Item
APD et financement à des conditions
privilégiées
100
40
10–20
4–8
Investissement étranger direct
160
10
10–20
2–3
1.500
2–10
10–20
3–30
-
-
-
9–41
Investissement national brut
Total – Financement de l’adaptation
Source : Oxfam L’adaptation au changement climatique. Ce dont les pays pauvres ont besoin et qui devrait payer,
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« Futuro de la mineria en Ecuador » , Actes de la conférence, Quito, 14 Avril 2009
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monde face au défis du développement, Actes du colloque, Bruxelles, 17/12/2008
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Interview d'Aurora Donoso, réalisé le 05 avril 2009 dans les locaux d'Accion Ecologica,
Quito
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Résumé de la conférence : Casos que vinculan la deuda externa con la generación de
deudas sociales y ecológicas, Varios autores, CEIDEX, Tomo 5, décembre 2006
Remerciements :
Je remercie Rodriguo Aucay et José Aucay pour m'avoir guidé et soutenu
durant mon séjour dans la communauté d'El Pangui.
Je tiens également à remercier Auroro Donoso d'Oil Watch pour ses conseils
précieux, Gloria Chicaiza et Omar Bonilla d'Acccion Ecologica pour m'avoir
soutenu dans mes recherches.
Merci à Cristina, Natalia et Domenica Martinez, Mario Bandera, Giorgeo
Rodriguez, Churchill de Monserato, Vasco Perez, Gabriela Navera, Stanislas
Carter, Patricia Gallardo, Anabella Mendez, Cristofer Costa et sa famille.
Je remercie également Thomas Bauler pour son soutien actif durant mes
investigations, Walter Hecq, Edwin Zaccaï, Marc Degrez pour leur précisions.
Je voudrais également remercier ma soeur, Emilie, ainsi que toute ma famille
qui m'a soutenu durant toute l'élaboration de mon mémoire de fin d'études.
Ainsi que toute l'équipe du CEDD pour leur coopération.
Enfin, je remercie Agatte, Federica, Bertrand, Clara, Alice et Pauline.
L'Université Libre de Bruxelles.
Août 2009.
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