aventures dont le caractère fictionnel, sinon fantastique, ne peut, à aucun moment, être mis en
doute. C’est ce qui fait l’originalité de la représentation de Paris dans
La Liberté ou l’Amour !
par
rapport aux représentations proposées dans
Nadja
ou
Le Paysan de Paris
: si une certaine poésie
de la ville est saisie, ce n’est pas à travers l’essai ou la réflexion, ni à travers la restitution plus
ou moins réaliste, mais à travers la fiction et le fantastique.
La Liberté ou l’Amour !
mêle à la fois
le roman d’aventures, le récit érotique et le conte merveilleux : la mort et l’amour coexistent,
se mêlent, les personnages vont et viennent, les décors changent et se transforment. C’est une
fiction poétique que nous livre Desnos, dont le cadre, la ville de Paris, permet un ancrage à la
fois réaliste et fantasmé, familier et merveilleux. À cet égard, il est spécialement intéressant
d’étudier l’utilisation que fait Desnos de la figure du Bébé Cadum, qui apparaît comme le point
central de la poétisation du lieu parisien à l’œuvre dans le roman. C’est autour de ce personnage
que s’organise l’évocation de Paris, avant que le récit ne se déplace vers d’autres horizons, lieux
exotiques ou inventés, issus de l’imagination ou du fantasme.
Contrairement à Louise Lame et au Corsaire Sanglot, le Bébé Cadum n’est pas un personnage
de fiction, ou plus exactement, il n’est pas issu directement de la production fictionnelle, mais
il est, comme la toponymie parisienne, le marqueur d’un univers de familiarité commun aux
contemporains. En 1927, au moment de la parution du roman, le Bébé Cadum, tête d’affiche de
la marque Cadum, est un élément récurrent du décor urbain et
a fortiori
du décor parisien. Il est
impossible ou presque pour le lecteur de ne pas connaître ce visage qui colonise les murs depuis
plusieurs années. La marque Cadum, en effet, est pionnière dans le développement du marketing
moderne. Elle fonctionne à partir d’un concept publicitaire fort, le bébé, qui symbolise la pureté
et la douceur, d’un code couleur facilement identifiable et surtout d’une campagne d’affichage
intensif qui commence dès la fin de la Première Guerre Mondiale.
Desnos ne s’intéresse donc pas, ici, comme Aragon dans
Le Paysan de Paris
, aux petites
réclames semées dans les rues et les journaux, à l’idiosyncrasie des publicités anciennes,
dont la poésie tiendrait à la rareté et qui pourraient susciter chez le poète une émotion de
collectionneur. Il porte son regard sur le Bébé Cadum en tant qu’image stéréotypée, phénomène
de diffusion massive, qui s’immisce dans un inconscient collectif urbain et participe à une
mythologie moderne qui fait la poésie de la ville. Recourir au collage ou à l’incorporation, dans le
texte, d’éléments exogènes serait superflu. La seule mention du Bébé Cadum par son nom suffit
à susciter la représentation chez le lecteur. Il n’est pas besoin de documents, de photographies,
d’éléments remplissant la fonction d’attestation de la réalité dans le discours. Desnos n’incorpore
pas seulement l’image ou le slogan à son texte, mais le concept même du marketing du Bébé
Cadum : un poupon joufflu, toujours souriant, toujours muni de ses attributs que sont le savon
et la mousse. Il fait de cette vedette publicitaire un personnage de son récit.
Pourtant, pour Desnos, le Bébé Cadum ne représente pas seulement le savon et les différents
produits de la gamme Cadum. Il représente le décor urbain moderne et ses nouveaux mythes. Il
emblématise la métamorphose du lieu parisien, d’un point de vue historique, de la même façon
que les pompes à essence du
Paysan de Paris
emblématisent la métamorphose des routes de
campagne. Il rappelle l’homogénéisation du paysage citadin produite par la modernité, dont
Les poètes et la publicité _ p. 149 ///