Journal Identification = IPE Article Identification = 0889 Date: February 18, 2012 Time: 10:15 am
Un père hâtif pour hyperactif
Étiologie « psychogène »
de l’instabilité infantile
De nos jours, la naissance d’un enfant peut être déci-
dée, planifiée et anticipée (grâce, notamment aux méthodes
contraceptives). Bien souvent, la venue au monde de ce
dernier est le fruit d’un souhait de parentalité (quel que soit
le désir inconscient qui le sous-tend). Devenu précieux et
doté de nouveaux droits, l’enfant est en même temps mis en
devoir de combler, par son excellence, le narcissisme de ses
parents (ou de son entourage). C’est la raison pour laquelle
les exigences de notre société à son égard sont de plus en
plus nombreuses. Jadis, lorsqu’il s’agitait, il était considéré
« plein de vie » ; aujourd’hui, il est celui qui déc¸oit un
espoir de réussite. Lorsque l’adulte qui l’accompagne dans
un lieu de soin évoque à son propos un « trouble du compor-
tement », un « trouble des conduites », des « difficultés
scolaires » en lien avec des « troubles de la concentra-
tion » ou une « hyperactivité », il est à proprement parler
un « enfant perturbateur2» (en ce sens qu’il dérange sa
famille, ses professeurs ou les élèves de sa classe ou il
bouleverse les projets parentaux ou familiaux en ayant de
mauvaises notes). De cette définition, qui précise l’objet de
ma thèse, découle une remarque : si l’« enfant perturba-
teur » renvoie toujours à un des troubles des nosographies
médicales nationale (CFTMEA3) et internationales (DSM-
IV4et CIM-105), il n’exprime pas pour autant forcément
l’ensemble des critères symptomatiques nécessaires pour
porter un diagnostic médical. Ce qui importe est qu’il puisse
faire penser au dit diagnostic, tout en maintenant l’attention
des parents et/ou des professionnels sur son mal-être. J’y
reviendrai.
Constatant que la plupart des enfants perturbateurs que
je rencontrais exprimaient tôt ou tard une peur de mou-
rir, j’en suis venu à penser que celle-ci avait directement
quelque chose à voir avec la forme de leur symptôme.
L’abord des théories winnicottiennes me conforta dans cette
position. Winnicott indique qu’à l’origine de l’hyperkinésie
et de l’inaptitude à se concentrer chez l’enfant se trouve un
«holding »6défectueux, qui empêche le bébé d’éprouver le
sentiment de continuité de l’existence [12]. L’auteur repère
la faillite de la continuité du sentiment d’exister dans l’« acte
2Cette formulation m’a été inspirée par Danièle Brun, qui en a fait le titre
d’un des ses ouvrages [1].
3«Classification fran¸caise des troubles mentaux de l’enfant et de
l’adolescent » éditée par Mises R., et al.
4«Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux » édité par
l’Association américaine de psychiatrie.
5«Classification internationale des troubles mentaux et des troubles du
comportement » éditée par l’Organisation mondiale de la santé.
6Le terme anglais « holding » signifie « maintien ». Par là, Winnicott
désigne la fac¸on dont est porté l’enfant physiquement et psychiquement. Il
est avant tout assuré par les soins maternels, qui vont soutenir le moi encore
immature de l’enfant. Le holding offre à l’enfant une sécurité affective et
une chaleur protectrice tant physiologique que psychique.
antisocial » dont il avance qu’il est la conséquence d’un
« complexe de déprivation » en lien avec des défaillances
de l’environnement affectif infantile précoce. En élargissant
ces considérations à l’ensemble des « enfants perturba-
teurs », j’ai formulé ma première hypothèse de travail que
je livre in extenso.
« Les enfants perturbateurs souffrent de réminiscences :
celles qu’occasionnent un complexe de déprivation vécu
au cours de leur développement affectif précoce et qui a,
en ces temps, occasionné des interruptions de la conti-
nuité de leur sentiment d’exister. La peur de mourir qu’ils
expriment tôt ou tard, lorsque les conditions sont favorables,
est la traduction des empreintes laissées par le complexe en
question ».
Pour mettre à l’épreuve cette hypothèse, j’ai construit
deux cas cliniques dans l’après-coup des rencontres avec
deux de mes patients respectivement âgés de 12 et 13 ans
lorsque je les ai rencontrés pour la première fois ; je les
appellerai Paul et Guillaume.
La turbulence de Paul et de Guillaume me perturba sou-
vent et m’éprouva parfois. Malgré cela, je parvins à garder
une attitude bienveillante et contenante qui, selon moi, per-
mit à mes deux patients d’exprimer une peur de mourir
sur laquelle leur agitation avait tenté d’attirer l’attention
des personnes potentiellement secourables (les parents, les
enseignants, etc.). Paul devait faire « copain-copain » avec
ses professeurs faute de quoi il trouvait l’ambiance des
cours si lourde et si oppressante qu’il la rapprochait de
l’atmosphère des chansons d’une artiste franc¸aise (Mylène
Farmer), qui interprète des morceaux dans lesquels – disait-
il:«ondirait qu’on va tous mourir ». Quant à Guillaume, il
redoutait l’ennui en classe, craignant d’éprouver à nouveau
ce malaise qu’il avait ressenti à plusieurs reprises – sa tête
se mettant à tourner dans tous les sens – au cours duquel il
avait eu si peur, qu’il avait cru qu’il allait mourir. Pour se
sentir en vie, il s’agitait en cours, quitte à se faire renvoyer
de collège en collège.
Dans la littérature psychanalytique, les conceptions de
ce qui se passe au cours des tous premiers mois de la
vie ne peuvent être inférées qu’à partir de l’investigation
de l’inconscient des enfants plus vieux puis des adultes.
M’inspirant de cette approche et sur la base des données cli-
niques que j’ai recueillies auprès de Paul et de Guillaume,
je soutiens ici la dimension « psychogène » de l’instabilité
des enfants perturbateurs. Selon moi, bon nombre des
ces enfants – confortés par un cadre thérapeutique leur
garantissant la survivance du thérapeute – convoquent
des liens transférentiels réactualisant la relation précoce
environnement-enfant. En cela, ils cherchent à se faire
dédommager d’un « complexe de déprivation » (au sens
où Winnicott le définit [11]) ayant précocement occasionné
des ruptures de leur sentiment d’existence durant leur déve-
loppement affectif primitif. Ces ruptures subsistent sous
forme d’ « empreintes » psychiques et ce sont elles qu’ils
traduisent en termes de peur de mourir. Ainsi, la turbulence
L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 88, N◦2 - FÉVRIER 2012 127
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