Analyse de Charlotte Costantino EPP 2001

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FONCTION DES GROUPES THÉRAPEUTIQUES ET INSTITUTIONNELS
EN PÉDOPSYCHIATRIE
Charlotte Costantino
Promotion 2001
Psychologue, Psychanalyste (IPP/SPP)
Clinique Psychiatrique Villa des Pages (78) Groupe Clinéa
Nous sommes deux Psychologues à exercer au pavillon des adolescents, à la Clinique Villa des Pages.
Lorsque nous avons construit le projet de soin et le cadre de nos interventions, nous avons souhaité
différencier très précisément les rôles de chacune, partant du postulat que cela participait, en soit, au
repérage des patients quant à la fonction de chacun des acteurs du soin et dans l'institution plus
généralement. Il s'agit de jouer chacune sa partition, un concerto à deux voix, où l'une reçoit les patients
dans le cadre des suivis individuels et l'autre en groupe, l'harmonie ne pouvant naître que de nos
échanges et de notre réflexion plus globale sur les multiples expressions cliniques des patients avec les
différents interlocuteurs qu'ils rencontrent.
Fonction du groupe institutionnel soignant-soigné
Un groupe soignants-soignés a lieu chaque semaine et réunit l'ensemble des soignants présents et
l'ensemble des 16 patients hospitalisés, l'objectif proposé étant d'échanger ensemble sur la vie de
l'institution. Ce groupe puise ses sources théoriques dans la thérapie institutionnelle où "l’institut
psychiatrique n’est pas le lieu où l’on est soigné mais celui par lequel on est soigné" (Jean Oury, 2001),
où le patient est un sujet au centre de sa guérison et où l'on considère que les transferts des patients
sont "multifocaux", "diffus", déposés de manière fragmentaire ici et là, et unifiés par le travail de mise en
commun et d'élaboration de l'équipe. Outre sa fonction de régulation institutionnelle évidente, il s'agit
aussi d'un espace où peut se dire et s'élaborer quelque chose de la dynamique groupale, où les
tensions internes au groupe des patients, les mouvements inconscients des soignés, mais aussi des
soignants, peuvent apparaître.
Avec l'ensemble de l'équipe, nous écoutons donc les problèmes concrets, les "contrariétés du
quotidien": les lavabos bouchés, "bouchés" comme les patients peuvent nous trouver parfois, sourds à
leur mal-être adolescent; les parapluies que l'institution ne leur fournit pas, tout comme ils peuvent nous
trouver défaillants à les protéger comme autrefois leurs parents. Ou bien, ce sont les plaintes à l'endroit
des soignants du soir et de la nuit, qui ne font décidément pas comme ceux du jour, qui les laissent
seuls dans leur chambre ou "passent des heures sur leurs téléphones portables"... des soignants/babysitter à qui les soignants/parents les ont laissés? Une séance peut aussi s'inaugurer par la narration du
film "Gran Torino", où les patients s'étonnent ensemble de ce héros qui ne supporte pas "que l'on
marche sur ses plates-bandes". Puis vient une demande, celle de mettre leur linge sale dans un sac
commun. Enfin, ils nous font part de leur incompréhension face aux limites imposées par les soignants
qui refusent de répondre à des questions personnelles. Les soignants seraient-ils comme ce héros de
Gran Torino, refusant que l'on marche sur leurs plates-bandes, refusant de laver le linge sale en
famille... de tout partager avec eux, situation pouvant réactiver chez eux toute la palette des angoisses
d'abandon, de sentiments d'être délaissés qu'ils ont sans doute ressentis enfants.
C'est au travers de tout ce matériel que nous tentons donc de repérer les constructions imaginaires
sous-jacentes, de souligner les mouvements affectifs collectifs qui affleurent, en évitant les
interprétations individuelles et personnelles, considérant que chaque personne qui s'exprime en son
nom propre, parle en réalité au nom du groupe. Également, il s'agit pour nous de ne pas répondre trop
vite et de manière défensive lorsque les plaintes et les récriminations abondent afin de laisser d'une
part au transfert institutionnel le temps de s'entendre et de se percevoir par chacun et d'autre part, à
l'élaboration psychique, le temps de croître.
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Fonction des groupes…
Fonction des groupes thérapeutiques:
la médiation, une passerelle entre deux rives...
Nous utilisons deux médias pour soutenir le travail des groupes thérapeutiques: la photo (outil
Sensimage© créé par les psychologues exerçant dans les établissements psychiatriques du Groupe
Clinéa) et le Jeu de Soi, jeu thérapeutique sur le modèle du Jeu de l'Oie. Au fond, le support choisi
importe moins que le soutien psychique qu'il apporte de manière individuelle, et que l'abord des
mouvements du groupe qu'il permet. Groupes et médiations sont effectivement des indications
pertinentes et complémentaires aux autres offres de soin en psychiatrie. C'est ainsi que peuvent se
repérer, en fonction de la composition des groupes (types de fonctionnement psychique, groupes
hétérogènes ou non...), en fonction des photos et des thèmes choisis par les patients, les mouvements
affectifs, et les procédés défensifs qui traversent le groupe: de cette manière, les séances peuvent
prendre une tonalité maniaque, l'objectif inconscient étant de ne laisser passer aucun affect de
tristesse, ou au contraire permettre des expressions affectives plus authentiques. Lorsque les patients
fonctionnent surtout sur un mode névrotique les séances deviennent franchement... adolescentes ! Il y
sera question de défier le psychologue, de se donner le mot pour dire des "choses sexuelles", ou
"placer" telle ou telle expression, de mimer les gestes de la psychologue, ou bien encore réinterroger
toutes les règles du groupe. Si l'évitement défensif s'y entend, l'opposition/individuation adolescente
prédomine et peut s'élaborer.
Au-delà de ces considérations cliniques, quelle fonction psychique occupe le dispositif groupal?
Lorsque le colloque duel reste infructueux à un véritable « hébergement psychique » (PC Racamier,
2001), ou à l’avènement d’un processus, il s’avère nécessaire de construire, penser un espace
thérapeutique dans l’esprit de la « transitionnalité » telle qu’elle a pu être élaborée par Winnicott, à
savoir un espace à-même de recevoir les strates les plus archaïques et les plus orageuses des
organisations psychiques de patients en état de crise, de leur ouvrir ou ré-ouvrir la voie vers une
suffisante assise existentielle. Ainsi, un espace thérapeutique conçu sous l’éclairage de la
transitionnalité peut-il permettre de potentialiser une « rencontre thérapeutique », voire une alliance.
L’espace transitionnel est compris comme une zone intermédiaire de chevauchement entre ce que le
patient conçoit et ce que le thérapeute apporte permettant de “ maintenir à la fois séparés et reliés l’un
à l’autre, réalité intérieure et réalité extérieure ” (Winnicott, 1971). Comme avec le "squiggle game" de
Winnicott, où il s’agit de donner quelque chose à l’autre pour qu’il le transforme et se l’approprie, la
médiation permet l’apparition d’un espace de créativité psychique, d'une co-construction par coassociativité. D’un matériel, les patients et le psychologue font une création pour s’appuyer sur elle
mais aussi afin d’accéder à la capacité de jouer ensemble.
Pour quels patients plus particulièrement, nous faut-il faire le choix de la médiation ? Au niveau de la
dynamique intersubjective, il s’agit le plus souvent de patients instaurant à grand-peine un lien à
l’autre, pour qui la bonne distance est difficilement ajustable : l’intimité duelle est soit envahissante, soit
insaisissable, le patient l'éprouvant comme une intrusion, ou comme un abandon. La relation
thérapeutique demeure donc soit fusionnelle, soit inexistante et la rencontre de deux sujets différenciés
et coexistants ne peut avoir lieu. De ce point de vue, la médiation constitue un support sur lequel peut
s’étayer ce chaînon manquant de la dynamique intersubjective et relationnelle. Ce travail thérapeutique
médiatisé permet ainsi d’établir un espace transitionnel entre soi et l’autre, l'émergence d'une altérité
œuvrant à l'instauration d'un lien, d'une rencontre et d'un échange entre un patient et un psychologue.
En somme, la médiation serait comme une passerelle entre deux rives, jetant les bases d’une
communication entre le patient et l’autre-soignant.
Quant à la dynamique intrapsychique de ces patients, elle est marquée par une faiblesse du
“ marchepied ” que constitue le préconscient. Cet étage intermédiaire, maillon essentiel du lien entre les
éléments inconscients et ceux de la sphère consciente, est ici quasiment inexistant. Ainsi donc, ce qui,
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dans une vie psychique apaisée et structurée, permet de préparer la parole, de relier l’activité de
pensée et les sources pulsionnelles, fait ici cruellement défaut. On repère ainsi au niveau clinique une
difficulté à verbaliser, une faible capacité imaginative, un fonctionnement opératoire de la pensée, et
une faiblesse des processus de liaison, ceci obérant la dynamique et les mouvements psychiques.
La médiation thérapeutique est donc un aménagement du cadre classique de la prise en charge, l’outil
pouvant varier selon le praticien psychologue et le type de pathologie. Elle devient un outil
thérapeutique souhaitable pour certains patients lorsque la relation thérapeutique classiquement duelle
les met à l’évidence en difficulté, voire même en échec au regard de leurs processus intrapsychiques.
Ces prises en charges ont toutes en commun le souci d’offrir au patient un espace repéré et différencié
par des seuils et par des règles, soutenant les productions du patient, garantissant une temporalité, et
nourri d’un matériel dont celui-ci peut se saisir. Des règles, des repères, un temps structuré, un étayage
soutenant… Nous nous situons en somme dans l’esprit d’un soin éclairé et pensé bien plus sous l’angle
de la préhistoire maternelle que de la conflictualisation œdipienne…Là où le tiers est sans cesse à
recréer.
Bibliographie:
Jean Oury, (2001), Psychiatrie et psychothérapie institutionnelle, Ed. du Champ social
P.C Racamier, (2001), L'esprit des soins. Le cadre, Ed. du Collège
Winnicott D. W.(1971), Jeu et réalité L’espace potentiel, Ed. Gallimard
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