LA CONSCIENCE, L’INCONSCIENT, LE SUJET Introduction : Il existe de nombreuses expressions courantes avec le mot « conscience », mais rares sont celles où le mot est substantif. Elles peuvent avoir différents sens : - un sens physiologique (être conscient) - un sens psychologique (avoir conscience de, prendre conscience, perdre conscience) - un sens moral (avoir la conscience tranquille, avoir bonne conscience, en son âme et conscience). I. La conscience et le monde « Perdre conscience » / « être conscient » Que désigne ici la conscience ? C’est l’état biologique du sujet, l’état physiologique. « Perdre conscience » = évanouissement, coma (≠ sommeil). « Etre conscient » = état du vivant éveillé, capacité à recevoir des impressions. Au sens physiologique, être conscient, c’est percevoir, être apte à la perception. Cet état est encore insuffisant pour caractériser pleinement le phénomène de la conscience, car on peut recevoir très diversement les impressions de l’extérieur. S’agissant des impressions sonores, il est évident que l’on peut les recevoir en écoutant ou en entendant. Entendre ≠ écouter Voir ≠ regarder La conscience regroupe l’attention et la volonté. Traverser sans regarder, c’est être inconscient (voir sans voir = absent, distrait). La conscience au sens psychologique consiste simplement à s’apercevoir de, quand « être conscient », c’est seulement percevoir. En puissance / en acte « Etre conscient » / « avoir conscience de » Capable de perception / s’apercevoir de La conscience est APERCEPTION. Conscience, de CUM-SCIENTIA (avec-savoir). « Etre conscient » (état physique) / « être conscient de », « avoir conscience de » (état physique + moral = volonté). La conscience au sens psychologique n’est pas intransitive. De la perception à l’aperception, il y a toute la distance qui sépare la présence immédiate aux choses qui est la nôtre quand on perçoit, de la représentation des choses dans la conscience. De la perception à l’aperception, c’est notre rapport au monde qui se trouve radicalement modifié. Dans la perception, les choses sont présentées à nos sens (passivité). Dans l’aperception, nous nous rendons présents aux choses (attention). Avec la conscience, dans l’aperception, il n’y a plus de place pour le rapport immédiat, automatique, mécanique, instinctif aux choses, caractéristique de la perception. La conscience est rupture avec cette immédiateté. Au rapport immédiat aux choses dans la perception, elle substitue ce rapport médiatisé (intermédiaire) qu’est la représentation. La conscience donc redouble notre rapport au monde. Elle ajoute à la relation sensible aux choses ce rapport mental aux mêmes choses qui leur fait acquérir le statut d’objets de représentation. La conscience est ce qui empêche d’être une chose parmi les choses. Elle est instauration d’une distance, d’un recul, d’une réflexion, d’un jugement critique. HUSSERL (philosophe et mathématicien allemand du XIXe et XXe siècle) disait : « Toute conscience est conscience de quelque chose » → structure fondamentale de la conscience = INTENTIONALITE. La conscience est intentionnelle. Husserl est le fondateur de la phénoménologie. Phénomène = ce qui apparaît. La phénoménologie n’étudie donc pas 1 les choses elles-mêmes mais la façon dont elles apparaissent à la conscience. Conscience ≠ veille passive, elle est « visée » d’objets, pure activité. Conscience = donation de sens, de valeur NOESE (de NOESIS : pensée, NOUS : esprit) = processus de visée intentionnelle, porte son référent intentionnel. La chose devient un NOEME ou objet noématique. Objet noématique ≠ chose ≠ double dans l’esprit de la chose même La conscience constitue ses objets, les élabore. Le monde se dédouble en soi et pour soi. INTENDERE = être dirigé vers ; OB-JET = jeté en avant II. La conscience de soi et les problèmes de l’identité du sujet Conscience immédiate = aperception (face à face le sujet de la pensée et « le monde ») Conscience réfléchie = conscience de soi (le sujet se prend lui-même pour objet) Etude du Discours de la Méthode de Descartes (1637), 4ème partie (cf. p.193) Descartes : mathématicien, physicien et philosophe français du XVIIe siècle. Il refonde la pensée, recentre la philosophie. Avant lui, on était tourné vers l’extériorité (le mot conscience était absent de la langue grecque et étranger à leur pensée). Il écrit le Discours de la Méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences. Il écrit aussi des essais scientifiques (Les Météores, La Dioptrique, La Géométrie). Contexte historique = refondation scientifique, révolution (changement de paradigme). Etude du texte : Prudence de Descartes → mœurs : incertaines, la vérité n’est pas de mise ici. Il convient de les suivre, de s’y conformer, faire comme si c’était vrai. Il faut ici faire le contraire : faire comme si c’était faux. Méthode = feindre. But = trouver ce qui est indubitable. Seul ce dont on ne peut douter peut être tenu pour vrai, certain. Ainsi, Descartes soumet le doute à plusieurs choses : - doute appliqué aux sens → ils nous trompent parfois. Descartes étend le doute en systématisant le soupçon, il radicalise, discrédite ; - doute appliqué aux raisonnements (qui peuvent être erronés) → paralogismes (faux mais de bonne foi) et sophismes (faux et de mauvaise foi) ; - Descartes étend le doute à l’ensemble des pensées, doute radical (hyperbolique). Descartes est sauvé in extremis d’une condamnation définitive à la fausseté, au doute, par la découverte enfin d’une première vérité : « Je pense donc je suis ». Il doute de tout tour à tour jusqu’à ce que quelque chose résiste au doute : il faut que quelque chose soit pour qu’il y ait du doute. Doute = modalité de la pensée. La conscience est donc première vérité. J’ai conscience de penser, je suis assuré d’exister. « Premier principe de la philosophie » = conscience d’exister, conscience de soi comme pensant, évidence immédiate. Je ne peux pas penser sans savoir du même coup que je pense. La pensée est conscience. Toute pensée est consciente d’elle-même. Parce que la pensée signifie conscience, parce qu’en pensant je ne peux pas douter que je pense, je dispose par là d’une certitude première : je pense donc je suis (« Cogito ergo sum »). Je pense, je sais que je pense, et du même coup puis être assuré de mon existence (étant entendu qu’il faut être pour penser). La conscience qu’on a de soi-même, de sa propre existence, par l’expérience de la pensée, cette conscience est première. La conscience est le « premier principe » de la philosophie, elle est fondement de toute vérité. La certitude acquise par la conscience de sa pensée (cf. 2 CONSCIENCE =CUM-SCIENTIA) est seulement celle de l’existence. En pensant, inévitablement, je sais que je suis, mais sans savoir encore ce que je suis. La conscience est au fondement de l’assurance d’être « quelque chose » → indétermination de l’être. Dans le deuxième paragraphe, Descartes fait un effort de détermination de la nature de cet être qui sait qu’il est. Examen de « ce que j’étais ». Dans l’effort pour déterminer ce qu’il est, Descartes reconduit la méthode précédemment utilisée : il a à nouveau recourt au doute, c’est-à-dire à l’art de la feinte. Pourquoi vouloir feindre précisément n’avoir aucun corps ? Table rase, rien ne peut être présupposé. Premier objet du doute : sens. Idem ici le corps est le siège de ces sens. Feindre l’étendue = aucun lieu. Je peux librement penser qu’il n’y a rien de tout cela sans entamer la certitude acquise de mon existence. Ce qui signifie que ce que je suis ne doit rien à tout ce qui est corporel ou matériel. Ce que je suis = une substance dont toute l’essence ou la nature n’est que de penser → une « substance pensante » = RES COGITANS (ou ÂME). Différence entre « Qui suis-je ? » → identité personnelle, singulière et « Que suis-je ? » → nature Que suis-je ? → substance pensante (RES COGITANS) ≠ substance étendue (RES EXTENSA : longueur-largeur-profondeur). On parle du dualisme de la substance. Ce moi = âme → confusion puisque moi représenterait plutôt l’identité personnelle et âme répondrait à la question « Que suis-je ? ». Conscience de soi : conscience générique de soi. La conscience de soi peut donc varier de l’identité à la nature. Exemple : si l’on a une réflexion à propos des Droits de l’Homme, on réfléchit en se plaçant en tant qu’Homme et non en tant qu’individu → conscience générique de soi. Descartes trouve sa vérité première dans le cogito (conscience = premier principe), de plus, il dispose désormais d’un critère pour l’indentification de toutes les vérités à venir : CLARTE et DISTINCTION → EVIDENCE. C’est l’évidence avec laquelle s’impose à nous la certitude de penser quand on pense qui suffit à écarter tout doute et à faire de cette conscience une vérité. PENSEE = CONSCIENCE Je ne peux pas penser sans SAVOIR que je pense, avoir conscience que je pense. Des Principes de la Philosophie (livre I paragraphe 9) de Descartes : « Par le mot de penser, j’entends tout ce qui se fait en nous de telle sorte que nous l’apercevions immédiatement par nous même. » PENSEE = aperception immédiate Problème : N’y a-t-il jamais aucune suspension de la conscience ? Descartes rejette dans le corps tout ce qui ne procède pas de la conscience. Contestation de Leibniz (philosophe allemand du XVIIe) « Je n’ai pas seulement conscience de mon moi pensant mais aussi de mes pensées et il n’est pas plus vrai ni plus certain que je pense qu’il n’est vrai et certain que je pense telle ou telle chose. » Descartes a trop présumé de sa découverte, il prête trop au cogito. Leibniz conteste le fait que le cogito soit la vérité première. Il est une vérité première, il y en a d’autres : il est tout aussi certain que nous pensons ceci ou cela qu’il est certain que nous pensons. Leibniz propose en plus VARIA A ME COGITANTUR (« Des choses diverses sont pensées par moi ») : le passif souligne le fait que l’on n’est pas maître de nos pensées, toutes ne sont pas choisies, toutes ne sont pas aperçues. Leibniz rompt l’équation pensée=conscience. Etude de la préface de l’œuvre de Leibniz Nouveaux Essais sur l’entendement humain (cf. p.240-241) Si la conscience signifie aperception, s’apercevoir c’est percevoir qu’on perçoit, et donc au principe de la conscience il y a des perceptions. Toutes ces perceptions, pour autant, ne sont pas aperçues. Elles sont en trop grand nombre et surtout trop 3 « insensibles ». Exemple du bruit de la mer : on a conscience d’entendre un bruit et plus précisément celui que fait la mer. Pour pouvoir apercevoir ce bruit, il faut que nous percevions des sons : les bruits que font les vagues. Si j’avais conscience de chacune de mes pensées, aussi bien, je devrais avoir conscience que j’ai conscience et ainsi de suite à l’infini. Plus aucune nouvelle pensée possible. La pensée ne peut pas signifier conscience. Il y a plus dans la pensée que dans la seule conscience. Leibniz prolonge et rectifie la position de Descartes. RES COGITANS → COGITO ERGO SUM + VARIA A ME COGITANTUR (cf. « petites perceptions » → pensées, perceptions, sans aperception) Il y a donc des pensées inconscientes. Leibniz renonce seulement à l’équation cartésienne pensée=conscience. Il préfigure les théories de l’inconscient à venir. III. L’inconscient L’inconscient a été un thème métaphysique bien avant de devenir une « hypothèse scientifique ». RES COGITANS → âme RES EXTENSA → corps Le mot « inconscient » n’apparait qu’au milieu du XIXe siècle (avec la Philosophie de l’Inconscient d’Hartmann). L’idée cependant était sous-jacente (cf. le « daimon » ou démon intérieur de Socrate). C’est à FREUD (médecin-psychiatre) qu’il revient d’avoir imposé cette notion grâce à l’effort pour la transporter au plan scientifique. Freud soutenait la prétention à faire œuvre scientifique pour deux raisons principales : - la théorie repose sur des observations de cas cliniques - les hypothèses théoriques élaborées trouvaient une vérification dans le fait que la psychanalyse avait une vocation thérapeutique. PSYCHANALYSE : révolution dans la psychologie, en théorie elle bouleverse tous les schémas en déniant à la conscience la suprématie dans le psychisme, révolution dans la pratique puisque l’analyste est un thérapeute. « Tant chez les êtres normaux que chez les malades on observe souvent des actes psychiques qui pour être compris présupposent d’autres actes dont le conscient cependant ne sait rien témoigner. » (Freud, Métapsychologie) L’hypothèse de l’inconscient est imposée par l’observation afin de rendre compte de certains phénomènes autrement inexplicables. Exemple célèbre : le cas d’Anna O. Elle souffrait de troubles de la vision mais sans lésions organiques. Sous hypnose, elle relate d’un évènement douloureux de son enfance → elle se retenait de pleurer à chaque fois. Ensuite, Freud lui fait part de cette découverte et les troubles cessent alors. MÉTHODE CATHARTIQUE de CATHARSIS (= purification) : Faire passer, à la faveur d'une suspension de la vigilance de la conscience, des contenus refoulés à la conscience du sujet. ≠ MÉTHODE ANALYTIQUE ou méthode des "associations libres" : - confidences ("confessions") - lapsus et actes manqués (manifestations directes de l'inconscience) - rêves nocturnes (cf. L'interprétation des rêves : "voie royale de l'exploration de l'inconscience") → permettent la satisfaction symbolique des désirs ("restes diurnes"). RÉSISTANCES = persistance des contenus refoulés Il faut distinguer le "CONTENU MANIFESTE" du "CONTENU LATENT" (caché). "Censure" suspendue. Description(s) inédite(s) du psychisme (son apport à la psychologie). Âme : unité 4 d'un principe → appareil, dispositif complexe. Analyse de l'âme en termes de structures mentales. Tour à tour Freud va proposer deux schémas explicatifs (deux "topiques" → du grec TOPOS = lieu) du psychisme. 1ère topique: Distingue entre PRÉCONSCIENT CONSCIENT INCONSCIENT Contenus psychiques "localisés" ici ou là. Trois "lieux" psychiques distincts. Chacun à une fonction propre dans l'économie du psychisme. Ce que Freud met en évidence c'est le caractère essentiellement conflictuel de l'âme. Théâtre d'une lutte permanente, d'une rivalité entre ces instances respectives. Contrairement à ses prédécesseurs Freud ne conçoit plus l'inconscient comme résultant d'un affaiblissement de la conscience (cf. perceptions insensibles) mais plutôt résultant de ses INHIBITIONS. L'inconscient provient des blocages de la conscience. Ce que la conscience ne peut pas admettre, elle le relègue dans l'inconscience. Cette essence conflictuelle du psychisme va aller s'accusant à mesure que Freud va approfondir sa doctrine. Accentuation du conflit dans la 2 ème topique. 2ème topique : (1921) Elle conserve la dimension tripartite de la 1 ère topique mais elle en infléchit considérablement le sens dans une perspective moins "spatiale". En lieu et place de PRÉCONSCIENCE on trouve désormais CA CONSCIENCE MOI INCONSCIENCE SUR MOI Trois instances rivales : CA ≈ approximation de l'innommable à double titre → difficile de le circonscrire et de le désigner précisément → inavouable Le CA, c'est l'ensemble des pulsions (à caractère sexuel) qui en nous obéissent au "principe du plaisir" = énergie pulsionnelle qui tend exclusivement à la jouissance. Le CA relève donc de l'inconscience. "Ca veut jouir" Pour obtenir satisfaction, il faut que cette énergie s'exprime à la conscience. CA fait pression sur le MOI (irréductible à la conscience) qui est en nous l'instance régie par le "principe de réalité". Problème : le MOI subit simultanément les injonctions, sommations, du SUR MOI (SUR MOI = organe de la censure, ensemble des interdits moraux et sociaux). L'âme est donc moins une architecture qu'un ensemble mouvant de tendances contradictoires. 1. Plus on avance et plus le conflit est omniprésent (et plus fragile donc l'état de "santé"). 2. De la 1ère à la 2ème topique, l'inconscience a gagné en influence. Le conflit est essentiel, naturel, ce n'est donc pas lui qui définit l'état pathologique. Le trouble n'apparaît qu'en cas de dérèglement de l'équilibre précaire qui définit la normalité. Ca = contenus pulsionnels que le moi refoule (de manière inconsciente) qui tendent toujours à reparaître sous une forme souvent travestie (COMPLEXE). Il y a une sexualité infantile : phase œdipienne, phase surmontée en environ 6 ans → attirance (désir d'union) pour le parent de sexe opposé, et répulsion (désir de disparition) pour le parent de même sexe. La psychanalyse a ses forces et faiblesses, elle étend considérablement le champ des significations. Dans l'ordre des conduites humaines, il n'y a plus rien qui ne fasse pas sens. Tout reçoit une explication par l'inconscient. Force = explication rationnelle même des conduites irrationnelles. 5 Faiblesse = - "délire explicatif, interprétatif" sans possibilité d'infirmation ni de confirmation - ensemble doctrinal normatif ex : surévaluation de tous les comportements relatifs à un possible règlement de compte avec le père. ARISTOTE = Il n'y a de science que du général. Si la philosophie devait être une science elle le serait de l'individu, du singulier. KARL POPPER = La philosophie n'est pas une science. Seules les théories "falsifiables" sont scientifiques. Critère de la scientificité ≠ vérifiabilité = FALSIFIABILITÉ → ce qui permet de mettre en défaut l'explication proposée par la théorie. FREUD = La preuve de la pertinence de la philosophie c'est qu'on la refuse. Etude d'Une difficulté de la psychanalyse de Freud (cf. p.443-444) Il existe trois vexations, humiliations, blessures narcissiques : - cosmologique (COPERNIC) - biologique (DARWIN) - psychologique (FREUD). Repli sur l'intériorité pour compenser les désagréments. Enracinement de la conviction que cette sphère est l'ultime bastion. Généalogie d'une illusion (erreur à laquelle on veut croire). Comment on en est venu à se bercer de l'idée qu'on est "souverain" en notre âme → on a cru que le psychique coïncidait avec le conscient (transparence totale du sujet à lui-même). Au nom de ce préjugé, on a ignoré : - le sens et la portée de la sexualité - on ignore l'essentiel de nos pensées. On a ignoré que "le moi n'est pas maître dans sa propre maison". "Connais-toi toi-même" → précepte socratique, connaissance salutaire, condition indispensable à la santé de l'âme. 6