L`apport de la gouvernance à l`explication des crises bancaires

1
L’apport de la gouvernance à l’explication des crises
bancaires : Une analyse en données de panel
Ezzeddine ABAOUB1, Houssem RACHDI 2 & Moez ELGAIED 3
Conférencier : Moez ELGAIED : tel 22612120
Thème : les crises financières
Février 2008
Résumé
La plupart des pays émergents ont entamé des processus de libéralisation financière dans leur programme
d’ajustement structurel, dicté par le fonds monétaire international et la banque mondiale. Toutefois, la multiplication
des crises financières et bancaires a remis en cause les objectifs de cette libéralisation financière (Giannetti 2007,
Ranciere & al 2006, Daniel & Jones 2006, Cunado & al 2006, Aka 2006, Barell & al 2006). En effet, des contributions
théoriques et empiriques de certains économistes ont montré qu’une libéralisation financière exercée dans un
environnement institutionnel peu développé a accentué la prolifération des crises bancaires, ce qui laisse présager que
la défaillance au niveau de la gouvernance bancaire joue un rôle significatif dans l’éclatement des crises (Menkhoff &
Suwanaporn 2007, Currie 2006). Notre étude empirique a été réalisée sur un échantillon de dix pays émergents et
pour une période allant de 1980 à 2003. Nos résultats montrent une relation positive entre la libéralisation financière
et la probabilité de l’émergence des crises bancaires et un lien négatif et significatif entre la gouvernance bancaire
(réglementation prudentielle) et la probabilité de naissance des crises bancaires. Ce qui laisse à penser que le
renforcement de la gouvernance bancaire durant les épisodes de la libéralisation financière constitue une condition
sine qua non pour avoir un système bancaire efficient.
Mots clés : Libéralisation financière, crises bancaires, gouvernance bancaire et logit sur données de panel
JEL Classification : G 21 ; G 28 ; F 36 ; E 44
Abstract
Most of the emerging countries have started a process of financial liberalization as part of their structural
adjustment programmes, imposed by the International Monetary Fund and the World Bank. Nevertheless, the
growing number of financial and bank crises has put into doubt the objectives of this liberalization policy (Giannetti
2007, Rancier & al 2006, Daniel & Jones 2006, Cunado & al 2006, Aka 2006, Barell & al 2006). Indeed, theoretical
and empirical contributions of some economists have shown that a financial liberalization policy undertaken in a less
developed institutional environment accentuates the proliferation of bank crises, which leads to the conclusion that
failure at the level of bank governance plays a significant role in the emergence of crises (Menkhoff & Suwanaporn
2007, Currie 2006). Our empirical study took a number of ten (10) emerging countries as a sample to study the
relation between governance and bank crises during the period 1980 - 2003. Our results have shown a positive
association (correlation) between financial liberalization and the probability of the emergence of bank crises, however
we found a negative and significant association (correlation) between governance (prudential supervision) and the
probability of emergence of bank crises, which leads us to think that reinforcing bank governance during the
financial liberalization phases constitutes a condition on having an efficient bank system.
Key Words: financial liberalization, bank crises, bank governance and panel data analysis
JEL Classification : G 21 ; G 28 ; F 36 ; E 44
1 Professeur à la faculté des sciences économiques et de gestion de Tunis (ezzeddine.abaoub@planet.tn)
2 Enseignant à l’école supérieure de commerce électronique de la Manouba (houssem.rachdi @escem.rnu.tn) tel 98650660
Adresse : 6 rue ibn said andaloussi app5 et 3 cité mahrajene mutuelle ville
3 Enseignant à la faculté des sciences économiques et de gestion de Tunis ([email protected])
2
I. Introduction
La nouvelle théorie de l’intermédiation financière a permis d’expliquer les raisons d’être
d’une banque par référence aux trois critères suivants : économiseur de coûts de transactions,
délégateur de surveillance et producteur et assureur de liquidité. Pour Anderson & Campbell
(2004), la banque constitue un domaine particulièrement privilégié, compte tenu de son rôle
central dans le fonctionnement des économies (octroi des crédits, mobilisation de l’épargne,
financement des investissements…). Elle est un transformateur de dépôts (Inputs) en crédits
(Outputs) sur la base d’une modification d’échéance. Son activité traditionnelle consiste à
collecter les dépôts quelque soit leur forme et leur maturité et accorder des crédits sous
différentes formes à sa clientèle. Par ailleurs, afin d’affiner et renforcer son rôle benefique dans
l’économie (Angkinand 2007), le système bancaire s’émet d’accord de procéder à une
libéralisation financière. Cette libéralisation financière, qui se manifeste par un libre
épanouissement de la sphère financière qui permet le développement de la sphère réelle par une
allocation optimale du capital, a pour objectif d’améliorer le degré d’efficience et la rentabilité du
système bancaire. Toutefois, la réalité est loin d’être là. En effet, La multiplication des crises
bancaires et la montée de l’instabilité financière ont remis en cause les objectifs de la libéralisation
financière. Une libéralisation financière qui est, sans doute l’un des faits marquants de l’économie
mondiale, a fortement contribué à des disfonctionnements bancaires très importants (Giannetti
2007, Ranciere & al 2006, Daniel & Jones 2006, Cunado & al 2006, Aka 2006, Barell & al 2006).
Ceci met en évidence l’existence d’un clivage théorique et empirique entre deux courants
idéologiques, le courant de la libéralisation financière qui défend son bien fondé en matière de
croissance économique et le courant des crises bancaires qui stipule que la libéralisation financière
a accentué l’exposition des banques face aux risques et a bouleversé les structures fortement
supervisées par l’Etat. Ainsi la banque est devenue le maillon faible des systèmes financiers (Barth
& al 2004).
Delà naît un intérêt certain pour l’instauration des mécanismes de gouvernance bancaire
pour remédier à ce problème de crise bancaire. Cette gouvernance bancaire, vue sous l’angle de la
réglementation prudentielle, a fait l’objet de nombreux travaux de recherche. Menkhoff &
Suwanaporn (2007), Currie (2006), montrent qu’une libéralisation financière exercée dans un
environnement institutionnel peu développé accentue la prolifération des crises bancaires, ce qui
laisse à penser que la défaillance au niveau de la gouvernance bancaire peut être une source qui
peut aggraver les crises bancaires. Cette idée a été testée par d’autres études qui sont allées plus
loin et montrent que la gouvernance bancaire peut avoir un rôle significatif dans le
déclenchement des crises bancaires. Dans cet ordre des idées, Mehram (2004) montre qu’une
bonne gouvernance bancaire induit une santé et une croissance durable de l’économie. De même,
Caprio & al (2004) arrive à la conclusion qu’une bonne gouvernance est le garant d’une allocation
efficiente de l’épargne. D’autres chercheurs concluent, par contre, que la gouvernance bancaire ne
contribue pas à éviter, voire éloigner les cirses bancaires. En effet, Icard (2002) et Cartapanis
(2003) montrent que la gouvernance bancaire ne permet pas d’améliorer la sécurité du système
financier. Cartapanis (2003) constate, de sa part, que la gouvernance bancaire ne peut pas
contenir le risque systémique ; qui est le risque le plus grave pour les banques. Ces auteurs
expliquent ce résultat par le fait que les crises se propagent à une vitesse spectaculaire d’une
économie à une autre via les échanges financiers et commerciaux entre pays.
3
Enfin, il est fort utile de souligner que les résultats des différents travaux abordant la
question de l’effet de la gouvernance bancaire sur la sécurité du système bancaire sont, le plus
souvent, mitigés. Il en résulte l’absence d’un consensus. Ainsi, notre objectif dans ce travail de
recherche est de statuer sur la contribution de la gouvernance bancaire à réduire les crises
bancaires. Pour ce faire, la deuxième section du présent article traitera des considérations
théoriques de la libéralisation financière, de la gouvernance et des crises bancaires. L’interface
crises et gouvernance bancaires et la méthodologie économétrique choisie seront exposés dans la
troisième section. Nos conclusions feront l’objet de la quatrième section.
II. Libéralisation financière, crises et gouvernance bancaires : une synthèse
de la littérature
Un examen de la littérature financière portant sur les crises bancaires nous enseigne que
deux courants de recherche ont essayé de déterminer les principales causes de ces crises. En
effet, le premier courant stipule que les crises bancaires reposent sur des fondements macro-
économiques et que les pré conditions inappropriées au processus de libéralisation financière
constituent la principale cause des crises bancaires. En revanche, le deuxième courant soutient
l’idée que les crises bancaires reposent plutôt sur des fondements micro-économiques. Ce dernier
courant, suppose que la transformation de l’environnement bancaire dans cette nouvelle ère de
globalisation constitue la deuxième cause des crises bancaires. D’où la nécessité d’améliorer
l’environnement institutionnel, afin de garantir la solidité bancaire, constitue une tâche
indispensable à accomplir. Cette amélioration peut se manifester par l’instauration d’un système
efficace de gouvernance bancaire.
II.1 Libéralisation financière et crises bancaires : la remise en cause
La fin du dernier siècle a été marquée par le développement d’une vaste littérature
théorique et empirique qui traite la causalité entre la libéralisation financière et la croissance
économique. La lecture de ces écrits débouche sur la conclusion que la libéralisation
financière est le moyen le plus efficace destiné à améliorer l’efficience économique des pays
en voie de développement car ils souffrent de l’absence d’une intermédiation bancaire liée
essentiellement à la fixation administrative des taux d’intérêts, et la remise en cause du
modèle de l’Etat providence. Honothan (1997) affirme que l’intervention des autorités publiques
au niveau du système bancaire est un signe de détresse financière des banques qui se caractérise
par une détérioration de la qualité de leurs actifs. De plus, l’intervention de l’Etat est un
indicateur de fragilité si le secteur bancaire est ouvert et soumis à la concurrence étrangère.
Devant ce constat, Alfaro & Hammel (2007), Kim & Kenny (2006), Hao (2006), Menzie
& Hiro (2005), Bekaert & al (2005), parmi d’autres, suggèrent que les pays en voie de
développement doivent libéraliser le système financier pour assurer son bon fonctionnement et
amorcer la croissance économique. Selon ces auteurs, la libéralisation financière défend l’idée
selon laquelle un libre épanouissement de la sphère financière permettrait le développement de la
sphère réelle par une allocation optimale du capital et génère une croissance économique rapide
pour les pays en voie de développement. Dans le même ordre d’idées, Bhaduri (2005), à partir
d’une étude faite sur l’Inde, en arrive à conclure que la libéralisation financière en réduisant le rôle
de l’Etat dans l’économie, a bouleversé le schéma des investissements. Si le marché assure la
détermination des taux d’intérêt, la libéralisation financière réduit les imperfections du marché et
améliore l’allocation des ressources.
4
Il s’en suit que la libéralisation financière a été instaurée afin de permettre l’éclosion du
développement financier et de la croissance. Toutefois, le résultat escompté n’été atteint. Bien au
contraire, cette libéralisation financière a engendré des crises bancaires très graves. En effet, la
libéralisation financière est un facteur de fragilisation interne et externe des économies.
Récemment, Giannetti (2007) préconise que « Financial liberalizations in emerging markets are often
followed by reckless lending and severe banking crises ».
Dans la même logique, Aka (2006) stipule que « In the past five years, several financial crises have
rattled most of the emerging market economies in Asia, Europe, and south Amercia. These crises were deeply
related to the process of financial liberalization and financial globalization. ». Une première lecture de cette
affirmation fait ressortir que la contribution de la libéralisation financière en matière de
développement financier et de croissance économique a été fortement remise en cause. Cette
thèse est d’ailleurs corroborée par Daniel & Jones (2006) qui, ont constaté que la plupart des
crises bancaires qui ont touché les économies émergentes ont été procédés par des mouvements
de libéralisation financière. Dans ce contexte, Ranciere & al (2006) ont montré que la
libéralisation financière peut induire à un niveau de risque supérieur, accroître la volatilité des
indicateurs macroéconomiques et augmenter la probabilité de déclenchement des crises
bancaires. D’autres études, en particuliers celles menées par Barell & al (2006) et Tornell & al
(2004) ont validé ce constat.
L’existence d’une relation entre les crises bancaires et financières et les politiques de
libéralisation financière, souvent radicales, a été validée également par de nombreux chercheurs
économistes. Kaminsky & Reinhart (1999) ont réalisé une étude sur un panel de 20 pays tel que
l’Amérique Latine, certains pays d’Europe et d’Asie sur la période 1970-1995. Ils ont conclut que
le nombre des crises bancaires a fortement augmenté et que ces crises sont procédées par des
politiques de libéralisation financière. Toujours dans le cadre d’analyse de la sensibilité
libéralisation financière et crises bancaires, Barth & al (1999) ont examiné le lien entre la
régulation financière, la fragilité financière et la performance économique. Ils ont affirmé que les
pays avec les systèmes les plus régulateurs et les plus restrictifs sont plus susceptibles d’éradiquer
les crises bancaires. Une idée déjà formulée et développée, bien avant, par Rossi (1999). Par
ailleurs, Fisher & al (1997) sur la base d’une étude en données individuelles effectuée sur la
Malaisie, la Thaïlande et Taiwan, ont constaté que les banques sont exposées à des risques très
élevés durant le processus de libéralisation financière. Cette dernière augmenterait l’exposition
des économies émergentes aux perturbations extérieures, ce qui fragilise les banques locales. Sur
cette question, Demirguc-Kunt & Detragiache (1998 et 1999) et Noy (2004) affirment que la
libéralisation du secteur financier local accroît la probabilité que le système bancaire devient de
plus en plus fragile du à une suppression du plafonnement des taux d’intérêt, du contrôle des
crédits et la réduction des barrières à l’entrée des banques étrangères. Par ailleurs, la libéralisation
du secteur financier domestique conjuguée avec la libéralisation des marchés financiers et le
compte capital constituent des signes très puissants pour la naissance d’une crise bancaire dans les
pays émergents.
Etant donné les propositions antagonistes ainsi que les résultats mixtes4 des recherches
empiriques portant sur la relation entre les crises bancaires et la libéralisation financière, nous
choisissons dans cette étude de tester l’hypothèse de recherche suivante :
Hypothèse 1 : Il existe une relation positive entre la libéralisation financière et
les crises bancaires.
4 Nous ne connaissons pas a priori, le sens de la relation entre crises bancaire et libéralisation financière. Il peut s’agir d’une
relation positive ou négative.
5
II.2. L’apport de la gouvernance bancaire à atténuer les crises bancaires
Le « Corporate Governance » est un puissant courant d’opinion qui s’est développé aux
Etats-Unis et en Angleterre, puis s’est propagé en France en réaction d’une série de scandales
financiers et de faillites spectaculaires qui ont émaillé la vie des affaires de quelques grandes
firmes .Ce terme a été l’objet aujourd’hui d’une forte attention de la part des juristes et des
économistes, mais également des politologues, des sociologues et des spécialistes des sciences de
gestion (Charreaux 2004). La notion de gouvernance d’entreprise a concerné en premier lieu les
entreprises, puis elle s’est propagée aux banques, étant donné que la banque est une firme
industrielle et vu son implication croissante dans la sphère réelle. De plus, la banque occupe une
place centrale et où le développement économique d’un pays lui tributaire. Ainsi, il est devenu
impérieux de mettre en place une gouvernance propre à la banque.
Au cours de la deuxième moitié du 19 éme siècle, les crises économiques prenaient
fréquemment une dimension financière et bancaire. Les faillites du Crédit Mobilier des «Frères
Pereire » en 1867 ou celle de l’Union Générale en 1882 sont toujours citées en exemple. Les
pouvoirs publics ont alors constaté le rôle amplificateur joué par les crises bancaires sur la
conjoncture économique générale. Ainsi, comme réaction pour éviter et réduire ces crises
bancaires, les pouvoirs publics ont instauré des mécanismes de gouvernance bancaire.
Selon Stuart & Gillan (2006), la gouvernance des firmes bancaires admet deux dimensions,
interne et externe. La dimension externe se manifeste par la réglementation prudentielle, alors que
la dimension interne est le mode d’administration de la banque. Malgré l’importance de la
dimension interne, nous nous se focalisons, dans ce travail de recherche, sur la dimension externe
de la gouvernance bancaire et ce dont le but d’appréhender sa contribution à assurer la stabilité
du système bancaire.
La gouvernance bancaire, vue sous l’angle de la réglementation prudentielle, a fait l’objet de
nombreux travaux de recherche. Menkhoff & Suwanaporn (2007), énoncent qu’une libéralisation
financière exercée dans un environnement institutionnel peu développé accentue la prolifération
des crises bancaires, ce qui laisse à penser que l’inefficacité des mécanismes de gouvernance
bancaire peut être une source qui peut aggraver les crises bancaires. Sur cette question, Minsky
(1996) montre que le faible environnement institutionnel est au centre de la dynamique d’une
crise. En d’autres termes, la vacance de gouvernance bancaire alimente le mécanisme de fragilité
bancaire (Pathan & al 2006) sous l’effet de la libéralisation financière, qui amplifie l’euphorie de
l’incitation aux risques. Dans le même cadre d’analyse de la relation gouvernance bancaire et crise,
sur une etude sur un panel de 35 pays, Angkinand (2007), a montré qu’une supervision bancaire
adéquate permet d’atténuer les crises bancaires. Horicuchi (2000) affirme que le
dysfonctionnement de la gouvernance bancaire est à l’origine des crises profondes qui ont frappé
les pays asiatiques. Récemment, Mehram (2004) montre qu’une bonne gouvernance bancaire
induit une santé et une croissance durable de l’économie. De même, Caprio & al (2004) arrive à la
conclusion qu’une bonne gouvernance est le garant d’une allocation efficiente de l’épargne.
A coté de ces études montrant le rôle primordial qui peut jouer la gouvernance bancaire
dans l’atténuation des crises bancaires, d’autres travaux ont remis en cause l’efficacité de la
gouvernance bancaire. Ils concluent que la réglementation prudentielle ne contribue pas à réduire
et éviter les crises bancaires. En effet, Icard (2002), puis Cartapanis (2003) et récemment
montrent que la gouvernance bancaire, vue sous l’angle de la réglementation prudentielle, ne
permet pas d’améliorer la sécurité du système financier. Ils constatent que la gouvernance
bancaire ne peut pas contenir le risque systémique ; qui est le risque le plus grave qui peut frapper
1 / 19 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !