La démocratie: un long processus qui inclut le Moyen âge Par Michel Harvey M.A. Histoire Enseignant École secondaire Antoine-Brossard Octobre 2009 Copyright © http://pages.videotron.com/historia/ © La démocratie: un long processus qui inclut le Moyen Âge Michel Harvey La démocratie: Un long processus qui inclut le Moyen Âge Par Michel Harvey, M.A. Histoire Enseignant, école secondaire Antoine-Brossard Le Moyen Âge, cette période généralement admise entre la chute officielle de Rome (476) et la "Découverte" de l'Amérique par Colomb (1492), a souffert et souffre encore aujourd'hui de façon relative d'une évaluation négative ou simpliste. Son nom, Middle latter, tout d'abord, né sous la plume de l'historien allemand Christophe Keller au XVIIe siècle, tend à l'enfermer dans un espace temporel statique, de la caractériser comme une période stagnante, une période où tout progrès semble absent. Or, il est de plus en plus permis de croire, après réévaluation de cette dernière, qu'elle constitue à plusieurs égards une période de continuité, une période qui permettra de définir éventuellement les fondements même de la démocratie occidentale. En ce sens, la vieille perception véhiculée d'une démocratie issue d'une génération spontanée au XVIIIe siècle ou encore puisant exclusivement ses origines dans la seconde moitié de la Renaissance, période coïncidant avec les Temps modernes (1492-1600), doit être revue et réévaluée. En effet, certains acquis de la période romaine et certaines http://pages.videotron.com/historia/ © 1 La démocratie: un long processus qui inclut le Moyen Âge Michel Harvey habitudes maintenues tout au long du Moyen âge, tendent à faire du Moyen âge une partie intégrante du développement des institutions propres à la pratique de la démocratie. Trois caractéristiques sont d'ores et déjà identifiables: une tradition orale rapidement codifiée, la présence de divers groupes indépendants, de familles princières oligarchiques, adoptant des modes de fonctionnements différents ainsi qu'une absence d'unité politique. De la loi traditionnelle orale à la loi constitutionnelle écrite À l'aube de la chute de Rome (dont la date officiellement admise par la plupart des historiens est 476) les divers clans germaniques qui occupent l'Europe occidentale sont organisés en fédérations, structures qui garantissent une certaine souveraineté à ces peuples guerriers contre une assistance militaire au service de l'empire. Issus de diverses cultures et adoptant des modes d'organisations certes tribaux mais fort différents, ces peuples germaniques n'ont jamais vraiment été soumis à une autorité centralisée. http://pages.videotron.com/historia/ © 2 La démocratie: un long processus qui inclut le Moyen Âge Michel Harvey Pour assurer une certaine cohésion à l'intérieur de ces diverses sociétés tribales dans lesquelles l'écriture semble avoir été inconnue, on avait recourt à diverses lois ou coutumes de tradition orale. Qu'il s'agisse de la loi salique des Francs de l'Ouest, de la loi de Gombette des Burgondes ou encore, du Bréviaire Wisigothique, la cohésion sociale de ces groupes semi-nomades était dictée par des traditions ancestrales connues et respectées de tous. Or, à la chute de Rome, les premières tentatives d'unification d'un royaume germanique à l'image de l'empire déchu coïncident avec une volonté d'écrire la loi. En effet, la codification de la loi salique dès le VIe siècle (entre 507 et 511) ainsi que l'introduction de nouvelles lois et d'amendements cadrent très bien avec la volonté des princes, d'abord mérovingiens et ensuite carolingiens, d'asseoir leur autorité mais surtout, d'assurer leur succession. La codification de la faide d'une part, littéralement "le devoir de vengeance", permettra entre autres aux législateurs d'amender cette loi ancestrale représailles. En qui entrainait promulguant la antérieurement loi salique, d'interminables Clovis (465-511) introduisait, dès le VIè siècle dans la législation, le wergeld, soit la possibilité de racheter la faute par une compensation pécuniaire. 1 http://pages.videotron.com/historia/ © 3 La démocratie: un long processus qui inclut le Moyen Âge Michel Harvey Il en va du même esprit pour le capitulaire de Quierzy (877). Par ce décret, Charles le Chauve (roi de France, 843-877, empereur d'Occident 875-877) imposait une série de règles visant à encadrer la gestion de charges laïques et ecclésiastiques qui viendraient à être remplacées durant son règne. La loi prévoyait notamment le transfert des fonctions aux descendants jugés compétents: "Si l'un de nos fidèles, après sa mort, veut, par amour pour Dieu, renoncer au monde, laissant un fils ou un proche capable de servir l'état qu'il lui soit permis de lui transmettre ses honneurs, selon qu'il le jugera le meilleur." 2 Ainsi, Charles le Chauve, sortant tout juste d'une pleurésie, assurait du coup sa succession. D'autant plus importante, cette volonté de codifier la loi était renforcée par la présence constante de forces politiques dont les souverains ne pouvaient faire abstraction. En effet, dès la fin du règne de Dagobert Ier (629-638), les rois mérovingiens ne pouvaient empêcher la montée du pouvoir des Pippinides (famille de Pépin de Landen ou Pépin l'Ancien), famille de princes francs en fonction comme maire de palais et à l'origine de la dynastie carolingienne. Moins de cent ans plus tard, Dagobert III (711-715) règnera sous la tutelle de Pépin de Herstal. http://pages.videotron.com/historia/ © 4 La démocratie: un long processus qui inclut le Moyen Âge Michel Harvey Au début, simples intendants de palais, les maires ou majors d'hommes avaient un rôle de premier ministre et étaient employés au service du roi. Or, dès le VIIe siècle, leur pouvoir s'accroissant sans cesse grâce notamment à la constitution fort habile de fidélités (dons, mariages…), les maires de palais jugèrent bon de transmettre, comme pour les souverains, leur pouvoir de père en fils. Peut-on y voir là les origines du féodalisme, système complexe d'alliances entre princes partageant des intérêts communs? Certes, le choix du chef, empereur ou suzerain, élu par ses pairs chez les Romains et à l'origine de certains grands rois, dont notamment Constantin, est ici reconduit par le consentement des vassaux.3 Et encore plus téméraire, peut-on repousser les origines de la féodalité à l'aube de la chute de Rome, au système fédératif qui fait loi dans les relations entre l'empire et les peuples germaniques? Existe-t-il un rapprochement possible entre système fédératif et féodalité? Rappelons simplement qu'une fédération est constituée d'un ensemble d'états unis par une alliance (feodus) générale. Ainsi, depuis ses origines, l'alliance s'avère être un mal nécessaire pour le souverain occidental. Fort conscient qu'il est incapable d'imposer réellement sa souveraineté, il devra, pour maintenir l'ordre, reconnaître l'influence de princes avec lesquels il doit définir un rapport de pouvoir http://pages.videotron.com/historia/ © 5 La démocratie: un long processus qui inclut le Moyen Âge Michel Harvey relativement décentralisé et à forte teneur de représentativité. Le suzerain est conscient qu'on lui accorde le privilège d'être le Primus inter pares, le seigneur des seigneurs. Donc, la codification écrite, issue d'une longue tradition gallo-romaine, mariée à la relative autonomie des princes francs, permettront non seulement de maintenir les bases embryonnaires d'un droit écrit mais aussi d'introduire toute une démarche de réflexion sur la loi ainsi qu'un processus d'amendements. Avec des habitudes de consensus, les bases d'une constitution persistent tout au long du haut Moyen Âge. Au pouvoir des princes, le souverain doit aussi considérer le pouvoir clérical. En effet, il est tout à fait possible de croire, qu'avec la relative présence d'anciens fonctionnaires gallo-romains lettrés, que certains clercs catholiques ont aussi contribué au maintien du droit écrit. Fortement influencé par l'empire, le clergé, qui adoptera sa structure organisationnelle, a pu très bien aussi adopter ses habitudes. Le Dictatus du pape Grégoire VII (1075) ou encore le Unam sanctam de Boniface VIII (1302), pour n'en nommer que deux, constituent des documents clés entre autres dans la volonté de l'église de légiférer les fondements et le fonctionnement de la théorie des deux glaives4, en somme, d'asseoir le pouvoir suprême que se donnera le pape. Lois, http://pages.videotron.com/historia/ © 6 La démocratie: un long processus qui inclut le Moyen Âge décrétales et bulles qui constituent Michel Harvey la presque totalité de la documentation accessible aux historiens pour comprendre le Moyen Âge, sont des actes juridiques qui témoignent de l'habitude de l'église catholique à recourir à la codification écrite. D'ailleurs, une des premières universités européennes, l'université de Bologne, née au XIIe siècle, se spécialisera exclusivement en droit canonique. C'est dire l'importance qu'accorde le clergé à la loi écrite. D'autre part, le latin, langue du défunt empire romain, sera de plus en plus réduite à un rôle d'écriture et disparaitra graduellement dans le monde du langage parlé au profit des langues vernaculaires.5 Avec la disparition graduelle des fonctionnaires et lettrés gallo-romains, l'homme d'église sera le seul à maitriser l'écriture et prendra une place de choix auprès des souverains du haut Moyen Âge. Ainsi, "la maîtrise de l'écrit et de la langue dans laquelle il s'exprime, le latin, donne à ceux qui commandent ou rédigent les chartes un pouvoir exorbitant".6 L'arrivée certes de fonctionnaires issus de la classe bourgeoise en pleine expansion dès le XIIIe siècle, arrivée qui correspond véritablement avec la mise en place de l'état proprement dit, posera les jalons nécessaires à l'adoption d'une éventuelle constitution et au départage épistémologique des concepts d'état, de nation et de gouvernement. Nous y reviendrons. http://pages.videotron.com/historia/ © 7 La démocratie: un long processus qui inclut le Moyen Âge Michel Harvey La féodalité ou le consentement obligé Même si l'on s'entend pour fixer les origines du féodalisme proprement dit au début du règne de Hugues Capet (987-996), il n'en demeure pas moins qu'à la fois les Carolingiens et les Capétiens qui lui succèderont n'arriveront pas à faire fi du pouvoir des princes et du clergé. D'ailleurs, le premier des Capétiens, sacré le 3 juillet 987, s'associera à son fils Robert qui sera sacré à son tour le 30 décembre de la même année. "Durant deux siècles, explique Georges Duby, l'association au trône du fils ainé évitera toute crise de succession, rendant la royauté héréditaire dans la même lignée."7 L'introduction du sacre dès le VIIe siècle ne donnera pas les résultats escomptés par les suzerains dans leur volonté d'asseoir un pouvoir à la fois héréditaire et divin. Le premier sacre de Pépin le Bref, "sacré avec de l'huile sainte par les évêques présents, conduit par Saint-Boniface", concrétise le coup d'état des Pipinides sur les Mérovingiens. Le second quant à lui, renouvelé par le pape Étienne II en 754 en échange de la protection de Rome contre la poussée des Lombards, introduit la monarchie héréditaire de droit divin, par la "défense à tous, sous peine d'interdit et d'excommunication, d'oser jamais choisir un roi issu d'un autre sang"8 http://pages.videotron.com/historia/ © 8 La démocratie: un long processus qui inclut le Moyen Âge Michel Harvey Cependant, Le double rôle du sacre des souverains carolingiens ne permettra pas à ceux-ci d'asseoir une autorité définitive sur l'ensemble des princes. L'empire franc ne survivra pas à la mort de Charlemagne en 814, même si ce dernier avait pris la précaution de donner le titre d'empereur d'occident de son vivant à son fils Louis en 813. Moins d'un siècle plus tard, l'œuvre des premiers Carolingiens sera partagée entre ses princes héritiers. Associant son épouse Irmingarde de Hesbaye et proclamant son fils Lothaire unique héritier, Louis le Pieux (ou le Bebonnaire, 814-840) imposera, par l'ordinatio imperii en 817, un partage de l'empire entre ses fils, désormais soumis à Lothaire (840-855). En inaugurant le droit d'aînesse, Louis venait faire une encoche au protocole franc9 et se heurtera notamment à la révolte de son neveu Bernard d'Italie. Veuf dès 819, Louis procèdera à un second mariage avec Judith de Bavière de la dynastie des Welf, avec laquelle il aura un fils en 823, le futur Charles le Chauve. Les manœuvres de la nouvelle reine pour écarter les fils de l'empereur du pouvoir entraîneront un nouveau partage qui inclura Charles. Cet acte annoncera la révolte des fils de Louis le Pieux qui le déposeront en 833. Or, la représentativité, au sens féodal du terme, qui caractérise déjà naturellement le rôle du http://pages.videotron.com/historia/ © 9 La démocratie: un long processus qui inclut le Moyen Âge souverain franc, prendra d'autant Michel Harvey plus de sens lorsque, dans l'impossibilité de s'entendre et devant l'insatisfaction publique, les petits fils de Charlemagne rappelleront leur père Louis au pouvoir. Les querelles reprendront de plus bel à la mort de l'empereur, querelles qui se solderont par le serment de Strasbourg (842) et le partage de Verdun (843): le royaume de L'Ouest pour Charles le Chauve, le Royaume de l'Est pour Louis le Germanique et le royaume médian (incluant Rome) ainsi que le titre impérial pour Lothaire. Ici seront confrontés deux ordres de loi: la loi salique qui prévoit un partage entre les fils et la loi romaine qui encadre la nomination de l'empereur. L'empereur survit mais l'empire mourra. "Au lieu d'un roi, laissera comme témoignage Florus, diacre de Lyon, un roiselet, au lieu d'un royaume, des fragments de royaume". 10 Ainsi, le règne des rois carolingiens et des premiers rois capétiens rappellera la fragilité du pouvoir des premiers souverains français qui devront composer et gagner la fidélité de princes souvent plus puissants qu'eux. Pour garantir cette fidélité, les princes qui jouissaient d'une relative autonomie les uns envers les autres renforçaient leurs alliances par des gages matériels, le fief, ou encore, par les liens du sang. À l'alliance nécessaire avec le pouvoir pontifical, dont le sacre apparaît comme le symbole le plus caractériel, viendra se juxtaposer la http://pages.videotron.com/historia/ © 10 La démocratie: un long processus qui inclut le Moyen Âge Michel Harvey cérémonie féodo-vassalique, l'alliance avec d'autres princes. Les nombreuses guerres et conflits entre les trois paliers de puissance caractérisent l'ensemble de l'histoire médiévale. Cette absence d'unité politique stable et forte forcera le mode d'organisation féodal, un mode d'organisation qui se voulait temporaire et reposant sur le conseil et l'assistance mutuelle. La notion d'absolutisme mariée à une unité politique même à des gradations différentes dans certaines sociétés de l'Antiquité, n'a jamais véritablement fait partie du paysage politique occidental. En ce sens, Il serait mal avisé de comparer les monarchies impériales romaine, égyptienne ou encore mésopotamienne. Certes, l'empereur romain voire même les consuls de la période républicaine avaient un pouvoir suprême (imperium) mais jamais absolu (dominatus omnia tenere). Il en va de même pour les divers royaumes européens qui verseront de façon épisodique dans des règnes absolutistes. Malgré l'intensité qu'on leur attribue, force est d'admettre qu'ils n'auront rien à voir avec l'absolutisme connu en Égypte des pharaons ou encore sous la Chine Impériale. La monarchie de droit divin, telle qu'elle est constituée dans les divers royaumes d'Europe qui émergent aux XIIe et XIIIe siècles, relève davantage du caractère héréditaire du chef d'une monarchie centralisée; le roi, comme l'était l'empereur romain, est "l'empereur de http://pages.videotron.com/historia/ © 11 La démocratie: un long processus qui inclut le Moyen Âge Michel Harvey son royaume". Cette période de concrétisation de l'État a donné suite à des épisodes sporadiques, ponctuels qui ont été suivis par des règnes beaucoup plus mous.11 Ainsi, même si le degré d'absolutisme est fort différent entre le pharaon d'Égypte et le lougal de la Mésopotamie, cette forme de pouvoir est totalement absente dans le développement des sociétés et systèmes politiques occidentaux. Cette absence d'unité politique forcera d'abord et maintiendra par la suite des habitudes et des pratiques de consultation, pratiques embryonnaires et essentielles au fonctionnement de la démocratie. Le bourgeois: une quatrième source de pouvoir Nous l'avons vu, la codification de la loi, le partage du pouvoir entre plusieurs institutions monarchique, oligarchique et ecclésiastique forceront le consentement autour d'un modus vivendi devant prendre en considération ces divers pouvoirs et permettront dès le début du XIIIe siècle aux divers royaumes occidentaux de poser les jalons d'un état embryonnaire, d'une raison d'État. Il est d'ailleurs permis de croire que cette volonté d'unification autour de royaumes ait été http://pages.videotron.com/historia/ © 12 La démocratie: un long processus qui inclut le Moyen Âge Michel Harvey grandement encouragée par l'aspect tout aussi embryonnaire d'une législation à caractère constitutionnelle. La loi, auparavant destinée au prince, se transforme et embrasse beaucoup plus large, devenant ainsi de façon graduelle une chose publique (dans le sens effectivement de res-publica). De l'état de serf, le paysan passera à l'état de sujet pour devenir un citoyen. On se doit d'ailleurs de ne pas sous estimer la force vive que constitue le peuple tout au long de cette période, une force désorganisée certes, mais une force vive. De nombreuses jacqueries, mutineries et révoltes ont tapissées la longue histoire du Moyen Âge. Cette révolte ne se limitait pas à décrier la trop grande gourmandise d'un seigneur mais aussi pouvait être orientée contre le pouvoir officiel et établi. Rappelons seulement que lors de l'Inquisition au XIVe siècle, certains juges ont été massacrés, lynchés et lapidés.12 Or, le développement du commerce et l'émergence d'une nouvelle force sociale, le bourgeois, qui nécessitera un encadrement auparavant absent, ne sont pas étranger à la transformation multidimensionnelle du territoire européen. S'il n'en est pas l'instigateur, il aura permis d'accélérer le processus de mise en place de l'état de droit. Véritablement au cœur des transformations du paysage économique et social de l'Europe de la fin du Moyen Âge, le marchand, pour assurer la http://pages.videotron.com/historia/ © 13 La démocratie: un long processus qui inclut le Moyen Âge Michel Harvey bonne pratique de ses activités économiques, aura recours à des garanties auprès des seigneurs et souverains. Évoluant dans une structure sociale construite en fonction du noble13 et dans laquelle il n'est pas reconnu, le bourgeois, pour faire sa place, achètera des titres de noblesse, et ensuite pour assurer sa domination, en arrivera à imposer son propre système organisationnel. Avec l'action de ce nouvel agent social ajoutons aussi la réception favorable des divers royaumes d'Europe en construction et de leurs souverains. Par choix, par ouverture d'esprit ou par dépit, les souverains des XIIIe et XIVe siècles feront parties intégrantes de ce que certains qualifient de première renaissance européenne. On s'entend généralement pour dire qu'à la fois le bourgeois légiste et la raison d'état se concrétisent sous le règne de Philippe Le Bel (1268-1314). Désormais, tout est fait en fonction de la raison d'état. Tous ces légistes embrassent avec ardeur, avec passion même, la raison d’État. Ils en sont les zélés serviteurs, et tous les moyens leurs paraissent bons lorsque le soin de l’État est en cause : on est même étonné de l’absence de scrupules avec laquelle, au besoin, ils pratiquent la fraude. L’affaire de Boniface VIII, celles des Templiers, sont l’occasion d’un véritable déluge de faux : fausse bulle rédigée par Pierre Flotte, fausse décrétale par laquelle le Pape (soit Pierre Dubois) relevait le clergé du vœu de chasteté, fausse requête du peuple au roi protestant contre les lenteurs apportées par Clément V au procès des Templiers, etc. Mensonges, injures, menaces, faux témoignages, rien n’est épargné, quand la raison d’état – qu’ils avaient inventé bien avant Machiavel – paraît être en jeu.14 http://pages.videotron.com/historia/ © 14 La démocratie: un long processus qui inclut le Moyen Âge Michel Harvey Sous le règne de Philippe Le Bel donc, l'état sort de sa structure médiévale et "cet état, poursuit Régine Pernoud, […] na rien à voir avec l'état féodal, sa hiérarchie compliquée, et la répartition du pouvoir qui le caractérise: c'est un État à la romaine, dûment centralisé et unifié; un État laïque, dans lequel la puissance temporelle prend le pas sur l'Église."15 Ainsi, l'augmentation de demandes constantes du prince, au fur et à la mesure où l'état nécessite une organisation de plus en plus complexe et systématique, d'avoir recours à des spécialistes en finance, en économie, en comptabilité, forcera la création de nouvelles facultés d'étude. Aux cours de droit canonique et de théologie, les universités, au départ à vocation presque exclusivement ecclésiastique, verront se développer en leur sein de nouvelles facultés d'étude dès le XIIIe siècle. Dorénavant, les conseils d'un oncle, d'un cousin ou d'un frère dont les visées politiques sont personnelles, ne suffisent plus à la bonne marche de l'état naissant. Le développement de royaumes, centralisés autour d'un état et dont certains revêtent, au gré des souverains, un caractère plus autoritaire ou à tout le moins plus directif, correspond avec la naissance de l'état de droit. Avec la mise en place de gouvernements de plus en plus laïques et dominés par des bourgeois, le rôle de représentativité qu'arborent les http://pages.videotron.com/historia/ © 15 La démocratie: un long processus qui inclut le Moyen Âge Michel Harvey souverains occidentaux depuis les premières tentatives de restauration de l'empire romain se verra systématisé. L'état ainsi fortement embourgeoisé et laïcisé en vient à établir de nouvelles règles d'organisation sociale, redéfinissant ainsi les rapports entre les individus. C'est lui qui d'emblée accorde et limite par le biais d'une constitution les pouvoirs du souverain, entraînant graduellement sa disparition totale ou partielle dans l'appareil décisionnel. "L'homme, pour paraphraser l'expression fort déterminante de Georges Burdeau – à tout le moins dans le développement politique de l'occident -, invente l'état pour ne pas obéir à l'homme".16 Or, si les fils de princes, déjà bien servis dans l'organisation sociale médiévale, ne voient pas la pertinence des formations nouvelles et surtout liées à l'état, il n'en sera pas de même pour les fils de marchands. Constamment à la recherche de profits et d'une représentativité dans la société d'ordres, les marchands verront d'un très bon œil les nouvelles formations et les considèreront comme un tremplin potentiel pour leur progéniture. La naissance de l'état coïncidera donc avec l'ascension du bourgeois, lui permettant, grâce notamment à une solide formation académique, en économie, en histoire ou en comptabilité, de prendre dorénavant les postes de conseillers principaux auprès de souverains. Son rôle d'ailleurs http://pages.videotron.com/historia/ © 16 La démocratie: un long processus qui inclut le Moyen Âge Michel Harvey s'intensifiera au fur et à la mesure ou la nation, le corps civil, l'ensemble des individus qui vivent sous une législation commune, se placera au-dessus de l'état. C'est elle qui jouira dorénavant d'une pleine souveraineté, relayant l'état, l'organisation de cette nation, à la simple "expression de la nation".17 Certes, la démocratie et le système capitaliste, système économique qu'elle accompagne, n'émergent pas de façon spontanée à l'aube du XIXe siècle mais s'installent graduellement, dans un long processus évolutif qui perdure tout au long du Moyen Âge. La Common law anglaise et le mouvement des chartes à l'aube d'un droit constitutionnel Le développement du droit écrit et de l'état s'accélèrent avec l'émergence du bourgeois au XIIIe siècle, puisque comme nous l'avons soutenu, l'habitude de codifier la loi reste présente tout au long de la période médiévale occidentale. Les besoins du bourgeois, en terme de privilèges, accentueront le besoin de légiférer. Avec "l'éveil" ou la "révolution" du commerce au XIIIe siècle en Occident, évalué à des degrés divers par les historiens, et motivé par le contact des peuples arabo-perses, coïncidera le développement de http://pages.videotron.com/historia/ © 17 La démocratie: un long processus qui inclut le Moyen Âge Michel Harvey bourgs, de sauvetés et de villes neuves. Unités économiques qui se développent à même le fief concédé au seigneur, les bourgs nécessiteront une législation bien différente de celle maintenue par le régime féodal. Naîtront ainsi toute une série de privilèges concédés par le seigneur aux bourgeois. Sous la forme d'un document écrit, la charte permettra aux habitants du bourg non seulement d'être acquittés des charges seigneuriales mais aussi de définir l'organisation politique de ce nouvel espace. "Résultat d'une tractation (généralement) à l'amiable, (la charte) limitait l'autorité du seigneur, mais il n'était pas sans intérêt pour lui de voir se développer une ville ou un marché sur son domaine"18. Déterminant de façon précise la conduite, les us et coutumes dans les bourgs, bastides et villes neuves, certaines chartes, dont celle de Beaumont, à titre d'exemple, iront jusqu'à fixer le prix de chaque chose que l'on peut vendre.19 On sera donc témoin, au fur et à la mesure que pousseront les bourgs, d'une prolifération des chartes sur l'ensemble du territoire géopolitique occidental. À l'intérieur de ces nouvelles entités politiques et muées par le besoin constant de glorifier Dieu, notamment par la construction de somptueuses et d'imposantes cathédrales, se développeront des associations de corps de métiers associés à la bourgeoisie. Ces http://pages.videotron.com/historia/ © 18 La démocratie: un long processus qui inclut le Moyen Âge Michel Harvey corporations qui poussent comme des champignons dès le XIIe siècle20 s'inscrivent aussi dans le tournant économique que prendra l'Europe occidentale. Considérées comme une des manifestations d'association les plus importantes, les corporations, selon Alain Cotta, et l'esprit qu'elles dégagent, ne connaitra pas son égal avant la naissance du syndicalisme à la fin du XIXe siècle et deviendront de véritables organisations politiques graduellement remplacés, dans les démocraties occidentales actuelles, par divers groupes de pression. À la tête du bourg donc, un bourgmestre et des échevins élus par l'ensemble des habitants (les bourgeois). Ce nouvel espace politique prendra rapidement la forme d'un état dans l'état. Le seigneur dirige la seigneurie, le bourgmestre le bourg: deux réalités physiques, deux réalités politiques, économiques, culturelles et sociales. Les communes (ou les bourgs) seront d'ailleurs vue d'un mauvais œil par l'église qui, par l'effet de solidarité qui se tisse entre-elles notamment, les perçoit comme une véritable force politique pouvant troubler l'ordre social établit. L'église condamne le fait qu'elles "s'agglutinent entre (elles) comme des écailles de poisson, pour que ne puisse pas même pénétrer un souffle d'air".21 Certains de ces hameaux se transformeront en véritables forces économiques et http://pages.videotron.com/historia/ © 19 La démocratie: un long processus qui inclut le Moyen Âge Michel Harvey politiques. Les hanses, dont la puissante hanse germanique, iront même jusqu'à défier l'autorité de certains royaumes pour assurer la bonne conduite de leurs activités économiques. On peut se permettre ici de faire le lien avec la législation internationale que l'on connaît depuis le XXe siècle, notamment, celles des eaux internationales. Le territoire, dans cette mesure, prend une toute autre définition, dépassant les concepts de royaume, de nation et d'état. Le capitalisme comme mode d'organisation déborde des cadres territoriaux traditionnels, plaçant de facto l'économie au centre de la plupart des manifestations géopolitiques. La présence de ces entités donc permettra aux seigneurs, notamment en Provence et en Champagne, de multiplier les occasions et les prétextes pour accumuler des monnaies en proposant des saufconduits, garanties de protection des individus et de leurs marchandises sur les territoires convoités. Bar-sur-Aube, Lagny, Provins et Troyes verront se déployer dès les Xe et XIe siècles de grands marchés publics, annonçant les grandes foires de Champagne du XIIIe siècle et toutes les conséquences économiques dont la mise en place des toutes premières organisations de change, des banques: d'un système précapitaliste. http://pages.videotron.com/historia/ © 20 La démocratie: un long processus qui inclut le Moyen Âge Michel Harvey Parallèlement, l'amélioration des rendements agricoles liée à de nombreux facteurs (technologie, climat…) permettra la vente de surplus. Le contact lors des croisades avec les sociétés du Moyen Orient mais surtout avec des villes qui apparaissent démesurément grandes à l'époque pour l'Europe, permettra aux sociétés occidentales de fournir denrées et matières premières. L'Occident s'éveille au rythme du commerce et doit mettre en place les outils financiers nécessaires à cette nouvelle réalité économique.22 Cet "éveil" peut être d'ailleurs constaté dans tous les aspects de la société médiévale. La naissance de l'état correspond aussi à l'affirmation des langues vernaculaires et à leur domination graduelle sur le latin. Associé à l'église, le latin n'est pas la langue des affaires. Dans le commerce, et peu à peu dans la littérature, notamment avec Alighieri Dante dès le XIIIe siècle, les langues vernaculaires en viendront à être dominante, et par conséquent, à être déterminante dans l'affirmation du concept de nation et dans les affaires courantes de l'état. Simultanément à la naissance de bourgs et de corporations, on assiste dans l'ensemble de l'Europe occidentale à un resserrement des http://pages.videotron.com/historia/ © 21 La démocratie: un long processus qui inclut le Moyen Âge Michel Harvey pouvoirs autour d'un corps civil qui se manifeste par l'élaboration de diverses institutions étatiques, institutions qui annoncent l'état et qui fixent définitivement le système monarchique dynastique. Qu'il s'agisse du Règne d'Henri II Plantagenêt (1154-1189) en Angleterre, de celui de Frédéric II de Hohenstaufen (1212-1250) empereur du Saint-Empire Germanique ou des Capétiens de Philippe Auguste (1165-1223), Louis VIII (1223-1226) et Louis IX (Saint-Louis, 12261270), on remarque la mise en place des mêmes institutions exécutives, législatives et judiciaires. "La mise au pas de Shérifs en 1170", de la cour du roi (curias regis) et de la cour générale entraînent notamment la naissance de la commun law et d'un parlement en Angleterre. La Common law, code de lois jurisprudentiel que l'on pourrait se permettre de définir comme "le bien commun", demeure extrêmement complexe à la fois dans sa compréhension et dans sa mise en place. Ainsi, pour paraphraser l'historien de droit anglais du XIXe siècle Frederic Maitland (1850-1906), la Common law est incapable de comprendre elle-même sa propre histoire.23 Les historiens considèrent généralement qu'elle puise ses origines à l'époque normande avec l'arrivée de Guillaume le Conquérant au XIe siècle même si la pratique ne sera unifiée qu'un siècle plus tard. Sans doute due à la présence http://pages.videotron.com/historia/ © 22 La démocratie: un long processus qui inclut le Moyen Âge Michel Harvey d'un droit coutumier à la fois anglo-saxon et danois, et comme le prétend Jacques Vanderlinden, à l'approche colonialiste normande, approche comparable selon lui à celle de l'empire Romain24 un millénaire plus tôt, l'unité juridique anglaise tardera avant de se mettre en place. Divisée en royaumes où la justice est rendue par divers droits coutumiers anglo-saxon et danois, les envahisseurs ne tenteront d'unifier au départ qu'exclusivement la justice royale. Coutumier et féodal dans son contenu, le droit normand procède, comme sur le continent, par conseil et consensus. Vassal du roi de France et même si plus puissant comme c'est le cas de plusieurs autres princes, le duc de Normandie entretien ses propres liens féodovassaliques. (officiellement Se à rendant la définitivement bataille de maître Hastings, de 1066), l'Angleterre il concèdera rapidement à ses vassaux, en guise de cadeau des fiefs anglais. La cour ducale (curai durcis) en fonction sur le duché normand se transformera sur l'ile en cour royale (curia Regis).25 Sans avoir imposé donc ou avoir uniformisé à sa façon de faire dès son origine, le droit normand bénéficiera toutefois de l'inefficacité des droits coutumiers déjà en place. En effet, les juridictions anglosaxonnes et danoises rendues localement ne procèdent pas par l'écrit. La justice royale pour sa part, qui déploiera de nombreux juges itinérants (justicariae ettantes) se révèlera d'autant plus efficace et http://pages.videotron.com/historia/ © 23 La démocratie: un long processus qui inclut le Moyen Âge Michel Harvey plus certaine puisqu'elle enregistre, sous la forme jurisprudentielle, tous les jugements rendus.26 Henri II institutionnalisera au XIIe siècle l'appareil judiciaire royal, uniformisant en quelque sorte l'intervention juridique, introduisant et concrétisant la Common law anglaise. La Grande Charte, le parlement aux origines de la démocratie À cette uniformisation du droit autour du roi d'Angleterre, s'élèvera aussi un parlement, appareil étatique propre aux régimes démocratiques et qui viendra se placer en opposition avec le pouvoir toujours plus abusif des princes. En fait la crise politique, dont est issue l'adoption de la Grande Charte (magna carta) en 1215, document que l'on considère à l'origine du parlement anglais et comme un premier véritable acte constitutionnel en Angleterre, se tramait déjà depuis le règne d'Henri II et donne suite à l'amplification d'une situation d'abus de la part des souverains Plantagenêt. Donc, à cette volonté d'uniformiser le droit anglais se juxtaposera le désir de centraliser le pouvoir autour d'une organisation étatique, souveraine, qui se manifeste aussi par la volonté de soumettre toutes formes d'autorités. La constitution de Clarendon de 1164, document à l'origine du duel entre Henri II de Plantagenêt et Thomas Becket, http://pages.videotron.com/historia/ © 24 La démocratie: un long processus qui inclut le Moyen Âge Michel Harvey archevêque de Cantorbéry, imposera la soumission des clercs aux tribunaux laïques, plus représentant de l'état. 27 précisément, à l'autorité du souverain, Le conflit d'ailleurs est de deux ordres, d'abord entre les pouvoirs temporel et spirituel, ensuite entre la noblesse et la bourgeoisie. Les quatre chevaliers qui ont tués l'archevêque de Cantorbéry, rappelle dans un travail exhaustif Matin Aurell,28 sans doute un des plus grand spécialiste français de l'empire Plantagenêt, et selon plusieurs témoins, ont bien pris soin de l'interpeller sous le nom de Becket, lui rappelant ses origines marchandes. D'autre part, l'épisode s'inscrit dans une volonté intrinsèque des souverains des XII et XIIIe siècles de centralisation des pouvoirs autour du royaume, d'assujettir par conséquent le pouvoir clérical. Que ce soit l'affaire Becket, celle des templiers ou encore les démêlés entre l'empereur Fréderic II et le pape, une chose demeure en toile de fond: la véritable volonté d'asseoir un pouvoir temporel, souverain, dynastique et absolu. Or ici encore, on ne peut que constater l'échec des rois et la victoire des forces qui s'y oppose. Dans la victoire posthume de Thomas Becket, représentant du pouvoir clérical et littéralement béatifié deux ans après sa mort, le roi d'Angleterre, pliant à la pression populaire, sera forcé de faire pénitence. Peut-on y voir http://pages.videotron.com/historia/ © 25 La démocratie: un long processus qui inclut le Moyen Âge Michel Harvey une alliance entre le pouvoir clérical et celui du peuple? Certes non pas de façon systématique et concertée, mais la spontanéité de la réaction à la mort de l'ecclésiaste rappelle au souverain qu'il n'est pas absolu, qu'il demeure encore et toujours le prince des princes, le représentant de l'ordre temporel établi. Durant deux ans, Henri II, selon le témoignage d'Arnould de Lisieux "porte la chemise des pénitents et se couvre de cendres; il profère des lamentations à haute voix; il s'enferme, trois jours durant, dans sa chambre, sans manger et ni admettre de visite."29 Ainsi, à la volonté des souverains, s'insurge une réalité: la nation impose son mode d'organisation, l'état, et domine dorénavant le souverain. La ligne semble désormais tracée vers la substitution officielle du souverain par la nation et par l'état, son instrument de représentativité et d'organisation. Force est quand même de constater que le pouvoir royal en Angleterre, comme c'est le cas aussi sur le continent, s'intensifie au cours des XI et XIIe siècles. Toutefois, ce renforcement ne lui est pas exclusif. Or, il en va de même pour toutes les forces en présence: les nobles qui s'intéressent de plus en plus au profit qu'ils dégagent de l'exploitation agricole, le clergé, qui en tant que grand propriétaire terrien est aussi un grand éleveur de mouton, et pour une grande bourgeoisie active, surtout concentrée à Londres.30 Ces trois groupes http://pages.videotron.com/historia/ © 26 La démocratie: un long processus qui inclut le Moyen Âge Michel Harvey offriront une force opposée déterminante à Jean sans Terre (11991216) dans une alliance que l'on peut qualifier de conjoncturelle. Toujours motivé à reprendre le territoire perdu en France, et excommunié par le Pape pour avoir notamment saisi les terres de l'église, le fils de Henri II et frère de Richard Cœur de Lion exercera une pression toujours plus grande sur les barons anglais. Refusant de répondre à la demande toujours grandissante de leur souverain et profitant de son isolement politique, les barons se soulèveront et réussiront à imposer à Jean sans Terre un texte qui sera appelé par la suite la Grande Charte. Élaboré par les barons anglais, la Grande Charte, si elle ne constitue pas un "acte révolutionnaire" selon Lucie Petri et Marc Venard, demeure cependant un facteur indéniable dans le processus de mise en place d'un gouvernement contrôlé par une double structure: un roi et un parlement. Le document stipule notamment qu' "aucun impôt ou aide ne sera imposé, dans Notre royaume, sans le consentement du Conseil Commun de notre royaume"31, ce qui annonce clairement dans la pratique la division systématique du pouvoir exécutif et législatif, et ce, bien avant la division théorique qu'en fera Montesquieu. Le roi ne peut dorénavant plus décider seul. http://pages.videotron.com/historia/ © 27 La démocratie: un long processus qui inclut le Moyen Âge Michel Harvey De plus, la gestion des amendes "proportionnelles à la gravité de l'offense" imposées à un homme libre et surtout "sans le privé de son gagne-pain"32 apparaît comme le premier acte vers une véritable constitution. Vient ici poindre la notion de citoyen, un citoyen reconnu et protégé par un acte constitutionnel. D'autre part, en France, au XIIIe siècle, on procède aussi à la mise en place d'une institution policée avec la naissance des baillis et des sénéchaux de régions. Relevant strictement du roi et n'appartenant à aucune famille princière traditionnelle, le bailli est un salarié et constitue le premier fonctionnaire en règle de l'histoire médiévale. La centralisation des pouvoirs vers le roi, dans le sens de l'organisation embryonnaire de l'état, annonce une éventuelle raison d'état. "Peu à peu se répand l'idée que le pouvoir royal dépasse la notion de suzeraineté, que le roi en vertu des engagements du sacre, le droit d'intervenir dans tout le royaume sans autre limites que l'intérêt commun de la justice qu'il doit servir, la suzeraineté se mue en souveraineté."33 Ainsi, la démocratisation de l'Occident est issue d'un long processus dont contribue aussi le Moyen Âge. Pas toujours un moteur mais http://pages.videotron.com/historia/ © 28 La démocratie: un long processus qui inclut le Moyen Âge Michel Harvey jamais totalement un frein, l'époque médiévale occidentale constitue une des étapes cruciales dans la mise en place de la démocratie et de l'état de droit. La naissance de l'état moderne, qui comme nous l'avons vu, puise ses origines dès le XIe siècle correspond à la mise en place progressive et presque généralisée d'institutions qui confirme que le pouvoir est officiellement partagé. La mise en place de parlements ouvre la porte à une démocratisation des sociétés occidentales. Que ce soit sans éclat, comme dans le cas de l'Angleterre au XVIIe siècle où l'on profitera, après l'épisode cromwellien, de la présence de rois qui ne maitrisent pas l'anglais, les Hanover, pour mettre en place une Chambre des communes, assurant ainsi la responsabilité ministérielle, ou avec grand éclat comme chez les Français, l'Europe occidental verra la mise en place d'institutions qui annoncent les systèmes démocratiques actuels. Comme nous l'avons soutenu, le passage de l'Antiquité gréco-romaine au Moyen Âge occidental ne constitue pas une brisure complète. Certains héritages et modes de fonctionnement maintenus tout au long du Moyen Âge entraîneront une évolution progressive des sociétés occidentales vers l'état de droit et la démocratie moderne. Le mariage, ou somme toute la cohabitation, des relents et des traditions à la fois gréco-romaines et germaniques imposera, dès les tous premiers http://pages.videotron.com/historia/ © 29 La démocratie: un long processus qui inclut le Moyen Âge Michel Harvey instants, le consensus et la discussion, façon de faire loin d'être incompatible avec les pratiques actuelles de la démocratie. L'absence d'unité politique sur le territoire européen, la présence des diverses organisations tribales oligarchiques traditionnelles et cette volonté très tôt de vouloir à la fois codifier et amender la loi sont des caractéristiques qui forceront des modes d'organisations ainsi que des habitudes sociales et politiques desquelles on peut voir poindre les origines de l'état moderne, du capitalisme et de la démocratie. Enfin, dans cette perspective, les succès mitigés de l'appareil démocratique occidental sont tributaire d'une longue tradition qui ne peut être copiée, vendue, exportée ou empruntée comme un prêt-à-porter mais qui doivent s'inscrire dans un long processus historique. 1 Duby Georges (dir.) Une histoire du monde médiéval, Éditions Larousse, Paris, p. 48. Le wergild, littéralement « prix de l’homme », (également écrit weregild, wergeld ou weregeld) est une somme d’argent demandée en réparation à une personne coupable d’un meurtre, ou d’un autre crime grave. Consultez entre autres: http://fr.wikipedia.org/wiki/Wergeld 2 M. G. H., Capitularia regnum Francorum, II, p. 358. in: http://w3.univtlse2.fr/multimedia/medievale/UE12/textes/TEXTE110.HTM 3 Le mot apparaît pour la première fois en 755. « Pour le vassal, le seigneur est un père, qui protège, conseille et parfois nourrit. Il est coutume, d’ailleurs, qu’il l’accueille dans sa maison, parmi ses propres enfants, les fils de ses vassaux; il les éduque, les forme au métier militaire et souvent, le jour de l’adoubement, leur remet lui-même les armes. Mais un second titre, de nature religieuse celui-ci, vient aussitôt nouer plus fermement le lien. Après hommage, le vassal doit ainsi s'abstenir de nuire à son seigneur." In Georges Duby (dir.), Histoire de la France des origines à nos jours, Larousse, Bibliothèque historique, Paris, 271. 4 Alliance (mariage, feodus) entre le pouvoir temporel (le prince) et le pouvoir spirituel (le clergé) dans le but de maintenir l'ordre en Occident. http://pages.videotron.com/historia/ © 30 La démocratie: un long processus qui inclut le Moyen Âge Michel Harvey Elle puise sont origine dans la mise en place de la dynastie carolingienne avec le double sacre de Pépin le Bref, consumant de facto l'autorité du dernier roi Mérovingien. Le sacre des rois deviendra l'une des conditions essentielles pour asseoir l'autorité des souverains en Occident. 5 "Par un tour ironique des choses, explique Alberto Manguel, l’Église chrétienne, qui avait adopté le latin dans le but d’apporter l’Évangile « à tous les hommes en tous lieux », s’aperçut que, pour la vaste majorité des fidèles, ce langage avait cessé d’être compréhensible. Le latin devint l’un des mystères de l’Église, et au XIème siècle les premiers dictionnaires latins apparurent, afin d’aider les étudiants et novices dont le latin n’était plus la langue maternelle". Alberto Manguel, Une histoire de la lecture, acte sud/Lémeac, Montréal, 1998, p. 296. 6 Tock, Benoit-Michel, "Chartes et pouvoir au Moyen-âge", Bulletin du centre d'études médiévales d'Auxerre, 2005, http://cem.revues.org/index747.html 6 Duby, Georges, (pref.) Une histoire du monde médiéval, Op. cit. p. 182. 8 Duby, Georges, (pref.) Une histoire du monde médiéval, Op. cit. p. 195-196. 9 Idem. 10 Idem, p. 96 11 La mort de Louis XIV en 1714 a très certainement entrainé une volonté des princes français de s'accaparer d'une partie des pouvoirs concentrés dans les mains du roi soleil. Le règne de Louis XV ne peut être comparé sur le même aspect autoritaire que celui de son père. 12 Voir à cet effet Henri Maisonneuve, L'inquisition, Desclée, Novalis, Paris, 1989 13 On doit la paternité au classement de la société en trois ordres aux moines de Saint-Germain d'Auxerre dans les années 870. Cette organisation sociale a été pour la première fois systématisée par Georges Dumézil et définie par ceux qui se battent (les nobles), ceux qui prient (les clercs) et ceux qui travaillent (les paysans). Philippe Contamine, Le Moyen âge: le roi, l'église, les grands, le peuple, Tome I: Histoire de la France politique, Seuil, Point Histoire, Paris, p. 199. Or, le marchand ne s'y retrouvant pas, achètera des titres de noblesses ce qui entrainera systématiquement deux types de noblesses; le noble d'épée, reconnu par son sang, le noble de robe, le marchand. 14 De nombreux juristes feront leur apparition à la cours de Philippe Le Bel, notamment; Guillaume de Plaisian, le chancelier Pierre Flotte, l'avocat Pierre Dubois et surtout le professeur de droit Guillaume de Nogaret. Tous chers au droit romain, ces bourgeois légistes s'opposent avec force à l'empirisme que l'on veut caractéristique au Moyen Âge. consultez Pernoud, Régine, Les origines de la bourgeoisie, Que sais-je?, PUF, Paris, p.33. 15 Ibid. 16 Burdeau, George, "État", Encyclopedia Universalis, #8, p. 844. http://pages.videotron.com/historia/ © 31 La démocratie: un long processus qui inclut le Moyen Âge 17 18 Michel Harvey "Monarchie constitutionnelle" Encyclopedia Universalis, #15, p. 635 Pernoud, Régine, Op. cit., p. 20 19 "La charte des Us et Coutumes des bastides médiévales" http//www.histoiregénéalogie.com. Consultez notamment, Bournichou, Yves, "Charte de coutumes de Beaumont", création Lambert, 2004, atlas dordogne-périgord.com 20 Les historiens s'entendent pour fixer le début du corporatisme au XIe siècle. Voir à cet effet, Alain Cotta, Le corporatisme, Que sais-je?, PUF, Paris, 1984, 125 p. 21 Étienne de Tournai, in: Philippe Contamine (dir.) Op. cit, p. 249 22 Bagdad compte un million à un million et demi d'habitants contre 5000 000 au Caire, 300 000 à Sarmacande ou à Cordoue. Les villes de France et d'Italie comptent 10 000 âmes! In: Coll. Une histoire du monde médiéval, op.cit, p. 114. 23 Pottage, Alain, "Common law", Encyclopedia Universalis, #6, p. 467. 24 Vanderlinden, Jacques (dir) "Histoire de la Common law", La Common law en poche, Centre international de la Common law française, Université de Moncton, sans date, p. 8. 25 26 Ibid. Pottage, Alain, op. cit. p. 468. 27 If a controversy arise between laymen, or between laymen and clerks, orbetween clerks concerning patronage and presentation of churches, it shall betreated or concluded in the court of the lord king. Constitution de Clarendon, 1164, http://www.constitution.org/eng/consclar.htm 28 Martin Aurell, L'empire Plantagenêt, 1154-1224, Perrin, Tempus, Paris, 2004, 406 p. 29 The letters…no 72, trad. Schriber, No 3.06, p. 194,196. Cité par Martin Aurell, op. cit. p. 233. 30 Voir: Petri, Lucie et Marc Venard (col.) Le monde et son histoire: fin du Moyen-âge et le début du monde moderne, XIIe siècle au XVIIe siècle, Bouquin, Laffont, Paris, 1971, p. 47-48. 31 La Grande Charte des libertés (magnus Carta), Bibliothèque nationale d'Angleterre, août 2002, traduit de l'anglais par Claude J. Violette, http://www.aidh.org/Biblio/Text_fondat/GB_01.htm 32 Ibid. voir aussi Petri, Lucie et Marc Venard, op. cit. p.50. http://pages.videotron.com/historia/ © 32 La démocratie: un long processus qui inclut le Moyen Âge Michel Harvey 33 Expression systématisée par Henri Pirenne. Duby, Georges (col.) Une histoire du monde médiéval, op.cit. p. 220. http://pages.videotron.com/historia/ © 33