R E V U E D E L’ A G E N C E Q U A L I T É C O N S T R U C T I O N • H O R S S É R I E I N T E R N E T • N O V E M B R E 2 0 1 4 • 2 0 € 16E RENDEZ-VOUS QUALITÉ CONSTRUCTION IMPACTS DES INTERFACES SUR LA SINISTRALITÉ ÉDITO onformément à l’un de ses fondamentaux, l’AQC a organisé, le 5 juin 2014, le 16e Rendez-vous Qualité Construction sur le thème « Impacts des interfaces sur la sinistralité ». Nous ne sommes pas les premiers à mettre en exergue la problématique des interfaces. C Dans le cadre des réflexions des groupes de travail du programme « Objectifs 500 000 », le sujet avait déjà été abordé début 2014 sous l’angle de la cohérence réglementaire et normative. Aujourd’hui en effet, les textes réglementaires concernant la construction sont répartis dans pas moins d’une dizaine de Codes, qui concernent presque toutes les administrations, tous les professionnels du bâtiment, tous les professionnels de l’immobilier, les industriels, les assureurs et les particuliers ! Ces groupes de travail ont identifié qu’évaluer les normes et réglementations au regard du rapport coût/bénéfice attendu imposait la mise en place d’une véritable concertation entre les différents acteurs de la construction, en s’appuyant sur le résultat d’études qui évaluent – en coût global – les impacts économiques des décisions prises, ainsi que les conséquences sur la filière construction mais également sur les textes réglementaires et normatifs déjà existants. Impacts des interfaces sur la sinistralité : le 16e Rendezvous Qualité Construction Suite aux rapports des groupes de travail, la ministre du Logement a identifié en mars dernier comme prioritaire la création d’un Conseil supérieur de la construction, qui réunirait de façon transversale les acteurs professionnels et les membres des ministères impliqués dans la démarche de production réglementaire. L’idée est de rendre plus efficace les règles existantes, mais aussi de changer les méthodes de travail au sein des pouvoirs publics et ainsi traiter un important problème d’interface entre acteurs. Le 5 juin, autour de deux tables rondes, le 16e Rendez-vous Qualité Construction a été l’occasion d’aborder les problèmes d’interface sous deux autres aspects. D’une part, les interfaces entre matériaux, l’occasion pour des acteurs de terrain de faire part de leurs expériences et plus particulièrement des méthodes qu’ils ont développées pour pallier les nombreuses difficultés qui peuvent se poser. D’autre part, les interfaces entre les multiples acteurs. Car, y compris dans les petites opérations, le simple triptyque maître d’ouvrage, maître d’œuvre, entreprises n’existe plus. Et les risques de pathologies liées aux difficultés relevant de la multiplicité des acteurs sont d’autant plus importants que les techniques sont en forte mutation, tant par faiblesse dans la démarche séquentielle que par méconnaissance de l’action de l’autre à un moment donné. Ces deux tables rondes ont pour objectif de faire parler vrai l’ensemble des participants pour que nous puissions progresser collectivement. « Il faut rêver très haut pour ne pas réaliser trop bas ». Alfred Capus. Philippe Estingoy La revue Qualité Construction est éditée par l’Agence Qualité Construction. Celle-ci regroupe toutes les professions de la construction autour d’une même mission : améliorer la qualité de la construction et réduire la sinistralité dans le bâtiment. Son statut associatif est le garant de son indépendance. Agence Qualité Construction 29, rue de Miromesnil, 75008 PARIS Tél. : 01 44 51 03 51 – Fax : 01 47 42 81 71 [email protected] Directeur de la publication : Jacques Jessenne Directeur de la rédaction : Philippe Estingoy Rédactrice en chef : Gaëlle Darchen [email protected] Secrétaire de rédaction : Nawel Kajeiou [email protected] Conseils techniques : Erwan Bidan [email protected] Godlive Bonfanti [email protected] Christel Ebner [email protected] Frédéric Henry [email protected] Conception graphique : Pascal Michot Maquette : Nawel Kajeiou Photographie : Dominique Guillemain d’Echon Dessins : Dominique Lizambard Impression : Abaco ZA Chemin de Messines 59350 SAINT-ANDRÉ-LEZ-LILLE Communication/Promotion : Rose-Marie Favier/Corinne Jouanin [email protected] [email protected] Publicité : Sageret – Marie-Lise Scordo 5, rue Saulnier, 75009 PARIS Tél. : 01 70 95 15 62 – Fax : 01 70 95 15 90 Abonnements : « Qualité Construction Abonnement » 4, rue de Mouchy 60438 NOAILLES CEDEX Tél. : 01 55 56 70 53 – Fax : 01 55 56 70 70 Abonnement : 72 € les 6 numéros (1 an) 117 € les 12 numéros (2 ans) 169 € les 18 numéros (3 ans) Commission paritaire n° 0615 G 86720 Bimestriel Hors série novembre 2014 disponible uniquement sur le site Internet www.qualiteconstruction.com NOVEMBRE 2014 • HORS SÉRIE INTERNET • QUALITÉ CONSTRUCTION 3 SOMMAIRE HORS SÉRIE INTERNET • NOVEMBRE 2014 ANIMATION 10 Denis Cheissoux Journaliste, animateur de l’émission CO2 mon amour sur France Inter OUVERTURE DU 16E RENDEZ-VOUS QUALITÉ CONSTRUCTION Signature de la Convention Quinquennale 2015-2019: les points essentiels pour l’AQC et ses partenaires. 06 •Jacques Jessenne, président de l’AQC. INTERFACES TECHNIQUES ET INTERFACES ACTEURS, QUELLES PROBLÉMATIQUES ? La sinistralité des interfaces de la construction, à travers l’Observatoire de la Qualité de la Construction de l’AQC. L’évolution du jeu des acteurs depuis 40 ans. 10 •Philippe Estingoy, directeur général de l’AQC. LA POLITIQUE EUROPÉENNE D’ORGANISATION DU MARCHÉ ET DE SURVEILLANCE DE LA QUALITÉ DES PRODUITS 14 •Arantxa Hernandez Antunez, administrateur 18 principal dans l’Unité «Construction et Politique industrielle durable» de la DG Entreprises et Industrie de la Commission européenne. COMMENT ANTICIPER LES DÉSORDRES GÉNÉRÉS PAR LES INTERFACES TECHNIQUES ? 17 •Dans l’ordre d’intervention : 19 •Guillaume Gauthier, chargé de mission au pôle Risques et expertise à la SMABTP ; 20 •Milena Karanesheva, architecte/co-gérant de l’Atelier Karawitz ; 21 •Olivier Henno, responsable Ingénierie Prévention construction d’Axa France IARD ; 22 •David Morales, administrateur de la Capeb, président de l’Una Métiers et techniques du plâtre et de l’isolation ; 24 •Laurent Peinaud, directeur Qualité SDD de Socotec, membre du comité stratégique de la Coprec Construction ; 25 •Didier Viaud, directeur marketing de K-line, membre du Gip. 4 QUALITÉ CONSTRUCTION • HORS SÉRIE INTERNET • NOVEMBRE 2014 EN PRÉSENCE DE Katy Narcy Sous-directrice de la qualité et du développement durable à la DHUP (MEDDE-MLET) LA POLITIQUE EUROPÉENNE RELATIVE AUX MARCHÉS PUBLICS ET AU RÔLE DU MAÎTRE D’OUVRAGE 28 •Pierre Deslaux, directeur général adjoint de la DG Marché intérieur et Services de la Commission européenne. LES JEUX D’ACTEUR : QUELLES INTERFACES ENTRE LES RÔLES, QUELLES ÉVOLUTIONS ENVISAGEABLES ? 32 17 •Dans l’ordre d’intervention : 33 •Dominique Baroux, direction des marchés IARD à la SMABTP ; 34 •Marie-Luce Bousseton, directrice générale de l’Apij ; 35 •Christian Romon, secrétaire général de la MIQCP ; 36 •Pascal Chombart de Lauwe, architecte à l’Agence Tectône, président de l’Association AMO ; 37 •Éric Perron, directeur Développement immobilier de Grand Lyon Habitat, représentant l’USH ; 38 •Aline Castagna, responsable SAV d’Eiffage Construction, présidente du groupe de travail SAV d’EGF.BTP ; 39 •Pierre Mit, économiste, président de l’Untec. CONCLUSION DES TABLES RONDES 45 43 •Katy Narcy, sous-directrice de la qualité et du développement durable à la DHUP (MEDDE-MLET). CLÔTURE 45 •Jacques Jessenne, président de l’AQC. NOVEMBRE 2014 • HORS SÉRIE INTERNET • QUALITÉ CONSTRUCTION 5 OBSERVATOIRE DE LA QUALITÉ DE LA CONSTRUCTION Ouverture SIGNATURE DE LA CONVENTION QUINQUENNALE 2015-2019 LES POINTS ESSENTIELS POUR L’AQC ET SES PARTENAIRES INTERVENANTS •JACQUES JESSENNE, président de l’AQC (Agence qualité construction). 6 QUALITÉ CONSTRUCTION • HORS SÉRIE INTERNET • NOVEMBRE 2014 IMPACTS DES INTERFACES SUR LA SINISTRALITÉ Jacques Jessenne: Mesdames, Messieurs, je suis très heureux de vous accueillir à ce 16e Rendez-vous Qualité Construction, un rendez-vous toujours important pour l’Agence qualité construction (AQC) qui a fêté ses 30 ans l’année dernière. Comme nous l’avons évoqué lors du 15e RendezVous, l’AQC est devenue incontournable dans le monde de la construction. Mais s’il est important de réfléchir à notre avenir, il est indispensable de conserver nos fondamentaux: l’AQC doit rester un lieu de dialogue et de concertation qui élabore dans le consensus des conseils et des alertes, et qui s’assure de la diffusion de ce savoir. C’est ce qui a guidé l’élaboration de la troisième Convention Quinquennale que nous avons signée en fin de matinée et que je vais vous évoquer plus longuement dans un instant; c’est aussi ce qui a guidé la préparation de ce 16e Rendez-vous Qualité Construction. Le choix du thème de ce Rendez-vous a fait l’objet en décembre dernier de débats tant en Bureau qu’en Conseil d’administration, l’actualité nous ayant fait évoquer de nombreuses idées: • réflexion sur la relation coût-conceptionréalisation; • focus sur l’impact des normes, leurs simplifications, éléments favorables ou pas à la qualité dans la construction; • recherche des responsabilités des différents intervenants sur un chantier (champ des responsabilités des uns et des autres); • impact des nouvelles technologies numériques sur la construction; • organisation et qualité (maîtrise d’ouvrage, maîtrise d’œuvre et entreprises), coûts et qualité. Au final, nous avons choisi de revenir à l’un de nos fondamentaux, à savoir l’exploitation de l’observation, et nous avons retenu le thème: «Observatoire de la qualité de la construction – Impacts des interfaces sur la sinistralité». Nous allons ainsi cet après-midi observer et analyser les pathologies liées à une mauvaise gestion des interfaces. D’une part, les interfaces entre produits (compatibilité des produits, continuité des fonctions, prise en compte des fonctionnalités des produits support…); et d’autre part, les interfaces organisationnelles entre acteurs, avec la multiplication des intervenants et les situations de mauvaise coordination entre eux. Préalablement aux deux tables rondes qui aborderont ces thématiques et dont je salue les participants, Philippe Estingoy, notre directeur général, fera un point sur la sinistralité des interfaces à travers la dernière exploitation de nos bases de données Sycodés et REX Bâtiments performants et une étude pilotée par l’USH (Union sociale pour l’habitat). Nous avons aussi le privilège de recevoir deux représentants de la Commission européenne, que je salue également et qui pourront mettre en perspective nos réflexions. Comme je l’ai indiqué en introduction, nous avons signé avec l’ensemble des contributeurs une nouvelle Convention Quinquennale qui fixe d’une part les orientations de l’AQC pour les années JACQUES JESSENNE Président de l’AQC (Agence qualité construction) “S’il est important de réfléchir à notre avenir, il est indispensable de conserver nos fondamentaux: l’AQC doit rester un lieu de dialogue et de concertation qui élabore dans le consensus des conseils et des alertes, et qui s’assure de la diffusion de ce savoir” 2015-2019, et d’autre part la dotation financière correspondante. Comme je l’avais imaginé dans mon discours en mai 2013, la construction de cette convention a été l’un des sujets importants portés par le directeur général depuis un an: diagnostic, échanges internes et avec les partenaires, travaux avec le Bureau et le Conseil d’administration…, pour aboutir au final à un document détaillé qui a été totalement validé par le Conseil d’administration, puis approuvé et signé ce matin par l’Assemblée générale, avec un financement qui montre toute la confiance que nos partenaires ont dans l’AQC. Je vais ainsi vous donner quelques éléments des orientations et de la contribution qui assure son financement. L’action de l’AQC durant cette convention va s’inscrire dans un contexte où les ruptures seront nombreuses par rapport aux pratiques antérieures, tant au niveau des organisations et des métiers qu’au niveau des pratiques professionnelles sur le chantier. Plusieurs éléments de contexte confortent cette idée : l’évolution des grandes politiques européennes ayant un impact sur la construction, l’évolution des politiques françaises en déclinaison des politiques supranationales et pour répondre à des exigences sociétales (énergie, production de logements, santé dans le logement…), l’évolution de la pathologie telle que l’Observatoire de la Qualité de la Construction de l’AQC peut la qualifier, etc. L’amélioration de la performance énergétique et de la qualité environnementale des bâtiments est à l’origine d’une nouvelle génération de constructions très élaborées, mais dont le fonctionnement et les équilibres sont plus sensibles que par le passé. Dans ce contexte de transition, le recours à des produits et procédés nouveaux se généralise. Les exigences aussi se renforcent et les acteurs de la construction sont confrontés à des obligations de résultats. Ceci implique une montée en compétences, qui se fait par l’expérimentation, étape naturellement génératrice d’erreurs, de désordres… L’AQC est devenue en trente ans un lieu unique, apprécié par tous, où un travail en commun est effectué. Si la non-qualité n’a pas disparu, et loin s’en faut, dans le secteur de la construction, l’AQC, par ses outils d’observation et ses actions, permet aux acteurs d’éviter des dérives et de participer aux progrès collectifs du secteur qui sont maintenant mis en évidence. Les grandes orientations fixées par la Convention Quinquennale 2015-2019 sont les suivantes: • consolider notre dispositif d’observation afin d’avoir les outils adéquats non seulement pour connaître l’évolution des pathologies, mais aussi pour prévenir des sinistres nouveaux en lien avec les évolutions réglementaires; • consolider l’action de la Commission Prévention Produits mis en œuvre (C2P), de sorte que l’analyse de risque des produits et procédés innovants continue à être un élément important d’appréciation par les assureurs, et aussi pour éviter les sinistres sériels; NOVEMBRE 2014 • HORS SÉRIE INTERNET • QUALITÉ CONSTRUCTION 7 OBSERVATOIRE DE LA QUALITÉ DE LA CONSTRUCTION • piloter le dispositif de rédaction des nouvelles Règles de l’art (Programme RAGE) en lien avec les évolutions thermiques réglementaires. Ce dispositif n’est pas encore confirmé puisqu’il dépend bien sûr de son financement qui n’est pas acté à ce jour; • continuer à développer des outils pédagogiques pour prévenir les principales causes de pathologie et adapter les typologies d’outils aux usages actuels et futurs; • toucher effectivement les principaux acteurs de la construction au plus près du terrain, via l’expérimentation de trois délégués régionaux; • mobiliser les réseaux de formation; • mobiliser les particuliers pour qu’ils améliorent leurs actions de maître d’ouvrage et de gestionnaire de leur patrimoine; • tirer les leçons des expériences réussies des maîtres d’ouvrage professionnels; • apprendre de nos partenaires européens et valoriser nos réussites françaises. Des progrès doivent être faits au niveau européen dans le partage des informations sur la sinistralité, car l’AQC reste à ce jour une originalité en Europe. Le financement est assuré par une contribution des signataires de la présente Convention qui s’engagent au financement du programme (excepté l’activité « animation pilotage » du Programme RAGE), pour un montant de 3 213 000 euros annuels. Celui-ci sera actualisé tous les ans sur la durée de la Convention. Ces contributions sont centralisées par la Fédération française des sociétés d’assurances (FFSA) et le Groupement des entreprises mutuelles d’assurances (Gema) qui en assurent la répartition entre leurs membres. Au-delà de ce programme déjà très chargé, l’AQC devra aussi s’adapter à l’actualité et continuer à montrer sa capacité à se mobiliser avec l’ensemble des acteurs sur les sujets émergents, en particulier ceux qui pourront être mis en évidence lors de chaque Rendez-vous Qualité Construction. Nous allons donc être tous très attentifs aux débats de cet après-midi et je remercie par avance notre animateur Denis Cheissoux qui saura mettre en valeur les idées fortes des différents participants. Bon après-midi à tous. ■ “Au-delà de ce programme déjà très chargé, l’AQC devra aussi s’adapter à l’actualité et continuer à montrer sa capacité à se mobiliser avec l’ensemble des acteurs sur les sujets émergents, en particulier ceux qui pourront être mis en évidence lors de chaque Rendez-vous Qualité Construction” 8 QUALITÉ CONSTRUCTION • HORS SÉRIE INTERNET • NOVEMBRE 2014 Cliquez sur cette page et commandez en ligne OBSERVATOIRE DE LA QUALITÉ DE LA CONSTRUCTION Introduction INTERFACES TECHNIQUES ET INTERFACES ACTEURS LA SINISTRALITÉ DES INTERFACES DE LA CONSTRUCTION, À TRAVERS L’OBSERVATOIRE DE LA QUALITÉ DE LA CONSTRUCTION DE L’AQC. L’ÉVOLUTION DU JEU DES ACTEURS DEPUIS 40 ANS. INTERVENANTS •PHILIPPE ESTINGOY, directeur général de l’AQC (Agence qualité construction). 10 QUALITÉ CONSTRUCTION • HORS SÉRIE INTERNET • NOVEMBRE 2014 IMPACTS DES INTERFACES SUR LA SINISTRALITÉ Philippe Estingoy: Les difficultés liées aux interfaces entre objets ne sont pas une spécificité du bâtiment. Lorsqu’elles n’ont pas été anticipées, comme l’actualité nous l’a encore signalé il y a peu de temps, cela peut générer de grosses difficultés et d’importantes dépenses. À la fin du XIXe siècle, l’ingénieur des Ponts et Chaussées Freycinet avait traité la difficulté des interfaces pour les voies navigables en créant un gabarit qui porte son nom et qui était décliné pour les canaux, leurs écluses et autres ouvrages, ainsi que pour les péniches qui pouvaient les emprunter. Plus récemment, pour les chaussées des infrastructures routières, le Laboratoire central des ponts et chaussées (LCPC) avait lui aussi formalisé une référence pour traiter un certain nombre d’interfaces, avec le catalogue des structures de chaussées. Ceci étant, la complexité est bien plus importante dans le domaine du bâtiment qui présente de multiples interfaces, et si des démarches de progrès permettent de prévenir certaines difficultés – au travers entre autres de l’action de l’AQC –, il subsiste encore de nombreuses pathologies liées à une mauvaise – voire à une absence – de gestion des interfaces, qu’elles soient techniques ou organisationnelles. Je vais dans un premier temps vous présenter notre dernière production du Dispositif Sycodés, Sycodés 2014 – Pathologie, en insistant plus particulièrement sur les pathologies liées à une mauvaise gestion des interfaces. Puis je mettrai en avant les problématiques d’interfaces détectées dans des bâtiments performants, telles qu’elles ont été identifiées dans notre Rapport REX Bâtiments performants & Risques et dans une étude équivalente menée à l’initiative de l’USH. Je finirai en évoquant les Fiches interfaces bâtiment, un outil de l’AQC en cours de finalisation, et en insistant sur les enjeux de la phase d’étude dans une opération. Depuis sa création en 1982, l’AQC fonde son action sur l’observation. À l’origine, le Dispositif Sycodés (SYstème de COllecte des DÉSordres) était la ressource unique ; aujourd’hui, il fait partie d’un dispositif d’observation plus complet qui fait référence autant en France qu’au niveau européen. Sycodés 2014 – Pathologie (1) remplace cette année le Tableau de bord Sycodés, qui reste la référence statistique unique en termes d’évaluation des progrès de la prévention des désordres, publié jusqu’alors annuellement depuis 2006. Ce dernier, qui apporte un certain nombre d’autres informations, sera lui aussi actualisé en fin d’année. Sycodés 2014 – Pathologie traduit notre objectif permanent d’amélioration de nos outils d’observation et de leurs «inter-relations». Depuis un an, 26000 nouvelles fiches ont été recueillies, portant à 400000 désordres la base de collecte et d’exploitation de Sycodés. Les désordres expertisés entrent à 80 % dans le cadre de la DommagesOuvrage (DO), majoritairement à l’issue de désordres sur travaux neufs. Cette édition 2014 marque le point zéro des pathologies d’ouvrages traditionnels observées durant près de deux périodes décennales (1995 à 2013), à l’aube du nouveau programme de travail quinquennal de PHILIPPE ESTINGOY Directeur général de l’AQC (Agence qualité construction) (1) Téléchargeable gratuitement sur www.qualiteconstruction.com, aux rubriques « L’Observation » puis « Évaluation et suivi de la prévention ». (2) Consultables gratuitement sur www.qualiteconstruction.com, à la rubrique « Outils pédagogiques ». l’AQC (2015-2019). Pour simplifier la lecture, les désordres sont présentés uniquement par année d’apparition. Le cœur du document est constitué par les 10 éléments d’ouvrage portant les effectifs et les coûts principaux de la pathologie de la construction. Un zoom est ensuite réalisé sur les principales causes techniques de ces désordres, en faisant un lien d’une part, avec nos Fiches pathologie bâtiment (2) pour éclairer les diagnostics dans les ouvrages traditionnels; et d’autre part, avec les constats de notre Dispositif REX Bâtiments performants. Il est aussi proposé des dispositions techniques préventives décrites dans les Recommandations professionnelles issues du Programme RAGE. Sycodés 2014 – Pathologie fait apparaître les grands points suivants: • toutes destinations confondues, 56 % des dommages sont dus à un défaut d’étanchéité à l’eau – une problématique d’interface par définition –, environ 10 % respectivement pour la sécurité d’utilisation et le défaut de stabilité, les autres pathologies (majoritairement des défauts esthétiques) totalisant près de 20 %; • la pathologie en résidentiel, et notamment en maison individuelle, se concentre principalement sur: – les tassements différentiels des fondations superficielles (plus de 20 % du coût de réparation des désordres touchant les maisons individuelles – coût moyen de réparation: 34000 euros), mais aussi les dallages sur terre-plein (un tiers des sinistres sont liés à un sol hétérogène et un autre tiers à des principes constructifs inadaptés ou des dimensionnements mal calculés), – les fissurations ou décollements des revêtements de sol intérieur carrelés (coût moyen de réparation: 8600 euros), qui pour une majorité sont liés à une incompatibilité entre produits (encore un problème d’interface), – les fuites de canalisations encastrées des réseaux d’eau intérieurs (coût moyen de réparation: 3900 euros), – les infiltrations aux droits des points singuliers des couvertures en tuiles de terre cuite (coût moyen de réparation: 3000 euros), – les défauts liés à la fissuration des supports d’enduit monocouche sur façade à base de maçonnerie en blocs de béton (coût moyen de réparation : 4000 euros, toujours un problème d’interface), – les défauts ponctuels d’étanchéité des murs enterrés ou de soubassement (coût moyen de réparation: 4200 euros); • en logement collectif, la pathologie de fréquence inclut en plus: – les infiltrations au droit des jonctions structure/ balcons, qui constituent par nature une interface extrêmement complexe (coût moyen de réparation: 4200 euros), – les défauts de pente des réseaux extérieurs au bâtiment, notamment les réseaux d’eaux usées (coût moyen de réparation: 6100 euros), qui posent la problématique de l’interface entre le bâti et l’existant, NOVEMBRE 2014 • HORS SÉRIE INTERNET • QUALITÉ CONSTRUCTION 11 OBSERVATOIRE DE LA QUALITÉ DE LA CONSTRUCTION – les défauts de liaisons maçonnerie/structure dans le lot menuiserie (coût moyen de réparation pour les menuiseries PVC: 3200 euros); • en désordre sur l’existant, quelle que soit la destination des constructions sinistrées, les éléments d’ouvrage sources de désordre sont principalement les éléments cités ci-dessus, auxquels il faut ajouter les infiltrations au droit des relevés des toitures-terrasses avec isolant et étanchéité autoprotégée (coût moyen de réparation: 4800 euros, coût relatif des désordres: 5,3%), là aussi une problématique majeure d’interface. Notre Rapport REX Bâtiments performants & Risques (3) a pour vocation première d’éviter l’apparition d’une nouvelle génération de désordres par l’accompagnement des professionnels, par l’adaptation des Règles de l’art et par une connaissance qualitative des désordres. Plusieurs centaines d’ouvrage ont été audités par des enquêteurs que nous avons formés et pilotés, qui ont mis en évidence dix points de vigilances majeurs, qui pour la plupart relèvent d’un mauvais traitement des interfaces: • performance de l’enveloppe; • étanchéité à l’air (en particulier le traitement des points singuliers); • séchage insuffisant en phase chantier; • sur ou sous-dimensionnement des équipements; • calorifugeage des réseaux; • complexité des installations techniques; • organisation du local technique; • confort d’été; • qualité sanitaire; • pilotage des opérations. De son côté, le bilan des enseignements réalisé par l’USH dans le cadre d’un programme d’instrumentation de bâtiments thermiquement performants est tout aussi intéressant, au-delà des éléments de satisfaction qu’il comporte, sur les enjeux d’interface. Par exemple, des dispositifs très techniques, peu ou mal maîtrisés par les usagers et les exploitants, 12 (3) La version 3 de ce Rapport, plubié mi-octobre 2014, est téléchargeable gratuitement sur www.qualiteconstruction.com, aux rubriques « L’Observation » puis « Bâtiments performants & Risques ». QUALITÉ CONSTRUCTION • HORS SÉRIE INTERNET • NOVEMBRE 2014 pénalisent l’optimisation recherchée. Un travail avec les industriels serait également bénéfique pour une meilleure ergonomie et une plus grande simplicité d’usage. D’autre part, des modalités constructives devront être précisées pour les nouveaux bâtiments performants passifs (gestion des ponts thermiques entre rez-de-chaussée et soussol, transmissions phoniques, échange de calories entre appartements…), pour une cohérence globale avec les exigences énergétiques et thermiques. Ces deux constats soulignent les enjeux d’interface tant entre produits qu’entre acteurs, ce qui permet à l’USH de tirer trois enseignements directement liés aux interfaces. Premièrement, nous sommes sur une génération de bâtiments et d’équipements très sensibles, pour lesquels un écart ou un défaut de réglage provoque non seulement des surconsommations systématiques mais également des dysfonctionnements pouvant mettre en péril l’installation globale (fonctionnement, pérennité des équipements…). Deuxièmement, la plupart des produits performants dits «innovants» sont encore en phase de maturation, et n’atteignent pas toujours les résultats attendus, de par leur conception, leur mise en pose, leur exploitation (avec des coûts de maintenance plus élevés) ou l’usage qui en est fait (voire les quatre cumulés). Troisièmement, nous sommes encore dans une logique de pose d’équipements aux caractéristiques performantes, mais considérés de façon isolés et non systémiques, où chacun des acteurs intervient selon des modes de faire déjà acquis et inadaptés en ce cas. Or, la performance globale d’un bâtiment n’est pas égale à la somme des performances des équipements. La coordination insuffisante des différentes entreprises et la dilution de la chaîne de responsabilité doivent amener à changer de paradigme. Ce qui amène l’USH à poser une question: «Seule une bonne conception des équipements sur le long terme permet le maintien des performances dans la IMPACTS DES INTERFACES SUR LA SINISTRALITÉ durée. Il faudrait faire bénéficier les industriels de ce retour d’expériences et exigences, mais comment mettre en place une telle coopération fructueuse dans le cadre actuel des marchés publics ou affiliés?» Les acteurs qui interviennent dans la vie d’un ouvrage sont de plus en plus nombreux: maître d’ouvrage, architecte, contrôleur technique, contrôleurs divers, maître d’œuvre et bureaux d’études spécialisés pour répondre à la complexité croissante des projets et à la multiplicité des exigences, entrepreneurs, utilisateurs… La réussite d’une opération de construction repose en partie sur la qualité des informations échangées entre eux. Un désordre peut survenir si une information n’a pas été donnée au bon moment ou parce qu’on a oublié un interlocuteur… Les premiers retours sur les bâtiments performants ont fait apparaître que les interfaces entre acteurs sont devenues encore plus sensibles, donnons comme exemple la préservation du travail des autres dans le cadre de la perméabilité à l’air. C’est pourquoi l’AQC, en collaboration avec les organisations professionnelles, a créé les Fiches interfaces bâtiment (4), qui s’adressent aux maîtres d’œuvre, maîtres d’ouvrage professionnels, coordinateurs de chantier… Chaque fiche s’attache à un élément d’ouvrage (chauffe-eau solaire individuel, toiture-terrasse, isolation par l’extérieur…) et rappelle, en suivant la logique du déroulement d’une opération depuis sa conception jusqu’à son utilisation, les principales natures d’informations que les acteurs doivent s’échanger. Ces fiches ne traitent donc pas de technique, mais bien d’organisation entre acteurs! Onze fiches sont actuellement disponibles sur le site de l’AQC (et d’autres suivront d’ici la fin de l’année) sur les thématiques suivantes: • «Sols et fondations»; • «Voies et réseaux divers»; (4) Téléchargeables gratuitement sur www.qualiteconstruction.com, aux rubriques « Outils pédagogiques » puis « Fiches interfaces bâtiment ». • «Éléments préfabriqués en béton»; • «Couvertures en petits éléments»; • «Couverture en grands éléments»; • «Toiture-terrasse»; • « Isolation par l’extérieur + parement enduit mince»; • «Plancher Chauffant avec revêtement de sol»; • «VMC simple flux»; • «VMC double flux»; • «Chauffe-eau solaire individuel». Enfin, je terminerai par un sujet majeur, qui est l’enjeu des études. Le graphique ci-dessus vous présente l’impact de chacune des phases sur le coût réel global d’une construction cumulé sur sa durée de vie. La courbe rouge est la courbe du cumul des dépenses directes. La courbe verte correspond au cumul des dépenses induites par les décisions et actions prises à un moment donné. • Phase 1: l’achat du terrain, qui au-delà de son coût direct, peut générer des dépenses futures induites par le choix du terrain. • Phase 2 : la passation des marchés de travaux. Les coûts des études qui permettent la passation des marchés de travaux sont très faibles au regard des dépenses qu’elles induisent pour les travaux et la vie de l’opération. Conclusion: les impasses sur les études coûtent au final très cher. • Phase 3: la réception des travaux. Pendant les travaux, les paiements sont supérieurs aux dépenses induites. • Phase 4: la fin de vie du bâtiment avec sa démolition. Tout au long de la vie du bâtiment, les dépenses P ont été induites par les phases antérieures, y compris le coût de la démolition. En résumé, toutes les impasses faites pendant la phase études coûtent très cher tout au long de la vie du bâtiment. Je vous remercie pour votre attention. ■ NOVEMBRE 2014 • HORS SÉRIE INTERNET • QUALITÉ CONSTRUCTION 13 OBSERVATOIRE DE LA QUALITÉ DE LA CONSTRUCTION Zoom sur… LA POLITIQUE EUROPÉENNE D’ORGANISATION DU MARCHÉ ET DE SURVEILLANCE DE LA QUALITÉ DES PRODUITS ANIMATION DENIS CHEISSOUX Journaliste, animateur de l’émission CO2 mon amour sur France Inter 14 INTERVENANTS ARANTXA HERNANDEZ ANTUNEZ Administrateur principal dans l’Unité « Construction et Politique industrielle durable » de la DG Entreprises et Industrie de la Commission européenne QUALITÉ CONSTRUCTION • HORS SÉRIE INTERNET • NOVEMBRE 2014 IMPACTS DES INTERFACES SUR LA SINISTRALITÉ Arantxa Hernandez Antunez: Merci de m’avoir invitée à participer à cette rencontre annuelle, car c’est pour la Commission européenne un moment précieux qui permet de comprendre ce que le secteur de la construction pense et ressent en France. Je tiens aussi à remercier l’Agence qualité construction pour le travail qu’elle mène qui est fondamental à mon sens, ce point de vue étant partagé par la Commission européenne et les institutions européennes en général. Mon intervention porte sur le sujet de la politique européenne d’organisation du marché et de surveillance de la qualité des produits. Avant tout, il faut rappeler que nous essayons actuellement au niveau européen de sortir d’une récession économique sans précédent et que le secteur de la construction a été fortement touché par cette crise. De ce fait, l’Union européenne a travaillé sur une stratégie ayant pour objectif de parvenir à une croissance intelligente, durable et génératrice d’emplois. Par ailleurs, le secteur de la construction est stratégique pour l’économie européenne puisqu’il représente une grande partie du Produit intérieur brut (PIB). La Commission européenne a donc lancé aussi une stratégie pour permettre un développement durable et une compétitivité de l’industrie. Dans ce contexte, la Commission s’est fixé différentes priorités dans cinq domaines, et je vais évoquer les domaines les plus pertinents pour le travail de l’Agence qualité construction. Le premier domaine concerne le renforcement du marché intérieur, très lié bien sûr à la libre circulation des produits en Europe, qui est le principe qui régit le Règlement des constructions et des produits de construction dont je vais parler tout à l’heure. Dans cet objectif de renforcement, nous travaillons sur deux axes très importants: la surveillance efficace du marché, tâche fondamentale, l’information aux entreprises, aux citoyens ainsi que l’échange d’informations, afin d’assurer la libre circulation des produits et la libre prestation des services. Concernant les assureurs, il y a dans cette stratégie l’objectif de faciliter l’assurance transfrontalière, la reconnaissance à terme des assurances conclues dans un État membre pour que les produits et les services puissent circuler. C’est un objectif que vous connaissez bien à travers le projet Elios, qui est l’un des outils de la Commission focalisés sur le secteur de la construction. Le deuxième domaine a trait à l’utilisation efficace des ressources et à la performance environnementale et énergétique, qui est, comme vous le savez ARANTXA HERNANDEZ ANTUNEZ Administrateur principal dans l’Unité « Construction et Politique industrielle durable » de la DG Entreprises et Industrie de la Commission européenne bien, un des défis actuels aux niveaux européen et mondial. Il y a un large soutien au niveau européen pour permettre le développement de produits innovants en lien avec le développement durable. Différentes pistes sont donc en train d’être dessinées pour avoir des règles harmonisées, afin de déclarer la performance de ces produits innovants sur le plan du développement durable, et d’exprimer la performance de la même façon à travers toute l’Europe. Le troisième volet, que je voudrais mentionner parce qu’il permet d’améliorer en fin de compte la qualité des bâtiments, concerne la formation et la qualification des professionnels. Alors que des produits peuvent être très bien conçus et réalisés, leurs performances peuvent être conditionnées par la manière de les mettre en œuvre qui est essentielle. Nous nous sommes rendus compte à l’échelle de l’Europe que des professionnels peuvent ne pas être qualifiés pour mettre en œuvre des produits, surtout les nouveaux produits innovants. Cette stratégie est gérée par la Commission européenne, mais elle compte s’appuyer sur le savoir des industries et des États membres et va les consulter sur la meilleure façon, selon eux, de mettre en œuvre cette stratégie. C’est pour cette raison que nous avons des réunions fréquentes avec les États membres et l’industrie, et nous sommes heureux de connaître les opinions aux niveaux nationaux et régionaux, afin d’avoir la meilleure stratégie et les meilleurs moyens d’atteindre ces objectifs. J’arrive maintenant au sujet fondamental de la politique européenne d’organisation du marché. Je vais me focaliser sur le Règlement des produits de construction car les autres réglementations sont moins pertinentes pour la construction. Vous le savez, ce Règlement a été adopté en 2011 mais n’est en vigueur que depuis juillet 2013, donc très récemment. Il a pour objectif de faciliter le mouvement des produits sur le marché intérieur, tout en tenant compte de la protection des intérêts publics, et le plus important d’entre eux est la sécurité. Afin d’assurer cette sécurité, le Règlement comprend des conditions de mise sur le marché des produits de construction, qui elles-mêmes impliquent des obligations d’informations sur la performance des produits, leurs caractéristiques, mais aussi des obligations d’instructions sur la façon d’utiliser les produits, sur la sécurité de ces produits…, très utiles pour les professionnels qui vont réaliser des calculs de construction, ainsi que pour ceux qui vont mettre en œuvre ces produits dans les bâtiments. Il est essentiel que cette information “Le Règlement européen des produits de construction comprend des conditions de mise sur le marché des produits, qui elles-mêmes impliquent des obligations d’informations sur la qualité des produits, leurs caractéristiques, la performance, mais aussi des obligations d’instructions sur la façon d’utiliser les produits, sur la sécurité de ces produits…” NOVEMBRE 2014 • HORS SÉRIE INTERNET • QUALITÉ CONSTRUCTION 15 OBSERVATOIRE DE LA QUALITÉ DE LA CONSTRUCTION “Les paquets législatifs sur la sécurité des produits et la surveillance des marchés devraient améliorer la traçabilité, la sécurité ainsi que la surveillance des marchés, qui doivent être coordonnées au niveau européen” arrive à son destinataire, qu’elle soit considérée sérieusement par chacune des personnes, sinon nous n’arriverons pas à atteindre l’objectif de la sécurité par l’information. L’autre élément essentiel du Règlement qu’il est important de mentionner ici est que la performance des produits est basée sur des normes communes pour réaliser des essais sur les produits, essais faits par des organismes accrédités, certifiés, sur la base des critères communs en Europe. Tout cet ensemble implique qu’un produit de construction mis sur le marché et conforme à toutes les exigences de ce Règlement respecte des normes harmonisées et très strictes sur la façon de réaliser les tests. En fin de compte, c’est aussi une garantie de fiabilité par rapport aux performances qui ont été déclarées par le fabricant. Je veux évoquer deux autres éléments qui me paraissent essentiels et innovants dans ce Règlement, à savoir la clarification des obligations des acteurs économiques et la surveillance des marchés. Premièrement, pour rappeler ce que j’ai dit tout à l’heure, ce Règlement établit de manière beaucoup plus claire les obligations de chaque acteur, du fabricant, du représentant du fabricant, de l’importateur, du distributeur,etc., afin d’assurer que l’information arrive à l’utilisateur final. Deuxièmement, la surveillance des marchés est un point clé du système, comme elle l’est dans toutes les autres réglementations d’harmonisation sur les produits en Europe. Sans surveillance – efficace – du marché, celui-ci n’est pas crédible, et les industries ne sont pas dans un environnement de compétitivité égal car des acteurs abuseront et seront malhonnêtes, ce qui jouera évidemment contre les acteurs qui respectent la réglementation. Cet élément essentiel est d’ailleurs à l’origine de la proposition de la Commission d’amender la Directive sur la sécurité des produits et en même temps la réglementation sur la surveillance des marchés, puisque ces sujets sont extrêmement liés (l’information sur la sécurité des produits et la surveillance du respect des obligations). C’est le paquet de propositions législatives publiées par la Commission en 2013, et actuellement en train d’être discutées au Conseil et au Parlement. Côté Directive sur la sécurité des produits, ces propositions législatives ont pour objectif de clarifier les obligations des acteurs économiques, afin d’être sûrs que chacun sache ce qu’il doit faire et que personne n’abusera du système, et aussi d’améliorer la traçabilité des produits par des informations sur l’origine et la qualité des produits. Ceci est lié au débat sur l’origine nationale des produits en Union européenne, et permettra donc aux consommateurs 16 QUALITÉ CONSTRUCTION • HORS SÉRIE INTERNET • NOVEMBRE 2014 d’avoir plus de confiance dans l’origine d’un produit, alors qu’aujourd’hui on ne sait plus en fin de compte d’où vient un produit ayant traversé plusieurs pays. Mais cela permettra aussi aux autorités de surveillance des marchés d’exercer leurs fonctions beaucoup plus facilement en allant directement au pays dans lequel les produits ont été fabriqués. Côté réglementation de la surveillance des marchés, qui est plus dans le champ de compétence de la Direction générale des entreprises et industries, il y a deux grands progrès dans la proposition de la Commission. Tout d’abord elle prévoit une simplification législative: actuellement, les réglementations sur la surveillance des marchés sont contenues dans chacun des textes réglementant les différents produits, ce qui aboutit parfois à des incohérences et des manques de coordination. Nous souhaiterions donc qu’il n’y ait plus qu’un seul texte réglementaire et un système d’échange d’informations pour tous les produits, ce qui faciliterait le travail et rendrait le système plus cohérent. La proposition va aussi dans le sens d’une coopération plus étroite entre les autorités de surveillance des marchés pour pouvoir surveiller mieux et de manière plus ciblée les frontières extérieures de l’Union, afin de réagir plus efficacement. Ces textes sont en train d’être discutés par le Parlement européen qui a déjà pris une position au mois d’avril, et nous attendons désormais la position du Conseil pour pouvoir avancer dans les débats. Les propositions sont assez satisfaisantes pour le moment, et nous sommes donc sur la bonne voie. Pour conclure, je voudrais dire que la politique européenne d’organisation des marchés, qui concerne la libre circulation des biens, est fondée sur la protection de la sécurité et la surveillance des marchés. Sans un bon fonctionnement, nous n’arriverons pas à un vrai marché intérieur et une vraie sécurité. J’aimerais également insister sur le fait que le Règlement des produits de construction est un outil très précieux pour améliorer la sécurité et pour continuer à améliorer la culture d’utilisation de l’information à des bonnes fins. De leur côté, les paquets législatifs sur la sécurité des produits et la surveillance des marchés devraient améliorer la traçabilité, la sécurité ainsi que la surveillance des marchés, qui doivent être coordonnées au niveau européen. Dans les mois à venir, nous allons lancer une large consultation publique pour évaluer l’implémentation et la mise en œuvre du Règlement des produits de construction. Ce sera très intéressant pour la Commission de voir comment le secteur de la construction en France a vécu la mise en place du Règlement au niveau national. Merci beaucoup pour votre attention. ■ Cliquez sur cette page et commandez en ligne OBSERVATOIRE DE LA QUALITÉ DE LA CONSTRUCTION 1re table ronde COMMENT ANTICIPER LES DÉSORDRES GÉNÉRÉS PAR LES INTERFACES TECHNIQUES ANIMATION DENIS CHEISSOUX Journaliste, animateur de l’émission CO2 mon amour sur France Inter INTERVENANTS Dans l’ordre d’intervention : •GUILLAUME GAUTIER, chargé de mission au pôle Risques et expertise à la SMABTP (Société mutuelle assurances bâtiment et travaux publics) ; •MILENA KARANESHEVA, architecte/co-gérant de l’Atelier Karawitz ; •OLIVIER HENNO, responsable Ingénierie Prévention construction d’Axa France IARD ; •DAVID MORALES, administrateur de la Capeb (Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment), président de l’Una-MTPI (Métiers et techniques du plâtre et de l’isolation) ; •LAURENT PEINAUD, directeur Qualité SDD de Socotec, membre du comité stratégique de la Coprec Construction (Confédération des organismes indépendants de prévention, de contrôle et d’inspection) ; •DIDIER VIAUD, directeur marketing de K-line, membre du Gip (Groupement industrie promotion). 18 QUALITÉ CONSTRUCTION • HORS SÉRIE INTERNET • NOVEMBRE 2014 IMPACTS DES INTERFACES SUR LA SINISTRALITÉ Denis Cheissoux: Bonjour à toutes et à tous et bienvenue au 16e Rendez-vous annuel de l’Agence qualité construction (AQC). Le thème de la problématique des interfaces qui nous réunit aujourd’hui a été posé en préambule par Philippe Estingoy, et nous allons dans une première table ronde nous attacher aux interfaces techniques et à l’anticipation des désordres qu’elles peuvent créer. Guillaume Gautier, vous êtes chargé de mission au pôle Risques et expertise à la SMABTP, donc spécialiste de l’analyse des risques. Pouvons-nous commencer par un exemple concret que vous avez pu observer sur le terrain? Guillaume Gautier: Tout d’abord, je ne peux que souscrire à tous les exemples de problématiques d’interface cités par Philippe Estingoy. Effectivement, j’ai pu observer récemment sur un bâtiment quelques déboires vis-à-vis de l’étanchéité à l’air, avec un résultat final qui n’apportait pas la durabilité requise, en raison d’une bande adhésive qui n’avait pas été prévue pour avoir les mêmes performances avec l’ensemble des matériaux sur lesquels elle devait adhérer. Cela touche à la question de la qualité et de l’évaluation du produit : a-t-il bien été choisi pour l’ensemble de ses fonctions de service et pas uniquement vis-à-vis de la sécurité ? Est-il prévu pour sa durabilité et pas seulement pour sa qualité de service à la réception ? Il ne faut pas que le cadre permettant l’ouverture des marchés se limite à garantir la sécurité de l’usage ou à assurer une qualité de service à un instant donné, il faut garantir une fonction de façon pérenne. C’est bien cette question fondamentale de durabilité que nous recherchons en tant qu’assureurs ou professionnels de l’analyse des risques. D.C.: Oui, et j’ai évoqué volontairement cet exemple pour bien montrer qu’une bande collante pouvait mettre en péril tout un édifice. Concernant cette question essentielle, le fait de décliner des normes est-il suffisant? G.G.: Les normes prescrivent un certain nombre de tests, mais qui, encore une fois, ne visent pas forcément la durabilité. Certains produits liés aux énergies renouvelables répondent à des normes et à des tests, sont parfaitement en règle avec la normalisation européenne mais pour autant peuvent visiblement poser quelques soucis au niveau de leur durabilité. En réalité, les normes peuvent ne pas répondre dans leur ensemble à toutes nos problématiques. C’est bien pour cette raison qu’avec la FFSA nous favorisons au niveau national des évaluations complémentaires et un examen de l’assurabilité des produits au sein de l’AQC. Nous recherchons la meilleure qualité de service de ces produits et pas seulement le respect d’une norme «sécurité». GUILLAUME GAUTIER G.G.: C’est effectivement un sujet délicat, car certains produits sur le marché, aujourd’hui en Europe, répondent a priori à l’ensemble des normes européennes, et pour autant la qualité de service n’est pas au rendez-vous. En effet, nous constatons une durabilité de seulement 3 ans au lieu de 10, 15, 20 ou 25 ans. Et ce sont bien les assureurs qui sont confrontés au problème en bout de chaîne. Et sans assureurs, pas de développement de marché. D.C.: Merci. Milena Karanesheva, vous êtes archi- Chargé de mission au pôle Risques et expertise à la SMABTP (Société mutuelle assurances bâtiment et travaux publics) “Il ne faut pas que le cadre permettant l’ouverture des marchés se limite à garantir la sécurité de l’usage ou à assurer une qualité de service à un instant donné, il faut garantir une fonction de façon pérenne” tecte et co-gérante de l’Atelier Karawitz. Selon vous, la science du bâtiment a-t-elle les outils nécessaires pour appréhender la complexité grandissante des bâtiments que nous vivons? Milena Karanesheva: J’ai envie de dire oui. Le développement des outils informatiques de ces deux dernières décennies a permis d’échanger et de cumuler énormément de connaissances au niveau du bâtiment et de la société, et parallèlement le développement des matériaux et des systèmes est indéniable. D.C.: Des matériaux ou des systèmes? M.K. : C’est justement la question. Il y a deux décennies, on parlait de mur en parpaing avec enduit, etc. Aujourd’hui, les fabricants et gros industriels parlent plus de systèmes de matériaux. Un mur n’est plus seulement un mur mais tout un complexe comprenant une partie constructive, une partie isolante, une partie qui gère l’hygrométrie avec des freins vapeur, et de part et d’autre des produits de parement. Autre exemple, les industriels qui proposaient autrefois des isolants affichent aujourd’hui toute la gamme liée à cette isolation: les membranes adéquates, les produits pour l’étanchéité… La branche des produits pour l’étanchéité à l’air s’est, en particulier, énormément développée ces derniers temps. D.C.: Vous concevez essentiellement des maisons passives, voire à énergie positive, donc à technologie avancée. Pour vous, connaître à la fois les matériaux et leurs interfaces techniques avec l’environnement est-il essentiel? M.K.: C’est absolument essentiel, faute de quoi le résultat n’est pas au rendez-vous, et on le constate très rapidement. Aujourd’hui, nous avons à disposition une gamme de produits immense, donc il nous faut avant tout les connaître, ce qui n’est pas évident et suppose de lire beaucoup de fiches techniques, etc. Par ailleurs, si je reprends l’exemple de l’étanchéité à l’air évoqué tout à l’heure, nous avons affaire à des supports très différents: bois, béton, métal. Or les bandes adhésives ne sont pas interchangeables, celles appropriées au bois ne collent pas sur le béton et inversement. Il faut donc le savoir et choisir le bon produit. D.C.: Le domaine des panneaux photovoltaïques, que vous connaissez bien, reflète-t-il cette problématique? D.C.: Le concepteur connaît-il effectivement les matériaux qu’il utilise? NOVEMBRE 2014 • HORS SÉRIE INTERNET • QUALITÉ CONSTRUCTION 19 OBSERVATOIRE DE LA QUALITÉ DE LA CONSTRUCTION M.K.: C’est différent pour chaque concepteur. Dans notre agence, nous effectuons d’importantes recherches en termes de documentation, mais nous travaillons aussi beaucoup en direct avec les fabricants, les entreprises et les ingénieurs pour avoir des retours d’expérience et différents points de vue. Car il n’y a pas que le produit en lui-même qui compte, mais bien évidemment la mise en œuvre, la logistique du chantier et la façon dont celui-ci va se dérouler. Il faut par exemple se demander si le produit que nous avons choisi peut être intégré dans le planning chantier sans perturber les autres corps d’état. L’étanchéité à l’air par enduit, à ce titre, a des conséquences sur le planning. Le bâtiment devient en fait de plus en plus complexe et cette démarche nous semble incontournable. D.C.: Cela signifie que votre métier d’architecte est en train d’évoluer assez vite. N’est-ce pas le thermicien qui va prendre la main? Vous, vous êtes également ingénieur donc vous connaissez la physique? M.K.: Absolument. Après, cela dépend des architectes et de leur école. Il est vrai que le bâtiment est un objet physique, donc nous essayons de comprendre comment la physique du bâtiment fonctionne car c’est bien de là que viennent les problèmes, par exemple les sinistres liés à la condensation. Quant au niveau auquel la physique doit être connue, je pense que l’idéal est ce travail d’équipe. Étant donné que la performance énergétique est calculée essentiellement par les thermiciens (quelques architectes le font), il peut arriver que certaines prescriptions ou lignes directives soient données par eux. MILENA KARANESHEVA Architecte/co-gérant de l'Atelier Karawitz “Chacun, nous y compris, doit faire part de ses propres contraintes ou de ses propres idées, et doit écouter celles des autres” D.C.: En somme, il faut tendre vers un équilibre qui résulte des différentes compétences des acteurs, afin de ne pas aboutir à des boîtes à 20 QUALITÉ CONSTRUCTION • HORS SÉRIE INTERNET • NOVEMBRE 2014 chaussures « monstrueuses » parfaitement étanches… Si l’on prend l’exemple des ponts thermiques, un sujet qui a beaucoup évolué, quelle est votre approche de travail pour éviter des sinistres ultérieurs? M.K.: Il y a différentes approches. Nous, nous travaillons depuis très longtemps avec l’isolation par l’extérieur. Le passage entre l’extérieur et l’intérieur est assez délicat car c’est là notamment que se situent les ponts thermiques. Cette problématique des ponts thermiques se traite au niveau du détail de l’enveloppe. Et l’enveloppe est du ressort de l’architecte, car ce même détail a des conséquences techniques mais aussi esthétiques. En effet, une bavette sur un appui de fenêtre n’aura pas le même rendu selon la façon dont elle a été réalisée. Cela signifie pour nous architectes, qu’il est important de traiter ce point et surtout de le traiter dans son ensemble, c’est-àdire dans ses interactivités avec l’ouvrage. D.C. : Comment faites-vous justement pour le traiter dans toutes ses interactivités avec son environnement? M.K. : Notre agence travaille avec le thermicien depuis l’esquisse, et très en amont aussi avec l’ingénieur structure puisqu’il intervient notamment sur les façades. Chacun, nous y compris, doit faire part de ses propres contraintes ou de ses propres idées, et doit écouter celles des autres. Nous, architectes, devons essayer de jouer le rôle d’intermédiaire car le thermicien ne voit pas toujours les contraintes de l’ingénieur structure, et vice-versa. Cela nécessite parfois quelques explications, mais se passe très bien dès lors qu’on travaille en équipe. C’est très enrichissant de travailler en équipe car on apprend, on comprend mieux certaines logiques, et c’est aussi plus IMPACTS DES INTERFACES SUR LA SINISTRALITÉ efficace puisqu’on n’est pas obligés de revenir sur certaines choses qui n’auraient justement pas été vues sans discussion. Mais tout cela n’est bien sûr possible que si chacun respecte les intérêts et contraintes des autres et la façon dont ils fonctionnent. OLIVIER HENNO quatre-vingt-dix on a perdu un peu de vigueur dans ces dispositifs d’autocontrôle pour des raisons économiques, de délais, etc. Mais aujourd’hui la notion d’autocontrôle redevient indispensable : elle va notamment permettre d’assurer une bonne liaison entre les différents acteurs, étant donné qu’aujourd’hui plus on intervient tard dans une opération de construction, plus on est responsable de ce qui a été fait et donc plus on est susceptible d’accumuler les problèmes. D.C.: Merci. Olivier Henno, vous êtes chez Axa à la tête du service qui assure le lien entre ceux qui font les contrats et ceux qui indemnisent, vous vous intéressez donc beaucoup à la sinistralité. Quel est votre constat en matière de sinistralité liée aux interfaces techniques? Olivier Henno: Dans l’analyse que nous faisons des sinistres construction, je confirme totalement le fait qu’il y a aujourd’hui beaucoup de problèmes d’interfaces entre les différents métiers du bâtiment. Concernant les raisons, je rejoins les propos de Guillaume Gautier sur les référentiels techniques. Les normes donnent des spécifications sur des produits, mais il ne faut pas oublier la mise en œuvre. Par exemple, est-ce que les caractéristiques et spécifications des panneaux photovoltaïques dans les normes européennes répondent bien à ce qu’on demande à un panneau intégré au bâti, qui est le mode de mise en œuvre qu’a privilégié la France à l’inverse de la surimposition choisie par les autres pays européens? Nous avons quelques retours qui nous font penser que ce n’est pas tout à fait le cas. Il nous faut donc d’autres référentiels nous permettant d’encadrer cette mise en œuvre. Nous assureurs, sommes très attachés à un référentiel technique qui est le Document Technique Unifié (DTU). Pour autant, le DTU ne résout pas tout non plus, en l’occurrence le sujet des interfaces entre métiers du bâtiment n’est pas toujours bien décrit. D.C.: C’est-à-dire qu’un DTU va porter sur une technique d’un métier sans forcément prendre en compte celle d’un autre? O.H.: Exactement, le DTU ne va pas forcément décrire par exemple l’interface entre le métier du couvreur et le métier du charpentier. Or la gestion des interfaces est aujourd’hui indispensable avec l’avènement de la RT 2012. En plus d’une meilleure description des interfaces, l’une des clés, selon moi, serait de revenir à la notion d’autocontrôle des entreprises. D.C.: Ce qui nous fait quelque peu revenir vers les années 80-90? O.H.: Effectivement, même si à partir des années Responsable Ingénierie Prévention construction d’Axa France IARD D.C.: Madame Hernandez Antunez a tout à l’heure parlé d’améliorations à venir sur la traçabilité des produits. Est-ce aussi pour vous un aspect essentiel? O.H.: En tant qu’assureur d’une entreprise, c’est effectivement important pour nous de connaître son cadre d’intervention exact, car cela permet de circonscrire sa responsabilité et de pouvoir mieux la défendre en situation de sinistre. Cela passe bien sûr par une traçabilité de l’ensemble des éléments qui constituent l’intervention de ladite entreprise. En situation de réparation d’un ouvrage et donc d’indemnisation, nous pouvons ainsi circonscrire cette réparation et proposer une indemnisation au juste prix. Nous ne sommes pas spécialement partisans de la solution démolition-reconstruction, à condition bien sûr d’obtenir le même niveau de performance final et de satisfaction du lésé. Mais effectivement, pour pouvoir mener à bien notre mission, nous devons avoir une traçabilité des conditions d’intervention. Prenons l’exemple des résines de sol coulées, un domaine d’activité très spécifique qui nous a valu des sinistres importants il y a quelques années, car pouvant engendrer, au-delà des seuls désordres sur le sol, des dommages immatériels extrêmement coûteux quand l’activité doit être stoppée (dans les locaux agroalimentaires notamment). Pour que l’activité soit maintenue, il est indispensable de pouvoir circonscrire le désordre, donc de savoir ce qui s’est passé et ce qu’a fait l’entreprise, ce qui permettra de faciliter le travail de l’expert et du maître d’œuvre en réparation, et par conséquent de réparer une partie seulement des revêtements de sol coulés si d’autres parties sont satisfaisantes, plutôt que de refaire l’intégralité de la surface. D.C.: À une autre échelle, avez-vous constaté une incompatibilité technique, donc un problème d’interfaces, entre les différentes réglementations actuelles, la RT 2012, le parasismique, l’accessibilité, etc.? “Aujourd’hui, la notion d’autocontrôle redevient indispensable: elle va notamment permettre d’assurer une bonne liaison entre les différents acteurs, étant donné qu’aujourd’hui plus on intervient tard dans une opération de construction, plus on est responsable de ce qui a été fait et donc plus on est susceptible d’accumuler les problèmes” NOVEMBRE 2014 • HORS SÉRIE INTERNET • QUALITÉ CONSTRUCTION 21 OBSERVATOIRE DE LA QUALITÉ DE LA CONSTRUCTION O.H.: Tout à fait, je citerai spontanément le rupteur de pont thermique, un exemple que beaucoup connaissent bien. Il est favorisé par la réglementation thermique pour des raisons évidentes de performance, puisqu’il assure la continuité intérieure de l’isolation thermique sur toute la hauteur du bâtiment. Sauf que cela devient beaucoup plus compliqué de satisfaire dans le même temps la réglementation parasismique parce qu’il y a des enjeux de structure; sans entrer dans le détail, les fonctions tirant-buton et de diaphragme au niveau du plancher ne seront pas aussi efficaces en présence de rupteurs de pont thermique. Bien évidemment, il ne s’agit pas de s’affranchir des rupteurs, mais en revanche il faut une collaboration et une concertation étroites entre le bureau d’études thermiques et le bureau d’études de structure pour obtenir le meilleur compromis de conception. Guillaume Gautier : À propos des ponts thermiques, je voudrais juste souligner qu’André Poujet (N.D.L.R.: du bureau d’études thermiques André Pouget) a réagi cette semaine dans Le Moniteur sur l’obligation de traiter le pont thermique mur-dalle qui pourrait être supprimée par le ministère. Pour le coup, nous serions servis en termes de générations de moisissures et de condensation… D.C.: Merci. David Morales, vous êtes administrateur de la Capeb, président de l’Union nationale des artisans pour les métiers et techniques du plâtre et de l’isolation (Una–MPTI), et vous-même plaquiste, donc quotidiennement au cœur d’interfaces de matériaux, notamment avec l’électricité. Comment s’articule votre travail de chaînage entre différents corps d’état? David Morales: Pour travailler ensemble, je crois que le premier point essentiel est de connaître les autres et de discuter avec eux. Si nous n’expliquons pas les raisons pour lesquelles nous créons une étanchéité à l’air, et si nous n’essayons pas de comprendre comment un autre artisan amène l’électricité dans les pièces, nous aurons du mal à travailler ensemble. Lors de la première réunion de chantier, tous les corps d’état sont normalement là justement pour échanger les uns avec les autres et expliquer ce que chacun va faire. Il faut savoir écouter et aussi savoir être humble pour arriver à déterminer ensemble les points où chacun risque de faire une erreur. C’est aussi le rôle de l’architecte quand il est présent, mais s’il n’est pas là ou s’il n’y en a pas – ce qui est le cas d’une grande majorité des chantiers –, nous devons le faire nous-mêmes. Je vais donner quelques exemples. De par ma fonction à la Capeb, je suis amené à travailler sur les DTU. L’année dernière, en nous penchant sur le DTU des plaques de plâtre, nous nous sommes demandés, concernant le sujet de l’étanchéité à l’air, si les murs en maçonnerie livrés aux plaquistes par les maçons étaient étanches ou pas. Ceux-ci nous ont répondu par l’affirmative, mais ont été obligés au final de réaliser des tests car aucune preuve n’existait. Personne, jusqu’à maintenant, 22 DAVID MORALES Administrateur de la Capeb (Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment), président de l’UnaMTPI (Métiers et techniques du plâtre et de l’isolation) “Lors de la première réunion de chantier, tous les corps d’état sont normalement là justement pour échanger les uns avec les autres et expliquer ce que chacun va faire. Il faut savoir écouter et aussi savoir être humble pour arriver à déterminer ensemble les points où chacun risque de faire une erreur” QUALITÉ CONSTRUCTION • HORS SÉRIE INTERNET • NOVEMBRE 2014 n’avait en fait pensé à la question de l’étanchéité à l’air des murs en briques ou en blocs parpaings. Donc, si nous voulons que les DTU du plâtrier puissent suivre les DTU des maçons, nous devons commencer à travailler ensemble. Autre exemple, nous nous sommes également aperçus que les tolérances d’une maçonnerie étaient incompatibles avec les tolérances d’une menuiserie: c’est-à-dire que l’addition des tolérances peut dépasser 8 mm, alors qu’un cordon d’étanchéité ne doit pas faire plus de 8 mm… Nous travaillons donc sur ce sujet. Je suis aussi président du Groupe spécialisé (GS) qui délivre les Avis Techniques (ATec) sur les plafonds, cloisons et doublages. Vous savez qu’on pose généralement une isolation dans les plafonds. Si nous voulons prendre en compte l’interface entre les plafonds et l’isolation, nous devons donc forcément travailler avec le GS qui se préoccupe de l’isolation, ce que nous sommes en train de faire. Les ATec circulent maintenant d’un GS à un autre par rapport à ces questions d’interfaces. D.C.: Pouvez-vous nous expliquer la problématique importante d’interface entre la plâtrerie et les chapes liquides, que vous rencontrez assez souvent? D.M.: Dans le bâtiment, nous sommes passés de la plâtrerie humide (du plâtre appliqué sur les murs et laissé à sécher) à la plâtrerie sèche, à savoir des plaques de plâtre préfabriquées posées en plafonds, cloisons ou doublages. Mais si cette plâtrerie est sèche, elle n’aime pas l’eau pour autant. Or le chapiste, qui intervient après le plaquiste, est amené de plus en plus à mettre en œuvre des chapes liquides, qui offrent certes beaucoup d’avantages mais ne sont constituées quasiment que d’eau… Donc évidemment, avec des bâtiments qui deviennent de plus en plus étanches, nous nous sommes rendus compte que la pose de cette chape liquide sur un chantier où les cloisons, plafonds et doublages sont déjà en place, entraînait immanquablement des désordres de différentes sortes: les plafonds peuvent se voûter à cause de l’humidité, l’accumulation de condensation sur les vitres peut aboutir à un écoulement d’eau le long de ces vitres, venant humidifier les plaques en partie basse et occasionnant des moisissures… Pourtant, les chapistes posent leur chape liquide selon les Règles de l’art, puisque celles-ci préconisent de ne surtout pas ventiler dans les 72 premières heures. Alors que vis-à-vis des plaques de plâtre, il faudrait au contraire ventiler très vite pour évacuer toute l’humidité. C’est cependant un exemple de problématique que peut difficilement relever l’AQC au travers de Sycodés, d’une part car cela se passe pendant le chantier, et d’autre part parce que, en cas de détériorations le jour de la réception, nous faisons le nécessaire sur place pour y remédier. Tout cela pour dire que le GS responsable des chapes liquides aurait dû consulter le GS en charge des plaques de plâtre, car le traitement des interfaces commence bel et bien à ce stade. Je pense que les interfaces sur chantier sont plus simples à gérer à partir du moment où l’on travaille IMPACTS DES INTERFACES SUR LA SINISTRALITÉ ensemble. Tout à l’heure Milena Karanesheva évoquait le rapprochement avec les thermiciens, les ingénieurs, mais je sais aussi qu’elle a des liens avec des entreprises et des artisans, ce qui est tout aussi important car nous avons également notre mot à dire. Les problématiques d’interfaces sont à tous les niveaux de la chaîne, tous les acteurs doivent être en connexion, les uns à côté des autres et pas empilés les uns sur les autres. Guillaume Gautier: Je précise que l’AQC a bien repéré cette problématique d’interface sur les chapes liquides à travers son travail de terrain sur les retours d’expériences des bâtiments performants. D.C. : Milena Karanesheva, le sujet des tolérances que vient d’évoquer David Morales est, j’imagine, essentiel à votre niveau ? Milena Karanesheva : Nous travaillons beaucoup dans la construction bois et la construction préfabriquée qui exigent une précision très élevée, ce qui nous épargne des problématiques de tolérance et donc d’interfaces. Par rapport à l’exemple cité sur les tolérances entre la maçonnerie et la menuiserie, il est clair qu’il est indispensable de connaître ces différences, d’être le plus précis possible sur le chantier et de prévoir tous les produits et accessoires nécessaires pour arriver au résultat escompté, notamment sur le sujet de l’étanchéité à l’air. Les bâtiments deviennent de plus en plus performants et de plus en plus qualitatifs. Pour arriver à un résultat de performance énergétique, il faut pouvoir passer le test d’étanchéité à l’air, et cette étanchéité ne se résume pas à des bandes adhésives. La première règle de base sur un chantier est la précision, puis l’utilisation d’accessoires adéquats (pour le passage des câbles, pour assurer la jonction entre les différents éléments, la charpente, la maçonnerie, les menuiseries…). Mais c’est avant tout la qualité qui est à la base de tout. Nous voyons émerger aujourd’hui un cumul de compétences, un cumul de possibilités de mise en œuvre et un changement d’habitudes. Tout cela est en train de se mettre en place doucement, mais d’ores et déjà nous constatons des différences par rapport à il y a cinq ans. Pour rebondir sur l’intervention de David Morales, j’ai évoqué tout à l’heure essentiellement les ingénieurs parce que je parlais de la première phase du chantier, la conception, qui se joue essentiellement entre l’architecte, les ingénieurs et le maître d’ouvrage, un acteur essentiel. Mais concernant la réalisation, il faut effectivement que tous se retrouvent autour d’une table pour que nous puissions expliquer les enjeux du projet aux niveaux esthétique, fonctionnel, technique et thermique, et que nous relevions ensemble les éventuels points névralgiques qui peuvent poser des problèmes. Pas seulement des points techniques d’ailleurs, mais aussi des aspects liés à la gestion du chantier, du planning. Par exemple, les murs en maçonnerie évoqués par David Morales ne seront étanches qu’après une couche d’enduit interne. Mais cela implique que l’enduit soit réalisé avant tout le reste, notamment avant de poser les bâtis-support. Ce sont tous ces multiples éléments et étapes qui doivent entrer dans la gestion du planning. D.C.: Votre message ouvrant pour un travail en équipe entre ingénieurs, architectes, industriels et entreprises pour une meilleure qualité globale n’est pas forcément le discours habituel de tous les architectes, même si les choses bougent…? M.K. : Je ne connais pas tous les architectes et leurs manières de travailler. Mais le problème que vous soulevez n’est pas que le fait des architectes. Nous étions récemment plusieurs spécialistes autour d’une table – architectes, différents bureaux d’études… Nous avons demandé à ces NOVEMBRE 2014 • HORS SÉRIE INTERNET • QUALITÉ CONSTRUCTION 23 OBSERVATOIRE DE LA QUALITÉ DE LA CONSTRUCTION derniers de nous donner leurs besoins, mais ils ne nous ont pas répondu et nous avons dû reposer notre question. Donc eux aussi étaient très étonnés et ne comprenaient peut-être pas que nous leur demandions de nous donner leurs contraintes. LAURENT PEINAUD D.C. : Nous sommes bien là dans des questions de rapports humains. Merci. Laurent Peinaud, vous êtes le directeur qualité-sécurité-développement durable de Socotec, et membre du comité stratégique de la délégation Construction de la Coprec. Pouvez-vous nous donner votre vision? Laurent Peinaud: On parle beaucoup d’interfaces techniques en se concentrant sur les matériaux. Je pense que la première interface technique est entre l’homme qui met en œuvre et le matériau, et que le véritable travail à faire est à ce niveau. Aujourd’hui, il existe énormément de matériaux et de produits, et je crois que c’est le niveau de connaissance et de compétence du professionnel qui constitue la première mise en relation entre le produit brut et le même produit mis en œuvre. D.C.: Comment harmoniser cette libre circulation des produits et cette libre circulation des compétences très diversifiées? L.P.: Je ne travaille pas à la Commission européenne mais on remarque, au fil des ans, que des actions concernant la libre circulation des produits et la clarification des performances se sont beaucoup développées. Cela est positif à mon sens même s’il faut, comme il a été dit tout à l’heure, ajouter des éléments de performance complémentaires sur les produits ainsi que sur la facilité de mise en œuvre. Il faut probablement connecter cela à un schéma plus homogène de qualification d’acteurs, car je crois qu’on est dans ce domaine face à une très grande diversité au niveau européen, chaque pays ayant conçu son propre système. Certains sont extrêmement sélectifs, d’autres moins, cela dépend de la culture et des pratiques des différents pays. Je pense qu’il y a effectivement un progrès à faire pour arriver enfin à une libre circulation des services apportés par les produits. On fait aux contrôleurs techniques le procès assez récurrent de ne pas aimer ce qui est nouveau, européen, etc. Je réponds très clairement que lorsqu’on fait de l’analyse technique, on intègre bien deux dimensions: le produit et sa mise et en œuvre. Il y a certains produits dont je sais qu’ils sont produits dans tel pays, qu’ils sont régulièrement utilisés et qu’ils ont des vertus et une bonne qualité intrinsèque. Néanmoins, si les acteurs qui les mettent en œuvre dans un autre pays n’ont pas la bonne pratique, cela peut être catastrophique. Un exemple très classique est celui des toitures à faible pente avec une étanchéité supplémentaire, que l’on trouve en Espagne: les Espagnols ont ce savoir-faire, mais je ne suis pas sûr que les acteurs d’autres pays l’aient. C’est un chantier à venir dans le temps, mais je sais qu’il y a d’ores et déjà sur ce sujet des initiatives au niveau de différents pays comme au niveau européen. 24 Directeur Qualité SDD de Socotec, membre du comité stratégique de la Coprec Construction (Confédération des organismes indépendants de prévention, de contrôle et d’inspection) “La difficulté majeure aujourd’hui est de passer d’un bâtiment physique à un bâtiment performant. Là où les équipes se mobilisaient autour de l’œuvre (je parle bien de l’œuvre en tant qu’objet physique qui restera toujours), je crois qu’il y a une grande difficulté à se mobiliser autour de la performance” QUALITÉ CONSTRUCTION • HORS SÉRIE INTERNET • NOVEMBRE 2014 D.C.: Je crois que vous avez un exemple intéressant de nos amis Anglais à nous relater? L.P.: Oui, quelques expérimentations soutenues par le gouvernement ont été réalisées, notamment sur la mise en œuvre de parois séparatives entre maisons qui devaient atteindre un certain nombre de performances: acoustiques, thermiques, etc. Différents prototypes ont donc été imaginés avec des industriels, puis mis en œuvre sur des chantiers tests et vérifiés par différentes mesures. Ils se sont ainsi aperçus qu’un certain nombre de dispositifs étaient assez faciles à mettre en œuvre et plutôt fiables dans le résultat. C’est là à mon sens une piste intéressante sur un domaine d’interface complexe qu’est la paroi. C’est typiquement une démarche qui s’inscrit bien dans une culture de management des risques. La difficulté majeure aujourd’hui est de passer d’un bâtiment physique à un bâtiment performant. Là où les équipes se mobilisaient autour de l’œuvre (je parle bien de l’œuvre en tant qu’objet physique qui restera toujours), je crois qu’il y a une grande difficulté à se mobiliser autour de la performance. Je salue au passage les propos de David Morales sur la notion de travail d’équipe et de compréhension des enjeux. Réussir aujourd’hui la performance d’un bâtiment, c’est maîtriser les risques. Le travailler ensemble ne se décrète pas, il s’organise, il s’anime, il est sponsorisé. De même je pense que les objectifs doivent être partagés: le partage d’objectifs sur une performance est propre à mobiliser les acteurs pour comprendre en quoi ils sont contributaires de cette performance. D.C.: Cela signifie-t-il que la démarche séquentielle est à jeter à la poubelle? L.P: Cela ne me paraît réaliste tout de suite, mais je pense effectivement que les changements sont majeurs à ce niveau-là. La vision séquentielle de considérer qu’un problème est un ensemble de sous-problèmes est une vision très déterministe, et qui date pour la France du siècle des Lumières. Nous avons un peu de mal à changer pour une vision plus probabiliste, dans laquelle finalement un fonctionnement en équipe peut permettre de jouer la substitution. En effet, dans un système séquentiel, une entreprise peut parfois se sentir obligée d’aller au bout de son contrat même si à un moment donné elle se sent dépassée en termes de compétences. J’ai d’ailleurs le souvenir d’un cas de cette nature, sur un ouvrage très exceptionnel pour lequel le bureau d’études avait eu l’honnêteté de reconnaître ses limites de compétences, ce qui était complètement compréhensible puisqu’en Europe il n’y avait que trois experts capables d’appréhender cet ouvrage… L’essentiel est de le dire et de faire en sorte qu’un changement d’organisation à un moment, parce qu’on atteint une limite de compétences, n’entraîne pas une pénalisation par rapport au programme pré-établi. Pour revenir sur mon propos ayant trait aux compétences et aux notions de barrières à l’entrée, je vais prendre un exemple simple et vécu. Je fais IMPACTS DES INTERFACES SUR LA SINISTRALITÉ actuellement des travaux dans une grange, ce qui n’est donc pas très compliqué. Mais quand j’ai demandé à mon couvreur local, qui fait au demeurant du très bon travail, de refaire la toiture en ardoise en rajoutant un complexe isolant, il a fait une drôle de tête interrogative… Voulant lui donner l’opportunité d’aller vers l’innovation, je lui ai donné un peu de temps pour se plonger dans le sujet. Il m’a finalement envoyé une documentation commerciale d’un produit qui lui semblait adéquat, mais qui malheureusement était quasiment le seul à ne pas être sous Avis Technique. La même semaine je suis allé à Batimat en essayant de me mettre à sa place, et je crois sincèrement qu’il se serait certainement dit que tous les industriels avaient inventé une multitude de nouveaux produits pendant la nuit…! Au final, dans la mesure où je sentais bien que ma demande le propulsait vers un univers totalement nouveau, j’ai réalisé ma propre analyse de risques et je lui ai confié la réalisation classique de la couverture en prenant un autre professionnel pour la partie isolation, ce qui bien sûr me coûte plus cher. Je n’émets pas une critique quand je parle de sélection, je pense simplement qu’il faut éviter que des acteurs aillent au-delà de leurs compétences. Le gros danger est de croire que le produit en luimême, parce qu’il a une valeur intrinsèque, va permettre à tout le monde de le poser. J’invite à prendre en compte cette faisabilité en lien avec de véritables qualifications. Je le dis de manière un peu provocatrice, mais je ne pense pas que nous soyons dans un système où les qualifications sont extrêmement discriminantes ou fiables. Mon maçon me disait justement, pas plus tard qu’hier, qu’il regrettait que les qualifications qu’il avait passées ne soient pas assez discriminantes, parce qu’au final tout le monde obtient l’examen. Je crois que nous avons intérêt à bien dissocier les acteurs, les compétences, de façon à ce que tout le monde travaille bien. N’oublions pas qu’au final nous devons développer la confiance du consommateur, donc lui offrir une bonne lisibilité, ce qu’on peut obtenir en maîtrisant les risques, et la gestion des qualifications est un des éléments de cette maîtrise. DIDIER VIAUD Directeur marketing de K-line, membre du Gip (Groupement industrie promotion) “Prendre en considération une problématique que nous ignorions nous permet aussi de faire évoluer nos propres produits” D.C.: Merci. Didier Viaud, vous êtes directeur marketing des fenêtres K-Line, mais vous êtes aussi membre du Groupement industrie promotion (Gip), une association au service de l’amélioration de la qualité de la construction. Vous êtes constitués de 46 industriels, 2 bureaux de contrôle technique et 2 fournisseurs d’énergie, dont EDF. Le but de votre association rejoint-il notre problématique de matériaux et d’interfaces? Didier Viaud: Pour reprendre les propos de David Morales, la raison d’être du Gip est d’échanger entre industriels, car chaque industriel possède sa propre solution technique. Nous voulons aussi favoriser le dialogue avec les maîtres d’ouvrage et tous les acteurs, architectes, ingénieurs, économistes… Il est très important de rapprocher tous ces acteurs pour essayer d’obtenir les meilleures interfaces possibles, qu’elles soient techniques ou humaines. C’est la raison d’être du Gip. D.C.: Vous travaillez sur différents sujets, l’usage, l’air intérieur, etc. Je voudrais que vous nous évoquiez le sujet des balcons, qui pose de gros soucis d’interface. D.V.: Nous procédons à des interviews de maîtres d’ouvrage, car nous sommes notamment partenaires de la FPI (Fédération des promoteurs immobiliers) qui nous aide à identifier les problématiques récurrentes. Effectivement, le sujet des balcons est revenu à plusieurs reprises. Dans la construction d’un logement collectif, il s’agit d’un ouvrage extrêmement complexe qui fait intervenir de nombreux corps d’état, parce qu’il relève de la réglementation, comporte des aspects sécuritaires, structurels, des interfaces avec l’étanchéité à l’air, la menuiserie, l’isolation par l’extérieur… Toute la richesse du Gip est de réunir les industriels concernés et de se rapprocher des maîtres d’ouvrage pour discuter ensemble. Tout à l’heure, Olivier Henno disait que les DTU manquaient peut-être de «tuilage», c’est tout l’objet de notre travail de découvrir et prendre conscience des difficultés vécues et exprimées, et de réfléchir de concert pour apporter des solutions globales. Prendre en considération une problématique que nous ignorions nous permet aussi de faire évoluer nos propres produits. D.C.: Merci. Parlons un peu maintenant du BIM (Bâtiment et informations modélisés) sous l’aspect des produits, même si nous l’évoquerons plus longuement dans la deuxième table ronde. David Morales, sur les 120000 artisans adhérents de la Capeb, tous ne sont sûrement pas au même niveau d’informatique. Pensez-vous que le BIM est une bonne solution d’harmonisation? David Morales.: Je pense que oui, mais pas tout de suite car nous en sommes aux balbutiements. Pour reprendre une image, nous commençons à poser les rails, et lorsque la locomotive sera lancée, nous accrocherons tous les wagons derrière. C’est bien sûr un outil extraordinaire mais NOVEMBRE 2014 • HORS SÉRIE INTERNET • QUALITÉ CONSTRUCTION 25 OBSERVATOIRE DE LA QUALITÉ DE LA CONSTRUCTION “Le BIM offre beaucoup d’avantages, mais cela va être difficile car on voit bien aujourd’hui que la complexité ne se situe pas que sur les matériaux ou sur leur assemblage, mais aussi sur le partage d’une vision et des problématiques, notamment en termes de performances” encore très complexe. Un négociant me présentait il y a quelques jours un nouveau système informatique avec lequel il pouvait, en appuyant simplement sur un bouton, afficher toutes les fiches techniques de l’ensemble des produits que j’avais achetés dans le mois. Sauf que ça posait problème parce que tous les industriels n’ont pas le même système informatique. Il va donc falloir d’abord définir les produits que tout le monde va utiliser pour pouvoir les intégrer à cette maquette numérique. Nous, artisans, avons acheté des ordinateurs quand il a fallu acheter des ordinateurs, puis nous avons acheté des tablettes quand il a fallu acheter des tablettes. Aujourd’hui nous attendons que les architectes élaborent les plans et que les industriels y intègrent toute la liste des matériaux qu’il nous faut pour pouvoir faire un devis. À ce moment-là, nous serons prêts. D.C.: Laurent Peinaud, dans le monde du bâtiment qui, il faut l’avouer, est un peu formaliste à certains égards et en même temps complètement dans l’action, le BIM est-il inévitable? Laurent Peinaud: J’ai tendance à dire que c’est inévitable puisque le BIM offre beaucoup d’avantages, mais cela va être difficile car on voit bien aujourd’hui que la complexité ne se situe pas que sur les matériaux ou sur leur assemblage, mais aussi sur le partage d’une vision et des problématiques, notamment en termes de performances. Je pense que le BIM est forcément une avancée parce que la rupture dont je parlais par rapport à une démarche séquentielle nécessite un suivi et une traçabilité minimaux afin que tout le monde s’y retrouve. Il faudra donc des repères, et le BIM en cela est un outil formidable. C’est aussi le moyen de se connecter à la diversité des produits. La difficulté réside dans ces changements de comportement majeurs. Le bâtiment a la culture de l’action, du produit, moins de l’écrit et moins encore de la description de processus. Les rôles des acteurs aussi vont devoir évoluer. Mais je pense que le monde du bâtiment en est capable, et plus il prend conscience de l’intérêt à travailler ensemble, plus il sera moteur dans cette démarche. D.C.: Comment concilier les exigences accrues d’aujourd’hui avec le manque d’argent ? Est-ce que cela n’oblige pas parfois à réduire les délais des uns et des autres, à raboter les études? Milena Karanesheva: C’est très important, au début d’un projet, qu’il y ait aussi le maître d’ouvrage autour de la table avec l’équipe des ingénieurs et 26 QUALITÉ CONSTRUCTION • HORS SÉRIE INTERNET • NOVEMBRE 2014 architectes pour que les repères soient posés avant même la programmation et notre intervention. Car on définit, on influence les coûts essentiellement au début d’un projet. Il faut donc au début d’un projet comprendre les priorités, les enjeux, et définir la façon de mener tout cela à bien en équilibre avec les coûts. Le graphique de Philippe Estingoy est très éloquent sur le sujet: plus on bâcle les études, plus on a des coûts de maintenance élevés, voire des coûts de gestion de sinistres élevés. Il n’y a pas de bonne qualité, et pas de bâtiments performants, à un coût bas de gamme. D.C.: Merci. Des personnes dans le public souhaitent-elles intervenir? Intervention n° 1 dans la salle: Bonjour, je suis Alain Merlot de la fédération Cobaty. Vous avez évoqué les interfaces techniques et celles entre l’humain et la technique, mais je pense qu’il faudrait également parler des interfaces entre les fonctionnalités. Je pense notamment à l’étanchéité à l’air que la RT 2012 vient renforcer, en interface directe avec le renouvellement de l’air. Les renouvellements d’air n’ont pas été modifiés depuis les arrêtés de 1969 me semble-t-il. Est-ce suffisant? Car on a certainement là un risque de désordres sur l’humain peut-être plus que sur la technique. Laurent Peinaud: Je suis totalement d’accord. Il y a effectivement des équilibres qui changent, compte tenu des performances qui augmentent, et qui doivent être pris en compte. Les retours d’expérience que nous menons tous doivent permettre de nous faire progresser dans ces domaines-là, de la même manière que nous avons déjà progressé sur la qualité de l’air intérieur. D.C.: D’autres réactions? Intervention n° 2 dans la salle: Bonjour, je suis Pierre Mit, président de l’Untec (Union nationale des économistes de la construction). Concernant l’interrogation de David Morales sur les documentations de produits, je voudrais simplement signaler qu’une commission dénommée PPBIM présidée par l’AIMCC travaille actuellement au sein du Cos Construction de l’Afnor pour que toutes les informations des industriels puissent être classées d’une bonne façon et que les professionnels en aval puissent aller chercher l’information au bon endroit. D.C.: Un grand merci à vous tous pour ce premier débat. ■ Cliquez sur cette page et commandez en ligne OBSERVATOIRE DE LA QUALITÉ DE LA CONSTRUCTION Zoom sur… LA POLITIQUE EUROPÉENNE RELATIVE AUX MARCHÉS PUBLICS ET AU RÔLE DU MAÎTRE D’OUVRAGE ANIMATION DENIS CHEISSOUX Journaliste, animateur de l’émission CO2 mon amour sur France Inter 28 INTERVENANTS PIERRE DELSAUX Directeur général adjoint de la DG Marché intérieur et Services de la Commission européenne QUALITÉ CONSTRUCTION • HORS SÉRIE INTERNET • NOVEMBRE 2014 IMPACTS DES INTERFACES SUR LA SINISTRALITÉ Pierre Delsaux: Bonjour et merci beaucoup pour votre invitation. Je vais évoquer la réforme des marchés publics en Europe. Le sujet peut paraître relativement lointain par rapport aux échanges qui ont eu lieu jusqu’à maintenant, mais il présente tout de même des liens extrêmement importants. Tout d’abord, pourquoi une réforme des marchés publics en Europe? Ces marchés représentent 19 % du produit intérieur brut, soit 2300 milliards d’euros, ce qui est un chiffre énorme. Dès lors, lorsqu’on est en temps de crise et qu’on veut réaliser des économies, parvenir à un peu d’efficacité sur ce sujet représenterait des économies substantielles pour tous les pays, et donc indirectement pour tous les citoyens. Lorsqu’on est à la recherche de vecteurs de croissance et d’efficacité en Europe, les marchés publics sont un domaine d’action extrêmement important, et il importe que chacun devienne meilleur dans leur utilisation. C’est ce que nous nous sommes efforcés de faire au niveau communautaire. Un texte a d’ores et déjà été adopté, il est entré en vigueur mais doit être encore transposé par les États membres qui ont deux ans pour le faire, c’est-à-dire d’ici 2016. Évoquons maintenant les grands principes de ce texte. Premièrement, nous avons voulu faciliter la vie des pouvoirs adjudicateurs en simplifiant un certain nombre de règles extrêmement complexes qui, parfois, créaient surtout de la lourdeur bureaucratique… Nous avons par exemple simplifié les conditions de négociation. Autre exemple concernant la documentation à fournir en tant qu’adjudicataire: les participants à un appel d’offres auront désormais à fournir ces documents uniquement s’ils remportent l’appel d’offres, ce qui représente une économie substantielle. Dans le même esprit, nous allons mettre en place pour tous ceux qui opèrent sur une base transfrontalière un système de reconnaissance des documents et des certificats propres à un pays dans d’autres pays, ce qui évitera de devoir fournir à chaque fois ces documents. Dernier exemple de simplification: les possibilités de modification de contrat, qui, nous le savons, sont dans la réalité un vrai problème et qui seront encadrées de manière justement à faciliter dans certaines conditions – mais sans permettre les excès – ces modifications de contrat. Deuxièmement, étant donné la masse financière qui est générée par les marchés publics, il nous paraissait important que d’autres considérations que la seule efficacité économique soient prises en compte par les pouvoir publics. Nous permettons ainsi dorénavant aux pouvoirs publics – sans l’imposer – de prendre beaucoup plus en compte des considérations environnementales (par exemple, la durée de vie d’un produit pourra être prise en compte pour attribuer un marché à quelqu’un). J’entends quelqu’un dans la salle dire «enfin!» et effectivement, cet élément nous paraît fondamental. De même que l’aspect social est aussi très important: je n’ai pas l’intention de faire un cours sur le dumping social (ou ce que l’on prétend être le dumping social), mais cela existe dans la réalité, et nous nous sommes efforcés de l’encadrer à travers cette PIERRE DELSAUX Directeur général adjoint de la DG Marché intérieur et Services de la Commission européenne “Nous estimons que la passation de procédures de marchés par voie électronique doit être encouragée au niveau européen, et de fait elle sera obligatoire à partir de 2018, car elle favorise la transparence, l’efficacité et l’uniformité du côté des pouvoirs adjudicateurs” Directive. Notre objectif est de permettre aux pouvoirs publics, par le biais des marchés publics, de poursuivre d’autres politiques. Troisièmement, la coopération entre autorités publiques sera favorisée, ce qui n’est peut-être pas un point totalement favorable pour vous parce que plus de coopération signifie moins de travail pour vous. Il faut néanmoins le prendre en considération. Quatrièmement, le texte veut favoriser les PME dans le cadre de l’attribution des marchés publics, à travers une série de mesures. J’ai déjà évoqué la simplification administrative à travers la documentation qu’il n’est plus obligatoire de fournir au stade de la participation à un appel d’offres, mais il y a d’autres mesures, comme par exemple les limitations en termes de chiffre d’affaires qui seront modifiées, ou encore l’obligation de justification en cas de marchés publics qui ne sont pas passés en lot. Je suis conscient que cette simplification dont je parle peut ne pas sauter aux yeux dans le texte très complexe de cette Directive, mais je vous promets qu’elle existe et qu’elle sera là sur le terrain. Je vais maintenant me focaliser sur les points qui vous intéressent le plus, car ils vont sans doute amener des changements pratiques du côté du maître d’ouvrage et donc indirectement pour vous tous, en raison de l’interface qui le lie naturellement avec les acteurs missionnés. Le premier point extrêmement important, qui va peut-être vous surprendre de prime abord, concerne la passation de procédures de marchés par voie électronique. Nous estimons que ce mode doit être encouragé au niveau européen, et de fait il sera obligatoire à partir de 2018, car il favorise la transparence, l’efficacité et l’uniformité du côté des pouvoirs adjudicateurs. Vous pensez peut-être que c’est le point de vue de bureaucrates de Bruxelles déconnectés de la réalité. Savez-vous quel est le pays le plus avancé en termes de marchés publics électroniques? J’entends régulièrement répondre l’Allemagne parce qu’ils sont riches, l’Estonie parce qu’ils sont très avancés au niveau électronique, ou encore l’Angleterre parce qu’ils sont très innovants. En réalité, il s’agit du Portugal, qui n’est pourtant pas le pays européen le plus riche. Les Portugais se sont rendus compte que la voie électronique leur apportait non seulement plus d’efficacité du côté des pouvoirs adjudicateurs, mais aussi une meilleure concurrence pour les entreprises. Si l’on extrapole à l’échelle de l’Europe les économies réalisées au Portugal en passant les marchés publics par voie électronique, on s’aperçoit que les économies annuelles seraient d’environ 100 milliards d’euros… Ces chiffres sont certes impressionnants, mais absolument basés sur l’expérience du Portugal. J’en profite d’ailleurs pour ouvrir là une parenthèse concernant le BIM (Bâtiment et informations modélisés), qui a été évoqué lors de la première table ronde. Si le BIM en tant que tel n’est évidemment pas mentionné dans la Directive, rien n’empêche un État membre dans le futur de l’imposer. Mais aussi longtemps que le BIM ne sera pas devenu la norme commune, l’État membre qui l’imposerait devrait accepter d’autres NOVEMBRE 2014 • HORS SÉRIE INTERNET • QUALITÉ CONSTRUCTION 29 OBSERVATOIRE DE LA QUALITÉ DE LA CONSTRUCTION systèmes alternatifs. Ceci étant, un groupe de travail a été créé au niveau de la Commission européenne sur le sujet du BIM, et nous avons par ailleurs également d’ores et déjà entamé une réflexion avec les autorités publiques de 14 États membres, dont la France, pour réfléchir sur la façon de faire évoluer ce système. Deuxième point, nous allons favoriser dans la Directive toute une série de facteurs qui permettront aux pouvoirs publics d’obtenir des conseils avant de définir les termes du contrat de marché public. En d’autres termes, nous allons favoriser la consultation en amont, pour faire en sorte que les clauses techniques finales qui feront partie du cahier des charges aient été élaborées avec une certaine efficacité. Car, soyons clairs et ce n’est pas une critique, tous les pouvoirs publics ne sont pas nécessairement capables de rédiger un cahier des charges de manière efficace. Cela signifie que nous allons autoriser et favoriser les centrales d’achat, mais aussi leur permettre de conseiller le pouvoir adjudicateur pour l’établissement du cahier des charges technique. Mais nous allons permettre également au pouvoir adjudicateur de consulter le secteur privé. Bien entendu, un certain nombre de règles visant à éviter les distorsions de concurrence sont prévues. Il ne faut évidemment pas, par exemple, que le fait que vous aidiez le pouvoir adjudicateur à définir ses spécifications techniques aboutisse au final à ce que votre produit soit choisi. Un troisième point très important est d’avoir introduit une nouvelle procédure en vue de favoriser l’innovation. Le problème là aussi est que les pouvoirs publics maîtres d’ouvrage ne sont pas toujours ceux qui connaissent le mieux le marché (au sens des spécifications techniques) et ce qui existe sur le marché. Ou alors, s’ils ont consciences du problème qu’ils ont, ils ne connaissent pas forcément la solution adéquate. Cette procédure que nous appelons «Sol’innovation» visera à permettre le dialogue et le développement de solutions innovantes, qui seront alors incorporées dans le cahier des charges, et donc bien entendu ouvertes à tous les professionnels qui peuvent y répondre. Je souhaite évoquer en plus toute une série de dispositions qui seront présentes dans la Directive sur la question des conflits d’intérêts et de corruption. Ce sujet est malheureusement une réalité dans tous les pays européens, certains plus que d’autres. Il importe donc d’avoir une définition claire de ce que l’on entend par «conflit d’intérêts», et de définir les problèmes et les limites que cela pose. C’est un travail que nous voulons mener là aussi au niveau européen car il est fondamental que la professionnalisation des pouvoirs publics ait lieu dans tous les pays. Bien sûr, ce n’est pas réaliste de penser qu’une PME d’Auvergne va nécessairement participer à un appel d’offres estonien, mais il n’en reste pas moins que nous devons créer un grand marché intérieur si nous voulons retrouver la croissance en Europe. Et nous devons donner pour cela la possibilité à toutes nos entreprises de participer à des marchés publics partout en Europe. En synthèse, nous voulons professionnaliser 30 “Nous voulons professionnaliser l’ensemble des marchés publics en Europe, et pour cela mettre en place des procédures plus transparentes, plus efficaces, qui permettent l’innovation technique et le développement, et qui permettent aussi aux entreprises de tous les États membres de participer à des marchés publics, donc d’accéder à des marchés auxquels elles n’avaient pas forcément accès jusqu’à maintenant” QUALITÉ CONSTRUCTION • HORS SÉRIE INTERNET • NOVEMBRE 2014 l’ensemble des marchés publics en Europe, et pour cela mettre en place des procédures plus transparentes, plus efficaces, qui permettent l’innovation technique et le développement, et qui permettent aussi aux entreprises de tous les États membres de participer à des marchés publics, donc d’accéder à des marchés auxquels elles n’avaient pas forcément accès jusqu’à maintenant. Ce travail extrêmement important aboutira, nous l’espérons, à un changement réel sur le terrain. Comme je vous l’ai dit, ce texte a été adopté, est entré en vigueur, mais il faut attendre maintenant deux ans avant sa transposition au niveau national. Nous voulons utiliser cette période de deux ans pour continuer à travailler à la fois avec les autorités publiques, mais aussi avec tous les professionnels concernés, c’està-dire vous, pour définir la façon de mettre en œuvre sur le terrain ces dispositions. En d’autres termes, nous voulons créer un processus d’accompagnement pour que la transposition soit la plus efficace possible bien sûr, mais surtout qu’elle ne conduise pas à des disparités trop grandes. Et puis, vous savez bien qu’un texte juridique peut parfois être sujet à plusieurs interprétations, donc en mettant tous les acteurs autour de la table, nous voulons aussi essayer dans la mesure du possible d’arriver à la même interprétation partout. De fait, le message que j’aimerais partager aujourd’hui avec vous serait de ne pas penser que tout ce qui se passe à Bruxelles est loin de vos réalités ou préoccupations, mais de réaliser que cela aura un impact dans votre activité future. Donc si vous ne voulez pas que cela impacte votre futur de manière trop négative, c’est maintenant qu’il faut venir nous trouver et dialoguer. Pour conclure sur un dernier point, nous avons adopté une nouvelle version d’un texte antérieur sur les qualifications professionnelles et sur la reconnaissance de celles-ci. C’est une question compliquée et nous avons eu des difficultés car, bien sûr, il n’y avait pas d’harmonisation entre tous les textes nationaux (par exemple, le nombre d’années d’études en Irlande pour un diplôme de médecin étant de quatre ans, la question était de savoir si un médecin irlandais pouvait directement venir pratiquer en France où les études sont plus longues). Ce texte a donc été adopté au niveau communautaire et vise à favoriser la mobilité des professionnels, ce qui à notre avis est extrêmement important. Nous allons maintenant mettre en place une «carte» professionnelle électronique qui vous permettra de faire faire connaître et valoir vos qualifications dans un autre État de manière beaucoup plus simple. Ce système sera difficile à mettre en place, et nous avons besoin de vous pour faire en sorte qu’il ne soit pas seulement une invention bureaucratique de Bruxelles mais une action utile sur le terrain. Je vous remercie pour votre attention. ■ Cliquez sur cette page et commandez en ligne OBSERVATOIRE DE LA QUALITÉ DE LA CONSTRUCTION 2e table ronde LES JEUX D’ACTEURS: QUELLES INTERFACES ENTRE LES RÔLES, QUELLES ÉVOLUTIONS ENVISAGEABLES? ANIMATION Denis Cheissoux Journaliste, animateur de l’émission CO2 mon amour sur France Inter 32 INTERVENANTS Dans l’ordre d’intervention : •DOMINIQUE BAROUX, direction des marchés IARD à la SMABTP (Société mutuelle assurances bâtiment et travaux publics); •MARIE-LUCE BOUSSETON, directrice générale de l’Apij (Agence publique pour l’immobilier de la justice) ; •CHRISTIAN ROMON, secrétaire général de la MIQCP (Mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques) ; •PASCAL CHOMBART DE LAUWE, architecte à l’Agence Tectône, président de l’Association AMO (Architecture et maîtres d’ouvrage) ; •ÉRIC PERRON, directeur Développement immobilier de Grand Lyon Habitat, représentant l’USH (Union sociale pour l’habitat); •ALINE CASTAGNA, responsable SAV d’Eiffage Construction, présidente du groupe de travail SAV d’EGF.BTP (Entreprises générales de France BTP) ; •PIERRE MIT, économiste, président de l’Untec (Union nationale des économistes de la construction). QUALITÉ CONSTRUCTION • HORS SÉRIE INTERNET • NOVEMBRE 2014 IMPACTS DES INTERFACES SUR LA SINISTRALITÉ Denis Cheissoux: Cette seconde table ronde va maintenant se focaliser sur les interfaces entre acteurs, autres sources de risques, et sur les évolutions envisageables dans les relations entre ces derniers. Dominique Baroux, vous êtes à la Direction des marchés IARD à la SMABTP. On pense toujours, quand on consulte l’assureur, qu’il va résoudre tous les problèmes. Qu’en est-il? Dominique Baroux: Dans le processus que nous avons vu, et je trouve que la table ronde précédente était tout à fait illustrative à ce propos, l’assureur vient en fait en fin de processus. En effet, en général, l’entreprise a une politique d’assurance en abonnement, ce qui veut dire que par définition l’assureur ne voit pas la succession des chantiers qui vont être réalisés. En revanche, avec les polices de chantiers – je pense bien évidemment par exemple à l’assurance Dommages-Ouvrage –, il est possible d’avoir une vision d’ensemble de chantiers d’une certaine taille. Pour autant, dans ces cas-là, nous arrivons en fin de processus, à un moment où l’ensemble des marchés a déjà été défini: je pense au périmètre de la maîtrise d’œuvre, au type de contrôle technique, à la mission du géotechnicien s’il y en a un, etc. Ce qui fait que nous arrivons en bout de course. D.C. : Quand les choses sont à peu près pliées… D.B. : Tout à fait. À partir de là, il y a deux attitudes: une première est d’apprécier le risque tel qu’il nous est présenté et d’en tirer les conséquences, la seconde est de considérer que l’appréciation du risque est insuffisante, et dans ce cas-là d’assujettir les offres qui seront faites en respect des conditions de souscription «ad’hoc» que nous estimons nécessaires pour garantir ce risque. DOMINIQUE BAROUX informations modélisés) sera un support qui permettra d’échanger davantage et d’unir l’ensemble des acteurs. D.C. : À quoi vous conduisent inévitablement les nouvelles exigences réglementaires et notamment la RT 2012? À travailler dès maintenant main dans la main? D.B. : En réalité, il y a derrière votre question le Direction des marchés IARD à la SMABTP (Société mutuelle assurances bâtiment et travaux publics) “Nousvoyonsdes incompatibilités, non seulement de matériaux, mais aussi de mise en œuvre de certaines réglementations” sujet de l’empilage et la succession des réglementations qui s’imposent aujourd’hui dans le monde de la construction. Nous voyons des incompatibilités, non seulement de matériaux, mais aussi de mise en œuvre de certaines réglementations. Faisons confiance au bon sens. L’expérience et l’apprentissage vont très certainement permettre d’apporter progressivement des réponses à ces situations. Mais il est vrai qu’aujourd’hui chacun devient le spécialiste de sa propre «tête d’épingle», et que la vision globale est oubliée. Le photovoltaïque, évoqué dans la première table ronde, est une illustration parfaite où la norme, tout européenne soit-elle, peut être pertinente, mais si elle ne vise qu’un élément de l’installation globale – alors qu’il faut viser l’ensemble des éléments qui la composent –, l’installation globale risque fortement de ne pas être suffisamment pertinente et pérenne pour répondre aux exigences. D.C. : Merci. Marie-Luce Bousseton, vous êtes la directrice générale de l’Apij (Agence publique pour l’immobilier de la justice). Vous avez la mission de construire des palais de justice et des prisons et vous gérez depuis 3-4 ans un très important programme de construction. Comment vous y prenez-vous pour maîtriser techniquement et financièrement toutes ces opérations? D.C. : Tout dépend cependant du stade d’avancement des travaux… D.B. : En général, les travaux n’ont pas encore débuté. Mais contractuellement l’ensemble des marchés est déjà pratiquement défini. D.C. : Pouvez-vous évoquer cet exemple intéressant d’un hôpital que vous avez assuré, reflétant une absence flagrante de coordination entre les acteurs? D.B. : C’est effectivement une illustration assez représentative de la non-communication entre différents acteurs. En l’occurrence, les exigences du maître d’ouvrage ont été insuffisamment prises en compte, ce qui a donné lieu après coup à des ajustements, des incompatibilités de supports ou d’utilisation entre fluides. Or on imagine bien que les fluides sont essentiels au fonctionnement d’un centre hospitalier… Au final, on aboutit à un sinistre indubitablement coûteux, alors que l’opération ne présentait pas sur le plan technique de difficultés majeures et aurait pu se dérouler parfaitement s’il y avait eu, en amont, de la réflexion, du dialogue, de l’échange. On peut espérer que le BIM (Bâtiment et NOVEMBRE 2014 • HORS SÉRIE INTERNET • QUALITÉ CONSTRUCTION 33 OBSERVATOIRE DE LA QUALITÉ DE LA CONSTRUCTION Marie-Luce Bousseton: Effectivement, le ministère de la Justice conduit actuellement des investissements immobiliers très importants sur les programmes pénitentiaires et judiciaires. Nous avons ainsi un portefeuille d’opérations en études ou en travaux de plus de 2 milliards d’euros d’investissement, avec des livraisons qui s’échelonnent sur un délai assez court, puisque quasiment tout ce qui est aujourd’hui en cours devra être livré entre 2015 et 2018. Bien évidemment, mes tutelles et donc mes commanditaires demandent à ce que nous travaillons sur la maîtrise des risques dans la conduite de nos opérations: risques de calendrier car il y a des impératifs et des attentes très fortes en matière de production de places de détention, mais aussi risques financiers sur le budget de l’État; il s’agit de maîtriser les coûts des opérations que nous annonçons très en amont des commandes de projet qui nous sont confiées par le ministère de la Justice, grâce à tous les dispositifs de contrôle de gestion que nous avons développés. Nous employons le terme de maîtrise de risques plutôt que de gestion d’interfaces, mais de fait, nous avons effectivement beaucoup travaillé sur les interfaces entre acteurs, depuis la maîtrise d’ouvrage jusqu’à l’entreprise et la livraison. D.C.: Pratiquez-vous tous les types de commande publique? M-L.B. : Nous pratiquons tous les types de commande publique à parité d’investissement, soit un tiers de loi Mop, un tiers de conception-réalisation et un tiers de PPP (Partenariat public-privé) si je traduis cela en montant d’investissement. Cela va peut-être vous étonner, mais nous avons tiré des enseignements intéressants de la conceptionréalisation et des PPP, même s’ils sont souvent beaucoup critiqués. Avec ce mode de fonctionnement, la maîtrise d’œuvre et l’entreprise constituent un bloc, alors qu’à l’inverse il y a une césure assez forte entre eux en loi Mop, à cause de l’appel d’offres des travaux en marché public qui a tendance à fortement segmenter ces deux parties. Nous avions dans les années antérieures beaucoup de désordres et de désagréments, et si nous les avions perçus plus tôt et fait remonter plus en amont des études, nous aurions évité quelques difficultés. Je trouve bien dommage de traiter encore au XXIe siècle, sur un palais de justice, des problèmes d’étanchéité non réglés depuis 7-8 ans, et qui manifestement ne le seront jamais compte tenu des défauts de conception et des problèmes d’interfaces au départ. D.C. : Vous avez en fait souhaité créer des liens et faire collaborer architectes et entreprises? M-L.B.: Oui, nous avons un peu «tordu» les règles de la loi Mop en proposant aux architectes de lancer des appels d’offres sur la phase APD (avant-projet) et pas sur le projet, donc en ne définissant pas tous les dispositifs constructifs, de façon que la phase projet soit une phase collaborative entre l’architecte et l’entreprise retenue à la suite de l’appel d’offres. 34 MARIE-LUCE BOUSSETON D.C. : Le pari est un peu de remettre un prix alors que tout n’est pas défini? M-L.B. : C’est effectivement le pari de remettre un Directrice générale de l’Apij (Agence publique pour l’immobilier de la justice) “Nous avons un peu tordu les règles de la loi Mop en proposant aux architectes de lancer des appels d’offres sur la phase APD (avantprojet) et pas sur le projet, donc en ne définissant pas tous les dispositifs constructifs, de façon que la phase projet soit une phase collaborative entre l’architecte et l’entreprise retenue à la suite de l’appel d’offres” QUALITÉ CONSTRUCTION • HORS SÉRIE INTERNET • NOVEMBRE 2014 prix sur un projet qui n’est pas complètement dessiné. Nous avons cependant introduit une disposition contractuelle pour ne pas être «piégés», avec une tranche ferme pour l’entreprise sur la phase études et une tranche conditionnelle pour lancer les travaux. Nous ne notifierons les travaux à l’entreprise que si elle est d’accord à l’issue de la phase d’études collaborative, et si elle confirme qu’elle avait bien prévu dans son prix tout ce que nous lui demandons. Et, c’est important, l’architecte est toujours responsable de son projet. Si je peux vous en parler aujourd’hui, c’est parce que les phases «projet» sont finalisées et que nous sommes actuellement en mise en chantier; quand bien même certains architectes ont parfois eu quelques réticences, nous les avons convaincus et je peux vous dire que ces phases de collaboration ont fonctionné. Elles ont servi à réaliser des prototypes très en amont, à régler des points de conception singuliers un peu complexes, l’architecte et l’entreprise définissant par exemple la façon de régler telle accroche, notamment sur des questions de façades et d’étanchéité qui sont souvent en cause. Pour être tout à fait complète, je dois ajouter que nous avons introduit aussi la notion de schéma directeur qualité. C’està-dire que nous avons demandé très en amont aux maîtres d’œuvre d’identifier ce qui était important et sensible dans leur projet d’architecture: qu’estce qui est compliqué sur cette façade, qu’est-ce qui peut occasionner des défauts d’étanchéité, qu’estce qui va être difficile à mettre en œuvre? Nous leur demandons ainsi de concevoir les points de vérification, les points d’arrêt dans le chantier, les points de contrôle, les tests, les prototypes qu’il faudra concevoir avant de donner le feu vert. Je me suis d’ailleurs beaucoup retrouvée dans les propos de Milena Karanesheva de la première table ronde. D.C. : Vous m’avez raconté par exemple que, devant couler de nombreux poteaux pour un palais de justice, vous aviez dans cet esprit réalisé des tests après en avoir coulé un ou deux, pour valider le process? M-L.B.: Effectivement, il s’agissait en l’occurrence d’un bâtiment très pur d’un point de vue architectural, où tout se jouait sur la réussite de la file de poteaux en béton brut entourant les façades. Donc avant de lancer la production de plusieurs centaines de poteaux, il fallait évidemment réaliser un prototype et vérifier la couleur, la texture, la façon dont ils étaient vibrés, etc. J’ai aussi un autre exemple de décroché de façade assez complexe qui posait des problèmes d’étanchéité. Le projet a permis de mettre au point un accord entre l’architecte et l’entreprise sur la façon de le réaliser. Nous avons donc voulu être une maîtrise d’ouvrage un peu intrusive sur la phase chantier, parce que in fine, c’est nous qui récupérons la bonne ou mauvaise construction. IMPACTS DES INTERFACES SUR LA SINISTRALITÉ D.C. : Quelles bonnes pratiques peut-on tirer du CHRISTIAN ROMON PPP? M-L.B. : Il faut une maîtrise d’ouvrage assez solide en conception-réalisation ou en PPP parce que vous êtes un acteur contre les deux autres – entreprises et architecte – qui constituent un bloc. Le schéma directeur qualité est de fait important, nous le contractualisons en amont pour pouvoir imposer aussi nos propres vigilances et nos points d’arrêt, au-delà des autocontrôles ou des tests imposés par les textes de référence. Nous avons par exemple souvent imposé dans nos chantiers un délai contractuel intermédiaire à la fin du closcouvert, pour avoir fréquemment constaté que les entreprises de gros œuvre prenaient les délais qui leur convenaient mais compressaient les corps d’état secondaires pour tenir le délai global, ce qui n’est évidemment pas bon pour la qualité. Nous réfléchissons donc à tout ce qui peut aider contractuellement à ce que les bonnes pratiques ne soient pas que des vœux pieux, mais se mettent réellement en œuvre à notre service. Ce que nous trouvons intéressant en PPP et en conception-réalisation, mais que nous ne savons pas réinjecter dans la loi Mop, c’est le dialogue compétitif en amont de la signature du contrat. Il y a vraiment une possibilité de dialogue avant tout contrat sur l’adéquation entre nos intentions, nos besoins et le projet. D.C. : La Directive européenne ne va-t-elle pas vous en empêcher? M-L.B. : En processus Mop, avec le Code des marchés publics, on ne peut pas. Nous avons, dans une loi pénitentiaire de 2011, fait introduire un amendement qui nous permet de systématiser le dialogue compétitif pour tous les bâtiments pénitentiaires, qu’ils soient neufs ou en réhabilitation. En mode de conception-réalisation, nous le pratiquons maintenant systématiquement, c’est une vraie richesse et je vois vraiment évoluer les projets. Une prison est très complexe à concevoir, et nous voyons les plans masse et les projets se transformer au fil du dialogue pour obtenir in fine des projets extrêmement intéressants. Cela permet véritablement de donner de l’audace aux architectes car on a tendance à penser, concernant une prison, qu’il vaut mieux coller au programme faute de quoi l’administration pénitentiaire ne voudra pas du projet. Mais si vous pouvez dialoguer pendant quelque temps, alors vous pouvez apporter vos idées, amener d’autres choses auxquelles nous n’avions pas forcément pensé, sans forcément perdre le concours ou l’appel d’offres. C’est vraiment une richesse intéressante, mais que la loi Mop ne permet pas aujourd’hui. C’est l’interface amont entre le maître d’ouvrage et son concepteur. D.C. : Merci. Christian Romon, vous êtes le secrétaire général de la MIQCP (Mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques), créée par un décret de 1977. Vous êtes aujourd’hui rattachés au ministère de la Culture et, pour faire simple, vous êtes un peu le rempart des professions d’architectes. Que pensez-vous des propos de Marie-Luce Bousseton concernant l’évolution de la loi Mop, et de cette manière de l’utiliser autrement? Christian Romon: Ce qu’il faut déjà dire, c’est que Secrétaire général de la MIQCP (Mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques) “Nous avons avec l’Apij un maître d’ouvrage extrêmement professionnel. On peut donc à ce stade se permettre d’expérimenter” nous avons en la personne de Marie-Luce Bousseton un maître d’ouvrage extrêmement professionnel. On peut donc à ce stade se permettre d’expérimenter. Ce témoignage montre d’ailleurs que la loi Mop n’est pas un cadre figé, rigide, mais quelque chose de souple qui permet d’innover, d’expérimenter un certain nombre de choses. Nous sommes nous aussi assez convaincus des vertus du dialogue compétitif. Il a d’ailleurs été introduit en procédure de conception-réalisation pour les réhabilitations. Nous allons cependant avoir l’opportunité de réécrire les textes de la commande publique et nous sommes intéressés par le point de vue tout à fait positif et favorable de cette procédure du dialogue compétitif en conception-réalisation. D.C. : Merci. Pascal Chombard de Lauwe, vous êtes architecte urbaniste à l’agence Tectône, ainsi que président d’honneur de l’association AMO (Architecture et maîtres d’ouvrage). Pouvez-vous nous parler des rapports entre la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre? Pascal Chombart de Lauwe : En préambule, puisque l’on parle ici de sinistralité, il est évident que la première sinistralité consiste en des bâtiments qui ne s’adaptent pas ou ne sont pas adaptés aux besoins de l’homme. Lorsque vous voyez des bâtiments rasés 30 ou 40 ans après leur construction, avec le coût et l’investissement que cela représente et sans parler des impacts environnementaux catastrophiques, cela pose un véritable problème… Ensuite, parmi les éléments de sinistralité, les questions de ventilation ont par exemple été évoquées précédemment: effectivement, une ventilation Hygro B est quelque chose de catastrophique qui devrait être, je l’espère, prochainement interdit dans la mesure où un enfant dans une chambre ne produit pas assez d’humidité pour que le renouvellement d’air lui permette d’avoir un air assez sain, ce qui va donc l’amener immanquablement à respirer allègrement les formaldéhydes et autres COV. Ce préambule me paraît fondamental. Pour parler maintenant des rapports maître d’ouvrage-architecte, il faut intégrer un certain nombre d’acteurs. L’acteur principal est, comme je viens de l’évoquer, l’homme donc l’habitant, malheureusement très peu pris en compte aujourd’hui par l’ensemble de la maîtrise d’ouvrage. Je ne dirais pas que c’est le cas de Marie-Luce Bousseton puisque vous avez des équipes qui réfléchissent sur le sujet au niveau de la direction des établissements pénitentiaires, ce qui n’est pas forcément le cas de la maîtrise d’ouvrage dans le contexte actuel. Dans un ouvrage que j’ai écrit avec Frédéric Viallet et intitulé Un nouvel environnement pour le logement, nous avons interrogé des maîtres d’ouvrage et des architectes en leur demandant ce qu’ils attendaient NOVEMBRE 2014 • HORS SÉRIE INTERNET • QUALITÉ CONSTRUCTION 35 OBSERVATOIRE DE LA QUALITÉ DE LA CONSTRUCTION les uns des autres. Évidemment, le maître d’ouvrage attend de l’architecte qu’il soit compétent et inventif, et réciproquement l’architecte demande au maître d’ouvrage de lui faire confiance. J’aurais tendance personnellement à inverser les deux: j’aimerais bien voir plus de compétences et d’inventivité côté maîtrise d’ouvrage, etc. Les rapports entre maître d’ouvrage et architecte montrent un certain nombre de difficultés. Les rémunérations des missions confiées aux architectes ont été divisées environ par deux en 30 ans, et cela continue à s’effondrer. D’après les chiffres du Sénat, seulement 38 % de ce qui se construit aujourd’hui en France est conçu par des architectes. Mon propos n’est pas de plaindre ou pleurer les architectes, ce qui m’intéresse est l’architecture, mais sans architectes, on peut se demander si on aura de l’architecture. La notion du temps est aussi un autre point fondamental: aujourd’hui chaque maître d’ouvrage privé, y compris un certain nombre de maîtres d’ouvrage que je qualifierai de «para-publics», des SA-HLM…, fonctionne de plus en plus avec des contrats qui n’ont plus rien à voir avec la Mop ou avec les bases de rémunération des documents de la MIQCP par exemple, mais ont leur propre système avec un principe forfaitaire. À ce titre, on entend souvent aujourd’hui revenir le chiffre de 6,5 %. À mon époque, avec des conceptions beaucoup moins compliquées, on était couramment autour de 9,5 ou 10 % pour le même type de mission. Or il est évident qu’il y a aujourd’hui beaucoup plus de choses à faire. La notion du forfait est complètement ridicule. Que j’ai un petit ou un grand bâtiment, le temps est quasiment le même alors que les rémunérations sont totalement différentes. Et même les lois européennes m’inquiètent beaucoup sur cette question du dumping pour les architectes. Il y a 5-6 ans, les appels d’offres recherchaient la compétence des architectes, les honoraires consistant en une enveloppe qui était ouverte à la fin quand le résultat du concours était donné. Aujourd’hui, la majorité des appels d’offres nous demande de fournir un pourcentage d’honoraires, qui conduit immanquablement à un dumping. Les architectes sont bien sûr les premiers responsables d’accepter ce dumping alors que leur code déontologique l’interdit. C’est d’ailleurs intéressant de souligner qu’en l’acceptant, ils sont à la fois conformes à la loi européenne et contraire à leur ordre… Pour faire une comparaison rapide, lorsqu’on me demande de donner un pourcentage à partir des quelques lignes qui décrivent un projet, c’est comme si j’allais voir un chirurgien en lui disant « J’ai besoin que vous m’opériez. – Oui, de quoi? – Quel est votre tarif? – Mais pour vous opérer de quoi? – Ditesmoi le coût et je vous dirai ce que j’ai». Tout architecte donnant un pourcentage sans avoir les éléments complets sur un projet est irresponsable. Je ne suis néanmoins pas là pour les accabler, leur situation est assez dramatique aujourd’hui puisque plus de 50 % des architectes gagnent moins que le Smic. Mais une fois de plus, c’est dans l’intérêt de l’architecture en France qu’il faut absolument revenir là-dessus. 36 PASCAL CHOMBART DE LAUWE Architecte à l’Agence Tectône, président de l’Association AMO (Architecture et maîtres d’ouvrage) “Il faut qu’architectes et maîtres d’ouvrage continuent à se mettre autour de la table” QUALITÉ CONSTRUCTION • HORS SÉRIE INTERNET • NOVEMBRE 2014 Il faut qu’architectes et maîtres d’ouvrage continuent à se mettre autour de la table. Cela fait quelques années que nous essayons de changer cela au niveau de l’association AMO et ça avance tout doucement. Nos discussions avec les maîtres d’ouvrage montrent que leur problématique principale est de faire face au prix du foncier. Pour y parvenir, ils jouent sur les leviers possibles. Peu sur leur marge bénéficiaire, puisque n’oublions pas qu’il y a un investisseur derrière la maîtrise d’ouvrage qui saura rappeler qu’il ne participera pas à l’opération en dessous de telle marge. Que reste-t-il alors? Le coût de construction, qui aboutit à prendre le moins-disant au lieu du mieux-disant avec les sinistralités à venir. Et bien sûr le levier des architectes, qui vont être mis en concurrence par la maîtrise d’ouvrage de manière à pouvoir obtenir un taux le plus bas possible et pouvoir faire une proposition la plus élevée possible sur le foncier. Il existe un logiciel de la MIQCP, consultable sur Internet, qui donne le montant des honoraires une fois tous les éléments intégrés: il n’y a pas de discussion sur le projet, le montant est donné un point c’est tout. Ainsi, les maîtres d’ouvrage pourront travailler cette fois-ci main dans la main beaucoup plus facilement avec les architectes, et se baseront sur d’autres critères qui seront plus qualitatifs que financiers pour pouvoir proposer un terrain. Pour terminer, je souhaiterais dire très clairement que nous construisons aujourd’hui de belles boîtes à chaussures avec un beau lacet d’emballage. Un de mes professeurs d’architecture, qui s’appelait Bernard Huet, disait une chose très simple: «Il faut essayer de ne pas faire moins bien qu’auparavant.» Si nous sommes d’accord sur le fait que les bâtiments des années soixante et avant étaient catastrophiques du point de vue urbain – ce n’est pas par hasard si certains ont été rasés –, comparez la qualité des logements et des parties communes de ces immeubles à ce qui se construit aujourd’hui. Lorsque je rentre dans n’importe quel immeuble jusqu’aux années soixante, je n’ai pas besoin d’allumer la lumière électrique pour aller jusqu’aux logements. Ces derniers, à partir d’une certaine taille, sont toujours traversants et bien ventilés. Il y a une fenêtre dans la cuisine, et la majorité du temps, également dans la salle de bain. Aujourd’hui on parle de «produit», le produit étant bien entendu le logement, c’est révélateur en termes de vocabulaire… J’ai eu l’occasion de travailler pour différentes communes ou collectivités afin de mettre en place des chartes pour le logement. L’objectif étant de ne pas concevoir d’immeubles d’habitation sans lumière naturelle sur une partie commune, ni de logement d’au moins trois pièces qui ne soit pas à double orientation, et bien sûr de ne jamais avoir de studios et deux-pièces mono-orientés au nord, etc. D’ailleurs, je rappellerai qu’un article – le R.111-17 du Code de l’urbanisme – interdisait à une certaine époque de faire des logements mono-orientés au nord, quelle que soit la taille. On en a pourtant fait des milliers. C’est dommage, quand on a de bonnes lois, de ne pas savoir les appliquer… J’aimerais d’ailleurs comprendre pourquoi cet article a été supprimé. Aujourd’hui, on prétend que ce n’est pas grave de IMPACTS DES INTERFACES SUR LA SINISTRALITÉ continuer à construire des studios mono-orientés au nord. Seulement, la réalité est que les studios en deuxième couronne sont majoritairement habités par des personnes âgées. La personne âgée, qui reste le plus longtemps dans la journée dans le logement et possède le moins de moyens financiers, va pourtant payer le plus d’énergie parce qu’elle n’aura pas d’apport solaire gratuit…! C’est aberrant. D.C. : Merci Pascal Chombart de Lauwe pour cet avenir radieux que vous nous présentez. Éric Perron, vous êtes directeur du Développement immobilier de Grand Lyon Habitat, un très grand bailleur social qui gère 25 000 logements. Vous construisez en moyenne 600 logements par an et vous avez anticipé le BBC depuis longtemps. Je crois que vous souhaitez témoigner sur la difficulté d’avoir des retours d’informations de la part des acteurs. Éric Perron: Nous construisons effectivement du BBC depuis 2006, ce qui nous a permis de réinventer le bon sens dont Pascal Chombart de Lauwe vient de parler précédemment. Mais nous nous rendons compte que, même en développant des missions très claires pour chacun, nous avons effectivement beaucoup de difficultés à faire remonter l’information. Par exemple, dans le cadre d’un projet développé avec l’association des bailleurs sociaux du Rhône, l’Ademe, la Région et le CEA (Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives), nous avons mis en place la gestion d’un logiciel permettant de mesurer la performance des bâtiments, et nous nous sommes ainsi retrouvés dans une chaufferie avec l’architecte, le bureau d’études thermiques, l’installateur, l’exploitant, et le chargé d’exploitation. Nous avons passé une ÉRIC PERRON Directeur Développement immobilier de Grand Lyon Habitat, représentant l’USH (Union sociale pour l’habitat) après-midi à regarder des schémas d’installation qui avaient circulé pendant quinze jours entre les différents prestataires pour installer des compteurs de mesure: tout était faux. Chacun avait interprété de manière différente les plans, chacun, parlant du même produit, n’avait pas agi au bon endroit, parce que chacun était persuadé de pouvoir apporter son petit plus, la chose qui permettrait de mieux fonctionner. En fait, l’ensemble des acteurs, qui ont pourtant l’habitude de travailler ensemble, ont montré leur difficulté à communiquer sur les mêmes thèmes. D.C. : Vous essayez néanmoins d’intégrer l’exploitant en amont de la réception? E.P. : C’est incontournable aujourd’hui d’intégrer l’exploitant avant réception. Nous lui faisons visiter le chantier trois mois avant la livraison et nous le mettons en rapport avec l’installateur pour qu’il puisse, le cas échéant, faire part de ses préconisations, et pour nous permettre à nous, maîtres d’ouvrage, de réceptionner en bonne connaissance l’installation qui a été faite. Mais nous nous rendons compte que, même si l’exploitant vient et formule des remarques, il sera le premier à dire après la réception qu’il ne fallait pas faire comme ça. Nous sommes toujours dans une situation de jeux de rôles que nous n’arrivons pas à évacuer. “En fait, l’ensemble des acteurs, qui ont pourtant l’habitude de travailler ensemble, ont montré leur difficulté à communiquer sur les mêmes thèmes” NOVEMBRE 2014 • HORS SÉRIE INTERNET • QUALITÉ CONSTRUCTION 37 OBSERVATOIRE DE LA QUALITÉ DE LA CONSTRUCTION Aujourd’hui nous essayons d’aller plus loin en «mariant», dans nos consultations, l’exploitant à l’installateur. Un installateur n’est pas un exploitant, donc l’idée est de «marier de force» deux compétences différentes en leur disant qu’ils prendront leurs responsabilités le cas échéant. Je pense que nous n’avons pas encore trouvé la solution, nous tentons des approches mais nous avons encore beaucoup de chemin à faire pour pouvoir avancer sur ces sujets. ALINE CASTAGNA sa part d’une maîtrise d’ouvrage intrusive, vous voulez arriver à ce qu’on appelle une intuition éduquée. En quoi cela consiste-t-il ? D.C. : À vous, bailleurs, de reprendre le pouvoir? E.P. : Complètement, c’est pour nous une question de maîtrise. À un moment donné, on ne peut confier à quelqu’un que ce que l’on maîtrise. Le fait d’avoir, comme beaucoup de bailleurs sociaux, anticipé les problématiques environnementales nous a déjà permis d’avoir un retour d’expérience sur ces bâtiments et leur fonctionnement. Mais nous nous rendons compte aujourd’hui que la réactivité que nous avons face aux dysfonctionnements et réclamations de la part des usagers sur les bâtiments performants n’est pas à la hauteur du bâtiment, et que les contrats et missions que nous confions aux exploitants ne sont pas du tout à la hauteur de la réactivité que nous voudrions mettre en œuvre. Donc nous devons effectivement redéfinir avec nos exploitants et entreprises les manières d’intervenir, et la façon de maîtriser l’exploitation. D.C. : Comment? Beaucoup de bailleurs sociaux sont trop petits pour avoir une maîtrise d’ouvrage professionnelle. C’est une question d’ultracompétence? E.P. : Si on creuse un peu, on se rend compte que tout existe. Les carnets de détails existent pour les points singuliers sur un bâtiment, et normalement le maître d’œuvre les produit avant consultation. Les prototypes sont aussi prévus. Il faut juste remettre tous ces éléments dans le bon ordre et se donner la possibilité, le pouvoir, le droit, le devoir de les exiger. Ce n’est peut-être pas évident, il nous faut peut-être passer par la phase réinvention pour pouvoir retrouver de l’intérêt dans ce qui pouvait se faire auparavant, mais ce sont des points cruciaux qu’il faut développer. Responsable SAV d’Eiffage Construction, présidente du groupe de travail SAV d’EGF.BTP (Entreprises générales de France – BTP) “Le premier problème que l’on rencontre porte sur l’interface, plus précisément l’interface entre les différents matériaux et l’interface entre les différents intervenants” D.C. : Est-ce que l’on colle aujourd’hui aux désirs du locataire? E.P. : Non, clairement pas. On se berce d’idées très intéressantes que l’on doit, je pense, creuser, car effectivement les enjeux environnementaux sont primordiaux. L’aspect maîtrise et baisse des charges est nécessaire et évident mais ce n’est pas l’intérêt premier du locataire social. Lui, avant tout, veut pouvoir boucler son mois. Donc venir coller un objectif environnemental à son logement ne fonctionnera a priori pas. Nous devons arriver à lui donner la possibilité d’atteindre cet objectif sans qu’il soit contraint. Il faut que ce soit générateur de confort pour lui: s’il y a inconfort, il y aura non-fonctionnement ou dysfonctionnement, et sinistralité par la suite. 38 D.C. : Marie-Luce Bousseton nous parlait pour QUALITÉ CONSTRUCTION • HORS SÉRIE INTERNET • NOVEMBRE 2014 E.P. : C’est presque revenir à dire que tout existe mais doit être remis en place. Je viens de livrer, il y a une dizaine de jours, le premier bâtiment collectif passif du Grand Lyon. Cela a été un travail collectif de deux ans de très longue haleine, et il nous a fallu répartir les confiances entre les différents intervenants. Personne ne peut tout savoir mais en revanche il faut se donner les moyens, comme en mode projet, de pouvoir répartir les compétences au bon endroit et d’avancer ensemble. D.C. : Merci. Aline Castagna, vous êtes responsable SAV d’Eiffage Construction et présidente du groupe de travail SAV d’EGF.BTP. Vous intervenez donc après réception. Quel est votre constat? Aline Castagna : Si l’on met de côté les petits problèmes malheureusement classiques et humains, le premier problème que l’on rencontre porte sur l’interface, plus précisément l’interface entre les différents matériaux et l’interface entre les différents intervenants. Je vais évoquer un exemple qui me tient à cœur depuis un an. À la base du problème il y a la multiplicité des réglementations qui évoluent: la RT 2012, les règles parasismiques, l’accessibilité, mais aussi l’étanchéité des balcons et terrasses. Avec un mix de tout cela, nous aboutissons à 50 % de logements sinistrés sur un bâtiment en comptant soixante, juste pour un détail constructif de l’étanchéité dont la surface n’est pas plus grande qu’une feuille A5, mais répété sur six angles du bâtiment ! Cela fait maintenant un an que nous sommes en recherche d’explications, et la cause principale – et même quasi unique – serait l’absence de gestion de l’interface entre 9 intervenants et 6 types de matériaux différents. Je m’explique. Au départ, le coordonnateur SPS a voulu que la terrasse accessible aux occupants soit différente d’un point de vue esthétique de la terrasse non accessible. Pour permettre cette dissociation, la maîtrise d’œuvre a prescrit deux matériaux magnifiques qui fonctionnent très bien individuellement. Entre les deux a été posé un petit relevé béton permettant de faire un relevé d’étanchéité d’un côté et le support de la couverture zinc de l’autre. Rajoutons par-dessus une ITE pour satisfaire la RT 2012, une menuiserie à proximité, un garde-corps dont les fixations sont cachées par les couvertines afin de ne pas être visible, et vous avez au total 9 intervenants. Aujourd’hui, le sinistre coûte plusieurs milliers d’euros et nous ne savons pas qui va payer. D.C.: Sachant ce qu’il ne faut plus faire et sachant qu’il faut se coordonner, comment procéder ? A.C. : La coordination et la synthèse en chantier collectif, sur des ouvrages fonctionnels comme les hôpitaux, les écoles, etc., se font globalement; nous IMPACTS DES INTERFACES SUR LA SINISTRALITÉ n’avons malgré tout pas trop de soucis et les ouvrages, d’après ce que je constate, ne pâtissent après quasiment d’aucun dysfonctionnement. En revanche, ce n’est pas le cas des opérations dites classiques ou simples de logements, pour lesquelles un logement égale en général un problème, et ce pendant 10 ans. C’est donc là que la synthèse prend toute son importance. En particulier sur le domaine de l’enveloppe, car le constat est que l’eau rentre encore trop souvent dans les logements. D.C. : Est-ce à dire qu’il faudrait une personne chargée de la synthèse pour les petites et moyennes opérations? A.C. : Je ne parlerais pas en termes de petites et moyennes opérations, mais en termes d’opérations techniquement plus classiques comme le logement. C’est peut-être un point qu’on a oublié ou perdu par habitude. D.C. : Merci. Pierre Mit, vous êtes économiste et président de l’Untec. Nous allons évoquer avec vous le BIM, pour « Bâtiment et informations modélisés». Qu’est-ce que le BIM va changer et surtout, apporter au monde du bâtiment? Pierre Mit: Je tiens d’abord à préciser que le BIM n’est pas là pour remplacer les acteurs, qui restent maîtres de leurs compétences et de leur savoir. Il faut considérer le BIM ou maquette numérique comme un outil qui va faciliter les échanges, mais qui ne va pas changer la capacité de la personne en face de l’écran. J’entends trop dire aujourd’hui dans certaines présentations qu’une seule et unique personne pourrait tout faire fonctionner sur cette maquette numérique. Simplement, nous vivons aujourd’hui une évolution des modes d’échange entre les acteurs. Les Égyptiens, lorsqu’ils ont construit les pyramides, se sont échangés des papyrus. D’autres se sont échangés plus tard des parchemins, puis on a inventé la pâte à papier, et enfin nous sommes passés à l’informatique qui nous a permis dans notre secteur de faire des dessins, et d’échanger des traits vectoriels, mais sans intelligence. La révolution du BIM est de ne plus être dans des échanges de traits vectoriels, mais dans un échange d’objets qui ont de l’intelligence et auxquels on peut donner des caractéristiques. D.C. : Le BIM est-il réservé aux grandes opérations? P.M. : Non. Lorsque les métiers de la maîtrise d’œuvre se sont informatisés, la question ne s’est pas posée. Et souvent, ce sont des petites agences qui se sont équipées en premier; il est vrai que la chaîne de décision entre celui qui décidait d’acheter et celui qui utilisait l’outil était très courte. Aujourd’hui, on va d’ailleurs retrouver ce même type de problématique concernant la mise en œuvre du BIM : la chaîne peut parfois être très longue entre celui qui prend la décision et celui qui va utiliser et mettre en œuvre l’outil. PIERRE MIT D.C. : Est-ce un nouveau métier, y aura-il un «BIM Manager»? P.M. : Non, ce n’est pas un nouveau métier, c’est Économiste, président de l’Untec (Union nationale des économistes de la construction) “Le BIM n’est pas là pour remplacer les acteurs, qui restent maîtres de leurs compétences et de leur savoir. Il faut considérer le BIM ou maquette numérique comme un outil qui va faciliter les échanges, mais qui ne va pas changer la capacité de la personne en face de l’écran” une fonction. Je pense que cette fonction a toujours existé – le fait de se demander si le plan de l’architecte était bien en cohérence avec le plan du BET structure, si le BET structure avait tracé ses gaines avec le bon plan du BET fluide… –, mais elle était sans doute compliquée à gérer de façon manuelle. Aujourd’hui avec le BIM et le format d’échanges IFC, c’est d’autant plus facile de pouvoir analyser ces contraintes. D.C. : Le BIM ne change donc pas le rôle des acteurs mais va leur permettre de mieux se connaître? P.M. : Tout à fait. Prenons l’exemple des bureaux d’études, à qui l’on donne plus souvent des contraintes qu’on ne leur demande les leurs. Un bureau d’études doit passer plusieurs jours à modéliser en 3D un bâtiment pour réaliser une simulation thermodynamique. S’il y a des modifications, il faut alors recommencer. C’est pareil pour la structure, l’acoustique, etc. Avec ces nouveaux outils, le bureau d’études pourra travailler en amont avec l’architecte et sera beaucoup plus réactif, parce qu’il pourra déjà tester et donner des réponses sur tel ou tel axe avec simplement ce qu’aura dessiné l’architecte à partir de la maquette. D.C. : Merci. Christian Romon, quelles sont les évolutions possibles de la loi Mop? Christian Romon: Je trouve que la loi Mop, qui a maintenant une trentaine d’années derrière elle, a bien vécu. Elle comprend plusieurs chapitres qu’on ne connaît pas tous forcément très bien. Le premier chapitre traite de la maîtrise d’ouvrage, de ses responsabilités, de ses obligations, de ses devoirs. Cela reste toujours d’une parfaite et pleine actualité, un certain nombre d’intervenants ont d’ailleurs évoqué la nécessité d’établir un programme en amont d’une opération, d’établir un chiffrage prévisionnel de cette opération cohérent avec le programme. Ce sont des éléments fondamentaux. La loi Mop traite aussi de la maîtrise d’œuvre. Elle pose le principe selon lequel la maîtrise d’œuvre est indépendante des entreprises. Il y a une logique et une légitimité à cela: il n’y a pas que des maîtres d’ouvrage forts et professionnels, donc un maître d’œuvre à leurs côtés constitue un véritable partenaire plus qu’un prestataire. Il ne faut pas oublier la multiplicité des petits maîtres d’ouvrage occasionnels, qui sont bien renforcés par le dispositif prévu par la loi Mop. La loi Mop a prévu une dérogation pour les schémas de conception-réalisation dans un contexte où des nécessités d’ordre technique justifiaient l’association de l’entreprise aux études. Ce cas de dérogation a d’ailleurs fait l’objet d’un ajout en 2010 pour pouvoir intégrer la possibilité, en cas de rénovation énergétique, de passer des contrats de performance énergétique, avec enga- NOVEMBRE 2014 • HORS SÉRIE INTERNET • QUALITÉ CONSTRUCTION 39 OBSERVATOIRE DE LA QUALITÉ DE LA CONSTRUCTION “L’une des vertus du processus prévu par la loi Mop avec un maître d’œuvre qui réalise des missions successives est justement l’approche progressive du projet, la possibilité d’itérer entre le programme et le projet. Tout cela, on le retrouve très difficilement dans des processus plus brutaux avec une seule consultation…” gement sur les résultats. Pourquoi vouloir généraliser ce schéma de la conception-réalisation? Assez souvent les maîtres d’ouvrage mettent en avant le fait que cela va permettre d’aller plus vite. Aller plus vite n’est pas nécessairement pour moi un gage de qualité. Nous sommes là aujourd’hui pour parler qualité. L’une des vertus du processus prévu par la loi Mop avec un maître d’œuvre qui réalise des missions successives est justement l’approche progressive du projet, la possibilité d’itérer entre le programme et le projet. Tout cela, on le retrouve très difficilement dans des processus plus brutaux avec une seule consultation… D.C. : Et en réhabilitation? C.R. : Il n’y a pas l’obligation de concours en réhabilitation, donc on peut essayer d’introduire, dans les procédures de consultation, des pratiques qui donnent la place au dialogue et à l’échange. On a évoqué tout à l’heure le dialogue compétitif. Ce sont des processus que la MIQCP souhaite encourager. D.C. : Que pensez-vous des évolutions futures de cette loi? J’en profite pour ajouter quelques mots sur l’exploitation-maintenance que j’ai passée sous silence. Nous misons, sur ce sujet-là également, sur l’architecte: dans les contrats de maîtrise d’œuvre que nous signons, nous lui confions une mission d’exploitation-maintenance tout au long de la phase d’études – ce qui nous permet de discuter des équipements et des choix d’exploitation –, ainsi qu’un suivi pour nous accompagner et nous conseiller après la livraison du bâtiment. Nous lui demandons, bien sûr, de toujours réussir à optimiser la performance énergétique du bâtiment. Cette mission après livraison nous ramène à la question des usages. Je ne suis en effet pas convaincue que le respect des réglementations et notamment de la température de consigne à 19 °C dans les bureaux soit en phase avec les attentes des utilisateurs (magistrats, greffiers…) en termes de confort d’usage; le risque est finalement que les usages détournent complètement les économies d’énergie escomptées. Nous avons donc décidé avec l’architecte de faire des mesures, de voir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, en somme d’accompagner les utilisateurs. Nous construisons ainsi notre retour d’expérience. De fait, nous avons cette interface supplémentaire qui est l’utilisateur. C.R. : Sur la loi elle-même, à ma connaissance, il n’y a pas de projets consistant à la faire évoluer. La loi se décline. Il y a un décret, et ce décret est décliné dans un arrêté. On peut toujours toiletter, mettre au goût du jour la description précise des missions de maîtrise d’œuvre. Christian Romon: Je voudrais juste faire un petit commentaire sur l’obligation de concours: elle n’a rien à voir avec la loi Mop. Il s’agit d’une disposition de la commande publique, du Code des marchés publics. La loi Mop n’y est vraiment pour rien. D.C.: Marie-Luce Bousseton, que reprochez-vous à la loi Mop aujourd’hui? D.C. : Merci. Y a-t-il des questions dans le public? Intervention n° 1 dans la salle: Bonjour, je Marie-Luce Bousseton: De ne pas pouvoir corriger le concours anonyme. Sur un concours pour lequel j’ai par exemple quatre projets, je vais passer mon contrat avec l’un de ces projets sans avoir jamais pu dialoguer et échanger en amont sur le programme et le projet pour éventuellement les faire évoluer… Je suis sûre qu’on perd des choses en fonctionnant ainsi. Je ne vais pas faire plaisir à la maîtrise d’œuvre, mais je pense que l’un des palais de justice les plus réussis architecturalement que nous sommes en train de réaliser (sans parler de celui de Paris) et qui fera les unes des magazines d’architecture, est dévolu en PPP. Il y a vraiment eu un concours d’architecture à travers le PPP. Nous avions exigé deux projets par candidat, et en dialoguant, échangeant et travaillant, nous avons pu obtenir le meilleur projet d’un point de vue architectural et fonctionnel, qui n’était pas le plus cher. 40 QUALITÉ CONSTRUCTION • HORS SÉRIE INTERNET • NOVEMBRE 2014 suis François Pélegrin, architecte et président du Cos Construction. Je crois qu’on pourrait faire jouer également à la maquette numérique le rôle de superviseur de contraintes. C’est un outil merveilleux pour faire de l’autocontrôle partagé. Et ce serait pour l’AQC par exemple une belle occasion de donner une nouvelle vie à tous ses supports pédagogiques et de les valoriser pleinement en les embarquant dans un outil qui sera un vrai outil d’échanges et de partages entre la maîtrise d’œuvre et les entreprises. Tous les carnets de chantier, les détails techniques, les bons gestes… peuvent être embarqués sur la maquette numérique qui joue alors un rôle pédagogique au fil de la conception et de réalisation. Intervention n° 2 dans la salle: Bonjour, je suis responsable d’un service après-vente en maisons individuelles. Le bon fonctionnement des appa- IMPACTS DES INTERFACES SUR LA SINISTRALITÉ reillages qui deviennent de plus en plus sophistiqués (ventilation, processus de réfrigération, etc.) nécessite des entretiens ou un savoir-faire, donc une culture à apporter au maître d’ouvrage privé pour qu’il fasse fonctionner au mieux l’ouvrage. Nous envisageons ainsi dans mon entreprise de mettre sur pied un rendez-vous au bout d’un an, un an et demi chez chaque maître d’ouvrage pour lui faire un rappel. Intervention n° 3 dans la salle: Bonjour, je suis Éric Lobet de LonMark France, et je voudrais aborder la question de la formation, à la fois des actuels et futurs intervenants dans le bâtiment. Que ce soit pour les technologies BIM ou pour tout autre chose, y compris d’ailleurs les problématiques d’interfaces et les méthodologies dont vous avez parlé, je ne vois pas comment les choses pourront avancer si des moyens ne sont pas mis en place pour permettre aux entreprises de se former. Pierre Mit: Nous y réfléchissons, c’est exact que la mise en place du BIM ne pourra se faire sans accompagnement de ceux qui vont sortir des écoles, mais aussi des acteurs déjà sur le terrain. Intervention n° 4 dans la salle: Bonjour, je suis Stéphane Taisne, directeur technique de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI). Je m’interroge sur le terme «intrusif» qui a été employé plusieurs fois. Est-ce que ce n’est pas le rôle, finalement, du maître d’ouvrage de coordonner l’ensemble des acteurs, et est-ce que toute la discussion ne revient pas à dire que le métier du maître d’ouvrage doit évoluer et être avant tout de coordonner les différents spécialistes. Donc est-ce vraiment être intrusif, ou simplement bien faire son métier? Intervention n° 5 dans la salle: Bonjour, je suis Jean-Marc Mouton Dubosc de Dekra Industrial, et je voulais également parler justement de la maîtrise d’ouvrage intrusive. Sur une prison à Tahiti, on nous demande, en tant que contrôleurs techniques, de valider des visas «bon pour exécution» sur tous les plans, et des visas de commande de matériaux. Or la loi Spinetta nous interdit cette action. Puisque vous avez écorné la loi Mop, allez-vous aussi écorner la loi Spinetta? Marie-Luce Bousseton: Je crois que je suis en Polynésie dans quinze jours pour aller voir le chantier, nous aurons sûrement un cadre mieux adapté pour examiner ce dossier ensemble et je vous invite à être présent ou à me donner le nom de votre intervenant sur place. Il n’y a aucune difficulté pour que l’on regarde cela. Je parle d’une maîtrise d’ouvrage intrusive parce que je considère qu’effectivement la qualité des travaux qui me sont livrés me concerne, et que je n’abandonne pas cela ni au maître d’œuvre ni aux entreprises. De fait, énormément d’entreprises et de PME ont trouvé très intéressant que je sois intrusive sur leurs chantiers parce que je les ai aidées quand elles étaient en difficulté sur la synthèse, sur leurs calendriers… Je leur ai certes donné des alertes, mais j’ai aussi su saluer les efforts qui avaient été faits, sans systématiquement pénaliser les fins de chantiers qui avaient parfois pris des délais. Je pense donc que tout le monde a apprécié le maître d’ouvrage intrusif qui était parfois tout aussi présent que le maître d’œuvre. D.C.: Merci à tous pour votre partage de retours d’expériences. ■ D.C.: Absolument. Ce mot est un peu provocateur, mais c’est une excellente remarque, bien sûr. La montée en professionnalisation va concerner aussi le maître d’ouvrage. NOVEMBRE 2014 • HORS SÉRIE INTERNET • QUALITÉ CONSTRUCTION 41 Cliquez sur cette page et abonnez-vous en ligne CONCLUSION DES TABLES RONDES PAR KATY NARCY GESTION DES INTERFACES UN ENJEU MAJEUR POUR LA QUALITÉ DANS LE BÂTIMENT erci beaucoup à l’AQC de m’avoir confié la lourde tâche de conclure cette journée que j’ai trouvée extrêmement intéressante par la richesse de ses débats. Avant d’en venir au sujet du jour, je tiens à saluer l’AQC pour son travail remarquable et reconnu par l’ensemble des acteurs, et rappeler l’importance que les deux ministères de l’Écologie et du Logement attachent à la montée en compétence des professionnels, et plus généralement à la qualité des bâtiments. Qualité intrinsèque du bâtiment bien sûr, mais aussi baisse des coûts de la non-qualité, qui permet de gagner sur le coût global. M Je voudrais illustrer ce sujet par quelques exemples récents d’actions collectives que nous avons pu mener dans le cadre du Plan de rénovation énergétique de l’habitat. Je citerai bien sûr les formations FEEBat, la mention «RGE» (Reconnu Grenelle Environnement), le Programme RAGE, etc., que tout le monde connaît. Je pense aussi à la démarche «Objectif 500000» où les acteurs ont, à juste titre, redonné un coup de zoom sur ces questions de montée en compétence avec les volets classiques de formation et de qualification, mais aussi sur tout ce qui a trait à l’innovation organisationnelle, ce qui est plus rare, mais nous en avons vu cette après-midi une belle illustration. De même, les Journées d’informations régionales (1) que nous organisons avec l’AQC sur la qualité réglementaire sont aussi un bon exemple, car elles permettent Katy Narcy, sous-directrice de la qualité et du développement durable à la DHUP (Direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages). aussi, par le fil directeur de la réglementation, de tirer la qualité globale vers le haut, et les sujets d’interface en font partie. Pour revenir au sujet du jour et à la question des interfaces, je note un consensus général sur le diagnostic: tout le monde s’accorde à dire que la question des interfaces est une des clés, si ce n’est la clé, de la qualité dans les bâtiments. Philippe Estingoy l’a montré à travers l’analyse de toutes les remontées de Sycodés, et c’est parallèlement intéressant d’avoir des cas précis et de terrain comme ceux révélés par les deux tables rondes. Cette problématique des interfaces tient en partie à la spécificité du bâtiment et son côté systémique, beaucoup l’ont rappelé, et à la complexité croissante amenée par l’exigence de performance sociétale, notamment sur les sujets environnementaux. J’ai trouvé aussi un consensus global sur trois points de lignes de force et d’outils qui peuvent permettre d’améliorer cet état de fait. Premièrement, l’idée du «tous ensemble», qui passe par le dialogue et l’échange afin de se comprendre. Cela peut paraître très basique mais peut faire parfois beaucoup avancer les choses. Le (1) Voir le programme de ces journées d’information sur www.qualiteconstruction.com, rubriques « Manifestations » puis « Journées d’informations AQC ». NOVEMBRE 2014 • HORS SÉRIE INTERNET • QUALITÉ CONSTRUCTION 43 OBSERVATOIRE DE LA QUALITÉ DE LA CONSTRUCTION travail doit de manière générale être collaboratif, itératif, et non plus séquentiel. Cela est revenu dans la bouche de quasiment tous les intervenants. Ce changement de mode de travail peut peut-être aller jusqu’à faire évoluer les rôles des acteurs et peut-être les textes, du moins faire un peu bouger les lignes sur l’organisation traditionnelle et le «qui fait quoi?» traditionnel. La deuxième ligne de force que j’ai relevée est la question du temps et surtout du travail en amont. Notamment l’idée d’appuyer le travail de conception en étude, de prendre le temps nécessaire au début, même si on veut toujours tous collectivement aller trop vite. Plus généralement, la question de l’anticipation des sujets qui se poseront à l’étape suivante apparaît très importante, à la fois pour anticiper les risques, la performance et optimiser la conception. La troisième ligne de force est la question de la vision globale de la construction et de l’usage derrière, puisque si le relais ne se fait pas, le bâtiment ne sera pas aussi performant qu’on le souhaite ou pas utilisé comme il était prévu. Derrière cette question de vision globale, nous avons aussi celle de la durabilité dans le temps, fondamentale et qu’on oublie malheureusement parfois. L’une des clés de cette vision globale est, à mon sens, l’aspect pragmatique et passif pour l’usager, c’est-àdire que tout doit pouvoir fonctionner tout seul sans que l’usager ait besoin d’un bac +5 en bâtiment… Concernant les outils permettant d’aider les acteurs à résoudre ces problématiques d’interfaces, le premier a trait bien sûr à la formation et la connaissance: une meilleure connaissance des produits pour les entreprises de pose, mais aussi une meilleure connaissance des usagers par ceux qui construisent le bâtiment. On peut imaginer constituer des plateformes de formation qui traitent des interfaces et forment plusieurs corps de métiers. Des démarches de ce type se font aussi directement sur les chantiers, ce qui a l’avantage de ne pas faire perdre une journée de travail. “La question des interfaces est un enjeu majeur pour la qualité dans le bâtiment, et le travail collaboratif en est certainement la première clé. C’est une voie d’amélioration essentielle pour les acteurs du bâtiment qui permettra à la fois de tirer la qualité du bâtiment vers le haut, mais aussi de faire baisser les coûts de construction” Le deuxième outil est bien évidemment la maquette numérique, sujet ressorti comme une des grandes priorités par les acteurs de la démarche «Objectif 500000». Comme cela a été dit aujourd’hui, un outil ne remplacera jamais l’intelligence des acteurs, et l’ordinateur n’a d’ailleurs pas cette vocation, il n’améliore ni n’affaiblit l’intelligence. En revanche, il permet certaines choses, et peut même servir d’aiguillon. Par exemple, l’objectif du test d’étanchéité imposé par la RT 2012 était à l’origine uniquement de pouvoir vérifier cette bonne étanchéité. Mais nous nous sommes rendus compte, par les retours d’expériences de terrain, qu’il a apporté beaucoup plus en réalité parce qu’il a obligé les acteurs à se 44 QUALITÉ CONSTRUCTION • HORS SÉRIE INTERNET • NOVEMBRE 2014 parler sur le chantier. De fait, forts de ces enseignements, ceux-ci se sont mis à travailler ensemble plus en amont sur les chantiers suivants. Nous sommes convaincus que la maquette numérique, outre ses atouts intrinsèques, peut nous aider collectivement à aller vers ces processus collaboratifs. Ce sera bien sûr long et compliqué, mais pour nous c’est une évidence de passer à cette maquette numérique, au même titre que c’était une évidence de passer de la planche à dessin à l’ordinateur. Après tout, quand les Français vont acheter aujourd’hui leur cuisine équipée dans un grand magasin, ils utilisent sur place une maquette numérique 3D, et tous ont l’air de s’y mettre sans aucun problème. En revanche, il faut bien sûr développer les outils adéquats pour chaque acteur, pour chaque chantier, avec tous les problèmes techniques de compatibilité qu’il y a à régler. Le troisième et dernier outil évoqué aujourd’hui, et j’en suis particulièrement ravie, concerne la démarche qualité, notamment les questions d’autocontrôle: l’étanchéité à l’air est un exemple bien connu, mais des contrôles beaucoup plus simples et basiques peuvent déjà faire repérer un certain nombre de choses, et la démarche de la «pige» qui a été citée est assez exemplaire du schéma directeur de la qualité avec les notions de points d’arrêt et points de contrôle, démarche certes classique mais pas si souvent utilisée. Sans concevoir une usine à gaz et en restant sur des idées simples, je pense qu’il y aurait beaucoup à gagner à réinjecter ces démarches dans le bâtiment. Si le travail à mener sur les interfaces a été évoqué aujourd’hui dans l’objectif d’éviter des désordres, je pense qu’il constitue aussi une chance pour faire avancer les choses et tirer vers le haut le secteur de la construction, que ce soit par la baisse des coûts de non-qualité, mais aussi plus généralement parce que cela peut être un terreau pour l’innovation. Plus de travail collaboratif sur l’ensemble de la chaîne des acteurs, industriels y compris, pourra peut-être faire émerger des innovations, par exemple des procédés constructifs mixtes. En conclusion, je retiens de cette journée que la question des interfaces est un enjeu majeur pour la qualité dans le bâtiment, et le travail collaboratif en est certainement la première clé. C’est une voie d’amélioration essentielle pour les acteurs du bâtiment qui permettra à la fois de tirer la qualité du bâtiment vers le haut, mais aussi de faire baisser les coûts de construction – un enjeu particulièrement fort en ce moment –, ne serait-ce que par le gain sur les coûts de non-qualité. Je pense que ce consensus est établi, et étant donné qu’il s’agit de changements culturels de longue haleine, nous devons nous y mettre tous ensemble. ■ CLÔTURE PAR JACQUES JESSENNE AMÉLIORATION DE LA QUALITÉ DANS LE BÂTIMENT UN ENGAGEMENT ESSENTIEL DE TOUS LES ACTEURS e souhaite tout d’abord tous vous remercier pour votre présence cet après-midi, en espérant que ces débats auront fait avancer votre réflexion et vous apporteront matière à progresser sur le chemin de la qualité. Je voudrais remercier tout particulièrement tous ceux qui ont participé à son organisation et à son animation : les conférenciers, l’animateur et les techniciens, les membres de l’Agence qualité construction (AQC) et toute l’équipe. J L’AQC est de plus en plus sollicitée pour participer aux réflexions, animer des groupes de travail, proposer des orientations pour les grandes politiques de la construction. Elle est mobilisée pour être le lieu de rencontre et de débat entre professionnels, avec l’administration. C’est une reconnaissance du rôle et de la place de l’AQC qui grandit chaque année. Cet après-midi en a été encore un exemple réussi. Le thème que nous avons choisi, «Observatoire de la qualité de la construction – Impacts des interfaces sur la sinistralité», est comme nous l’avons vu d’une actualité d’autant plus importante que les exigences techniques sont de plus en plus fortes et que le succès d’une opération de construction repose en grande partie sur les informations échangées, sur la qualité des études impliquant les différents intervenants et sur l’action coordonnée des différents corps d’état. Jacques Jessenne, président de l’Agence qualité construction (AQC). Dans les débats de cet après-midi, les différentes interventions sont venues conforter le principe que la qualité d’un ouvrage est un tout, un assemblage délicat où non seulement tous les objets, tous les intervenants doivent être de qualité pour obtenir le résultat souhaité, mais doivent être aussi « compatibles» entre eux. Les actions de l’AQC sur les procédés et les bonnes pratiques ne porteront leurs fruits que par l’engagement de tous. Et au-delà de la conclusion des tables rondes faite par Katy Narcy (1) que je remercie pour son soutien constant à l’action de l’AQC, je voudrais évoquer quelques pistes sur lesquelles je souhaite que l’Agence qualité construction s’investisse dans le cadre de ses partenariats habituels, en complément des actions déjà prévues dans la Convention Quinquennale 2015-2019 (2): • les conditions de développement du BIM (Building information modeling) dans les petites structures: en effet, si le BIM est un outil qui permet de formaliser de bonnes pratiques pour la qualité, la prise en main de cet outil (1) Sous-directrice de la qualité et du développement durable à la DHUP. (2) Consultez le communiqué de presse sur www.qualiteconstruction.com, rubriques « Actualités & Presse » puis « Presse ». NOVEMBRE 2014 • HORS SÉRIE INTERNET • QUALITÉ CONSTRUCTION 45 OBSERVATOIRE DE LA QUALITÉ DE LA CONSTRUCTION nécessite un investissement particulier dans les petites structures et il est indispensable de leur faciliter cette transition; • la conception d’outils BIM AQC : la Convention Quinquennale prévoit une numérisation de l’ensemble de nos productions, il faut aller plus loin en créant des outils BIM qui puissent être exploités de façon encore plus immédiate; • une réflexion sur les possibilités d’évolution des relations entre acteurs: comme cela a été évoqué à plusieurs reprises, l’entrée en scène séquentielle des acteurs ne peut plus être la référence unique, et pour permettre des échanges dépassionnés, l’AQC peut être un lieu de réflexion entre tous les acteurs; • un focus sur les apports du commissioning dans le bâtiment, pratique permettant de traiter les interfaces entre acteurs depuis l’origine de l’opération jusqu’à la prise de possession par les utilisateurs et gestionnaires. Pour autant, ces évolutions porteuses d’une forte amélioration de la qualité dans la construction ne pourront avoir un effet que si des Règles de l’art adaptées pour des gains environnementaux sont formalisées, et nous pouvons tous formuler notre forte attente d’un acte II du Programme d’accompagnement des professionnels RAGE (3). 46 “Ces évolutions porteuses d’une forte amélioration de la qualité dans la construction ne pourront avoir un effet que si des Règles de l’art adaptées pour des gains environnementaux sont formalisées” QUALITÉ CONSTRUCTION • HORS SÉRIE INTERNET • NOVEMBRE 2014 J’espère que cette journée aura permis à chacun de progresser et d’y voir plus clair dans cette problématique essentielle des interfaces. J’espère que les outils que l’AQC met déjà ou mettra bientôt à votre disposition vous aideront à y voir clair. Je vous donne rendez-vous l’année prochaine le 28 mai 2015 pour le 17e Rendez-vous Qualité Construction et en attendant, je vous invite à rejoindre le buffet en passant devant notre traditionnelle exposition de photos de désordres, qui présente les 15 photographies distinguées par notre 9e Concours Photo (4). ■ (3) Pour en savoir plus sur le Programme RAGE, rendez-vous sur le site www.ragebatiment.fr. (4) Les photos primées et distinguées de toutes les éditions du Concours Photo sont consultables sur www.qualiteconstruction.com, aux rubriques « Manifestations » puis « Concours Photo de l’AQC ».